Club Média du 17 septembre 2012

Transcription

Club Média du 17 septembre 2012
Note d’étonnement
Session du lundi 17 septembre 2012
Quelle stratégie de développement
pour Endemol
Digital, production de fictions, etc. ?
Quels enjeux à l’international ?
PROBLÉMATIQUE
Avec quelques 800 heures produites chaque année, Endemol France est le premier producteur
français de programmes pour la télévision et les nouveaux médias. Sur la saison 2010-2011, la
société a chaque semaine produit 14 heures de programmes dont 9h12 pour TF1, premier diffuseur
national. À côté des programmes de flux et des grands évènements qui constituent le socle de sa
notoriété, le groupe diversifie aujourd’hui son activité dans la fiction, les magazines et les
documentaires. L’explication de ces nouveaux formats par Virginie CALMELS, présidente de
Endemol France et directrice générale du groupe Endemol.
L’occasion aussi de revenir sur le secteur de la production audiovisuelle en France, caractérisé par
une forte dispersion puisque plus de 1 000 entreprises s’y côtoient dont moins de 2 % comptent plus
de 50 salariés.
IDÉES CLÉS
Endemol est née en 1994 aux Pays-Bas de la fusion de deux sociétés : Joop van den Ende
Producties et John de Mol Produkties. Depuis sa création, l’entreprise a poursuivi une politique
d'expansion internationale intensive en rachetant des sociétés de production dans plus de vingt pays ;
cotée à la bourse d’Amsterdam, la société a témoigné d’une croissance rectiligne pendant ses dix
premières années d’existence. En 1998, Joop van den Ende quittait le groupe en rachetant la division
live entertainment pour créer une société indépendante uniquement consacrée au spectacle vivant
En 2000, Endemol a été absorbée par le géant des télécommunications espagnol Telefónica qui a
acquis 75 % du capital de l'entreprise au prix de 4,5 milliards d'euros. Très rapidement l’opérateur de
télécommunications a cependant considéré qu’Endemol n’entrait pas dans son core business et a
souhaité revendre l’entreprise. En décembre 2003, John de Mol démissionnait de son poste de
directeur créatif.
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La cession d’Endemol n’a cependant pu s’opérer qu’en 2007, après la consolidation du groupe avec
sa filiale française. La société a été rachetée en LBO par un consortium composé de Mediaset (le
groupe de Silvio Berlusconi) Goldman Sachs et le fonds Cyrte Investments dont John de Mol est
actionnaire. La transaction, qui s’est réalisée pour un montant de 3,4 milliards d’euros, soit 14 fois
l’Ebitda, a été financée à hauteur de 2,7 milliards d’euros par de la dette.
Avec la crise de 2007-2008, survenue tout juste après la syndicalisation de sa dette et le resserrement
du marché, Endemol s’est retrouvée dans une situation « complexe », avec l’obligation de respecter
les clauses contractées lors de son acquisition (covenants) sous peine de remboursement anticipé.
Depuis deux ans, l’entreprise s’est donc engagée dans une restructuration au long cours de sa dette.
Certains des actionnaires vont disparaître du capital – en l’occurrence le consortium Mediaset, en
même temps que les participations des autres seront diluées (cas de Goldman Sachs) ou renforcées
(cas de la holding Cyrte Investments) avec l’arrivée du fonds d’investissement Apollo.
En dépit de ces difficultés et du ralentissement de sa croissance externe, le groupe reste le premier
producteur au monde, le plus innovant en termes de formats créés et le plus puissant en termes de
diffusion mondiale. Ainsi le récent jeu Money Drop, lancé au Royaume-Uni en mai 2010 a été installé
dans une quarantaine de pays en moins de douze mois. C’est d’ailleurs cette puissance qui permet au
groupe de temporiser ses résultats en période de crise et de surmonter les soubresauts des marchés,
comme par exemple aujourd’hui en Espagne où le marché publicitaire accuse un recul de 25 % à 35
%. Cette chute du marché n’a pas empêché la filiale d’être en 2012 l’une des plus dynamiques et
créatives du groupe.
