Remarques sur une description du duel judiciaire
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Remarques sur une description du duel judiciaire
1 Remarques sur une description du duel judiciaire dans la Br. VI du Roman de Renart FUKUMOTO Naoyuki Nous savons bien que, comme procede judiciaire au moyen age, l'ordalie et le duel etaient communement admis chez les peuples chretiens d'Europe. Le duel ou le combat judiciaire , appele aussi le gage de bataille ou la monomachie, etait d'apres GUIZOT«les seules garanties auxquelles on ait confiance, et qu'on les institue, qu'on les regle avec soin, parce qu'on y a plus souvent recours...»' La justice du moyen age ayant souvent recours a ce procede, on pourrait presque dire qu'au moyen age dans une certaine mesure le jugement n'etait rien d'autre que le duel.' Par consequent on rencontre le duel judiciaire dans nos ceuvres litteraires ou it y a une scene de jugement; personne n'hesitait a l'accepter volontiers, meme les femmes et les ecclesiastiques.3 Il y a déjà longtemps que les historiens ou les litteraires ont aborde sous divers aspects cette coutume comme sujet de leurs etudes; les exemples abondent dans les «Recueils» de la Societe Jean BODIN.4 Dans les branches du Roman de Renart le sujet est adopte par les auteurs des branches VI, XIII et XVII de l'edition MARTIN.Certains de nos collegues y ont déjà apporte a juste titre beaucoup d'attentions.5 Par exemple, MmeNIEBOER,a la fin de son excellent article,6 propose la necessite d'une analyse plus detaillee et l'etude comparative des resultats obtenus dans les branches avec d'autres tels qu'ils figurent dans d'autres domaines litteraires. Fort de cette proposition, nous voudrions rapporter dans cet article une petite observation comparative des descriptions du combat dans la Br. VI du Roman de Renart avec celle qui est rapportee dans certaines chroniques du quinzieme siècle. Et si possible, nous voudrions aussi ajouter quelques commentaires sur Faeces du texte afin d'eclaircir les caracteristiques de cette branche. Commengons par la comparaison des deux textes dont la datation differe de deux cent cinquante ans; la Br. VI de Renart date de 1190,' et l'autre est un rapport d'un incident qui s'est passé en 1455. Cet incident, c'est le duel judiciaire qui a eu lieu entre deux roturiers, l'un Mahiot Cocquiel, accuse d'assassinat et l'autre Jacotin Plouvier, parent de la victime, le 20 mai 1455 a Valenciennes (Nord), qui en ce moment-la faisait partie du duche de Bourgogne. Cette affaire a tant attire l'attention des chroniqueurs de l'epoque tels que Georges CHASTELLAIN, Mathieu d'EscoucHY, Olivier de LA MARCHE,mais c'est surtout la citation par J. HUIZINGA qui nous l'a rendue familiere.8 2 Examinons de pres: pour le stade preparatif d'avant le combat, it n'est rien d'etonnant de trouver une mention analogue dans les deux textes. Car 1' auteur de la Br. VI elabore avec tant de precisions l'actualite, en se conformant aux usages de son temps ou le combat judiciaire se trouvait a son apogee.' La vraisemblance d'une description du duel dans la Br. VI est telle que L. FOULETI'approuve: «C'est aussi que, dans ce duel d'un goupil et d'un loup, on observe religieusement toutes les formalites que prescrivait, pour un combat singulier, la justice medievale. Il y a a s'instruire dans tout cela, et un historien verrait peut-etre dans tout le developpement un document point meprisable.»'0 Par contre les annalistes du quinzieme siècle laissent une description fidele des scenes deroulees devant leurs yeux, ou l'on avait fait le grand effort de copier minutieusement les coutumes et ceremonies du temps jadis. Voici ce qu'on doit faire avant de se battre: I Avant le combat gage (vv. 1043-46) Por combatre son gage tent Ysengrin, et li rois le prent; Renart apres le son tendi, Si que li rois bien I'entendi. ... et jettant son gage (Jacotin) promist de le (=Mahienot) monstrer et faire bon de son corps. Sy fut leve le gage et les deux personnes furent mises en arrest et en main de justice pour en decider au droit de chascun. (G) p. 42 ... (J) jetta ung petit de gaige devant ledit Mahiot, disant... que sur ceste querelle le combatteroit. Ausquelles parolles ledit Mahiot rendit response, ... se receut et leva ledit gaige. (M) p. 299-300 habillementlarmement(vv. 111 Cote a guise et armeure, Escu et bone afeutreure, Chauces et jambieres bien fetes Qu'il a entor ses jambes traites. cautele Bien fu armez au jor du plet. Renart qui a maint escharniz Ne refu mie decgarniz; Assez avoit de bons amis Qui de lui se sont entremis. Escu bien fet a sa maniere Et conmande que l'en li quiere; .I. en ont quis qui fu toz jaunes. En sa cote n' of pas AII. aunes; N'ot chauce ne fust gambaisie. Qui mout estoit bone en plevine En li fu mout bien emploiez; De corroies fu bien liez, De chief en autre bien en tret; Issi armez a la cort vet. et agu devant, (G) p. 38 ... et par ladicte sentence fut ordonne: que chascun d'eulx averoit les cheveux couaoez tous ius, vestus coustez, et depuis lesdis coustez le remanant estre tout nud; et iceux palletos venans par dessoubz jusques ung petit plus bas que ne seroit ung pourpoint et une chausse, qui yroient jusques ung petit dessoubz le genouil, et le residu, aveuc les piez, demourroit nud; et ayant chascun en leur poing ung baston de mellier, de la longueur d'une aulne, ou ung you moins, bien nouteilleux, et en l'autre poing avernient chascun ung escu de bois. lesdis bastons et longueur, sauf qu'ilz pooient faire chascun sur son escu telle painture de saints ou sainctes que bon leur sambleroit. (M) p. 300-01 3 texte de la Br. VI" Renart ne fu pas esperduz; Haut fu reoinniez et tonduz, Et col et barbe se fist rere Por le despit de son compere. Ysengrin l'ot en grant despit, Et sa force prisa petit, Ainz n'i daingna oster chevol. 