Pages de jurisprudence sociale n°22

Transcription

Pages de jurisprudence sociale n°22
URISPRUDENCE SOCIALE
Publication du Barreau de Lyon - Avril 2004, n°22
SOMMAIRE
LIBRES PROPOS SUR LE
HARCELEMENT MORAL
L
 Procédure prud’homale
oi nécessaire « pour qu’émerge
du silence, du non dit, la
souffrance d’hommes et de
femmes niés en tant qu’êtres
humains et réduits au rôle de
vulgaires machines productives et
qu’enfin le législateur considère
comme condamnables des pratiques
portant atteinte à l’intégrité et à la
dignité des salariés… » (Bulletin
d’information du Secteur Egalité de
la Confédération FORCE OUVRIERE
- Janvier 2002 – N°8) et pour aider
au
« processus de guérison pour
les victimes de harcèlement
»,
(selon l’expression de certaines
associations) ; ou loi « fondée sur un
concept flou, élastique et globalisant
qui alimente des raisonnements
paranoïaques, induit un climat
délétère en créant une suspicion
généralisée en encourageant les gens
à préférer le statut de victimes
impuissantes à celui du citoyen
responsable… » (Jean-Pierre LE GOFF
– Sociologue au Laboratoire Georges
FRIEDMANN – PARIS I – C.N.R.S. in
L’EXPRESS du 13 Mars 2003) ; les
débats provoqués par l’entrée en
vigueur des articles 168 à 180 de la
loi du 17 janvier 2002 ont
quelquefois été vifs.
L
Aujourd’hui, c’est-à-dire instruit par
une expérience de presque deux
ans, le praticien ne peut que
constater le bien fondé de l’analyse
que certains faisaient dès l’origine, à
savoir que l’on se trouve en présence
d’une loi mal rédigée, dangereuse (I)
et inutile (II).
L’article L. 122-49 a mis un terme à
cette harmonie consensuelle semant
un vent de panique dans les
consciences.
’article L. 122-49 du Code du
travail vient prohiber, de manière
parfaitement
banale,
toute
«expression déviante du pouvoir de
subordination » (1).
Il ne viendrait, au fond, à l’idée de
personne de ne pas approuver la
sanction d’un comportement qui n’a
pas sa place dans la relation de travail.
Il n’était d’ailleurs pas venu à l’idée de
quiconque de s’insurger contre la
jurisprudence de nombreuses Cours
d’appel qui, antérieurement à la loi de
modernisation sociale, avaient, sur le
fondement de l’article 1134 alinéa 3
du Code civil auquel renvoie l’article
L. 121-1 du Code du travail, rappelé
que « le respect du salarié marque les
limites du pouvoir de l’employeur. »
(2).
Mandat de l’avocat - Formalisme du désistement
CA Lyon, 19/12/02
 Licenciement pour motif personnel
CA Lyon, 18/12/02
 Licenciement pour inaptitude
physique
Charge de la preuve de l’impossiblité de
reclassement
CA Lyon, 22/01/03
 Clause de non concurrence
Absence de contrepartie pécuniaire à une
clause contractuelle de non concurrence
CA Grenoble, 06/01/03
 Application d’une convention
collective
Employeur non adhérant à un syndicat
patronal signataire - Convention collective
étendue - Avenant ultérieur non étendu
CA Lyon, 13/05/03
Sociologues, médecins et juristes
s’accordaient alors à stigmatiser les
méfaits du « mobing » pour le plus
grand plaisir des médias.
 Fonction publique
Tout allait donc pour le mieux dans le
meilleur des mondes tant que le
champ lexical restait anglo-saxon et
n’avait pas pris place dans nos sacrosaints codes Napoléon par le biais
d’un texte spécifique.
 Agent SNCF
Loi instituant une nouvelle bonification
indiciaire - Décret d’application - Illégalité
CAA Lyon, 27/12/01
Inaptitude à l’emploi - Juge compétent
CAA Lyon, 01/10/02
 Elections professionnelles
I - Une loi mal rédigée et dangereuse
a) Le nouvel article L.122-49 du Code
Suite page 2 .........................Joseph
AGUERA
De nombreuses voix s’élèvent
désormais pour juger l’apport de la loi
de modernisation sociale au mieux
superfétatoire, au pire imprécis et
dangereux.
La réalité et les pratiques n’ont
Suite page 2 ............................. Pascale
REVEL
Vote par correspondance généralisée à une
catégorie du personnel (non)
TI Villeurbanne, 28/11/02
TI Lyon, 23/02/03
 Accord d’entreprise
Dénonciation - Obligation de motivation
(non)
TGI Grenoble, 09/01/03
 Syndicat professionnel
Action en justice - RecevabilitéReprésentant du syndicat - Condition
TA Lyon, 08/04/03
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du travail est, pour l’essentiel, rédigé dans les termes
suivants : « Aucun salarié ne doit subir les agissements
répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour
effet une dégradation des conditions de travail
susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité,
d’altérer sa santé physique ou mentale ou de
compromettre son avenir professionnel… ».
pourtant pas changé et la nécessité de canaliser les «
déviances » reste tout aussi prégnante.
Une loi était donc nécessaire (I), même si le législateur ou
plutôt les législateurs successifs (et l’on pense à la
regrettable réforme Fillon du 3 janvier 2003) restent
souvent trop timides (II).
I – Une loi nécessaire :
Cette définition, si tant est que le terme ne soit pas
impropre, laisse pantois le juriste, surtout si l’on
considère que le texte est assorti de sanctions pénales.
 La notion d’agissements dont la connotation péjorative
n’échappe à personne, est à peu près la plus floue qui
puisse se concevoir : l’exigence de répétition ne vient en
rien tempérer les craintes qu’elle suscite.
 En indiquant que ces agissements doivent avoir « pour
objet ou pour effet », le législateur s’est inscrit à contrecourant d’une tendance législative voulant, à juste titre,
réhabiliter la notion d’intention en droit pénal :
désormais, on peut être harceleur malgré soi puisque la
définition s’articule non au regard de l’acte et de son
auteur, mais du point de vue de la victime et des
conséquences de l’acte.
 Lesdites conséquences sont aussi floues puisque le
législateur parle de «dégradation » (des conditions de
travail) « susceptibles » de porter atteinte.
 Ainsi, les conséquences de la dégradation des
conditions de travail n’ont pas à être constatées et
établies mais simplement être « susceptibles » de l’être et
elles doivent porter sur des concepts tout aussi flous
comme, notamment, la « santé mentale » ou encore
« l’avenir professionnel ».
Le juriste attaché aux libertés publiques et donc au
principe de « légalité des délits et des peines » et le
praticien confronté à la réalité ne peuvent que
considérer, à ce stade du raisonnement, que la loi est
mal rédigée et dangereuse.
b) S’inscrivant dans une démarche de plus en plus prisée
en droit du travail, le législateur, sans oser le dire
franchement, a ensuite mis en place un système
probatoire qui aboutit de facto à une inversion de la
charge de la preuve : on ne peut être, à cet égard, que
frappé de constater qu’aucun de ceux qui font
habituellement référence aux droits de la défense et à la
notion de présomption d’innocence, n’a protesté, au
moment du vote de la loi, considérant, selon l’expression
du professeur J.-E. RAY que le droit processuel est un
droit mineur qui peut être, en Droit du travail, écarté au
motif d’opportunité.
On rappellera ici en effet que dans le texte d’origine le
salarié devait simplement « présenter des faits laissant
supposer le harcèlement moral » : on avait, à l’époque,
évité de justesse la simple exigence d’une « allégation » ;
situation qui a conduit, fort heureusement, le Conseil
constitutionnel à édicter de « strictes réserves
d’interprétation » dans une décision du 12 janvier 2002,
trouvant à s’appliquer dans le procès civil et à indiquer
que cette inversion de la charge de la preuve ne
s’appliquait pas en matière pénale.
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - II
a) Pour affiner les concepts :
Il est désormais de bon ton de se gausser des références
légales en matière de « santé mentale » du salarié.
Passé l’effet ironique irrésistible, peut-être faut-il se souvenir
de quelle manière les Romains appréhendaient l’être
humain « Mens sana in corpore sano ».
Peut-être, faut-il aussi avoir en mémoire la fin du 19ème
siècle où la psychanalyse explorait les arcanes du champ
mental de l’humain dans sa complétude.
Telle n’était toutefois pas l’évolution du juriste social pour
lequel « la santé mentale » demeurait un tabou à bouter
hors de l’enceinte de l’entreprise.
Jusque là, en effet, le Droit du travail, comme celui de la
sécurité sociale, « se sont développés à partir d’une vision
mécanique de l’être humain ».
« C’est d’abord le corps qu’il a fallu protéger des
agressions du travail industriel » (3).
C’est cette santé mentale qui fait donc son entrée tardive
dans l’entreprise opérant ainsi au plan législatif « un
changement d’angle au travers d’une approche globale
de l’être humain » (4).
C’est donc le salarié, en tant qu’individu à part entière, qui
est désormais protégé du comportement du harceleur.
L’approche de la personnalité du harceleur s’est aussi
affinée au travers de la loi. N’est pas harceleur qui veut.
Les coups de gueule, les coups de stress restent permis pour l’employeur à tout le moins - puisque ces agissements,
avant d’être constitutifs de harcèlement, doivent être
caractérisés au plan temporel (répétés) et objectivés en
terme de conséquences (un comportement ayant pour
objet ou pour effet une dégradation des conditions de
travail…).
Mieux, le harceleur n’est plus uniquement celui qui s’en
donne la peine. Il est aussi celui qui, comme Monsieur
JOURDAIN, fait du harcèlement sans le savoir, découvrant
à l’occasion du procès que même l’enfer peut être pavé de
bonnes intentions.
Mais la loi n’a pas voulu enchâsser le conflit dans une vaine
dualité de protagonistes -harceleur-harcelé- et a tenté, pour
éviter précisément toute approche manichéenne, de
donner la parole à d’autres acteurs du travail.
b) Pour accroître les pouvoirs :
Le médecin du travail a vu ses pouvoirs renforcés par
l’article L. 241-10-1 du Code du travail qui lui permet de
« proposer des mesures individuelles telles que mutation
ou transformation de poste, justifiées par des
considérations relatives notamment à l’âge, à la
résistance physique ou à l’état de santé physique et
mentale des travailleurs ».
