CARRIÈRES ADMINISTRATIVES - Université Toulouse 1 Capitole

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CARRIÈRES ADMINISTRATIVES - Université Toulouse 1 Capitole
INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES DE TOULOUSE
Année 2007. 2008.
« CARRIÈRES ADMINISTRATIVES »
SÉMINAIRE SPÉCIFIQUE APPROFONDI
DROIT PUBLIC.
Semestre 1 (10 heures)
(Valérie Larrosa, MCF Droit public)
THÈME 3
LA RESPONSABILITE DE L’ADMINISTRATION.
Il ne s’agira pas ici seulement de traiter la responsabilité administrative qui n’est
que l’un des régimes susceptibles de s’appliquer aux agents de l’administration,
même s’il s’agit d’un régime privilégié. Il s’agit bien de traiter l’ensemble des
régimes de responsabilité applicables à l’administration, ce qui suppose que l’on
inclut alors le régime civil, le régime pénal et le régime disciplinaires. Cette
analyse est confirmée par un autre thème du programme de droit public du
concours ENA : « Le juge civil et le juge pénal, juges de l’administration ».
De plus, pour délimiter exactement l’étendue de ce thème, il faut réfléchir sur la
notion d’administration.
Dans une approche organique, l’administration est d’abord une entité collective,
en l’occurrence un auxiliaire du pouvoir exécutif quand il s’agit de l’administration
d’Etat ou des autorités décentralisées quand il s’agit de l’administration des
collectivités locales. Dans le sujet « La responsabilité de l’administration », il
faut donc envisager aussi bien la responsabilité de l’Etat que celle des
collectivités locales qui sont elles aussi des personnes morales de droit public
relevant depuis l’arrêt Feutry 1 du contentieux administratif. D’un point de vue
organique, toutes les personnes morales de droit public relèvent de
l’administration. Les établissements publics nationaux ou locaux sont donc
également concernés (exemple : responsabilité des EPLE en ce qui concerne le
service public de l’Education nationale ; responsabilité des hôpitaux, en ce qui
concerne le service public de la santé).
Mais la notion d’administration a également un sens matériel : l’administration
concerne l’ensemble des activités administratives et plus particulièrement des
1
- C.E. 29 février 1908, Feutry : le département est reconnu responsable du fait d’un « asile
d’aliéné » dont il est gestionnaire et l’action en responsabilité dirigée contre le département
relève alors du contentieux administratif.
activités de service public. Tous les services publics sont donc susceptibles
d’entrer dans le champ du sujet, même les services publics à gestion privés,
c’est-à-dire les services publics industriels et commerciaux et même les services
publics gérés par des personnes privées puisque, depuis l’arrêt Caisse primaire
« Aide et protection »2, les personnes morales de droit privées peuvent être
considérées comme gestionnaires de mission de service public. Si l’on analyse,
même rapidement, la notion d’administration, on voit que ne sauraient être exclus
du sujet ni la responsabilité civile dont peuvent relever certains agents ou
services de l’administration (contentieux de SPIC), ni la responsabilité pénale qui
peut s’ajouter au régime administratif quand à la faute de service se superpose
une infraction pénale.
Enfin, il ne faudrait pas oublier que les agents publics et les fonctionnaires sont
aussi susceptibles de répondre devant leur supérieur hiérarchique des fautes
disciplinaires qu’ils pourraient commettre dans l’exercice de leur fonction.
La formulation de l’intitulé oblige par conséquent à connaître l’ensemble des
régimes de responsabilité.
Au demeurant, il est également conseillé de connaître les bases de la
responsabilité civile. On peut alors comparer les solutions judiciaires et
administratives applicables dans des registres de responsabilité poursuivant la
même finalité (réparation du préjudice) et avoir ainsi une réflexion
comparatiste, toujours appréciable dans les exercices proposés par le concours.
I
–
LA
RESPONSABILITÉ
ADMINISTRATIF).
ADMINISTRATIVE
(LE
RÉGIME
La responsabilité administrative est un régime dérogatoire du droit commun,
c’est-à-dire un régime qui se pose en se distinguant du droit commun qui est le
régime de droit civil. La responsabilité administrative a une histoire. Nous allons
d’avoir comment ce régime est apparu, quelle construction juridique lui a donné
naissance.
A – L’ÉMERGENCE DE LA RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE.
La responsabilité administrative est, avant toute chose, la responsabilité de
l’Etat, c’est-à-dire de la Puissance publique. Ce régime permet à un administré
victime d’un préjudice occasionné par l’administration et ses agents d’obtenir
2
- C.E. Ass. 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et Protection », Rec. 417 ; GAJA p. 332 et
seq. : à propos de la nature juridique des caisses chargées de la gestion des assurances
sociales, le Conseil d’Etat considère qu’il s’agit d’un établissement privé chargé de
l’exécution d’un service public. Des personnes privées peuvent ainsi participées à des
activités d’intérêt général et être, de ce fait, partiellement soumises à la gestion publique.
réparation du préjudice causé. Or, la possibilité même d’engager la responsabilité
des services de l’Etat devant les tribunaux et d’obtenir réparation des dommages
causés aux administrés est relativement récente : elle date seulement de la fin
du XIXe siècle. Avant cette époque en effet, l’Etat était irresponsable.
1 – L’irresponsabilité de l’Etat.
L’irresponsabilité juridique de l’Etat trouvait ses fondements politiques dans la
théorie de la souveraineté. Pour comprendre cette situation qui nous apparaît
aujourd’hui comme un déni de justice, il faut connaître la doctrine juridique et
politique de l’époque. Un texte d’Edouard Laferrière en offre une excellente
illustration. Ce texte est un extrait de l’ouvrage majeur de Laferrière, son
« traité de la juridiction administrative », qui date de 1896. Laferrière y retrace
le raisonnement juridique qui justifie l’irresponsabilité de l’Etat. Si l’Etat est
irresponsable, c’est parce qu’il est souverain. Il s’agit d’une pétition de principe,
d’un postulat politique : la puissance souveraine ne répare pas les dommages
qu’elle cause.
En fait, Laferrière distingue les actes d’autorité pour lesquels l’irresponsabilité
de l’Etat est totale, des actes de gestion pouvant donner lieu à une
responsabilité limitée. Cette distinction est ancienne et fut, chronologiquement,
le premier critère de compétence du juge administratif.
Acte d’autorité, puissance publique et souveraineté sont des notions étroitement
liées. Les notions de puissance publique et d’actes d’autorité ne sont rien d’autre
que la traduction juridique de la théorie politique de la souveraineté. La
souveraineté politique de l’Etat est la source des prérogatives de puissance
publique, prérogatives exorbitantes du droit commun que le droit public confère
à l’Etat et à ses agents. Je ne vais pas ici vous faire l’historique de la théorie de
la souveraineté, de sa construction progressive par les légistes royaux, de la
contribution de certains auteurs majeurs tel Bodin. De nombreux ouvrages
d’histoires des idées politiques ou de manuels de droit constitutionnel présentent
cette théorie, ses origines et son contenu. Pour une présentation juridique de la
théorie de la souveraineté, je vous renvoie simplement à l’un des ouvrages de
référence en la matière, en l’occurrence l’ouvrage d’O. Beaud, « La puissance de
l’Etat » dans lequel Beaud présente les contributions de Bodin et celle de Carré
de Malberg à la théorie de la souveraineté.
Nous nous attacherons simplement à indiquer sommairement les conséquences
juridiques de la théorie de la souveraineté de l’Etat. En premier lieu, l’Etat
exerce un pouvoir, il est dépositaire d’une certaine autorité, il dispose pour ce
faire des prérogatives de puissance publique et peut faire des « actes
d’autorité ». Il s’agit de pouvoirs exorbitants, de prérogatives dont ne disposent
pas les particuliers, d’instruments d’action qui peuvent utiliser la contrainte à
l’égard des administrés. On ne citera que quelques exemples, choisi parmi les plus
éloquents ou les plus spectaculaires : la faculté de priver un particulier de son
droit de propriété (expropriation), la faculté de prendre des décisions qui
s’imposent aux administrés (décision unilatérale) sont deux exemples des
prérogatives que confère la puissance souveraine. L’Etat est pleinement lui-même
quand il fait usage de ces prérogatives, quand il fait « acte d’autorité ». Il peut
aussi se comporter comme un simple particulier, agir comme pourrait le faire des
personnes privées. C’est le cas lorsqu’il fait des « actes de gestion ». Dans ce
cas, l’irresponsabilité de l’Etat qui ne vise qu’à protéger sa souveraineté n’a plus
lieu d’être. Dès lors, les actes de gestion de l’Etat, comme les actes des
particuliers, pouvaient donner lieu à l’engagement de la responsabilité de l’Etat
qui n’agit plus comme puissance souveraine.
Une telle solution ne va cependant pas perdurer. Les exemples d’irresponsabilité
de l’Etat cités par Laferrière, dans le texte, sont d’ailleurs édifiants et
illustrent l’évolution du droit en la matière. Ces exemples apparaissent en effet à
nos yeux comme autant de déni de justice, d’inéquité grave et intolérable
(exemple des mesures de police qui donnent aujourd’hui lieu à responsabilité pour
faute ou pour risque et même pou rupture de l’égalité devant les charges
publiques ; exemples des actes législatifs et de la responsabilité du fait des lois ;
exemple des faits de guerre dont on sait qu’il peuvent donner lieu non seulement
à de la responsabilité administrative mais aussi à de la responsabilité pénale ;
voir la création du TPI).
La sensibilité contemporaine supporte mal l’irresponsabilité de l’Etat, des
dirigeants, des « responsables » politiques. En à peu près un siècle, on va donc
progressivement passer d’un régime d’irresponsabilité de principe à un régime de
responsabilité quasi-générale de l’Etat.
L’idée d’une souveraineté politiquement puissante et juridiquement irresponsable
va donc être battue en brèche. Cette évolution juridique est rendu possible par
une transformation de l’Etat : l’Etat de puissance devient progressivement l’Etat
providence, un Etat au service des citoyens. En droit, la théorie du service public
succède ainsi à la théorie de la puissance publique. C’est précisément de cette
nouvelle approche de l’Etat et de l’intervention publique que va naître un
véritable droit de la responsabilité administrative.
2 – La responsabilité du fait des services publics.
En fait, à l’époque où Laferrière publie le texte précité, cette évolution est déjà
en marche. La première étape dans la construction de la responsabilité
administrative, est en effet un célèbre arrêt rendu en 1873 par le tribunal des
conflits. L’Etat va être déclaré responsable du fait de ses services publics. Cette
solution jurisprudentielle sera par la suite étendue aux services publics gérés
par les collectivités locales.
a) L’arrêt Blanco ou la responsabilité du fait des services publics de l’Etat :
T.C. 8 février 1873, Blanco, concl. David.
A l’origine de ce célèbre arrêt du droit administratif, il a la triste histoire de la
petite Agnès Blanco. Cette malheureuse enfant jouait imprudemment sur les rails
de la manufacture des tabacs de Bordeaux quand elle fut renversée par l’un
d’eux. Son père intente alors une action en responsabilité contre l’Etat devant
les juridictions judiciaires sur le fondement du code civil et des articles 1382,
1383 et 1384. Le préfet de Gironde, contestant la compétence judiciaire, élève
le conflit (saisine du tribunal des conflits).
Cette requête présentée par le père de la jeune victime soulève des problèmes
juridiques complexes. Elle pose en effet deux problèmes distincts :
- Peut-on engager la responsabilité de l’Etat devant le juge judiciaire ?
- L’Etat doit-il réparer les dommages causés par ses services publics ?
Si l’on sent tient à l’état du droit au moment où le sieur Blanco forme sa requête,
ces deux questions appellent une réponse négative. En effet, en vertu d’un
principe formulé à la Révolution, le juge judiciaire ne peut juger l’administration
et ses agents. De plus, et comme nous l’avons vu, en vertu de la théorie de la
souveraineté et de la puissance publique, l’Etat est civilement irresponsable ; il
n’a pas à réparer les dommages causés aux administrés. Pourtant, dans l’arrêt
Blanco, le tribunal des conflits va admettre la responsabilité de l’Etat en son
principe et confier aux juridictions administratives, le soin de juger au fond et
en l’espèce. Il nous faut revenir sur ces deux propositions.
• Le juge judiciaire ne peut juger l’administration et ses agents.
Il s’agit d’un choix politique qui remonte à la Révolution. Cette option politique
trouve s formulation juridique dans le principe de séparation des autorités
administratives et judiciaires. Le principe a été formulé par la loi des 16 et 24
août 1790 dans les termes suivants : « les fonctions judiciaires sont distinctes
et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne
pourront à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les
opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour
raison de leurs fonctions ». Cette interdiction a été réitérée par le décret de
fructidor an III : « défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître
des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit ».
Ce choix exprime une spécificité française. Dans certains systèmes juridiques,
notamment dans les pays de common Law, l’administration et ses agents relèvent
des mêmes juridictions que les particuliers. Il n’existe pas de privilège de
juridiction, c’est-à-dire de juridiction réservée à l’administration et appliquant
un droit dérogatoire par rapport au droit commun.
Le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires découle
d’une « conception française de la séparation des pouvoirs » selon le Conseil
constitutionnel dans sa décision du 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence. Le
juge constitutionnel a d’ailleurs refusé de reconnaître une valeur
constitutionnelle à ce principe. La conséquence juridique est que le législateur
peut, dans un souci de « bonne administration de la justice », réaménager la
répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire. En
l’espèce, le Conseil constitutionnel a ainsi validé un transfert de compétence du
juge administratif vers le juge judiciaire concernant le contentieux des décisions
du Conseil de la concurrence. Le Conseil a cependant garanti l’existence de la
juridiction administrative en consacrant une partie de la compétence du juge
administratif sous la forme d’un principe fondamental reconnu par les lois de la
République.
Dans l’affaire Blanco et compte tenu de ce principe, la première tenait au fait
que le requérant avait recherché la responsabilité de l’Etat devant le juge civil.
Le tribunal des conflits ne pouvait donc que constater l’incompétence du juge
judiciaire. L’innovation de cet arrêt de principe vient de ce que le juge des
conflits retient la compétence du juge administratif.
• L’Etat doit réparer les dommages causés du fait de ses services publics.
En l’espèce, la manufacture des tabacs est un service public de l’Etat. Il s’agit
même plus précisément d’un service public industriel et commercial. L’agent
auteur du dommage agissait dans le cadre de sa fonction. Le dommage causé dans
ce contexte et du fait de ce service public industriel et commercial, doit être
réparé. Tel est le nouveau principe posé par l’arrêt Blanco qui rompt avec le
principe antérieur d’irresponsabilité de la puissance publique. L’imputation de la
responsabilité de l’Etat est donc fondée sur la notion de service public. C’est
pourquoi l’école de Bordeaux va se saisir de cet arrêt et de sa solution (ici,
quelques mots d’explication à propos des écoles et de la doctrine).
Cette école dont le chef de file est Duguit, construit une théorie générale du
droit et de l’Etat moderne sur la notion de service public. Cette doctrine
juridique-politique est tout à fait conforme au phénomène de l’Etat providence.
Duguit, doyen de la faculté de droit de Bordeaux au début du XXème siècle,
condamne la théorie classique de la souveraineté. A ses yeux, cette théorie peut
faire l’objet d’une double critique : une critique scientifique et une critique
politique.
D’un point de vue scientifique, il juge ‘ ’ métaphysique » la conception qui
personnalise l’Etat et lui confère les attributs de la puissance. Duguit défend une
approche sociologique : l’Etat est un fait social, et non personne morale dotée de
volonté. Derrière la figure de l’Etat, il y a des hommes et le phénomène du
pouvoir. C’est pourquoi Duguit préfère parler des « gouvernants » plutôt que de
l’Etat (lien entre Duguit et l’école sociologique française, lien avec Durkheim).
D’un point de vue politique, Duguit considère que la théorie de la souveraineté est
inapte à fonder une limitation des pouvoirs de l’Etat. Elle construit et légitime,
au contraire un Etat puissant, la domination de l’Etat sur les individus. Contre le
modèle de l’Etat puissance, Duguit propose donc le modèle de l’Etat de service,
un Etat au service de la population donc la fonction essentielle (et donc la source
de légitimité) est le développement de l’interdépendance sociale (idée de
solidarité ; lien entre la théorie duguiste et les doctrines solidaristes ; cf.
