Anorexie mentale et boulimie
Transcription
Anorexie mentale et boulimie
P É T I T I O N adressée à François Hollande pour demander un plan TCA Anorexie mentale et boulimie ET SI ON ARRÊTAIT LE GÂCHIS ? Coût individuel, familial, économique et social des troubles du comportement alimentaire Dossier de presse “ Des chiffres alarmants L’importance du diagnostic précoce Une offre de soins insuffisante Patients, familles et professionnels se mobilisent Les TCA ne sont pas un choix mais une réponse à un profond mal-être Philippe Jeammet Fédération Nationale des Associations d’aide aux TCA ” d o ssier de p res s e Anorexie mentale et boulimie ET SI ON ARRÊTAIT LE GÂCHIS ? P É T I T I O N pour la mise en place d’un plan national de diagnostic précoce et de développement des filières de soins des Troubles du Comportement Alimentaire Monsieur le Président, La jeunesse était au cœur de vos engagements en 2012, au début de votre mandat. La souffrance psychologique des adolescents et des jeunes adultes est intolérable dans l’absolu mais elle a également un coût pour la société française et c’est tout particulièrement le cas des troubles des conduites alimentaires (anorexie mentale, boulimie et troubles apparentés). Ces troubles concernent plus de 600 000 jeunes en France. Ils sont à l’origine d’un gâchis considérable. Il est révoltant de constater qu’on en meurt encore trop souvent dans notre pays en 2014, faute d’une offre de soins adaptée et suffisante. Il est inadmissible que ces troubles, pourtant guérissables, puissent dégrader durablement la vie de ceux qui en souffrent dans tous ses aspects: affectifs, familiaux, éducatifs, professionnels et sociaux. Il est inacceptable que des familles ne puissent accéder, à une distance raisonnable, à des lieux d’accueil et de soins spécialisés pour faire soigner leur enfant et être accompagnées. Certaines ont les moyens de traverser la France pour en trouver mais la majorité doit y renoncer. Cette situation est d’autant plus regrettable qu’elle pourrait être évitée, sur le modèle de ce qui est fait au Royaume Uni, en Suède et aux PaysBas, par le développement et la structuration au niveau national d’une offre de soins spécialisés couvrant tout le territoire. Les études scientifiques ont en effet montré qu’une prise en charge précoce et interdisciplinaire crée les conditions favorables à la guérison et limite les effets néfastes de ces troubles. Nous vous demandons donc, qu’à l’instar de l’autisme et du suicide, les troubles des conduites alimentaires, trop souvent ignorés et banalisés, deviennent une priorité de santé publique et donnent lieu à un plan national de diagnostic précoce et de développement des filières de soins. C’est l’unique manière de mettre fin à la situation actuelle, indigne d’un pays qui inscrit le droit à la santé pour tous dans sa Constitution. 02 Les premiers signataires u Fédération Nationale des Associations liées aux Troubles du Comportement Alimentaire (FNA-TCA), représentant les patients et leurs familles u Association Française pour le Développement des Approches Spécialisées des Troubles du Comportement Alimentaire (AFDAS-TCA), représentant les professionnels u Nicolas Hulot, journaliste, président fondateur de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme u Philippe Jeammet, psychiatre, psychanalyste u David Le Breton, sociologue u de santé spécialistes des troubles du comportement alimentaire Valérie Lemercier, actrice, réalisatrice u Michela Marzano, philosophe, députée au parlement italien u Sabah Abouessalam, sociologue u Edgar Morin, anthropologue u Brigitte Ayrault, marraine de la Maison des Associations de u Véronique Nahoum-Grappe, sociologue Nantes u Ali Benmakhlouf, philosophe, membre du Comité Consultatif Mathilde Nobécourt, psychologue et éditrice u Valérie Pécresse, ancien ministre, députée des Yvelines u National d’Ethique u Alain Braconnier, psychiatre u Maryvonne