PDF Saclay Le Journal n°54 Hors Série

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PDF Saclay Le Journal n°54 Hors Série
HORS SERIE SPÉCIAL 60 ANS
3e trimestre 2012
science est
aventure
La
une
Hall des guides du réacteur
Orphée, instrument de recherche
fondamentale dédié à l’étude de
la structure de la matière.
édito
La science est une aventure. Intellectuelle
et humaine. Au CEA de Saclay, celle-ci a
commencé il y a tout juste 60 ans. Et cela
méritait bien un numéro spécial !
Pour vous faire partager cette aventure, la
rédaction du Journal de Saclay a revisité
les codes de la bande dessinée des années
1950. Place donc à la « ligne claire ». Ce
langage graphique retranscrit la complexité
du réel dans une forme simple – en termes
scientifiques, on pourrait presque parler
de modélisation. Les contours sont nets,
soulignés par des aplats de couleurs vives qui
renforcent la lisibilité du dessin. Les cases
ordonnées, le trait maîtrisé traduisent bien le
rapport de confiance que l'époque entretenait
avec la science. On sortait d’un conflit pour
le moins dévastateur, et on comptait sur elle
pour rebâtir… en mieux.
Cette part d’utopie ancrée dans la
rationalité scientifique a donné à la société
l’énergie nécessaire pour se reconstruire.
Aujourd’hui, notre rapport à la science est
plus complexe. Le champ des possibles
qu’elle ouvre suscite autant d’attentes
que d’inquiétudes. Détricoté, le mythe du
Progrès porté par la technique ? À nous de
tisser à mailles resserrées une autre relation
entre science et société, plus modeste, plus
mature. Mais qu’elle ne boude ni le rêve,
ni l’enthousiasme, ni le plaisir, qui sont de
puissants moteurs de l’action. Et puisqu’un
anniversaire donne l’occasion de puiser dans
le passé pour mieux se projeter dans l’avenir,
réactivons les optimismes l’espace de ces
quelques pages… et au-delà.
Marie Vandermersch
Rédactrice en chef
HORS SERIE
SPÉCIAL 60 ANS
En couverture : expédition
au Groenland dans le cadre
des recherches sur le climat.
Les scientifiques effectuent
des carottages afin
d’analyser la composition
de l’air emprisonné dans les
couches de glace.
Crédit illustrations : CEA/Delius
« L’audace va de pair avec l’équilibre »
« L’audace va de pair
avec
l’équilibre
»
Jacques Vayron a été nommé Directeur du CEA Saclay le 19 mars 2012,
un centre qu’il connaît bien puisqu’il y a exercé la fonction de
Directeur-adjoint pendant un an et demi. Il nous présente ici sa
perception du site, dans une période où la recherche française est en
pleine mutation, où le plateau de Saclay se transforme, comme ce fut
le cas au moment de la création du centre, voici 60 ans.
Journal de Saclay : Selon vous,
qu’est-ce qui fait la spécificité
du centre CEA de Saclay ?
Jacques Vayron : Sa spécificité, c’est sa diversité.
Ce qui impressionne ici, c’est d’abord la grande pluridisciplinarité des activités de recherche que le centre
abrite : des énergies bas-carbone aux technologies pour
l’information et la santé, en passant par la physique et la
chimie fondamentales, tous les domaines de recherche
du CEA civil sont représentés. À côté des sciences de
la matière et de l’énergie nucléaire qui constituent plus
de la moitié des effectifs, les sciences du vivant et la
recherche technologique rassemblent, chacune, tout de
même 300 à 400 personnes. Par ailleurs, la Direction
générale et l’ensemble des pôles fonctionnels du CEA
sont implantés sur le centre, ce qui contribue à le mettre
en visibilité.
Ce qui frappe aussi à Saclay, c’est qu’on y rencontre des
chercheurs de toutes origines, preuve de la dimension
internationale du site.
JdS : Comment cette dimension
internationale est-elle prise
en compte ?
Jacques Vayron : Ce sont les instituts et les départements qui font la renommée internationale du centre
de Saclay. L’expertise scientifique et technique de leurs
chercheurs et de leurs ingénieurs est reconnue et attire
de nombreux scientifiques internationaux. Le centre se
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
doit d’être à la hauteur et souhaite les accueillir le mieux
possible. Nous venons de créer dans cette optique un
bureau d’accueil international, afin de les accompagner
dans les diverses démarches administratives qu’ils doivent effectuer lorsqu’ils arrivent en France.
JdS : Dans un environnement
si complexe, comment concevez-vous
la fonction de Directeur de ce centre ?
Jacques Vayron : Mon rôle n’est pas d’orchestrer la
politique scientifique du centre mais de porter
les recherches qui sont menées sur le site en
offrant aux salariés un cadre de travail de
qualité. En tant que Directeur de centre, je
suis responsable de la sécurité du site,
qui comporte notamment des installations nucléaires. Je suis aussi en
charge de tout ce qui touche au
quotidien des salariés : rénovation des bâtiments, organisation des transports, restauration, services divers… Dans la
mesure du possible, j’essaie de
consulter les unités, d’obtenir leur
adhésion sur les projets que nous
impulsons lorsque ceux-ci peuvent
avoir des répercussions sur leur
quotidien. Probablement un héritage
de mon expérience passée dans les
ressources humaines. Diriger le centre
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
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« L’audace va de pair avec l’équilibre »
de Saclay, c’est le gérer efficacement au présent en
préparant son avenir, spécialement à ce moment de son
histoire où il va connaître des changements importants.
JdS : À ce propos comment, après 60 ans
d’existence, le centre CEA de Saclay se
projette-t-il dans l’avenir ?
Jacques Vayron : Le centre de Saclay a été créé par
des hommes et des femmes qui ont fait l’histoire des
sciences, voire l’histoire tout court. Avec la reconstruction de l’après-guerre, l’aventure du nucléaire, le
contexte de l’époque était à la fois plus difficile, car il
fallait tout construire, et plus simple du point de vue du
cadre et des contraintes qui, aujourd’hui, demandent
une inventivité différente de celle des illustres pionniers
des années 1950.
Dans les dix ans à venir, l’ensemble du plateau de
Saclay va se trouver dans une phase qui va ressembler
à ce qu’a été la création du centre CEA de Saclay. Nous
La route des grandes piles du CEA de Saclay. Quatre
réacteurs de recherche y ont été construits : EL2, EL3,
Osiris et Orphée. Ces deux derniers réacteurs sont
toujours exploités aujourd’hui.
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HORS SÉRIE SPÉCIAL 60 ANS
préparons activement cette étape. Il y a 60 ans, le site
a été développé avec le souci d’organiser l’espace, de
créer un cadre favorable aux activités de recherche.
L’architecte Auguste Perret a joué un rôle crucial à
l’époque. Yves Caristan, mon prédécesseur, a lancé
une étude pour voir comment ce centre, marqué par un
souci d’équilibre, d’harmonie, pourrait évoluer de façon
à favoriser l’ouverture sur les autres acteurs du plateau.
Car tous comptes faits, le centre de Saclay est bien une
affaire d’équilibre et d’harmonie : équilibre entre les différentes disciplines, entre activités locales et dimension
internationale, harmonie entre équipes de recherche
et équipes fonctionnelles, équilibre entre excellence
scientifique et exigences quotidiennes de protection
des personnels et des riverains, de l’environnement et
des installations.
Pour moi, l’équilibre va de pair avec l’audace. Les
scientifiques n’obtiennent pas de résultats exceptionnels sans esprit d’initiative. Et être audacieux, ce n’est
pas éviter les risques, c’est les prévenir et les maîtriser.
Avec toutes les équipes du centre, nous sommes là
pour donner un cadre qui permette aux chercheurs de
Saclay de mener leur activité au meilleur niveau scientifique et d’exprimer leur créativité en toute sécurité.
