CE LIEN - Fédération Française de la Couture du Prêt-à

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CE LIEN - Fédération Française de la Couture du Prêt-à
14 e RENCONTRES
INTERNATIONALES
DU TEXTILE ET DE LA MODE
DISCUSSION AVEC STEVE HIETT
Samedi 26 avril 2014 / 17h30
Steve Hiett, Photographe et Raphaëlle Stopin, Curator.
Raphaëlle Stopin
Bonjour à toutes et à tous. Je suis ravie de vous accueillir ici aujourd’hui pour cet entretien avec Steve Hiett,
Président du Jury de la Photographie. Je suis également ravie d’accueillir à la villa Noailles sa toute première
rétrospective. J’imagine que la plupart d’entre vous ont déjà vu ses images iconiques des années 80. Ce qui a
motivé cette exposition à la villa Noailles a été d’élargir notre regard sur son œuvre en révélant, grâce à un
travail intense sur ses archives, ses photos du début des années soixante et soixante-dix, et de jeter la lumière
sur les fondements de son travail et le développement de sa carrière.
Je veux d’abord exprimer mes profonds remerciements à Steve pour la confiance qu’il m’a témoignée lors du
travail de conservation de cette exposition. Merci d’être avec nous ici au festival, Steve, et de nous honorer de
votre présence.
Comme il est toujours bon de commencer avec un peu d’histoire, j’aimerais vous demander comment vous
êtes venu au monde de l’image pour nous aider à mieux comprendre votre culture et votre parcours.
Steve Hiett
Je suis allé dans une école d’art pour devenir peintre. Puis j’ai changé d’avis pour m’orienter vers le design
graphique et suis allé au Royal College of Art pour étudier les arts graphiques. Mais j’ai été distrait par la
musique et suis donc devenu guitariste. C’est comme cela que j’ai commencé.
Raphaëlle Stopin
Comment êtes-vous venu à la peinture, quel a été votre premier contact ?
Steve Hiett
Avec les peintures à numéro, vous savez ces petits jeux qu’on vous donnait en cadeau…
Raphaëlle Stopin
Pour les enfants…
Steve Hiett
Oui, c’est ce que j’aimais, l’odeur de la peinture, appliquer la peinture sur… C’est ainsi que j’ai commencé à
peindre.
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Un jour, je suis allé à une exposition de tableaux et là, un homme m’a donné un livre sur la peinture
impressionniste. J’ai copié un tableau et il l’a tellement aimé qu’il est allé voir mon père et lui a dit que je
devrais aller dans une école d’art. C’est ainsi que tout a commencé.
Raphaëlle Stopin
Vous avez fréquenté la Worthing Art School, puis l’école de Brighton et enfin le Royal College of Art ;
comment en êtes-vous arrivé à fréquenter trois écoles de suite?
Steve Hiett
Et bien j’ai été renvoyé de la première, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que je me laissais trop
distraire. Résultat, je me suis retrouvé à travailler à la construction de routes et par hasard, à réguler la
circulation : j’ai arrêté une voiture et il s’avère que c’était celle du directeur, le type qui m’avait viré de l’école
d’art. Il a été choqué de me voir dans cette situation et a donc décidé de me reprendre. C’est ainsi que je suis
retourné à l’école. Puis je suis allé directement à Brighton pour étudier les arts graphiques et ensuite au Royal
College of Art, toujours dans le graphisme. Donc oui, j’ai fait trois écoles l’une après l’autre.
Raphaëlle Stopin
Comment avez-vous abordé la photographie ? Quel a été votre premier contact avec la photo ?
Steve Hiett
Tout d’abord, j’ai eu un professeur au Royal College of Art nommé Dermot Goulding. Il avait pour habitude
de nous filer un Rolleicord et de la pellicule puis de nous pousser dans la rue pour faire des photos. Nous
n’avions pas de photomètre, ni rien de tel : à l’époque, nous n’avions qu’un bout de papier avec les tons
lumineux, sombres et noirs que l’on utilisait pour régler l’appareil. Mes premiers clichés ont été réalisés en
réglant l’exposition à partir de ce bout de papier.
Raphaëlle Stopin
Sa façon d’enseigner la photographie était donc très différente de celle pratiquée au département photo ?
Steve Hiett
Cela n’avait strictement rien à voir avec la technique, il s’agissait de chercher la poésie dans l’image, quelque
chose qui éveille en vous des émotions fortes mais rien à voir avec la technique.
Il aimait la peinture. J’étais pour ma part plus influencé par la peinture que par la photo. Le seul photographe
que j’aimais à l’époque était William Klein. Nous étions à la fin des années cinquante lorsque l’ouvrage sur
New York est paru. Le parcourir était l’équivalent visuel de l’écoute d’un disque de Chuck Berry. Un véritable
choc. Pour moi la photographie était ennuyeuse, elle correspondait à des natures mortes grises et pales, à des
choses affreuses. Alors quand j’ai vu ce livre, j’ai découvert quelque chose de vraiment vivant, d’énergique,
comme la musique.
