le vieillissement réussi

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le vieillissement réussi
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1
LE VIEILLISSEMENT RÉUSSI
Léandre Bouffard, Ph.D.
Université de Sherbrooke, Québec
[email protected]
et
Colette Aguerre
Université François Rabelais, Tours, France
[email protected]
Il ne suffit pas de donner des années à la vie,
il faut donner de la vie aux années 1
Que répondriez-vous si l’on vous demandait d’énumérer les grandes découvertes du 20e
siècle? Comme les spécialistes interrogés par de grands magazines au tournant du millénaire,
vous mentionneriez sans doute : l’automobile, la télévision, la conquête de la lune, l’Internet.
Comme eux, vous ne signaleriez probablement pas la « création de la vieillesse ». Pourtant 30
années se sont ajoutées à l’espérance de vie au cours du dernier siècle, ce qui est unique dans
l’histoire de l’humanité. Lefrançois (2004) considère l’avènement du vieillissement humain
comme une quatrième révolution (les autres étant la montée du néolibéralisme, l’explosion
des techniques et les progrès de la génétique). Les chercheurs – et la population en général –
commencent tout juste à reconnaître l’importance du phénomène. Pourtant, l’impact du
prolongement de la vie – avec son corollaire, le vieillissement de la population – commence à
se faire sentir sur la société dite postmoderne; les alarmistes qui prévoient des coûts énormes
pour les soins de santé consacrés au troisième et au quatrième âges, anticipent une
« armageddon gériatrique », selon l’expression de Williamson (2002). Nombreux sont les
pessimistes qui perpétuent la sombre vision de la vieillesse présentée par Simone de Beauvoir
il y a presque 40 ans. Pourtant, les recherches récentes nous incitent à considérer les
possibilités de développement psychologique malgré le déclin physiologique au cours de la
vieillesse.
Cette nouvelle réalité de l’augmentation du nombre et de la proportion de personnes âgées
a fait surgir une double perception : la vieillesse fragile, vulnérable et malade (modèle du
déclin), la vieillesse créative et active (paradigme du développement). Au-delà des regards
apocalyptiques ou dithyrambiques, il convient de nuancer le discours et d’accepter ce que
Lefrançois (2004) appelle le « paradoxe de la vieillesse » : une expérience plurivalente et
dynamique, comportant des pertes et des gains, des difficultés, du stress et de la résilience, des
1
Devise de l’Association américaine de gérontologie
2
transitions et des adaptations. Dans cette perspective, les recherches, les réflexions et les
pratiques doivent porter non uniquement sur les facteurs de dépendance et de maladie ou sur
les zones de fragilité et d’exclusion (ce sur quoi ont travaillé les psychologues, les médecins
et les gouvernants depuis fort longtemps), mais trouver des aires de compétence et de progrès,
explorer des avenues d’interventions novatrices à l’endroit des aînés, épauler leur quête de
reconnaissance sociale, renforcer leur potentiel, soutenir leurs « forces », les aider à réaliser
des projets signifiants, bref favoriser un bon vieillissement (comme nous invitent à le faire les
pionniers de la psychologie positive 2). Certes, la première réussite du vieillissement, c’est de
… vivre longtemps. Or, le bien-être psychologique et le bonheur favorisent la longévité,
comme l’ont démontré les chercheurs américains rattachés à la Nuns study : dans un groupe
de religieuses catholiques, celles qui manifestent le plus de bonheur à vingt ans vivent plus
longtemps que leurs collègues, alors qu’elles passent l’essentiel de leur existence dans les
mêmes conditions de vie (voir le chapitre 3).