Les salariés pourront avoir accès à leur dossier en
application des articles L. 1111-1 et suivants du Code de la
santé publique.
Le médecin du travail peut, a fortiori dans un conflit ayant
trait au harcèlement, « permettre au travailleur souffrant
de
s’inscrire
dans
une
dynamique
de
suivi/accompagnement pour sa propre réhabilitation et,
La loi dite « FILLON » du 3 janvier 2003 a à peine modifié
les règles probatoires en indiquant que le salarié devait
« établir » les faits allégués.
d’autre part, proposer à l’employeur une transformation
de l’environnement global du travail dans lequel la
souffrance psychique de l’individu a pu se cristalliser. » (5)
On notera que sous le prétexte peu convainquant que le
contentieux administratif a ses règles propres, le régime
probatoire ci-dessus exposé n’a pas été étendu à la
fonction publique qui, pourtant selon le Ministre du travail
de l’époque, représentait un tiers des cas de harcèlement
moral signalés (Rapport Sénat N°275 – Tome I – p. 321).
Le CHSCT peut proposer des actions de prévention en
matière de harcèlement (article L. 236-2, §6), et le CHSCT
peut demander la nomination d’un expert pour faire
identifier la situation de harcèlement moral.
Marie-Ange MOREAU va même plus loin en précisant : « le
CHSCT peut demander ensuite au juge sur le fondement
de l’obligation de prévention prévue à l’article L. 122-51
la mise en œuvre de mesures sous astreinte. » (6)
Les délégués du personnel qui ont déjà la possibilité de
saisir l’employeur en cas d’atteinte aux droits fondamentaux
(art. L. 422-1-1) interviennent désormais en matière de
harcèlement.
On soulignera aussi qu’à partir du moment où la définition
légale s’articule autour du ressenti de la « victime –
salariée», rien n’est dit sur l’identité de l’auteur potentiel
qui peut donc être un supérieur hiérarchique, un collègue,
un subordonné, voire un client qui parlerait mal à une
standardiste ou qui harcèlerait le préposé d’un service
d’administration des ventes pour se plaindre de retards.
Une dernière incongruité peut être signalée, à savoir, celle
qui résulte du fait que la loi instaure deux sanctions
pénales, une dans le Code pénal et l’autre dans le Code du
travail, l’amende visée dans l’un étant différente dans son
quantum de celle visée dans l’autre.
II – Une loi inutile
a) S’agissant de l’inutilité de la loi, qu’il soit permis au
rédacteur de ces quelques lignes de faire état de deux
expériences vécues et qui l’illustrent parfaitement.
 Etudiant pour la première fois la matière, au moment
de l’entrée en vigueur de la loi, il fut surpris de trouver
dans l’introduction d’un article de doctrine, la référence à
trois décisions de justice dont l’auteur indiquait qu’elles
constituaient un précédent jurisprudentiel par lequel il
était déjà fait état de la notion de harcèlement moral.
Parmi ces espèces, il en avait plaidé deux, l’une
concernant le licenciement d’un cadre dont l’attitude vis à
vis de ses collaborateurs était excessive et, l’autre un débat
hélas classique de licenciement pour insuffisance
professionnelle venant après plusieurs avertissements.
Une fois ces deux dossiers exhumés des archives,
l’évidence s’imposa : sans qu’il n’ait eu besoin de loi pour
ce faire, le juge avait effectivement parlé de harcèlement
moral pour rejeter la demande du cadre dans le premier
dossier et accueillir celle du salarié dans le second, et les
parties avaient donc débattu de cette notion comme
Monsieur JOURDAIN faisait de la prose, c’est-à-dire, sans le
savoir.
 Affrontant, quelques temps après, à la barre
prud’homale un plaideur qui se présentait sans avocat et
qui contestait trois avertissements successifs, il entendit
l’intéressé demander un renvoi pour pouvoir modifier son
argumentation et solliciter, non plus, l’annulation des
sanctions, mais des dommages et intérêts pour
harcèlement moral.
b) Ces exemples illustrent l’inutilité de la loi puisque avant
même l’entrée en vigueur du nouvel article L. 120-4 du
Code du travail, le contrat de travail, soumis aux règles de
droit commun de par l’effet des dispositions de l’article
L. 121-1 du Code du travail devait s’exécuter de bonne
foi, au sens de l’article 1134 du Code civil, de sorte que les
juges n’étaient pas désarmés et n’hésitaient pas à
sanctionner tous les comportements excessifs qui
Le médiateur, dont l’intervention est désormais posée par
l’article L. 122-54, peut être saisi d’un double recours : par
le salarié s’estimant victime du harcèlement ou par la
personne mise en cause.
L’inspection du travail peut enfin intervenir tant à titre
préventif qu’à titre répressif (Editions Francis LEFEBVRE,
Théma Le Harcèlement Moral ; CA Bordeaux, 3 mars 2000,
RJS 12/00, n° 1218).
Ainsi, loin de cantonner les protagonistes du harcèlement
dans un micro-conflit, la loi de modernisation sociale a eu à
cœur d’ouvrir au mieux le dialogue social.
Elle est allée ainsi, bien au-delà des timides constructions
prétoriennes préexistantes jusqu’alors.
Néanmoins cette loi n’est pas suffisante.
II. Une loi insuffisante :
1) Quant à la charge de la preuve
Le Droit du travail tend, au fil des années, à s’émanciper de
l’administration d’une preuve civiliste, obsolète et
inadéquate à la vie sociale.
Pour établir l’existence d’une cause réelle et sérieuse de
licenciement,
d’heures
supplémentaires
ou
de
discrimination syndicale, la charge de la preuve est partagée
entre les parties.
Mais le législateur du 3 janvier 2003 en a décidé autrement
pour le salarié qui se prétend harcelé.
Pour lui, la preuve sociale doit être rendue plus ardue.
Qui sait ? Peut-être une manière un peu déviante de tenter
d’étouffer le procès dans l’œuf…
Il faut dire que paradoxalement, le salarié qui se prétend
harcelé est suspect.
Il dérange, l’impudique, qui vient dire sa souffrance au
Tribunal, déverser son mal-être en audience publique.
Ne serait-ce pas plutôt un paranoïaque qui promène
d’entreprise en entreprise, malgré de vaines années de
thérapie, sa fragilité psychologique incurable ?
Ne serait-ce pas non plus un coupable simulateur désireux
de couvrir à tout prix sa béante incompétence
professionnelle ?
Ne serait-ce pas enfin un naïf, ignorant que les rapports de
travail sont régis par le jeu des pouvoirs hiérarchiques et
disciplinaires ?
C’est pourquoi, le salarié qui se prétend harcelé doit
littéralement faire ses preuves et la réforme probatoire érige
cette suspicion au plan législatif.
Pour le salarié harcelé, la preuve n’est plus une charge, c’est
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Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - III
s’affranchissaient de cette exigence élémentaire.
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Certains ont dit que le principal intérêt de la loi réside dans
le fait qu’elle permettait d’attirer l’attention sur un
phénomène de société : curieuse conception de l’action
législative que celle qui place la loi au rang d’une campagne
publicitaire.
En réalité, la véritable raison d’être de la loi, issue d’une
proposition du Groupe Communiste à l’Assemblée
Nationale, est à rechercher dans le souci qu’avait le
Gouvernement de l’époque d’obtenir l’adhésion dudit
Groupe à la loi de modernisation sociale.
Voici un nouvel exemple d’un travers bien connu : on
légifère pour complaire à tel groupe politique de
l’Assemblée Nationale ou à tel groupe de pression, voire à
des fins médiatiques. Ensuite, portée par « l’effet fonds de
commerce » d’associations ad hoc, et grâce à l’imprécision
législative, déferle la vague jusqu’au juge vers qui la société
déverse les problèmes qu’elle ne sait pas résoudre, lequel,
et il faut le plaindre, aura à discerner ce qui relève de la
projection dans la sphère professionnelle de problèmes de
la vie personnelle, la simple mauvaise humeur ou le mauvais
caractère, des cas de véritable perversité dont nul ne saurait
contester qu’ils existent et qui, quant à eux, méritent des
sanctions sévères.
Il est à craindre qu’à l’instar de « Pierre et le loup » la victime
réelle de comportements blâmables ait du mal à faire
distinguer par le juge sa situation de celles, pour reprendre
ici l’expression de Monsieur LE GOFF qui sont incitées par
la loi à « décoder leurs problèmes en termes de perversité
morale ou de pathologie psy au lieu de les affronter comme
des rapports de force ou des conflits inhérents aux groupes
humains ».
Terminons cette analyse sur une note optimiste : alors que
le premier livre de Madame HIRIGOYEN ne traite du
harcèlement moral dans le cadre de l’entreprise que parmi
d’autres (famille, voisins), le législateur n’a-t-il pas rendu un
fantastique hommage à l’entreprise en en faisant l’unique
objet de son attention. Celle-ci devrait être, selon lui, une
sphère idyllique où n’existerait ni mauvaise humeur, ni
mauvais caractère, ni stress, le tout sous le contrôle
bienveillant des organisations syndicales, de l’inspecteur du
travail, voire d’un médiateur, et enfin, en dernier lieu, du
juge, tous devant sans doute être recyclés pour acquérir des
compétences en matière de « santé mentale ».
Joseph AGUERA
Avocat au Barreau de LYON
un véritable fardeau.
Rappelons-nous qu’il s’agit d’un salarié discrédité, marginalisé
atteint dans son intégrité et sa dignité, isolé dans sa
souffrance.
Et bien c’est celui là même qui va devoir prouver plus qu’un
autre.
Il sera chanceux si son harcèlement a été grossièrement
objectivé dans la relation de travail (rétrogradation, irrespect
du minimum conventionnel etc.).
A défaut, il devra verser aux débats les attestations de ses
collègues souvent muets.
Le certificat de son médecin traitant sera écarté car non établi
par un spécialiste.