LES MARCHÉS LEADERS
1. LE ROYAUME-UNI
2. LA FRANCE
3. LES ÉTATS-UNIS
Une des difficultés de l’entreprise est de renouveler sans cesse des formats gagnants. Mais c’est une
performance réalisable comme le prouve le succès actuel sur TF1 des Douze coups de midi, venus
remplacer Attention à la marche ! après neuf années d’envolées. Idem dans le créneau du soir avec
Money Drop, venu remplacer La Roue de la fortune.
Les Douze coups de midi verront-ils deux ou douze saisons ? Une autre difficulté – et même
impossibilité – du métier est de prévoir à l’avance la durée de vie d’un format. En dépit de ces
difficultés intrinsèques la société n’a nulle part perdu une part de marché du fait de son incapacité à
renouveler un format.
La stratégie du groupe se fonde aujourd’hui sur trois priorités.
1. Conforter son leadership
Endemol dénombre seulement 300 clients diffuseurs dans le monde ; il est donc important
pour le groupe d’entretenir avec ses clients une relation forte. Le maintien de son leadership
repose sur la créativité ; le groupe doit attirer les talents et leur offrir les moyens d’exercer
leur créativité et d’assurer leur épanouissement personnel. (Les grands créatifs sont capables
d’inventer à la suite plusieurs formats à succès ; c’est le cas de John de Mol qui a initié en
1997, Big Brother et dix ans plus tard, The Voice, deux blockbusters.)
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Endemol a aussi fait le choix de décentraliser sa création, ceci dans l’objectif de répondre
aux exigences des marchés ne pouvant se contenter exclusivement de formats importés des
États-Unis ou du Royaume-Uni, même s’agissant de formats « puissants ». La création au
sein de Endemol France se répartit entre :
 un tiers de formats extraits du catalogue Endemol et adaptés pour le marché ;
 un tiers de formats achetés (extérieurs et que Endemol achète et produit en France
pour ses clients) ;
 un tiers de créations purement françaises.
La belle histoire d’Endemol est d’assurer à chaque format une possible ouverture mondiale,
quel que soit son pays d’origine.
L’objectif de renforcement de son leadership impose par ailleurs à Endemol de conforter son
savoir faire dans la fiction. Ce savoir faire est resté méconnu en France où il n’avait pas
constitué jusqu’à présent un axe de développement. La filiale française a désormais défini une
stratégie de long terme qui va de pair avec le développement de ce savoir faire. Les efforts
déployés à ce titre depuis cinq ans vont se poursuivre, imposant aussi d’importants
investissements sur le long terme. L’entreprise a choisi de se montrer là où l’on l’attendait le
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moins, avec une prédilection pour des docu-fictions inspirés du monde de la politique.
Endemol va progressivement diversifier ses contenus.
Cette diversification de contenus répond à la nécessité de diversifier ses débouchés : à
l’origine très « liée » à TF1 qui représentait une part « plus que significative » de son chiffre
d’affaires, Endemol France compte dès à présent 18 diffuseurs, gagnés sur la TNT mais aussi
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grâce à « l’ouverture » obtenue du service public.
2. S’adapter à une industrie en mutation
L’objectif est d’anticiper ce que seront demain les métiers d’audiovisuel. Dans l’immédiat
l’entreprise doit s’adapter à la nouvelle donne des diffuseurs, qui se résume en un « toujours
plus, pour moins de coûts ». Avec la crise, la maxime est aujourd’hui plus que jamais
d’actualité, et pas seulement en Europe mais partout dans le monde où les achats de droits
sont tous à la baisse.
Le groupe Endemol a mis en place une politique d’efficiency. La conviction est que les
producteurs se doivent d’accompagner leurs clients dans les efforts de restructuration qu’ils
déploient et réduire leurs tarifs. Cette réduction doit aussi davantage passer par l’élaboration
de nouveaux processus de production que par une simple diminution des marges. L’équation
à résoudre est donc : Comment produire à des coûts réduits des programmes qui, aux yeux
du téléspectateur, doivent ressembler le plus possible à ceux auxquels il a été habitué, issus
de productions à très fort budget ?
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Parmi les fictions produites en France, citons : le docu-fiction L'Arbre de mai, une chronique des 20 jours qui ont
fait trembler la République, diffusée par France 3 et France 5; Yann Piat, chronique d'un assassinat, diffusée par
Canal+ ; Kanaks, l’histoire oubliée (L’histoire de Karambeu), pour France 2, ou encore les dialogues MitterrandBalladur, inspirés de l'ouvrage d’Édouard Balladur, « Le pouvoir ne se partage pas ».
