Le procès de Saddam Hussein
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Le procès de Saddam Hussein
Miletzki Jana Terras Pierre Vallot Damien Justice Internationale 4e année IEP module Relations Internationales et Développement Le procès de Saddam Hussein 1 Introduction (p.4) I) Le tribunal, le procès, le verdict (p.6) A) La création du Tribunal Spécial Iraquien (p.6) a. l’occupation américaine en Irak…(p.6) b. …et la création contestée du TSI (p.7) B) Le déroulement du procès (p.7) a. la phase préliminaire (p.7) b. le procès (p.8) C) La sentence (p.9) a. l’exécution (p.9) b. la polémique (p.10) II) La légitimité du procès. (p.11) A) Conformité avec le droit pénal international (p.11) a. le droit positif (p.11) b. le droit procédural (p.12) c. l’indépendance des juges (p.13) B) La légitimité du TSI (p.14) a. l’influence des Etats-Unis (p.14) b. la solution possible des tribunaux ad hoc et des tribunaux hybrides (p.15) C) La perception du procès (p.15) a. par les irakiens (p.15) b. par la communauté internationale (p.16) Conclusion (p.16) Bibliographie (p.17) 2 Lors d’une audience à la cour de Bagdad, l’ancien président de l’Irak Saddam Hussein répond aux accusations de crimes de guerre, génocide et crimes contre l’humanité : HUSSEIN: Hussein Majid, Président de la république d’Irak. (…) JUGE: Profession? Ancien Président de la république d’Irak? HUSSEIN: Non, actuel. C’est la volonté du peuple. (…) HUSSEIN: Puis-je avoir une clarification? JUGE: Je vous en prie. HUSSEIN: Vous devez aussi vous présentez à moi. JUGE: M. Saddam, je suis le juge d’investigation de la cour centrale d’Irak. HUSSEIN: C’est ce que je voulais savoir, vous êtes un des juges investigateurs de la cour centrale d’Irak ? Quelle résolution, quelle loi a créé cette cour ? JUGE: (hors micro) HUSSEIN: Oh, les forces de la coalition ? Ainsi vous êtes un irakien qui… vous représentez les forces de l’occupation ? JUGE: Non, je suis un irakien qui représente l’Irak. (…) JUGE: J’ai été nommé par un décret présidentiel sous l’ancien régime. HUSSEIN: Ainsi vous admettez que chaque irakien devrait respecter les lois irakiennes, et donc, que la loi instaurée auparavant représente la volonté du peuple, n’est-ce pas ? JUGE: Oui, par la volonté de Dieu. HUSSEIN: Donc vous ne devriez pas exercer sous la juridiction des forces de la coalition. JUGE: Ceci est un point crucial. Je suis juge. Sous l’ancien régime, j’ai respecté la fonction de juge et je vais reprendre et continuer mon travail. Vous, comme n’importe quel autre citoyen, vous devez répondre à n’importe quelle accusation ou charge. Il s’agit ici d’une comparution, d’une charge contre vous. Si elle peut être prouvée, alors vous serez condamné. Dans le cas contraire, tout ira bien pour vous. La régularité de cette procédure judiciaire et de ramener le droit. S’il y a suffisamment de preuves, vous serez condamné. S’il n’y en a pas, vous ne le serez pas. Extrait de la première audience du procès de Saddam Hussein, le 01 Juillet 2004. En juillet 2004 s’ouvre l’un des procès les plus médiatisé et attendu du Proche-Orient, 3 celui de l’ancien Président de l’Irak, Saddam Hussein. Ce dernier après une campagne militaire orchestrée par les Etats-Unis fut capturé et placé au cœur d’un procès dont la porté dépassa le cadre des frontières irakiennes pour toucher plus largement la Communauté Internationale. En effet, au-delà de la volonté pour les forces de la coalition (victorieuse de cette « seconde guerre du Golfe ») de ré-instaurer un Etat de droit en Irak, le procès de l’exdictateur illustre certaines limites de la justice internationale. Accusé de crimes de guerre, de génocide et de crimes contre l’humanité, qui sont des actes reconnus et punis par le droit international, Saddam Hussein fut jugé par une cour irakienne faisant référence au droit national et international : le Tribunal Spécial Irakien. Celle-ci fut mise en place à l’initiative du gouvernement provisoire irakien agissant sous les ordres de la Maison-Blanche. Le statut « bâtard » de cette cour et les irrégularités qui auront entaché le déroulement de la procédure provoquèrent des interrogations, des critiques voire des oppositions de la part de pays (Allemagne, Belgique…), d’Organisations Internationales (ONU, UE), d’associations ou d’ONG (Trail Watch, Amnesty Internationale…). Comme le