Propos recueillis par Aline Curtoni
Éclaireurs du nucléaire
Éclaireurs
du nucléaire
Il y a 60 ans, les premiers bâtiments du CEA venaient rompre la ligne d’horizon
du plateau de Saclay. Les pieds dans la boue mais l’esprit aiguisé, les chercheurs
posaient les fondements du nucléaire civil français. Aujourd’hui, l’édifice
est solide et sa renommée internationale n’est plus à faire. À la pointe de
la connaissance, les équipes de Saclay avancent toujours en éclaireur.
N
ous sommes en 1939. L’Allemagne nazie est
aux portes du pays. Dans leur laboratoire du
Collège de France, le Prix Nobel Frédéric Joliot
et ses collaborateurs, Lew Kowarski et Hans
Halban, viennent de publier secrètement trois brevets
d’invention décrivant les principes d’un « dispositif de
production d’énergie » qui utiliserait la fission nucléaire .
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
Les applications peuvent être civiles… ou militaires .
Un an plus tard, la France rend les armes. L’équipe se
disperse pour mettre ses découvertes hors de portée des
nazis. C’est finalement Fermi, aux États-Unis, qui fera
diverger la première pile atomique en 1942. Lorsque le
CEA est créé trois ans plus tard, il ne dispose pas des
mêmes moyens financiers et informatiques, mais en
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
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Éclaireurs du nucléaire
«
En quelques années, une réelle " école
française " va voir le jour, qui connaîtra
bientôt un renom incontestable à l’étranger. »
quelques années, une réelle « école française » va voir
le jour, qui connaîtra bientôt un renom incontestable à
l’étranger. C’est bien souvent à Saclay 1 que germeront
les concepts, les premiers jalons expérimentaux qui
seront ensuite testés à plus grande échelle sur d’autres
centres du CEA.
Le nucléaire primordial
Dans cette période de reconstruction, l’heure est à
l’union nationale dans le pays et à l’interdisciplinarité à Saclay. Physiciens, chimistes, mathématiciens,
biologistes travaillent de concert à l’élaboration du
socle de connaissances indispensables aux applications
nucléaires. Tandis que les théoriciens se livrent à un
défrichage intellectuel intense, les ingénieurs conçoivent les premières piles atomiques afin de pouvoir
tester différentes filières de réacteur. Quand l’aventure
commence, les scientifiques français ne maîtrisent pas
les procédés d’enrichissement de l’uranium. Ces piles
doivent donc pouvoir fonctionner à l’uranium naturel : la
filière eau lourde 2 s’impose. Les deux premiers réacteurs
construits à Saclay , EL2 et EL3, utilisent ce modérateur. Mais l’approvisionnement en eau lourde étant
complexe et coûteux, les physiciens explorent d’autres
pistes, testent d’autres sortes de combustible, d’autres
modérateurs. C’est finalement la filière graphite-gaz,
capable de fonctionner également à l’uranium naturel,
que privilégient les équipes en place. Le CEA se lance
dans la phase industrielle avec la construction de trois
réacteurs, G1, G2 et G3, sur son centre de Marcoule.
De l’art d’enrichir
Si le CEA concentre ses efforts sur les filières fonctionnant à l’uranium naturel, maîtriser l’enrichissement
de l’uranium3 est un objectif prioritaire, et ce dès les
années 1950. L’enjeu qui se cache derrière ce verrou
technique ? « L’indépendance nationale », estime le
gouvernement du général de Gaulle. Car enrichir est une
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HORS SÉRIE SPÉCIAL 60 ANS
étape préalable à la fabrication d'une arme thermonucléaire. Pour le nucléaire civil, l’emploi d’un combustible
enrichi autoriserait la conception de réacteurs à eau
ordinaire plus compacts et moins coûteux. Nouveau
défi pour les chercheurs de Saclay qui doivent trouver
un moyen de séparer isotopes fissiles et non fissiles de
l’uranium. Deux procédés de séparation, la diffusion
gazeuse et l’ultracentrifugation, sont explorés dans les
installations pilotes de Saclay. Ces études aboutiront,
au début des années 1960, à la construction dans la
Drôme de l’usine de Pierrelatte, qui s’appuie sur le
procédé de diffusion gazeuse, plus mature 4. À Saclay,
les études sur la séparation isotopique ne s’interrompent
pas pour autant, l’idée étant de mettre au point des
méthodes plus sélectives et moins consommatrices.
Tournant industriel
La maîtrise de l'enrichissement de l’uranium est une
victoire… mais un coup de semonce pour la filière
graphite-gaz. En 1969, la France abandonne définitivement cette voie et choisit d’adapter la technologie des réacteurs à eau pressurisée de l’américain
Westinghouse . Pour le CEA, ce tournant industriel est
aussi un tournant culturel. Désormais, les équipes de
Saclay travaillent à la francisation des licences américaines et apportent leur soutien scientifique et technologique aux industriels. Suite au choc pétrolier de 1973,
1/ Une partie des recherches est également menée à Fontenay-aux-Roses, où démarre en 1948 la première pile française, Zoé. 2/ L’eau lourde est composée d’oxygène et de deutérium, un isotope
de l’hydrogène. Tout en transportant la chaleur, elle joue le rôle de
modérateur : en ralentissant les neutrons, elle favorise la fission de
l’uranium 235. 3/ L’uranium naturel n’est composé qu’à 0,7 % d’uranium 235, fissile.
Les 99,3 % restants sont de l’uranium 238, non fissile. Le but de
l’enrichissement de l’uranium est d’augmenter la part d’uranium 235
dans le combustible. 4/ Cette technologie sera également mise en œuvre dans la première
usine Georges-Besse 1 en 1973 sur le site du Tricastin.
Dans un réacteur de
recherche « de type
piscine », l’eau qui
recouvre le cœur
permet de refroidir
le réacteur, de
ralentir les neutrons
et d’arrêter les
rayonnements.
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
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Éclaireurs du nucléaire
Simulation numérique :
quand les équations s’animent...
Dans la salle obscure, sur l’écran de
verre de 16 m2, une sorte de kaléidoscope
géant se déploie en 3D sous les yeux des
chercheurs. Un test cognitif nouvelle
génération pour observer l'activité
du cerveau ? Non, mais l’expérience
n’est pas moins fascinante. Ce qu’ils
visualisent, ce sont les conséquences
d’un accident sur un cœur de réacteur…
qui n’existe pas encore. Fiction ? Réalité ?
Chaque point sur l’écran a une valeur
scientifique, car ces images sont la
traduction graphique des simulations
numériques que la Direction de
l’énergie nucléaire utilise pour décrire
le comportement d’un système. À la
vue de ces séquences fluides, on ne
soupçonne pas le travail complexe fourni
en amont par les équipes du Département
de modélisation des systèmes et
structures (DM2S), qui tissent les codes
de calcul, entrelacent les équations et
les algorithmes. « Ces codes de calcul
constituent un vrai tour de force : ils
peuvent s'appliquer à n’importe quelle
filière de réacteur et sont un outil
tant pour les industriels que pour les
chercheurs », raconte Richard Lenain,
adjoint du DM2S. Mais comment s’assurer
de la fiabilité de la simulation ? En
neutronique, pour recouper les données,
les chercheurs combinent deux méthodes.
La première, déterministe, résout
toutes les équations du système jusqu’à
l’obtention d'une solution globale ; la
seconde, probabiliste, prend un neutron,
« joue » son parcours dans le réacteur,
et accumule des milliards de « parties »
jusqu’à l’obtention d’une image nette.