Donzelot, l’invention du social).
Au sein de l’école du service public, que l’on oppose classiquement à l’école
institutionnelle de la puissance (Duguit contre Hauriou, c’est-à-dire Bordeaux
contre Toulouse), Duguit est donc le théoricien de l’Etat (traité de droit
constitutionnel). Duguit se sert de la notion de service public pour redéfinir
l’Etat. Les autres membres de l’école du service public s’intéressent plutôt à
l’administration, au droit administratif. Jèze et Rolland essaient de placer la
notion de service public au cœur du droit administratif. Ils veulent en faire à la
fois l’élément de définition de l’administration (la mission principale de
l’administration est le service public) et le critère principal de l’application du
droit administratif (l’administration a besoin d’un droit dérogatoire du droit
commun parce qu’elle remplit des missions de service public distinctes, dans leurs
finalités comme dans leurs modalités, des activités privées).
Pour toutes ces raisons, l’école du service public se saisit de l’arrêt Blanco, le
redécouvre, en fait « la pierre angulaire du droit administratif ».
Si, dans l’arrêt Blanco, le service public fonde la responsabilité de l’Etat (l’Etat
doit réparer le préjudice de la petite Agnès parce qu’à l’origine de ce préjudice il
y a une activité de service public), le régime applicable à cette responsabilité
n’est pas celui du code civil. Le tribunal des conflits donne tort sur ce point au
requérant qui invoquait les articles 1382, 1383 et 1384 du code civil. En
affirmant que la responsabilité de l’Etat du fait de ses agents « ne peut être
régie par les principes qui sont établis dans le code civil pour les rapports de
particulier à particulier, qu’elle a ses règles spéciales qui varient selon les
besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits
privés, le Tribunal des conflits affirme l’autonomie du droit administratif et plus
particulièrement, l’autonomie du droit administratif de la responsabilité.
• L’autonomie du droit administratif.
Cette autonomie du droit administratif signifie deux choses. :
- les règles de fond applicables à l’administration sont matériellement
distinctes des règles applicables aux particuliers (droit commun). Cette
-
« spécialité » du droit administratif se justifie par les exigences, les
nécessités propres de l’action administrative.
L’administration bénéficie d’un privilège de juridiction. On rencontre ici le
principe selon lequel « la compétence suit le fond ». C’est un juge spécial
qui applique un droit spécial, le droit administratif.
Ainsi naît le régime de responsabilité administrative qui est d’abord créé pour
l’Etat et ses agents. La particularité de ce régime est d’être une création de la
jurisprudence. C’est le juge qui pose le principe de cette responsabilité, c’est lui
qui va créer les notions clés de ce régime (notion de faute de service
notamment). Il a là une première et notable différence entre le régime de
responsabilité administrative et le régime de responsabilité civile. La
responsabilité civile est, en effet, principalement une responsabilité légale dont
les principes et notions essentielles résultent du code civil.
La jurisprudence ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Quelques années après
l’arrêt Blanco, une solution tout à fait comparable va être appliquer aux
collectivités locales et à leurs services publics. Cette solution résulte de l’arrêt
Feutry.
b) L’arrêt Feutry ou la responsabilité du fait des services publics locaux :
T.C., Feutry, 29 février 1908, Rec. 208, concl. Tessier.
Un malade s’échappe d’un asile départemental d’aliéné et incendie des meules de
paille. Le propriétaire de ces meules intente une action en responsabilité contre
le département en qualité de gestionnaire de l’asile.
Le tribunal des conflits va affirmer, dans l’arrêt Feutry, la nature administrative
de ce contentieux. Cette solution n’allait pas de soi, et ceci pour plusieurs
raisons. Comme dans l’arrêt Blanco, il fallait se demander si les collectivités
locales, en l’occurrence ici le département, sont responsables des dommages
causés à l’occasion du fonctionnement de leurs services publics. Il fallait aussi
résoudre le même problème de compétence que dans l’arrêt Blanco et se
demander quel est le juge compétent pour juger des actions en responsabilité
dirigées contre les services d’un département. Le juge civil peut-il se saisir d’un
tel litige ?
Le tribunal des conflits va admettre que la responsabilité du département est en
l’espèce engagée mais il va attribuer la compétence pour trancher cette affaire
au fond au juge administratif.
• Le contentieux en responsabilité des services départementaux est un
contentieux administratif.
Deux raisons permettent ici d’affirmer qu’il s’agit d’un contentieux administratif
La première est que le département, collectivité locale décentralisée, est une
personne publique. La deuxième est que le département gère en l’espèce un
service public.
*La nature publique des collectivités locales ne va pas de soi. En effet, du
Moyen Age jusqu’à la fin du XIXe siècle, les collectivités locales et leurs
autorités étaient plutôt considérées comme des structures privées et des
autorités domestiques. Carré de Malberg rappelle ainsi que, pour les constituants
de 1791, « la commune constitue dans l’Etat, une association privée et que le
pouvoir municipal s’analyse en la puissance domestique, comparable à celle qui
existe dans la famille, plutôt qu’en une puissance publique de même nature que
celle de l’Etat ». En somme, les relations juridiques au sein de cette collectivité
sont plutôt analysées comme des liens familiaux que comme une forme de
contrainte publique. On voit que la configuration de l’espace public n’est pas
ontologique mais plutôt historique, dépendent de représentations idéologiques
susceptibles d’évoluer et d’entraîner des recompositions. Je vous renvoie, sur
cette question essentielle de l’espace public, aux travaux de J. Habermas
(dimension idéologique de l’espace public : « L’espace public ») et à l’œuvre de H.
Arendt (structure historique de l’espace public, voir in ‘ Condition de l’homme
moderne », la distinction domaine public/ domaine privé).
A la Révolution, le pouvoir municipal reste « défini par la gestion des intérêts
privés de ses membres détachables de l’administration générale de l’Etat » 3.
Cette idée trouve sa source dans un passé lointain, dans l’origine médiéval des
« communes associées », serment unissant un certain nombre de personnes afin
de consolider leurs activités de production, d’échange et de commerce. Dès lors,
la « commune » apparaît davantage comme un groupe particulier visant à
protéger ses intérêts collectifs privés que comme un espace public. Les
marchands, les « bourgeois », tentent de s’unir pour s’affranchir de l’autorité
seigneuriale. L’organisation de la collectivité est donc orientée afin de protéger
et d’aider principalement les marchands. Constitués en autorités municipales, ils
exploitent et entretiennent les biens communaux, ont la responsabilité des
chemins, des rues et des places. Les intérêts ainsi représentés semblent d’ordre
privé tandis que les fonctions remplies par cette collectivité relèvent plus de la
gestion domestique que de l’intérêt public. En somme, la commune et par
extension les collectivités locales apparaissent comme des espaces privés. Ce
caractère privatif va survivre jusqu’à la fin du XIXe siècle. Les collectivités
locales vont progressivement être organisées en structures publiques par le
double processus de déconcentration et de décentralisation et par la
3
- M. Doat, Recherches sur la notion de collectivité locale en droit administratif français,
Thèse Toulouse, 1994, à paraître.
transposition à l’action de ces collectivités des notions classiques du droit
administratif, c’est-à-dire le service public et la puissance publique.
Comme le démontre M. Doat, la notion de service public va jouer un rôle essentiel
dans cette transformation ; « ce qui prédomine à première vue dans l’évolution
de la collectivité locale, c’est l’idée qu’elle reproduit le modèle étatique. Mais, ce
n’est qu’avec la référence au service public que le Conseil d’Etat, dans les arrêts
Terrier, Feutry et Thérond, transférera le contentieux des collectivités locales
aux tribunaux administratifs et, du même coup, consacrera la nature publique de
la collectivité locale ».
Le fait que le département puisse être considéré comme un personne publique
est le premier argument juridique qui va permettre au Tribunal des conflits de
retenir la compétence administrative.
*Le département gère en l’espèce un service public.
Le Tribunal des conflits suit ici un raisonnement similaire à celui de l’arrêt
Blanco. L’activité litigieuse est une activité de service public. Le département
doit répondre des dommages causés aux administrés par ses services tout
comme l’Etat doit répondre des dommages causés par les services publics
nationaux. Dans l’arrêt Feutry comme dans l’arrêt Blanco, le principe des
séparation des autorités administratives et judiciaires ainsi que le principe
d’autonomie du droit administratif justifient, sur le fond, l’application d’un
régime de responsabilité dérogatoire du droit commun, en somme, de la
responsabilité administrative. C’est parce qu’elle met en cause un intérêt public
que cette action en responsabilité doit être jugée par le juge administratif
suivant les principes de la responsabilité administrative. Ainsi, le Tribunal des
conflits reconnaît que l’action des collectivités locales, ici d’un département,
participe de l’intérêt général, d’un intérêt public local. Comme l’école du service
public n’a pas manqué de le souligner, la notion de service public suffit à elle
seule à justifier l’application du droit administratif et la compétence du juge
administratif. Le critère du service public va permettre d’étendre le champ
d’application du droit administratif et lui donner une portée assez large. Ainsi,
dans les arrêts Terrier (C.E. 6 février 1903) et Thérond (C.E. 4 mars 1910), le
Conseil d’Etat va juger que les contrats passés par les collectivités locales sont
des contrats administratifs relevant de la compétence du juge administratif.
Après le contentieux de la responsabilité des personnes publiques, c’est donc le
contentieux contractuel qui entre dans le champ du droit administratif. Cette
période d’extension du droit administratif, grâce au rôle moteur de la notion de
service public (comme critère du droit administratif, va cependant rencontrer
des limites. La jurisprudence va limiter le rôle de la notion de service public qui
ne sera plus le critère exclusif et automatique du droit administratif. Certains
services publics échapperont ainsi au droit et au contentieux administratifs. En
effet, à partir de 1921, avec la jurisprudence « Bac d’Eloka », on admet l’idée de
services publics à gestion privée. Il s’agit de services répondant à un besoin
d’intérêt général mais utilisant les procédés et les formes de l’entreprises
privée. On les nommera « services publics industriels et commerciaux » par
opposition aux services publics à gestion publique appelés « services publics
administratifs ». Les services publics industriels et commerciaux échapperont
alors au droit administratif et se verront appliqués le droit commun, aussi dans
leurs relations avec leurs agents que dans leurs relations avec les usagers.
Ainsi, si l’on compare les deux services publics respectivement en cause dans les
arrêts Blanco et Feutry, il apparaît que la manufacture des tabacs est un SPIC
qui relèverait désormais du service judiciaire, tandis que l’asile départemental
constitue un SPA.
• Une responsabilité pour défaut dans l’organisation et le fonctionnement du
service.
Nous avons jusqu’ici examiné le principe même de l’existence d’une responsabilité
administrative. Il nous faut à présent voir de quelle façon s’applique le régime de
responsabilité administrative. En l’espèce, pourquoi le département devait-il
répondre des conséquences dommageables du comportement d’un aliéné ?
L’imputation de la responsabilité suppose nécessairement réunies trois
conditions : un fait dommageable, un préjudice réparable, un lien de causalité
entre le fait dommageable et le préjudice réparable (quelques explications sur
ces trois conditions : voir fiche détaillée). Qu’en est-il ici ? On aurait pu
considérer dans l’affaire Feutry que l’incendiaire devait répondre seul des
conséquences de ses actes et débouter le propriétaire des meules brûlées en le
renvoyant poursuivre, devant le juge judiciaire, la responsabilité civile
personnelle de l’aliéné. Bien sûr, le Tribunal des conflits ne juge pas au fond, il se
contente d’attribuer compétence à la juridiction administrative. Mais il invite
celle-ci à considérer le problème en ces termes : y a-t-il eu des fautes commises
dans l’organisation et le fonctionnement de l’asile départemental ayant rendu
possible la fuite du malade et, par voie de conséquence, l’incendie des meules de
foin. La question de la causalité, c’est-à-dire de l’enchaînement des circonstances
ayant entraîné la survenance du dommage, est posée ici plus en amont que dans le
raisonnement précédent. Certes, la cause directe et immédiate du préjudice est
l’incendie provoqué par l’aliéné, mais si l’aliéné ne s’était pas échappé de l’asile
départemental, il n’aurait pas eu l’occasion de mettre le feu. On peut peut-être
reprocher à l’établissement psychiatrique un défaut de vigilance, de surveillance
constitutif d’une « faute de service » susceptible d’engager la responsabilité de
la collectivité gestionnaire. Cet exemple et ce raisonnement met en évidence
deux caractères spécifiques du régime de responsabilité administratif : il s’agit
souvent d’une responsabilité collective voire anonyme ; il s’agit toujours d’une
responsabilité du fait d’autrui, c’est-à-dire que l’administration répond des
agissements de ses agents ; « couvre » la responsabilité personnelle et
individuelle des agents. C’est ce qui explique que la notion de faute de service
soit la notion clé du régime de responsabilité administrative. Aussi serons-nous
amener à examiner la notion de faute de service dans la partie de ce séminaire
consacré à la distinction entre responsabilité administrative et responsabilité
civile.
B – LA DISTINCTION ENTRE RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE ET
RESPONSABILITÉ CIVILE.
Comme nous l’avons vu, la responsabilité administrative est née en se détachant
de la responsabilité civile, en s’opposant à elle. Cependant, si ces deux régimes
sont distincts, dans le contenu des règles applicables comme dans les modalités
d’imputation, ils poursuivent néanmoins une finalité identique : la réparation du
dommage.
1 - Des régimes réparatoires.
L’objet commun de ces deux régimes de responsabilité est de trouver un
patrimoine susceptible d’assurer à la victime du dommage une réparation
financière, si possible la réparation intégrale du préjudice. Responsabilité civile
et administrative sont donc des régimes réparatoires distincts des régimes
répressifs qui, comme la responsabilité pénale ou disciplinaire, entendent
sanctionner les auteurs de comportements jugés répréhensibles. Quelques mots
sur chacun de ces deux régimes réparatoires.
• Responsabilité civile :
Classiquement, le droit civil (comme d’ailleurs le droit administratif), distingue
deux grands régimes de responsabilité : la responsabilité contractuelle et la
responsabilité extra-contractuelle encore appelée « responsabilité délictuelle ».
La responsabilité contractuelle s’applique lorsqu’il existe entre la victime et
l’auteur du dommage un lien contractuel préalable à la survenance du dommage.
Le dommage consiste, en fait, en l’inexécution des obligations contractuelles par
l’un des co-contractants. Responsabilité contractuelle et responsabilité
délictuelle n’ont pas la même philosophie. La responsabilité contractuelle est une
sanction des obligations contractuelles, un moyen de prévenir ou de remédier à
l’inexécution d’un contrat (ex : responsabilité du vendeur et de l’acheteur dans un
contrat de fourniture). Ce cours s’attache principalement à la responsabilité
délictuelle, en tout cas dans sa première partie car, dans la partie assurée par D.
Espagno, vous aurez l’occasion de voir à l’œuvre les mécanismes de la
responsabilité contractuelle. La responsabilité médicale est en effet une
responsabilité contractuelle.
La responsabilité civile délictuelle peut en fait naître de trois sources : le fait
personnel, le fait des choses et le fait d’autrui.
Ce régime de responsabilité est un régime essentiellement légal. L’article 1382
du Code civil pose un principe essentiel sur lequel est bâti le droit de la
responsabilité civile : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un
dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».
Originellement, la responsabilité civile est donc un régime de responsabilité pour
faute. Pour que la responsabilité soit engagée, pour que l’on soit considéré comme
l’auteur d’un dommage, il faut un comportement fautif. La faute doit être la
cause même du dommage (exigence du lien de causalité ; d’où les trois
conditions : fait dommageable, préjudice réparable et lien de causalité). L’article
1382, précisé par l’article 1383 (qui retient l’imprudence ou la négligence comme
constitutive d’une faute personnelle) est donc le fondement de la responsabilité
civile du fait personnel. Il s’agit en somme simplement d’affirmer que chaque
homme est responsable de ses actes.
