LE CAS DE LA LITTÉRATURE SUISSE ROMANDE:naturalisme ou

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LE CAS DE LA LITTÉRATURE SUISSE ROMANDE:naturalisme ou
LE CAS DE LA LITTÉRATURE SUISSE ROMANDE:
NATURALISME OU « NATURISME » ?
Pierre Guisan
Universidade Federal do Rio de Janeiro
Brasil
Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on débat à propos du caractère
particulier de la littérature de Suisse Romande; mais il est certain que le
paysage littéraire suisse présente un certain nombre de spécificités, dont
l’une, et non des moindres, réside dans la quasi absence du genre
narratif, et du roman en particulier. Notre propos est précisément de
mettre en rapport cette absence du roman, mode d’expression par
excellence du Naturalisme, avec l’élaboration des mythes à travers
lesquels le jeune Etat-Nation – à savoir la Suisse à partir de la révolution
de 1848 – allait se reconnaître et se construire. Paradoxalement, mais de
manière analogue aux autres pays européens ou du Nouveau-Monde, ces
mythes fondateurs jetteraient leurs bases sur des traditions remontant
bien au-delà d’un Moyen Age imaginé comme libertaire, celui de
Guillaume Tell et des trois cantons primitifs, jusqu’à l’Helvétie préromaine, jugulée par Jules César.
C’est dans ce contexte qu’il faut
replacer l’importance que revêt l’image de la nature dans son rôle de
légitimation de l’Etat national suisse, qui, comme tous les Etats
nationaux au XIXe siècle, est à la recherche de bases pour l’ensemble des
croyances orientées vers la justification de son existence, en d’autres
termes, de mythes fondateurs. En effet, une grande partie des efforts de
la création artistique et littéraire se trouve mobilisée, directement ou
indirectement, explicitement, ou plus ou moins inconsciemment, dans la
construction d’une idéologie nationale, et cela durant un siècle, de la
révolution de 1848 aux lendemains de la Seconde Guerre Mondiale. Force
est de reconnaître que dès lors il ne restait guère de place pour les
préoccupations psychologiques, scientifiques et sociales du roman
naturaliste, réflexions certainement présentes dans la Suisse de l’époque,
mais, il faut le reconnaître, dans une moindre mesure chez les hommes
de lettres. Le rôle de la Nature
Lorsque nous utilisons le terme de « naturisme », nous
nous référons ici naturellement à la doctrine formulée en
particulier au cours de XVIII e siècle, selon laquelle on
considérait la nature comme étant à la fois produit et auteur
d’elle-même, courant qui relie Lucrèce à Buffon ; signalons
qu’une autre acception définit le naturisme comme étant le
discours qui attribue à l’adoration des forces de la nature
l’origine de la religion. Si l’on considère le nationalisme et le
patriotisme comme étant l’une des nouvelles religions des
temps modernes, comprenant des rites, des liturgies, des
iconologies et surtout reprenant les fonctions de cohésion
communautaire qui caractérisent les religions traditionnelles, il
est certain que le nationalisme suisse, dans cette perspective,
est bel et bien naturiste, puisqu’il se fonde sur le culte de la
nature. Du reste, religion et civisme fusionnent clairement en
une seule structure dans les civilisations de l’Antiquité, ce qui
nous autorise à considérer que le nationalisme ne serait
qu’une forme de retour aux origines, un avatar de la Religion.
Les discours sur la nation suisse, que ce soit ceux des
historiens ou ceux des hommes politiques ou encore des
artistes, convergent tous vers un consensus qui se trouve à la
base du sentiment identitaire national, partagé par tous,
indépendemment de leur langue ou de leur religion : le Pays
est le produit de la Nature elle-même, des Alpes et de ce qui
constitue leur coeur : le col du Saint-Gothard. La naissance du
mythe du Saint-Gothard, au siècle des Lumières, ainsi que du
mythe du berger des Alpes comme prototype du Suisse
authentique a été analysée par Guy P. Marchal1. Mais je citerai
le poète Eugène Rambert2 (1830-1886), qui écrivait au milieu
du XIXe siècle : Quand du haut d’une des cimes qui dominent
le Saint-Gothard on jette les yeux autour de soi, on retrouve
dans les grandes lignes du paysage les traits essentiels de
notre histoire et il semble qu’on la voit écrite
le livre des décrets.