3) serment (vv. 1316-67) Li rois apele .I. chapelain, Mon seignor Belin le mouton, Que sages est, point n'en douton. Cil aporte le saintuaire Sor quoi durent serement faire. Mout fu li rois de grant justice, Du serement fait la devise. Dant Brichemer et Brun li ors, Que I'en tenoit as .II. meillors, Deviserent le serement Oiant trestoz apertement. «Seignors, fait il, or entendez; Se je di mal, si m'amendez. Renart jurra premierement Et metra en son serement Qu'a Ysengrin n'en a tort fait, textes Les champions estoient semblables d'abillemens: ilz avoient les testes raises, les piedz nuz, et les ongles coppez des mains et des piedz; et au regard du corps, des jambes et des bras, ilz estoient vestuz de cuyr bouilly, cousu estroictement sur leurs personnes, et avoient chascun une bannerolle ... Et tantost leur fut apporte a chascun ung escu peint vermeil, a une croix de Sainct George; ... Item, leur furent bailiez deux bastons de mesplier, d'ung poix et d'une grandeur; ... (0) p. 404-05 Droit-la assis donques, fut apporte un missel et, icelui ouvert a l'endroit de l'evangile, le vint-on presenter a Jacotin pour jurer dessus, et Jacotin jura avoir bonne et le baisa. Baise la terre, si se dresce; querelle, Donc, tenant la main ce fait, on touma sur l'evangile, vers Mahienot qui pareillement jura et dist que l'autre estoit un faux mauvais menteur, et cela lui feroit congnoistre, et baisant le livre devint mort comme cendre et changea de couleur. (G) p. 46 et tantost entrarent ce lx de 1a lnv commis qui portoient qui portoient ung ung grant grant missel; missel; et et !'ung contre l'aultre, assavoir avoit tue son homme de beau Plouvier jura le contraire. (0) Mahienot, «Renart, faites le sairement, Ci oiant nos apertement.» Renart s'agenoille en la place, Mout s'apareille et se rebrace, Desus les sains estent sa main, Si a jure par saint Germain Et par les sains que illuec voit Que de cel plet nul tort n' avoit; Les sains besa et puis se lieve. A Ysengrin durement grieve Que it fet acroire por voir La menconge sor le savoir; A tant se rest a genouz mis. Dist Brichemer: «Biau doz amis, Vos jurez que Renart est faux Du serement et vos loiaux.» Dist Ysengrin: «Je le creant.» Les sains bese, si lieve a tant; Puis s'est levez et si s'en vait des chroniques terre, (G) p. 45 lequel d'entree a ce , nt le serement que not jura qu'i! faict, et J faict. acotin p. 404-5 se mist a enoux en 4 D'apres des «otages» le Grand comme vv. 1051-66: Coutumier Renart normand et Ysengrin on presente non seulement des «gages» mais aussi le font dans la Br. VI: Li rois demande ses ostages, Qui mout estoit cortois et sages, A nul d'els nes a pardonnez. Ysengrin a les suens livrez: Por lui a fet Brun l' ors entrer, Tybert ii chaz et Chantecler Et le lievre sire Coart; Ceus ot Ysengrin a sa part. Renart en ot des miex senez Que ii ot a sa part tornez: Bruiant et Baucent le sengler Qu'il ot fait a soi assembler; Et Espinart le herigon, Grimbert son eosin le tesson, Cil firent a Renart secors, Mout en pesa a Brun li ors. Les armes du duel etaient des armes fort primitives; c' etaient le baton et le bouclier des l'origine de ce procede judiciaire, pour les nobles ainsi que pour les roturiers. Quant a l'habillement des champions, Ysengrin s'est procure une cotte et une garniture de feutre, des chausses rembourrees, et un jambart bien fait; la veture de Renart est presque pareille. On pree beaucoup d'attention aux jambes: «Le bouclier, ainsi que l'armure destinee a proteger les jambes, ne pouvaient etre faits qu'avec du bois, du cuir, du drap, de la laine et des etoupes.»'2 L'habit des champions de Valenciennes est un cas un peu special; ils ont ete tout a fait enveloppes en cuir, du menton jusqu'a la cheville, comme une poupee d'animal en peluche. Et les champions devaient etre tete nue, tonsures jusqu'aux oreilles, pieds nus et ongles coupes. Aussi dans la Br. VI, on voit qu'il va en couter cher a Ysengrin qui a neglige ces regles: vv. 1147-54: Ysengrin l' of en grant despit, Et sa force prisa petit, Ainz n'i daingna Ja fussent oster chevol. ensemble son voil, Mes ainz que it le tiengne Sera plus malades Mout desirre as mains, que sains; qu'a poins le tiengne, Ja ne cuide qu'a tens i viengne. Et maintenant ils font l'entree en lice, mais toujours suivant les coutumes et les traditions; chacun porte une banderole pleine d'images ou de devotions en signe de bon chretien, ainsi que chez les combattants de Valenciennes. L'esplanade est recouverte de sable, voire de fumier, ou ils s'agenouillent, baisent la terre. Les adversaires se tenaient par les mains, comme dans la Br VI, l'accusateur a droite et le defenseur a gauche: 5 vv. Si les ont mis el champ 1313-15: ensemble; Li plus hardiz de peor tremble, L'un tenoit l'autre par la main. Its avaient a repondre, dans la meme position, en disant leur nom de bapteme, en affirmant par serment qu'ils possedaient la foi chretienne, et qu'ils n'etaient pas charges d'objets magiques ou sorciers. Its juraient chacun a son tour la main sur une relique qu'ils n'avaient pas tort dans le litige et baisaient la relique. Et la bataille commence: II Le combat: textes des chroniques combat avec des batons (vv. 1425-38) A cest mot Ysengrin acort, Renart n'a talent qu'il s' en tort, (Mahienot) sy s'avanca a grant pas vers son homme bien fierement et ainsi