A cette responsabilité du fait personnel, qui paraît aller de soi, s’ajoute un
régime moins évident : la responsabilité du fait d’autrui ou du fait des choses
posées par l’article 1384 du code civil : « On est responsable non seulement des
dommages que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé
par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa
garde ».
Exemple :
- pour la responsabilité du fait des choses, celle de l’automobiliste qui, ayant
l’usage la direction et le contrôle (définition jurisprudentielle de la garde)
est responsable de son véhicule ;
- pour la responsabilité du fait d’autrui, celle des parents envers leur enfant
mineur ou celle de l’employeur envers son salarié.
• Responsabilité administrative :
Le principe qui fonde cette responsabilité est que la collectivité publique
« couvre » l’agent qu’elle emploie et qui cause un dommage dans le cadre de
l’exercice de ses fonctions (faute de service). Classiquement, la responsabilité
administrative est donc un régime de responsabilité pour faute. La faute va
demeurer le seul fondement de la responsabilité administrative jusqu’à ce
qu’émergent, dans la période contemporaine, des fondements nouveaux, tel le
risque. Aujourd’hui, et de plus en plus souvent d’ailleurs, la puissance publique est
aussi responsable des dommages qui surviennent lorsqu’elle fait courir un risque à
la population (responsabilité pour risque ; manquement au principe de précaution).
Il ne s’agit plus de couvrir le comportement d’un agent ou d’un service mais
d’assumer les conséquences d’un risque réalisé.
Le régime de responsabilité administrative est aussi, classiquement, un régime de
responsabilité du fait d’autrui puisqu’il s’agit pour l’administration de répondre,
dans une certaine mesure, des actes de ses agents. Ce régime, base de la
responsabilité administrative, existe aussi, comme nous l’avons vu, en droit civil.
C’est sur le même mécanisme que fonctionne, par exemple, la responsabilité du
fait des maîtres et commettants. Il est arrivé que la Cour de cassation s’inspire
de solutions issues de la jurisprudence administrative, notamment de la
construction relative à la faute de service et la faute détachable du service pour
déterminer l’étendue de la responsabilité des employeurs privés à l’égard des
agissements de leurs salariés.
2 - La notion de faute de service.
Après l’arrêt Blanco qui met fin à l’irresponsabilité de l’Etat, la jurisprudence
administrative allait poursuivre son travail de construction du régime de
responsabilité administrative. Le principe est acquis que l’Etat est responsable
du fait de ses services publics. Reste à déterminer le fondement de ce régime
nouveau. Pour ce faire, la jurisprudence va se doter d’une outil : la distinction
entre la faute personnelle et la faute de service. Cette distinction résulte de
l’arrêt Pelletier, pris quelques mois à peine après l’arrêt Blanco.
Jusqu’à l’émergence de fondements alternatifs, la notion de faute de service va
rester la notion-clé du régime de responsabilité administrative, mais il s’agit
d’une notion complexe que la doctrine a bien du mal à définir.
Cette notion de faute de service fut construite par un double mouvement
jurisprudentiel.
En premier lieu, elle est issue de la jurisprudence du Tribunal des conflits qui
entend grâce à elle préciser la répartition des compétences entre le juge
administratif et le juge judiciaire en ce qui concerne les actions en
responsabilité dirigées contre les agents publics. Le Tribunal des conflits entame
ce travail jurisprudentiel, quelques mois à peine à après sa (re)création par la loi
du 24 mai 1872 (loi visant à réorganiser le Conseil d’Etat qui, dans le système de
justice retenue, assurait la fonction de juge des conflits). En second lieu, la
notion de faute de service est aussi précisée par la jurisprudence du Conseil
d’Etat (notamment entre 1911 et 1918). La contribution du Conseil d’Etat a des
motivations distinctes de celles du juge des conflits. Il s’agit pour la haute
juridiction administrative de préciser les droits de la victime, les différentes
options contentieuses qui s’offrent à elle.
a) L’arrêt Pelletier (TC, 30 juillet 1873).
•Le principe d’irresponsabilité de l’Etat par lequel nous avons ouvert ce cours,
n’était pas seulement un principe théorique. Il ne signifiait pas seulement
l’irresponsabilité de la collectivité étatique en tant que personne morale
souveraine et dépositaire de la puissance publique. Il supposait aussi un régime
d’immunité voire d’impunité protégeant les fonctionnaires de l’Etat.
Ce régime reposait sur le système dit de la « garantie des fonctionnaires », issu
de l’article 75 de la Constitution de l’an VIII. Cet article disposait : « Les agents
du Gouvernement, autres que les ministres, ne peuvent être poursuivis pour des
faits relatifs à leurs fonctions, qu’en vertu d’une décision du Conseil d’Etat : en
ce cas, la poursuite a lieu devant les tribunaux ordinaires ». Plusieurs
justifications étaient invoquées à l’appui de cette disposition, toutes plus ou
moins issues du principe de séparation des pouvoirs et de son « interprétation
française », le principe de séparation des autorités administratives et
judiciaires.
Malgré ces justifications théoriques, le système de la garantie du fonctionnaire
n’avait guère les faveurs de l’opinion publique. Certes, l’article 75 n’excluait pas
les poursuites contres des fonctionnaires, il se contentait seulement de
soumettre la mise en cause de leur responsabilité à une autorisation du Conseil
d’Etat, pour tout fait relatif à leurs fonctions. Mais, de telles autorisations
étaient, semble-t-il, peu fréquentes, ce qui pouvait aboutir à une forme
d’impunité et faire percevoir le système comme abusif.
Aussi, quelques jours après la chute du Second Empire (Sedan, le 4 septembre
1870), le gouvernement provisoire de défense nationale adopte un texte, le
décret-loi du 19 septembre 1870, abrogeant l’article 75 de la Constitution de l’an
8.
Il faut alors apprécier la conséquence juridique de cette abrogation. Les
juridictions judiciaires y virent, dans un premier mouvement, la possibilité de
poursuivre les fonctionnaires devant elles. Elles interprétèrent, en somme, cette
abrogation comme l’instauration d’un système à l’anglo-saxonne dans lequel les
fonctionnaires ne bénéficient pas pour les actes concernant leurs fonctions, d’un
privilège de juridiction. L’affaire Pelletier allait donner l’occasion au Tribunal des
conflits de donner son interprétation de l’état du droit.
•Quelques mots sur les faits à l’origine de l’affaire. Il s’agit d’une action formée
par le Sieur Pelletier contre la saisie d’un journal qu’il voulait publier, saisie
opérée par des autorités militaires le 18 janvier 1873 en vertu de la législation
relative à l’état de siège4.
4
- Aux termes de la loi du 9 août 1849, « l’état de siège ne peut être déclaré qu’en cas de péril
imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection à main armée. Une loi seule
peut déclarer l’état de siège (…). Aussitôt l’état de siège déclaré, les pouvoirs dont l’autorité
Pelletier saisit alors le tribunal civil, souhaite faire prononcer la nullité de la
mesure, ordonner la restitution des exemplaires saisis et obtenir des dommages
et intérêts. Si la mesure est jugée illégale, elle est en effet susceptible de
constituer une voie de fait, illégalité particulièrement grave pouvant engager la
responsabilité de l’administration (cf. T.C., 8 avril 1935, Action française).
Le contexte historique dans lequel se situe cette affaire n’est, il est vrai, guère
favorable à la liberté de la presse. Les années qui suivent la chute du Second
Empire (défaite de Sedan, le 2 septembre 1870) et qui vont donner naissance à
la Troisième République (Lois constitutionnelles de 1875 : Loi du 25 février
relative à l’organisation des pouvoirs publics ; Loi du 24 février 1875 relative à
l’organisation du Sénat ; Loi du 16 juillet 1875 sur les rapports entre les pouvoirs
publics)5 sont des années de troubles civils et politiques. La France hésite entre
la restauration monarchique et la République, le gouvernement de Thiers (juillet
1871 à mai 1873) instaure une République très autoritaire et très répressive
envers la presse. Il faudra attendre la loi du 29 juillet 1881 pour que soit
instauré un régime plus libéral en matière de presse.
Pelletier recherchait la responsabilité des autorités ayant décidé et exécuté la
saisie de son journal. Depuis le décret-loi de 1870 abrogeant la garantie des
fonctionnaires, il n’est plus nécessaire de demander une autorisation au Conseil
d’Etat pour poursuivre des agents publics. Il saisit dès lors le tribunal civil. Le
préfet conteste la compétence judiciaire et élève le conflit. C’est ce qui va
donner au Tribunal des conflits l’occasion de donner son interprétation de l’état
du droit. La question posée est bien une question de compétence. Les juridictions
civiles sont-elle désormais compétentes pour juger les actions dirigées contre
des fonctionnaires ?
Le juge des conflits et son commissaire du gouvernement vont proposer en
l’espèce, contre la lecture des juridictions judiciaires, une interprétation
restrictive du décret-loi de 1870 visant à préserver le principe de séparation
des autorités administrative et judiciaire et la compétence de la juridiction
administrative.
civile était revêtue pour le maintien de l’ordre et de la police passent tout entier à l’autorité
militaire ». En de telles circonstances, « l’autorité militaire a le droit (…) d’interdire les
publications (…) qu’elle juge de nature à créer ou entretenir le désordre ».
5
- Le théoricien des lois constitutionnelles de 1875 et de la Troisième République est,
incontestablement, R. Carré de Malberg. Son œuvre est une réflexion sur les institutions
françaises, leur spécificité, notamment dans une perspective de droit comparé avec la tradition
allemande. Carré de Malberg est le théoricien de la Troisième République, de l’héritage
révolutionnaire, de la souveraineté nationale (théorie de l’organe), de la représentation et de la
légitimité parlementaire (système de l’Etat légal). Cette réflexion se construit autour de
quelques ouvrages-clés : « Contribution à la théorie générale de l’Etat » ; « La loi, expression
de la volonté générale » et « Confrontation de la théorie de la formation du droit par
degré… ».
Dans l’affaire Pelletier, en effet, il s’agit bien d’apprécier la validité et les
conséquences dommageable d’un acte administratif, en l’occurrence une « mesure
de haute police administrative ». Pelletier ne conteste pas le comportement
personnel des autorités militaires et civiles, mais bien l’opération administrative
elle-même. C’est la raison pour laquelle le Tribunal des conflits rejette la
compétence du tribunal civil initialement saisi et attribue le litige au juge
administratif. Le T.C. protège ainsi la compétence de la juridiction administrative
contre une interprétation à l’anglo-saxonne du décret-loi de 1870 envoyant les
fonctionnaires devant le juge judiciaire y compris pour des actes accomplis dans
le cadre de leur service. Une telle interprétation n’est pas compatible, selon le
Tribunal des conflits, avec les lois des 16 et 24 août 1790, le décret de
Fructidor an III et la loi du 24 mai 1872 (créant le tribunal des conflits) qui
proclament et confirment le principe de séparation des autorités administratives
et judiciaires. L’arrêt Pelletier peut donc se lire du point de vue de
l’administration et de ses agents : il protège leur privilège de juridiction (cf.
système de l’administrateur-juge).
• Une autre question se pose cependant : celle des droits de la victime et des
voies d’indemnisation qui lui sont ouvertes. Après l’arrêt Pelletier, la doctrine
pensait que la faute de service et la faute étaient exclusives l’une de l’autre,
qu’elles ne pouvaient se cumuler. Elle établissait donc, du point de vue des droits
de la victime, un schéma simple . Si le dommage trouve son origine dans une faute
de service, la victime ne peut rechercher que la responsabilité de
l’administration (pas celle de l’agent) et elle ne peut le faire que devant la
juridiction administrative, seule apte à apprécier les opérations administratives.
Si le dommage est causé par une faute personnelle de l’agent, la victime doit
rechercher, devant les juridictions judiciaires, sa responsabilité civile
personnelle. Celui-ci ne pourra être « couvert » par sa collectivité.
Cette analyse doctrinale simple ne va pas résister bien longtemps à l’évolution
jurisprudentielle. Le Conseil d’Etat ne tarde pas, en effet, à prendre le relais du
tribunal des conflits. Poursuivant un autre objectif que le juge des conflits, non
pas la répartition des compétences mais le souci de la victime et de son
indemnisation, il va successivement admettre le cumul de fautes puis le cumul de
responsabilité. Ces deux théories jurisprudentielles entendent élargir le champ
contentieux et indemnitaire de la victime, mais elles vont rendre complexe et
délicate la distinction originellement simple entre la faute de service et la faute
personnelle.
Ainsi, le souci d’indemnisation de la victime va conduire le Conseil d’Etat a
recherché le plus souvent possible, la responsabilité administrative plutôt que la
responsabilité civile personnelle de l’agent afin de ne pas laisser la victime face à
un patrimoine insolvable. Dès, le C.E. va avoir tendance à interpréter de manière
restrictive la notion de faute personnelle et à recherche un lien, parfois ténu,
entre le dommage et une faute de service quelconque. C’est ainsi que le juge
administratif retient très souvent le simple défaut de surveillance et de
vigilance de l’administration comme constitutif d’une faute de service. A côté de
la faute personnelle de l’agent, la jurisprudence administrative tente d’identifier
autant que possible une faute du service ayant contribué au dommage, même si
cette faute n’est pas la cause directe du dommage. Le juge administratif fait
ainsi un petit écart par rapport aux conditions normales d’engagement de la
responsabilité (fait dommageable, préjudice réparable, lien de causalité direct
entre le préjudice réparable et le fait dommageable).
C’est ainsi qu’apparaît la construction prétorienne du cumul de fautes avec la
jurisprudence Anguet.
b) C.E. 3 février 1911, Anguet : le cumul de faute.
Le Sieur Anguet entre dans un bureau de poste quelques minutes avant la
fermeture. Lorsqu’il veut ressortir, la porte normalement destinée au public est
fermée. Sur les indications d’un employé, il traverse alors les locaux réservés au
personnel afin de trouver une autre sortie. Deux employés le prenant pour un
malfaiteur le jettent brutalement dans la rue et Anguet se casse la jambe en
tombant. Il forme alors une action en indemnité devant le ministre des postes qui
la rejette en considérant que seule la responsabilité personnelle des employés
était engagée et que l’Etat n’était en l’espèce pas responsable. Comme on le sait,
à l’issue de la jurisprudence Pelletier, la doctrine dominante considérait que la
responsabilité de l’agent et celle du service ne pouvaient se cumuler. Le Conseil
d’Etat va modifier l’état du droit. Dans l’affaire Anguet, il y a incontestablement
à l’origine directe et immédiate du dommage corporel, une faute personnelle. Le
comportement des deux agents des postes est typique de la faute personnelle
telle que la concevait et la définissait Laferrière dans sa célèbre formule : la
faute personnelle est bien celle qui révèle « l’homme avec ses faiblesses, ses
passions, ses imprudences »6. Les agents ont eu vis-à-vis du malheureux usager
du service public l’un de ces comportements excessifs contraires à l’esprit
comme à la lettre des statuts de la fonction publique. Bien souvent, la
jurisprudence retient comme faute personnelle des comportements excessifs qui
6
- De façon plus complète, Laférrière oppose en ces termes la faute personnelle et la faute de
service : « Si l’acte dommageable est impersonnel, s’il révèle un administrateur, un
mandataire de l’Etat, plus ou moins sujet à erreur, et non l’homme avec ses faiblesses, ses
passions, ses imprudences, l’acte reste administratif et ne peut être déféré aux tribunaux ; si au
contraire, la personnalité de l’agent se révèle par des fautes de droit commun, par une voie de
fait, une imprudence, alors la faute est imputable au fonctionnaire, non à la fonction, et l’acte,
perdant son caractère administratif, ne fait plus obstacle à la compétence judiciaire », extrait
des conclusions de Laférrière, sous T.C., 1877, Laumonnier-Carriol.
ne correspondent pas à l’habitus du fonctionnaire, aux diverses obligations
(obligation de réserve), habitude, convenance qui constitue un modèle de
conduite. L’excès de langage, l’excès de boisson, la violence physique sont des
attitudes injustifiables et injustifiées « au regard des pratiques administratives
normales » (formule du Tribunal des conflits). La brutalité des deux postiers est
donc incontestablement une faute personnelle dont ils doivent répondre
civilement. Cependant, le C.E. va poursuivre son raisonnement. Il considère en
effet que la faute personnelle des deux agents n’a été rendue possible que par
une faute du service : en l’occurrence, la fermeture du bureau avant l’heure
réglementaire. Cette faute suffit à rendre l’administration responsable. Le
Conseil d’Etat affirme ainsi que « l’accident dont le requérant a été victime, par
suite de sa brutale expulsion de cette partie du bureau, doit être attribuée,
quelle que soit la responsabilité personnelle encourue par les agents, auteurs de
l’expulsion, au mauvais fonctionnement du service ».