Pinault u Antonio Casili, sociologue u Patrick Poivre d’Arvor, journaliste, écrivain u Bernadette Chirac, présidente de la Fondation Hôpitaux de u Véronique Poivre d’Arvor, co-fondatrice de la Maison de Patrick Cottin, président de l’Association Nationale des u Christel Prado, présidente de l’Unapei, membre du CESE Maisons des Adolescents (ANMDA) u Richard Rechtman, psychiatre, anthropologue u Sophie Davant, journaliste u Marcel Rufo, pédopsychiatre u Mireille Darc, actrice, réalisatrice u Patricia Schillinger, sénatrice du Haut-Rhin, aide-soignante u Jean-Paul Delevoye, président du Conseil Economique, u Antoinette Seillière u Paola Tubaro, sociologue Environnemental u Jean-Luc Vénisse, psychiatre u Anne de Kervasdoué, gynécologue u Georges Vigarello, historien u Aude de Thuin, fondatrice du Women’s Forum for the u Jean-Didier Vincent, neurobiologiste, académicien u Fondation pour la Recherche en Psychiatrie et en Santé Solenn Paris – Hôpitaux de France u Social et Environnemental (CESE) u Antoine Dulin, membre du Conseil Economique, Social et Economy and Society u Delphine de Vigan, écrivain, réalisatrice u Tatiana de Rosnay, écrivain u Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids (GROS) u Nicolas Dhuicq, député de l’Aube, psychiatre u Réseau ABELA (Loire Atlantique) u Roland Dumas, avocat, ancien ministre u Réseau TCA Francilien (Ile-de-France) u Bruno Falissard, directeur de l’Unité INSERM U669 – u Réseau TCA Méditerranée (Marseille, Toulon) u Réseau TCA Nord-Pas-de-Calais u Réseau TCA Poitou-Charentes u Réseau PARAD TCA (Auvergne) Troubles du comportement alimentaire de l’adolescent u Claude Fischler, socio-anthropologue u Flavie Flament, journaliste u Jacqueline Fraysse, députée des Hauts-de-Seine, cardiologue u Serge Héfez, psychiatre Mentale (FRPSM) Si vous souhaitez ajouter votre voix à celle des premiers signataires, vous pouvez signer la pétition en ligne, sur le site change.org à cette adresse : http://chn.ge/1uGhkqQ 03 Interview COMPRENDRE LES TCA Les troubles des conduites alimentaires fascinent mais restent incompréhensibles pour le grand public. Philippe Jeammet nous donne à comprendre que l’anorexie mentale et la boulimie ne sont pas des choix mais des réactions de défense pour apaiser une peur et un mal-être qu’il s’agit d’identifier pour les désamorcer. “ L’anorexie mentale et la boulimie sont des maladies Si vous avez des envies très fortes qui vous font peur, vous allez être obligé de constituer un énorme barrage ” très mystérieuses qu’il est difficile de comprendre de l’extérieur. Comment pourriez-vous les présenter et expliquer ce qui s’y joue de la façon la plus simple possible ? Philippe Jeammet : Les troubles des conduites alimentaires peuvent apparaître comme des comportements liés à des modes alors qu’ils ont existé de tout temps, plus particulièrement dans certaines civilisations, celles qui sont soumises à des stress importants. Il faut les voir, comme d’ailleurs l’ensemble des troubles du comportement, comme une réponse à des situations de peur et de menace. Cette réponse est avant tout organique, biologique : c’est la peur qui déclenche tout, sans que cela soit choisi. On ne décide pas de devenir anorexique ou boulimique : ce sont des comportements qui s’imposent parce qu’ils ont sur le moment un effet d’apaisement. C’est pour cela qu’il est aussi difficile aux patients de lutter contre : ils se sentent mieux. On présente souvent les troubles des conduites alimentaires, et l’anorexie mentale en particulier, comme des situations de maîtrise absolue et de toute puissance de la volonté. En vous écoutant, on comprend que ce n’est en fait pas du tout le cas. u Philippe Jeammet, Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, ancien chef du service de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte à l’Institut Mutualiste Montsouris (Paris) 04 PJ : C’est même une grave erreur de compréhension parce que