montre l’extrait d’audience, le principal intéressé remettait lui-même en cause les fondements du tribunal censé le juger. On conteste ainsi la légitimité du procès. En droit il faut distinguer légitimité et légalité qui sont deux concepts différents. Selon le Robert, la légalité est « le caractère de ce qui est légal, conforme au droit, à la loi établie ». En droit pénal, le principe de légalité des délits et des peines dispose qu'on ne peut être condamné pénalement qu'en vertu d'un texte pénal précis et clair (en latin, Nullum crimen nulla pœna sine lege). Ce principe a été notamment développé par le pénaliste italien Cesare Beccaria au XVIIIe siècle. On y associe généralement les principes de la nonrétroactivité de la loi pénale plus sévère et la rétroactivité de la loi pénale plus douce. Le principe est exposé à l'article 11, alinéa 2 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948, puis repris dans l’article 15 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP), qui fut adopté par l’Assemblée générale de l’ONU en 1966 et sur lequel cette étude reviendra ultérieurement puisqu’il s’agit ici d’un des points qui ont fait débat pendant et après le procès. La légitimité, quant à elle, est la qualité de ce qui est fondé en droit, en justice, ou en équité. La légitimité repose sur une autorité qui est elle-même fondée sur des bases juridiques ou sur des bases éthiques et/ou morales, et permet de recevoir le consentement des membres d'un groupe. Ainsi, pour que le jugement prononcé par la cour ayant jugé Saddam Hussein soit considéré comme légitime encore faut-il que celle-ci le soit aux yeux des protagonistes du procès et plus largement de la Communauté Internationale. Certes, elle peut se justifier de 4 s’appuyer sur des textes de lois iraquiennes mais elle doit aussi être reconnue par les membres de la cour, les accusés, et les observateurs internationaux, qui par leur assentiment « valident » d’un point de vue moral et éthique le jugement. Or le nombre élevé d’irrégularités (notamment lors de la procédure), le flou juridique (le procès relève-t-il du droit international ou irakien ?) et même le but en soi du procès (se débarrasser le plus rapidement possible du dictateur) semblent en faire le contre-exemple d’une justice objective, impartiale et efficace qui devrait normalement être appliquée. La médiatisation du procès à grande échelle a renforcé cette sensation de justice bâclée car un plus grand nombre de personnes ont pu s’en rendre compte, que ce soit des spécialistes de la matière ou même des profanes. Ainsi on peut s’interroger sur l’impact que ce procès aura eu en mal, mais aussi en bien, sur le droit international et son développement. En effet si d’autres cas de procès impliquant le droit international, comme le tribunal pour le Rwanda ou l’ex-Yougoslavie, ont permis de donner ses lettres de noblesse à la discipline, le procès de Saddam Hussein semble illustrer les limites d’un droit et d’une justice « molle » car non-contraignante. Il apparaît donc pertinent de s’interroger sur le déroulement d’un événement qui aura marqué l’actualité international et le monde juridique, de chercher comprendre les défauts qui furent pointé du doigt par les juristes et de montrer en quoi ce procès s’éloigne des principes du droit international pour ensuite s’intéresser à la question de sa légitimité. I) Le tribunal, le procès, le verdict 5 Pour comprendre les tenants et aboutissant du procès et les influences qui ont pu jouer sur celui-ci il est nécessaire de s’intéresser à la création de la cour ayant jugé Saddam Hussein pour ensuite suivre le déroulement chronologique du procès et enfin commenter le verdict, la sentence et la polémique qu’elle a pu susciter. A) La création du Tribunal Spécial Iraquien a. l’occupation américaine en Irak… Après la campagne militaire l’administration du pays s’est retrouvée entre des mains américaines et notamment celle de Paul Bremer. Comme administrateur de l'Irak, sa mission consiste à diriger l'occupation américaine jusqu'à ce que le pays puisse à nouveau être dirigé par des Irakiens. Il a la possibilité de publier des décrets (orders) modifiant la société et l'infrastructure irakienne. Parmi les décrets célèbres, on peut citer ceux interdisant le parti Baas, supprimant toute restriction à la liberté d'association et celui