Raphaëlle Stopin
En parlant de musique, vous venez de mentionner Chuck Berry qui a été assez important pour vous.
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Steve Hiett
A la fin des années cinquante, Chuck Berry était pour nous comme un dieu, vous savez… les Rolling Stones,
tous ces groupes qui vénéraient Chuck Berry. J’en faisais partie. Lorsque j’étais au Royal College of Art, je
jouais des solos de Chuck Berry pendant le déjeuner. Et il y avait un groupe appelé les Pretty Things…
Raphaëlle Stopin
Un groupe dont vous faisiez partie ?
Steve Hiett
Leur guitariste est tombé malade et un de leurs amis m’a demandé si je pouvais jouer avec ce groupe, les Pretty
Things. Comme je jouais du Chuck Berry et que c’était aussi ce qu’ils faisaient, j’ai eu le boulot. Après, j’ai
décidé que je ne voulais plus être graphiste, je voulais désormais être guitariste et c’est ce qui est arrivé.
Raphaëlle Stopin
Pourriez-vous nous parler de cette période où vous vous êtes consacré à la musique ? Aviez-vous totalement
abandonné l’art et la conception graphique ?
Steve Hiett
Toute m’a vie avait changé. Je me couchais à 5 heures du matin, nous jouions dans des clubs à Londres où
nous ne commencions qu’à dix heures du soir. C’était un monde nouveau pour moi : nous prenions la M1
dans les deux sens, ne mangions plus, ne dormions plus mais cela me plaisait.
Raphaëlle Stopin
Vous avez joué dans deux groupes différents ?
Steve Hiett
Oui, j’ai joué dans un groupe appelé Colours que j’ai lancé lorsque j’étais encore au Royal College, qui est par
la suite devenu Pyramid et qui a enregistré un disque que vous pouvez voir en haut à l’exposition.
Raphaëlle Stopin
Oui. Et à cette époque vous pensiez que vous deviendriez musicien ?
Steve Hiett
En ce temps-là, on ne pensait même pas au lendemain, on vivait au jour le jour. Notre manager nous payait
douze livres par semaine et on devait survivre avec. On ne dormait jamais parce que personne ne voulait
dépenser de l’argent pour les hôtels. On reprenait alors simplement la route pour rentrer à Londres. On
dormait dans la voiture, une vie diamétralement opposée à celle du Royal College of Art avec son style de vie
feutré, très sécurisé. Je suis passé d’un extrême à l’autre.
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Raphaëlle Stopin
Comment êtes-vous revenu sur le chemin de l’art ?
Steve Hiett
En fait, j’ai été électrocuté sur scène, je suis tombé et me suis cassé le dos : une expérience quelque peu
traumatisante mais cela ne m’avait pas trop dérangé. Mais lorsque j’ai repris la route, j’ai été de nouveau
électrocuté. J’ai alors commencé à douter de continuer la guitare électrique ! J’ai donc arrêté et après, je ne
savais plus quoi faire…
Un jour, j’étais assis dans un café italien dans Frith Street et un type du Royal College s’est approché et m’a
demandé ce que je faisais là. Je lui ai répondu que je venais de quitter le groupe et que je ne savais pas ce que
j’allais faire. Il m’a demandé pourquoi je n’essaierais pas la photographie du fait que tout le monde s’y mettait.
Je me suis dit que je pourrais tenter ma chance…
Raphaëlle Stopin
Que saviez-vous de la mode à l’époque ?
Steve Hiett
Rien ! Je ne savais même pas qu’il existait quelque chose comme la photographie de mode.
Raphaëlle Stopin
Connaissiez-vous les magazines de mode ?
Steve Hiett
Non! Je pensais que la photo de mode se résumait à des filles prenant des poses ridicules. Il n’y avait rien de
mal à cela mais ce n’était pas ma tasse de thé. Je ne souhaitais donc pas me lancer dans la mode. Puis, par
hasard, je suis tombé sur l’American Harper’s Bazaar, avec des photos de James Moore. J’ai vu ces photos très
poétiques, en noir et blanc, avec du grain, de filles dans des rues avec des ambiances étranges, des voitures avec
une portière ouverte. J’ai pensé que c’était comme écrire une chanson.
Raphaëlle Stopin
Est-ce ce que racontent les photos qui vous a surtout plu?
Steve Hiett
J’ai pensé que c’était comme écrire une chanson. Elles m’ont un peu rappelé l’ouvrage de William Klein sur
New York et j’ai pensé que, peut-être, je pourrais faire quelque chose comme ça. En y pensant comme à une
œuvre musicale, il était possible que j’y arrive. Si je l’envisageais comme de la photographie de mode, dans ce
cas je n’y arriverais jamais. Et puis j’ai décidé de devenir un photographe de mode parce qu’il fallait que je
paye mon loyer. C’est ainsi que j’ai débuté.
Raphaëlle Stopin
Lorsque vous vouliez devenir peintre, vous avez dit que vous étiez inspiré par les impressionnistes.