cela entraine des contre attitudes face aux patients. Ce refus de s’alimenter prend une forme tellement spectaculaire chez des jeunes gens par ailleurs bien insérés dans la réalité, qu’il peut passer pour de la mauvaise volonté, pour une façon de s’opposer, alors que ce n’est pas choisi et qu’il n’y a aucune toute-puissance. Ces troubles ne constituent pas une décision mais une réponse à un mal-être. Et une réponse qui est toujours émotionnelle. Elle amène la personne à se sentir mieux mais également à s’enfermer dans un comportement qui va avoir des conséquences destructrices. Si ces maladies constituent une réponse, même inadaptée, à une peur et un mal-être, on comprend mieux pourquoi il est aussi difficile pour les patients de s’en détacher. Comment les y aider ? PJ : La peur qui les habite est souvent méconnue des patients qui, parce qu’ils tiennent à leur comportement, vont penser qu’il est leur choix. Il faut donc les aider à comprendre ce qui lui arrive : qu’ils sont dans une situation de tension ou de stress et qu’ils y réagissent par ce comportement anorexique. Dès les premiers signes, il ne faut pas les stigmatiser en parlant tout de suite de maladie mais les aider à voir qu’il y a quelque chose qui ne va pas et essayer d’en parler. Là où la personne a tendance à s’enfermer, il faut ouvrir en parlant et au besoin en allant voir un tiers. Il faut expliquer aux patients que le comportement anorexique n’est pas un choix mais que, ce qu’ils peuvent par contre choisir, c’est de comprendre que, même si cela les soulage, le prix à payer est trop cher puisque tous les effets que cela va avoir sur l’organisme peuvent aller jusqu’à la mort. Oui, c’est tout le paradoxe : cela peut aller jusqu’à la mort alors que, derrière l’anorexie et la boulimie, il y a un très grand appétit de vivre. “ Ce qu’ils peuvent par contre choisir, c’est de comprendre que, même si cela les soulage, le prix à payer est trop cher ” mangeant moins. C’est un mouvement basique qu’ont aussi les animaux : dès qu’on est menacé, on se ferme. Avec la conscience réflexive, l’être humain a la possibilité de sentir s’il est actif ou passif et il n’est pas fait pour être impuissant, avoir le sentiment que tout lui échappe. Alors il va retrouver une activité mais dans le raidissement et la destructivité parce que la créativité se joue dans la rencontre avec l’autre et qu’on ne la maîtrise pas. La prévention des troubles des conduites alimentaires Ce n’est pas une conduite suicidaire. C’est au contraire une façon de se protéger d’une menace. Les personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires ont à la fois un très grand appétit de vivre mais très peu de confiance en elles. Elles ont peur d’être débordées par leurs envies, de ne pas être à la hauteur de cet appétit de vie. Si vous avez des envies très fortes qui vous font peur, vous allez être obligé de constituer un énorme barrage. A vous entendre parler des troubles des conduites alimentaires comme un raidissement face à une peur, on a le sentiment qu’ils ne sont que le miroir grossissant de notre manière de fonctionner et de réagir. peut donc notamment passer par un travail sur les émotions, dont nous aurions tous grand besoin. L’Organisation Mondiale de la Santé considère même que ce sont des compétences indispensables, à intégrer dans l’éducation de la jeunesse. Notre compréhension des émotions est effectivement moyenâgeuse. Nous restons attachés à l’idée d’un esprit tout-puissant, détaché du corps et des émotions. Il faut sortir de ces représentations et montrer le vrai rôle des émotions, qui est central, pour comprendre le fonctionnement réel de notre psychisme, la manière dont nous nous raidissons face à la peur et les moyens d’éviter que cela ne débouche sur un enfermement. Les patients souffrant d’anorexie mentale et de boulimie ne sont pas des personnes anormales. Ce qui leur arrive est simplement l’exagération d’un