établissant une cour pénale centralisée en Irak. Le 13 juillet 2003, Bremer approuve la création d'un Conseil de gouvernement intérimaire de manière à «garantir la représentation des intérêts du peuple irakien». Les membres du conseil sont nommés par lui et choisis parmi les formations politiques, les ethnies et les chefs religieux qui se sont opposés au gouvernement de Saddam Hussein. Bien que d'importants pouvoirs sont transférés à ce conseil, Bremer conserve un droit de veto sur leurs propositions. La cour fut mise en place durant le déroulement de l’occupation de l’Irak. Quelques jours seulement avant la capture de Saddam Hussein par les forces de la Coalition le 13 décembre, le Conseil de gouvernement irakien promulgua les statuts du Tribunal Spécial Irakien (TSI) le 10 décembre. Cette promulgation c’est faite avec l’autorisation du corps administratif crée par les forces de la Coalition en tant que forces occupantes, ainsi qu’en coopération avec l’autorité provisoire de la Coalition en Irak qui devait fournir son approbation. Les Etats-Unis ont par la suite été impliqués au travers du « Department of Defence’s Regime Crimes Liaison Office » qui a joué un rôle majeur dans l’installation du tribunal en formant les juges et les procureurs, en construisant les salles d’audience, en fournissant des ressources financières et du personnel pour les investigations. Les Etats-Unis dépensèrent près de 75 millions de dollars pour la mise en place du tribunal, somme qui a depuis atteint le chiffre de 128 millions de dollars (Eckart 2006). 6 b. …et la création contestée du TSI Le statut du Tribunal spécial irakien a été établi par l’autorité provisoire de la coalition en Irak (Coalition Provisional Authority (CPA)). L’institution de cet organe judiciaire a été confirmée par l’article 48 de la « loi administrative de transition » promulguée par le Conseil de gouvernement irakien le 1er mars 2004. Il résulte de ce rappel que le tribunal a été constitué en violation des règles du droit de la guerre qui régissent les pouvoirs de la puissance occupante. Rien en effet ne saurait fonder une mesure de cet ordre qui n’est pas en rapport avec les nécessités de l’occupation et correspond à l’exercice d’une compétence en matière pénale à l’égard de faits qui sont antérieurs à cette occupation. Au demeurant il n’y avait aucune urgence à prendre cette initiative, sauf la nécessité de présenter le plus tôt possible Saddam Hussein et ses coreligionnaires devant leurs juges. Toutefois cette obligation n’est pas absolue et les circonstances pouvaient justifier le report de cette question du jugement de Saddam Hussein. B) Le déroulement du procès a. la phase préliminaire L'ouverture de la phase préliminaire du procès a eu lieu à Bagdad au début du mois de juillet 2004. le Tribunal spécial irakien est chargé de juger Saddam Hussein pour génocide, crime contre l'humanité et crime de guerre, avec plusieurs autres membres importants du parti Baas. Le procès a une résonance médiatique considérable et de nombreux individus et organisations s’y sont intéressés. Mille cinq cents personnes dont vingt-deux avocats principaux venant d'Irak, Jordanie, Libye, France, et États-Unis d'Amérique se sont proposés pour assurer la défense de Saddam Hussein. Jacques Vergès et Roland Dumas sont quelques-uns de ses nombreux avocats. En raison d’un contexte politique très difficile le procès va être le théâtre de nombreux rebondissements. En effet, la violence à Bagdad et en Irak en général ont créé des conditions d’insécurité très pesantes sur le procès en lui-même. En outre, les doutes sur la légitimité du TSI et l’attitude du principal accusé ont créé un climat de tension. On peut ainsi rappeler quelques évènements qui illustrent les perturbations qui ont eut lieu durant le déroulement du procès : 7 Le 7 juillet 2005, Ziad al-Khasawneh, le principal avocat de Saddam Hussein, démissionne, suite aux pressions des avocats américains, voulant l'empêcher de prendre position pour la résistance irakienne et contre l'invasion armée. Le 8 août 2005, tous ses avocats sauf un Irakien, Khalil al-Doulaïmi, sont récusés par la famille Hussein qui les accuse de s'être autoproclamés défendeurs de Saddam Hussein sans avoir été mandatés. b. le procès Le 4 septembre, le porte-parole du gouvernement irakien annonce que l'ouverture