Le certificat de son psychiatre (« il consulte un psychiatre,
c’est bien la preuve qu’il est fou ») sera également passé à
l’étrille : ce professionnel ne connaît rien à l’entreprise.
Peut-être pourra-t-il obtenir au plus une mesure d’expertise
judiciaire.
Aussi, seul le harcèlement notoire pourra être établi et
sanctionné, la réforme du 3 janvier 2003 laissant impuni le
harceleur habile et discret.
2) Quant au préjudice subi
Sur cette question, la loi est restée silencieuse.
Pourtant, plus que dans tout autre domaine social, l’évaluation
du préjudice du salarié harcelé pose problème.
Quelle juste indemnisation solliciter ?
Comment évoquer même le préjudice, certes irrecevable,
mais ô combien existant subi par l’entourage et les proches
du salarié ?
La loi aurait peut-être dû également se pencher sur le sort du
licenciement prononcé en suite de l’inaptitude constatée par
le médecin du travail du fait d’un harcèlement.
A cet égard, la loi aurait pu, dans un souci de cohérence,
retenir comme la Cour d’appel de Besançon dans un arrêt du
17 septembre 2002 que :
« La faute de l’employeur étant à l’origine de l’inaptitude,
celle-ci ne saurait constituer une cause réelle et sérieuse de
licenciement. » (Cour d’appel de Besançon, 17 septembre
2002, arrêt n° 384 102).
***
Le refus farouche de certains à admettre l’existence du
harcèlement moral dans les relations de travail, la timidité du
législateur à donner au salarié les véritables moyens pour faire
établir ce harcèlement passeront par d’autres réformes.
A quand une reconnaissance officielle plus globale de ce type
d’agissements dans d’autres sphères que la seule sphère du
travail ?
Pascale REVEL
Avocat au Barreau de LYON
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(1) Harcèlement moral et Droit commun de la responsabilité civile par Cédric Bouty, Droit Social, juillet/août 2002.
(2) CA Grenoble, 6 mai 1992, Société Acore/Naili, RJS 8-9/92, n° 1053.
(3) Travail et santé : le point de vue d’une juriste par Nicole MAGGI GERMAIN, Droit Social, mai 2002.
(4) et (5) Travail et santé : le point de vue d’un médecin par Colette JACQUES, Droit Social, mai 2002.
(6) Pour une politique de santé dans l’entreprise, Marie-Ange MOREAU, Droit Social, Sept./Oct. 2002.
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - IV
PROCÉDURE PRUD’HOMALE
Mandat de l’avocat - Formalisme du désistement
Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 19 décembre 2002
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EXPOSE DES FAITS
M. L. saisit le Conseil de prud’hommes pour contester la
cause réelle et sérieuse de son licenciement.
Quelques mois plus tard, un courrier de son avocat
informe le greffe que son client se désiste de l’intégralité
de ses demandes.
C’est également par courrier que son ancien employeur
accepte ce désistement.
Mais à l’audience de jugement, et par l’intermédiaire de
son nouvel avocat, M. L. conteste s’être désisté.
Le Conseil, dans une première décision, déclare non
valable le désistement intervenu par écrit et dans une
seconde dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
octroyant à M. L., indemnités de rupture et dommages et
intérêts.
L’employeur forme appel de ces deux décisions et
demande à la Cour de reconnaître valable le désistement et
subsidiairement, de dire le licenciement fondé sur un juste
motif.
Son ancien salarié demande la confirmation des
condamnations en soutenant que son premier avocat
n’était investi que d’une mission d’assistance en justice et
qu’il ne pouvait dès lors mettre fin à l’instance.
La Cour rejette ses prétentions en considérant que le
désistement formulé par l’avocat a bien entraîné
l’extinction de l’instance.
S’agissant du désistement, l’article 417 dudit code instaure
toutefois envers les tiers au mandat que sont le juge et la
partie adverse un effet d’engagement irrévocable :
« La personne investie d’un mandat de représentation en
justice est réputée, à l’égard du juge et de la partie
adverse, avoir reçu pouvoir spécial de faire ou accepter
un désistement…. »
Mais, aux termes de l’article 412 du NCPC, le rôle de
l’avocat peut aussi se limiter à une mission d’assistance en
justice. Il se contente alors de conseiller son client, voire
de présenter sa défense mais sans l’engager.
On comprend dès lors l’intérêt de M. L. de voir la Cour
considérer que son premier avocat n’était investi que de
cette mission aux contours limités.
Celle-ci ne répond pas à ses attentes : elle estime au
contraire à l’analyse des actes accomplis par l’avocat avant
sa révocation (représentation à une première audience de
jugement où le client ne comparaissait pas, signature du
document informant de la date de renvoi, réinscription au
rôle après une radiation de l’affaire), qu’il avait bien un
mandat ad litem.
La Cour ainsi, nonobstant l’absence de mandat écrit
conféré par le salarié à son conseil, retient l’existence d’un
mandat de représentation.
Tirant les conséquences des prescriptions de l’article 417
précité, elle valide le désistement d’instance, lequel, en
matière prud’homale, eu égard au principe d’unicité de
l’instance, emporte désistement d’action.
OBSERVATIONS
Dans cette espèce, la Cour était conduite, d’une part, à
apprécier l’existence d’un mandat de représentation et,
d’autre part, à s’interroger sur le formalisme du
désistement.
 Le mandat de l’avocat
L’intervention de l’avocat peut avoir pour fondement un
mandat de représentation en justice qui emporte pouvoir
et devoir d’accomplir au nom de son client les actes de la
procédure (art. 411 du Nouveau Code de Procédure
Civile).
Sont exclus par exception du périmètre de ce mandat
général certains actes considérés comme plus graves et
nécessitant un pouvoir spécial, par exemple récuser un
juge ou, comme en l’espèce, se désister d’une action en
justice.
 Le formalisme du désistement
Le caractère oral de la procédure prud’homale empêche t-il un désistement formalisé par écrit de produire son effet
extinctif ?
Les premiers juges, retenant la prédominance du principe
d’oralité, répondent par l’affirmative et écarte le
désistement.
La Cour quant à elle retient la validité du désistement et
s’inspire pour ce faire d’une décision rendue par la
chambre sociale de la Cour de cassation concernant un
désistement d’appel (Cass. soc., 25 novembre 2001).
Cette dernière (en cassation d’un arrêt rendu par la Cour
d’appel de Lyon) valide le désistement par écrit au motif
que les règles du Nouveau Code de Procédure Civile qui
régissent le désistement d’instance ne trouvent aucune
dérogation dans celles édictées par le Code du travail dans
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Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - V
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le
domaine
de
la
procédure prud’homale.
PRINCIPAUX ATTENDUS
Or, le Nouveau Code de
Procédure Civile n’impose
nullement l’oralité en la
matière.
A cette occasion la Cour
de
cassation
précise
également
que
le
désistement d’appel n’est
pas soumis à l’acceptation
de l’intimé dès lors que ce
dernier n’a pas formé
appel incident dans le
délai d’appel (un mois à
compter de la notification
du jugement).
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Philippe GAUTIER
Avocat au Barreau de Lyon
"Attendu que la Cour, en se reportant
aux mentions figurant sur le dossier
établi par le Conseil de prud’hommes,
constate que devant le bureau de jugement, à l’audience du 9/11/1998, Mr
LAGRAND était non comparant, et
représenté par Me SEON, lequel a pris
connaissance de la date à laquelle
l’affaire était renvoyée en apposant sa
signature sur le dossier (le greffe n’a pas
adressé de nouvelle convocation à Mr
LAGRAND) ; qu’à l’audience de renvoi
du 28/6/1999, le Conseil de
prud’hommes, constatant l’absence des
parties, a prononcé la radiation de
l’affaire ; que Me SEON est intervenu
pour demander la réinscription de
l’affaire au rôle avant d’informer le
greffe que son client se désistait de
toutes ses demandes.
Attendu qu’il résulte de ces constatations que Me SEON n’était pas chargé
d’une simple mission d’assistance et
avait bien été investi d’un mandat de
représentation en justice de telle sorte
qu’il est présumé avoir reçu le pouvoir
spécial de faire un désistement, conformément aux dispositions de l’article
417 du NCPC.
Attendu que le désistement d’instance
est régi par les dispositions du Nouveau
Code de Procédure Civile communes à
toutes les juridictions, auxquelles il n’est
pas dérogé par les dispositions du Code
du travail particulières aux juridictions
statuant en matière prud’homale. C’est
donc à tort que le premier juge a considéré que le désistement et son acceptation, faits par écrit avant les débats,
n’avaient pu entraîner l’extinction de
l’instance faute d’avoir été exprimés
oralement à l’audience de jugement. Le
jugement du 10/11/2000 qui a déclaré
non valable le désistement et déclaré
recevables les demandes formées par Mr
LAGRAND doit par conséquent être
infirmé, de même que le jugement sur le
fond du 2/3/2001.
Le désistement de Monsieur LAGRAND,
rendu parfait du fait de son acceptation par la partie adverse, a emporté
extinction de l’instance, et fait obstacle,
comme le rappelle l’appelante, par l’effet
de la règle de l’unicité de l’instance, à
la recevabilité d’une nouvelle demande
fondée sur des causes connues du
demandeur avant sa demande initiale.
»
Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale
19 décembre 2002
Régie départementale des voies ferrées
du Dauphine VFD c/ Lagrand
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LICENCIEMENT POUR MOTIF PERSONNEL
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Etablissement par un salarié proche collaborateur du cessionnaire, d’une attestation
comportant au moins une erreur de date dans le cadre d’un conflit opposant le cédant
à son cessionnaire
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Etablissement du document entraînant la détérioration des relations ne permettant pas
la poursuite du contrat de travail - Cause réelle et sérieuse de licenciement (oui)
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Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 18 décembre 2002
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EXPOSE DES FAITS
la Cour d’appel a confirmé le jugement du Conseil de
prud’hommes considérant que :
Monsieur Boisset est licencié par la société Créastyl par
lettre motivée ainsi :
« Le fait pour un proche collaborateur de faire une telle
attestation constituait manifestement un fait objectif de
nature à ruiner la confiance que l’employeur devait pouvoir
placer en lui, caractérisant ainsi « la détérioration des
relations » telle que visée dans la lettre de licenciement ».