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Cette ouverture a été obtenue grâce à la fiction. Ailleurs en Europe Endemol est déjà 1 fournisseur de la BBC
et de ZDF. Son argument est ici d’allier l’audience avec la ligne éditoriale du service public.
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Pour s’adapter à cette nouvelle donne, la profession va évidemment prendre appui sur le
numérique. Dans le domaine, Endemol vient de remporter un appel d’offres lancé par
Youtube. Aux côtés des clients historiques de l’entreprise, figureront désormais les Youtube
ou les Apple TV, dont les besoins sont aussi totalement différents de ceux des diffuseurs
traditionnels.
Pour Endemol, l’enjeu est aussi d’apprendre à produire moins cher. Ces nouveaux débouchés
conduisent par ailleurs l’entreprise à développer des métiers additionnels, notamment orientés
sur l’interactivité et le multi-écrans.
L’autre axe de son développement à venir est géographique et concerne principalement l’Asie
et l’Amérique latine où, cependant, les protections nationales sont parfois très fortes. La voie
d’entrée sera probablement ici la constitution de joint-ventures. Endemol dispose d’ores et
déjà sur place de filiales, encore petites mais particulièrement dynamiques, à l’instar de leur
marché respectif – en Inde, Russie ou en Argentine.
Cette conquête géographique se fera évidemment aussi à l’appui de la fiction. Endemol
possède déjà son studio à Hollywood, lequel a notamment produit la très américaine série
Hell on Wheels, bâtie sur l’histoire d’une autre conquête : celle des chemins de fer nordaméricains.
ÉLÉMENTS POUR UNE RÉFLEXION PROSPECTIVE
La poursuite de la croissance externe – La restructuration de la dette a mis un frein à la politique de
croissance externe d’Endemol mais qui ne renonce pas pour autant à cette stratégie. La croissance
externe est indispensable dans le métier de producteur. L’objectif est d’associer les avantages
respectifs de la start-up – création et réactivité – à ceux d’un groupe mondialement intégré –
puissance et efficience. Les mouvements de concentration, inéluctables, doivent « ménager » la
souplesse et la créativité des équipes nouvellement intégrées. L’exercice n’est pas forcément aisé.
Du digital, en plus de et non à la place de – Le modèle historique a toutes les chances de survivre
à condition d’adapter ses modes de gestion et de réduire ses coûts. Le nouveau modèle, en train
d’émerger, est un modèle additionnel ; il ne vient pour l’instant pas cannibaliser l’ancien mais vient au
contraire renforcer le modèle existant et accroître l’exposition des « marques », leur visibilité dans une
grille, leur exclusivité de contenu et, in fine, leur puissance de monétisation pour les diffuseurs. Cette
monétisation s’opèrera selon de nouveaux modes, avec des spots publicitaires traditionnels
probablement moins attractifs mais, en contrepartie desquels, une quantité de nouvelles formules et
combinaisons multi-écrans sont à imaginer.
Le storytelling – Une chose restera inchangée : l’objet des annonces, qui restera focalisé sur
« l’éditorialisation » d’un contenu. Les chaînes qui éditorialisent le mieux leurs contenus sont celles
qui se portent le mieux, notamment dans cette période de crise. Finalement, dans cet univers, le
challenge de tous – tant réalisateurs et producteurs que diffuseurs – est de bien savoir vendre des
histoires et ceci tant aux annonceurs qu’aux téléspectateurs ou aux actionnaires. Plus l’histoire est
lisible, meilleurs sont les résultats, et ce dans la durée.
L’addition de ces métiers différents se fera très probablement avec des personnes différentes : des
équipes formées à cet effet, et non majoritairement des équipes importées et « reformatées ».
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En termes de chiffre d’affaires, la bataille des productions se joue pour l’instant toujours dans le circuit
traditionnel, cependant le ratio 80/20 – 80 % des recettes en TV, 20 % sur les nouveaux médias – est
d’ores et déjà battu en brèche dès lors que sont pris en compte dans les recettes du « digital » celles
du gambling (les jeux en ligne). Les ratios s’équilibrent alors davantage sur du 70/30, voire du 65/35.