Le concept ambigu, complexe et controversé de vieillissement réussi a été utilisé au cours
des années 1940 par des chercheurs de l’Université de Chicago pour décrire l’adaptation des
personnes âgées. Au cours des décennies suivantes, ce concept côtoie les notions parentes de
satisfaction de vivre et de bien-être subjectif au cours de la vieillesse. L’idée de vieillissement
« réussi » a parfois éveillé la suspicion parce que teinté de la mentalité américaine centrée sur
le succès. Malgré tout, il a été popularisé par de grands ouvrages comme celui de Baltes et
Baltes (1990) et le best-seller de Rowe et Kahn (1998). Il est donc devenu un « concept de
ralliement », synonyme de bon vieillissement, de vieillissement optimal ou de bien vieillir
(selon le titre de l’ouvrage magistral de Vaillant, 2002). Avec ce concept, il ne s’agit pas de
promouvoir le « jeunisme », ni d’enrégimenter les personnes âgées dans une troupe d’élite,
mais plutôt de montrer « ce qui est possible » (selon la belle expression de Baltes et Baltes,
1990). En effet, n’est-il pas inspirant de constater les belles réalisations de personnes très
âgées : à plus de 80 ans, Sophocle écrit sa dernière pièce, Picasso peint inlassablement et
Cousteau parcourt les mers sur la Calypso. Pablo Casal pratique son violoncelle tous les jours
à 91 ans. À un étudiant qui lui demande pourquoi, il répond : « Parce que je fais des
progrès »! Le nouveau mouvement de la psychologie positive se propose justement de mettre
l’accent sur les « forces », sur ce qui est possible pour rétablir une approche plus équilibrée de
la compréhension de l’humain et de la vieillesse.
Dans le présent chapitre, nous présentons, en première partie, quelques conceptions du
vieillissement réussi. Dans la seconde partie, nous aborderons l’approche d’Erikson que
Vaillant (2002) a développée en expliquant comment la réalisation de « tâches
développementales » favorise le vieillissement réussi. Enfin, la troisième partie portera sur
une intervention – la gestion des buts personnels – qui s’est avérée efficace pour le bien-être
et le bon vieillissement.
Quelques conceptions du vieillissement réussi
Même si la notion de vieillissement réussi apparaît en filigrane dans bon nombre de
théories, nous n’aborderons pas ici les plus anciennes et nous sélectionnerons, parmi les plus
récentes, celles qui sont le plus souvent citées et qui servent de base à des recherches
empiriques importantes. Pour un traitement plus élaboré, on se référera, par exemple, à
Aguerre et Bouffard (2003), Cappelier et Aguerre (2006), Fontaine (2007) de même qu’à
Lefrançois (2004).
2
Signalons Seligman et Csikszentmihalyi (2000) ainsi que Peterson et Seligman (2004).
3
Depuis 20 ans, Ryff (Ryff et Singer, 2008) a réalisé un travail considérable sur le bon
fonctionnement tout au long de la vie et au cours de la vieillesse. Sur la base d’une recension
exhaustive des recherches issues de l’approche humaniste, cette chercheuse a identifié six
critères garants de bien-être psychologique et de vieillissement réussi : l’acceptation de soi, la
croissance personnelle, l’autonomie, les relations positives avec autrui, la maîtrise sur son
environnement et le sens à la vie. Ces composantes du bien-être psychologique peuvent être
mesurées grâce à un instruments valide et largement utilisé (il a été traduit en français par
Bouffard et Lapierre, 1997). L’examen de ces caractéristiques permet une analyse plus fine du
fonctionnement psychologique et du bien-être selon diverses variables (sexe, âge, niveau
socio économique) et apporte une information utile sur l’impact de certains événements de vie
(comme un déménagement dans une résidence pour personnes âgées). Les résultats de Ryff
ont fait voir que les composantes du bien-être psychologique ne subissent pas les mêmes
changements au cours de l’avancement en âge. Si l’acceptation de soi et les bonnes relations
avec autrui se maintiennent tout au long de la vie, la perception de maîtrise sur son
environnement et l’autonomie augmentent avec l’âge, tandis que la croissance personnelle et
le sens à la vie représentent des défis pour les personnes âgées. Cette approche fait découvrir
la grande hétérogénéité des parcours de vieillissement tout en offrant des critères subjectifs
utiles pour évaluer le vieillissement réussi.