T
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« La détérioration de nos relations ne permet pas la poursuite
d’une collaboration confiante au sein de l’équipe de
direction dans une petite structure comme la nôtre ».
Le salarié, dans le cadre d’un conflit opposant le
cessionnaire de la société Créastyl à son cédant, a témoigné
en établissant une attestation en faveur du cédant. Or, il s’est
avéré que cette attestation comportait au moins une erreur
de date, Monsieur Boisset n’ayant pu être témoin des faits à
la date indiquée.
Le salarié portait l’affaire devant les juridictions lyonnaises ;
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - VI
OBSERVATIONS
De premier abord, cet arrêt peut paraître surprenant quant
à son énoncé car faisant allusion à la notion de perte de
confiance, notion en apparence totalement prohibée par la
Chambre sociale de la Cour de cassation.
En effet, la perte de confiance ne peut jamais constituer en tant que telle une cause
de licenciement, même quand elle repose sur des éléments objectifs. Seuls ces
éléments objectifs peuvent, le cas échéant, constituer une cause de licenciement
(Soc., 29 mai 2001, Dubois Couverture c/ Cardon, RJS 8-9/01, n° 999 ; Soc., 3 avril
2002, n° 1274, F.D Mandelier c/ Association Agence Intercommunale pour le
développement de l’emploi).
Certains ont cru voir à la lecture de ces arrêts de la Haute Cour, la prohibition de
l’utilisation des termes « perte de confiance » dans une lettre de licenciement.
Dans notre espèce, la Cour a pris soin d’examiner les faits reprochés au salarié in
concreto et a apprécié ceux-ci au regard de la taille de l’entreprise et des
responsabilités du salarié.
Elle en a déduit que ces faits objectifs étaient de nature à ruiner la confiance de
l’employeur, justifiant ainsi un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
La Cour d’appel a parfaitement fait application de la jurisprudence de la Haute
Cour.
Philippe GROS
Avocat au Barreau de Lyon
PRINCIPAUX ATTENDUS
« Le fait pour un proche collaborateur de faire une telle attestation constituait manifestement un
fait objectif de nature à ruiner la
confiance que l’employeur devait
pouvoir placer en lui et caractérisait dès lors, telle que la vise la
lettre de licenciement, « la détérioration des relations ne permettant
pas la poursuite d’une collaboration de confiance au sein de
l’équipe de direction dans la petite
structure » que constituait la
société Créastyl… ».
Cour d’appel de Lyon,
18 décembre 2002,
Monsieur Boisset c/ Sté Créastyl
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LICENCIEMENT POUR INAPTITUDE PHYSIQUE
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Charge de la preuve de l’impossibilité de reclassement
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Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 22 janvier 2003
EXPOSE DES FAITS
Une salariée travaillait dans une
entreprise de nettoyage industriel,
occupant un emploi d'ouvrière
nettoyeuse.
A la suite d'un accident du travail ayant
entraîné une longue période d'arrêt de
travail de 18 mois, celle-ci était
examinée par le médecin du travail dans
le cadre de la visite de reprise, qui
constatait l'inaptitude de l'intéressée à
occuper son emploi.
Le médecin du travail l'examinait alors
une nouvelle fois deux semaines plus
tard conformément à l'article R. 241-51-1
du Code du travail, et rendait à cette
occasion un avis d'inaptitude à son
poste de travail, ainsi qu'à tous postes
de nettoyage. Il préconisait dans ce
même avis, un reclassement à un poste
excluant les travaux manuels pénibles.
Dès le lendemain de cet avis
d'inaptitude, la société informait sa
salariée de l'impossibilité de procéder à
son reclassement, et lui notifiait son
licenciement pour inaptitude physique
aux travaux de ménage, 8 jours plus
tard.
Cette salariée décidait alors de contester
le bien fondé de son licenciement
devant le Conseil de prud'hommes de
Lyon, au motif que l'entreprise n'avait
pas respecté son obligation de
reclassement.
Concernant la mise en œuvre d'un tel
reclassement, la Cour de cassation a pu
poser plusieurs règles dont les deux
suivantes :
Par jugement du 29 octobre 1999, la
juridiction prud'homale jugeait le
licenciement conforme aux exigences
de l'article L. 122-32-7 du Code du
travail et déboutait la demanderesse de
ses prétentions.
Le périmètre de reclassement ne se
limite pas à la seule entreprise
employant le salarié inapte, mais inclut
l'ensemble des sociétés du groupe
auquel
appartient
l'entreprise
concernée, et dont les activités et
l'organisation permettent la permutation
de tout ou partie du personnel (Cass.
soc., 24 octobre 1995, Décolletage
Plastique c/ JADAULT ; Cass. soc.,
16 juin 1998, Sté Paragerm c/ Castenet).
La Cour d'appel de Lyon, saisie par la
salariée déboutée en première instance,
confirmait par arrêt du 22 janvier 2003
le jugement critiqué en estimant
notamment que la salariée n'indiquait
pas quel poste, adapté à ses capacités,
aurait pu lui être proposé.
OBSERVATIONS
Qu'il s'agisse d'inaptitude faisant suite à
un accident ou à une maladie de droit
commun d'une part (article L. 122-21-7
du Code du travail), ou à caractère
professionnel d'autre part (article L. 12232-5 du Code du travail), il incombe à
l'employeur
une
obligation
de
reclassement.
Par cette obligation, l'employeur est
ainsi tenu de proposer tout emploi
vacant, compatible avec les capacités
physiques et professionnelles du salarié.
La charge de la preuve de l'impossibilité
de reclassement incombe à l'employeur
(Cass. soc., 7 juillet 1988, pourvoi n° 8612.530 ; Cass. soc., 20 octobre 1993,
pourvoi n°90-41.661), ces règles étant
transposables à l'identique dans la mise
en
œuvre
de
l'obligation
de
reclassement à laquelle est également
tenu l'employeur en matière de
licenciement pour motif économique.
C'est au regard de cette seconde règle
que l'arrêt commenté mérite l'attention,
car semblant être un infléchissement de
la jurisprudence précitée.
Ainsi, sans aller jusqu'à inverser la
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Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - VII
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charge de la preuve, la Cour d'appel
vient préciser, pour constater la réalité
de l'impossibilité de reclassement par
l'employeur, que la salariée « n'indique
pas quel poste adapté à ses capacités,
aurait pu lui être proposé ».
On peut penser qu'une telle prise de
position s'explique par la spécificité des
faits dont la Cour avait été saisie dans la
mesure où il est vrai qu'une entreprise
de nettoyage aura bien du mal à
faire travailler du personnel inapte à
des emplois de «nettoyeurs», et
correspondant par nature, à la grande
majorité des emplois existants dans ce
type d'entreprise.
La chronologie des faits laisse toutefois
circonspect quant à la réelle volonté de
l'employeur de reclasser l'intéressée :
l'avis d'inaptitude précisant par ailleurs
le reclassement à envisager, est
prononcé le 22 juillet : or, la salariée est
informée
de
l'impossibilité
de
reclassement dès le … 23 juillet, soit le
lendemain.
Il est ainsi clair que la charge de la
preuve de l'impossibilité de reclassement
pesant sur l'employeur doit être
préservée, dès lors que le salarié, par
hypothèse parti de l'entreprise, est le
plus souvent démuni pour justifier des
postes disponibles au sein de l'entreprise
et a fortiori au sein d'un Groupe.
Inversement, prouver le respect de son
obligation
de
reclassement
par
l'employeur est aisé puisqu'il lui suffit de
produire le ou les registres d'entrées et
sorties du personnel afin qu'il soit
constaté l'absence d'embauche sur des
emplois compatibles avec les capacités
physiques et professionnelles du salarié
inapte, et ce sur les semaines suivant la
notification du licenciement.
Pascale REVEL
Avocat au Barreau de Lyon
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PRINCIPAUX ATTENDUS
« La Cour, adoptant les motifs
du premier juge, constate que
compte tenu de son activité
(l’entretien
de
locaux
industriels)
et
de
la
qualification de la salariée, la
société Abilis, qui avait
recueilli l’avis des délégués du
personnel, était effectivement
dans l’impossibilité de lui
proposer une mesure de
reclassement
Madame
Bedhiaf n’indique d’ailleurs
pas quel poste, adapté à ses
capacités, aurait pu lui être
proposé. »
Cour d’appel de Lyon,
chambre sociale,
22 janvier 2003
Bedhiaf c/ SA Abilis Sud-Est
CLAUSE DE NON CONCURRENCE
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L’absence de contrepartie pécuniaire à une clause contractuelle de non concurrence
contraint l’employeur à réparer le préjudice subi par le salarié
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Cour d’appel de Grenoble, Chambre sociale, 6 janvier 2003
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EXPOSE DES FAITS
Un moniteur d’auto-école est engagé le
3 septembre 1996 avec un contrat écrit
comportant une clause de non
concurrence limitée à la zone
géographique d’exercice de son activité
et pour une durée d’un an. Pas plus que
la convention collective régissant les
relations entre les parties, le contrat de
travail ne prévoyait de contrepartie
pécuniaire.
Le salarié démissionne le 26 mai 1997 et
n’est pas libéré de la clause. Il exerce
son métier pendant quelques jours au
service d’une auto-école sise en dehors
du champ géographique de la clause.
Il saisit le Conseil de prud’hommes de
Grenoble le 15 décembre 1998 pour
voir déclarer nulle la clause de non
concurrence et obtenir réparation de
son préjudice qu’il fixe à 1 524,49
euros.
Le Conseil le déboute.
La Cour vise l’arrêt du 10 juillet 2002,
retient le caractère illicite de la clause
contractuelle, qui oblige l’employeur à
réparer le préjudice subi par le salarié,
et fixe les dommages intérêts à la
somme de 800,00 euros.