à l’avance dans
On pourrait citer bien d’autres affirmations qui vont dans le même
sens, aussi bien dans des discours du XVII e siècle, comme les textes du
« Doyen » Bridel3 , que dans ceux du XXe siècle, en particulier dans les
déclarations des hommes politiques ou des militaires durant la Seconde
Guerre Mondiale.
Nous pouvons de la sorte affirmer que l’appel à la
Nature-Paysage pour légitimer les aspirations à l’indépendance et à l’unité
du pays est antérieur aux textes de Jean-Jacques Rousseau et qu’il se
poursuit jusqu’à nos jours. Un examen comparatif des lieux communs
patriotiques nationaux paraît mettre en évidence le fait que l’importance
de la Nature dans la construction des mythes fondateurs nationaux est
en proportion inverse de l’utilisation du mythe de la langue, qui, dans le
cas de la Suisse 4 , ne saurait remplir le rôle de mythe unificateur qu’il a
eu dans d’autres pays, lors de leur formation comme Etats-nations
modernes, comme en Allemagne ou en Italie. La spécificité helvétique
Il s’agit là d’une question « serpent de mer » qui revient à intervalles
réguliers sur la réalité – ou non – d’une spécificité culturelle suisse, en
particulier de l’existence d’une littérature suisse romande nettement
distincte de la littérature française « hexagonale ». Pourquoi les
dictionnaires d’auteurs parlent-ils plutôt d’ « écrivain suisse d’expression
française » que d’écrivain français d’origine suisse ? Curieusement, seuls
Rousseau et Blaise Cendrars paraissent jouir de cette dernière
étiquette... Il est néanmoins de tradition de citer habituellement le rôle
du protestantisme pour expliquer une certaine dimension moralisante et
pédagogique de la littérature suisse romande, bien que la région soit
répartie entre cantons fidèles à Rome, comme le Valais, le Jura et
Fribourg, et cantons ayant adopté la Réforme au XVI e siècle, à savoir
Genève, Vaud et Neuchâtel.
Cependant, tel n’est pas notre propos
ici et nous ne nous allongerons donc pas sur les causes d’un
particularisme culturel, artistique et littéraire qui reste par ailleurs à
démontrer. Nous nous contenterons de prendre acte du fait de la
présence constante du paysage et de la nature, dès le XVIII e siècle, que
ce soit dans les régions de langue allemande ou française, ainsi que dans
les cantons de religion protestante ou catolique. Le romantisme vint
donner un élan nouveau aux aspirations d’unité nationale et se chargea
généralement de construire les mythes qui assureraient les assises
mythiques du nationalisme : il suffit de rappeler les « inventions » de
Jeanne d’Arc en France, des Niebelungen en Allemagne, du Cid
Campeador « Matamoro » en Espagne ou encore de l’indianisme au Brésil5.
La Suisse toutefois n’existe pas encore en tant qu’Etat-nation, lors de la
création de son héros national par Schiller, Guillaume Tell.
La
rudesse et la simplicité rustique des moeurs, la présence centrale des
montagnes, le rôle de la Providence divine, tels sont les ingrédients
symboliques sur lesquels se fondent les mythes nationaux : Rousseau n’a
donc pas inventé, mais a plutôt simplement propagé et mis à la mode des
mythes en formation, sur lesquels s’appuierait l’idéologie de la nouvelle
nation. Mythe qui fait une large part à la nostalgie d’un passé reconstruit,
d’un Age d’Or perdu.