D’un côté la photographie que le
révélateur fait apparaître en une fois ; de
l’autre, le tableau pointilliste construit
point par point. Le réacteur Orphée, en
service depuis 1980 à Saclay, a ainsi pu
être conçu sans maquette, en croisant
les résultats obtenus sur les codes de
calcul Apollo, déterministe, et Tripoli,
probabiliste. Depuis, les progrès réalisés
sont considérables et c’est maintenant
dans le détail que toutes les composantes
d’un système nucléaire peuvent être
calculées. La simulation est aussi utilisée
dans le cadre de l’exploitation des
installations : le code Apollo constitue
le socle des chaînes de calcul d’Areva
et nourrit les simulateurs qu’EDF utilise
pour former ses opérateurs.
Peut-on imaginer un jour la mise au point
la France décide d'accélérer son programme électronucléaire. Les nombreuses compétences acquises dans
des domaines fondamentaux tels que la physique des
réacteurs, la mécanique, les matériaux, le combustible
permettront au CEA de jouer un rôle prépondérant dans
le processus d’amélioration continue de la technologie
des réacteurs à eau pressurisée français.
Saclay : concentration de matière… grise
Depuis cette époque, le centre de gravité des activités
nucléaires du CEA s’est déporté vers le sud de la France :
c’est à Cadarache et à Marcoule que sont implantés
les moyens expérimentaux les plus lourds. À Saclay,
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HORS SÉRIE SPÉCIAL 60 ANS
d’un réacteur virtuel qui se prêterait à
tous les tests ? Certains phénomènes,
en chimie notamment, résistent à
la mise en équation : les données
sont imparfaites ; l’expérimentation
reste une nécessité. Mais aujourd’hui,
le recours aux supercalculateurs
démultiplie le champ des possibles. Les
chercheurs sont désormais capables
d’articuler les équations de la neutronique
avec celles de la thermodynamique et du
combustible, de raccorder les échelles
entre la physique du cœur et celle du
réacteur. « La précision des simulations
est telle que la résolution des écrans
d’ordinateur ne suffit plus », constate
Richard Lenain. « Or pour interpréter ces
résultats, nous avons besoin de faire
appel à nos sens, de brancher notre
cerveau à l’image. Une incohérence
dans la simulation saute immédiatement
aux yeux ». Le mur d’image est aussi
un puissant outil collaboratif : devant
l’écran, les mots prennent le relais des
formules mathématiques. Dans la salle
obscure, nos chercheurs activent
intensément les deux hémisphères de leur
cerveau… Le test cognitif n’est pas si loin
finalement.
la Direction de l’énergie nucléaire (DEN) conserve ses
recherches amont et ses moyens de simulation numérique (cf. encadré). « L'objectif de nos travaux est d'avoir
une compréhension fine des phénomènes de base qui
entrent en jeu dans un réacteur nucléaire », explique
Sylvestre Pivet, Directeur délégué aux affaires nucléaires
de Saclay. Trois installations nucléaires de base dédiées
aux recherches sur le nucléaire restent implantées sur
le centre : le réacteur Osiris, qui, depuis 1966, permet
d’irradier sous hauts flux de neutrons des éléments de
structure ou de combustible, le Leci (Laboratoire d’essais
sur combustibles irradiés) qui scrute au microscope les
conséquences de cette irradiation intensive sur le comportement mécanique et métallurgique des matériaux et
du combustible, et un petit irradiateur Poséidon. Mais la
«
À Saclay, la Direction de l'énergie nucléaire
concentre ses recherches amont et ses
moyens de simulation numérique. »
plupart des recherches liées au nucléaire sont finalement
menées dans des installations de taille plutôt modeste
ou sur des plateformes qui ne font intervenir aucune
réaction nucléaire. Au sein de Tamaris, les équipes
reproduisent les contraintes mécaniques qu’exerce un
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
séisme sur une structure. Dans l’accélérateur Jannus, on
parvient à simuler les effets d’une irradiation neutronique
grâce à un couplage de trois faisceaux ; sur la plateforme
Corona, ce sont les phénomènes physico-chimiques de
corrosion qui sont étudiés ; sur Mistra, l’attention des
Le mur d’image est un
outil collaboratif grâce
auquel les chercheurs
peuvent visualiser et
analyser les données
obtenues par simulation
numérique.
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
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Salle de conduite
d’un réacteur de
recherche. Une
équipe est présente
en permanence
afin de surveiller
les paramètres de
fonctionnement du
réacteur.
«
Le va-et-vient entre théorie,
expérimentation et conception
est constant et c’est aussi ce qui fait
l’intérêt de ces recherches. »
chercheurs se porte sur la cinétique de production et
de recombinaison de l’hydrogène. Le va-et-vient entre
théorie, expérimentation et conception est constant
et c’est aussi ce qui fait l’intérêt de ces recherches.
« Lorsque je demande aux doctorants de définir leur
motivation principale pour venir travailler chez nous, la
réponse qui revient très régulièrement est la suivante :
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HORS SÉRIE SPÉCIAL 60 ANS
nos laboratoires leur donnent l’occasion de mener une
recherche de fond, nourrissante intellectuellement, et
en connexion avec les industriels », conclut Sylvestre
Pivet.
Marie Vandermersch
Marier robotique et réalité virtuelle
Marier robotique
et réalité virtuelle
Observer un milieu confiné très irradiant et y intervenir sans exposer l’opérateur :
1
cette exigence du secteur électronucléaire a conduit les équipes du CEA-List à
développer des capteurs, des bras télémanipulateurs, des robots autonomes, etc.
Enrichies par l’essor des technologies numériques, ces compétences intègrent
aujourd’hui les potentialités de la réalité virtuelle, ce qui permet d’étendre leur
champ d’applications au spatial, au prototypage industriel, à la compensation du
handicap ou à la chirurgie.
D
ès son origine, le CEA s’est doté d’un département de robotique pour mettre au point des
outils d’intervention en « milieu hostile », notamment pour manipuler des substances radioactives dans ce que les gens du métier appellent des
« labos chauds ». Ces matières sont confinées dans
des enceintes étanches aux rayonnements ionisants
dans lesquelles personne ne pénètre. Les opérateurs
travaillent par télémanipulation à l’extérieur de ces caissons, derrière d’épais verres au plomb, aussi protecteurs
que les parois de béton adjacentes. « Ils actionnent
un bras maître qui transmet la commande à un bras
esclave, muni de pinces articulées », explique Philippe
Gravez. Chercheur du laboratoire de simulation inter­
active du CEA-List, il a participé à l’évolution de la
robotique au CEA.
De la télémanipulation à la téléopération
« Ces systèmes mécaniques, toujours utilisés, ont
l’inconvénient d’être fixes et n’ont qu’un rayon d’action
de quelques mètres. » Première évolution, la partie
esclave de ces dispositifs, montée sur un véhicule ou
un pont roulant, a permis de les rendre mobiles. La télé­
manipulation s’est ainsi progressivement transformée
1/ CEA-List : Institut de la Direction de la recherche technologique dédié aux systèmes numériques intelligents.
Exosquelette inspiré d’un cobot (robot collaboratif)
développé par le CEA-List et ses partenaires. Il accompagne
« intelligemment » les mouvements de l’utilisateur pour
faciliter le transport de lourdes charges.
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
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en téléopération. Dans les années 1980, le rapprochement entre les spécialistes de la robotique et ceux de
la téléopération a permis de démultiplier les projets.
« Nous avons exploré d’autres milieux hostiles, comme
l’espace ou les fonds marins, dont les besoins en robotique ont explosé avec l’exploitation du pétrole sous la
mer ». La robotique a ensuite abouti à des applications
industrielles, puis de santé, notamment pour la compensation du handicap. À la fin des années 1990, les
projets de robotique du futur CEA-List se partageaient
déjà pour moitié entre le nucléaire et d’autres secteurs
industriels.
Des images à la place des yeux
Une contrainte fréquemment rencontrée en milieu hostile oblige à associer une caméra aux « robots » téléopérés. « L’absence de vision directe ajoute une difficulté
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HORS SÉRIE SPÉCIAL 60 ANS
supplémentaire à la gestuelle déjà très laborieuse de
la télémanipulation derrière un hublot au plomb. La
durée nécessaire à un geste peut ainsi être multipliée
par dix ». Le geste est d’autant plus délicat que l’opérateur ne ressent que peu, voire pas du tout, l’effet de
son action. Le retour d’effort direct du bras, développé
par les chercheurs, a permis de restituer cette sensation
par l’intermédiaire de moteurs électriques.