OBSERVATIONS
Cette fois, le virage jurisprudentiel est
bien de 180° ! Dans un premier temps
la Cour de cassation a opéré un virage à
90° consistant à affirmer qu’une clause
de non concurrence sans contrepartie
pécuniaire était illicite au regard des
dispositions de l’article L. 120-2 du
Code du travail selon lequel «nul ne
peut apporter aux droits des personnes
et aux libertés individuelles et
collectives des restrictions qui ne
seraient pas justifiées par la nature de
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - VIII
la tâche à accomplir ni proportionnées
au but recherché». Cet article avait été
introduit par une loi du 31 décembre
1992 sans pour autant que pendant les
années qui suivirent, la Cour de
cassation ne juge nécessaire d’infléchir
sa jurisprudence constante selon
laquelle,
sauf
disposition
conventionnelle plus favorable, une
clause de non concurrence pouvait être
parfaitement opposée au salarié même
sans contrepartie pécuniaire, et ce,
jusqu’au coup de tonnerre dans le ciel
de juillet 2002.
On rappellera d’ailleurs que dans cette
procédure le salarié n’avait pas
demandé à la Cour Suprême de déclarer
illicite la clause, persuadé que ce
combat était perdu d’avance, c’est ellemême qui soulèvera le moyen d’office.
L’arrêt de la Cour de Grenoble poursuit
et achève ce revirement : sous couvert
de la réparation du préjudice subi, le
salarié a donc bien droit finalement à la
contrepartie pécuniaire qui n’était pas
prévue au contrat.
Dans un arrêt plus récent, cette même
Cour a fixé à la moitié du salaire brut le
montant de l’indemnité due à une
salariée qui n’avait été déliée qu’au bout
de 8 mois, et sur sa demande, d’une
clause illicite (BEYLIE c/ SIRCAM,
17 novembre 2003).
On sait que la Cour de cassation a suivi la
même démarche (Cass. soc., 18 mars
2003).
On soulignera enfin la nature
indemnitaire des sommes allouées à la
différence de la contrepartie pécuniaire
qui est considérée comme un salaire, ce
qui laissera indifférents ni l’employeur ni
le salarié, dès lors que ce dernier a
vocation à percevoir l’équivalent de la
moitié de son salaire brut.
Jean Pierre COCHET
Avocat au Barreau de Saint-Etienne
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PRINCIPAUX ATTENDUS
"Attendu que le contrat de travail de M. L. comportait
une clause de non concurrence d’une durée d’une
année après la cessation de son activité pour le compte
de la Sté CAFS AUTO ECOLE."
Monsieur L. a respecté cette clause puisque l’activité
exercée durant quelques jours pour le compte de
l’AUTO ECOLE « Les Horizons », à Vizille étant hors du
champ géographique de la clause de non concurrence.
Attendu que cette clause n’était assortie d’aucune
contrepartie financière. Or, en vertu du principe de
libre exercice d’une activité professionnelle et des dispositions de l’article L.120-2 du Code du travail, une
clause de non concurrence qui n’est pas assortie d’une
contrepartie financière n’est pas licite (Cassation
sociale 10 juillet 2002, M. B. c/ STE MAINE AGRI SA).
En conséquence, la clause de non concurrence du
contrat de travail de Mr LEONE n’est pas licite.
Le caractère illicite de la clause de non concurrence a
causé un préjudice à Mr LEONE. La Cour dispose des
éléments pour fixer le montant des dommages et intérêts dus à M. L. à 800.00 €
Cour d’appel de Grenoble, Chambre sociale
6 janvier 2003
CAFS Auto Ecole c/ Leone
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APPLICATION D’UNE CONVENTION COLLECTIVE
Employeur non adhérent à un syndicat patronal signataire – Convention collective
étendue - Avenant ultérieur non étendu
Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 13 mai 2003
EXPOSE DES FAITS
Une salariée embauchée en qualité d’aide soignante par un
établissement médicalisé pour personnes âgées est licenciée
par cet établissement.
Suite à son licenciement, la salariée réclame, outre des
dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et
sérieuse, un certain nombre de sommes en vertu des
dispositions prévues par divers avenants (intervenus
postérieurement à la conclusion de la convention collective
originelle) à la convention collective applicable (convention
collective FEHAP du 31/10/1951) soit :
- une prime spéciale de sujétion et congés payés y afférents,
- une prime d’assiduité et de ponctualité,
- une prime pour travail le dimanche et jours fériés,
- une prime forfaitaire mensuelle.
Le Conseil de prud'hommes de Lyon condamne l’établissement
à verser les sommes dues en vertu des avenants (à la
convention collective) relatifs à ces diverses primes et
indemnités.
La Cour d’appel de Lyon, dans son arrêt du 27 septembre
2002, réforme la décision du Conseil de prud’hommes au
motif que si la convention collective dite FEHAP (Fédération
de l’hospitalisation privée à but non lucratif) conclue le 31
octobre 1951 a bien été étendue par arrêté ministériel du 27
février 1961 (ainsi que les avenants intervenus entre le 31
octobre et le 15 juin 1959), les avenants postérieurs ne l’ont
pas été.
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L’établissement concerné n’étant pas adhérent à la Fédération
des Etablissements d’Hospitalisation et d’Assistance Privés à
but non lucratif, les avenants non étendus ne pouvaient donc
lui être opposés.
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OBSERVATIONS
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Le régime des conventions collectives est réglé en Droit du
travail par les articles L. 332-1 et suivants du Code du travail.
A – On connaît la distinction première (et fondamentale) qui
sépare les deux types de conventions collectives :
convention collective ordinaire,
convention collective étendue.
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Sans entrer dans les détails du contenu et des matières
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - IX
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obligatoirement traitées par les conventions collectives
ordinaires ou étendues, on rappellera pour mémoire que les
conventions collectives ordinaires s’appliquent aux seules
entreprises qui :
- les ont signées elles-mêmes (on parle alors plus fréquemment
d’accord d’entreprise),
- qui sont membres d’un syndicat, groupement ou association
patronale signataire,
- ou qui ont adhéré ultérieurement à la convention collective
ou à un groupement signataire.
 Les conventions collectives (ou accords) étendues
s’appliquent, quant à elles sous réserve de l’exclusion dans
l’arrêté de l’extension de telle ou telle clause de la convention
collective ou de telle ou telle sous branche, à l’ensemble du
secteur d'activité professionnel concerné.
Il est alors totalement indifférent que l’employeur ait signé ou
non la convention collective, qu’il y ait adhéré, ou soit
membre ou non d’un syndicat ou groupement patronal
signataire, ou non signataire.
On dit par commodité de langage, la formule est très
expressive, que la convention collective devient la « Loi » de la
branche professionnelle.
B – Reste alors posée la question de l’évolution de la
convention collective étendue.
Quel est le sort ou plutôt le champ d’application des avenants
intervenus postérieurement à la conclusion, (et aussi à
l’extension) de la convention collective d’origine ?
Les avenants ou annexes intervenus postérieurement à la
conclusion d’une convention collective suivent le régime
juridique de la convention collective à laquelle ils se
rattachent.
- S’agissant d’une convention collective ordinaire, les avenants
et annexes ne sont appliqués qu’aux seules entreprises ayant
elles-mêmes signé la convention collective, membres d’un
organe ou groupement d’employeurs signataires de la
convention ou y ayant adhéré.
S’agissant d’une convention collective étendue, les avenants et
annexes suivent le régime juridique des conventions
collectives étendues : la convention collective étendue
s’applique à toutes les « entreprises » (au sens organisationnel)
de la branche, sauf exclusion toujours possible, dans le cadre
de l’extension, de telle ou telle disposition de la convention
collective qui serait contraire au texte législatif et
réglementaire en vigueur, ou encore, qui ne répondrait pas à la
situation de la branche ou des branches (ou souvent à l’activité
dans le champ d’application considéré).
Le Juge administratif a ainsi décidé (CE, 8 décembre 2000,
Groupement Hippique National, RJS 4/01, n° 480) que le
Ministre avait le pouvoir de subordonner l’extension d’un
avenant à une réserve ayant pour effet de s’opposer à
l’application de stipulations qui seraient incomplètes ou
contraires aux textes législatifs et réglementaires.
- S’agissant donc des avenants à une convention collective
étendue, ils conservent – tant qu’ils ne sont pas étendus – leur
nature de convention collective ordinaire.
Ils ne s’appliquent donc que dans la limite et la mesure des
dispositions d’une convention collective ordinaire.
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - X
Dans un arrêt de principe (Cass. Ass. Plén., 6 avril 1990, CSB
1990, A34), la juridiction suprême a jugé que les avenants non
étendus d’une convention collective étendue, n’étaient pas
applicables aux entreprises non signataires et non adhérentes
à une organisation patronale signataire.
L’application à l’égard de toutes les « entreprises », d’une
convention collective étendue ne vise donc que les seules
dispositions qui ont fait l’objet d’un arrêté d’extension : le
texte d’origine et les avenants ultérieurs (le cas échéant).
C – On doit cependant réserver l’hypothèse de l’application
volontaire de la convention collective.
On sait en effet qu'un employeur, ne relevant pas d’une
convention collective ordinaire (absence d’adhésion à un
groupement patronal signataire), peut décider d’appliquer tout
ou partie des dispositions d’une convention collective qui ne
lui est pas « juridiquement » applicable.
- Cette application doit résulter d’une volonté claire et non
équivoque de l’employeur ; elle peut être seulement partielle
(Cass. soc., 27 avril 1988), ne concerner qu’une certaine
catégorie de salariés (Cass. soc. 5 octobre 1993, RJS 93,
n° 122).
- Cette application volontaire d’une convention collective ne
vaut pas nécessairement engagement d’appliquer pour l’avenir
les avenants ultérieurs (Cass. soc., 21 octobre 1998, RJS 98,
n° 1517 ; Cass. soc., 17 décembre 1998, Droit Social 99, page
195).
On doit donc constater à ce stade de l’analyse que la Cour
d’appel de Lyon n’a fait qu’appliquer une position
parfaitement établie en la matière : les effets de l’extension du
27 septembre 2002 d’une convention collective sont limités
strictement au texte soit de l’accord initial, soit aux avenants
ultérieurs, s’ils ont été étendus.