Steve Hiett
C’est juste
Raphaëlle Stopin
Ce qui implique des tableaux réalisés en extérieur, « sur le motif ». Vos premières photos ont été réalisées
dans le même esprit, dans la rue, sans mise en scène. Comment vous en êtes-vous sorti avec vos premières
photos de mode ?
Steve Hiett
Un désastre !
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Raphaëlle Stopin
Vous avez dû travailler en studio, dans un cube blanc fermé ?
Steve Hiett
Lorsque j’étais avec mon groupe, un célèbre photographe nommé Peter Webb a pris une photo de nous, vous
pouvez d’ailleurs voir l’une d’elles dans l’exposition. Il a été le premier à Londres à utiliser ce qu’on appelle
aujourd’hui un « kinoflo » (bank lighting). Personne n’en avait à l’époque et on utilisait des parapluies. Alors
j’ai volé l’idée en quelque sorte et j’ai acheté un tout petit studio dans Soho, l’ai peint en blanc et reconstruit
ce kinoflo.
J’utilisais du Kodachrome alors que lui utilisait d’autres produits professionnels grand format. J’ai commencé
à faire des photos de mode avec mon kinoflo et de la pellicule Kodachrome. Du fait que le studio était si petit,
la lumière blanche se réfléchissait partout. Je n’ai pas compris comment ces photos étaient si bien sorties : une
erreur très réussie ! Au début, je ne faisais que des photos de studio puis je me suis lassé et suis retourné en
extérieur…
Raphaëlle Stopin
Quel genre d’environnement vous inspirait ?
Steve Hiett
Les rues chaudes et vides. C’est encore le cas. Mon environnement préféré pour les prises de vues est la rue
chaude et vide.
Raphaëlle Stopin
Quel était à l’époque votre rapport à la technique ? Par exemple comment avez-vous commencé avec la
pellicule couleur ?
Steve Hiett
Je détestais et déteste toujours tout ce qui a trait à la technique. Si je pouvais uniquement appuyer sur un
bouton, je serais ravi. J’en faisais des cauchemars. Comme j’utilisais du Kodachrome, si la troisième prise était
ratée, toute la série était perdue. Cela me stressait beaucoup parce que je ne comprenais pas pourquoi je
n’avais pas une bonne exposition. Chaque fois que je rencontrais un photographe, je lui demandais comment
il réglait l’exposition : j’étais curieux de savoir.
Raphaëlle Stopin
Quand avez-vous commencé à travailler avec la pellicule couleur ?
Steve Hiett
Je travaillais déjà en Kodachrome, comme tout le monde à l’époque. Lorsque j’ai décidé de retourner faire les
photos à l’extérieur, j’ai découvert que si on était sous-exposé, on obtenait plus de contraste et les images
étaient même plus nettes. Puis j’ai découvert cette optique fantastique de 40mm, un tout petit objectif mais
qui a exactement la même focale que l’œil humain. J’utilisais donc ce 40mm, du Kodachrome et je sousexposais. Ce fut un grand moment lorsque j’ai découvert le flash et que je l’ai mixé avec la lumière du jour :
une autre erreur bénéfique...
Raphaëlle Stopin
Que voulez-vous dire par « erreur » ?
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Steve Hiett
J’avais toujours avec moi un flash Norman en cas de pluie. Un jour, je m’apprêtais à prendre une photo
lorsqu’il s’est mis à pleuvoir. Il fallait donc que j’utilise ce satané flash Norman et juste au moment où j’avais
fini de le monter sur l’appareil, le soleil est revenu. J’ai regretté d’avoir perdu mon temps. Mais avant de le
retirer je me suis dit que je pourrais voir comment il se mélangerait avec la lumière du soleil. Je me suis
exécuté et ai regardé le polaroid et… Eureka, j’avais trouvé la pièce manquante du puzzle. C’est ainsi que j’ai
trouvé ma technique.
Raphaëlle Stopin
Quand sentez-vous que vous avez atteint l’apogée de votre art ?
Steve Hiett
Pas encore, je l’espère !
Raphaëlle Stopin
Pas encore ?
Steve Hiett
J’imagine que mon style, ce qui est réellement devenu mon style, s’est forgé au début des années 80 lorsque je
travaillais pour le Marie-Claire français, à l’époque où ce magazine était vraiment très bien. Je travaillais pour
eux tous les mois sans arrêt et toujours avec les mêmes filles, Kirsten Owen, Cecilia Chancellor et quelques
autres mannequins. A cette époque, la fille faisait partie de votre style. Quand on vous engageait, c’était pour
votre lumière et pour vos modèles, un package complet. Toutes les photos des années 80 étaient réalisées avec
à la base les même trois ou quatre filles.
Raphaëlle Stopin
Vous travaillez de manière spontanée. Pouvez-vous développer ? Avez-vous jamais dessiné des croquis ?
Steve Hiett
Parfois quand je n’ai pas de point de départ, je tourne en rond. Je fais un croquis ou j’écris une idée sur ce
que je vais faire et je commence avec cela. Cela peut donner quelque chose de tout à fait différent à la fin mais
il me faut un point de départ. Je me prépare ainsi. Cependant je reste ouvert à tout incident parce que les
meilleures photos que j’ai réalisées résultaient de belles erreurs.