du procès aura lieu le 19 octobre. Soit juste après le référendum sur le projet de Constitution, prévu le 15 octobre. Ce procès concernera dans un premier temps le massacre de 143 chiites du village de Doujaïl en 1982 ainsi que la destruction de propriétés et l'exil interne pendant quatre ans des habitants de cette ville. Plusieurs autres membres de l'ancien parti Baas seront également jugés : Taha Yassine Ramadan, ancien vice-président ; Barzan al-Tikriti, ancien chef des renseignements ; Awad Ahmed al-Bandar, adjoint du chef de cabinet de Saddam Hussein (tous les trois ont été exécuté par pendaison au cours de l’année 2007). D’autres membres du parti ont également été jugés mais pas exécutés. Le 19 octobre, Saddam Hussein défie le tribunal en ne reconnaissant pas son autorité et plaide non coupable pour le massacre de Doujaïl. Un autre élément vient perturber le TSI : Les témoins programmés au procès, ayant trop peur d'être des témoins publics, ne sont pas venus à Bagdad. Le premier procès de Saddam Hussein est alors ajourné pour permettre d'entendre ces derniers dans des conditions de sécurité satisfaisante. La prochaine audience était prévue le 28 novembre, mais elle a été encore une fois reportée au 5 décembre. Le 6 décembre, alors que le procès vient tout juste de reprendre Saddam Hussein continue de perturber son déroulement, tant par ses déclarations que par son attitude. Dans ce contexte très tendu le juge Rizgar Amin démissionne au cours du mois de Janvier, il est remplacé par Rauf Rashid Abd al-Rahman. Moins de deux mois plus tard, Saddam Hussein est appelé par l'accusation en tant que témoin. À la barre, il fait quelques déclarations politiques, en disant notamment qu'il se considère toujours comme Président de l'Irak et en appelle les Irakiens à cesser les violences entre eux et à combattre les troupes américaines. Le juge a alors coupé son microphone et la 8 suite de l'audience s'est déroulée à huis clos. Cet événement a eu un impact énorme sur la suite du procès et a renforcé le TSI dans sa volonté de terminer le procès le plus vite possible tant sa légitimité était contesté hors et à l’intérieur du procès. Ainsi, le 15 mai, le Raïs est formellement accusé de crimes contre l'humanité, mais il riposte et refuse de plaider en déclarant qu'« il n'y avait aucune possibilité de juger le Président de l'Irak ». Peu de temps auparavant, le porte-parole du gouvernement avait déclaré que si Saddam Hussein était condamné à la peine de mort, la sentence pourrait être exécutée sans attendre son jugement pour d'autres actes d'accusations. Cette déclaration montre combien l’objectif était plus de se débarrasser définitivement du dictateur que de faire une réelle mise à plat des crimes commis par le régime. Saddam Hussein n’a en effet été jugé que pour un massacre dans un village chiite alors que de nombreux autres crimes, au moins aussi graves, auraient pu être imputés au dictateur. Cependant le 19 juin, Jaafar al-Moussaoui, le procureur général du tribunal pénal irakien requiert la peine de mort contre Saddam Hussein, ainsi que contre son demi-frère Barzan al-Tikriti, et contre l'ancien vice-président Taha Yassine Ramadan. C) La sentence a. l’exécution Le 5 novembre, Saddam Hussein est condamné à mort par pendaison pour crime contre l'humanité. D'après les statuts du tribunal, il y a automatiquement appel pour ce type de condamnation. Le procès en appel devrait durer trente jours. Le 26 décembre, la cour d'appel irakienne confirme la condamnation à mort de l'ancien président irakien Saddam Hussein. Il devrait être exécuté par pendaison dans les trente jours à venir. L’article 27 du statut du TSI stipule que les sentences doivent être basées sur celles en vigueur dans la loi irakienne. Ainsi la peine maximale est, selon le droit irakien, la peine de mort par pendaison. Dans leur jugement, les membres du tribunal n’hésitent pas à prendre cette décision. Le 30 décembre 2006, l'ancien président irakien est finalement exécuté à Bagdad à 06 h 05, heure locale. Livré par les Américains aux autorités irakiennes, ce sont des Irakiens qui exécutent la sentence. Saddam Hussein est mené au gibet les bras et les pieds entravés mais conserve son calme. Il demande même à avoir la tête découverte, ce qui est accepté. 