D – Se pose le problème particulier, mais cependant fort
classique, des effets de la mention sur le bulletin de paie d’un
salarié, de la convention collective ordinaire et étendue, en
son texte d’origine et non en ses avenants ultérieurs.
La Cour de cassation a depuis longtemps jugé que la mention
d’une convention collective sur le bulletin de paie vaut
reconnaissance de l’application de cette convention collective
à « l’entreprise ».
L’employeur ne peut invoquer l’erreur qu’il aurait ainsi
commise (jurisprudence réaffirmée de manière marquée : Cass.
soc., 18 novembre 1998 ; Cass. soc., 18 juillet 2000).
Cette question tranchée depuis longtemps laisse intacte la
réalité et le contenu de l’obligation de l’employeur : doit-il
appliquer toute la convention collective considérée ou peut-il
se borner à n’appliquer que telle(s) ou telle(s) disposition(s) ?
Dans un récent arrêt du 10 juin 2003, la Cour de cassation a
jugé que l’indication sur le bulletin de salaire d’une convention
collective valait engagement d’appliquer celle-ci, mais à
hauteur seulement des dispositions de la convention collective
qui sont évoquées dans le contrat de travail : salaire, indemnité
de licenciement, indemnisation de la maladie…
Ceci veut dire très clairement que la convention collective
visée au bulletin de salaire ne l’est qu’à titre d’information.
Pour son application concrète, il faut se référer au contrat de
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travail qui donc l’emporte sur la convention collective.
C’est en tout cas en ce sens que doit être interprété l’arrêt du
13 mai 2003.
Il reste que cet arrêt n’a pas tranché la question suivante :
Un salarié engagé sans contrat de travail écrit peut-il invoquer
à son profit l’application de toutes les dispositions d’une
convention collective dont l’existence et le titre sont rappelés
sur son bulletin de salaire ?
Jean Pierre DUPRILOT
Avocat au Barreau de Lyon
PRINCIPAUX ATTENDUS
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« Dans la mesure où l’association Santé et Bien Etre
n’est pas membre de la Fédération des Etablissements
Hospitaliers et d’assistance privés à but non lucratif dite
FEHAP, elle n’est assujettie qu’à la partie étendue de la
convention collective ; en conséquence les demandes de
Madame Giroud fondées sur des avenants qui ne sont
pas opposables à l’association Santé et Bien Etre ont été
accueillies à tort par le Conseil de prud'hommes. »
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Cour d’appel de Lyon, chambre sociale, 13 mai 2003
Association Santé et Bien Etre
Résidence Cardinal Morin c/ Giroud
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FONCTION PUBLIQUE
Loi instituant une nouvelle bonification indiciaire – Décret d’application - Illégalité
Cour administrative d’appel de Lyon, formation plénière, 27 décembre 2001
EXPOSE DES FAITS
La loi 91-73 du 18 janvier 1991 a
créé une nouvelle bonification
indiciaire des fonctionnaires et
a précisé (article 27) qu'elle est
attribuée pour certains emplois
comportant une responsabilité
ou une technicité particulière
dans des conditions fixées par
décret.
Monsieur Piélot, occupait, en
qualité
de
secrétaire
d'administration scolaire et
universitaire stagiaire, un emploi
d'attaché chargé de la gestion
matérielle au sein d'un lycée.
Cet emploi bénéficiait de la
bonification indiciaire.
Le recteur de l'académie de
Dijon en a cependant refusé le
bénéfice à Monsieur Piélot en se
fondant
sur
le
décret
d'application du 6 décembre
1991 qui le réservait aux seuls
fonctionnaires titulaires.
Le Tribunal administratif de
Dijon a annulé cette décision de
refus, et la Cour administrative
d'appel de Lyon, statuant en
formation plénière a rejeté le
recours
du
ministre
de
l'Education Nationale.
temps, interprété la volonté du
législateur ("le législateur doit
être regardé comme ayant
entendu" ...) et, dans un second
temps, réaffirmé le principe
qu'un décret d'application ne
pouvait limiter la portée des
dispositions législatives qu'il
s'agit d'appliquer.
Elle a jugé que l'article 1er du
décret
n°91-1229
du
6 décembre 1991 était illégal en
tant qu'il réservait le bénéfice de
la
nouvelle
bonification
indiciaire
aux
seuls
"fonctionnaires titulaires" alors
qu'en prévoyant qu'elle pouvait
être
attribuée
aux
fonctionnaires le législateur
devait être regardé comme
ayant entendu en ouvrir le
bénéfice non seulement aux
agents titulaires mais aussi aux
agents stagiaires occupant les
emplois ouvrant droit au
bénéfice de cette mesure.
Cette décision a le mérite de
rappeler que l'illégalité par voie
d'exception
d'un
décret
d'application est un moyen utile
qu'il ne faut pas hésiter à
soulever, et pas seulement en
matière sociale.
OBSERVATIONS
La Cour, statuant en formation
plénière, a, dans un premier
Michel RIVA
Avocat au Barreau de Lyon
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PRINCIPAUX ATTENDUS
« Considérant qu'aux termes de l'article 27 de
la loi du 18 janvier 1991 susvisée : "I. La nouvelle bonification indiciaire des fonctionnaires,
instituée à compter du 1er août 1990 est attribuée pour certains emplois comportant une responsabilité ou une technicité particulière dans
des conditions fixées par décret ;",
Considérant qu'il résulte des termes mêmes de
l'article 27 précité que le bénéfice de la bonification indiciaire qu'il institue est lié aux seules
caractéristiques des emplois occupés, mesurées
au regard des responsabilités qu'ils impliquent
ou de la technicité qu'ils requièrent ; ... que par
suite, en prévoyant qu'elle peut être attribuée
aux "fonctionnaires", le législateur doit être
regardé comme ayant entendu en ouvrir le
bénéfice non seulement aux agents titulaires,
mais aux agents stagiaires, lesquels, appelés à
exercer dès leur entrée en service l'ensemble des
responsabilités attachées à l'emploi qu'ils occupent, sont, au regard des critères d'attribution
de cette bonification, placés dans la même
situation que les agents titulaires ;
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Considérant qu'il suit de là que, s'il appartenait au pouvoir réglementaire de déterminer
les conditions d'attribution de la bonification
indiciaire aux personnels de l'éducation nationale, il ne pouvait pas sans méconnaître la
portée des dispositions législatives précitées en
limiter le bénéfice aux agents titulaires. »
É
Cour administrative d’appel de Lyon,
formation plénière, 27 décembre 2001
Ministre de l’éducation nationale c/ Pielot
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Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - XI
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AGENT SNCF
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Inaptitude à l’emploi – Juge compétent – Pouvoirs de l’administration du travail
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Cour administrative d’appel de Lyon, 3ème chambre, 1er octobre 2002
EXPOSE DES FAITS
Monsieur G. bénéficiait d'un
recrutement provisoire par
la SNCF, sous réserve de
son aptitude. Il a été déclaré
médicalement totalement
inapte
à
l'exercice
des
fonctions
d'agent
commercial
trains. Le
directeur adjoint du travail
des transports a par
décision du 1er octobre
1997 estimé qu'il devait être
considéré comme apte à
l'embauche.
Le Ministre des transports,
sur recours hiérarchique a
annulé cette décision.
Monsieur G. a saisi le
Tribunal administratif d'une
requête
contre
cette
décision, qui a été rejetée
par une ordonnance du
président comme portée
devant une juridiction
incompétente, au motif
qu'elle concernait un litige
du travail avec la SNCF.
Il a interjeté appel de cette
ordonnance et la Cour a
retenu
que
le
juge
administratif
était
compétent, a évoqué le
fond et a rejeté la requête
comme non fondée.
OBSERVATIONS
En ce qui concerne la
compétence, le président
du Tribunal administratif a
rejeté la requête sans
instruction, c'est à dire sans
la notifier aux défendeurs
éventuels
comme
le
permet
le
code
de
justice administrative, en
considérant
que
les
rapports de la SNCF avec
ses agents sont des rapports
de droit privé. La cour
rappelle que l'intervention
d'un acte administratif est
détachable des rapports de
droit privé et que la
compétence reste celle du
juge administratif pour
connaître
des
litiges
éventuels
qu'il
peut
soulever. Il en va ainsi
notamment
pour
les
autorisations administratives
de licenciement d'un salarié
protégé.
Sur le fond, elle précise que
les pouvoirs de proposition
du médecin du travail ne
peuvent s'appliquer qu'en
cas d'inaptitude partielle du
salarié : si l'article L. 2 4 1 - 1 0-1
du code du travail habilite
le médecin du travail à
proposer à l'entreprise des
mesures individuelles"telles
que
mutations
ou
transformations de postes",
ce texte ne trouve pas à
s'appliquer
en
cas
d'inaptitude physique totale
du salarié ou du candidat à
l'embauche (à rapprocher :
CE 6 juillet 1984 Ministre
du travail c/ M.CHAUVET,
recueil page 305).
Enfin une autre particularité
de
la
procédure
administrative contentieuse
peut être soulignée. La Cour
a retenu que le ministre,
ayant constaté la violation
de la loi, était en situation
de compétence liée, c'est à
dire qu'il était tenu
d'annuler l'acte qui lui avait
été déféré par la voie du
recours hiérarchique. Dans
cette
situation
de
compétence liée, le juge n'a
pas à examiner les autres
moyens qui lui sont soumis
à l'appui du recours contre
la décision, raison pour
laquelle ils sont qualifiés
d'inopérants (c'est-à-dire
quelle que soit leur
pertinence par ailleurs).
Michel RIVA
Avocat au Barreau de Lyon
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - XII
PRINCIPAUX ATTENDUS
« Considérant que le litige qui met en cause la légalité d'un
acte administratif relève par sa nature du contentieux
administratif en l'absence de toute loi en disposant autrement ; que si les rapports entre la direction de la SNCF et ses
agents sont des rapports de droit privé, la décision prise par
le ministre des transports et du logement le 25 mars 1998
sur le recours hiérarchique formé par la SNCF contre la
décision du directeur adjoint du travail des transports de
Lyon I constitue un acte administratif détachable des rapports susmentionnés ; que le litige né de cette décision relève,
dès lors, de la compétence de la juridiction administrative ;
que par suite, M.G. est bien fondé à soutenir que c'est à tort
que, par l'ordonnance rendue, le président de la 3ème
chambre du Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa
demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, au motif qu'elle concernait un
litige du travail avec la SNCF ; que ladite ordonnance doit
en conséquence être annulée.