qu'il estoit souple de corps et petit, bouta son escu de la pointe en terre et levant le Met pie avant, sovent s'esgront. Mout le va Ysengrin hastant, Renart se va bien desfendant; Ainz qu'Isengrin part de l'asaut, Jacotin Le fiert Renart que pas ne faut; et aveuques ce marcha dedens luy et lui dehors du haut jusques en terre et que de l'un et de l'autre ne faillit gueres qu'il ne perdist vue, ... (G) p. 47 Et apprez que on eut ordonne que chascun d'eulx De sa main se prist a seignier; Mahiot se deffendoit et blechia ledit Jacotin (M) p. 304 combat corps a corps (vv. 1513-83) Ysengrin nel doutoit ancois. Renart l'estraint, pas ne se faint, Jambet li fet, de lui l'empaint; playe et sang. (0) p. 406 Les denz li brisa en la bouche, En la chierre li crache et moche, Es eulz li boute le baston Sy (Mahienot) commenca a chanceler comme si les jambes lui faillissent et le courrage aussi, ... se laissa cheoir a terre d'un coste et son baston de Et poile as ongles le grenon, Traire li a fait male fin; Sy prist Mahienot Le poil et le cuir en esrache; Bien le voudroit avoir l'un des dois de Jacotin ne veoit maniere de le ravoir, ... Sy (Jacotin) alla bouter son pousse de l'autre main en ses yeux et X commenca a fouiller dedens jusqu'au parfont tellement qu' it lui tirat les yeux hors jusques a pendre sur les joues. Lors abandonna-il le doy conquis, Jacotin prist les deux bras de Mahienot et les tourna 6 textes des chroniques Ysengrin tient por non sachant Andeus li va les eulz cerchant; Mes par sa grant mesaventure Li avint tel male aventure: Ses doiz en la bouche dedenz a devant darriere, ... jusques a tout les derrompre, et saillant et hondissant des genoux sur le dos. lui En tele guise le destraint Que voille ou non le fet descendre Et desoz lui le fet estendre. Ore est Renart en mal trepail, S' it a peor ne me merveil. cuidoit ainsy greyer. attaint Mais quant dudit sablon, ledit Jacotin it marcha se sentit auprez dudit oti it lui fit grant ongles lui creva les et l'estrangla de ses mains, et puis le jetta hors desdictes lices. (M) p.304-5 Mais ledit Jacotin, qui estoit homme fort et puissant poursuivit tellement et si aigrement sa bataille ledit Mahuot fut abatu a bouchon, et Jacotin que adversaire, et puis luy donna ung grant cop de son baston, dont it l'assomma, et le mist hors de la lice; (0) p.406 C'est surtout la ressemblance des scenes de bataille entre les deux textes qui est surprenante; comment la fiction precedente peut-elle etre si analogue qu'on voit les memes scenes dans une histoire posterieure de deux cent cinquante ans? Apres un court combat avec des batons, voici maintenant le combat corps a corps; on se jette du sable ou de 1a poudre afin d' aveugler son adversaire; par une lutte a bras le corps, on renverse 1'autre par terre pour avoir le dessus, et attaque les yeux avec le baton ou les doigts et ongles; l'un met le doigt dans la bouche de l'autre et l'autre tranche le doigt avec les dents; pour rompre les bras ou l' echine, crever le cceur, etrangier, le pugilat continue sans cesse. Et finalement, dans tous les deux combats, le vaincu crie merci malgre la fanfaronnade d'avant le combat. HI Apres le combat: texte de la Br. VI 1) pendaison (vv. 1617-23) Li parent Renart ont grant honte; Noble n'en velt oir le conte, Ainz conmande que l'en le pende. Tybert li chaz les eulz li bende Et Roonel les poins li lie; Bien ont Renart en for baillie, De pasmoisons est revenuz; textes ... et, en ce faisant, des chroniques mourut ledit Mahuot, et fut condamne a estre mene au gibet et pendu; (0) p.406 7 texte de la Br. VI 2) confession Renart, textes (vv. 1629-43) Et combien por sa vie tenser, pluseurs des chroniques que ledit Mahiot, fois avoir confession. en ce martire, neantmoins cria n'en peut onques finer. (M) p.305 Prie que l'en le lest aler, Qar a regehir li covient Les pechiez dont it li sovient. Lors li firent venir Belin Par la priere son cosin, Le tesson, mon seignor Grimbert; De grant duel a le cuer covert. Renart se fist a lui confes, Et cil l'en a chargie son fes Selonc les pechiez qu'il a fes, Dont it a envers Dieu mesfez. Si con it confessoit Renart, A tant es vos sire Bernart Qui de Grant Mont fu repairiez. Le vaincu, it va de soi qu'il est le coupable et it est destine a etre pendu comme resultat legitime du jugement. Malgre la mention de Mathieu d'EscoucHY qui ne donne pas au vaincu l'occasion de se confesser, it semble que, dans les deux duels on ait eu la magnanimite d'appeler le confesseur pour le condamne; Renart fait sa confession a Belin: vv. 1633--40: Lors li firent venir Belin Par la pfiere Le tesson, son cosin, mon seignor Grimbert; De grant duel a le cuer covert. Renart se fist a lui confes, Et cil l' en a chargie Selonc les pechiez Dont it a envers son fes qu' it a fes, Dieu mesfez. et juste au moment de la pendaison voila frere Bernart de Grant Mont qui vient et sauve la vie de Renart: vv. 1641ss: Si con it confessoit Renart, A tant es vos sire Bernart Qui de Grant Mont fu repairiez. Renart trove qui fu liez; Mout se demente, forment plore, Ysengrin maudit et deveure; Enquis ii a et demande Que li rois en a conmande: Dans le cas de Valenciennes le vaincu se confesse a un pere carme, et dans ce cas-lä c'est Philippe le Bon qui vient jouer le role de frere Bernart, mais sa demande sera refusee par le magistrat de la ville de Valenciennes. Celui-ci est histoirque, celui-la est romanesque. 