On voit que le lien de causalité entre le préjudice subi, ici la jambe cassée, et la
faute de service est un peu relâché. En effet, la fermeture de la porte n’est pas
cause directe et immédiate du dommage. Dans la chaîne des causalités, chaîne
toujours complexe et enchevêtré, cet événement est une cause plus indirecte,
plus lointaine. Néanmoins, le C.E . n’hésite pas engager la responsabilité de
l’administration.
La jurisprudence va connaître par la suite de nouvelles évolutions.
Progressivement, la jurisprudence dite du « cumul de fautes », qui exige deux
fautes distinctes (une faute de service et une faute personnelle qui concourent à
la réalisation d’un même dommage) va évoluer vers le « cumul de responsabilité ».
Dans cette nouvelle hypothèse, le cumul de responsabilité procède d’une seule et
même faute.
c) C.E. 26 juillet 1918, Epoux Lemonnier : le cumul de responsabilité.
Une commune du Tarn organise sa fête annuelle. Parmi les attractions figure un
stand de tir sur des cibles flottantes sur une rivière (l’Agout). Sur l’autre rive,
des promeneurs se plaignent que des balles sifflent à leurs oreilles. Le maire,
prévenu, se contente de faire modifier les conditions de tir. Une promeneuse,
Madame Lemonnier, reçoit une balle. Les époux Lemonnier saisissent alors un
tribunal civil (ils n’ont pas eu connaissance de la jurisprudence Feutry), le
Tribunal de Castres, afin de mettre en cause la responsabilité de la commune. Le
tribunal civil se déclare incompétent. Les époux demandent alors au Conseil
municipal de la commune de leur allouer des indemnités. Entre temps, les époux
avaient fait appel du jugement du tribunal civil. La Cour d’appel reconnaît la
responsabilité personnelle du maire qu’elle condamne au paiement de dommages
et intérêts. Quant au C.E., il doit se prononcer sur le refus d’indemnité opposé
par le Conseil municipal, refus contre lequel les époux Lemonnier ont également
formé un recours.
L’arrêt Lemonnier vaut aussi et surtout pour les conclusions de son commissaire
du gouvernement, Léon Blum. Avant cet arrêt et le raisonnement proposé par
Blum, en cas de faute personnelle, l’agent est seul responsable, la responsabilité
de sa collectivité ne pouvait être recherchée. C’est bien sûr cette thèse que va
défendre la commune en invoquant à l’appui de sa défense l’arrêt de la Cour
d’appel condamnant le maire au titre de sa responsabilité civile. Le commissaire
du gouvernement propose une autre analyse : il plaide pour l’autonomie de la
décision administrative et judiciaire. Selon lui, les deux juridictions apprécie des
objets différents. Le juge judiciaire apprécie le comportement individuel de
l’agent au regard des principes de la responsabilité civile. Au juge administratif
d’apprécier seul le comportement de l’administration, au regard des règles du
droit public et des exigences propres au service public. De ce fait, la déclaration
et la réparation par l’autorité judiciaire de la faute personnelle reprochée à
l’individu qui est en même temps l’agent d’un service public, ne fait nullement
obstacle à ce que l’autorité administrative recherche et déclare pour les mêmes
faits la faute et la responsabilité du service ». Ainsi naît ce que la doctrine
appelle le « cumul de responsabilités », hypothèse qu’elle a bien du mal à
distinguer du « cumul de fautes ».
Les présentations doctrinales classiques affirment ainsi que dans le cumul de
fautes, coexistent à la fois une faute de service et une faute personnelle qui
concourent toutes deux à la réalisation du dommage, tandis que dans le cumul de
responsabilité, on ne serait en présence que d’une faute personnelle rendue
possible par le service. Dans cette deuxième hypothèse, la faute personnelle a
été commise dans le service, à l’occasion du service, avec des moyens et des
instruments mis à la disposition de l’auteur du dommage par le service, etc.… En
somme, le service a rendu possible la réalisation de la faute personnelle et la
survenance du dommage. Dès lors, suivant la formule célèbre mais ésotérique :
«la faute se détache du service, mais le service ne se détache pas de la faute ».
Si l’on en croit certaines présentations doctrinales, dans le système du cumul de
responsabilité, il n’y a pas de faute de service. Si la responsabilité de
l’administration est engagée, c’est simplement parce qu’elle a rendu possible la
réalisation de la faute personnelle, parce que cette faute personnelle n’est pas
étrangère au service. On a cependant quelques difficultés à admettre le bienfondé de cette présentation et ceci pour deux raisons. En premier lieu, il
apparaît à la lecture de certains arrêts, notamment l’arrêt Lemonnier que le juge
parle lui-même de « faute de service ».En second lieu, on voit mal quel serait, en
l’absence de faute commise, le fondement de la responsabilité de
l’administration. Dans un tel cas, il ne s’agirait plus de responsabilité mais d’une
sorte d’obligation élargie d’indemniser et de répondre de ces agents.
Il est vrai aussi que l’arrêt Lemonnier n’est pas, dans sa rédaction, dépourvu
d’ambiguïté. Il est dit, en effet, par le C.E. que : « l’autorité municipale chargée
de veiller à la sécurité des voies publiques avait commis une faute grave en
autorisant l’établissement de ce tir sans s’être assurée que les conditions de
l’installation et l’emplacement offraient des garanties suffisantes pour cette
sécurité ; qu’à raison de cette faute, la commune doit être déclarée responsable
de l’accident « . Dans ce dernier membre de phrase, il est vrai, le juge semble
n’avoir identifié qu’une seule faute, la faute personnelle du maire, qui engage la
responsabilité de l’administration. On peut remarquer aussi, dans ce considérant,
que la gravité du comportement, du manquement est un critère de la faute
personnelle. Une faute « très grave », bien qu’il soit juridiquement impossible de
donner une définition ou un critère de cette notion, entraîne systématiquement
la responsabilité personnelle de l’agent. Certains auteurs ont d’ailleurs pensé, de
ce fait, que les comportements graves constitutifs de faute pénale, étaient
nécessairement des fautes personnelles, exclusives de la faute de service. La
jurisprudence affirmera pourtant qu’il n’en va pas toujours ainsi : cf. Arrêt
Thépaz.
• T.C., C.E., 19 mai 1933, Thépaz.
Le conducteur d’un camion militaire provoque un accident. Il est condamné à une
amende par le tribunal correctionnel. Que se passe-t-il au plan civil ? La faute
commise est-elle une faute personnelle ou s’agit-il d’une faute de service ? Avant
cet arrêt, la faute pénale d’une fonctionnaire (faute constitutive d’un crime ou
d’un délit) était toujours considérée comme une faute personnelle. L’arrêt
Thépaz affirme, à l’inverse, que certaines fautes pénales ne sont pas des fautes
personnelles. Cette jurisprudence a d’abord et surtout été appliquée aux fautes
commises par des conducteurs de véhicules administratifs. Les blessures
involontaires qu’ils peuvent causer à cette occasion ne sont pas forcément des
fautes se détachant de l’exercice de leurs fonctions. La loi du 31 décembre 1957
a privé la jurisprudence Thépaz de son application la plus fréquente. La loi
substitue, en effet, dans tous les cas, à l’égard des tiers, la responsabilité de la
personne morale de droit public à celle de son agent.
Cependant, cette jurisprudence continue à s’appliquer à d’autres domaines : par
exemple, l’utilisation accidentelle d’armes à feu (TC, 9 déc. 1948, Delle Urban c/
Mouche et Etat). Plus étonnant encore, la jurisprudence Thépaz ne joue pas
seulement en cas d’infraction involontaires : cf. TC 19 oct. 1998 Préfet du Tarn
c. Cour d’appel de Toulouse, D. 1999, 127 ; falsification d’un POS pour permettre
la délivrance d’un permis de construire).
Après la construction de ces deux théories qui rendent plus complexe la
distinction entre faute personnelle et faute de service, la jurisprudence devra
résoudre encore deux délicates questions : celle du droit contentieux et
indemnitaires des victimes ; celle des obligations respectives de l’administration
et de ses agents. Ces problèmes sont résolus par le mécanisme des actions
récursoires. En la matière, le Conseil d’Etat a rendu, le même jour, et à l’occasion
de deux affaires différentes, une solution de principe.
d) C.E. Ass. 28 juillet 1951, Laruelle et Delville : les actions récursoires.
Dans l’affaire Laruelle, il s’agit d’une sous-officier ayant causé un accident en
utilisant en dehors du service et à des fins personnelles, la voiture militaire dont
il était le conducteur. La victime obtient condamnation de l’administration pour la
faute de service commise du fait de l’absence de mesure de contrôle des sorties
de véhicules. L’administration demande à ce que l’agent soit condamné à
rembourser les sommes versées à la victime.
Dans la seconde espèce, le sieur Delville est chauffeur du ministère de la
reconstruction et de l’urbanisme. Il est condamné par les tribunaux judiciaires à
réparer l’intégralité des conséquences dommageables d’un accident qu’il avait
causé en conduisant en état d’ébriété, un camion de l’administration. Il
demandait à l’administration de rembourser, au moins en partie, les sommes
versées à la victime car l’accident était aussi imputable au mauvais état des
freins.
Le Conseil d’Etat admet l’action récursoire dans les deux cas : de l’administration
envers l’agent, dans l’affaire Laruelle, de l’agent envers l’administration, dans
l’affaire Delville.
Ce faisant, le Conseil d’Etat rompt avec la solution antérieure dans laquelle le
juge avait refuser à l’administration la possibilité de se retourner contre l’agent
fautif (C.E. 28 mars 1924, Poursines). Cette solution était certes destinée à
protéger les victimes contre une éventuelle insolvabilité de l’agent fautif, mais
elle aboutissait en pratique à une quasi-irresponsabilité personnelle de l’agent
fautif. La jurisprudence Laruelle et Delville maintient le souci de protection des
victimes tout en ouvrant une possibilité de faire personnellement contribuer
l’agent à la réparation d’un dommage, en cas de faute personnelle.
Ainsi, comme il est dit dans l’arrêt Delville : « au cas où un dommage a été causé
à un tiers par les effets conjugués de la faute de service et de la faute
personnelle d’un agent de ce service, la victime peut demander à être indemnisée
de la totalité du préjudice subi soit à l’administration, devant les juridictions
administratives, soit à l’agent responsable, devant les tribunaux judiciaires ». Le
mécanisme ainsi crée joue donc en deux temps : dans un premier temps, on règle
la question de l’indemnisation de la victime qui dispose de deux voies
contentieuses et de deux actions possibles ; dans un second temps, on règle la
contribution à la dette, c’est-à-dire la part respective et définitive de
l’administration et de l’agent dans la contribution financière.
Quel est le régime de ces actions récursoires ? Quelles sont, en particulier, les
règles de compétences ?
En ce qui concerne l’action récursoire de l’agent contre l’administration, il s’agit
d’apprécier une faute de service, donc la compétence de la juridiction
administrative. Il se trouve que les deux ordres de juridictions peuvent être
appelés à statuer ; les tribunaux judiciaires à propos de la faute personnelle de
l’agent, les juridictions administratives, à propos de la faute de service de
l’administration. Il n’y a pas de problème d’autorité de la chose jugée car il s’agit
de deux objets (préjudice de la victime puis préjudice de l’agent) et de deux
causes différentes (faute de service et faute personnelle).
En ce qui concerne, l’action récursoire de l’administration envers son agent, elle
relève aussi de la compétence administrative, bien qu’il s’agisse d’une action
dirigée contre une personne privée. C’est l’arrêt Moritz (T.C. 26 mai 1954), qui a
apporté cette précision. Selon cet arrêt, en effet : « s’agissant des rapports
entre l’Etat et un de ses agents, le litige qui s’est élévé au sujet de tels rapports
ne peut trouver sa solution que dans les principes du droit public et la juridiction
administrative a seule qualité pour en connaître ».
[NB : La loi du 3& déc. 1957 a cependant changé la portée de la jurisprudence
Laruelle et Delville qui ne s’applique plus aux véhicules administratifs. La loi a en
effet instauré un bloc de compétence judiciaire pour connaître des actions en
indemnité formées contre l’administration par les victimes d’accidents causés
par ses véhicules].
D’autre part, l’action récursoire n’est pas une subrogation. L’Etat ou la
collectivité publique n’agit pas dans ce cas en lieu et place de la victime ; ce qu’il
demande c’est la réparation de son propre préjudice, celui qu’il a subi du fait de
son obligation à indemniser la victime. Il s’agit donc bien d’une action directe et
d’une subrogation.
C – LES RÉGIMES DE RESPONSABILITÉ SANS FAUTE.
Originellement, la responsabilité administrative s’est construite, comme la
responsabilité civile, sur la notion de faute. Juridiquement, la faute est apparue
longtemps comme le seul ou en tout le principal fondement de l’imputation d’une
responsabilité.
Puis sont progressivement apparus des régimes de responsabilité se dispensant
de la faute. L’émergence des régimes de responsabilité sans faute est
principalement dû au souci croissant d’indemnisation. Dans les cas où la faute de
l’administration s’avère particulièrement difficile à établir pour la victime voire
dans les cas où l’on ne peut reprocher aucune faute à l’administration, faut-il
renoncer à réparer le préjudice de l’administré qui peut exister malgré tout ? La
jurisprudence et la doctrine, relayées par le législateur, vont prendre l’initiative
de proposer de nouveaux fondements à la responsabilité de l’administration.
L’événement aléatoire, la prise de risque peuvent entraîner une obligation
d’indemniser à la charge de l’administration. De même, un préjudice spécial et
anormal qui frappe plus particulièrement une catégorie déterminée d’administrés
peut justifier une indemnisation : telle est la logique du régime de responsabilité
pour rupture de l’égalité devant les charges publiques. En somme, il existe en
droit administratif, deux régimes de responsabilité alternatifs à la
responsabilité pour faute : la responsabilité pour risque et la responsabilité pour
rupture de l’égalité devant les charges publiques. Même s’il arrive à la doctrine
de les rapprocher, ces deux régimes ont des fondements distincts. Le premier
est fondé sur la théorie du risque ; le second, sur le principe d’égalité.
1 - La responsabilité pour risque.
La responsabilité pour risque s’est construite grâce à la doctrine et à la
jurisprudence. C’est en effet la doctrine, notamment la doctrine civiliste du
milieu du 20ème siècle qui s’est attachée à rechercher un nouveau fondement à la
théorie juridique de la responsabilité, le régime de responsabilité pour faute
ayant démontré, face à certains préjudices, ses limites. La jurisprudence s’est
ensuite inspirée de ces réflexions doctrinales.
Quant à la réception, notamment la réception jurisprudentielle de ces théories,
elle est inégale. L'influence des théories du risques est, sans doute, plus forte en
droit public qu'en droit privé. Le droit privé n'a, semble-t-il, jamais totalement
vaincu sa réticence à l'égard des théories du risque tandis que le droit
administratif a accueilli certains régimes de responsabilité sans faute, dont des
régimes de responsabilité pour risque
a) La doctrine et les théories du risque.
Les théories du risque posent ou plutôt reposent la question du fondement de la
responsabilité.