Considérant qu'aux termes de l'article L.240-10-1 du code
du travail : << Le médecin du travail est habilité à proposer
des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives
notamment à l'âge, à la résistance physique et à l'état de
santé des travailleurs. Le chef d'entreprise est tenu de
prendre en considération ces propositions, et en cas de
refus, de faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il
y soit donné suite. En cas de difficulté ou de désaccord, la
décision est prise par l'inspecteur du travail après avis du
médecin-inspecteur du travail >> ; qu'il résulte de ces dispositions que l'inspecteur du travail ne peut intervenir en
vertu de l'article L.240-10-1 précité qu'en cas de désaccord
entre un chef d'entreprise et le médecin du travail sur la
mutation ou l'adaptation du poste de travail d'un travailleur atteint d'une inaptitude partielle ;
Considérant que le 1er octobre 1997 le directeur adjoint du
travail des transports de Lyon I a décidé que M. G. qui bénéficie d'un recrutement provisoire sous réserve de son aptitude et qui avait été déclaré médicalement d'une inaptitude
totale à l'exercice des fonctions d'agent commercial trains
devait être considéré comme apte à l'embauche pour un
poste d'agent commercial trains ; que les dispositions susmentionnées de l'article L.240-10-1 ne lui permettaient pas
de se prononcer légalement sur l'aptitude à l'embauche de
M. G. dès lors que ce dernier, avait déjà été déclaré totalement inapte à l'embauche par le médecin du travail ; que
partant sa décision était entachée d'excès de pouvoir ; que
pour annuler ladite décision, le ministre s'est borné à
constater qu'elle était dénuée de tout fondement légal ; qu'il
était tenu, après avoir constaté cette violation de la loi, d'annuler, sur recours hiérarchique de la SNCF, la décision du
directeur adjoint du travail des transports ; que par suite
tous les autres moyens de la demande de M. G. sont inopérants. »
Cour administrative d’appel de Lyon, 3ème chambre,
1er octobre 2002, Gillet
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ELECTIONS PROFESSIONNELLES
Vote par correspondance généralisé à une catégorie de personnel (non)
Illégalité – Principes généraux du droit électoral - Discrimination
Tribunal d’instance de Villeurbanne, 28 novembre 2002
Tribunal d’instance de Lyon, 23 février 2003
EXPOSE DES FAITS
Lors du renouvellement des délégués du
personnel et des membres du comité
d’établissement au sein d’une usine de la
Société Rhodia Organique, un protocole
d’accord préélectoral était signé entre
divers partenaires sociaux.
Ce texte instituait un vote par
correspondance généralisé du personnel
ingénieurs et cadres.
Une organisation syndicale non signataire
devait saisir le Tribunal d’instance,
notamment pour demander l’annulation
de cette disposition.
Le Tribunal d’instance de Villeurbanne
fait droit à cette requête en se fondant
sur les principes généraux du droit
électoral.
OBSERVATIONS
Cette décision ne peut être qu’approuvée
dans la mesure où elle rétablit une règle
fondamentale de la démocratie électorale,
à savoir la possibilité pour tout électeur
d’exercer un choix qui va se porter sur
certains candidats en bénéficiant du
principe égalitaire quant aux modalités
d’exercice de ce choix.
La Cour de cassation rappelle de manière
permanente que le vote physique des
électeurs est le principe et que le vote
par correspondance, qu’elle considère
comme licite, ne peut être utilisé que
dans des circonstances exceptionnelles
(salariés malades, salariés absents ou
éloignés de leur travail.Cass. soc.,
21 octobre 1998, RJS 12/98, n°1516).
De la même façon, la jurisprudence
considère qu’en l’absence d’accord des
partenaires sociaux, un tribunal peut
compléter l’accord préélectoral par une
disposition qui prévoit que les salariés
malades
pourront
voter
par
correspondance malgré les dispositions
de la convention collective applicable qui
limitent le vote par correspondance aux
salariés se trouvant dans l’impossibilité de
voter par suite d’une décision de leur
employeur les éloignant de leur lieu de
travail (Cass. soc., 14 février 1984, Bull.
V, p. 51, n° 65).
En fait, il n’est pas rare de voir un certain
nombre de protocoles prévoyant un vote
par correspondance généralisé alors que
ce type de vote n’est admis que pour
certains salariés ne pouvant pas
matériellement se trouver sur le site au
jour fixé pour les opérations électorales.
C’est l’intérêt de cette décision qui
rappelle le caractère exceptionnel du
vote par correspondance et par voie de
conséquence, l’impossibilité de le
généraliser à toute une catégorie de
salariés, en l’espèce les cadres.
Le Tribunal d’instance de Lyon a
d’ailleurs annulé une clause du protocole,
sur un autre fondement juridique qui lui
avait été soumis, à savoir la
discrimination dans la mesure où tous les
cadres
pouvaient
voter
par
correspondance sans qu’ils aient besoin
d’avoir à justifier d’un empêchement
alors que les autres salariés ne pouvaient
voter par correspondance que dans
l’hypothèse où ils faisaient état d’une
impossibilité (Tribunal d’instance de
Lyon, 3ème et 4ème sections, jugement
du 21 février 2003, n°162, RG n°11-03000462, FO personnel de la SLTC c/
SLTC).
En conséquence, même si le législateur
(art. L. 423-18 et L. 433-13 du CT) et la
jurisprudence accordent une importance
particulière à la négociation entre les
partenaires sociaux dans le cadre des
accords préélectoraux, il ne peut être
dérogé aux principes généraux du droit
électoral, à savoir les circonstances
exceptionnelles, et à l’égalité de toutes
les catégories professionnelles de salariés
devant le scrutin.
De la même façon, ni l’employeur ni le
juge ni un accord ne peuvent imposer un
vote par correspondance aux salariés
présents le jour du scrutin.
ROBERT GILBERT
Avocat au Barreau de Lyon
PRINCIPAUX ATTENDUS
“...Il résulte des principes généraux du droit électoral que le vote par correspondance, s’il doit être admis pour
favoriser la participation aux opérations électorales de certains salariés dans l’impossibilité de se déplacer dans
les bureaux de vote, doit rester exceptionnel.
Il ne saurait donc concerner toute une catégorie de salariés, tels que les ingénieurs et cadres en l’espèce, mais
ne peut être admis que pour certains salariés placés dans une situation les empêchant matériellement de se trouver sur le site au jour fixé pour les opérations électorales, ces situations devant être limitativement énumérées.”
.
Tribunal d’instance de Villeurbanne, 28 novembre 2002,
CGT RHODIA c/ Sté RHODIA ORGANIQUE
“...Que les modalités de vote par correspondance pour tous les cadres sans qu’il soit besoin d’un empêchement
constituent effectivement une forme de discrimination vis-à-vis des autres salariés non sédentaires qui travaillent en continu ; ...”
Tribunal d’instance de Lyon, 3° et 4° sections,
23 février 2003, FO SLTC c/ SLTC
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Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - XIII
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SYNDICATS PROFESSIONNELS
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Action en justice - Recevabilité - Représentation du syndicat - Conditions Absence de qualité du secrétaire pour engager l’action
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Tribunal administratif de Lyon, 8 avril 2003
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EXPOSE DES FAITS
Le syndicat général C.G.T. des sapeurs pompiers de
Saint-Etienne, représenté par son secrétaire, a saisi le
Tribunal administratif de Lyon aux fins d’annuler deux
délibérations du conseil d’administration du Service
Départemental d’Incendie et de Secours concernant
diverses dispositions sociales en matière de régimes de
travail, de régimes indemnitaires, de conditions de prise
en charge des logements…
Le Tribunal administratif rejette cette requête la
considérant comme irrecevable au motif que le secrétaire
qui l’avait signée, bien qu’habilité par la commission
exécutive, n’avait pas qualité pour la former en l’absence
de disposition prévue dans les statuts du syndicat.
OBSERVATIONS
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La présente affaire pose la question de la recevabilité
d’une action en justice intentée par un syndicat
professionnel et plus précisément de la qualité pour agir
d’un représentant du syndicat.
L’article L. 411-11 du code du travail permet aux
syndicats professionnels qui jouissent de la personnalité
civile « d’ester en justice » devant toutes les juridictions
civiles, pénales et administratives. Encore faut-il que le
syndicat respecte la réglementation concernant
notamment sa constitution.
Ainsi, une chambre syndicale professionnelle ne
disposant pas de « statuts propres » donc non
régulièrement constituée, ne peut prétendre bénéficier
de la personnalité civile et est irrecevable à intenter une
action en justice (Cass. Soc., 21 janvier 1998).
De même, un syndicat n’ayant pas effectué le dépôt légal
de ses statuts ne peut agir en justice, ne bénéficiant pas
des droits reconnus aux syndicats (Cass. Crim., 14 mars
1989).
Aucune disposition législative ou réglementaire ne
détermine pour des personnes morales comme les
syndicats et également les associations, l’organe
compétent pour l’exercice d’une action en justice et
pour leur représentation à cet effet.
Ce sont donc en principe les statuts qui fixent la
procédure de décision d’engagement de l’action en
justice et de la représentation de la personne morale
pour la mettre en œuvre. En pratique les statuts
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - XIV
déterminent la personne physique appelée à la
représenter ; le mandat peut être permanent ou au
contraire impliquer au cas par cas une délibération
spéciale d’un organe du syndicat ou de l’association.
Selon la jurisprudence administrative (CE, 3 avril 1998),
en l’absence de dispositions statutaires réservant à un
autre organe la capacité de former une action devant le
juge administratif, celle–ci est régulièrement engagée par
l’organe tenant des statuts le pouvoir de représenter en
justice ce syndicat.