Raphaëlle Stopin
Diriez-vous que le point de départ est plutôt lié à la relation que vous avez avec le modèle ou à
l’environnement ?
Steve Hiett
Le modèle, je crois. Mais vous devez rester ouvert aux imprévus. Le problème des photographes qui ont des
idées arrêtées et qui s’acharnent à les concrétiser, est qu’ils passent à côté de choses fantastiques qui se
déroulent autour d’eux ; ils deviennent aveugles et ne laissent aucune place à la chance.
Raphaëlle Stopin
En parlant des modèles, vous venez de mentionner Kirsten Owen et de Cecilia Chancellor. Si l’on remonte en
arrière de quelques décennies, avec qui d’autre avez-vous travaillé ?
Steve Hiett
Le premier modèle célèbre avec lequel j’ai travaillé était une fille nommée J.J., qui est également présente dans
l’exposition. C’était mon rêve de travailler avec J.J., alors quand cela s’est concrétisé, ce fut vraiment une
grande étape : je travaillais enfin avec un modèle célèbre !
Raphaëlle Stopin
C’était à la fin des années soixante ?
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Steve Hiett
Oui, en 69, lorsque j’ai commencé dans la mode. Après, lorsque j’ai déménagé à Paris, il y avait un tout
nouveau style de mannequin. En Angleterre, elles étaient d’une certaine manière très sophistiquées, des filles
glamour en quelque sorte. En France, les filles comme Isabelle Baumgarten et Louise étaient beaucoup plus
poétiques. Cela a donné une toute nouvelle impulsion à mon travail parce qu’elles n’essayaient pas d’être
glamour.
Raphaëlle Stopin
Vous souhaitiez travailler davantage sur les possibilités narratives ?
Steve Hiett
Plus poétiques. Un sentiment tout à fait différent. Lorsque je suis arrivé en France, tout à coup, les filles ne se
maquillaient et ne se coiffaient plus elles-mêmes. Alors qu’en Angleterre, même si vous travailliez pour Vogue,
les filles s’occupaient de leur propre coiffure et maquillage. Ce fut une grosse surprise pour moi. Lorsque j’ai
fait mes premiers voyages en Angleterre, il n’y avait que trois personnes par séance : vous, le mannequin et le
styliste. Vous louiez un taxi, repassiez les vêtements, les mettiez sur le siège arrière, vous vous rendiez quelque
part, la fille sautait du taxi et s’habillait derrière la portière. La fille portait un sac et s’occupait de la pellicule.
Le styliste habillait la fille et vous aviez quelqu’un pour conduire le taxi.
Raphaëlle Stopin
Le fait que les équipes soient beaucoup plus importantes aujourd’hui change t-il votre façon de travailler ?
Steve Hiett
Non, c’est juste du luxe. Vous avez une camionnette… La photographie est aujourd’hui un luxe absolu. C’est
la même chose avec la musique : dans les années cinquante, vous aviez quatre gars coincés à l’arrière d’un
minibus qui mangeaient des sandwiches… Aujourd’hui ils ont des véhicules de luxe, des écrans vidéo, c’est une
vie de luxe maintenant.
Raphaëlle Stopin
Vous avez beaucoup produit dans les années quatre-vingt. Et soudain les années quatre-vingt-dix sont
arrivées, le grunge…
Steve Hiett
Je n’étais plus dans le coup
Raphaëlle Stopin
Vous avez utilisé le terme « obsolète » un peu plus tôt.
Steve Hiett
Peu importe les magazines que je contactais, ils ne répondaient plus au téléphone. Même Marie-Claire avec
qui j’avais travaillé sur chaque numéro pendant quarante ans, tout d’un coup ne prenaient plus mes appels.
Raphaëlle Stopin
Vous êtes alors parti à New York?
Steve Hiett
Oui, je suis parti à New York pour faire du design graphique.
Raphaëlle Stopin
Surtout de la direction artistique avec Arthur Elgort?
Steve Hiett
J’ai conçu le graphisme du « Manuel des Modèles » qui est devenu une icône. Par chance, comme personne ne
me proposait de travail à ce moment là, j’ai pu consacrer mes journées entières à ce projet.
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Raphaëlle Stopin
Quel a été le processus de création pour cet ouvrage ? Quel degré de liberté avez-vous eu?
Steve Hiett
Nous étions au tout début du graphisme sur ordinateur …je n’y connaissais rien en informatique et je devais
donc dire au gars, déplace ceci à gauche, change de police, mets cela en rose… c’était un peu comme de la
réalisation. C’était assez difficile mais cela m’a plu. J’y ai travaillé tous les jours pendant 9 mois. Le livre fait
environ 400 pages.
Raphaëlle Stopin
Lorsque nous avons parlé des designers graphiques que vous aimez et dont vous vous sentez proche, vous avez
mentionné Willy Fleckhaus de Twen, Marvin Israel pour son travail chez Harper’s Bazaar et le livre qu’il a
publié pour Richard Avedon, Nothing Personal.
