SR_INAC quelques souvenirs
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SR_INAC quelques souvenirs
Dans la spirale des Nanosciences Stephan Roche octobre 2010 Le jeune étudiant passionné sans peur des frontières J’ai toujours eu une passion débordante pour la physique et la quête de la connaissance, par delà les difficultés. Après mon passage par l’Université Joseph-Fourier, le magistère de physique et l’Ecole Normale de Lyon, je me suis décidé à poursuivre vers une thèse théorique au CNRS Grenoble sur les quasicristaux, matériaux fascinants aussi bien pour leurs propriétés de symétrie inattendues (symétrie d’ordre 5 !) que pour leurs propriétés électroniques déconcertantes. La thèse en poche, je m’envole vers le Japon, ou pensai-je trouver une dynamique recherche fondamentale/recherche technologique plus entrelacée, notamment dans les thèmes de la physique quantique et la nanoélectronique. L’expérience est formatrice à bien des égards, malgré les difficultés initiales de plonger dans un système de communication (pas seulement linguistique) aux antipodes du nôtre. Malgré la dureté du quotidien, la valeur du travail, la recherche d’une amélioration continue (concept du KAIZEN) et la fraternité au sein d’un groupe de recherche me surprennent et m’inspirent. Après quelques hésitations pour une reconversion vers le monde industriel (voir même bancaire !), j’ai, par le coup du hasard, la chance de rencontrer un chercheur Japonais, qui à l’occasion d’un séminaire que je donne à l’ISSP, m’invite à venir discuter dans son bureau aux abords de Tokyo. Son sujet (les nanotubes de carbone) m’est complètement inconnu, mais en sortant d’une après-midi de discussion passionnante autour de ces objets nanométriques (découverts quelques années plus tôt par un physicien de NEC, Sumio Iijima), je ressors de son bureau entrainé dans la spirale des nanosciences. Les nanotubes de carbone sont effectivement des objets uniques, aux propriétés spectaculaires métalliques ou semi conducteurs suivant la symétrie d’enroulement d’un ruban de graphène (réseau hexagonal d’atomes de carbone) sur lui-même. Riichiro Saito est l’un des auteurs avec les Professeurs Dresselhaus du MIT de la prédiction théorique de leurs propriétés. Sous les encouragements de Riichiro, je me plonge dans l’exploration de leurs propriétés de transport quantique. Après trois ans de travail « acharné » sur Tokyo, un peu comme l’Ulysse d’Homère, je rentre en Europe rejoindre mon épouse qui m’a attendue avec patience non sans difficultés. Après 1 année passée en Espagne à approfondir les propriétés de transport des nanotubes sous champs magnétiques je rejoins le CEA comme Maître de Conférences de l’Université Joseph-Fourier en Novembre 2000. 10 ans au CEA Je me concentre sur mes cours à la fac, et m’intéresse à d’autres sujets de recherche comme le transfert de charge dans l’ADN et les systèmes organiques. J’entretiens des discussions magnifiques avec Jean Cadet et les membres de son groupe expert dans les lésions de l’ADN au SCIB, et avec mes amis Patrice Rannou et Benjamin Grévin du SPRAM sur la physique des polymères et l’électronique supramoléculaire. Mais la pression des enseignements (et de mes collègues enseignants) s’accentue peu à peu jusqu’à devenir incompatible avec la poursuite d’une recherche compétitive. Je décide alors de remettre les voiles avec ma famille, et cette fois-ci pour le « farwest », ou je crois pouvoir rebondir sur de nouveaux sujets. Avant même de pouvoir finaliser mes projets, je suis débusqué par des chercheurs du CEA voulant impulser les nanosciences au CEA Grenoble, notamment à travers la convergence de la chimie et la nanoélectronique. C’est le projet ChimTronique, coordonné par Robert Baptist et Jean-Philippe Bourgoin, qui marque une nouvelle étape dans mon parcours, m’offrant par la-même de travailler comme chercheur CEA et de coordonner/d’animer la plateforme « simulation » au sein de ce programme transverse qui va associer le DRFMC avec ses partenaires LETI, LITEN et le DRECAM. L’expérience est fabuleuse, les discussions avec les collègues du LETI riches d’enseignement sur des problèmes technologiques en tout genre. L’intégration des nanotubes de carbone dans les technologies d’écran plats, d’interconnections pour la microélectronique ou les transistors à effet de champ (pour en faire des capteurs photosensibles, des mémoires moléculaires, etc..) constitueront une source d’inspiration singulière pour mes recherches. D’autres problèmes me sont posés par le LETI et le LITEN, nous lançons ensemble des opérations de recherche assurées par des postdocs (une dizaine environ), dont la quasi-totalité trouve un emploi stable rapidement après une expérience généralement fructueuse. Je découvre