Nous ne saurions ici passer sous silence la
continuité d’un certain sentiment ambigu6 « anti-français » qui se
manifeste dans une grande partie des textes suisses écrits au XVIII e et
au XIXe siècles. C’est ainsi que Rousseau reprend les termes de Béat de
Muralt7 pour stigmatiser les « vices d’esclaves » des Français, lorsqu’il leur
reproche la légéreté, la frivolité, le brillant superficiel. Notons au passage
que ces « vices » pouvaient passer pour des qualités aux yeux d’un
classique, qui ne faisait que remettre à leur juste place, dérisoire et
passagère, les choses de la vie d’ici-bas, les maux de l’existence qu’il
fallait accepter ou plutôt feindre de supporter avec une courageuse,
sobre, joyeuse, pudique et élégante résignation stoïque. Toujours est-il
qu’il s’agissait en l’occurrence de qualités/défauts typiquement français,
qui s’opposaient à la gravité romaine... ou suisse ( ou encore allemande).
A partir de 1848, la constitution de l’Etat fédéral helvétique réveille
les aspirations et l’intérêt à la fois intellectuel et artistique ayant en vue
la construction des fondements d’une identité nationale nouvelle, qui de
fait était totalement absente dans l’histoire suisse jusqu’à ce moment-là.
Cette identité devrait transcender les langues, les religions et les
cultures, qui forment une mosaïque au sein de la Suisse dans ses
contours modernes. Et c’est à cette tâche de légitimation de la
construction de la Suisse moderne que s’attellent artistes et hommes de
lettres, dans un élan de mobilisation générale qui trouve dans la nature
alpestre l’épine dorsale de l’élaboration des mythes de la patrie. C’est
ainsi que l’on explique le rôle essentiel que joue la Nature dans l’idéal
identitaire suisse, qui paraît représenter une dimension originale parmi
les nations en formation ou en consolidation dans l’Europe du XIX e
siècle8. Les Alpes
Il nous faut donc souligner ici l’importance que revêt le mythe des
Alpes dans la construction de la Suisse moderne, en particulier le rôle du
Saint-Gothard, le col mythique qui à la fois sépare et unit le Nord et le
Sud, le monde germanique et l’univers latin, l’Allemagne et l’Italie. Source
de richesse pour son peuple gardien qui y perçoit péage, origine
démoniaque, mais le Diable – nom moderne de Prométhée – y fut à son
tour trompé par les hommes, château d’eau de l’Europe qui donne
naissance à cinq fleuves qui vont abreuver cinq mers, étoile des vents et
coeur de l’Europe, forteresse inexpugnable d’où rayonne la liberté,
Olympe des hommes du Dieu unique : on n’en finirait pas d’épuiser la
source des légendes, des mythes et des concours de circonstances qui
contribuent à faire de ce lieu le temple sacré d’un peuple élu et fier, qui
de ses hauteurs considère avec détachement les bruits et les fureurs des
plaines du reste du monde 9.
C’est au cours du XIXe siècle que
naissent de nombreuses institutions qui, en mettant l’accent sur les
valeurs liées à la Nature, vont fonctionner comme autant d’instances
agrégatrices. Parmi celles-ci, citons les sociétés folkloriques, qui vont
reformuler, réhabiliter, voire tout bonnement créer les costumes
régionaux, les sociétés de chant, les chorales municipales, les sociétés de
gymnastique, avec leurs fêtes et concours au niveau fédéral, les grandes
expositions nationales, programmées jusqu’à nos jours au rythme des
quarts de siècle, les forces armées fédérales, où chaque citoyen est
soldat, la fondation des sections du Club Alpin Suisse dans toutes les
régions, les associations pour la protection de la Nature
(« Heimatschutz »), certainement pionnières, une centaine d’années avant
que l’on commence à parler d’écologie.
On encourage l’élaboration
d’une architecture suisse, qui va s’imposer sur l’ensemble du territoire
national, occultant souvent les styles traditionnels régionaux. On crée un
véritable style « suisse » pour les écoles, les gares, les postes, les édifices
administratifs en général. La peinture trouve avec Ferdinand Hodler,
délaissant l’impressioniste, le véritable créateur d’un expressionnisme du
paysage, qui s’imposera aussi bien dans les parlements que dans les
gares de chemin de fer.