mouvement que chacun peut avoir. Quand on ne se sent pas bien, on va se raidir, soit en faisant le tête, soit en s’enfermant chez soi, soit en “ On ne décide pas de devenir anorexique ou boulimique ces comportements s’imposent parce qu’ils ont un effet d’apaisement ” 05 Interview SOIGNER LES TCA Une prise en charge précoce, multidisciplinaire et en réseau crée les conditions favorables à la guérison. Peu de patients y ont cependant accès, avec de lourdes conséquences sur l’évolution du trouble et son impact sur leur vie affective, sociale et professionnelle. LA NÉCESSITÉ PRISE EN CHARGE PRÉCOCE, MULTIDISCIPLINAIRE ET EN RÉSEAU Les troubles des conduites alimentaires se situent à l’interface du corps et de l’esprit. Quelles vont être les conséquences sur la prise en charge ? u Dr Sophie Criquillion-Doublet, psychiatre (Hôpital Sainte-Anne, Paris) La prise en charge des TCA implique une coordination à différents niveaux. Non seulement une collaboration entre des somaticiens et des psychiatres et/ou psychologues mais aussi, pour assurer une continuité dans le suivi des patients, entre les équipes d’occupant d’enfants, d’adolescents ou d’adultes, ainsi qu’entre les équipes hospitalières et libérales. Les soins des TCA ne peuvent donc se concevoir qu’au travers un réseau multidisciplinaire de thérapeutes interagissant avec le patient et entre eux pour construire un plan de soin adapté à chaque situation et à l’évolution des troubles. L’hospitalisation est-elle systématique ? Quand devient-elle nécessaire ? u Pr Jean-Claude Melchior, professeur Les soins en hospitalisation temps plein ne sont en aucun cas la règle. Les soins sont, en dehors de l’urgence, toujours d’emblée conduits en ambulatoire. L’hospitalisation devient nécessaire en cas d’urgence somatique, psychologique ou dans une situation où les soins ambulatoires ne permettent pas une amélioration dans un délai acceptable, ou s’ils s’avèrent impossibles. de nutrition, président du Réseau TCA Francilien (Hôpital Raymond Poincaré, Garches) “ Il existe en France des zones où l’offre de soins des TCA est totalement inexistante, d’autres où seuls certains besoins sont couverts 06 ” Comment faciliter l’action en réseau des différents professionnels de santé impliqués ? La mise en œuvre d’un réseau de collaboration locale ou régionale est indispensable pour les patients mais demande de la part des soignants (qui doivent être formés aux spécificités de ces troubles) d’y consacrer un temps considérable et de dépenser une énergie importante. Ce travail devrait être soutenu par les pouvoirs publics au travers de la reconnaissance de structures spécialisées labélisées ayant pour mission de mettre en place et d’animer ces réseaux. Il faudrait par ailleurs que le temps de coordination entre professionnels soit valorisé financièrement comme un temps du soin ; il est aujourd’hui entièrement bénévole. UNE OFFRE DE SOINS TRÈS INSUFFISANTE, AVEC DE LOURDES CONSÉQUENCES Une telle prise en charge, multidisciplinaire et en réseau, est-elle accessible pour tous les patients à un coût, un délai et une distance raisonnable ? Si l’on s’appuie sur l’annuaire réalisé par l’AFDAS-TCA qui a recensé tous les lieux de soins accueillant les patients souffrant de TCA en France spécialisés ou non (cet annuaire vient d’être mis en ligne sur le site de l’AFDAS-TCA), il est clair que non. Il existe en France des zones où l’offre de soins des TCA est totalement inexistante, d’autres où seuls certains besoins sont couverts (par exemple prise en charge des adolescents mais pas des enfants ou des adultes ou soins somatiques mais pas psychiatriques ou inversement). Par ailleurs, dans les régions, comme en Ile de France où l’offre existe, elle est totalement saturée et ne peut répondre à la demande. Quels sont les effets des difficultés d’accès aux soins sur l’état de santé des patients ? La ligne téléphonique « Anorexie Boulimie info écoute » (0810 037 037) et les patients que nous rencontrons après des parcours longs et complexes nous permettent de mesurer les conséquences de cette situation au travers de témoignages de patients : certains ne reçoivent pas de diagnostic et ou de soins adaptés pendant des mois ou des années, d’autres en trouvent à des heures de routes de chez eux et ne peuvent s’y rendre régulièrement, d’autres attendent des mois avant d’accéder à des soins. Cela a de lourdes conséquences : complications somatiques pouvant entrainer la mort et des effets secondaires irréversibles (ostéoporose, infertilité), désinsertion sociale, rupture scolaire et professionnelle, reconnaissance de handicap. “ Certains patients ne reçoivent pas de diagnostic et ou de soins adaptés pendant des mois ou des années, d’autres en trouvent à des heures de routes de chez eux ” L’IMPORTANCE DU DÉVELOPPEMENT DE LA FORMATION ET DES FILIÈRES DE SOINS Dans l’idéal, comment l’offre de diagnostic et de soins devrait-elle être structurée (au niveau national, régional, départemental, local) pour prendre en charge correctement les patients ? Il faudrait que le repérage précoce soit possible et plus rapide au travers des soignants de proximité, avec la possibilité d’un premier niveau de suivi adapté à proximité, ce qui serait permis par des professionnels plus nombreux et mieux formés ; ensuite il faudrait un deuxième niveau de soins spécialisés au niveau départemental ou régional et enfin la possibilité de bénéficier de structures de recours dans des situations difficiles et/ou plus complexes. Les professionnels de santé ont-il une formation suffisante sur les TCA durant leurs études ? La formation médicale initiale est de 2 à 4 heures, dans tout le cursus des études de médecine. Certaines spécialités bénéficient d’un complément variable (Psychiatrie, Nutrition). Il existe des Diplômes Universitaires et Inter Universitaires mais ils sont facultatifs et trop peu nombreux. Il faudrait pouvoir intensifier la formation de tous les médecins et des personnels paramédicaux de premier recours pour le repérage, l’évaluation et l’orientation. Celle des spécialistes plus particulièrement concernés devrait être plus conséquente et intégrer un volet sur les soins spécialisés pour les TCA. Les différentes spécialités n’ayant pas spontanément l’habitude de travailler ensemble, il est par ailleurs nécessaire de développer des formations pour que cette connaissance et cette culture du travail multidisciplinaire et en réseau se développent, au service des TCA. 07 Interview PRÉVENIR LES TCA La prévention des TCA doit se jouer à plusieurs niveaux : par une action sur les facteurs de risque (estime de soi, anxiété) pour éviter leur apparition et par une prise en charge dès les premiers symptômes pour limiter le risque de complications somatiques, de chronicisation et toutes les conséquences sociales. “ Le repérage précoce est un enjeu majeur de la prévention des Troubles du Comportement Alimentaire Quels sont les principaux facteurs des TCA, ” sur lesquels une politique de prévention primaire peut agir ? u Nathalie Godart, pédopsychiatre (Institut Mutualiste Montsouris, Paris) Des programmes de prévention sont développés à petite échelle, principalement dans les pays anglo-saxons. Ils ciblent la remise en question de l’idéalisation de la minceur véhiculée par les médias chez les enfants et les adolescents et l’acceptation de leur corps, ainsi que d’autres facteurs de risque tels que l’estime de soi, la régulation émotionnelle (anxiété, symptômes dépressifs). Agir sur ces deux derniers facteurs pourrait permettre une prévention plus large, des TCA mais plus globalement des troubles psychiques. Vous insistez beaucoup sur l’importance de la prévention secondaire : le diagnostic précoce. u Renaud de Tournemire, pédiatre (CHI Poissy Saint Germain-en-Laye), Responsable de la commission « Médecine de l’adolescent » à la Société