8 Ces deux combats a outrance sont aussi adequats pour le contenu que pour le degre de barbarie. D'oui vient cette similitude? L'episode raconte dans la Br. VI, qui serait influence jusqu' a un certain point par Chretien de TROYES,13 ne serait bien probablement qu'une copie de modeles reels du douzieme siècle. Et la description en est beaucoup plus realiste que celle des scenes jouees trop chavaleresquement et idealement par Lancelot et Meleagant. Le realisme des scenes attire aussi l'attention de J. FLINN,qui dit: «Dans ce passage de la branche VI, on a l'impression que le trouvere, racontant un combat judiciaire dont une femme legere avait ete la cause et qui devait etre mortel pour un des combattants, a exprime des sentiments sinceres, inspires peut-etre par de tres reels combats de cette sorte.»14 Pour les gens du douzieme siècle, tout ce qui est raconte dans la Br. VI n'aurait pas ete si cruel et desagreable que les posterieurs le croyaient. Au douzieme siècle, on sait bien qu' it existait deja beaucoup d'opposants a l'ordalie, mais le duel judiciaire etait justifie dans une mentalite populaire par la croyance au secours divin pour les justes ou les innocents. Rappelons que la datation de la Br. VI est presumee en 1190, anterieure de plus de vingt ans au Concile de Paris (1212-13) et de Latran (1215),15ou la participation du clerge au duel judiciaire sera interdite, et pour l'ordonnance de Saint Louis (1260)16it nous faut attendre encore soixante-dix ans jusqu'au milieu du siècle suivant. Au moins on pourrait dire que le combat a outrance de ce style n'etait pas desagleable ni cruel ni honteux pour les lecteurs de la Br. VI, mais etait naturel et normal pour eux. Le cas de Valenciennes n'est pas du tout pareil; la caracteristique de ce combat consiste en l' archaisme et la cruaute." Cela voulait dire que ce spectacle s' est deroule d' une facon tout a fait contraire a ce qu'on attendait a cette époque. Un des chroniqueurs qui mentionnent cette affaire, Mathieu d'EscoucHY, exprime son impression avec le mot «abominable».'8 Mais ou faut-il chercher la cause de cette cruaute? Il ne serait pas difficile d'en deduire qu'elle vient de la reproduction artificielle de la realite du douzieme siècle par les magistrats de la ville de Valenciennes, qui se donnaient de la peine pour proteger leur «franchise», leur prerogative, vu d'un mauvais ccil par les seigneurs de cette époque. Le dernier duel que les Valenciennois ont connu date du 1384, presque soixante-dix ans auparavant de cet incident de 1455.'9 Ne faut-il pas croire que ce qui rend fameux ce combat ne repose pas sur les costumes etranges de cuir des combattants, mais sur la rarete du duel lui-meme et sa cruaute? Il nous reste encore a raisonner sur la conduite des deux roturiers a Valenciennes; pourquoi ont-ils agi tout a fait pareil que les deux protagonistes du roman du douzieme siècle, Renart et Ysengrin? Cet accord curieux nous semble tres naturel et s'explique assez facilement; car, sauf les cas ou l'expert en arts martiaux se mesure avec un autre specialiste, ou bien avec un profane completement ignorant de ces arts, le style du combat parmi des amateurs, qui deploient leur instinct de combativite primitive et momentanee, est limite a une forme analogue a travers le temps et l'espace. En definitive, les techniques qui leur restent applicables ne sont pas tres nombreuses ni experimentees; la principale est le pugilat qui se transforme tout de suite en lutte a bras le corps, accompagne de l'attaque aux yeux, de l' etranglement, du brisement des membres ou de l'echine. En empruntant l'expression de notre collegue M. SUBRENAT, on dirait a juste titre que «les dents et les griffes sont plus efficaces que le baton et le bouclier.»20 Ce style de combat deplait aux bourgeois de Valenciennes, qui souhaitaient voir une bataille tout a fait differente. La fin du rapport du duel en 1455 par Olivier de LA MARCHEest 9 conclue comme voici: « ...et tenoit on la bataille faicte entre Jacotin Plouvier et Mahuot plus honte que honneur, a cause du murdre perpetre en la presance du prince.»21 Pour savoir ce qu'ils esperaient, it faut tenir compte du changement qualitatif du duel. Au cours des quatorzieme et quinzieme siècle, on remarque une evolution qui se produit dans la conception meme du duel. De preuve judiciaire le duel tend a devenir un combat d' honneur entre gentilhommes; a savoir, du procede judiciaire permis a tous les gens de classes sociales, mais odieux et grotesque a voir, it est devenu une demonstration spectaculaire par les experts des arts martiaux. Le prestige de la force ou l'habilete aux armes expliquent la persistance du duel dans certains milieux ou chez certains peuples.22En effet, a partir du quatorzieme siècle le duel n'est plus autorise que devant certaines hautes juridictions, celles de l'empereur ou des princes. «Au XVe siècle le duel persiste dans vingt villes relevant de la juridiction des eveques de Constance, Augsbourg, Spire, Wurtzbourg.»23 Et les Valenciennois poussent des cris de joie, trois ans apres le duel de 1455 pour enlever 1'arriere-gout de cet incident amer, en voyant cette fois-ci le duel impeccable par deux chevaliers «envoyes par Dieu». D'apres Olivier de LA MARCHE,ces chevaliers «... armes comme it appertenoit pour combatre a pied, et devoient iceuls jecter ung gect de lance, et puis combatre de haches, jusques a vingt cinq coups. Les deux nobles hommes se comparurent parez de leurs cottes d' armes, et se combatirent chevaleureusement, sans faire grant foulle l'ung sur l'aultre, et ainsi se partirent icelles armes; et disoit on que Dieu avoit envoye ces deux nobles hommes pour faire honneur a Valenciennes, ...»24 Relisons encore une fois notre texte concernant