C’est ainsi que tous concourent pour que se
crée une identité suisse, objectif qui représentait un véritable défi face à
la diversité des langues et des cultures sur un terrritoire restreint, où le
voisin, fût-il français, allemand ou italien, était considéré comme une
menace, plus ou moins précise, plus ou moins explicite, d’assimilation,
voire d’annexion, en fin de compte certainement légitimée par la théorie,
en pleine vigueur à l’époque, du nationalisme fondé sur la langue, vue
comme critère identitaire donnant droit à la libre auto-détermination des
peuples ; ce n’est que plus tard que des programmes comme ceux du
pangermanisme ou du panslavisme seront déconsidérés et jugés comme
l’instrument de impérialisme russe ou allemand10.
Il est ainsi
remarquable que, dans les diverses versions et tentatives d’hymne
national quadrilingue, on n’en ait aucun qui fasse référence à des héros
ou a des événements glorieux, car, au cours de leur histoire, les Suisses
ont généralement été adversaires les uns des autres ; de sorte que les
hymnes vont se limiter à célébrer des glaciers sublimes, des pics
triomphants ou la splendeur du soleil qui se lève ! C’est ainsi que le
multiculturalisme et le plurilinguisme de la Suisse ont certainement
multiplié les obstacles dans la quête de mythes identitaires. La
littérature narrative
Jusqu’à une
époque récente, le
roman, en tant que
genre, est
curieusement absent
de la production
littéraire de la Suisse
Romande 11. Si l’on
doit attribuer à
Benjamin Constant le
titre de pionnier du
genre, il faut bien
reconnaître que la
dimension de
l’introspection
psychologique
minutieuse est telle
qu’elle porte ombrage
à l’intérêt de la
structure narrative
du récit, qui se trouve
réduite au minimum.
Dans les faits, il n’est
guère de romanciers
sinon Edouard Rod
ou Charles-Ferdinand
Ramuz12, entre la fin
du XIXe et le début
du XXe siècle. Si le
premier est plutôt
prolixe et médiocre (il
est d’ailleurs
méritoire de sa part
d’avoir eu conscience
et d’avoir parlé de sa
propre médiocrité!), le
second s’avère d’une
puissante et
exigeante originalité.
Il se trouve
qu’au nombre des
amis d’Edouard Rod
on a justement Émile
Zola, dont il se fera
un ferme défenseur,
ainsi que précisément
Ramuz, protégé de
Rod, lorsqu’il
débarquera à Paris
comme un jeune
provincial ambitieux
et enthousiaste.
Cependant Ramuz se
montrera capable de
quitter la capitale
quand il s’apercevra
qu’elle lui avait déjà
donné tout ce qu’elle
pouvait lui offrir et
que la distance était
un facteur nécessaire
pour créer les
conditions qu’il
considérait comme
nécessaires pour son
projet d’écriture.
Quant à Edouard
Rod, malgré la relative
médiocrité de ses
romans, il faut lui
laisser la gloire d’avoir
su se hisser à un très
haut niveau de
perspicacité,
d’intelligence et de
savoir critique, entre
autres du fait d’avoir
été l’un des premiers
à discerner la
grandeur et le
potentiel d’auteurs
jusqu’alors
méconnus, comme
Marcel Proust ou
Ramuz lui-même ; et
c’est son flair qui l’a
donc poussé à
encourager et à
protéger ces futures
étoiles des lettres
« françaises ».
On pourrait
cependant dire que
Rod s’est
véritablement montré
être un romancier
« parisien », qui était
fort conscient du fait
que ce n’était guère
qu’à Paris que l’on
pouvait prendre au
sérieux une activité
comme celle d’écrire
des romans, que l’on
pourrait qualifier, en
caricaturant à peine,
comme d’un genre
futile propre à peine à
divertir un public de
bourgeoises qui
s’ennuient ; et ce, en
dépit des efforts du
roman expérimental,
qui de fait représente
la dernière tentative
avant l’irruption de la
psychanalyse de faire
de la fiction un outil
de construction
sociale. C’est
pourquoi l’on peut
comprendre que le
Naturalisme vint à la
rescousse pour
délivrer Édouard Rod
de sa position
inconfortable de
Suisse protestant, qui
avait reçu une
éducation toute
empreinte de gravité
face à la vie et qui
néanmoins se livrait à
de coupables activités
futiles, pécheresses,
« parisiennes » enfin.