Steve Hiett
On ne parle plus de Twen de nos jours mais c’était, d’une certaine manière, le magazine le plus important
jamais publié : il proposait un graphisme et des photos incroyables. C’était un magazine allemand. Je crois
qu’il a duré trois ou quatre ans mais ce magazine a influencé toute ma génération. Aucun autre magazine
n’aurait pu exister sans Twen. Ce fut le premier magazine à prendre un petit bout de négatif et à étaler dessus
une grande tâche floue avec du texte en gros caractère : c’était comme le Rock’n’Roll, magnifiquement réalisé :
et Twen a eu une énorme influence.
Raphaëlle Stopin
Avec ces deux exemples de Twen et de Marvin Israel, pourriez-vous nous donner une idée du genre de design
graphique qui vous a inspiré ?
Steve Hiett
Dans le Londres du début des années 60 et de façon soudaine, le graphisme, la photographie, la musique, tout
a en quelque sorte explosé. George Lois en Amérique, nous a également influencé.
Raphaëlle Stopin
Avec son travail chez Esquire magazine?
Steve Hiett
Oui, Esquire et des magazines tout aussi sophistiqués. On ne voit plus de mise en page comme cela de nos
jours.
Raphaëlle Stopin
Pour revenir à votre période New Yorkaise, vous aviez la direction artistique du livre d’Arthur Elgort. Cela a
duré quelques années… Puis vous avez été appelé par Franca Sozzani.
Steve Hiett
Alors que je vivais dans mon petit coin, il est arrivé, pour une raison inconnue, que je sois invité à une fête au
6 de la 5ème avenue. Je ne pouvais pas me payer un taxi et je me rappelle avoir marché pour m’y rendre. Par
chance, je me suis retrouvé assis à côté de Franca Sozzani, du Vogue italien, et elle m’a demandé comment
j’allais. Je lui ai répondu que cela allait puis je suis rentré chez moi à pied.
Deux jours plus tard, j’avais des tirages, des photos que j’avais prises de Jimi Hendrix et que j’essayais de
vendre. Je me suis rendu à une galerie où je suis de nouveau tombé sur elle. Elle m’a dit que c’était là une
étrange coïncidence et que cela signifiait que nous devions retravailler ensemble. Je me suis dit que ce n’était
encore que des paroles en l’air du monde de la mode mais trois jours plus tard, je travaillais de nouveau avec le
Vogue italien et tout est reparti. Encore une chance, une magnifique erreur…
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Raphaëlle Stopin
A New York, vous avez pris toutes ces photos depuis votre fenêtre.
Steve Hiett
Oui, je n’ai rien eu à faire pendant huit ou neuf ans, alors j’ai pris des photos depuis ma fenêtre : j’étais mon
propre client.
Raphaëlle Stopin
Lorsque vous êtes revenu à la photo avec le Vogue italien et The Face, il a semblé que vous photographiez les
filles de façon différente.
Steve Hiett
Oui parce qu’après plusieurs années sans travail, j’étais un peu frustré. Lorsque j’ai repris la photo, il y a eu
chez moi, je crois, une explosion d’énergie. C’est la raison pour laquelle vous voyez ce grand changement.
Avant, lorsque je travaillais en Kodachrome, si la fille bougeait d’un pouce du flash, la photo était ratée et
donc elle devait rester exactement à la même place sans bouger. C’est pourquoi sur les photos des années 80
que vous voyez à l’exposition, les filles sont vraiment statiques. Le Kodachrome entre d’un côté de l’appareil et
ressort de l’autre et c’est exactement ce que l’on obtient.
Raphaëlle Stopin
Avec la possibilité de les faire se déplacer, avez-vous commencé à les diriger et à travailler différemment ?
Steve Hiett
Je ne crois pas avoir jamais dirigé. La fille est là et quelque chose se passe, on espère que c’est pour le mieux. Il
me semble que c’est ainsi mais peut-être que je dirige sans le savoir. Je dis « assied-toi là et regarde la
caméra », ensuite cela ne plus tient qu’à elles. C’est pourquoi il vous faut un bon modèle.
Raphaëlle Stopin
Comment les enseignements de Dermot Goulding ont-ils façonné votre expérience à ce jour ?
Steve Hiett
Pour moi, la photographie se résume à la création d’une émotion. Je ne sais pas ce qu’est cette émotion :
simplement quelque chose que j’ai au fond de ma tête et que j’essaie de concrétiser. Si je savais l’’exprimer, je
le consignerais par écrit. Lorsque j’étais avec le groupe et que j’écrivais les paroles d’une chanson, j’exprimais
en quelque sorte ces émotions. Lorsque j’ai commencé à faire de la photographie de mode, j’ai tenté de faire la
même chose mais j’ai échoué la plupart du temps parce qu’il y a tellement de problèmes avec la photo de mode
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que parfois on doit abandonner. Et vous devez livrer ce qu’ils veulent. J’essaie du mieux que je peux de donner
de l’émotion aux images mais je ne peux expliquer le phénomène.