9 La pendaison en elle-même pose de nombreux problèmes, son déroulement reflète à lui tout seul les défauts de légitimité, d’organisation et le contexte houleux du procès. Ainsi, quelques secondes avant son exécution, certains des chiites officiels présents sur le lieu de l'exécution scandent : « Moqtada, Moqtada », par référence à Moqtada al-Sadr, le chef de l'Armée du Mahdi, dont le père a été exécuté sur l'ordre de Saddam Hussein. Les personnes ayant crié le nom de "Moqtada" étaient ses miliciens et auraient payé "un prix d'or" pour assister à l'exécution. En outre la scène de l'exécution a été filmée et diffusée illégalement sur internet. Dans cette vidéo ont peut voir la pendaison brutale et pour le moins improvisée de Saddam Hussein qui clôture son procès de manière désastreuse pour l’image du TSI et des américains b. la polémique Sa pendaison met fin à toutes les actions dont celui-ci devait répondre, dont sept autres procédures. Un autre procès aurait donc pu être ouvert à l'issue duquel le dictateur aurait sûrement dépassé les 70 ans (âge à partir duquel on ne peut plus exécuter un condamné en Irak). Cette donnée explique également l’empressement des irakiens et des américains à exécuter le dictateur le plus vite possible, sa sécurité était très coûteuse et difficile à assurer. Sa mort fait de lui un martyr pour certains, mais il ne sera plus un prisonnier de l’envahisseur américain ce qui commençait à devenir inconfortable pour la Maison-Blanche. Cette exécution déclenche une polémique aussitôt après. De nombreux observateurs dénoncent une « mascarade », une « parodie de justice ». Pour de nombreux observateurs et hommes politiques du Moyen-Orient le choix d'exécuter Saddam Hussein le jour de l'Aïd elAdha est désastreux. Tuer Saddam en un jour de paix et de pardon pour les sunnites, qui plus est une fête au cours de laquelle on sacrifie un animal, serait selon eux une provocation délibérée de la part de ceux qui détiennent désormais le pouvoir à Bagdad (en particulier les chiites). Pour de nombreux analystes, l'exécution serait plus un acte de guerre civile que de justice, ou tout du moins un acte de vengeance communautaire. Le 31 décembre, Saddam Hussein est enterré à 4 h 00 dans un bâtiment construit au cours de sa présidence et destiné à honorer les morts, à quelques kilomètres au sud de Tikrit. II) La légitimité du procès 1 Pour que le procès soit légitime, il doit s’appuyer sur des bases juridiques et morales et être soutenu par la communauté internationale et les irakiens. Il doit aussi satisfaire certains objectifs comme accroître la confiance de la population envers le système juridique en Irak et rendre justice aux victimes du régime de Saddam Hussein. En outre, il doit montrer les conséquences pour un dictateur qui n’obéit pas au droit international. Dans la justice internationale, il est important de garantir un procès juste, et ceci même (et peut-être surtout) à un dictateur. Est-ce que le procès était équitable ? On doit donc examiner si l’installation du tribunal et les lois appliquées étaient compatibles avec le droit international. A) Conformité avec le droit pénal international a. le droit positif Un des vices de forme du statut du tribunal concerne la rétroactivité des crimes commis. L’article 15 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP), qui fut adopté par l’Assemblée générale de l’ONU en 1966, stipule que : « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. » L’article 12 du statut du TSI interdit presque tous les crimes contre l’humanité qui sont inclus dans l’article 7 du statut de Rome. Cependant, l’article 13 interdit tous les crimes de guerre mentionnés dans l’article 18 du statut de Rome. Le problème est que certains crimes interdits par les articles 12 et 13 du TSI n’étaient pénalisés ni par le droit international ni par le droit domestique de l’Irak jusqu’au début des années 90. Comme il n’y a pas de lien entre les crimes contre l’humanité et le conflit armé, le tribunal ne peut poursuivre de tels crimes même s’ils étaient commis pendant une période de paix. Selon la coutume du droit pénal international, les crimes en temps de paix n’étaient pas pénalisés jusqu’à la décision Tadic du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en 1995. Un problème similaire se pose pour les crimes de guerre et les génocides (Heller, 2007). b. le droit procédural 1 La légitimité du