Une nouvelle discipline : l’haptique
Pour guider le téléopérateur, des simulations informatiques en trois dimensions des milieux de travail
ont été développées. Il peut ainsi accéder à la fois
à l’image fournie par la caméra et à celle issue du
modèle 3D sur ordinateur. Les bras à retour d’effort,
devenus en quelques années très performants, complètent les informations utiles à la téléopération. « Dès les
Robot téléopéré
et monté sur
chenilles permettant
d’intervenir à
distance en ambiance
fortement radioactive.
«
Dans les années 1980, le rapprochement
entre les spécialistes de la robotique
et ceux de la téléopération a permis de
démultiplier les projets. »
années 1990, nous avons eu l’idée de coupler ces
bras à retour d’effort au modèle virtuel de l’ordinateur,
pour aller plus loin dans la réalité virtuelle. Ainsi est
née une nouvelle discipline, l’haptique 2, qui s’ajoute à
nos activités en robotique », explique Philippe Gravez.
Prototypage virtuel
« Application majeure de l’haptique, le prototypage
virtuel permet aujourd’hui à un constructeur automobile de tester un nouveau modèle bien plus vite que
par le passé : l’opérateur perçoit en réalité virtuelle
l’ensemble du véhicule et peut ainsi en tester les
contraintes grâce à un bras maître haptique qui lui
renvoie les sensations tactiles comme s’il était à l’intérieur. » Toujours grâce à l’haptique, l’ergonomie d’un
poste de travail peut être évaluée avant sa création et
la formation aux gestes techniques peut être assurée
2/ L’haptique (du grec haptomai) désigne la science du toucher, et plus
généralement la perception du corps dans l’environnement.
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
Bras à retour
d’effort pouvant
être utilisé en
milieu médical pour
la rééducation
post-traumatique.
grâce à des bras haptiques, dans des ambiances de
travail entièrement virtuelles.
Une robotique « coopérative »
La robotique, de son côté, a donné naissance à une
nouvelle discipline, la cobotique ou robotique « coopérative ». Un « cobot » prend par exemple la forme
d’un « exosquelette », sorte d’armature articulée que
l’opérateur enfile comme un harnais : dans l’industrie,
il permet, en amplifiant le geste, de soulever une lourde
charge sans en supporter le poids ; en médecine, il
peut rendre plus sûr et précis le geste d’un chirurgien.
« Comme toujours, nous sommes très près des besoins
de l’industrie et des métiers. Nos projets sont tous
collaboratifs. C’est indispensable pour obtenir les
meilleurs résultats technologiques », insiste Philippe
Gravez. Les projets en partenariat industriel représentent aujourd’hui l’essentiel de l’activité du CEA-List.
Charlotte Samson
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
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Les explorateurs de la matière
Les explorateurs
de la matière
La mise en évidence d’une nouvelle particule, qui pourrait bien être le fameux boson de
Higgs, vient de mettre la physique des particules sous le feu des projecteurs. Les chercheurs
de l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers (Irfu) du CEA Saclay ont
largement participé à cette découverte scientifique majeure. Depuis sa création, le CEA
de Saclay est un haut lieu de la recherche française sur la matière à toutes les échelles,
d’espace et de temps, et dans ses états les plus complexes. Cette expertise va de pair avec
le développement de technologies capables d’atteindre des niveaux de performance inédits.
M
ercredi 4 juillet 2012, 11h, les porteparoles des deux expériences Atlas et
CMS du Large Hadron Collider (LHC)
annoncent la découverte d'une nouvelle
particule qui pourrait être le boson de Higgs, particule
nécessaire pour expliquer la notion de masse dans le
modèle standard. La nouvelle revêt une telle importance
que la conférence est retransmise à Saclay, en direct
depuis le Cern. La salle de conférence de l’Irfu est pleine
à craquer. À l’annonce des résultats, le public laisse
éclater son émotion.
Effervescence toute légitime puisque des équipes de
l’Irfu traquent cette particule depuis plus de 20 ans
et ont œuvré à la conception de l’accélérateur et des
détecteurs géants qui ont permis de la dénicher. « Les
principaux quadripôles 1 du LHC ont été conçus par des
ingénieurs de l’Irfu, ainsi que des éléments importants
des détecteurs Atlas et CMS », rappelle Antoine Daël,
chef du Service des accélérateurs, de la cryogénie et du
magnétisme. Aujourd’hui, c’est au sein de cet institut
que sont conçus et testés les éléments d’accélérateurs
et les éléments de détecteurs qui permettent d’explorer
la matière à l’échelle subatomique. L’Institut est également spécialisé dans l’accélération haute intensité de
protons et de deutons et l’accélération au moyen de
cavités supraconductrices.
D’où viennent ces spécialités du CEA, aujourd’hui reconnues sur la scène internationale ? Produire de l’énergie
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HORS SÉRIE SPÉCIAL 60 ANS
à partir de réactions nucléaires, en optimiser les rendements, nécessitait de comprendre la nature des phénomènes mis en jeu. Construire les futures installations
industrielles exigeait la maîtrise du comportement des
matériaux. Au CEA Saclay, les sciences de la matière
se sont donc déployées dès l’origine, pour accompagner
les développements de l’énergie nucléaire. Elles sont
rapidement devenues une discipline à part entière.
Théoriciens et expérimentateurs qui se sont succédé sur
le centre ont contribué à améliorer nos connaissances
de la matière, avec le même enthousiasme que celui
des physiciens qui ont découvert le boson de Higgs.
Du Van de Graaff au LHC
La communauté des accélérateurs et des détecteurs
existe au CEA Saclay depuis sa création. Elle est née
auprès des tout premiers accélérateurs du site, mis en
service en 1952 : un Van de Graaf à électrons et un
cyclotron 2. Deux accélérateurs ont particulièrement
contribué à la réputation de Saclay : l’accélérateur
linéaire de Saclay (ALS) et le synchrotron Saturne2.
1/ Éléments magnétiques permettant de focaliser les particules chargées,
en particulier aux points de collision. 2/ Accélérateur circulaire dans lequel les particules chargées, placées dans
un champ magnétique, sont accélérées par un champ électrique alternatif,
suivant ainsi une trajectoire en spirale.
«
Déployées dès l’origine pour accompagner les
développements de l’énergie nucléaire, les
sciences de la matière sont rapidement devenues
une discipline majeure du CEA Saclay. »
L’ALS, mis en service en 1968, était un accélérateur
d’électrons spécialisé dans l’étude de la structure des
noyaux. Il a fonctionné jusqu’en 1990. Saturne2,
successeur de Saturne inauguré en 1958, a été conçu
au début des années 1970 3. C’était un synchrotron 4 à
protons, spécialisé dans la physique hadronique 5 qui
offrait la possibilité d’accélérer les ions légers. Démarré
en 1980, son exploitation s’est arrêtée en 1997, date
à laquelle a commencé son démantèlement, jusqu’au
déclassement en 2005.
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
Depuis, les bâtiments qui abritaient Saturne accueillent
la plateforme qui regroupe la quasi-totalité des
compétences du CEA en matière de recherche et
3/ Dans le cadre d’un laboratoire national, en collaboration avec
l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules du CNRS. 4/ Accélérateur dans lequel les particules gardent une trajectoire circulaire
grâce à une succession de cavités accélératrices et d’aimants de courbure
répartis sur un anneau.
5/ Physique consacrée à l'étude de particules constituées de quelques
quarks comme le proton.
Installé à la frontière
franco-suisse, le
Large Hadron Collider
(LHC) forme un
anneau de 27 km
de circonférence.
