Charnel et fascinant: « Noos », le main-à

Transcription

Charnel et fascinant: « Noos », le main-à
Mars 2016 - Mathieu Dochtermann – Pour le spectacle NOOS
Charnel et fascinant: « Noos », le main-à-main réinventé
Dans le cadre du festival (Dés)illusions, Le Monfort théâtre accueille le duo de portés acrobatiques Justine et
Frédéri, avec leur spectacle Noos. Cette forme courte revisite avec brio le main à main, pour en faire une
exploration des interactions corporelles autorisées par cette discipline circassienne: tendresse, violence,
complicité, confiance, le dialogue des corps se déploie sans ostentation ou technicité tapageuse, mais avec
sensibilité et intelligence. Brillant, recommandé à tous publics.
Lui, c’est Frédéri Vernier, un solide porteur aux larges épaules, dont toute la physionomie invite à le relier à la
Terre, enraciné dans le sol. Elle, c’est Justine Berthillot, gracile voltigeuse, petite et légère, que l’on a
spontanément envie de relier à l’Air, que l’on imagine immédiatement susceptible de tous les envols.
L’évidence semble avoir distribué les cartes de ce couple, les rôles pourraient être distribués comme de
manière ontologique.
Mais justement, le recherche de Justine et Frédéri est à rebours de cette facilité guidée par la tradition et les
physionomies. Toute la question explorée dans ce petit spectacle est celle des « si »: qu’arriverait-il si la
voltigeuse se laissait aller à terre? qu’arriverait-il si le porteur relâchait tous ses muscles? qu’arriverait-il si la
voltigeuse essayait plutôt de porter? Comment toutes ces situations s’incarnent-elles dans les corps,
comment changent-elles le rapport des deux circassiens et les possibilités d’exécuter, malgré tout, des figures,
qui subissent nécessairement quelques transformations au passage? Et, au-delà, que reste-t-il de l’art, que
présente-t-on encore au regard de l’Autre, le public?
De ce point de départ, le duo fait un spectacle brillamment écrit, dépouillé de toute ostentation comme de
toute cérébralité. Ici, ce sont les corps qui parlent. En 30 minutes, les deux circassiens opèrent un lent
transfert, du début où Justine se laisse complètement manipuler, inerte, par Frédéri qui joue avec elle comme
avec un pantin, à la fin où Frédéri relâche graduellement toute tension musculaire jusqu’à ce que Justine se
retrouve à tenter de le porter pour pouvoir s’appuyer encore dessus. Ce qu’ils proposent est un voyage qui les
mène à explorer ce qui reste possible quand le corps n’est pas là où on l’attend, dans l’attitude que l’on
penserait nécessaire. Au-delà de l’évidence de l’interdépendance des deux artistes, qui ne peuvent plus rien
donner à voir lorsque le corps de l’autre s’absente totalement, c’est une fascinante exploration qui se met en
place.
Ces nouveaux rapports entre les corps mettent à nu, de façon évidente, les tensions qui sous-tendent le main
à main: rapport de confrontation allant parfois jusqu’à la violence, énergie, équilibre, souplesse, tonicité,
confiance… En jouant à retirer les éléments et à les repalcer on prend la mesure de tout ce qui est requis pour
que le spectacle advienne.
La magie de cette exploration est de n’être jamais cérébrale, et jamais dépourvue de tension, même dans les
moments de lenteur et de relâchement. Les figures, même revisitées, restent spectaculaires. De nouvelles
voies se créent pour conquérir la verticalité, pour projeter l’énergie vers le ciel. L’humour, la tendresse, la
complicité sont omniprésents. Des images incroyablement fortes sont convoquées, où le geste se fait à la fois
caresse intime et menace physique, tel le moment où la voltigeuse est portée par le cou entre les mains
puissantes de son partenaire.
Un spectacle intelligent, beau, touchant, tour-à-tour drôle, spectaculaire et tendre. 30 minutes de bonheur et
de fascination. A voir au Monfort théâtre à Paris, dans le cadre du festival (Dés)illusions, et à Cherbourg dans le
cadre du festival SPRING.