Française de Pédiatrie 08 En France, comme dans les autres pays occidentaux, moins de la moitié des personnes souffrant de TCA déclarent avoir été pris en charge pour ces troubles et cela a de lourdes conséquences pour l’évolution de la maladie. Les études scientifiques ont en effet montré que le repérage précoce est un enjeu majeur pour les patients car une intervention thérapeutique plus rapide est le gage d’une efficacité supérieure des soins. L’aggravation des troubles au fil du temps précipite les personnes malades dans un véritable cercle vicieux : l’amaigrissement a des conséquences psychologiques et la maladie s’auto-entretient, aboutissant à des complications multiples, parfois mortelles. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) distingue trois niveaux de prévention : • la prévention primaire permet d’éviter l’apparition de nouveaux cas • la prévention secondaire correspond au diagnostic précoce qui permet de prendre en charge la maladie avant qu’elle n’ait évolué • la prévention tertiaire vise à réduire au maximum les invalidités fonctionnelles consécutives à la maladie. L’isolement engendré par les TCA constitue aussi On sait que les TCA peuvent avoir des complications multiples. Quelles sont-elles et comment les prévenir ? Les TCA peuvent causer des problèmes somatiques tels que des retards de croissance et des retards pubertaires, ils impactent la fertilité des femmes en âge de procréer, ils favorisent le développement d’une ostéoporose précoce, ils causent des dégâts dentaires ayant des conséquences fonctionnelles et esthétiques. Ils se compliquent aussi de difficultés psychologique sincluant la dépression (dont des dépressions du post partum), les troubles anxieux, les troubles obsessionnels. Ils sont responsables de handicaps (somatique, psychique et social). Et ils sont responsables d’une mortalité prématurée considérable et évitable (de 6 à 12 fois celle de la population générale du même âge). Les études scientifiques ont montré que la prise en charge précoce et multidisciplinaire limite la survenue de ces complications. Quelle place les TCA tiennent-ils parmi les maladies un cercle vicieux qu’il faut identifier et limiter pour de l’enfance et de l’adolescence ? prévenir leur aggravation. Une étude épidémiologique a montré, aux Etats Unis, que l’anorexie mentale était la troisième maladie chronique après l’obésité et l’asthme. Si on élargit à l’ensemble des troubles des conduites alimentaires, ils tiennent tout simplement une place centrale. Il est aujourd’hui inconcevable de ne pas rechercher des TCA alors qu’on interroge nos patients sur des thématiques comme le tabac, le cannabis, la sexualité, le sommeil, les idées suicidaires. Oui, dans les premiers mois de la maladie on note un isolement social important. Au collège ou au lycée, les pairs s’éloignent. Cela entraine un cercle vicieux, en renforçant la mésestime de l’individu concerné, déjà souvent importante. Le comportement alimentaire même, du fait de bizarreries ou d’une impossibilité de manger en présence de quelqu’un, vient majorer cet isolement. Enfin, en cas de dénutrition sévère, les hospitalisations, souvent longues, peuvent aussi, si l’on n’y prend pas garde, accentuer le manque de liens. Le service de Promotion de la Santé en faveur des élèves peut jouer un rôle important à travers des Projets d’Accueil Individualisé ou le maintien d’un lien pendant une hospitalisation. Quels doivent être les principaux acteurs du repérage précoce des TCA et comment faciliter leur intervention ? Ce sont les praticiens de première ligne (infirmières et médecins scolaires, généralistes, pédiatres) et les spécialistes consultés fréquemment pour des symptômes somatiques ou psychiques (tels que respectivement, aménorrhée, troubles digestifs, amaigrissement inexpliqués ou dépression, état anxieux, etc.). On pourrait faciliter leur action en les formant mieux aux symptômes des