Certaines pièces
maîtresses de cet
accélérateur ont
été conçues par les
équipes du CEA de
Saclay.
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
15
Les explorateurs de la matière
Ganil, c’est du lourd !
Le Grand accélérateur national d’ions
lourds (Ganil) implanté à Caen est rattaché
au centre CEA de Saclay. Ses principaux
axes de recherche sont la structure
du noyau atomique, les interactions
fondamentales, l’astrophysique nucléaire,
les mécanismes de réaction et la physique
théorique associée.
Au début des années 1970, les physiciens
qui travaillent sur l’étude du noyau, au
CEA et à l’IN2P3, se trouvent de plus
en plus limités dans leurs recherches.
Ils préconisent alors la création d’un
accélérateur d’ions lourds sur le sol
français. Un Groupement d’intérêt
économique est alors créé entre le CNRS
et le CEA, et le Ganil est mis en service
en 1983. Un Système de production d’ions
radioactifs accélérés en ligne (Spiral) le
complète depuis 2001.
Un nouvel accélérateur, Spiral2, est
en cours de construction. Le principal
objectif de cette installation sera de
produire des noyaux « exotiques »,
ces noyaux à durée de vie limitée qui
présentent des structures inhabituelles,
et de les étudier. À plus long terme, le
Ganil est candidat pour accueillir Eurisol,
la future génération d’accélérateurs qui
permettra d’explorer la « terra incognita »
développement sur les accélérateurs. Synergium, c’est
le nom évocateur qu’Antoine Daël a donné à cette
infrastructure, le développement d’accélérateurs nécessitant des compétences de plus en plus pointues et des
infrastructures de plus en plus sophistiquées.
« Aujourd’hui, nous travaillons pour le projet Spiral2 du
Ganil à Caen, en collaboration avec le CNRS, en particulier sur l’injecteur de l’accélérateur linéaire et sur
la construction et les tests des cavités accélératrices
supraconductrices. Nous poursuivons également les
développements d’aimants à fort champ magnétique
pour les évolutions futures du LHC, tout en maintenant
des activités de R&D dans la perspective d’accélérateurs d’énergies encore plus élevées ». À l’échelle
internationale, on peut citer deux grands projets de
machines destinées à l’étude des matériaux dans toute
leur richesse et leur diversité : le laser à électrons libres
XFEL et la source de spallation européenne ESS. La
réputation acquise par ces équipes a conduit d’autres
6/ Centre de recherche sur les ions, les matériaux et la photonique,
unité mixte de recherche CEA, CNRS, ENSICAEN et Université de Caen
créée en 2008.
16
HORS SÉRIE SPÉCIAL 60 ANS
de la carte des noyaux.
Une des caractéristiques importantes
du Ganil est que, dès sa conception, il a
été prévu pour qu'y soient développées
des recherches en physique non
nucléaire. Ciril est la plateforme
d’accueil des expériences de recherches
interdisciplinaires auprès du Ganil. Elle
est gérée par le Cimap 6. Son objectif est
double : promouvoir les potentialités
du Ganil auprès de communautés
scientifiques extrêmement variées et offrir
des équipements performants répondant
aux objectifs scientifiques des utilisateurs
extérieurs.
communautés à s’adresser à l’Irfu : « Nous travaillons
également pour la fusion nucléaire ou l’imagerie par
résonance magnétique à haut champ ».
D’Orphée à ESS
Lorsqu’elle entrera en service, en 2019, ESS sera
la source de neutrons la plus puissante du monde.
Elle sera construite à Lund, en Suède. Pour l’heure,
l’exploration de la matière au moyen de neutrons
est une autre spécialité du CEA Saclay, et c’est
auprès du réacteur expérimental Orphée, dédié à la
recherche sur les matériaux, que ces études sont
menées aujourd’hui. Opérationnelle depuis 1980,
cette installation est remarquable par la qualité des
faisceaux qu’elle délivre.
« Nous avons soumis une proposition de collaboration
pour la définition des spectromètres d’ESS », explique
Alain Menelle, directeur-adjoint du Laboratoire Léon
Brillouin (LLB) qui pilote ces études à Saclay. Ce
laboratoire mixte CEA-CNRS est aujourd’hui chargé du
développement des spectromètres qui exploitent les
neutrons produits par le réacteur Orphée. Sa mission
Quadripôle
radiofréquence (RFQ)
du futur accélérateur
Spiral2. Conçue à
Saclay, cette pièce
sera placée en tête de
l’accélérateur pour
focaliser le faisceau,
mettre les ions en
paquets et les
pré-accélérer.
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
17
Les explorateurs de la matière
«
Hall des guides du réacteur
expérimental Orphée. Les
neutrons produits par le réacteur
permettent aux chercheurs
d’étudier la structure et la
dynamique de la matière à
l’échelle de l’atome.
La diffusion neutronique permet
d’accéder à la structure de la
matière à l’échelle de l’atome. »
principale est d’accueillir et d’assister les expérimentateurs extérieurs, en mettant à leur disposition aussi
bien les instruments nécessaires que les compétences
de ses équipes en matière de diffusion neutronique.
En parallèle, celles-ci poursuivent leurs propres programmes scientifiques, la plupart du temps au sein de
collaborations.
« La diffusion neutronique a commencé à Saclay
dans les années 1950, auprès des premiers réacteurs de recherche du centre. Elle a été en vogue
dans les années 1970-1980 », rappelle Alain
Menelle. « Aujourd’hui, peu de jeunes chercheurs
sont conscients de ses potentialités ». Et pourtant,
elle permet d’accéder à la structure de la matière à
l’échelle de l’atome, en complément des rayons X. Sa
18
HORS SÉRIE SPÉCIAL 60 ANS
sensibilité aux éléments légers comme l’hydrogène la
rend très performante pour étudier les polymères et la
matière biologique. Elle est, par ailleurs, indispensable
pour sonder les propriétés magnétiques des matériaux.
Enfin, l’absence de charge des neutrons leur confère
un pouvoir de pénétration dans la matière qui autorise
l’utilisation d’échantillons de grande dimension, ce qui
est particulièrement intéressant pour la recherche industrielle. « Dans la perspective du campus Paris-Saclay,
nous allons augmenter notre offre de formation, par
exemple en proposant des travaux pratiques aux étudiants du plateau ».
Aline Curtoni
Les sentinelles du climat
Les sentinelles
du climat
Le changement climatique est l’un des grands défis que devra relever
l’humanité dans les prochaines années. Cette prise de conscience
suscite un important effort de recherche auquel prend largement part
le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE).
I
l est l’un des plus réputés au monde dans son
domaine ! Créé en 1998, le Laboratoire des
sciences du climat et de l’environnement (LSCE)
est l’héritier d’une longue tradition de recherches
innovantes sur le climat et les changements climatiques.
« La recherche sur le climat et l’environnement a été
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
Recherche en
climatologie : poste de
conduite d’un forage
au Groenland.
développée au CEA à partir des années 1950 autour du
savoir-faire acquis dans la mise en œuvre de méthodes
d’analyse isotopiques et nucléaires » explique Philippe
Bonté, Conseiller scientifique au LSCE. Une des figures
tutélaires de cette époque est celle de Jacques Labeyrie,
recruté par Frédéric Joliot-Curie pour développer et
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
19
Les sentinelles du climat
«
L'expertise du
LSCE sur le climat
et le changement
climatique est
internationalement
reconnue.»
mettre en œuvre des méthodes de détection de l’uranium et de mesure de la radioactivité. Les techniques
mises au point se révéleront rapidement avoir des
applications inédites dans bien d’autres domaines et
notamment dans celui des sciences de la Terre et du
climat. Le Centre des faibles radioactivités (CFR) qui
voit le jour en 1961 sera ainsi « l’un des pionniers
dans le développement des méthodes de datation
au carbone 14 ». Les scientifiques ne vont plus cesser
d’explorer les formidables possibilités offertes par les
isotopes dans l’étude des variations climatiques.