En droit civil comme en droit administratif, et a fortiori en droit pénal7, c'est la
commission d'une faute qui justifie l'imputation de la responsabilité. Ainsi, le
fameux article 1382 du code civil qui fonde la responsabilité civile extra7
En droit pénal, la responsabilité est nécessairement fautive. C'est même l'un des éléments de
définition de la faute pénale. L'infraction pénale se compose en effet de trois éléments:
l'élément légal, l'élément matériel et l'élément moral. L'élément moral est précisément
l'intention. Ainsi, non seulement la responsabilité pénale est nécessairement fautive, mais la
faute pénale est intentionnelle. Pour la même raison, la responsabilité pénale est
nécessairement imputée à une personne, à un individu. Ceci dit, ces dernières années la notion
de faute intentionnelle et la responsabilité pénale des personnes morales remettent en question
ces principes classiques du droit pénal.
contractuelle lie cette responsabilité à la faute en des termes bien connus: "Tout
fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la
faute duquel il est arrivé à le réparer".
De même, en droit administratif, c'est sur la notion de faute de service qu'a été
construite la responsabilité de la puissance publique (T.C., 1873, Pelletier).
Dès lors, on peut comprendre pourquoi les théories du risque ont pu être
considérées comme nouvelles et difficiles à admettre. Elles proposent, en effet,
un autre fondement à l'imputation de la responsabilité. Le risque est donc un
fondement nouveau, antinomique de la faute. Dans une première approche, le
risque est donc opposé à la faute. Les théories du risque ont donné lieu à de
nombreux débats doctrinaux
• Ce sont les développements de la vie moderne et de la société industrielle et
technique qui vont remettre en question les fondements classiques de la
responsabilité civile puis administrative.
Ainsi, comme F. Ewald le démontre, c'est la multiplication des accidents et
notamment des accidents du travail qui vont poser aux juges un problème majeur.
B. Starck, auteur d'une thèse de doctorat sur le sujet, rappelle que c'est bien la
multiplication des accidents qui a conduit les juristes à se reposer la question du
fondement de la responsabilité civile8: "La multiplication croissante des
accidents et l'impossibilité de les attribuer à un fait fautif de l'homme ou, ce qui
revient au même, l'impossibilité de prouver la faute, est le phénomène nouveau
devant lequel se trouve placée la théorie de la responsabilité civile. Ce
phénomène a mis le monde juridique devant l'alternative suivante: rester fidèle
aux conceptions classiques de la responsabilité en exigeant que la victime prouve,
pour obtenir des dommages et intérêts, la faute du défendeur - mais alors un
nombre considérable de victimes eussent été laissées sans indemnité - ou bien
réviser les conceptions fondamentales de la responsabilité de manière à assurer
la réparation aussi complète que possible des accidents et des dommages".
• On comprend que l'objectif que les théories juridiques du risque mettent au
premier plan est celui de l'indemnisation de la victime et que l'exigence d'une
faute ne permet pas toujours et pas systématiquement cette indemnisation.
C'est pourquoi on dit des théories du risque qu'elles ont pour but la garantie,
qu'elles sont des mécanismes de garantie.
B. Starck résume fort bien le raisonnement qui fonde les théories du risque et e
contexte dans lequel ces théories vont émerger: "Une partie de la doctrine se
rendant compte de la véritable révolution qu'a entraîné l'industrialisation de la
production et la mécanisation des transports dans la société contemporaine a
8
Voir B. Starck, Essai d'une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa
double fonction de garantie et de peine privée, Thèse pour le doctorat, Paris, 1947.
délibérément rejeté l'idée de faute comme fondement de la responsabilité civile.
Une nouvelle cause de responsabilité fut alors imaginée, analysée, voire extraite
des textes de lois: le risque. A la question posée: pourquoi Primus doit-il réparer
les dommages causés à Secundus?, cette doctrine ne veut plus qu'on réponde:
parce qu'il a commis une faute, mais seulement "parce qu'il a créé un risque" (p.
17).
Si l'engagement de la responsabilité n'est plus fondé sur la faute de l'auteur du
dommage, quel est donc le fondement des théories du risque. La première
responsabilité pour risque est fondée sur la notion de risque-profit.
•Le risque-profit.
Selon B. Starck, la première théorie du risque est la théorie du risque-profit.
Elle a été imaginée pour la responsabilité du patron en cas d'accident du travail
dont ses ouvriers étaient victimes. L'équité et la morale semble exiger une
réparation même si aucune faute peut être établie à la charge du patron. Le
fondement de cette exigence morale, c'est selon certains auteurs, le fait que le
patron tire un profit de l'activité de ses salariés. C'est donc un fondement
économique qui justifie la théorie du risque-profit. Mais, cette idée que le profit
justifie la responsabilité va être élargie au-delà du risque économique. C'est ce
que va proposé Savatier, dans son article consacré aux "Règles générales de la
responsabilité civile"9. On passe alors de la théorie du risque-profit, limitée aux
activités économiques à la théorie du risque créé susceptible de s'appliquer à
toutes les activités humaines.
• Le risque créé.
Selon Savatier: "La responsabilité fondée sur le risque consiste dans l'obligation
de réparer des faits dommageables produits par une activité qui s'exerce dans
notre intérêt. Cet intérêt n'est pas d'ailleurs nécessairement un bénéfice
pécuniaire. On est responsable également des forces que l'on utilise dans un
intérêt moral". Ainsi, le terrain de la responsabilité pour risque s'élargit, il n'est
plus limité à l'entreprise ou à l'industrie, mais peut désormais s'attacher à tout
fait de l'homme. Les partisans de cette théorie vont réinterpréter l'article 1382
du Code civil en insistant sur le premier membre de phrase et en donnant un
caractère incident à la référence à la faute: "tout fait de l'homme qui cause à
autrui un dommage…" pose une obligation générale à réparer les conséquence de
ses actes, que ces actes aient ou non un caractère fautif.
* L'opposition du risque et de la faute.
9
In Revue critique, 1934, n°29.
Pour certains auteurs, la notion de risque a vocation à remplacer la notion de
faute comme fondement nouveau et élargi de la responsabilité. Le risque doit
ainsi supplanter la faute car il offre une garantie plus large et plus sûre aux
victimes de dommages qu'il permet de plus systématiquement d'indemniser.
D'autres auteurs ont une position moins tranchée, plus partagée. Ainsi,
Josserand considère pour sa part que la responsabilité civile a deux pôles
d'attraction: la faute et le risque10. Selon Josserand, la faute n'est pas le
fondement unique de la responsabilité car "celui qui met en action des forces
redoutables dans son intérêt, à son profit, doit assumer les conséquences de son
initiative".
Pour délimiter le terrain respectif de la faute et du risque, Josserand propose
de recourir à la distinction entre la responsabilité du fait personnel et la
responsabilité du fait des choses. Selon lui, la responsabilité du fait personnel
est liée à la notion de faute tandis que le risque s'appliquerait à la responsabilité
du fait des choses.
Cependant, cette distinction s'avère peu convaincante car on convient
aujourd'hui que la responsabilité du fait des choses est, en réalité, une
responsabilité du fait de l'homme. La chose n'est en effet qu'un instrument dans
les mains de l'homme, elle est un moyen d'action. Dès lors, l'intervention d'une
chose ne change pas véritablement le fondement moral et philosophique de la
responsabilité. Derrière le fait de la chose, il y a en fait le fait de celui qui
l'utilise. Ainsi, dans la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la
responsabilité du fait des choses, c'est la garde qui fonde la responsabilité et la
garde est un fait de l'homme. La garde est définie comme "l'usage, la direction
et le contrôle de la chose".
Selon la Cour de cassation, et de jurisprudence constante depuis C. Cass. Ch.
Réun. 2 décembre 1941, Franck: "La responsabilité du dommage causé par une
chose est liée à l'usage qui est fait de la chose ainsi qu'aux pouvoirs de
surveillance et de contrôle exercés sur elle, qui caractérisent la garde". La Cour
de cassation a rendu cette décision à propos de la responsabilité du propriétaire
d'une automobile dans un accident de la circulation. La Cour a estimé que
l'accident étant survenu après que le propriétaire ait été dépossédé de son
véhicule par un vol, celui-ci a été privé de l'usage, de la direction et du contrôle
de sa voiture. Dès lors, il n'en est plus le gardien (transfert de garde) et n'est
plus soumis à la présomption de responsabilité qui découle de l'article 1384 al. 1
("on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre
fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit
répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde".
10
In Revue critique, 1932, p. 468.
La doctrine échoue à trouver un domaine propre au risque, distinct de celui de la
faute. Dès lors, certains auteurs proprosent de faire du risque un principe
subsidiaire à celui de la faute. C'est ce que propose, par exemple, Savatier. Les
auteurs favorables à ce système le présentent ainsi: En principe, la réparation du
dommage doit être demandée à l'auteur d'une faute. Mais il est des cas où la
faute ne être démontrée et où l'équité exige cependant la réparation. C'est
alors qu'il faut faire appel à la notion de risque, seulement à titre subsidiaire. La
faute est ainsi considérée comme un fondement supérieur, selon Savatier: "la
source la plus juste" de la responsabilité, tout en reconnaissant à l'idée de risque
une place secondaire.
* Les oppositions philosophiques et idéologiques.
Outre les difficultés techniques qu'il y a à recevoir les théories du risque dans le
droit de la responsabilité, la doctrine est aussi réticente pour des raisons
morales. La remarque de Savatier est révélatrice d'un état d'esprit qui lie
étroitement faute et responsabilité pour des raisons éthiques. Ces
considérations morales sont développées par un autre éminent civiliste, le
Professeur Ripert, dans son ouvrage intitulé: "La règle morale dans les
obligations civiles". Ainsi Ripert écrit-il: "La résistance de la doctrine et de la
jurisprudence française à une généralisation de la théorie du risque prouve qu'au
fond nous n'avons pas perdu l'idée que la responsabilité civile n'est que
l'organisation juridique et technique de la responsabilité morale. L'idée de
réparation est une des plus vieille idée de l'humanité. Elle a été mise au premier
rang de la morale chrétienne. Le repentir ne suffit pas à effacer la faute si la
réparation du domage n'a pas été fournie. L'homme a le sentiment de sa
responsabilité. Il s'estime faillible en même temps que responsable, et il a ce
sentiment aussi que cette responsabilité s'effacera s'il répare le mal causé".
D'un point de vue théorique, cette position qui consiste à fonder une règle
juridique sur un principe moral pourrait être qualifier de jusnaturaliste. Le
jusnaturalisme, en effet, ou doctrine du droit naturel est cette théorie qui
considère que le droit positif, pour être valide, doit procéder de la morale, doit
être conforme à un idéal de justice ou d'équité. Dans une telle conception, le
droit découle de la morale et n'a donc aucune autonomie par rapport à elle.
Contre cette conception, le postivisme considère à l'inverse que le droit et la
morale sont deux systèmes distincts et autonome, que le droit a son fondement
propre, ses propres processus de validité et qu'une norme juridique peut être
injuste sans perdre pour autant sa juridicité. La conception positiviste ne définit
donc pas le droit par référence à la morale, mais plutôt par référence à des
critères internes tels que la capacité d'auto-organisation et d'autoengendrement de l'ordre juridique et la faculté des normes juridiques à
s'imposer par la contrainte (voir sur ce point la définition kelsénienne du droit et
l'affirmation de Kelsen selon laquelle n'importe quel contenu peut être du droit).
Ripert assume d'ailleurs le jusnaturalisme de sa position quand il écrit: "Il n'y a
en réalité entre la règle morale et la règle juridique aucune différence de
domaine, de nature et de but… car le droit doit réaliser la justice et l'idée du
juste est une idée morale".
• Culpabilité et solidarité.
Selon B. Starck cet argument moral n'est cependant pas un obstacle à la
réception des théories du risque dans le droit de la responsabilité. Au contraire,
les théories du risque ont aussi une dimension morale, même s'il s'agit d'une
philosophie différente de celle de la faute, fondée non sur la culpabilité,
l'expiation et la réparation mais sur la charité, l'assistance et la solidarité. Ainsi,
B. Starck écrit: "Il faut se garder d'en conclure avec Ripert que la
responsabilité civile doit reposer nécessairement sur la faute et seulement sur la
faute. Pour que cette conclusion s'impose inévitablement, il faudrait montrer
tout d'abord que le domaine de la morale coïncide en tout point avec celui de la
faute! Qui saurait le prétendre? La morale connaît d'autres valeurs que celles,
négatives, de faute, d'erreur, de mauvaise foi ou de pêché. La charité,
l'assistance, sont aussi des valeurs morales et l'on peut en dire autant de
l'esprit de fraternité ou de solidarité, du respect de engagements, etc. Aucune
de ces notions n'impliquent à un degré quelconque l'erreur fautive ou le dol et
plus d'une règle juridique s'en inspirent…La théorie du risque a justement été
défendue au nom de l'équité, de la solidarité et de la justice et ce sont là des
idées morales sans aucune contestation possible. Cependant, elles ne conduisent
pas à faire de la culpabilité une condition de la responsabilité" (p. 31).
En énonçant les sources morale des théories, Starck offre une clé pour
comprendre l'influence de ces théories dans le droit de la responsabilité. Ce
n'est pas un hasard si, hors le cas des accidents du travail, les théories du risque
ont surtout été reçues par le droit public et en particulier par le droit
administratif.
Elles
coïncident
chronologiquement
et
correspondent
philosophiquement avec les doctrines solidaristes du début du 20ème siècle et la
théorie de l'Etat providence. Les notions d'interdépendance sociale, de
solidarité, de garantie, vont en effet être reprises par certains juristes,
certains publicistes qui se proposaient à l'époque de refonder le pacte social et
la théorie de l'Etat. Il s'agissait alors de renouveler les fondements de l'Etat.
C'est ainsi que Duguit refondera l'Etat sur la notion de service public, dont le
but est le renforcement de l'interdépendance sociale. Le droit public ainsi
refondé offre dès lros une terrain plus favorable à la reception des théories du
risque qui asseoient l'obligation de réparer sur le principe de solidarité et
d'interdépendance des individus et de leurs activités.
• Liberté et sécurité.
B. Starck, qui est civiliste et qui défend l'implantation des théories du risque
dans le droit civil de la responsabilité, est d'ailleurs conscient de se heurter à
des obstacles idéologiques, notamment à l'individualisme et au libéralisme
ambiant du droit privé. Ainsi, B Starck sait que l'on oppose souvent à la théorie
du risque le principe de liberté: "Les partisans du système de responsabilité
subjective [fondé sur la faute] considèrent l'obligation de réparer les dommages
causés par son activité comme une entrave à la liberté d'action. S'érigeant en
défenseurs de cette liberté, ils exigent dès lors que toute responsabilité soit
subordonnée à l'existence d'une faute chez le responsable. Selon la conception
individualiste du droit, nous disent Colin et Capitant, la loi doit garantir la liberté
des citoyens et, par conséquent, les déclarer irresponsables des dommages
causés, du moment que ceux-ci ont agi dans les limites définies par la loi.
L'homme doit agir, écrit le doyen Ripert, agir comporte des risques pour soimême et pour les autres. Qu'importe puisque l'action est la loi de
l'homme…L'irresponsabilité, c'est le degré suprême de la liberté, telle paraît
être la conception de ces auteurs" (p. 39).
B. Starck et ses partisans considèrent au contraire que la responsabilité est la
contrepartie de la liberté. Ils aiment à citer Saleilles affirmant: "La
responsabilité, c'est le risque de la liberté". Ils sont aussi d'accord avec
Josserand qui fonde la responsabilité sur le pouvoir que l'on détient: "Le pouvoir
appelle et postule la responsabilité".
Starck est cependant conscient de la contradiction face à laquelle se trouvent
les juristes et qu'ls doivent résoudre: "Nous connaissons l'impasse où cette
méthode conduit. Limiter la responsabilité à l'actif fautif, c'est réduire à la
misère de nombreuses victimes. L'étendre à tous les actes dommageables,
fautifs ou non, c'est l'étouffement de l'activité sous le poids de la réparation
des dommages causés". En somme, le risque des théories du risque est de
compromettre la liberté par l'exigence de responsabilité.
Starck essaie de sortir de ce dilemne, de cette impasse théorique. Pour ce faire,
il affirme que l'équation des adversaires des théories du risque est incomplète.