Raphaëlle Stopin
Quel serait le point commun entre les différents médias – la peinture, la photographie, la musique, les arts
graphiques- que vous avez pratiqués jusqu’à présent ?
Steve Hiett
Je dirais la poésie. Je ne parle pas de la poésie romantique éphémère mais d’une sorte de folie dont j’essaie
d’imprégner toute chose parce que s’il n’y a pas un peu de folie, il n’y a plus rien. Tous les musiciens et
photographes que j’apprécie ont ce brin de folie. Vous voyez, vous devez combiner une bonne technique avec
la folie et alors quelque chose d’intéressant en ressort.
Raphaëlle Stopin
Que répondriez-vous aux gens qui qualifient votre travail de « graphique » ?
Steve Hiett
Je hais la photographie graphique. J’aime la construction comme dans la peinture ; le graphisme se résume à
des traits intelligemment agencés et je n’aime pas ça. Si mes images sont graphiques, c’est complètement
accidentel. J’imagine que ma formation en conception graphique et mon intérêt pour la peinture y sont pour
quelque chose mais je travaille tellement vite que je ne vois pas comment j’arriverais à faire de belles images
graphiques. Je travaille trop vite, bang ! bang ! bang ! Et je prie pour que cela marche…
Par exemple je n’aime pas les endroits conçus au cordeau, j’aime découvrir des endroits fous. C’est pourquoi
j’aime les banlieues parce qu’elles n’ont pas été dessinées par un architecte en vogue : elles ont été façonnées
par un entrepreneur local et c’est plus intéressant.
Je n’aime pas les immeubles bien dessinés ; c’est un peu comme faire poser une fille devant une pyramide.
D’accord c’est joli mais cela n’apporte rien à l’image. Vous savez, je déteste les filles devant le Taj MahaI ou la
Place de la Concorde. Pour moi c’est ringard, il n’y a aucune magie : nous savons tous que ce sont des lieux
mythiques, et alors ?
Raphaëlle Stopin
Entre les années 50 et 60, Norman Parkinson a fait de célèbres photos de ces filles devant des monuments...
Steve Hiett
En effet, mais comme il était honnête, c’était bien : il adorait réellement ces situations. Moi, je ne supporte
pas et si j’avais à le faire, je me sentirais complètement faux. J’ai horreur de travailler Place de la Concorde.
Raphaëlle Stopin
Vous vous sentiriez plus à l’aise près d’une plage ?
Steve Hiett
La plage ou une rue de banlieue : j’aime la banalité, je crois que les choses banales sont très belles.
Raphaëlle Stopin
Lorsque vous racontez votre histoire, on a l’impression que tout arrive par chance.
Steve Hiett
C’est le cas, oui. La seule façon de vivre sa vie, c’est de rester ouvert à la chance et de la saisir lorsqu’elle se
présente. J’essaie de faire cela avec la photo. J’échoue la plupart du temps. C’est ainsi, parce que si vous
n’acceptez pas de vous surprendre vous-même, vous ne risquez pas de surprendre quiconque.
Raphaëlle Stopin
Si l’on pouvait regarder à nouveau les photos, Steve pourrait les commenter. L’exposition regroupe des photos
des années 60 à nos jours et nombre d’entre elles n’ont pas été revues depuis le jour de leur publication. Il y a
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également quelques objets qu’il a conçus, certains originaux. Notre idée est de donner un aperçu le plus large
possible de la personnalité de Steve et de présenter les différentes formes artistiques qu’il a pratiquées, du
graphisme au design, en passant par la musique…
Steve Hiett
•
Celle-ci est la première photo que j’ai prise lorsque Dermot Goulding m’a envoyé dans la rue avec
une caméra Rolleicord ; elle montre simplement deux gamins qui se tiennent contre un mur; je me
souviens lorsque j’ai développé cette pellicule, ce fut un moment magique de ma vie. J’ai pensé : « C’est
bien d’être capable de faire ça avec une caméra ! C’est ma photo préférée.
•
Là, c’est J.J., l’une de mes premières photos pour le Vogue anglais, Primrose Hill, noir et blanc,
Rolleicord.
•
Là, c’est Anjelica Huston, je ne me souviens plus pour qui j’ai réalisé cette image.
•
Là, c’est quand je travaillais encore en studio.
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Raphaëlle Stopin
Est-ce que vous faisiez des expériences avec l’éclairage ?
Steve Hiett
Oui, j’ai été le premier à utiliser le Kinoflo pour la photo de mode, ce que personne ne faisait à l’époque. Je
ne dis pas cela par prétention mais j’étais le premier, du moins en Angleterre.
•
Ici c’est Tracy Weed. Elle m’a demandé de lui donner quelque chose, donc c’est ma main dans
l’image.
•
Et celles-ci pour Queen Magazine à la piscine Oasis, en 1969 je crois lorsque j’ai commencé à
travailler en extérieur.
•
Ici, c’est J.J., en Espagne à Palma de Majorque, en 1969.
Raphaëlle Stopin
C’est un peu graphique !
Steve Hiett
Un peu graphique, je l’admets, mais un pur hasard ! Celle-ci aussi, c’est une seconde nature comme vous
pouvez le voir.