Connaître le climat passé,
mieux anticiper le climat du futur
Dans les années 80, de plus en plus de voix s’élèvent
au sein de la communauté scientifique pour alerter
l’opinion publique sur l’existence d’un réchauffement
climatique planétaire et les risques inhérents. Cette
prise de conscience aboutit notamment à la création,
en 1988, du GIEC. Le CEA, dont les experts ont
été largement sollicités par le Giec, décide alors de
renforcer son activité dans ce domaine et crée en
1991 le Laboratoire de modélisation du climat et de
l’environnement (LMCE). Sous l’impulsion de quelques
20
HORS SÉRIE SPÉCIAL 60 ANS
personnalités exceptionnelles telles le climatologue
Jean Jouzel, la contribution des équipes est majeure.
« L’analyse des carottes de glace forées en Antarctique,
par exemple, a permis de déterminer les variations
climatiques durant les 800 000 dernières années. Les
équipes de Saclay ont ainsi été les premières à mettre
en évidence le lien entre la teneur en gaz à effet de
serre de la glace et l’évolution de la température sur
le globe ». En 1998, le LMCE et le CFR fusionnent pour
donner naissance à l’actuel Laboratoire des sciences
du climat et de l’environnement (LSCE), unité mixte de
recherche CEA-CNRS-UVSQ. Aujourd’hui, le LSCE est
un des laboratoires les plus reconnus pour l’étude du
climat en général et du changement climatique en particulier. Ses 300 chercheurs, ingénieurs et techniciens
ont des parcours très variés : physiciens, chimistes,
biologistes, mathématiciens, géologues, glaciologues,
océanographes... Que ce soit par l’expérimentation,
la modélisation ou l’analyse de données spatiales, les
travaux du LSCE contribuent largement à l'amélioration
des connaissances que nous avons du climat et de son
évolution, préalable nécessaire pour relever les nombreux défis à venir.
Gaëlle Degrez
Opération de
carottage en cours
pour étudier le climat
du passé. Plus le
forage est profond,
plus la glace est
ancienne et plus les
chercheurs remontent
dans le temps.
voyage au centre de la vie
Voyage au
centre de la vie
Il y a 60 ans, la biologie prenait place au CEA Saclay pour comprendre
les effets des rayonnements ionisants sur le vivant, mais aussi comme
domaine d’application de la radioactivité artificielle. À l’heure où la
discipline évolue à une vitesse vertigineuse, le marquage radioactif
demeure une de ses spécialités, au service de notre santé.
E
n 1935, un an seulement après avoir produit
le premier élément radioactif artificiel 1, Irène
et Frédéric Joliot-Curie obtenaient le prix Nobel
de Chimie. Frédéric Joliot a perçu très vite
l’impact que cette découverte aurait sur les sciences de
la vie : lorsque, en 1946, il devient le premier HautCommissaire du CEA, il décide d’y implanter la biologie.
Depuis près de 60 ans donc, des biologistes du CEA
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
sont chargés d’explorer les possibilités offertes par les
radiotraceurs (molécules radioactives), tout en étudiant
les effets des rayonnements ionisants sur le vivant.
Aujourd’hui, le marquage radioactif est devenu un outil
incontournable de la recherche médicale. À Orsay et
1/ Le phosphore 30, dont la demi-vie est de 156 s et qui se désintègre en
silicium 31 en émettant un positon.
Examen cérébral
par tomographie
par émission de
positions (TEP). En
médecine nucléaire,
cette technique est
notamment utilisée
pour observer
l’activité du cerveau.
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
21
voyage au centre de la vie
Principes de traques
Le noyau d’un atome est constitué de
protons et de neutrons. Un élément
chimique est caractérisé par le nombre
de ses protons. Les isotopes d’un
même élément possèdent le même
nombre de protons mais un nombre de
neutrons différent. Certains isotopes
sont radioactifs, c’est-à-dire qu’ils se
désintègrent en émettant un rayonnement.
On les appelle aussi radioéléments.
La période radioactive ou demi-vie est le
temps au bout duquel la moitié des noyaux
radioactifs initialement présents a disparu.
C’est une donnée spécifique à chaque
radioisotope, qui varie dans des gammes
de valeurs très vastes, de la fraction de
seconde à plusieurs milliards d’années.
Les noyaux radioactifs peuvent être
détectés, localisés et même dosés à
distance par le rayonnement qu’ils
émettent. Un radiotraceur ou molécule
marquée résulte de l’introduction, par voie
chimique ou enzymatique, d’un élément
radioactif dans sa structure chimique.
Cette molécule est choisie pour sa capacité
à « tracer » une fonction métabolique ou
physiologique particulière. La méthode
consiste à suivre le traceur, grâce à
l’élément radioactif qu’il porte, le long des
transformations physiques ou chimiques
qu’il subit.
L’imagerie nucléaire permet, en
particulier, de déterminer in vivo et de
manière atraumatique la distribution
à Saclay, des équipes de chimistes et de radiochimistes,
ont recours quotidiennement aux radiotraceurs, que ce
soit pour étudier le fonctionnement du cerveau, pour
évaluer un traitement anticancéreux ou pour appréhender la toxicité de nanoparticules. Dans l’avenir, nul
doute que le marquage saura se révéler un allié sûr dans
les développements prometteurs de la nano-médecine.
In vivo veritas
L’imagerie médicale constitue, sans doute, l’une des
plus grandes révolutions de l’histoire de la médecine.
Elle permet d’explorer in vivo le monde du vivant,
l’Homme en particulier, tout en préservant l’intégrité
du sujet étudié. Outil de diagnostic, elle est également
largement utilisée dans la recherche biomédicale où elle
contribue à la fois à la compréhension fondamentale du
fonctionnement de l’organisme et aux développements
pharmaceutiques.
Le Service hospitalier Frédéric Joliot (SHFJ), établi dans
les locaux de l’hôpital d’Orsay depuis la fin des années
1950, est spécialisé dans la médecine et l’imagerie
nucléaires. Son cœur de métier est l’innovation en
matière de développement de nouveaux radiotraceurs
et de nouvelles méthodologies, en particulier autour de
la tomographie par émission de positons (TEP). « À l’origine, la TEP était destinée à l’imagerie du cerveau, l’organe humain considéré depuis toujours comme le plus
noble et le plus complexe », explique Frédéric Dollé,
responsable du groupe de chimie et de radiochimie et
22
HORS SÉRIE SPÉCIAL 60 ANS
du radiotraceur dans un organisme
vivant et d’étudier l’interaction de
cette molécule radioactive avec une
cible pharmacologique déterminée.
La tomographie par émission de positons
utilise des molécules marquées par
un isotope radioactif, souvent à vie brève,
qui se désintègre en émettant un positon.
Ce dernier se détruit en créant deux
photons, d’énergie bien définie, qui sont
détectés par un tomographe autour du
patient. Le traitement des signaux collectés
fournit ainsi une image en trois dimensions
de la répartition du radiotraceur dans
l’organisme avec une précision de l’ordre
du millimètre.
coordonnateur scientifique du SHFJ. « Le déploiement
des neurosciences sur le plateau de Saclay est donc
une opportunité stratégique pour nous ».
Aujourd’hui, chercheurs et médecins exploitent principalement le [18F]-FDG 3, molécule marquée au fluor
18 4, comme traceur du métabolisme du glucose.
En cancérologie, celui-ci sert à détecter et à localiser
précisément des tumeurs secondaires mais également à évaluer et suivre l’efficacité de traitements
thérapeutiques. « Mais nous nous appliquons aussi à
développer de nouveaux radiotraceurs, marqués au
fluor 18 ou au carbone 11, pour la recherche sur les
maladies neurodégénératives (Parkinson, mais surtout
Alzheimer 5). » Peu de gens savent que, lorsque les
symptômes principaux de la maladie de Parkinson
apparaissent chez un patient, un très grand nombre
de neurones dits dopaminergiques sont déjà détruits.
