économie soulager la souffrance du peuple grec

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économie soulager la souffrance du peuple grec
ÉCONOMIE SOULAGER LA SOUFFRANCE
DU PEUPLE GREC
par Pierre Fortin
F
JOHN KOLESIDIS / REUTERS
(Source : OCDE)
MILLIARDS D’EUROS
Le pays était coincé. Il ne pouvait pas déprécier la
aut-il punir un peuple parce que son gouverdrachme afin de redresser la compétitivité de ses
nement a fait l’erreur de laisser tomber sa
entreprises et de relancer l’économie, puisqu’elle
monnaie pour l’euro ?
avait disparu. Il ne pouvait pas non plus faire appel
La Grèce est l’un des pays les moins riches
à sa banque centrale pour fournir d’urgence les
d’Europe. La dépression qu’elle subit depuis sept
liquidités dont les banques privées et le gouvernement
ans dépasse l’entendement. En 2007, son revenu
avaient besoin. Dans la zone euro, les prêts de dernier
national (PIB) était de 235 milliards d’euros. Si la
recours ne pouvaient provenir que d’organismes
croissance s’était poursuivie au même rythme que
européens ou internationaux : la Commission eurodans les 15 années précédentes, il aurait augmenté
péenne, la Banque centrale européenne et le Fonds
de 50 milliards de 2007 à 2014. C’est l’inverse qu’on
monétaire international (FMI).
a observé : le PIB grec a diminué de
ÉVOLUTION DU REVENU NATIONAL
Ces trois institutions ont accepté
60 milliards, un écart de 110 milDE LA GRÈCE DE 2007 À 2014
de prêter les milliards requis en
liards d’euros entre ce qu’on atten230
2010, mais en imposant un plan
dait et ce qui s’est produit. C’est
d’austérité infiniment plus sévère
énorme pour une petite économie 220
que dans tout autre pays européen.
comme celle de la Grèce. Le quart
Jusqu’en 2014, le gouvernement
des adultes et la moitié des jeunes 210
grec s’y est conformé, et si bien que
sont présentement au chômage.
le FMI a qualifié sa performance
Une opinion répandue attribue 200
de « réussite extraordinaire qui
les difficultés du pays aux défi190
défie toute comparaison internaciences « structurelles » de son écotionale ». Les données du FMI
nomie : réglementation excessive, 180
indiquent que le degré d’austérité
fiscalité complexe, corruption endéappliqué par la Grèce en quatre
mique, etc. Ces déficiences sont 170
2007 2008 2009 2010
2011
2012 2013 2014
ans a été de deux à trois fois plus
réelles, mais il est illogique de leur
Depuis 2007,
important qu’en Irlande, au Portugal et en Espagne,
attribuer la responsabilité de la dépression actuelle.
le PIB de la
où les compressions ont aussi été très dures.
Présentes dans les décennies antérieures, elles n’ont
Grèce a fondu
Le remède a tué le patient. En acceptant de
pas empêché la Grèce de connaître une croissance
de 40 %.
prêter à la Grèce, le FMI avait annoncé qu’en 2014
économique plus rapide que la moyenne européenne
le plan d’austérité permettrait au PIB grec de
au courant des années 1990, par exemple.
remonter à son niveau de 2009 — 220 milliards
L’explication la plus plausible est que les contred’euros. Or, il s’est trompé de 20 % : le PIB grec a
coups de la récession mondiale de 2008-2009 sur
atteint non pas 220, mais 175 milliards d’euros en
la Grèce ont été amplifiés démesurément par le fait
2014 ! L’austérité a eu des conséquences beaucoup
que le pays a abandonné sa monnaie, la drachme,
plus graves que prévu sur l’économie réelle.
pour adhérer à l’euro, en 2001.
De la souffrance est venue la colère. En décembre
Cela a provoqué un énorme afflux de capitaux vers
dernier, les Grecs ont élu un gouvernement qui
le pays et entraîné un boum économique jusqu’en
conteste le plan d’austérité. Afin de modérer la
2007. Les prix de l’immobilier ont doublé. L’inflation
pression, il réclame que les cibles de surplus buda fait bondir les coûts de production. Mais quand la
gétaires encore plus dures imposées pour 2015 et
bulle immobilière a éclaté, que les entreprises
2016 soient réduites et que la période de rembourgrecques ont perdu tout avantage compétitif et que
sement de l’emprunt soit allongée.
la récession mondiale a frappé, les Grecs ont essuyé
Il faut espérer qu’une entente sera conclue entre
une crise bancaire, une dépression économique et
parties raisonnables. Sinon, la Grèce pourrait
une explosion du déficit budgétaire et de la balance
quitter la zone euro et cesser de payer ses créandes paiements tout à la fois. La « tempête parfaite ».
ciers. Tout le monde y perdrait : les créanciers,
Pris de panique, les investisseurs européens ont cessé
l’Europe, le gouvernement et les banques grecs et,
de prêter aux banques et au gouvernement grecs,
surtout, le peuple lui-même.
sauf à des taux d’intérêt inabordables.
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