Rowe et Kahn (1998) distinguent trois scénarios de vieillissement. Le vieillissement
habituel sans grands malheurs ni bonheurs intenses, le vieillissement pathologique caractérisé
par un cumul de deuils et de problèmes majeurs de santé physique et/ou mentale et le
vieillissement optimal ou réussi qui implique une probabilité réduite de développer maladies
et handicaps, le maintien d’un haut niveau de fonctionnement cognitif et physiologique ainsi
que l’inclination à s’engager dans des activités sociales et constructives. Certaines exigences
requises pour bien vieillir sont indépendantes de la volonté des individus, mais d’autres
dépendent de leur responsabilité. C’est le cas notamment de l’engagement dans des activités
et dans l’adoption de comportements favorables à la santé. Ces auteurs soulignent les efforts,
parfois les succès, que les personnes vieillissantes peuvent déployer pour vieillir en bonne
forme physique et mentale.
Baltes et Baltes 3 (1990), figures de proue du vieillissement réussi, soutiennent que les
personnes âgées peuvent utiliser avec succès des stratégies pour s’adapter au changement et
pour pallier les pertes qui interviennent au cours du vieillissement. Ils proposent trois
stratégies. La sélection consiste en une réduction des activités tout en préservant celles jugées
importantes, significatives et moins exigeantes, donc plus faciles à réussir. L’optimisation
réfère aux stratégies visant à maximiser les capacités résiduelles; par exemple, le pianiste aura
réduit son répertoire (sélection) et pratiquera davantage un nombre limité de pièces. Enfin, la
compensation englobe les stratégies concrètes de remplacement et les supports externes
(comme le port de lunettes). Baltes et Baltes considèrent qu’il est possible de prévenir le
déclin rapide de certaines fonctions physiques et de récupérer certaines pertes cognitives (en
mémoire, par exemple) par un entraînement approprié.
La théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (voir LaGuardia et Ryan, 2000) apporte
un éclairage intéressant sur le vieillissement réussi. Cette approche suppose que le bien-être,
le développement personnel et le bon vieillissement surviendront si les besoins
psychologiques fondamentaux (autonomie, compétence et relation avec autrui) sont satisfaits.
3
On trouvera une version française de la théorie de Baltes et Baltes et de l’instrument mis au point pour évaluer
l’utilisation des stratégies présentées dans Freund et Baltes (2003).
4
La théorie postule également l’existence d’une motivation intrinsèque pour la satisfaction de
ces besoins et pour la croissance personnelle tout au long de la vie, mais reconnaît que cette
tendance est fragile, étant facilement influencée par l’environnement social et le contexte
interpersonnel. Voilà pourquoi plusieurs comportements sont extrinsèquement motivés parce
qu’ils sont émis sous l’influence de pressions externes ou de contraintes internes. Grâce au
processus d’intériorisation, l’individu peut faire siennes les valeurs associées à certains
comportements et « posséder » en quelque sorte les tâches auxquelles il travaille (par
exemple, je fais ma chambre même si c’est peu plaisant parce que je me sentirai mieux dans
l’ordre et la propreté). On comprendra que cette autorégulation varie considérablement selon
les individus, les contextes interpersonnels et les domaines d’activités. Ainsi, dans les
résidences de personnes âgées où l’on soutient l’autonomie – où l’environnement social
favorise une régulation autodéterminée – les résidents sont moins dépressifs, plus satisfaits de
leur vie et disent avoir plus de vitalité. Il y a donc lieu d’être très attentif à la façon dont les
soins sont donnés parce que si les membres du personnel n’encouragent pas les
comportements autonomes (cela étant moins compliqué), ils « récompensent » souvent à leur
insu une dépendance croissante.
Abordons maintenant la théorie classique d’Erikson (Erikson, Erikson et Kivnick, 1986)
qui a servi de base à Vaillant (2002) pour l’interprétation des données recueillies au cours des
études longitudinales 4 les plus longues jamais réalisées. Pareilles études permettent d’évaluer
l’influence réelle des facteurs déterminants du vieillissement réussi. Selon Vaillant, le bien
vieillir est associé à la maturité émotionnelle. Cette maturité s’exprime par l’utilisation
spontanée de « défenses matures » (ou stratégies d’adaptation) : sublimation, humour,
altruisme, suppression et par un recours minimal aux « défenses immatures » : projection,
agression passive, dissociation, acting out et fantaisie schizoïde (voir Vaillant, 2000 sur ce
point). Dans la section qui suit, nous traiterons de la maturité psychosociale – important
facteur de vieillissement réussi selon Erikson et Vaillant – qui émerge de la réalisation de
« tâches développementales » propres à chaque période de la vie.