le duel judiciaire, et tournons et retournons attentivement pour y deceler les caracteristiques de la Br. VI. La Br. VI contient 1840 vers dans notre edition et elle debute par un prologue trop long qui depasse 1000 vers et qui n'est qu'un résumé des episodes dans les branches anterieures. C'est donc dans un tiers du texte qui suit que l'auteur fait derouler le theme du duel judiciaire; la une fois de plus, la nouvelle accusation contre Renart et les plaintes des autres animaux se ramenent a la dispute sans issue entre Renart et Ysengrin. C'est Renart qui propose le premier la solution par le duel judiciaire: vv. 749-52 Et pres sui de mostrer sans faille Ou par juIse ou par bataille, Einssi con l'en esgardera Et que la cort le jugera.» Et un peu plus loin Ysengrin l'accepte pour sa part: vv. 1038-41 — Hai! Renart, trop ai soufert Ton grant anui et ton desroi; Mes se j' en ai congie du roi, Ja avras la bataille a l' ueil.» Ensuite commence la description sur le combat de ces deux protagonistes et c'est justement le theme principal que l'auteur a choisi pour sa branche. L'auteur de la Br. VI est possesseur d'une parfaite connaissance sur la procedure du duel 10 judiciaire. I1 a du succes a decrire le duel en detail faisant partie du proces de cette époque. On sait bien que le duel n'est qu'un biais du jugement et n'est jamais le but lui-meme. Le but du jugement au moyen age n'etant pas toujours la poursuite de la verite ni de la justice, sa seule et meilleure solution etait la reconciliation ou le compromis par 1'arbitrage. Et le duel judiciaire etait jugement un des moyens les plus usites pour ce but. Dans les cinq cents vers oii it traite le duel judiciaire, le combat propre n'apparait que dans la moitie, le reste est consacre aux incidents d'avant et d'apres la bataille. C'est surtout cette partie qui nous renseigne sur ce qu' etait le duel, ce qui en etait l'essentiel. Originellement le duel judiciaire n' etait pas a accomplir, mais it etait a abandonner a michemin par la conciliation; la paix etait toujours la solution la plus souhaitee.25 Tout etait fait pour realiser ce but. Pour affaisser le courage des champions, on mettait dans l'esplanade une biere ouverte prete a recevoir le cadavre du vaincu et le gibet dresse pour lui; meme le bourreau y etait déjà present.26 On adoptait aussi, comme nous l'avons vu, des preparatifs plus concrets pour diminuer le rendement du combat lui-meme: le graissage qu'on voit au cas de Valenciennes est une prevention non seulement pour ne pas etre attrape par le vetement, mais aussi pour affaiblir 1'efficacite et la force des coups; cette procedure est surtout utile quand on est habille en cuir. La distribution des epices serait aussi pour recouvrer la salive et l'haleine, comme le dit Olivier de LA MARCHE,27 mais elle etait aussi efficace pour diminuer l'envie de combattre et ralentir les muscles. Tonsures, ongles coupes sont aussi des preparatifs pour eviter les pires scenes dont on craint la realisation. Mais le moyen le plus frequemment utilise, ce sont des recommandations a la reconciliation qu'on repete dans chaque phase de procedure du duel. Dans la Br. VI, les juges du roi commencent a pousser a un compromis avant d'inviter les adversaires a «faires armes». vv. 1225-30 Tuit .IIII. en sont venu au roi Et si li ont dist en recoi: «Sire, vostre baron loassent Que cil champion s' acordassent; Sauve t'onor et to querele, Mout tenisson la pes a bele.» Mais le refus d'Ysengrin, qui s'obstine a montrer sa justice par le duel, vexe le roi et enfin ouvre les lices pour les deux. Meme apres le commencement du combat, cet effort se continue. Dans le debat juste avant de se battre, Renart en tant que defenseur propose a Ysengrin une reconciliation assez conciliante d'aller outre mer: vv. 1407-12 Renart respont: «Sire, mal dites, Otroiez que je soie quites. Fere vos fere grant honmage As chevaliers de mon parage; Puis ire por vos outre mer, Se me volez quite darner. Mais donner Ysengrin le refuse un coup suffisant de nouveau. pour causer Des les premiers une commotion coups cerebrale; echanges en profitant Renart de cette a pu lui occasion 11 Renart recommence vv. 1471-76 sa proposition de reconciliation a la fagon du «coup-le-roi» 28. ... «Sire Ysengrin, Diex, qui sor toz est vrai devin, Set bien quel droit a moi avez; Baston vos faut, si nel veez, Qar feson pes a mon seignor, Angois q'aions honte greignor.» Et Ysengrin la refuse obstinement. Jusqu'ici it semble que le duel marche sous l'initiative de Renart qui a l'avantage sur Ysengrin. Mais l'auteur ne manque pas de suggerer la destinee de Renart, en lui faisant jouer deux graves derogations dont le sens aurait ete bien compris, nous semble-t-il, par les lecteurs de son temps. Le duel judiciaire etait accompagne des 1'origine d'un rituel religieux, et l'Eglise etait toujours mefiante et attentive a la penetration des malefices dans ce procede ou des secours diaboliques des adversaires. En effet, Renart malgre ses serments, avait l' intention d'invoquer l'appui de la magie et de recourir aux protections magiques dont it ignorait la formule: vv. 1379-82 Renart sot letres en s'enfance, Si ot of de nigromance, Tant ot puis entendu aillors C'oublIez ot des moz meillors. Nous rencontrons dans le texte deux fois la «poudre» que Renart jette aux yeux de son adversaire pour 1'aveugler: v. 1534 De la poudre li gete es eulz. v. 1560 De la poudre li jete el vis. Mais la possession de la «poudre» est interdite ainsi que talisman, amulette et arme cachee;29afin de vouloir souligner la diabolie ou la