Il manque une donnée à leur raisonnement: cette donnée, c'est le droit ds
victimes à la sécurité. Au principe de liberté, il oppose donc celui de sécurité,
révélant ainsi le soubassement philosophique des théories du risque. Ainsi écritil: "Certes, l'homme est libre d'agir sous réserve de se conformer aux lois, mais
il est également libre dejouir paisiblement de ses biens, matériels ou moraux, de
conserver son intégrité corporelle et sa vie, ainsi que celle de ses proches. Par
conséquent, si l'obligation de réparer le préjudice causé apparaît comme étant
une entrave à la liberté d'action, le fait d'infliger un dommage à autrui est une
violation du droit à la sécurité qui appartient à chacun".
C'est ce droit à la sécurité qui est le véritablement fondement juridique de la
responsabilité pour risque. Ainsi, selon Starck le droit à la sécurité reconnu, tout
dommage non autorisé devient par là même un dommage illicite, une violation des
droits d'autrui. En somme, la responsabilité pour risque s'organise à partir de la
victime et de ses droits, tandis que la responsabilité pour faute s'organise à
partir de l'auteur du dommage. Le fondement des responsabilité pour risque,
qu'elles soient contractuelles ou extra-contractuelles, est donc une obligation de
sécurité.
Les débats doctrinaux autour des théories du risque nous ont révélés quels sont
les fondements de la responsabilité pour risque. Nous allons voir à présent
comment ces théories du risque ont été reçues par la jurisprudence et quelle est
leur influence dans le droit de la responsabilité.
b) Les réceptions jurisprudentielles : les régimes de responsabilité pour risque.
Bien que B. Starck, dans sa thèse, s'attache à démontrer l'influence des
théories du risque dans le droit de la responsabilité civile, il faut bien
reconnaître que la réception de ces théories est restée limitée dans le droit
privé. Starck cite les législations et jurisprudences civilistes relatives aux
accidents du travail (loi de 1898 en matière d'accidents du travail survenant
dans certaines industries progressivement étendue à des entreprises de plus en
plus nombreuses jusqu"à la loi du 1er juillet 1938 qui régit tout le droit du travail
et qui pose à la charge de l'employeur une obligation de sécurité notamment à
l'égard de ses salariés). Il cite aussi la législation et jurisprudence relative aux
accidents de la route et d'une manière plus générale les obligations des
transporteurs à l'égard des voyageurs telles qu'elles vont être redéfinies par la
jurisprudence en terme d'obligation de sécurité-résultat. Selon lui, l'ouvrier puis
le voyageur sont désormais titulaires d'une créance de sécurité. Cependant, il a
bien du mal à établir que le risque et la théorie de la garantie ont, en droit privé,
une influence comparable à celle de la responsabilité pour faute.
En revanche, les théories du risque ont eu une certaine influence en droit public,
plus particulièrement en droit administratif. C'est sur ces hypothèses de
responsabilité pour risque en droit administratif que nous allons nous pencher à
présent.
La responsabilité pour risque, en droit administratif, est d'origine
jurisprudentielle. Elle est fondée à la fois sur la notion de danger, le danger que
l'administration peut faire courir à ses administrés, et sur les notions de risque
et de préjudice "spécial et anormal".
* La condition de "dangerosité".
C'est le juge qui apprécie, souverainement, la dangerosité ou, au contraire
l'inocuité, d'une activité ou d'une intervention administrative donnant lieu à une
responsabilité sans faute. La doctrine a essayé d'ordonner les solutions
jurispudentielles en répertoriant trois catégorie de dangers: les choses, les
méthodes et les situations dangereuses. Ce classification doctrinale n'est que
partiellement satisfaisante car elle ne rend pas compte de la diversité
jurisprudentielle. En réalité, ce que le juge recherche, c'est l'existence d'un
danger imputable à l'administration pouvant être rattaché d'une façon ou d'une
autre au fait de l'administration.
La jurisprudence a ainsi établi une véritable liste de choses, de méthodes, de
situations, d'établissements dangereux dont l'existence ou l'utilisation fait
courir à la population un risque. Le contenu de cette liste est évidemment soumis
à un certain arbitraire, à une part d'appréciation discrétionnaire de la part du
juge. L'appréciation de la dangerosité, par le juge, est dès lors à la fois fine et
partiellement subjective.
• Ainsi, le Conseil d'Etat a admis, dans un arrêt de principe bien connu que les
munitions étaient des "engins dangereux" (C.E. 28 mars 1919, RegnaultDesroziers: explosion en 1918 d'un stock de munitions de guerre entreposées
dans un fort à la Courneuve), de même que les armes, notamment celles utilisées
par les services de police (C.E. Ass. 24 juin 1949, cons. Lecomte: patron de café
blessé, alors qu'il était assis devant son établissement, par un coup de feu tiré
par un gardien de la paix). Mais, en ce qui concerne les armes, seules les armes à
feu sont systématiquement considérées comme dangereuses, d'autres types
d'armes ne donnent pas lieu à l'application d'un régime de responsabilité pour
risque (Cf. C.E. 16 mars 1956, Epoux Domenech, à propos des grenades
lacrymogènes).
On trouve aussi, dans la jurisprudence administrative, l'application de la
responsabilité pour risque à des "établissements" ou "ouvrages publics"
dangereux, entre lesquels il faut cependant faire des distinctions. On applique
ainsi traditionnellement la théorie du risque à des ouvrages publics présentant
une certaine dangerosité. Pendant longtemps, ce sont les ouvrages de transport
et de distribution d'électricité, de gaz et d'eau qui ont constitués l'essentiels
des ouvrages publics dangereux depuis l'arrêt du C.E. du 25 janvier 1929,
Soc. du gaz de Beauvais (voir aussi C.E. 12 janvier 1934, Soc. des forces
motrices du Haut-Rhin). Le régime de responsabilité pour risque ne s'applique,
dans un tel cas de figure, qu'aux usagers de l'ouvrage ainsi qu'aux tiers, et non
aux agents. Une solution comparable a été étendue par le juge à des ouvrages qui
ne sont pas dangereux en eux-mêmes mais qui peuvent le devenir dans certaines
circonstances: ainsi une route nationale qui, dans le département de la Réunion,
longeait le pieds d'une falaise instable et sujette à des éboulements (C.E. 6
juillet 1973, Dalleau). L'application d'un régime de responsabilité pour risque à
une portion de route, qui relève en principe de la responsabilité pour faute
(défaut d'entretien normal de l'ouvrage public), reste cependant exceptionnelle.
Certains de ces ouvrages dangereux auxquels le juge applique un régime de
responsabilité pour risque, relèvent par ailleurs du régime des installations
classées. Il s'agit d'établissements dangereux, incommodes, incommodes,
insalubres ou nuisibles à l'environnement. De telles installations sont soumises à
un régime de police spéciale appartenant au préfet qui peut autoriser, refuser ou
retirer l'autorisation de les exploiter. Il s'agit dun régime législatif plusieurs
fois modifié (loi du 13 juillet 1992 et du 4 janvier 1993).
Le régime de responsabilité pour risque a aussi trouvé à s'appliquer à des
établissements dangereux d'un autre type et ceci depuis l'arrêt de principe:
C.E. 3 février 1956, Thouzellier.
En l'occurence, il s'agit d'une institution accueillant des jeunes délinquants
("Institution publique d'éducation surveillée"). En principe, la jurisprudence
applique à des établissements comparables, c'est-à-dire recevant des
populations présentant une certaine dangerosité, un régime de responsabilité
pour faute et exige même classiquement une "faute qualifiée" ("faute lourde") du
service public ou de ses agents. Ce du moins ce que la jurisprudence avait établi à
propos des dommages causés par des évadés d'hôpitaux psychiatriques ou
d'établissements pénitentiaires. Dans l'arrêt Thouzellier, le Conseil d'Etat
innove en admettant la responsabilité sans faute de l'administration pour le
cambriolage subi par le sieur Thouzellier et commis par deux pensionnaires en
fuite du centre. Le Conseil d'Etat fonde sa solution sur la motivation suivante:
"Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que, contrairement aux mentions
de l'arrêt attaqué, avis de la fuite des deux pupilles avaient été donné
immédiatement par la direction de l'établissement, tant aux brigades de
gendarmerie qu'aux parquets et aux commissaires de police intéressés; qu'il
n'est donc relevé à la charge de l'Administration aucune faute de nature à
engager la responsabilité de l'Etat; Mais considérant qu'il résulte de l'ensemble
des prescriptions de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance
délinquante, que le législateur a entendu mettre en œuvre, en ce domaine, des
méthodes nouvelles de rééducation, caractérisées par la substitution au régime
antérieur d'incarcération d'un système plus libéral d'internat surveillé; que
lesdistes méthodes créent lorsqu'elles sont utilisées dans ceux de ces
établissements d'éducation surveillée qui reçoivent des pensionnaires
appartenant à la catégorie de ceux qui sont envoyés à Aniane, un risque spécial
pour les tiers résidant dans le voisinage, lesquels ne bénéficient plus des
garanties qui résultaient des règles de disciplines anciennement en vigueur; qu'il
suit de là que la responsabilité du service public en raison des dommages causés
aux tiers dont s'agit par les pensionnaires de ces établissements ne saurait être
subordonnée à la preuve d'une faute commise par l'administration mais découle
des conditions même dans lesquelles fonctionne le service".
Le Conseil d'Etat utilise des précautions scripturales, mais on comprend fort
bien que ce n'est l'établissement qui est en lui-même dangereux mais plutôt les
personnes qu'il accueille.
De plus, le juge donne toujours un rôle secondaire et subsidiaire à la
responsabilité pour risque. Son premier réflexe est de rechercher la faute de
l'administration, qu'il s'agisse d'une faute simple ou lourde, prouvée ou
présumée. Ce n'est qu'à défaut, en l'absence de faute caractérisée que le juge
se tourne vers la responsabilité pour risque.
* Le préjudice spécial et anormal.
C'est cette condition qui fait de la responsabilité administrative pour risque un
mécanisme de garantie plutôt que de responsabilité. Elle révèle la volonté
d'indemnisation de l'administré-victime par le juge. On retrouve la même
exigence de préjudice spécial et anormal dans un régime de responsabilité voisin
de la responsabilité pour risque, la responsabilité pour rupture devant les
charges publiques. Il s'agit d'une condition qui vise à limiter l'étendue de la
responsabilité administrative et de l'indemnisation. Ne seront indemniser que les
victimes les plus touchées. C'est le juge qui apprécie discrétionnairement et in
concreto le caractère spécial et anormal du préjudice subi.
c) La gestion du risque et le principe de précaution.
Le principe de précaution qui était encore ignoré, il y a quelques années, a connu
une brusque popularité à la fin des années 90, notamment dans le cadre de
l'affaire de la vache folle. En fait, ce principe est apparu dans les années 70
dans le droit de l'environnement, plus particulièrement dans le droit allemand.
L'utilisation de ce principe est d'abord cantonnée à des questions spécifiques
(eau, air, …). Puis, il devient un des grands principes des politiques
d'environnement. Le champs du principe de précaution ne va plus cesser de
s'étendre. Il reçoit une première une large consécration internationale, en 1992,
lors du Sommet de la Terre réuni à Rio sous l'égide de l'ONU. Le principe
contribue alors à redéfinir les nouvelles relations des hommes entre eux et avec
la Terre, au côté d'autres principes tels que le principe de participation, de
coopération et de responsabilité: "Pour protéger l'environnement, des mesures
de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon leurs
capacités. En cas de risques d dommages graves ou irréversibles, l'absence de
certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à
plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de
l'environnement". Dans ce domaine de l'environnement, le principe de précaution
est lié à la notion de développement durable11.
Ainsi, dès les origines, la différence entre précaution, prévention et protection
est posée. Cette différence de fond réside principalement dans l'identification
des risques. En matière de protection ou de prévention, les pouvoirs publics
agissent pour la protection des populations contre des risques identifiables. Dans
le registre de la prévention, il s'agit de risques qui ne sont pas encore identifiés,
dont l'existence et la nature même sont incertaines. La précaution se situe en
amont de la prévention, même si la prévention est intégrée dans la précaution.
Ainsi qu'il est dit dans le rapport Kourilsky : « La distinction entre risque
potentiel et risque avéré fonde la distinction parallèle entre précaution et
prévention. La précaution est relative à des risques potentiels et la prévention à
des risques avérés ».
Les probabilité ne sont pas de même nature. Dans le cas de la précaution, il s'agit
de la probabilité que l'hypothèse soit exacte; dans le cas de la prévention, la
dangerosité est établie et il s'agit de la probabilité de l'accident. Le rapport
Kourisly emploie une formule particulièrement éclairante, il affirme en effet que
l'invocation du principe de précaution constitue un mode de théâtralisation des
risques: il s'agit de déterminer des stratégies d'action pour chacun des acteurs
sociaux mais les stratégies se déploient sur fond d'incertitude. La précaution
n'est pas une abstention d'agir mais plutôt une invitation à agir malgré les
incertitudes. La précaution qui vise à encadrer le plus précocement possible les
risques, présente elle aussi des risques:
- le risque de se livrer à une évaluation erronée des risques potentiels.
- le risque de choisir des mesures de précaution inadaptées.
Certains considèrent ainsi que la prudence est la source philosophique de la
précaution. Selon F. Ewald, le principe de précaution exprime une certaine
éthique et sa portée s'avère potentiellement très large puisqu'elle ne concerne
pas seulement les Etats et les gouvernants. Ewald se propose ainsi de "décrire la
philosophie qui l'inspirerait et à en faire une sorte de philosophie qui l'inspirerait
11
Le document de référence en la matière est le rapport Brundtland, réalisé en 1988 par la
Commission sur l'environnement et le développement constituée sous l'égide des Nations
Unies. Il s'agit de réflechir aux effets et conséquences des activités économiques sur
l'environnement naturel, notamment aux conséquences à long terme pour la planète et les
générations futures. On observe que la logique économique concourt à la destruction des
équilibres vitaux de la planète. Il s'agit dès lors de répondre aux besoins présents mais sans
compromettre l'avenir des peuples et des générations futurs. Le développement durable
exprime ainsi une certaine équité intergénérationelle. Le développement durable concerne
aussi bien les pays développés que les pays du tiers monde. Ainsi qu'il est dit dans le rapport
Brundtland: "le développement soutenable n'est pas un état d'équilibre, mais plutôt un
processus de changement institutionnel sont déterminés en fonction des besoins tant actuels
qu'à venir".
et à en faire une philosophie générale des obligations vis-à-vis du risque dans
notre société, une philosophie qui, dès lors, dépasserait la sphère des politiques
publiques pour concerner l'ensemble des décideurs, du grand industriel du
nucléaire jusqu'au plus humble citoyen. Dans cette extension, on ne parle plus du
principe de précaution, telle que la notion est visée par les textes, mais d'une
éthique de précaution qui devrait être l'affaire de tous…Il est clair que les
textes qui formulent le principe de précaution s'inspirent ou expriment une
éthique des rapports de l'homme et de l'environnement, au risque, à la vie".
Ewald résume la philosophie du principe de précaution par plusieurs caractères.
Ainsi, le principe de précaution est:
- un principe d'anticipation: la précaution a pour moteur une volonté de savoir;
elle veut, par la recherche et la connaissance, réduire la part d'incertitude qui
entoure certaines activités, certaines entreprises humaines. Au cœur du
principe, il y a pourtant un certain paradoxe: visant à réduire les risques, la
précaution peut aussi en produire d'autres.
- une sagesse planétaire: Ewald souligne ici la dimension internationale du
principe de précaution. Certains des risques que le principe de précaution vise à
prévenir ont une portée mondiale. Dès lors, c'est l'humanité toute entière qui
est concernée. Le principe de précaution, tel qu'il s'est développé dans le droit
de l'environnement, est d'ailleurs "une certaine manière d'habiter la Terre, de la
respecter, de respecter les autres et les générations futures". Ewald rappelle
que Hans Jonas est considéré par certains comme l'inspirateur du principe de
précaution qui serait résumé dans cette maxime du philosophe allemand: "agis de
façon à ce que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence
d'une vie authentiquement humaine sur Terre".
- un principe de gouvernement: société du risque (Ewald p. 41).
2 - La responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques.