Le vieillissement réussi par la réalisation de « taches développementales »
La vieillesse sera réussie si la personne a acquis la maturité sociale qui résulte de la
maîtrise séquentielle des tâches propres aux différentes étapes de la vie, chacune d’elles
permettant la maîtrise d’habiletés spécifiques: la confiance, l’autonomie, l’initiative et la
compétence pour l’enfance, l’identité pour l’adolescence, l’intimité et la générativité pour
l’âge adulte et l’intégrité à la vieillesse (Erikson et al., 1986). Considérons quelque peu les
tâches de la vie adulte et de la vieillesse.
L’intimité implique la tâche de vivre avec une autre personne de façon interdépendante,
engagée, réciproque et agréable. Le sens du soi s’élargit de façon à inclure cette autre
personne. Sur la base des dossiers des participants aux études longitudinales mentionnées,
4
George Vaillant (2002), professeur l’Université de Harvard, a analysé les données de trois études longitudinales
qui se sont poursuivies sur 60 ans : celle de Harvard, commencée en 1939, auprès des étudiants masculins de
cette université (n = 268), celle menée depuis 1940 par S. Glueck et E. Glueck auprès de jeunes garçons de
milieux défavorisés de la ville de Boston (n = 456) et celle que Terman avait entreprise en Californie en 1920
auprès d’enfants très doués (ici Vaillant a étudié les dossiers d’un sous échantillons de 90 femmes de cette
cohorte). Malgré les biais de sélection reconnus par les chercheurs eux-mêmes, ces études fournissent des
données uniques au monde. On ne saurait trop recommander la lecture de l’ouvrage de Vaillant (2002) qui
s’intitule Aging well. Ce grand chercheur identifie les facteurs fondamentaux du vieillissement réussi et illustre
son propos d’un grand nombre de cas palpitants.
5
Vaillant (2002) explique comment l’épouse 5a souvent contribué au progrès personnel, au
succès en affaires et à l’heureuse vieillesse de son mari.
La générativité implique principalement la préoccupation et le soin des enfants. Elle reflète
la capacité altruiste de guider la prochaine génération, exige le respect de ceux dont on
s’occupe et la mise en veilleuse de son propre soi. Selon Vaillant (2002), la maîtrise de la
générativité « triple les chances » de joie et de bonheur pour les dernières années.
À ces tâches prescrites par Erikson, Vaillant (2002) en ajoute deux autres. D’abord, la
consolidation de la carrière qui implique « l’expansion de son identité sociale dans le monde
du travail ». Cette tâche contribue au développement de la satisfaction, de la compétence et de
l’engagement. De plus, la réalisation de cette tâche permet d’accumuler des accomplissements
qui servent de fondement au sentiment de fierté si important pour un vieillissement réussi.
L’autre tâche ajoutée par Vaillant se rapporte à la transmission du sens. Parente de la
générativité qui s’applique particulièrement aux enfants et aux petits-enfants, la tâche de
transmission du sens est moins sélective et se caractérise par un rayon social plus large:
préservation et transmission des valeurs, de la culture et des traditions. Dans la réalisation de
cette tâche, l’adulte doit se méfier de la rigidité et du traditionalisme détestable chez certaines
personnes âgées. La réalisation de cette même tâche peut se poursuivre au cours de la
vieillesse et contribuer au vieillissement réussi.
L’accomplissement des tâches précédentes favorisera la réussite de l’intégrité, l’ultime
tâche du vieillissement. Spiritualité, sagesse, intégration de son passé, acceptation des
tribulations liées à la vieillesse et finalement acceptation de la fin du voyage sont les
principaux défis du dernier stade. Illustrons ce long cheminement au moyen d’une étude de
cas effectuée par Vaillant (2002, p. 51-59).