procès était aussi compromise par des nombreux problèmes de type procédural. L’article 14 du PIDCP pose des nombreuses obligations minimales de base pour un procès équitable comme la présomption d’innocence, le droit de l’accusé à être informé des charges contre lui et le droit de recevoir un procès sans délai. Même si ces derniers principes étaient appliqués, il y a eu des violations de la coutume dans les différentes étapes du procès : avant le procès, pendant le procès et dans le jugement (Heller, 2007). Premièrement, un problème est apparut avant le procès dans la définition des pouvoirs du juge. Dans le droit procédural du TSI, le Juge Investigateur est responsable de toutes les décisions critiques avant le procès. Spécifiquement, il peut initier des investigations, il peut interroger les accusés et décider qui doit être arrêté. De tels pouvoirs du juge ne sont pas en accord avec l’article 14 du PIDCP qui stipule qu’un tribunal doit être impartial. Les conclusions du juge risque donc d’être arrêtées subjectivement. Son opinion personnelle et ses griefs envers l’ancien dictateur peuvent donc influencer son investigation. En plus, l’article 14(3)(b) du PIDCP, signé par l’Irak en 1971, précise que « toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine légalité, au moins aux garanties suivantes…b) à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix. » L’article 19 du TSI reprend l’article du PIDCP presque littéralement. Il y a pourtant quelques défauts dans les règles de procédures qui pénalisent le droit de la défense à se préparer. Entre outre, la règle 40 du TSI énonce que le procureur n’est obligé de laisser voir des témoignages que 45 jours avant le procès. Dans le cas de Dujail, il y avait 36 témoins du côté de la défense et durant le procès de l’Anfal ce nombre est même largement surpassé. D’après l’Human Rights Watch, le temps accordé aux avocats pour se préparer n’était pas assez long. Deuxièmement, pendant le procès, il y a eu de nombreux problèmes de légitimité, notamment avec les droits de la défense. L’article 14(3)(d) du PIDCP prévoit que le défendant a le droit « […] chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer. » D’après la Court Européenne des Droits de l’Homme, cet article impose une obligation positive à un gouvernement de permettre à la défense de se doter d’un avocat effectif qui a assez d’expérience pour traiter l’inculpation. Plus les charges sont lourdes, plus l’avocat doit être expérimenté. Cependant, au cours de ce procès, la majeure partie des avocats de la défense n’avaient aucune expérience internationale. En conséquence, ils étaient 1 passifs et n’ont pas posé des questions aux témoins (Heller, 2007). L’influence et la pression politique sur les avocats constitue un autre problème : beaucoup d’avocats étaient membres du parti Baas ou ont été influencés par des discours du parti contre Saddam Hussein. En outre, les avocats de la défense doivent êtres suffisamment protégés par les autorités d’après les « U.N. Basic Principles on the Role of Lawyers » (Heller, 2007). Pourtant, trois avocats de la défense furent assassinés durant le procès de Dujail (Eckart, 2006). Troisièmement, en ce qui concerne le verdict, une critique fut émise. Le tribunal ne requiert pas que la culpabilité soit prouvée « hors doute raisonnable », comme cela est normalement prescrit dans les pays de droit commun, et comme il est prescrit par le TPIY et le TPIR. D’après le TSI, il suffit de trouver un verdict qui soit fondé dans la mesure où il est satisfait par les preuves présentées. De plus, le statut du tribunal lui permet de traiter de sentences pour les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les génocides qui ne font pas partie du droit irakien ; il se réfère également aux crimes de meurtre et de viol qui sont interdits par le droit irakien. Le juge peut décider lui-même quelle peine va être appliquée. Ce dernier est seulement lié aux précédents judiciaires et aux sentences internationales. Par cela, le principe de nullum poena sine lege, qui prescrit que les lois doivent être établies par le droit, est violé (Heller, 2007 ; Eckart, 2006). De la même façon, on peut critiquer le fait que la peine de mort soit légitime dans les statuts du TSI. Dans le cadre de la rétroactivité mentionnée précédemment, les crimes éligibles pour