Malheureusement la France n’est pas la plus attractive sur cette activité. En France c’est une activité
que l’entreprise a abordé mais par un seul biais, celui de son plus gros blockbuster – Big Brother en
l’occurrence. Au Royaume Uni au contraire le gambling est très développé. Dans tous les cas,
l’activité de jeux ne pourra être correctement conduite qu’à l’appui d’investissements massifs – en
rapport avec le positionnement des marques et des diffuseurs. Ce ne peut être une activité tous
azimuts.
Faut-il tuer Endemol pour que vive Endemol ? – La téléréalité colle à la peau d’Endemol au point
que le public lui attribue toutes les émissions du genre. Mais cette perception est – heureusement
pour l’entreprise – strictement limitée à la France où la série Loft Story a été particulièrement…
traumatique. Le format n’est pourtant pas grand-chose comparativement à toutes les idées de
téléréalité depuis dix ans mises à l’œuvre, tellement trash qu’Endemol elle-même s’est sentie obligée
il y a trois ans d’éclaircir sa politique dans le domaine en publiant une charte de déontologie.
Endemol a néanmoins pris la précaution de développer ses activités de brand content – le contenu de
marque (comprendre la production de contenus au service de la communication de marques) – sous
une appellation totalement nouvelle : Extra Box.
Une téléréalité pour les CSP+ ? – Cette mauvaise peau de la téléréalité pourrait-elle, comme une
peau d’âne, se transformer ? Patron incognito a constitué une première expérience dans ce sens,
diffusée en prime time par M6, mais sans disposer de l’exposition d’antenne (et médiatique) réservée
aux formats feuilleton (1 Prime Time versus 14 à 15 semaines de programme). D’autres Prime Time
seront bientôt diffusés et une 2eme série est en cours de production.
Penser que la téléréalité est une TV réservée aux CSP-, c’est pour le coup une « vraie » idée reçue,
qui méconnaît les études d’audience de Secret Story. De là à savoir si la téléréalité peut devenir
suffisamment intelligente pour prendre place dans le service public, il y a un pas (mais rien de
« tabou » précisent les directeurs de programmes). Si la téléréalité « d’enfermement » n’est pas dans
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la ligne éditoriale des chaînes publiques, la téléréalité va déjà au-delà ; elle est devenue un mode
d’écriture qui inspire de nouveaux genres comme le docu-réalité, et qui inspire incontestablement
aussi les jeux télévisés.
Point de vue sur… la réforme de l’audiovisuel public – La réforme, mise en œuvre il y a moins de
deux ans, a entraîné l’audiovisuel public dans une situation « préoccupante ». Concrètement le timing
ne pouvait être plus mauvais, puisque la réforme est survenue concomitamment à une crise financière
et économique majeure (qui impacte également les acteurs privés) ; et concomitamment à
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l’émergence de nouveaux acteurs, les six nouvelles chaînes de la TNT . Est-ce la faute à pas-dechance ou plutôt un défaut d’anticipation des régulateurs – des autorités publiques et du CSA ? En
l’occurrence, l’histoire s’est déroulée sur sa lancée, en respectant scrupuleusement le calendrier
préétabli et en faisant fi des évènements extérieurs. Elle se solde par un affaiblissement des
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champions et un cadre réglementaire encore complexifié . L’histoire pourrait finalement s’avérer très
meurtrière.
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Et ce même si France 2 va prochainement enfermer quelques mamans en sixième. (Docu-réalité Ta mère en
! programmé le 9 octobre 2012, en prime time.)
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Qui représentent un coût de diffusion de 80 millions d’euros sur un marché total de 3,5 milliards d’euros.
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En plus d’une légalisation nationale du travail qui fait exception et très pénalisante.
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CONCLUSION
Miroir grossissant de la réalité d’une société, la téléréalité n’en reste pas moins un miroir, à peine plus
déformant… qu’une caricature. Strip-Tease, initiée par France 3 il y a vingt ans, vient d’être
récemment reprise par la chaîne, et a déchaîné les internautes. Ce qui était dans la ligne éditoriale du
service public il y a vingt ans a été considéré aujourd’hui comme indécent.
Dès lors qu’on défend la liberté d’expression, rien n’est tabou.
À chaque diffuseur seulement de trouver le format qui va taquiner ou passionner ses téléspectateurs.
C’est là leur métier !
Martine LE BEC
rédactrice en chef adjointe de la revue Prospective Stratégique
rapporteur du Club Media
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