Le cas Carson : évolution difficile vers une vieillesse mature
Identité. La quête de son identité fut longue et pénible pour cet étudiant de Harvard; il fut
difficile pour lui de s’affranchir de la tutelle de ses parents. Il eut envie de devenir danseur
professionnel, mais il opta finalement pour la médecine, le choix du père. Après ses études,
Carson s’engagea dans la recherche, ajoutant un peu de pratique de la médecine. Au moment
de ses études universitaires, le psychiatre l’a trouvé plein d’énergie, mais peu mature.
Intimité. Le mariage, à 22 ans, contribua à faire progresser sa maturité, mais les résultats
des tests passés à 29 ans font voir « un individu superficiel … dépendant des circonstances,
incertain de son destin … et cherchant ce qui est socialement acceptable en vue d’éviter toute
émotion ». À cette époque, le mariage allait de mal en pis.
Consolidation de la carrière. À 36 ans, la carrière de Carson va bien. Il devient professeur
titulaire. Vaillant note que « le développement adulte ne s’est pas arrêté avec les études ».
Générativité. Divorcé puis remarié, Carson est devenu un autre homme à 47 ans. Toujours
plutôt dépressif, il se dit néanmoins plus en contact avec ses émotions. Il est heureux en
mariage et inspiré par son père (au lieu d’être écrasé par lui). S’adonnant désormais à la
pratique privée de la médecine, il entretient, selon Vaillant, des « relations génératives » avec
ses patients.
Transmission du sens. À 65 ans, les intérêts de Carson se sont élargis aux traditions et à
l’éthique de la médecine et à la transmission des connaissances aux plus jeunes. Il n’avait pas
de plan pour la retraite, mais il comptait maintenir son engagement pour son Église dont il
5
Avons-nous besoin de rappeler que le contexte social ainsi que le rôle des femmes ont changé depuis 50 ans.
6
préside le Comité d’action sociale. De plus, il voulait éviter « le golf, le bridge et la sénilité ».
À 70 ans, il laisse sa clientèle à un jeune médecin et s’engage intensément en faveur du
Hasting Institute, mondialement connu pour son travail en éthique médicale. Il se promène à
travers le monde pour cette fondation.
Intégrité. À 75 ans, Carson est affaibli par la chimiothérapie (cancer de la prostate).
Interrogé sur la mort, il répond simplement : « Je suis un fataliste, quand ça viendra, ça
viendra ». Pour illustrer la gentillesse et la chaleur de ce vieux médecin qui s’est toujours
grandement soucié de la santé des autres, Vaillant rapporte que Carson avait reçu un grand
nombre de lettres de remerciement de ses patients louant son professionnalisme et ses qualités
humaines.
Opérationnalisation des facteurs de vieillissement réussi
Vaillant (2002) a concrétisé les tâches développementales en un système de mesure simple
qui donne un score de vieillissent réussi (sur 15 points). Âgés de 75 à 80 ans, les gens qui
vieillissent bien ont les caractéristiques suivantes:
1..Ouverture et utilité sociale (0 à 3 points).
2. Acceptation des difficultés de la vieillesse (0 à 2 points).
3. Intégrité eriksonnienne (0 à 2 points).
4. Autres habiletés eriksonniennes : espoir, autonomie, initiative, (0 à 3 points).
5. Humour, joie et jeu (0 à 3 points).
6. Amitié (0 à 2 points).
Ceux qui cumulent de 13 à 15 points répondent à tous les critères du vieillissement réussi et
« les petits-enfants les aiment »! Ceux qui obtiennent de 0 à 3 points répondent aux pires
stéréotypes de la vieillesse et « les gens les fuient »! (Vaillant, 2002, p. 346).
Le vieillissement réussi par la gestion des buts personnels
Si nous donnons vie à nos buts, nous donnons
du sens à notre vie (un participant).
L’abondante littérature sur les buts personnels 6 fait voir des corrélations significatives entre
le fait de poursuivre des buts et le bon vieillissement. Sur cette base, une équipe québécoise a
mis au point une intervention intitulée La gestion des buts personnels (Dubé, Bouffard,
Lapierre et Alain, 2005) qui a pour but d’aider les jeunes retraités à effectuer cette importante
transition 7 de vie et à bien vieillir. Nous parcourrons les étapes de la démarche proposée et
présenterons les principaux résultats.