la peine de mort doivent avoir été punissables par la peine de mort « en accord avec la loi en vigueur au moment où ils ont été perpétrés » (Article 6 du PIDCP). Le fait que le droit pénal irakien n’ai pas pénalisé les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides avant la création du TSI (et ne les a d’autant moins pénalisé par la peine de mort) pose problème (Heller, 2007). De même le fait que l’Irak fasse partie de la Convention des Droits de l’Homme qui interdit strictement la peine de mort, souligne l’illégitimité de celle-ci dans ce procès (Eckart, 2006). c. l’indépendance des juges Pour que le procès soit légitime et compatible avec le droit pénal international, il est aussi nécessaire de garantir l’impartialité et l’indépendance des juges. Dans le procès de Saddam Hussein, il y a différentes raisons pour douter de ces derniers principes. Tout d’abord, l’article 4 du PIDCP donne au Conseil Présidentiel le pouvoir de licencier 1 les juges pour n’importe quel motif. L’exécutif possède donc un moyen de pression ultime sur les juges, ce qui ne permet en aucun cas l’indépendance complète de ces derniers. L’article 29 est également problématique : de facto, il donne l’autorité au TSI de réviser les décisions des autres cours irakiennes (Heller, 2007). De plus, l’article 33 disqualifie tous les juges qui étaient membres du parti Baas. Cela limite l’indépendance des juges d’un point de vue légal. Ces juges qui étaient membres du parti Baas seulement sur le papier n’ont aucune chance de garder leurs postes ; un fait qui peut aussi limiter l’efficacité du tribunal (Heller, 2007). Comme le TSI est un tribunal national, il va de fait que des juges nationaux soient employés. Ils n’ont donc pas forcément l’expérience internationale qui aurait été nécessaire pour que le procès se déroule d’une manière satisfaisante pour tous. Enfin, l’impartialité des juges est diminuée par les conséquences personnelles des crimes du régime baassiste sur chacun. Par exemple, un des juges est Kurde et vient d’une ville qui fut bombardée pendant la campagne d’Anfal (Eckart, 2006). B) La légitimité du TSI a. l’influence des Etats-Unis Comme nous l’avons vu dans la première partie, les Etats-Unis ont eu une influence assez importante dans la mise en place du tribunal. L’empreinte des Etats-Unis est problématique parce qu’ils prévoient une justice des vainqueurs : Saddam a été déclaré coupable par les irakiens et les Etats-Unis avant même le procès. On peut tout de même noter que le gouvernement provisoire irakien a été établi sous la supervision internationale et que l’ONU a reconnu expressément la légitimité de ce gouvernement par la résolution 1546 adoptée par le Conseil de sécurité en juin 2004, ce qui « peut être considéré comme une reconnaissance implicite et rétroactive de la légitimité des procédures entamées par les autorités irakiennes sous le gouvernement provisoire » (Moutarda Sabbah, 2005). De plus, le statut a été amendé en aval et approuvé par l’Assemblée Provisoire de l’Irak. La cour est aussi mentionnée expressément et autorisée par la constitution de l’Irak (Eckart, 2006). Néanmoins, l’influence des Etats-Unis sur le gouvernement irakien est incontestable et rend le procès douteux. b. La solution possible des tribunaux ad hoc et des tribunaux hybrides 1 Au sein du débat autour du procès, la question est souvent posée si un tribunal ad hoc, comme ce fut le cas en ex-Yougoslavie et au Rwanda, aurait été possible et plus légitime. Les tribunaux ad hoc sont établis par le Conseil de Sécurité des Nation Unies afin de juger les responsables de violations graves du droit international humanitaire sur le territoire du pays concerné, conformément à ses statuts. Les tribunaux hybrides mettent en oeuvre à la fois le droit pénal international et celui du pays concerné, ils emploient des experts nationaux et internationaux. Les juges appliquent la loi nationale qui est modifiée afin d’être en conformité avec les normes internationales (Brockman-Hawe, 2007). Chacune des deux formes de tribunal aurait été plus légitime aux yeux de la communauté internationale grâce à la participation de l’ONU. Un tel tribunal serait pourtant impensable étant donné que la majorité des irakiens étaient pour la peine de mort pour Saddam Hussein ; une peine qui n’aurait pu être possible dans le cadre