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Raphaëlle Stopin
A cette époque vous aviez déménagé à Paris
Steve Hiett
Lorsque je travaillais à l’intérieur, la lumière était désastreuse alors j’utilisais mon flash Norman
•
Celle-ci était pour le Queen Magazine.
Raphaëlle Stopin
Le seul mâle de l’exposition …
Steve Hiett
Je ne suis pas très bon pour faire des photos d’hommes.
•
J.J. de nouveau, ma première histoire pour le Vogue anglais en 1969
•
Ici, la célèbre Julie Driscoll.
Raphaëlle Stopin
Elle est également celle qui a tiré votre portrait et que l’on peut voir à l’exposition.
Steve Hiett
Là vous voyez ma copine Diane. Je l’ai prise au même moment où j’ai photographié les gamins dans la rue.
Raphaëlle Stopin
Le grain est très fort.
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Steve Hiett
Mes premières photos avaient beaucoup de grain parce que nous n’avions pas les moyens d’acheter de la
pellicule normale et donc nous utilisions de grosses bobines de film de cinéma puis les chargions dans des
cassettes, les mêmes que tout le monde jetait. C’est ce qui explique le grain.
•
Celle-ci montre Cecilia Chancellor.
Raphaëlle Stopin
C’est à New York ?
Steve Hiett
Oui, cette photo a été prise lorsque je ne travaillais pas. Les filles avec qui j’avais travaillé dans les années 80
venaient me rendre visite et je pouvais les prendre en photo regardant l’autoroute par la fenêtre.
•
Là, c’est Louise devant Notre Dame.
Raphaëlle Stopin
Et en voici une des banlieues.
Steve Hiett
Les banlieues oui, avec ces étranges rues vides.
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Là c’est Kirsten, me faisant comprendre qui elle est...
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•
Tracy Weed, de nouveau au moment où je suis parti en extérieur.
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Ici c’est la fin des années 70. Je n’ai que cette unique photo parce qu’elle attendait que j’installe mon
flash et le soleil est apparu une fraction de seconde lorsque j’ai pris mon cliché.
•
Juliette, à Aubervilliers, au bon vieux temps, avec le flash Norman.
Raphaëlle Stopin
La plupart du temps à cette époque, dans les années 70, vous cadriez assez large, non ?
Steve Hiett
Oui et d’une certaine manière, j’étais surpris que les gens acceptent de travailler avec moi à l’époque parce que
la fille était toujours assez petite dans le cadre. J’aimais l’environnement presqu’autant que les filles.
•
Même série. Une boîte aux lettres quelque part à Aubervilliers, à trois heures du matin.
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Juliette pour le Vogue français, avec une caméra Instamatic. C’est la première photo que j’ai prise
d’une fille avec un appareil photo. Peut-être la meilleure également.
Raphaëlle Stopin
La première d’une longue liste.
Steve Hiett
Oui c’était le début d’une étrange obsession.
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Une fille derrière un interphone sur un mur quelque part dans la banlieue, également pour le Vogue
français.
•
Ici c’est Juliette qui se cache derrière un poteau. Personne n’allait à Miami à l’époque ; à la fin des
années 70, c’était un endroit dangereux. J’avais toute la plage pour moi comme vous pouvez le constater.
Personne sur le sable. Si vous preniez la même photo aujourd’hui, elle serait farcie de photographes de
catalogues allemands occupant l’arrière-plan.
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Celle-ci est la couverture de ce livre que j’ai mis en page pour Arthur Elgort et voici une des mises en
page de l’ouvrage. J’ai fait tout ceci après avoir arrêté la photo, je vivais alors du graphisme.
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Raphaëlle Stopin
Est-ce que vous faites toujours du graphisme?
Steve Hiett
Oui, j’adore ça et j’en fais autant que je peux. Tout ceci est fortement influencé par Robert Motherwell et tous
ces expressionnistes abstraits américains des années 60.
•
Je l’ai prise sur de la pellicule par accident comme vous pouvez le voir : je ne regardais même pas
dans l’œilleton lorsque je l’ai faite. Je l’ai découverte à la fin du rouleau et il s’est avéré que c’était la
meilleure. Ici encore, vous voyez qu’il faut rester ouvert à toutes ces choses qui se passent et ne pas être
obsédé par ce que vous aviez à l’esprit.
•
Cette photo n’était pas prévue. Elle a été réalisée en à peu près une minute. Elle marchait déjà le
long de la route, portait cet imperméable et nous avons vu passé ce taxi. Nous l’avons arrêté et lui avons
remis dix dollars pour qu’il reste là une minute. Elle a sauté dans le véhicule et j’ai pris la photo et le taxi
est reparti. Cette photo s’est faite en une minute maximum et c’est ce qui lui donne toute cette énergie. Si
j’avais pris quatre heures à la composer, cette photo aurait été nulle.
•
Ça c’est pour The Face
Raphaëlle Stopin
Cette photo a été prise juste à votre retour de New York ?