Malheureusement,
l’illusion n’a guère
duré et ne pouvait du
reste pas tenir, eu
égard à la lucidité du
critique littéraire qu’il
était.
C’est
d’ailleurs ainsi que
l’on peut interpréter
les constantes
escapades de Rod
vers sa terre natale,
bonnes à calmer les
remords qui le
rongeaient lorsqu’il se
livrait à ces
transgressions
auxquelles l’obligeait
sa vie parisienne.
Suisse incorrigible,
c’est à dire
sentimental à la
manière de JeanJacques Rousseau,
défaut impardonnable
aux yeux des
intellectuels
parisiens, Édouard
Rod continue à
rechercher un refuge
auprès de la mère
Nature et, du reste,
sera l’un des
fondateurs de l’une
des plus grandes
institutions
mythiques du jeune
Etat-nation : le Club
Alpin Suisse. Pour
résumer, Rod serait-il
un écrivain suisse
d’expression
naturaliste ? ou
plutôt un Parisien
naturalisé et
naturaliste ?
Toujours est-il que
jusqu’alors les seuls
naturalistes suisses
paraissent bien n’être
que des
minéralogistes, des
botanistes ou des
zoologues !
Lorsqu’éclate la
1ère Guerre Mondiale,
il semble que ce soit
la fin d’un monde –
que l’on appellera la
Belle Époque. C’est
du moins la fin des
espoirs que l’on
pouvait
raisonnablement
nourrir quant aux
espoirs d’un monde
meilleur réalisés à
travers les idéaux des
nationalismes
libertaires, d’une
part, et des
internationalismes
socialistes ou
anarchistes, d’autre
part. Il y aura bien
sûr un second «
round » entre 1939 et
1945, qui semblera
asséner le coup de
grâce aux religions
nationalistes, bien
que notre XXIème
siècle paraisse offrir
un terreau favorable à
la renaissance de
l’hydre. La Suisse
Romande ne reste
pas entièrement à
l’écart de ces
secousses, malgré le
fait qu’elle ait été
épargnée de l’impact
direct des aventures
guerrières du reste
de l’Europe, ce qui lui
vaut une position
d’observation, voire
de donneuse de
leçon. Néanmoins, il
est indéniable que la
fureur patrioticonationaliste s’affaiblit
considérablement
lorsque l’on considère
la production
artistique et
intellectuelle à partir
de l’entre-deuxguerres.
Ainsi
s’explique le fait
d’une certaine
internationalisation,
ou universalisation,
des préoccupations
culturelles en Suisse
Romande, qui s’avère
être un cadre bien
étroit pour de
nombreux créateurs,
comme Blaise
Cendrars, Le
Corbusier, Nicolas
Bouvier, pour
reprendre quelques
noms de grands
voyageurs. Bref,
l’heure n’est plus à la
construction
nationale, ni à la
célébration du
folklore, ni au chant
des vertus du pays
sur des airs
patriotiques. C’est
justement dans ce
cadre que naît un
véritable art du
roman en Suisse, en
particulier
naturellement grâce à
Charles-Ferdinand
Ramuz13, puis les
romanciers de la
seconde moitié du XX
e siècle, et
d’aujourd’hui. On ne
peut dès lors plus
guère caractériser
la littérature suisse
romande par
l’absence générale de
la fiction dans le
panorama de sa
production, ce qui
constituait tout de
même un trait
remarquable de cette
région aux XVIII e et
au XIX e siècles,
lorsque les quelques
oeuvres aparemment
de fiction, comme
L’Émile ou Adolphe,
s’avéraient être en
fait des essais
moralo-psychodidactiques.
Enfin, à partir
Enfin, à partir
de la seconde moitié
du XIXe , il nous
semble bien que
l’enthousiasme d’un
nationalisme qui a
trouvé sa force
d’expression dans la
célébration de la
Nature-paysage,
laquelle, soit dit en
passant, sera l’une
des grandes sources
de profit de
l’économie helvétique,
ait fortement dominé
toute la production
artistico-littéraire. Cet
enthousiasme, on le
comprend, sera
difficilement
compatible avec
l’esthétique de la
pathologie sociale du
Naturalisme, à l’heure
ou la jeune nation
tente de se
dissimuler à ellemême les graves
conflits sociaux que
l’industrialisation
rapide du pays ne
pouvait qu’engendrer.