• Ce régime de responsabilité a des fondements propres, distincts de la
responsabilité pour risque. Le principe d’égalité devant les charges publiques qui
lui confère son fondement affiché et sa cohérence juridique est un principe
important en droit administratif. Le principe d’égalité est d’ailleurs consacré,
dans ses différentes déclinaisons et sous la forme d’un principe général du droit,
applicable même en l’absence de texte, par la jurisprudence administrative. Il en
va ainsi du principe d’égalité devant la loi (C.E., Ass. 7 février 1960, Synd. Des
propriétaires de forêts de chênes-lièges d’Algérie, p. 74) ; du principe d’égalité
devant l’impôt (C.E. Ass. 22 février 1974, Association des maires de France, p.
136) ; du principe de l’égalité des citoyens devant la justice (C.E. Ass. 12 octobre
1979, Rassemblement des nouveaux avocats de France, p. 371) ; du principe de
l’égalité entre les usagers du service public (C.E. Ass. 25 juin 1948, Société du
Journal L’Aurore, p. 289) ; ou plus largement du principe d’égalité régissant le
fonctionnement des services publics (C.E. Sect. 9 mars 1951, Société des
concerts du conservatoire, p. 151).
• Le champ d’application de la responsabilité pour rupture de l’égalité devant les
charges publiques n’est pas le même que celui de la responsabilité pour risque. En
effet, la responsabilité pour rupture de l’égalité régit des situations dans
lesquelles le dommage n’a pas un caractère accidentel. Il ne s’agit pas de réparer
les conséquences de la réalisation d’un aléa. Il s’agit plutôt de dommages qui sont
la conséquences naturelle, presque inéluctable, de certaines situations ou de
certaines mesures administratives. Le préjudice à réparer concerne, en fait, une
catégorie d’administrés sacrifiés aux exigences et aux impératifs de l’intérêt
général. En somme, le préjudice découle de choix opérés par l’administration
visant à satisfaire une nécessité d’intérêt général mais qui affectent plus
particulièrement une catégorie de la population. Dans un souci d’équilibre et
d ‘équité, on considère que l’indemnisation est nécessaire. Loin d’être en faute,
l’administration remplit sa mission de façon légale et conforme aux principes
directeurs de l’action administrative.
C’est pourquoi ce qui justifie l’indemnisation en l’espèce, c’est la nature
particulière du préjudice. Selon la jurisprudence qui a inventé le régime, le
préjudice doit avoir deux caractères complémentaires : il doit être à la fois
spécial et anormal. L’exigence du préjudice spécial et anormal est commune aux
trois régimes de responsabilité qui constituent la responsabilité pour rupture de
l’égalité devant les charges publiques.
Un préjudice est spécial quand il n’atteint que certains membres de la
collectivité. C’est d’ailleurs en cela qu’il y a rupture de l’égalité devant les
charges publiques. Le préjudice est anormal en ce qu’il doit avoir une certaine
importance, une certaine gravité. Les administrés doivent, en effet, supporter
les inconvénients et les désagréments ordinaires de la vie sociale et des choix
publics.
• La responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques
recouvre ainsi trois cas de figures différents : la responsabilité pour dommages
permanents de travaux publics ; la responsabilité du fait des décisions
administratives régulières ; la responsabilité du fait des lois et des conventions
internationales.
a) La responsabilité pour dommages permanents de travaux.
Il faut entendre par « dommages permanents » de travaux publics des
dommages certes durables mais, surtout, des dommages qui sont la conséquence
inévitable de l’exécution de certains travaux publics ou de l’implantation de
certains ouvrages publics. Il est d’usage de les comparer au procédé civiliste des
inconvénients et troubles du voisinage.
Ce régime jurisprudentiel trouve de très nombreuses applications.
• Il s’applique ainsi dès lors que la construction d’un ouvrage public provoque des
troubles de jouissance dans les immeubles voisins ou entraîne une dépréciation
de leur valeur marchande. On peut citer à titre d’exemples : C.E. Sect. 1§
novembre 1962, EDF c. Faivre, p . 614 : gênes excédant les inconvénients
normaux du voisinage et résultant du fonctionnement d’une centrale thermique ;
C.E. Ass. 22 octobre 1971, Epoux Blandin, p. 631 : troubles de jouissance et
diminution de valeur d’une propriété du fait de la déviation d’une route à grand
trafic passant désormais à proximité de cette propriété.
• Il s’applique très souvent à l’égard de travaux de réfection de la voie publique
empêchant ou rendant plus difficile l’accès aux commerces. A titre d’exemple :
C.E. 8 novembre 1957, Société algérienne des automobiles Renault, p. 597 :
travaux de voirie ayant imposé la fermeture provisoire d’un magasin ; C.E. 20
novembre 1980, Mme Rodal : diminution de recettes résultant des travaux de
construction du métro de Lyon, les travaux ayant rendu l’accès à une chemiserie
particulièrement difficile pendant plusieurs mois.
b) La responsabilité du fait des décisions administratives régulières.
Ce régime s’applique aussi bien aux décisions à portée générales et
impersonnelles, c’est-à-dire aux règlements, qu’aux décisions individuelles. Il
s’agit là encore d’un régime jurisprudentiel.
• La responsabilité du fait d’un règlement administratif régulier.
Là encore, pour l’obligation d’indemniser à la charge de l’administration existe, il
faut que le préjudice subi par certains administrés soit spécial et anormal.
L’arrêt de principe en matière de règlement administratif résulte de la
jurisprudence Commune de Gavarnie : C.E. Sect. 22 février 1963, Commune de
Gavarnie, p. 113. Le maire prend un arrêté de police municipale pour réglementer
la circulation dans le chemin de montagne conduisant au cirque de Gavarnie.
Estimant le chemin trop étroit, il le réserve aux touristes utilisant des montures,
les piétons devant emprunter un autre itinéraire. Sur le chemin ainsi réglementé,
se trouve une boutique de souvenir qui voit, du fait de cette réglementation,
baisser sa fréquentation et son chiffre d’affaires. Le commerçant subit de ce
fait un préjudice spécial et anormal qui lui ouvre droit à indemnité.
• La responsabilité du fait d’une décision individuelle.
L’arrêt de principe en la matière est assez ancien : C.E. 30 novembre 1923,
Couitéas.
Le sieur Couitéas revendiquait la propriété d’un domaine de 38.000 hectares en
Tunisie. Il souhaitait également obtenir l’expulsion des populations autochtones
(environ 8.000 personnes) qui l’occupaient. Il obtient d’un tribunal civil la
reconnaissance de ses droits de propriété et un titre d’expulsion des occupants.
Couitéas demande alors aux autorités françaises de procéder à l’exécution dudit
jugement. Le gouvernement français, craignant les troubles à l’ordre public
qu’occasionnerait une expulsion considérée comme une spoliation par la population
locale, refuse le concours de la force publique. Cette décision administrative de
refus est légale car elle s’appuie sur des considérations d’ordre public tout à fait
justifiées. Mais, d’un autre côté, elle s’avère préjudiciable à l’égard de Couitéas.
Il s’agit, de plus, d’un préjudice durable. Le Conseil d’Etat considère que les
conditions de spécialité et d’anormalité du préjudice sont réunies et fait
application du régime de responsabilité pour rupture de l’égalité devant les
charges publiques.
La même solution a été appliquée à des cas d’espèce différents. Ainsi, dans
l’arrêt C.E. Ass. 3 juin 1938, Société Cartonnerie Saint-Charles, p.
529 :Application aux bénéficiaires d’un jugement prescrivant l’expulsion de
grévistes occupant des lieux de travail et ayant essuyé un refus du préfet
d’apporter le concours de la force publique. La même solution s’applique aux
occupants sans titre d’un logement.
c) La responsabilité du fait des lois et des conventions internationales.
Il faut envisager la responsabilité du fait des lois d’abord telle qu’elle a été
organisée par le juge administratif français. Ensuite, il faut également tenir
compte des possibilités d’engager la responsabilité du législateur française
devant des juridictions supra-nationales telles que la CJCE ou la CEDH.
• La responsabilité du fait des lois devant le juge administratif français.
La responsabilité du fait des lois est telle que la jurisprudence l’a organisée, une
responsabilité sans faute fondée sur le principe de l’égalité de tous devant les
charges publiques. C’est là une caractéristique propre de cette responsabilité
car la responsabilité du fait des règlements peut aussi bien être la conséquence
de leur irrégularité que fondée sur ce le principe de responsabilité devant les
charges publiques. De plus, cette responsabilité du fait des lois se distingue des
autres responsabilités pour rupture de l’égalité devant les charges publiques car
il dépend de la volonté du législateur, c’est-à-dire de la volonté même de l’auteur
du dommage, que l’Etat puisse être responsable des préjudices résultant de
l’application des lois (ou des conventions internationales). La loi (ou les
conventions internationales) peuvent organiser les conditions d’engagement de la
responsabilité de l’Etat ou, au contraire, les conditions de son exonération. Le
juge administratif ne peut, compte tenu du rang hiérarchique de ces textes, que
s’incliner devant des dispositions exonérant l’Etat de sa responsabilité et qu’il
pourrait, selon le droit commun, encourir.
*C.E. Ass. 14 janvier 1938, S.A des produits laitiers « La Fleurette »,
Rec. 25.
Par cet arrêt, le C.E. revient sur le principe jurisprudentiel antérieur (C.E. 1838,
Duchâtelet), consacrant l’irresponsabilité totale de l’Etat législateur. Cette
solution était conhérente à une époque où dominait le principe d’irresponsabilité
de l’Etat, fondé sur l’idée que la Puissance Publique , agissant au nom de l’intérêt
général, n’a pas à réparer les dommages qu’elle cause. Dans l’affaire de 1938, il
s’agissait d’une société productrice de produits laitiers qui, à la suite du vote
d’une loi du 9 juin 1934 interdisant la fabrication de certains produits non
exclusivement dérivés du lait, avait été obligé d’interrompre la fabrication de
l’un de ces produits dénommé « gradine ».
Le Conseil d’Etat interprète la volonté du législateur comme n’ayant pas voulu
faire supporter au rrequérant la charge qu’il a créée. Il accorde donc une
indemnité en invoquant l’entorse faite au principe de l’égalité de tous devant les
charges publiques. La charge subie par la Société La Fleurette est si grave, si
importante (la Société est obligée de cesser son activité), si particulière (elle
est la seule société concernée par la loi) qu’elle constitue une atteinte au principe
de l’égalité devant les charges publiques. Cette charge doit donc être prise en
charge par la collectivité.
Le préjudice causé par les dispositions législatives peut donc donner doit à
réparation même dans le silence des textes, lorsque le préjudice subi par les
victimes est spécial et anormal, lorsqu’il apparaît que le législateur ne souhaitait
pas faire supporter ce préjudice et lorsque l’activité des victimes n’est ni
répréhensible, ni contraire aux bonnes mœurs. Le préjudice n’est indemnisable
que s’il a un caractère direct et certain (conditions de droit commun) et s’il est
spécial et anormalement grave.
*C.E. Ass. 30 mars 1966, Cie générale d’énergie radio-électrique, Rec.
257. (extension de jurisprudence La Fleurette aux conventions internationales).
La Cie générale d’énergie radio-électrique, propriétaire de locaux et
d’installations de radio-diffusion réquisitionnés par les allemands pendant
l’Occupation, demanda après la guerre, à l’Etat français, une indemnisation en
réparation du préjudice causé par cette réquisition. N’ayant pas obtenu
satisfaction, elle intente une action devant les juridictions administratives
auprès desquelles elle invoque plusieurs moyens notamment le moyen tiré de la
violation de la Convention de La Haye de 1907 relative aux coutumes de guerre
et prévoyant que, si la réquisition des moyens de transmission des nouvelles est
possible, elle doit être compensée par une indemnisation lors du retour à la paix.
Le Conseil d’Etat décida que : « La responsabilité de l’Etat est susceptible d’être
engagée, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques,
pour assurer la réparation des préjudices nés de conventions conclues par la
France avec d’autres Etats et incorporés régulièrement dans l’ordre juridique
interne, à la condition d’une part que ni la convention elle-même, ni la loi qui en a
éventuellement autorisée la ratification ne puissent être interprétées comme
ayant entendu exclure toute indemnisation et d’autre part que le préjudice dont
il est demandé une réparation soit d’une gravité suffisante et présente un
caractère spécial ».
• Aujourd’hui, dans le débat juridique sur la responsabilité du fait des lois, une
nouvelle question se pose. On se demande en effet si la responsabilité de l’Etat
du fait des lois a vocation à demeurer exclusivement une responsabilité sans
faute ou si elle peut évoluer vers une responsabilité pour faute. Cette
interrogation est née du contrôle de conventionnalité des lois pleinement
effectué par le juge administratif depuis la jurisprudence Nicolo. On peut se
demander en effet si l’incompatibilité d’une loi par rapport à une norme
supérieure ne révèle pas une faute de la part du législateur susceptible
d’engager la responsabilité de l’Etat.
Voir en ce sens : C.A.A. Paris, 1er juillet 1992, Soc. Jacques Dangeville,
AJDA 1992, p. 768 : une disposition législative incompatible avec les objectifs
d’une directive communautaire ayant été appliquée (faute de transposition de
ladite directive), l’Etat est condamné à réparer le préjudice résultant de la
situation illicite créée par la non-transposition de la directive. Solution de la
Cour d’appel infirmée, non sur le fond mais pour des raisons procédurales, par le
Conseil d’Etat : C.E. Ass. 30 octobre 1996, Soc. Jacques Dangeville, AJDA
1996, p. 980.
De fait, devant certaines juridictions supra-nationales, telles que la CJCE ou la
CEDH, la responsabilité de l’Etat du fait du législateur, est une responsabilité
pour faute fondée sur le manquement au regard du droit communautaire ou la
violation des droits consacrés par la Convention européenne des droits de
l’homme.
ACTUALISATION : VOIR C.E., 8 février 2007, Gardedieu.
VOIR FICHE ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE.
*La responsabilité du fait des lois devant la CJCE.
La procédure de recours en manquement confère à la Cour de Justice des
Communautés le pouvoir de statuer en dernier ressort pour constater qu’un Etat
membre a manqué à des obligations lui incombant en vertu du droit
communautaire. Ceci inclut notamment l’obligation pour l’Etat d’adapter sa
législation pour la rendre compatible avec le droit communautaire originaire ou
dérivé. Le manquement peut résulter d’un acte juridique interne violant le droit
communautaire, d’une abstention ou d’un refus de prendre les mesures juridiques
requises.
*La responsabilité de l’Etat devant la Cour européenne des droits de
l’homme.
Ce mécanisme juridictionnel permet de garantir le respect et l’effectivité de la
Convention européenne des droits de l’homme et peut aboutir à la constatation
d’un manquement par la Cour et la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice
causé du fait de ce manquement. Ce manquement peut résulter, par exemple,
d’une législation non conforme aux dispositions de la CEDH.
II. LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DES AGENTS PUBLICS.
En premier lieu, il nous faut ici définir la responsabilité pénale afin de la
distinguer de la responsabilité administrative. La principale différence entre ces
deux régimes tient à leur finalité respective. La responsabilité pénale est un
régime répressif tandis que , comme nous l’avons vu, la responsabilité
administrative est un régime réparatoire. Parce qu’elle est répressive, la
responsabilité pénale recouvre un enjeu particulièrement grave. Le plus souvent,
elle met en cause l’honneur, la liberté voire même la place dans la société de la
personne mise en cause. Elle peut donc porter gravement atteinte aux droits et
libertés. Pour cette raison, elle doit obéir à des principes de fond, des règles de
procédures relativement strictes visant à encadrer, autant que possible, les
éventuelles dérives ou abus de pouvoir. On ne peut étudier les mécanismes de la
responsabilité pénale sans connaître quelques uns de ces principes. Enfin, si l’on
est conduit à parler de la responsabilité pénale dans un cours consacré à la
responsabilité administrative c’est en raison d’un phénomène relativement
récent. Ces dernières années, on a pu constater que ce régime de responsabilité
prenait une place de plus en plus grande dans la vie publique. Des élus, des
fonctionnaires ont vu leur responsabilité personnelle mise en cause devant les
juridictions pénales, poursuivis, parfois condamnés, pour des actes extérieurs à
leurs fonctions ou, plus surprenant encore, pour des actes commis dans l’exercice
de leurs fonctions.