renardie, l'auteur aurait attribue ces fraudes a Renart. Soit demandeur, soit defenseur, a moins que les deux n' acquiescent pas a la reconciliation proposee, le vaincu est destine a aller au gibet, vif ou mort. Voila la consequence legitime du litige juge par le duel judiciaire representant le jugement et la solution inevitable du contentieux tranche par ce procede. Dans la Br. VI, seule la peripetie (vv. 1629 ss.) ne correspond pas a la realite juridique medievale; Renart aurait du etre pendu pareil au vaincu a Valenciennes malgre la supplication du saint clerge ou du grand prince seculier.3° Il nous reste encore une chose a remarquer; VI. L'auteur nous montre Hermeline, femme de Renart, priant chastement pour la victoire de son mari (vv. 1155-70): vv. 1159-66 ... tuit li .III. frere, it s'agit de la misogynie outranciere dans la Br. avec ses enfants 12 Fesoient grant duel por for pere, Avec for mere en la tesniere Por Renart font a Dieu prIere; Chascun le proie et aoure Que it le garisse et secore, De son anemi l'escremisse, Qu'en bataille ne le perisse. Par contre la femme d'Ysengrin, Hersent, dont la mauvaise reputation de conduite est déjà connue du monde dans les branches anterieures, se montre a l'extreme opposee d'une epouse soucieuse de son mari; loin de la elle fait la priere pour que son man soit defait et mort en faveur de son amant Renart: vv. Hersent prie por son seignor 1171-76 Que Diex li face tel hennor Que ja de la bataille n'isse Et que Renart vaincre le puisse, Que mout souef li fist la chose En la tesniere ou ert enclose; Ysengrin, qui veut se venger de Renart a cette occasion, re coit des le debut d u combat un coup de baton atroce: vv. 1431-36 Ainz qu'Isengrin Le fiert Renart part l'asaut, que pas ne faut; Tel cop lez l' oreil le li donne, Tote la teste li estonne Si que a poi que it ne chiet; A cel assaut mal lie en chiet. Et tout de suite Ysengrin se sent trahi par sa femme, pour laquelle it se peine: vv. 1439-41 Dieu prie, qui ne faut ne ment, Que it le gart d' afolement: Par sa femme est, ce dit, trahiz. Ici, la causalite de la trahison Renart, de sa femme? la misogynie a Ysengrin nous semble de l'auteur qui est avatar vacillante; Au moment devient de l'auteur, pourquoi ou Ysengrin flagrante; les phrases c'est est plaque Mes entre ses denz se demente Et dit: «Fox est qui met s'entente En fame n' en riens qu' ele die; Poi sont de fames sanz boidie, Par fame est plus noise que pais, etre une implication par terre et tourmente ici que l'auteur les plus misogynes Renart: vv. 1535-45 un coup recu, peut-il par fait dire entre les dents de toutes les branches de 13 Ja la moie ne crairai mais. Famefait hairpere et mere, Fame fait tuer son compere, Par fame sont honi maint home, De toz les max est fame some, Fox est qui trop i met s' entente.» 31 Ysengrin, une fois en mauvaise posture, rejette la responsabilite de sa defaite sur sa femme, et mis enfin dans la pire situation, it exprime la mefiance envers sa femme et l' accuse de sa mechancete. Mais, ici encore, la motivation de l'auteur nous paralt forcee et appretee et la misogynie exageree estropie la logique et la suite de l'histoire dans la Br. VI. En fin de compte, qu'est-ce qui est un facteur principal de la victoire dans ces duels judiciaires? Le moins qu'on puisse dire, ce n'est rien d'autre que la superiorite physique, c'est-a-dire que la puissance et la force vitale dans la lutte a bras le corps l'emportent sur tout: sur la justice, sur la volonte de vengeance, sur l' art de l'escrime, sur la magie. Cette misogynie de l'auteur, qu'il fait exprimer a Ysengrin, n'est-elle pas un autre element caracteristique de la Br. VI? NOTES: 1. 2. 3. 4. 5. Cours d'histoire moderne, t. IV, p. 333. Meme au debut du dix-septieme siècle le duel judiciaire etait consider& comme un procede de la justice: «Le Second suject pour lequel les Duels ont este permis a este pour tirer vne preuue par les armes de quique chose qu'on ne pouuoit prouuer en iustice; quand vn Gentil homme accusoit vn autre de trahison, ou de quelqu'autre crime de leze Majeste, ou qu'il en estoit accuse luy mesme, sans que l'vn eust moyen de verifier son accusation, ny l'autre son innocence. Alors au lieu de s'apeller I'vn l'autre comme nous faisons au mepris de l'auctorite Royalle, ils avoient recours au souuerain. Luy demandoient le combat auec les armes qu'ils vouloient choisir. Lequel leur estant accorde, ils estoient introduits au camp par leurs parrains entre quatre barrieres, le Soleil leur estoit departi par les luges, le Roy mesme present, les parrains se retiroient au lieu de se batre comme nos seconds, les Herautz crioient de par le Roy qu' aucun n'eust a faire signe de la vois ny de la main, ny fauoriser par aucun geste ny mouvement aucun des querellans a peine de la vie; Et apres auoir crie. Laissez aller les bons combattans. Its s'esmouuoient l'vn contre l'autre au son de plusieurs trompettes, premierement a coups de lance, puis d'espee, ou de masse selon l'eslection des armes qu'ils auoient faite, iusques a ce que la mort de l'vn eust asseure la vie de l'autre. Mais la principalle gloire du victorieux estoit a vaincre son ennemy sans le tuer, & luy faire confesser deuant tous, qu'il 1'auoit faucement & laschement accuse de trahison, ou (sic) bien qu' it en estoit luy mesmes attaint; & en ce cas vn buscher ardant expiroit aussi tost son crime. (...)» (Vital d'AuDIGuIER, Le vray et ancien vsage des dvels confirme par l'exemple des plus illustres combats & deffys qui se soient faits en la Chrestiente, Paris, Pierre Billaine, 1617, pp. 43-45.) Par