Les étapes de la réalisation du but et le bien-être subjectif
6
On se référera aux dossiers thématiques de la Revue québécoise de psychologie, 2000 (Vol. 21, no.2) et 2009
(Vol. 30, no 2).
7
Selon Statistiques Canada, entre 1997 et 2000, la proportion de ceux qui ont pris leur retraite avant 60 ans a
atteint 60%.
7
Les recherches démontrent que les buts personnels favorisent le bien-être subjectif aux
différentes périodes de la vie. Cette influence positive se fait sentir à chacune des étapes de la
démarche vers l’atteinte du but (Dubé et coll., 2005). L’élaboration ou le choix du but permet
de concrétiser la motivation, de focaliser l’énergie, de soutenir l’autorégulation du
comportement et d’affermir le fonctionnement optimal de la personnalité. La planification du
but comprend la recherche des moyens, la spécification des étapes, la prévision des obstacles
et des stratégies pour les affronter ainsi que la recherche d’aide, si nécessaire. Autant
d’activités qui diminuent l’anxiété et font progresser vers le but. La poursuite du but est
également porteuse de bien-être subjectif. Elle exige flexibilité et gestion efficace des
ressources (internes et externes) et suppose que les buts poursuivis soient en concordance
avec les besoins psychologiques fondamentaux. Dans ces conditions, le progrès vers le but
produit une grande satisfaction et l’enchantement de l’expérience flow dont parle
Csikszentmihalyi (2004). Que la réalisation du but ou l’atteinte de l’objectif provoque des
émotions positives est un fait reconnu. Le sentiment d’efficacité personnelle et l’estime de soi
sont renforcés par la réussite d’une entreprise. Il apparaît donc que chacune des étapes de la
démarche vers le but contribue au bien-être subjectif et à la qualité de vie à la retraite.
Déroulement de l’intervention
L’intervention Gestion des buts personnels 8 se déroule en suivant les étapes mentionnées.
Elle compte environ 10 sessions de deux heures par semaine pour des petits groupes de 6 à 8
personnes. Les rencontres qui portent sur l’élaboration, la planification, la poursuite et la
réalisation du but sont précédées d’au moins deux séances préliminaires pour présenter le
programme, créer un esprit de groupe et échanger sur les conditions de la retraite et le vécu
des participants. Les rencontres sont animées par une étudiante de deuxième cycle en
psychologie et un retraité. Au préalable, les deux animateurs ont participé à l’intervention et
ont reçu une formation appropriée.
L’intervention est précédée d’un prétest et suivie d’un post-test et d’une relance cinq mois
plus tard. Les questionnaires portent sur plusieurs indices de bien-être subjectif : vécu à la
retraite, bonheur, sens à la vie, sérénité et détresse psychologique (indice négatif). À cela
s’ajoute la mesure du processus de réalisation du but qui est considérée comme une variable
intermédiaire entre l’intervention et le bien-être subjectif.
L’intervention a été offerte à 117 participants (63% de femmes) âgés en moyenne de 58
ans. Ce groupe expérimental était comparé à un groupe contrôle composé de 177 personnes.
Les deux groupes présentaient des caractéristiques semblables, sauf pour le temps passé à la
retraite (30 mois pour le groupe expérimental et 40 mois pour le groupe contrôle).
Résultats
Les résultats démontrent que l’amélioration a été significativement plus grande dans le
groupe expérimental que dans le groupe contrôle entre le prétest et le post-test pour toutes les
variables. Il en est de même entre le prétest et la relance. Entre le post-test et la relance, l’effet
se maintient. L’intervention a donc produit les effets escomptés. Une analyse acheminatoire a
également confirmé l’idée de médiation de la variable processus de la réalisation du but. Cela
signifie que l’intervention produit un effet indirect sur le bien-être en passant par le
changement que les participants connaissent dans le processus d’élaboration, de planification
8
Un Guide d’animation est disponible au Laboratoire de gérontologie de l’Université du Québec à TroisRivières, C.P 500, Trois-Rivières, Québec, Canada, G9A 5H7
8
et de poursuite du but. Des résultats semblables ont été obtenus avec des personnes plus
âgées. Dans le but d’illustrer concrètement la démarche effectuée par les participants et de
mieux comprendre la signification psychologique des résultats, il nous semble pertinent de
présenter une étude de cas.