On ne peut véritablement comprendre les mécanismes de la responsabilité pénale
si l’on ignore les principes qui fondent le droit pénal (A). De plus, du point de vue
de son évolution contemporaine, on observe ces dernières années une montée en
puissance de la responsabilité pénale ; certains ont pu parler d’une véritable
pénalisation de la vie publique qui affectent les élus et les agents publics, au
niveau national comme au niveau local (B).
A – LES GRANDS PRINCIPES DU DROIT PÉNAL.
Ces principes concernent à la fois des règles de forme et de procédures ainsi que
des règles de fond.
1 - La compétence du législateur.
La matière pénale est essentiellement réservée au législateur, le pouvoir
réglementaire n’ayant dans ce domaine que des compétences limitées. En effet,
l’intervention de la loi apparaît comme une garantie des droits du citoyen. Deux
adages du droit pénal expriment le principe de la compétence législative :
« Nullum crime sine lege » et « nulla poena sine lege ». Il s’agit du principe de
légalité des délits et des peines. Cela signifie que les comportements pénales
répréhensibles (infractions pénales) ainsi que les peines susceptibles d’être
infligées au titre des sanctions pénales doivent être déterminées par la loi,
préalablement à la survenance du comportement répréhensible (non rétroactivité
de la loi pénale, sauf rétroactivité in mitius, c’est-à-dire loi pénale plus douce). Le
pouvoir réglementaire dispose néanmoins de compétence dans le domaine des
contraventions. Pour le reste, le pouvoir réglementaire et le pouvoir judiciaire ne
font qu’individualiser la qualification des comportements répréhensibles et
l’application de la peine. Les magistrats ont néanmoins un pouvoir d’interprétation
dans les opérations de qualification juridique des faits et d’individualisation de la
sanction.
2 - La politique pénale.
La justice pénale est une compétence exclusive de l’Etat. Les poursuites pénales
sont engagées, les condamnations pénales sont prononcées au nom de l’Etat et de
la société et non pas au nom des victimes ou de leurs proches. La responsabilité
pénale vise à faire cesser un trouble à l’ordre public et social. Les choix
répressifs sont donc des choix politiques. C’est la raison pour laquelle on peut
parler de politique pénale. La politique criminelle d’un Etat varie en fonction du
contexte politique, social, elle peut être de nature différente en fonction des
régimes, plus ou moins libérale, plus ou moins autoritaire. La politique pénale peut
donc être définie comme l’ensemble des moyens utilisés dans la lutte contre la
criminalité.
3 - La procédure pénale.
Elle obéit à des règles particulièrement strictes. Pour comprendre les
mécanismes et la logique générale de la procédure pénale, il faut comprendre que
ces règles pénales sont sous-tendues par des choix de politique pénale variables
en fonction du contexte politique. Il faut aussi savoir que les poursuites pénales
sont engagées, que les condamnations pénales sont prononcées au nom de l’Etat
et de la société et non pas au nom des victimes ou de leurs proches. C’est ce qui
explique que le ministère public, représentant de l’Etat ait l’opportunité des
poursuites pénales.
De ce point de vue, il faut d’ailleurs distinguer l’action publique et l’action civile.
L’action publique consiste dans la répression de l’infraction et la protection de
l’ordre public. Elle est mise en mouvement et exercée par les magistrats et les
fonctionnaires désignés par la loi. La réparation du dommage subi par la victime
est appelée « action civile ». Elle appartient à tous ceux qui ont personnellement
souffert du dommage directement causé par l’infraction. Elle peut être exercée,
au choix de la victime, soit en même temps que l’action publique devant les
juridictions répressives, soit séparément de l’action publique devant les
juridictions civiles. Dans le cadre de la procédure pénale, la constitution de
partie civile correspond à l’acte par lequel une victime annonce au tribunal et à
l’auteur du dommage qu’elle va en demander réparation.
Il existe, en matière pénale, deux systèmes procéduraux distincts, hérités de
traditions juridiques différentes : la procédure accusatoire et la procédure
inquisitoire. La procédure accusatoire et plus connue car elle est
traditionnellement utilisée dans les pays anglo-saxons. C’est donc la procédure
que toutes les séries américaines mettent en scène. La France est, quant à elle
et pour des raisons historiques, fidèle à la tradition inquisitoire. Plusieurs
caractères marquent la procédure inquisitoire. En premier lieu, l’initiative des
poursuites est laissée à un magistrat professionnel : le ministère public. La
victime et le tiers ne jouent qu’un rôle secondaire dans la mise en mouvement des
poursuites (dans le système accusatoire, le particulier peut mettre en
mouvement l’action publique et conduire le procès ; dans la procédure
accusatoire, l’accusateur et l’accusé sont d’ailleurs placés sur un pieds d’égalité ;
il n’y a pas véritablement d’accusateur public). En second lieu, la procédure
inquisitoire est secrète, écrite et non contradictoire (tandis que la procédure
accusatoire est plutôt orale, publique et contradictoire), Enfin, dans la
procédure inquisitoire, l’administration de la preuve est étroitement
réglementée. L’aveu demeure, dans un tel système, la « reine des preuves ».
• L’instruction.
Dans la procédure pénale, l’instruction est la phase qui précède, le cas échéant, la
mise en examen. Elle est principalement assurée par le juge d’instruction, juge du
TGI. Le juge d’instruction a des pouvoirs très importants qui ont été quelque peu
restreints par la loi du 15 juin 2000. Cette loi a en effet créé le juge des
libertés qui statue sur la mise en détention provisoire. Le juge d’instruction est
un juge du siège qui bénéficie par conséquent des garanties de ce statut : il est
irrévocable et inamovible. Le juge d’instruction est à la fois un agent
d’information chargé de rechercher des preuves et une juridiction d’instruction
qui statue par voie d’ordonnance.
Le juge d’instruction peut mettre fin à l’information judiciaire par une décision
de non-lieu ou par une décision de renvoi qui saisit la juridiction compétente
(tribunal correctionnel ou cour d’assise suivant la qualification retenue). Selon un
vieux principe bien connu, le juge d’instruction se doit d’instruire à charge et à
décharge, il doit respecter les droits de la défense.
Le contrôle des actes d’instruction est accompli par l’intervention des parties,
par le Président de la Chambre d’instruction et par la Chambre d’instruction. La
Chambre d’instruction est en effet saisie des appels effectués à l’encontre des
ordonnances rendues par le juge (la chambre d’instruction remplace l’ancienne
chambre d’accusation depuis la loi du 15 juin 2000 qui a créé un appel contre les
décisions de cour d’assise.
La mise en accusation se fait par une ordonnance de renvoi devant la cour
d’assise prise par le juge d’instruction. Un appel de cette ordonnance reste
possible devant la chambre d’instruction.
La chambre d’instruction est une chambre spéciale de la Cour d’appel. Le
président est désigné par décret après avis du CSM ; il est assisté de deux
conseillers à la Cour.
La cour d’assise est la juridiction des crimes : elle siège par sessions. Elle est
composée de 3 magistrats professionnels (un président et 2 assesseurs) ; d’un
jury composé de 9 citoyens ; du ministère public, en l’occurrence un membre du
Parquet général près la Cour d’Appel.
• La prescription de l’action publique.
Les poursuites pénales (action publique) ne peuvent plus être exercées au terme
d’un délai de prescription qui court, en principe à compter du jour de l’infraction
(il existe cependant des prorogations, des suspensions du point de départ de la
prescription : cf. responsabilité pénale du Chef de l’Etat ; C.Cass. Ass. Plén. 10
octobre 2001 ; décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 relative au
traité portant statut de la CPI).
4 - Les infractions pénales.
Elles sont classées, suivant leur gravité, en crimes, délits et contraventions.
Cette classification commande à la fois le droit pénal et la procédure pénale. En
matière de crime, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter
du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n’a été fait aucun acte
d’instruction ou de poursuite. En matière de délit, la prescription de l’action
publique est de trois années révolues. En matière de contravention, la
prescription de l’action publique est d’une année révolue.
Une infraction pénale est constituée par trois éléments : l’élément légal,
l’élément matériel et l’élément moral (intentionnel). L’élément légal : un
comportement ne peut être sanctionné par le juge que lorsque le législateur l’a
visé dans un texte (principe de légalité des délits et des peines) ; l’élément
matériel : le droit pénal intervient lorsque s’est produit un agissement matériel.
La tentative est cependant punissable à condition qu’un commencement
d’exécution soit constitué et que la réalisation de l’infraction ait été interrompue
par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur ; l’élément moral ou
intentionnel : il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas d’imprudence, de négligence
ou de manquement à une obligation préalable de sécurité prévue par la loi ou le
règlement, de mise en danger délibérée de la vie d’autrui.
B – LA PÉNALISATION DE LA VIE PUBLIQUE.
Ce phénomène qui consiste, pour le justiciable à rechercher plus
systématiquement la responsabilité pénale des auteurs de préjudice, touche
aussi bien des élus que les agents publics et tout autant l’Etat que les
collectivités locales. Il faut d’abord distinguer les personnes susceptibles
d’engager leur responsabilité pénale puis préciser les fondements de ces
poursuites pénales.
1 - Les personnes pénalement responsables.
La responsabilité pénale concerne d’abord et surtout les personnes physiques, les
individus. La faute pénale est d’abord et avant tout une faute personnelle, celle
commise par un individu identifiable. Le droit pénal moderne ignore la
responsabilité collective. C’est pourquoi la responsabilité pénale d’une entité
collective peut, au premier abord, apparaître comme une aberration juridique.
Pourtant, depuis la réforme du code pénal en 1994, il existe des dispositions
relatives à la responsabilité pénale des personnes morales : cf. article 121.2 du
NCP. Il prévoit la responsabilité des personnes morales de droit privé et de droit
public, à l’exclusion de l’Etat. Ce régime s’applique de façon limitée aux
collectivités locales et aux établissements publics, ces limitations concernant
apparemment les activités « régaliennes », puisque seules les activités pouvant
faire l’objet d’une délégation de service public peuvent engager la responsabilité
pénale d’une collectivité locale ou d’un établissement public.
Art.
121.2 NCP : « Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont
responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121.4 à 121.7 et dans
les cas prévus par la loi ou le règlement, des infractions commises, pour leur
compte, par leurs organes ou représentants.
Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont
responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités
susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public.
La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes
physiques auteurs ou complices des mêmes faits ».
2 - Fondements des poursuites pénales.
Il s’agit des articles 121.3 NCP; art. L.223.1 NCP (mise en danger de la vie
d’autrui) ; art. L. 221.6 à L. 222.19.
Art. 121.3 : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée
de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas
d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou
de sécurité prévue par la loi ou les règlements sauf si l’auteur des faits a
accompli les diligences normales compte, le cas échéant, de la nature de ses
missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des
moyens dont il disposait ».
(issu de la rédaction de la loi du 16 mai 1996).
Dans NCP, Partie législative, Livre II, Titre II, Chapitre III Mise en danger de
la personne :
Art. 223.1 : « Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort
ou de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente
par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité
ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an
d’emprisonnement et de 100.000 F d’amendes ».
Art.221.6 : « Le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention,
négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée
par la loi ou les règlements, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire
puni de trois ans d’emprisonnement et de 300.000 F d’amende.
En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence
imposée par la loi ou les règlements, les peines encourues sont portées à cinq ans
d’emprisonnement ».
Art. 222.19: « Le fait de causer à autrui, par maladresse, imprudence,
inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de
prudence imposée par la loi ou les règlements, une incapacité totale de travail
pendant plus de trois mois est puni de deux ans d’emprisonnement et de 20.000 F
d’amende.
En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence
imposée par la loi ou les règlements, les peines encourrues sont portées à trois
ans d’emprisonnement et de 300.000 F. d’amende ».
Face à la multiplication des poursuites pénales, le législateur est intervenu par
deux fois : cf. la loi du 16 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des
faits d’imprudence et la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des
délits non intentionnels. Cette deuxième loi introduit la notion de faute
caractérisée qui est une notion intermédiaire entre la faute simple et la faute
délibérée. Il s’agit toujours d’une faute non intentionnelle mais d’une défaillance
particulièrement inadmissible. Il s’agit de ne pénaliser que les fautes les plus
graves. De plus, la loi met fin à l’unité de la faute civile et de la faute pénale en
disposant que l’absence de faute pénale ne fait pas obstacle à une action au civil
sur le fondement de l’article 1382.
3 - Exemples jurisprudentiels.
• C.Cass. 30 septembre 1998 Consorts Antunes :
Un skieur est victime d’un accident mortel de ski à Superbagnères après une
chute dans un ravin en raison de l’absence de signalisation et même de tout
balisage de la piste, pourtant ouverte au public. La station qui occupe le
territoire de trois communes, est exploitée par un syndicat intercommunal. Tous
ceux qui ont concouru à l’ouverture prématurée de la station , alors que les
équipements de sécurité n’étaient pas mis en place, ont été poursuivis pour
homicide involontaire. Ils ont été condamnés à l’exception du pisteur.
•Cass. Crim. 24 juin 1997, affaire Furiani ; Trib. Correctionnel de Toulouse, 19
février 1997, affaire des Thermes de Barbotan.
***
Sujet 1
LA RESPONSABILITÉ DES GOUVERNANTS.
1) Définition/ Délimitation.
Le sujet suppose, bien sûr, que l’on définisse la notion de gouvernants. Au sens
restreint, il s’agit des pouvoirs constitués et plus particulièrement des membres
du gouvernement, du pouvoir exécutif. Cette définition stricte s’appuie sur la
cadre constitutionnel de 1958 qui fait une place particulière à la responsabilité
des titulaires du pouvoir exécutif. Ainsi, l’article 68 de la Constitution précise
les conditions de mise en œuvre de la responsabilité du chef de l’Etat, tandis que
le titre X précise celles des membres du gouvernement.
La formulation très large du sujet invite à s’interroger sur les formes de
responsabilités des gouvernants et leurs modalités de mise en œuvre. On doit
alors s’interroger sur l’articulation entre la responsabilité politique et les formes
juridiques de responsabilité, tout particulièrement la responsabilité pénale.
2) Actualité :
L’actualité du sujet réside dans certains éléments de fait qui sont venus
questionner, ces dernières années, l’état du droit et des solutions juridiques. On
fait référence à des affaires politico-financières ainsi qu’aux « grands
scandales » sanitaires, au premier rang desquels figure l’affaire du sang
contaminée. Ces affaires ont entraîné, directement ou indirectement, un
changement de l’état du droit, à la fois du cadre constitutionnel et de la
jurisprudence.
3) Problématique :
Compte tenu de ces différents éléments, une problématique simple émerge : elle
consistera à démontrer que la responsabilité des gouvernants passe, souvent, par
la voie pénale. Cette pénalisation de la responsabilité des gouvernants serait,
selon certains, la conséquence des défaillances de la responsabilité politique.
Plan :
I. La pénalisation de la responsabilité des gouvernants.
A. Criminalité et exercice des fonctions politiques.
1. Criminalité de fonction ou criminalité dans l’exercice des fonctions.
2. Responsabilité pénale individuelle et responsabilité administrative collective.
B. L’aménagement du cadre constitutionnel
1. Les interprétations jurisprudentielles.
2. Les réformes constitutionnelles.
II. Les défaillances de la responsabilité politique.
A. L’introuvable mise en cause de la responsabilité politique de l’exécutif.
1. L’irresponsabilité politique du chef de l’Etat.
2. L’irresponsabilité politique du gouvernement.
(responsabilité individuelle des ministres devant le chef de l’Etat ;
irresponsabilité
collective
devant
l’Assemblée :
l’affaiblissement
du
parlementarisme).
B. La Cinquième République, entre présidentialisme et parlementarisme.
1. Les spécificités françaises :
a. L’expérience de la cohabitation.
b. La réforme du quinquennat.
1. Les exemples étrangers.
a) USA : l’impeachment.
b) LA GB.