« À ce jour, il n’existe que peu de traitements pour ces
maladies », déplore Frédéric Dollé, « mais lorsqu’un
médicament sera disponible ou en voie de l’être, l’imagerie pourrait fournir des informations précieuses pour
3/ Fluorodésoxyglucose. 4/ Cet élément est produit par transmutation nucléaire, dans un cyclotron qui fournit des protons. Le SHFJ réunit trois compétences importantes : la production des isotopes dans le cyclotron, la synthèse chimique et la radiochimie, qui permettent d’obtenir et de caractériser la molécule marquée prête à être injectée. 5/ Les premiers marqueurs de la maladie d’Alzheimer sont arrivés pour
l’homme : le C11PIB et le 18F-AV-45.
le développement pharmaceutique puis permettre une
prise en charge plus précoce des patients, notamment
avant l’apparition des signes cliniques ».
Sur la piste des nanoparticules
À la fin des années 1950, un autre service s’installe sur
le site de Saclay, le Service des molécules marquées. Il
a pour mission de fournir des molécules d’intérêt biologique marquées par un atome radioactif aux laboratoires
de recherche scientifique, médicaux ou industriels. Dans
les années 1990, après de nombreuses années consacrées à la production, ses activités se sont recentrées
sur la recherche.
« Le marquage est une activité d’autant plus précieuse
qu’elle est unique en France et très peu répandue dans
le monde, tout au moins dans la recherche publique »,
précise Frédéric Taran, directeur-adjoint du Service
de chimie bioorganique et de marquage (SCBM). Les
radiochimistes du SCBM synthétisent des molécules
marquées, essentiellement au tritium ou au carbone
14 6, qui sont utilisées comme outils d’investigation par
des partenaires biologistes. Le service a ainsi développé
des collaborations avec des équipes prestigieuses et a
contribué à des avancées scientifiques importantes,
telles que la découverte d’un nouveau récepteur sérotoninergique. Leur objectif est de développer de nouvelles
6/ Tritium et carbone 14 ont des demi-vies respectives de 12 ans et de plus
de 5000 ans. Ils se désintègrent en émettant un électron. 7/ Assemblage d’atomes de carbone constitué de plusieurs feuillets de
graphène enroulés les uns autour des autres.
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
méthodes de marquage tout en continuant à synthétiser
des molécules, aussi bien pour la recherche académique que pour l’industrie pharmaceutique. « Malgré
l’apparition d’autres types de marquage, tels que le
marquage par fluorescence, le marquage radioactif
se révèle souvent indispensable ».
Aujourd’hui, les équipes du CEA Saclay utilisent cette
technique du marquage radioactif en toxicologie, pour
pister le trajet de nanoparticules dans un organisme.
La taille de ces particules les rend difficilement détectables, sauf si on leur confère une propriété particulière :
la radioactivité. L’équipe de Frédéric Taran s’est plus
particulièrement intéressée aux nanotubes de carbone
multifeuillets 7. « Nous avons développé un procédé
chimique qui permet de substituer du carbone 14 à
des atomes de carbone 12 stable, directement sur la
paroi des nanotubes ». Les molécules obtenues sont
identiques du point de vue chimique. Injectées par
voie intraveineuse à une population de rongeurs, elles
peuvent être traquées dans leur organisme, quelques
heures, voire plusieurs mois après l’injection.
Les premiers résultats ont déjà permis d’établir que,
24 heures après l’exposition, les nanotubes s’accumulaient dans le foie et les poumons des rongeurs sous
forme d’agrégats. Ces recherches devraient se poursuivre, avec un financement de l’Agence nationale de
sécurité sanitaire (Anses) et du programme transversal
Toxicologie du CEA. Le résultat de l’ensemble des
études pourrait aider à la mise en place d’une législation
sur la commercialisation des nanoparticules.
La technique du
marquage radioactif
au carbone 14 est
notamment employée
dans les études de
toxicologie.
Aline Curtoni
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
23
Laboratoire d’expérimentation architecturale et urbanistique
Le centre de Saclay
Laboratoire d’expérimentation
architecturale et urbanistique
Le centre CEA de Saclay est une pièce importante de la mosaïque que dessine
le campus Paris-Saclay. La petite cité scientifique édifiée après-guerre est
en pleine mutation. Pour grandir, elle peut s’appuyer sur les bases solides
et innovantes posées voilà 60 ans.
L
e 18 octobre 1945, le général de Gaulle crée,
par ordonnance, le Commissariat à l’énergie
atomique. Frédéric Joliot-Curie et Raoul Dautry
sont nommés respectivement Haut-Commissaire
et Administrateur général du CEA. Dès la première
réunion, au printemps 1946, le Comité à l’énergie
atomique aborde le sujet de la construction d’un grand
centre de recherche. Ce sera Saclay.
Les origines
Proche de la capitale, joignable par « la ligne de
Sceaux » (aujourd’hui le RER B), faiblement peuplé, le
plateau de Saclay répond aux caractéristiques souhaitées par l’équipe de Frédéric Joliot-Curie pour installer
un « Centre d’études nucléaires ». À partir de 1948, le
projet prend corps, avec l’achat de 175 hectares sur le
plateau. Les premières équipes prendront possession
des lieux en 1952, il y a juste 60 ans.
La conception du centre est confiée à l’architecte
Auguste Perret (1874-1954), l’orfèvre du béton, qui
travaille à l’époque à la reconstruction de la ville
du Havre 1. Perret doit répondre à la commande des
scientifiques en imaginant un site capable d’évoluer au
rythme des innovations techniques et des besoins en
instruments. Les découvertes du début de la première
moitié du xxe siècle ont profondément transformé la
science, qui change d’échelle. Les instruments sont de
plus en plus grands et puissants. L’architecte doit se
projeter dans le futur, inventer un site capable d’évoluer, de s’agrandir, d’héberger plus de personnels, sans
déborder de ses clôtures
Perret imagine un bâti capable d’accompagner le progrès scientifique sans perdre ses qualités architecturales
1/ Classée en 2005 par l’Unesco au Patrimoine mondial de l’Humanité.
24
HORS SÉRIE SPÉCIAL 60 ANS
«
La composition est l’art
de faire tenir les services
les plus compliqués dans
le volume le plus simple. »
Auguste Perret
et esthétiques. La charpente et le toit seront pérennes,
et bien lisibles ; sous cet « abri souverain » – un concept
qui lui est cher –, les volumes et les espaces seront
modulables, les façades modifiables autant que de
besoin.
Saclay, ville rose
L’architecte, en collaboration avec les scientifiques du
CEA, élabore un projet à la fois architectural et urbanistique. « Le Palais de l’atome », comme il l’appelle, sera
une petite cité. La composition de l’ensemble fait par
ailleurs référence à l’urbanisme versaillais : bâtiments de
deux ou trois étages, environnement paysager, pièces
d’eau. Les bâtiments sont percés de portes monumentales, ornés de corniches, de frontons, de chapiteaux et
de pilastres, exécutés dans un style sobre.
Laboratoire d’expérimentation architecturale et urbanistique
À Saclay comme au Palais d’Iéna, au Théâtre des
Champs Élysées, à l’Église du Raincy, au Havre, Perret
emploie son matériau de prédilection : le béton armé.
Robuste, économique, celui-ci permet de créer une
architecture à la fois simple et élégante. La ligne austère
des bâtiments est animée par le travail du béton. Les
structures primaires (poteaux et poutres) sont laissées
« brut de décoffrage », pour faire apparaître les veines
du bois. Le revêtement des façades, bouchardé 2,
coloré dans la masse, principalement en rose, prend
l’aspect de la pierre. Perret se préoccupe aussi de
l’éclairage : hauts plafonds, sheds 3, puits de lumières,
lanternons, grandes baies vitrées laissent pénétrer la
lumière naturelle.