Steve Hiett
Juste au moment où j’ai commencé à travailler pour le Vogue italien. Mais j’étais aussi à New York en même
temps. On peut voir ce genre d’énergie débridée. Je le dis parce que j’étais tellement heureux de renouer avec
la photo que cela se voit réellement dans l’image.
•
A bord d’un avion.
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•
Ça c’est pour le LA Times
Raphaëlle Stopin
Et que diriez-vous de cette gestuelle ? La plupart du temps, les filles se couvrent le visage de leurs mains ou de
leurs cheveux, ou le voile dans l’ombre…
Steve Hiett
Je ne sais pas, il faudrait adresser cette question à un psy. J’ai probablement un gros problème avec les femmes.
C’est ce qu’on m’a dit !
•
Même époque, à New York. C’était le premier boulot que j’ai eu après avoir repris la photo. J’ai
emprunté un Polaroid et j’ai réalisé tout ce travail avec trois packs de film parce que c’est tout ce que je
pouvais me permettre financièrement. J’ai dû faire ces prises rapidement parce que je n’avais pas un sou.
Vous devez être rapide quand vous ne pouvez pas vous permettre d’utiliser dix packs, peut-être deux prises
par scène. Ce fut une expérience enrichissante de ne pas avoir d’argent. Cela me faisait travailler mieux.
Raphaëlle Stopin
Y-a-t’il des questions de la salle pour Steve?
De la salle, Mark Tungate, écrivain, journaliste indépendant
Vous avez parlé de la question de la technique et prétendez que vous êtes très impulsif. Je me demande ce que
vous pensez de la culture Instagram et des gamins qui courent partout en prenant des photos de tout et de rien
avec leurs mobiles…
Steve Hiett
Je n’en sais rien mais on m’a dit que c’est quelque chose de fabuleux auquel je devrais m’intéresser. Pour moi,
c’est juste un autre motif d’inquiétude alors, je ne sais pas…
De la salle, Mark Tungate, écrivain, journaliste indépendant
Est-ce que vous utilisez le numérique aujourd’hui?
Steve Hiett
Oui, c’est obligatoire parce qu’on ne trouve plus de pellicule. Bon, on peut en trouver si on cherche mais… Le
client veut une gratification instantanée, il veut tout voir sur le champ.
De la salle, Mark Tungate, écrivain, journaliste indépendant
Est-ce que cela vous facilite la vie ?
Steve Hiett
Jusqu’à un certain point, oui, parce que je peux voir si j’ai fait des erreurs alors qu’avant il fallait attendre trois
jours. C’est bien pour cette raison, mais c’est terrible lorsqu’on se retrouve avec huit personnes qui regardent
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les clichés. Pour moi, la photographie est très privée, quelque chose de personnel alors quand vous avez des
gens qui regardent par-dessus votre épaule, cela peut être gênant.
De la salle
Vous avez parlé de la folie comme un point commun traversant toutes vos disciplines …
Lorsque vous faites de la photographie, diriez-vous qu’il y a une émotion qui prévaut et quelle serait cette
émotion ?
Steve Hiett
Je l’ignore. Je peux le voir mais je ne sais pas pourquoi cela arrive. J’ai cette étrange sensation de ne pas
pouvoir m’arrêter. Lorsque j’ai débuté, il me fallait beaucoup de temps avant de parvenir à cet état.
Aujourd’hui, je sais que je peux l’atteindre en 30 secondes : je peux le repousser un peu si je veux mais je sais
que je peux y arriver en une ou deux minutes maximum.
De la salle
Pensez-vous que votre sensibilité a évolué dans le temps et que si vous regardez vos travaux des débuts, vous
allez probablement les détester malgré le fait qu’ils soient très bien ?
Steve Hiett
Lorsque je regarde en arrière - en fait c’est la première fois que j’ai l’occasion de voir une rétrospective de
mon travail dans son ensemble - je pense que, peut-être, les photos que j’ai faites dans les années 70 étaient les
meilleurs que j’ai jamais réalisé. Parce que je ne savais pas ce que je faisais et que je n’essayais pas de plaire à
quiconque, je m’en foutais. Ce travail est en quelque sorte celui qui me ressemble le plus. Vous savez, la fille
qui regarde par-dessus le mur ? Je suis encore surpris aujourd’hui de m’en être tiré avec cette photo. C’était
une belle époque lorsque je travaillais pour le Vogue français. Aujourd’hui il faut leur donner ce qu’ils
veulent. Si vous le faites, vous ne leur apportez rien de neuf puisque que s’ils l’ont à l’esprit, c’est donc du déjà
vu. C’est bien, c’est sympa, mais ce sont toujours les mêmes vieux procédés.
Raphaëlle Stopin
Steve, pourriez-vous nous parler de vos projets?
Steve Hiett
Aujourd’hui je suis ici, je travaille par ailleurs pour Elle et pour le Vogue italien puis je vais aller à New York
pour faire du design graphique. Ensuite, je vais enregistrer un disque avec mon groupe des années soixante.
Raphaëlle Stopin
A nouveau merci Steve et merci à tous d’avoir assisté à cette table ronde.
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