Si le
Naturalisme se voulait
d’une certaine
manière guérir les
maladies sociales des
individus et des
communautés, le
nationalisme
naturiste en Suisse
se donnait pour tâche
de créer les
conditions d’un
sentiment identitaire
inexistant jusqu’alors,
et ce même au prix de
la dénégation des
conflits et des tares,
se refusant donc à un
diagnostic
naturaliste, tel qu’on
le pratiquait de l’autre
côté du Jura, dans
cette France à la fois
si proche mais que
l’on voulait si
étrangère.
1 Guy P. Marchal. La naissance du mythe du St-Gothard ou la longue découverte
de l’homo alpinus et de l’Helvetia mater f luviorum. In: Jean-François Berger &
Sandro Guzza. La découverte des Alpes. Itinera 12 (Bâle 1992).
2 Eugène Rambert. Etudes de littérature alpestre et la marmotte au collier. Les Alpes
suisses. Lausanne, F. Rouge, 1889.
3 Philippe-Sirice Bridel. Etrennes helvétiennes. Fascicules publiés entre 1783 et
1831.
4 Rappelons que la Suisse est une nation quadrilingue où, selon la région, l’on
parle allemand – en fait, divers dialectes alémaniques –, français, romanche et
italien (lombard). Mais ces langues ont un poids démographique extrêmement
inégal.
5 Rappelons ici les constructions, suivies de déconstructions et de reconstructions
de la mythologie française: se succèdent Clovis, fondateur de dynastie et Germain,
Jeanne, la fille de ce peuple véritable artisan de l’Histoire, et Vercingétorix le
Jeanne, la fille de ce peuple véritable artisan de l’Histoire, et Vercingétorix le
Gaulois résistant, dans une ronde qui tourne en fonction des besoins idéologiques
du moment. Le Roi, le Peuple, la Race, autant de mythes, autant de symboles...
6 Ambigu, car ce sentiment relève davantage d’un complexe paradoxal d’amour et
de haine, d’envie et d’arrogance, où se mêle l’insécurité linguistique et le culte des
particularismes.
7 Béat de Muralt. Lettres sur les Anglais et sur les Français . Paris, 1725.
8 Nous n’irons pas jusqu’à dire qu’il s’agit là d’un cas unique de mise en oeuvre de
la nature au service de la Patrie; en fait nous pouvons retrouver cette même
mobilisation ailleurs, en Norvège, par exemple, nation jeune qui avait aussi à se
distancier de ses voisins géographiques, linguistiques et culturels, à savoir la
Suède et le Danemark.
9 La Ligue du Gothard, fondée dans l’entre deux guerres, se donnera comme but
de renforcer les sentiments patriotiques des Suisses, sur la base d’un
isolationnisme humaniste, qui prétendait préserver les valeurs libertaires dans un
monde chaotique et totalitaire.
10 Il y aurait beaucoup à dire sur la « mission civilisatrice de la France » et sur le
caractère universel du messianisme français, qui toutefois s’appuie moins sur la
langue (ah! le génie de la langue française...) que sur les valeurs républicaines,
fondées sur la raison, et, à ce titre, jugées comme universelles. Aborder ici le
thème de la francophonie nous mènerait trop loin.
11 Nous nous limitons ici à parler de la littérature « francophone » de Suisse, bien
qu’il existe une production abondante en Suisse alémanique et non négligeable en
Suisse italienne; mais là, nous outrepasserions notre modeste compétence.
12 Charles Ferdinand Ramuz. Oeuvres complètes. Lausanne, Rencontre, 1967.
13 Observons ici que Ramuz a fréquemment été mal compris, lorsqu’en particulier
il a été considéré comme un chantre de la nature alpine et alémanique, célébrant
l’épopée paysanne ou vigneronne, contresens d’autant plus grossier que l’auteur a
toujours tenu à s’expliquer clairement sur ses projets tout au long de ses
nombreux essais et réflexions critiques sur l’art et l’homme en général.

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