exemple, sur les «champions» (=gladiator) des femmes et des clercs, voir: G. COHEN,`Le duel judiciaire chez Chretien de Troyes', Annales de l'Universite de Paris, 1933, p. 526. Recueils de la Societe Jean BODINpour l'histoire comparative des institutions, XVII, «La Preuve», deuxieme partie: moyen age et temps modernes, Editions de la librairie encyclopedique, Bruxelles, 1965. En particulier: E. NIEBOER,`Le combat judiciaire dans la branche VI du Roman de Renart', dans BEFF, 2 (1978), pp. 59-67; J. SUBRENAT, 'Trois versions du jugement de Renart (Roman de Renart, branches VIIb, I, VIII du manuscrit de Cange)', dans Melanges de langue et de litterature francaises du Moyen age offerts a Pierre Jonin (Aix-en-Provence: CUERMA, 1979), pp. 623-43. / `Renart et Ysengrin, Renart et Roonel: les deux duels judiciaires dans le Roman de Renart', dans Etudes de langue et de litterature francaise offertes a Andre Lanly (Nancy, 1980), 14 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. pp. 371-84; R. BELLON,`La Justice dans le Roman de Renart: procedures judiciaires et procedes narratifs', dans La Justice au moyen age, Senefiance 16 (Aix-en-Provence: CUERMA, 1986), pp. 79-96. Cf, op. cit., p. 67. Voir par exemple, L. FOULET,Le Roman de Renard, Paris, 1968; p. 118. Chronique de Georges Chastellain (1454-58), publie par Kervyn de LETTENHOVE, Bruxelles, F. Heussner, 1964. (=G) Chronique de Mathieu d'Escouchy, t.II, par G. du FRESNEde BEAUCOURT,Paris, Jules Renouard, 1863. (=M) Memoires d'Olivier de La Marche, t.II, par H. BEAUNEet J. d'ARBAUMONT,Paris, Renouard, 1884. (=0) Johan HUIzINGA,L'automne du Moyen age, traduit du hollandais par J. BASTIN,Payot, 1975, pp. 103-04. Cf, par exemple, M. BOULET-SAUTEL, `Apercus sur le systeme des preuves dans la France coutumiere du moyen age', dans Recueil de la Societe Jean Bodin, XVII, pp. 275-303. En particulier, p. 293: «... si les premieres annees du XIII' siecle coincident a peu pres avec la disparition de l'ordalie, en revanche elles correspondent encore au plein epanouissement du duel judiciaire, lequel semble, lors, une preuve couramment recue devant toutes les juridictions.» Cf, op. cit., p. 360. L'appelation de la branche est celle de l'ed. MARTIN,mais la citation des vers est faire d'apres notre edition F-I-I-S. Cf: Le Roman de Renart edite d'apres les manuscrits C et M, par F-H-S, t.1; p. 453-510 (26. C'est la bataille de Renart et de Ysengrin; = Br. VI de l'ed. MARTIN= Br. VIII de l'ed. RoQUEs) A. CANEL,`Le duel judiciaire en Normandie', dans Memoires de la societe des Antiquaires de Normandie, XXII (1856), pp. 575-655 (pp. 583-84). Voir le passage analogue dans Le chevalier de la charrete (v. 3536 ss), CFMA, 86. Cf, G. COHEN,`Le duel judiciaire chez Chretien de Troyes' dans Annales de l'Universite de Paris, 1933, pp. 510-27: «Dans Lancelot ou le Chevalier a la Charrete, comme dans Yvain ou le Chevalier au Lion, c' est-a-dire dans les deux grands romans de la maturite de Chretien de Troyes, entre 1168 et 1172, le combat ou duel judiciaire est une des ressorts de l'action principale ou de l'action episodique. Tous deux ayant ete ecrits et concus a la Cour de Champagne (le sujet du premier lui a ete, de son aveu, impose par Marie), it est certain que le modele a ete fourni par l'usage de la Cour de Champagne, que nous fait connaitre l'enquete de 1315 revelee par M"e Nicodeme dans la Revue Belge de Philologie et d'Histoire, t. IV, 1-25.» (`Une enquete sur le Duel judiciaire en France au debut du quatorzieme siècle') (p. 513). «Le Roman de Renart» dans la litterature francaise et dans les litteratures etrangeres au moyen age, University of Tronto Press, 1963, p. 75. Par exemple, J. GAUDEMET, `Les ordalies au moyen age' dans Recueil de la Societe Jean Bodin, t.XVII, pp. 99-135: «Aussi en 1212-1213, les legats pontificaux font-ils prohiber par le concile de Paris duel et ordalies dans les eglises ou au cimetiere avec participation du clerge. Et finalement le concile de Latran de 1215 interdit d'assortir d'aucune ceremonie religieuse les ordalies par l'eau ou le fer. Le meme texte rappelle aux clercs que le duel leur a déjà ete defendu par le c. 20 du troisieme concile de Latran.» (p. 127-28). Par exemple, R. C. van CAENEGAM,`La preuve dans le droit du moyen age occidental', dans Recueil de la Societe Jean Bodin, t. XVII, pp.700-25: «En France, le duel judiciaire, cher au milieu feodal et usite dans les cours feodales, fut aboli dans le domaine direct par Louis IX et remplace par l'enquete sur temoins. Mais en 1306, Philippe IV le Bel dut reintroduire le duel sous la pression des nobles, qui detestaient l'enquete comme une atteinte a leur liberte.» (p.722). Par exemple, C. GAIER remarque ces caracteres et note: «Un duel judiciaire entre deux bourgeois de Valenciennes fit sensation, en 1455, par son archaisme et sa cruaute.» ("Techniques des combats singuliers d'apres les auteurs bourguignons du XVe siecle', dans Le Moyen Age, XCI, 1985, p. 426 note 30). «... et a la verite, c'est chose abominable de le recorder, et sambloit a pluseurs y estans , que c'estoit [faire contre] nostre Foy;» (op. cit., pp. 304-05). Quant a la disparition du duel judiciaire a Valenciennes aux quatorzieme et quinzieme siecles, cf: M. BAUCHOND, La justice criminelle du Magistrat de Valenciennes au moyen age, Paris, 1904, pp. 103-13 (voir surtout aux pp.109-11). 