La Cour de cassation adopte une position identique
considérant que le pouvoir accordé par les statuts au
Président d’une association de la représenter devant les
tribunaux implique également celui d’intenter une action
en justice (Cass. Soc., 2 mars 1999).
En tout état de cause, le mandataire est tenu de justifier
devant les juridictions administratives comme devant les
juridictions judiciaires de sa qualité ; le tribunal
appréciant l’existence et la validité du mandat.
Ainsi, est irrecevable la requête présentée devant les
juridictions administratives par une organisation
syndicale qui ne produit pas la délibération du conseil
syndical, compétent statutairement pour engager une
action en justice, habilitant le secrétaire général à cet
effet (CE, 21 février 1994).
Les juridictions de l’ordre judiciaire apprécient de la
même manière la qualité pour agir du représentant du
syndicat.
Est valablement annulée une assignation en justice faite
par le secrétaire général d’un syndicat pourtant habilité
par les statuts, dès lors que la preuve de sa nomination
comme secrétaire général n’était pas rapportée (Cass.
soc., 29 octobre 1998).
De même, selon une jurisprudence constante, la seule
qualité de délégué syndical ne peut, en l’absence de
mandat spécial, permettre de représenter le syndicat en
justice (notamment : Cass. soc., 6 février 2002).
Mais qu’en est-il lorsque, comme dans la présente affaire,
les statuts ne prévoient aucune disposition ni sur
l’engagement de la l’action, ni sur la représentation pour
l’exercer ? C’est à cette question que répond le Tribunal
administratif de Lyon.
Le Tribunal constate d’abord l’absence dans les statuts du
syndicat de disposition réservant à un organe déterminé
le pouvoir de décider de former une action en justice et
D
de représenter l’organisation en
justice. Il en déduit que l’action ne
pouvait être engagée que par
l’assemblée générale du syndicat,
et que celle-ci aurait dû autoriser
expressément le secrétaire à
former ce recours. Il est
intéressant de noter que dans
cette affaire, le secrétaire avait
portant été habilité à engager
cette action par la commission
exécutive du syndicat. Sa requête
est ainsi rejetée.
PRINCIPAUX ATTENDUS
"Considérant qu’en l’absence, dans les statuts d’un syndicat, de stipulation
réservant expressément à un autre organe la capacité de décider de former
une action devant le juge administratif, celle-ci est régulièrement engagée
par l’organe tenant des mêmes statuts le pouvoir de représenter en justice
cette association ; que dans le silence desdits statuts sur ce point, l'action
ne peut être régulièrement engagée que par l’assemblée générale ;
Considérant qu’aucune disposition des statuts du syndicat général C.G.T.
des sapeurs pompiers de Saint-Étienne ne réserve à un organe de ce syndicat le pouvoir de former une action en justice en son nom ; qu’aucun
organe dudit syndicat ne tient des mêmes statuts le pouvoir de le représenter ; que dès lors son secrétaire n’avait pas qualité pour former, au
nom de celui-ci, un recours pour excès de pouvoir et ne pouvait y être
régulièrement autorisé que par une délibération de l’assemblée générale ;
que, par suite, la requête du syndicat général C.G.T. des sapeurs pompiers de Saint-Étienne, dans la mesure où elle est signée par son secrétaire
qui n’avait été autorisé à la faire que par une habilitation de la seule
commission exécutive, n’est pas recevable ;….
Cette décision démontre, s’il en
était besoin, l’importance qu’il y a
lieu d’accorder à la rédaction des
statuts de personnes morales
comme les syndicats ou les
associations.
Tribunal administratif de Lyon,
8 avril 2003,
Syndicat général CGT des Sapeurs pompiers de Saint-Étienne
Jean-Louis TURQUIN
Avocat au Barreau de Lyon
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ACCORD D’ENTREPRISE
Dénonciation - Obligation de motivation (non)
Tribunal de grande instance de Grenoble, 9 janvier 2003
EXPOSE DES FAITS
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être motivée en l’absence de dispositions spécifiques
contenues dans l’accord d’entreprise.
Le 13 septembre 2000, la Société A. a signé avec le délégué
syndical CGT (Monsieur G.), et le délégué syndical CFECGC, un accord portant sur la réduction du temps de travail.
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OBSERVATIONS
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Cinq mois plus tard, l’Union Régionale Rhône Alpes CGT
dénonce cet accord.
L’article L. 132-8 du Code du travail précise que l’accord
d’entreprise à durée indéterminée peut être dénoncé par
les parties signataires.
Dans les jours suivants, Monsieur G. dénonce à son tour cet
accord au motif, semble-t-il, qu’il aurait constaté que la
Société B. avait l’intention d’imposer les termes de cet
accord à d’autres entreprises.
La Société B. a saisi le Tribunal de grande instance de
Grenoble aux fins d’obtenir l’annulation de ces
dénonciations en soutenant que, d’une part, l’Union
Régionale CGT n’a pas compétence pour dénoncer un
accord qu’elle n’a pas signé et que, d’autre part, la
dénonciation par l’Union Départementale CGT, représentée
par Monsieur G., constituait un abus de droit.
La Cour de cassation a jugé que sauf clause contraire de la
convention ou de l’accord collectif, l’auteur de la
dénonciation n’a pas à justifier sa décision de dénoncer
(Cass. soc., 20 octobre 1993, n°89-18.949, Bull. Civ. V,
n°243).
Cet arrêt concernait cependant un « accord atypique »
conclu avec le comité d’entreprise, mais la référence
expresse de l’arrêt à l’article L. 132-8 du Code du travail
permettrait de considérer que la solution vaut également
pour les accords d’entreprise signés avec les syndicats.
Le Tribunal de grande instance a jugé que l’Union Régionale
CGT n’a pas compétence pour dénoncer un accord qu’elle
n’a pas signé.
L’intérêt du présent jugement est de confirmer une telle
analyse dans un domaine où la jurisprudence reste rare, et
de préciser que si la motivation de la dénonciation existe, il
importe peu que cette dernière soit inexacte.
En revanche, le Tribunal de grande instance a jugé que la
dénonciation de l’accord par Monsieur G., délégué syndical
CGT, était régulière et que cette dénonciation n’avait pas à
Le Tribunal de grande instance a rejeté ainsi l’argument
d’abus de droit développé par l’employeur, alors que la
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Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - XV
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dénonciation reposait sur une motivation peu explicite
et que l’accord en cause avait reçu l’aval du comité
d’entreprise et avait été ratifié par 92 % du personnel.
La possibilité de dénonciation apparaît donc comme
discrétionnaire.
Cependant, lorsque l’initiative de la dénonciation est
prise par l’employeur, elle constitue une mesure qui aura
des conséquences sur l’emploi, la formation et les
conditions de travail des salariés, au sens de l’article L.
432-1 du Code du travail.
Une information-consultation du comité d’entreprise
apparaît, dès lors, nécessaire au regard des dispositions
précitées.
Une dénonciation par l’employeur d’un d’accord
d’entreprise non précédée de cette informationconsultation est sans effet, et le juge des référés est
compétent pour faire injonction à l’employeur, s’il
persiste à dénoncer, d’y procéder avant de notifier à
nouveau sa dénonciation aux autres signataires.
(Tribunal de grande instance de Paris, 18 octobre 2001).
Par un arrêt en date du 6 mars 2002, la Cour d'appel de
Paris a confirmé ce jugement du Tribunal de grande
instance du 18 octobre 2001.
Toutefois, nous ignorons si cet arrêt a fait l’objet d’un
pourvoi en cassation.
Il reste néanmoins que cette information-consultation du
comité d’entreprise va nécessairement amener
indirectement l’employeur à motiver sa décision de
dénonciation.
PRINCIPAUX ATTENDUS
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"Attendu que l’Union Régionale est une personne morale
déterminée, différente de l’Union de l’Isère, qu’elle n’administre ni ne gère, et sur laquelle elle n’a pas de pouvoir.
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Dès lors que l’Union Régionale n’a pas été partie à l’accord
de RTT signé avec AMSE, elle y est étrangère et ne peut
valablement le dénoncer.
I
Sa dénonciation du 31 mai 2001 est nulle, elle a été faite
par une personne morale dépourvue du droit d’agir.
L’Union de l’Isère, sous la signature de Monsieur GO, délégué syndical, à la Société A, a dénoncé l’accord de RTT du
13 septembre 2000 par une lettre du 29 juin 2001, avec
copie pour information au délégué syndical CGC
(Monsieur ODDOLAYE) et à l’Inspection du Travail.
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La dénonciation est formelle, claire, sans équivoque.
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L’Union de l’Isère motive cette dénonciation en exposant
qu’elle avait constaté que la Société avait l’intention
d’imposer cet accord à d’autres entreprises…
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Il n’est pas contesté et il est établi que la dénonciation par
l’Union de l’Isère respecte les modalités légales de la dénonciation.
S
La loi n’impose pas qu’il y ait un motif quelconque à la
dénonciation, et dès lors que la convention elle-même ne
l’impose pas, la dénonciation n’a pas à être motivée.
Si la motivation existe, il n’importe pas que, comme le soutient la Société AMSE, elle soit inexacte, elle est superflue et
inutile…”
Afin de retrouver un certain équilibre, il semble
souhaitable que les accords d’entreprise comportent des
clauses sur l’obligation de motiver les dénonciations.
Véronique MASSOT-PELLET
Avocat au Barreau de Lyon
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Tribunal de grande instance de Grenoble,
9 janvier 2003
Société A. c/ Union Régionale CGT, Union Syndicale CGT
de l’Isère, Monsieur Go, délégué syndical CGT
P u blication : Ord re des Avocats au Barreau de Lyon et Le Tout Lyo n
Directeur de la Publication : Eric JEANTET, Bâtonnier de l'Ordre des Avocats au Barreau de Lyon
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Président du comité de rédaction : Gérard VENET, Avocat Honoraire au Barreau de Lyon
Directeurs de la rédaction : Yves FROMONT, Pierre MASANOVIC, Avocats au Barreau de Lyon
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Ordre des Avocats - 42, rue de Bonnel - 69484 Lyon Cedex 03 Tél. 04 72 60 60 13
E-mail : [email protected]
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n° 22 Avril 2004 - XVI
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