de l’ONU (Eckart, 2006 ; Brockman Hawe, 2007). De plus, avec un tribunal hybride ou ad hoc, on aurait pu l’implanter dans un autre endroit que Bagdad, où la situation aurait été moins instable. On aurait pu ainsi atténuer l’influence politique du parti Baas. Néanmoins, on peut s’interroger sur l’existence d’un lieu vraiment sûr aujourd’hui. Le délai de temps qui aurait été engendré par une telle mesure ne doit pas non plus être oublié (Eckart, 2006). Au final, l’établissement d’un tribunal ad hoc par le Conseil de Sécurité grâce au Chapitre VII aurait été un progrès pour le droit pénal international. Les Etats-Unis, qui étaient strictement opposés à un tribunal sous l’égide de l’ONU, ont boycotté un tel processus. C) La perception du procès a. par les irakiens Pour que le procès soit légitime, il ne suffit pas seulement de montrer qu’il était légal, c'est-à-dire d’examiner la conformité du statut du tribunal avec le droit pénal international et les conditions sous lesquelles il a été établi, il faut aussi observer la perception du procès. En fait, la procédure ne garantit pas aux victimes le droit à la participation, à une protection et aux réparations. En plus, comme Saddam Hussein a été condamné à la pendaison avant que tous ses crimes soient jugés par le tribunal, justice n’a pas pu être rendu à toutes les victimes. Le procès de la campagne de l’Anfal s’est terminé après que le malfaiteur fut exécuté, ce qui 1 ne lui a pas permis de se défendre et aurait pu engendrer un manque de documentation des crimes commis autre que ceux de Dujail (Brockman-Hawe, 2007). En conséquence, même si les irakiens ont préféré un tribunal national qui a permit la peine de mort, le progrès attendu n’a pas été en leurs faveurs. b. par la communauté internationale La perception de la communauté internationale doit être prise en considération au vu de l’importance du procès pour le droit pénal international. À cause de la nature nationale du tribunal, de l’influence des Etats-Unis, des vices de formes concernant le droit positif et procédural et notamment le choix de la peine, le procès reste fortement illégitime aux yeux de la communauté internationale. D’après les média, qui ont une large influence sur la perception du procès, la majorité des gens semblent sceptiques quant à la légitimité de celui-ci (Eckart, 2006). En conclusion, un procès qui ne s’appuie pas sur des bases juridiques et morales établies, comme c’est le cas ici, ne peut pas être légitime. Conclusion Le procès de Saddam Hussein est donc entaché d’irrégularités quant à son application et son déroulement. Des vices de formes du droit positif et procédural font douter de l’impact positif d’un tel procès quant à la création d’un nouvel Etat de droit en Irak. Bien que le tribunal actuel puisse être considéré comme légitime de part sa reconnaissance par la population irakienne et le fait qu’il exerce sa juridiction sur l’exdictateur il ne semble pas apte à assurer un procès équitable. Un tribunal international ou un tribunal avec une implication internationale majeure aurait sans doute permis une justice impartiale et objective et sans doute plus efficace. Le paradoxe d’un tel procès réside dans l’idée croissante qu’une telle parodie de justice va convaincre la majorité des acteurs de la nécessité d’une véritable cour criminelle internationale indépendante et forte. Ainsi l’influence du procès de Saddam Hussein aura peut-être finalement eu un impact positif sur le développement de la justice internationale non pas à court mais à long terme. 1 Bibliographie: Brockman-Hawe, B. E. (2007). The Iraqi High Court; A Retrospective and Prospective View. TBD, http://works.bepress.com/cgi/viewcontent.cgi?article=1000&context=benbh Eckart, C. (2006). Saddam Hussein’s trial in Iraq: Fairness, Legitimacy & Alternatives, A Legal Analysis. Cornell Law School. The Berkeley Electronic Press (bepress), http://lsr.nellco.org/cornell/lps/papers/13 Heller, K. J. (2007). A poisoned chalice: the substantive and procedural defects of the Iraqi High Tribunal, Case Western Reserve Journal of International Law, 39, http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=939909 Moutarda Sabbah, N. (2005). Quelle justice pour Saddam Hussein? http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/13_197-217.pdf Wikipedia : http://fr.wikipedia.org 1