la dynamique contraignante mais stimulante posée par la recherche technologique dans l’environnement CEA. Je rencontre également des personnes visionnaires sur les nécessités d’une évolution des programmes CEA et des rapprochements vertueux entre recherche technologique et recherche fondamentale. En parallèle, une longue collaboration est déployée avec mon collègue expérimentateur Bertrand Raquet du LNCMI de Toulouse. Nous explorons ensemble l’effet des champs magnétiques intenses sur les propriétés des nanotubes et des rubans de graphène, nous publions de nombreux travaux clarifiant des controverses passées. J’apprends également à vivre avec des contradictions, impossibles à éviter dans une structure aussi complexe que le CEA. Les temps changent, la recherche technologique doit rapidement se renouveler avec la reconfiguration des stratégies industrielles locales et internationales. Je vis également les débuts de l’ANR, participant dès le démarrage dans divers comités, et comprend que le fonctionnement de la recherche va changer profondément. Avec mes plus fidèles collaborateurs (François Triozon et Yann-Michel Niquet) nous donnons une impulsion à la simulation quantique pour les nanosciences, et de nombreux projets nationaux pilotés par le CEA voient le jour ; nous enchainons également au niveau Européen sur les domaines des nanofils semiconducteurs puis du graphène. En effet, nous nous engageons rapidement sur l’étude des propriétés de transport du graphène (matériau isolé en 2004 par deux chercheurs de Manchester, récipiendaires en 2010 du prix Nobel de Physique), ce qui nous vaut de participer au premier projet STREP européen dans le programme ICT/FET sur les dispositifs à base graphène. Le LETI impulse un programme CARNOT sur le sujet, et nous obtenons fin 2009 la coordination du programme NANOSIMGRAPHENE incluant des partenaires du LPS, Institut Néel, IEF, IMN et une petite boîte NANOTIMES de simulation STM/AFM. Le DRFMC devient l’Institut des Nanosciences et de la Cryogénie, un programme « NANOSIMULATION » est officiellement lancé au CEA début 2010. J’ai l’impression d’entrevoir un bout de la spirale… Malgré ces succès, je pressens toutefois une nouvelle fois des changements structurels qui vont rapidement mettre un terme à mon type de fonctionnement (que je définirai comme assez aventurier, explorateur et parfois asynchrone avec mon environnement). Mais, encore un coup du destin, des chercheurs allemands me proposent de rejoindre un centre de recherche en nanosciences à l’université technologique de Dresde, la fondation Alexander Von Humboldt m’accorde le privilège de recevoir un prix scientifique (Bessel). Nouveau départ L’INAC m’accorde une période sabbatique que je mets à profit pour travailler 6 mois à Dresde et une année à Barcelone dans le Centre Catalan des Nanotechnologies, lancé quelques années auparavant. En Allemagne, je découvre une organisation de la recherche radicalement différent de ce que j’ai connu en France, une structure très hiérarchisée mais efficace, très flexible et bigrement visible attirant beaucoup d’étudiants du monde entier. Je bénéficie de discussions avec nombre de jeunes chercheurs allemands et étrangers passionnés, de nombreuses collaborations naissent, des publications scientifiques s’en suivent, deux années consécutives de vacances écourtées. En Espagne, je rejoins un groupe expert dans le développement des calculs ab initio et reconnu internationalement (Pablo Ordejon-SIESTA). J’apprends au cœur de ce groupe les défis en cours, et je collabore aussi avec un groupe expérimental de pointe mondiale sur les nanotubes de carbone et le graphène. Adrian Bachtold a en effet rejoint le centre Catalan quelques années auparavant, ses activités scientifiques sont passionnantes et au cœur des défis parmi les plus redoutables des nanosciences (contrôle des vibrations d’objets nanométriques, refroidissement quantique, effets électromécaniques,..), je me plonge au cœur d’une collaboration éprouvante mais hautement stimulante. Le bilan est très positif, les catalans me proposent de rester encore un peu, le jeu en vaut la chandelle. Le 1er octobre 2010, je termine mon contrat avec le CEA qui m’accorde cependant un détachement pour une période de trois ans. Je laisse avec un certain regret beaucoup de bons souvenirs, d’amitiés latines, d’amitiés tout court, étant reconnaissant envers les personnes qui dans les tous derniers temps m’ont redonné espoir dans l’avenir de l’INAC. Malgré les incertitudes sur la suite de mon parcours, les liens tissés avec mes collègues de l’INAC (particulièrement ceux de mon dernier labo ! le L_sim) vont perdurer, et nous permettrons de construire ensemble dans une dimension plus européenne, l’aire du temps…