Madame M 9 : une femme désemparée retrouve la personne dynamique qu’elle était
Madame M, veuve de 63 ans (quatre enfants et huit petits-enfants), se décrit comme
enjouée, de bonne humeur et comme une personne « qui va de l’avant ». Elle adorait son
travail, mais les frustrations vécues lors de changements importants effectués dans le monde
hospitalier l’ont amenée à prendre une retraite anticipée il y a cinq ans. C’est une femme
démunie et découragée qui s’est présentée aux ateliers sur la Gestion des buts personnels. Elle
a réalisé rapidement qu’elle devait faire le double deuil de son mari et de son travail, qu’il lui
fallait reprendre sa vie en main. Suivons les étapes de sa démarche.
Après l’inventaire de ses buts personnels et la sélection de ses priorités, Madame M choisit
comme objectif précis et concret pour la démarche de « m’intégrer dans un nouveau groupe
d’amis ». Elle veut que les choses changent « au plus vite! ». Elle ne veut pas attendre
passivement, mais prendre les devants et elle est soutenue par ses proches et les membres du
groupe.
La planification se fait avec attention. Elle concrétise son objectif en précisant qu’elle ira
aux déjeuners des retraités, se trouvera des activités avec les autres (bénévolat) et prendra
l’initiative de téléphoner au lieu d’attendre. La technique du langage intérieur, suggéré par le
Guide du participant, l’aide grandement à se motiver. Le groupe la soutient. De plus, elle
entreprend une psychothérapie.
Lors de la phase de la poursuite du but, Madame M progresse dans la réalisation de son
objectif de rencontrer des amis de même que dans l’entreprise plus large de retrouver la
femme qu’elle était. Des échanges avec d’autres participants qui connaissent aussi
l’isolement, intensifient le soutien mutuel.
Lors de l’évaluation, Madame M considère qu’elle a atteint son objectif à 75% et en est
pleinement satisfaite. Elle se propose de continuer le travail. Elle nous déclare que « la
démarche m’a permis de décortiquer les deux deuils que je vis ». Elle sent qu’elle retrouve
progressivement la femme d’autrefois et en est fort heureuse.
Il apparaît que Madame M s’est engagée pleinement dans la démarche, qu’elle a obtenu des
bénéfices notables et qu’elle continuera sa psychothérapie. Elle a appris des stratégies
favorisant la réalisation de ses objectifs et elle a amélioré son bien-être subjectif.
Conclusion
Le vieillissement réussi est le résultat de la combinaison de très nombreux facteurs dont
certains ont été présentés dans le présent chapitre. La réalisation des tâches
développementales propres à chaque étape de la vie semble fournir le fondement d’une
heureuse vieillesse. L’abondante littérature sur la question suggère beaucoup d’autres
éléments : l’utilisation de mécanismes d’adaptation matures, l’adaptation au changement, le
développement et l’utilisation de ses « forces », l’engagement dans la communauté, le
maintien de relations interpersonnelles chaleureuses, l’exercice de la créativité, la capacité de
jouir des « petits bonheurs » de la vie et la poursuite de buts personnels signifiants. Si ces
conditions s’accompagnent de la capacité de constituer une « histoire de vie » cohérente, la
9
L’étude de cas a été réalisée par Véronique Demers, animatrice et étudiante à l’Université de Sherbrooke.
9
personne vieillissante devrait réaliser l’intégrité, grandir en sagesse et donner un sens à sa vie,
donc connaître un vieillissement réussi. Encore faudrait-il une santé « normale » et des
conditions extérieures favorables, c’est-à-dire une société dans laquelle la personne âgée se
sentirait acceptée et utile. Ici s’ouvre un domaine qui pourrait donner lieu à un autre chapitre
dans lequel il serait question des conditions sociopolitiques du vieillissement. En ce qui nous
concerne pour le moment, nous pouvons conclure avec Vaillant (2002, p. 212) : « Un bon
vieillissement ne réside pas dans nos gènes ni dans les étoiles, mais en nous-mêmes ».
Références
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