15 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. Cf, `Renart et Ysengrin, Renart et Roonel: les deux duels judiciaires dans le Roman de Renart', dans Etudes de langue et de litterature franpaises offertes a Andre Lanly (Nancy, 1980), p. 381. Cf, op. cit., p. 407. A part la classe sociale des chevaliers qui restaient longtemps attachee au duel judiciaire, van CAENEGEM nomme les Lombards et les Normands comme les peuples qui tenaient fort au duel; cf, op. cit., p. 720. J. GAUDEMET, op. cit., p. 132. Cf, op. cit., p. 406-07. Cf, par exemple, J. DECLAREUIL, `A propos de quelques travaux recents sur le duel judiciaire', dans Nouvelle revue historique de droit francais et etranger, XXXIII (1909), pp. 73-95 (voir surtout pp. 90-91). Ibid. Cf, op. cit., p. 405. Cf, par exemple, M. BOULET-SAUTEL, op. cit., p. 296-97: «A tout le plus, peut-on signaler qu'a cette époque, devant les tribunaux relevant des clercs surtout, s'intensifie singulierement une pratique ancienne — puisqu'on en releve des exemples des le XP siecle — a savoir l'accord des parties avant l' issue finale du combat generalement des les premiers coups echanges, des coups qu' on appelle vulgairementles coups-le-roi, ictus regis.>> Par exemple, C. GAIERnote: «D'apres Jean de Bueil, Le Jouvencel, op. cit., p. 109, les champions d'un combat a outrance doivent jurer qu'ils ne portent pas de charroi (amulette), ni d'armes cachees ni d'alesnes, pouldres ne choses mussees.»(op. cit., p. 444, note 99). Cf, J. SUBRENAT, `Renart et Ysengrin, Renart et Roonel ...', p. 380: «Dans la br. VI, Renart sera pendu; dans la br. XIII, le roi hesite entre pendaison et noyade et se decide pour la derniere solution. (...) En tout cas, l'invention est heureuse en ce qu'elle est une variante dramatiquement interessanteet qu'elle permet a Grimbert une intervention originale.» J. FLINNsurpris de ces phrases virulentes commente: «Cette attaque sauvage nous surprend, car a vrai dire rien ne nous y avait prepares. Certes, nous avons pu constater l'infidelite d'Hersent, mais on peut pretendre que notre Renart n'est pas l'homme a regretter vraiment les faveurs que la louve lui avait accordees. Comme nous l'avons déjà vu, les attaques contre les femmes, frequentes dans la litteraturemedievale, reviennent souvent dans le Roman de Renart.» (op. cit., p. 75). 16 Votre Excellence Madame l'Ambassadeur, l'Ambassadrice, Monsieur le Ministre Monsieur le Conseiller Conseiller, Culture!, Mes chers amis et collegues, En ce jour le plus brillant de ma vie, en cette occasion la plus heureuse de ma carriere, c'est un grand honneur sans pareil pour moi de pouvoir prononcer devant vous quelques mots pour exprimer ma gratitude et ma reconnaissance. On dit souvent que la lumiere vient de l'Orient; mais, je dois avouer que pour moi la lumiere est toujours venue de 1'Occident, plus precisement de la douce France. Durant mes cinquante huit ans d'existence, j'ai ete eclaire au moins trois fois par cette lumiere; et, chose curieuse, chaque fois a quatorze ans d'intervalle, quatorze, c'est un chiffre sacre de la tradition biblique. A seize ans j'ai commence a apprendre le frangais sur 1'ordre de mon pere germaniste, a l'Institut Franco-japonais du Kansa] a Kyoto. La, a l'Institut, j'ai fait la connaissance de Monsieur Jean-Pierre HAUCHECORNE qui etait aussi le professeur de Monsieur NAKASONE, ancien premier ministre du Japon. C'est avec lui que j'aurais aime partager en premier cette joie, mais, helas! it nous a quittes voila déjà trois ans. Mais it me reste encore un autre professeur de l'Institut, a qui je dois les bases elementaires de la langue francaise, it s'agit de Monsieur Andre BRUNET,ancien Consul General de Kobe, actuellement professeur a l'Universite Ritsumeikan de Kyoto. Et c'est apres quatorze ans d' etudes de la langue et de la litterature francaises que j'ai obtenu a la Sorbonne, en 1970, le doctorat de 1'Universite de Paris sous la direction du regrette erudit, le professeur Robert-Leon WAGNERqui nous a amene sur le chemin de Renart. Ce fut le premier rayon de cette lumiere. N'oublions pas que c'est a Paris, a la Maison du Japon de la Cite Universitaire, pendant les fameux evenements de mai 68, que s'est forme notre cercle des trois renardiens anime par le professeur MATSUBARA qui enseignait a ce moment-la a l'Ecole des Langues Orientales Vivantes. Apres notre retour au Japon, nous autres les trois renardiens avons continue a 17 travailler pour la realisation de la nouvelle edition critique du Roman de Renart; it nous a fallu encore plus de dix ans avant la publication du premier volume de l' edition complete; et c'est apres quatorze ans de travail collectif en 1984, que l'Academie des Inscriptions et Belles-Lettres nous a decerne le prix de La Grange. Voila le deuxieme rayon. Et ce soir, a cette belle soirée de l'annee de la France au Japon, encore quatorze ans apres l'attribution du prix de La Grange, je suis de nouveau touché pour la troisieme fois par cette lumiere, car je viens d'etre decore a mon tour des Palmes Academiques apres notre collegue renardien HARANO. Si le ciel me prete encore quatorze annees de vie, j'aurai soixante-treize ans en 2012; vais-je attendre encore le quatrieme rayon de cette lumiere? Je ne le pense pas, mais en revanche je voudrais faire de mon mieux pour rendre ce que je dois tellement a la France et aux Francais. Vous me donnerez un peu de temps et vous verrez ce que le renardien fera par "son engin et s'art". Votre Excellence l'Ambassadeur, j'aimerais lui dire combien je suis sensible a l'honneur qu'il m'a fait en me remettant la medallic en personne. J'en remercie Votre Excellence. Mes chers amis et collegues, merci d' etre venus m'entourer ce soir. Trinquons maintenant a la renardienne: "have! guersai!" Merci beaucoup a tous!