Pour le plan, le choix se porte sur la trame, ou plan
en damier, un concept fréquemment utilisé depuis
l’Antiquité 4. Un tracé orthogonal s’établit autour d’axes
principaux et de routes secondaires, déterminant des
îlots encore appelés pâtés de maisons ou quartiers.
Pour relier les îlots, un « système de parcs » est mis en
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
Bâtiment de la première
pile construite à
Saclay, EL2, conçu selon
les plans de l’architecte
Auguste Perret.
place, inspiré des conceptions du paysagiste américain
Frederick Olmsted, créateur du premier campus de
l’Université de Berkeley. Plus de 5 000 arbres, dont
des espèces rares, seront plantés sur le « campus »
de Saclay. Au début des années 1990, un arboretum
viendra compléter cet aménagement paysager.
Ce plan, par sa souplesse, permet de penser le futur
à partir du présent. Il est facilement aménageable en
densifiant des parties (ilots) sans avoir à modifier le
tout. Il a permis au centre d’évoluer au fil du temps en
fonction de ses activités et de ses besoins.
2/ Béton dont la surface a subi, après durcissement, un traitement
mécanique par martelage à l’aide d’un outil à pointes, la boucharde.
Ce traitement fait affleurer le granulat et donne au béton l’aspect de
la pierre taillée. 3/ Le shed est la toiture en dents de scie avec un versant vitré sur sa
longueur, couvrant en général un atelier industriel. 4/ La paternité du plan en damier, ou trame, est attribuée à l’architecte
grec Hippodamos de Milet (V e siècle avant JC).
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
25
26
HORS SÉRIE SPÉCIAL 60 ANS
Laboratoire d’expérimentation architecturale et urbanistique
Le château d’eau, emblématique de
l’architecture Perret et du CEA de Saclay,
avec sa structure poteaux-poutres
apparente, ses corniches et ses parements
en béton rosé.
Dès l’origine, le projet doit tenir compte des besoins
techniques des expérimentateurs : vastes halls pour
les grands instruments, laboratoires, ateliers, bureaux,
galeries techniques, ponts roulants, alimentation en
fluides (eau, gaz, électricité…). Mais la petite cité de
l’atome sera aussi une ville avec son château d’eau,
sa chaufferie, sa station d’épuration, ses magasins
centraux, ses restaurants, ses parkings…
Auguste Perret meurt en 1954. Il a pu dessiner une
trentaine d’édifices, dont une vingtaine sera construite :
le château d’eau, le bâtiment de la pile EL2, le
bâtiment du cyclotron, le bâtiment de l’accélérateur
Van de Graaff, les grands ateliers de mécanique, le
bâtiment de la Direction, le bâtiment « en H », qui abrite
la bibliothèque 5, un restaurant…
Le site évolue
De nombreux bâtiments ont été construits à Saclay
depuis 60 ans. Les caractéristiques principales imprimées par le « style Perret » ont été conservées jusqu’à
une date récente : utilisation du béton et couleur rose,
faible hauteur des constructions. Des annexes ont
été implantées, pour des raisons techniques, hors du
centre. C’est le cas du Service hospitalier Frédéric-Joliot
(1958), par exemple, situé dans l’enceinte de l’Hôpital
d’Orsay, ou encore du site de l’Orme des Merisiers
(1968), où les physiciens se sont regroupés autour d’un
grand instrument aujourd’hui démantelé : l’Accélérateur
linéaire de Saclay (ALS).
Depuis les années 1990, de nouveaux bâtiments ont
été édifiés en rupture avec le style dominant : INSTN 6
(1990, architecte Michel Proux), Siège du CEA (2005)
et NeuroSpin (2007, architecte Claude Vasconi). Plus
récemment le bâtiment « Digiteo » a pris place à la
bordure du site. Le bâtiment « Doseo » est en cours de
construction. D’autres projets sont à l’étude. En 2012,
5/ La bibliothèque scientifique de Saclay offre des collections dans
les différentes disciplines de recherche du CEA, notamment dans
le domaine des Sciences et techniques nucléaires, pour lesquelles
la Bibliothèque est Pôle Label associé de la Bibliothèque Nationale
de France depuis 1996. Dans tous ces domaines la Bibliothèque
acquiert et conserve un patrimoine de niveau doctoral et post-doctoral.
Elle conserve plus de 90 000 livres papier et 12 000 livres électroniques,
900 000 rapports et thèses et plus de 7 000 revues. 6/ Institut national des sciences et techniques nucléaires.
CENTRE CEA DE SACLAY LE JOURNAL
Le Centre de Saclay en chiffres
220 ha
380 bâtiments
36 km de routes
4,6 km de clôture
1 1 km de galeries
techniques enterrées
5 400 salariés CEA
8 000 personnes
présentes par jour
des équipes du CEA/Saclay se sont installées dans de
nouveaux bâtiments rattachés au centre et construits
sur le plateau « hors les murs » : Nano-INNOV.
Saclay demain
Sur le campus du site principal, entre pelouses et
espaces plantés, les bâtiments Perret sont toujours
là ; la plupart d’entre eux ont eu plusieurs vies. La
modularité a parfaitement rempli son rôle. Les espaces
intérieurs ont changé d’affectation. À l’extérieur, « l’abri
souverain » a perduré. Le bâtiment du cyclotron héberge
aujourd'hui les syndicats nationaux. Dans l'enceinte
de l’accélérateur Saturne, démantelé, a pris place la
plateforme Synergium. Le tunnel souterrain de l’ancien Accélérateur linéaire de Saclay (ALS), à l’Orme
des merisiers, accueillera bientôt le laser Apollon, le
plus puissant du monde. Dans les grands ateliers de
mécanique est installé Artémis, Accélérateur pour la
recherche en sciences de la Terre, environnement et
muséologie, etc.
Aujourd’hui, le centre, composante historique du campus Paris-Saclay, a entrepris de se doter d’un schéma
directeur. L’objectif est de programmer les travaux et
aménagements qui faciliteront une intégration harmonieuse du site à son nouvel environnement, lui-même
en construction.
Curieusement, les principes qui inspirent les architectes,
urbanistes et paysagistes qui ont en charge les projets
de développement du plateau de Saclay sont ceux-là
mêmes qui ont présidé à la création du centre CEA il
y a 60 ans, lui permettant d’évoluer au fil du temps,
sans perdre son unité, tout en conservant la qualité de
vie des personnels.
La « cité atomique » de Joliot, Dautry et Perret est
un haut lieu de la science. Elle est aussi, depuis sa
création, un remarquable laboratoire d’expérimentation
architecturale et urbanistique.
Annemarie Gendre-Peter
SPÉCIAL 60 ANS HORS SÉRIE
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TOUTE l’actualité
du centre cea
de saclay
www-centre-saclay.cea.fr
Centre CEA de Saclay Le Journal / 3e trimestre 2012 / Hors Série 60 ans du centre / Éditeur CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives)
Centre de Saclay 91191 Gif-sur-Yvette Cedex / Directeur de la publication Jacques Vayron / Rédactrice en chef Marie Vandermersch
Ont contribué à ce numéro Aline Curtoni, Annemarie Gendre-Peter, Charlotte Samson, Gaëlle Degrez / Illustrations Delius (delius-dessinateur.blogspot.com).
Conception graphique Efil communication (www.efil.fr). N° ISSN 1276-2776 Centre CEA de Saclay / Droits de reproduction, textes et illustrations réservés pour tous pays.
Impression Vincent (Tours), imprimeur labellisé Imprim’vert (charte pour la réduction de l’impact environnemental, la traçabilité et le traitement des déchets).
Papier certifié PEFC / 10-31-1087 (garantie d’une gestion durable des ressources forestières).