TCA, à leurs facteurs de risque. Par ailleurs on pourrait mener des actions de repérage dans les populations à risque (adolescents, milieux sportifs où le poids doit être contrôlé ou pour lequel la silhouette est soumise à des normes drastiques). Enfin, la structuration de l’offre de soins permettrait aussi aux acteurs de première ligne, d’orienter plus rapidement les patients vers des soins multidisciplinaires adaptés, gage d’une meilleure évolution. “ Il est aujourd’hui inconcevable de ne pas rechercher des TCA alors qu’on interroge nos patients sur le tabac, le cannabis, la sexualité ” 09 Interview COMMENT ACCOMPAGNER LES FAMILLES ? Les spécialistes s’accordent aujourd’hui sur la nécessité d’inclure la famille dans le processus de soins. Les associations de familles jouent un rôle important d’accueil et d’écoute qui est valorisé par les professionnels de santé. Quel message voudriez-vous transmettre à des parents qui viennent d’apprendre que leur enfant souffre d’anorexie mentale ou de boulimie ? u Bernard Cochy, Président de l’association Allo Anorexie Boulimie 44 Quel impact la maladie a-t-elle sur la vie familiale, celle des parents, de la fratrie ? Bernard Cochy : Au début un impact très négatif, fait de souffrances, d’incompréhensions, de culpabilité, de sentiment d’impuissance. Il est donc indispensable d’accompagner les familles et de les inclure dans le processus de soin. En participant à des groupes de parole, elles sortent de l’isolement, elles peuvent échanger avec d’autres parents, exprimer leur souffrance, retrouver de l’espoir par des témoignages positifs. Elles y trouvent également des conseils pour découvrir pas à pas les mécanismes et effets pervers de cette pathologie, revoir leur positionnement, soutenir l’enfant sans le surprotéger, réapprendre à vivre au quotidien, faire confiance au jeune malade et aux soignants. “ En participant à des groupes de parole, les familles sortent de l’isolement, elles peuvent exprimer leur souffrance trouver des conseils 10 ” BC : Ne surtout pas rester isolés, demander à leur médecin traitant de les aider à trouver des lieux et modes de prise en charge adaptés, pour leur enfant et pour eux. Les aider également à trouver une entraide associative spécialisée dans les TCA, dans un environnement proche si possible. Ils peuvent trouver ces renseignements sur les sites respectifs de l’AFDAS-TCA1 et de la FNA-TCA2, les fédérations de professionnels et celles des associations liées aux TCA (Troubles du comportement alimentaire). Il n’en existe malheureusement pas dans toutes les régions. Pour obtenir des informations, des conseils, une écoute, ils peuvent composer le numéro de la ligne d’écoute nationale, Anorexie Boulimie Info Ecoute 0810 037 037 (prix d’un appel local). Des professionnels de santé et des associatifs se relaient bénévolement pour leur répondre. Vous avez créé une association, Allo Anorexie Boulimie 44. Quelles sont vos relations avec les professionnels de santé et les lieux de soins ? C’est une véritable collaboration. Devenus membres à part entière du réseau de santé ABELA (Anorexie Boulimie En Loire-Atlantique), nous sommes conscients de notre chance et avons périodiquement des relations institutionnelles avec les professionnels du réseau, co organisons des conférencesdébats ouvertes au public. Deux ans après notre création, les professionnels nous ont confié l’organisation du groupe de parole pour les familles. Nous établissons également des relations avec les structures de soins de la région, prenant en charge les personnes souffrant de Troubles du Comportement Alimentaire (TCA) et leurs familles. Nous confrontons, chacun dans son rôle et place, nos vécus et expériences de la prise en charge et de l’accompagnement des patients et de leurs familles (1) A ssociation Française pour le Développement des Approches Spécialisées des Troubles du Comportement Alimentaire : www.anorexieboulimie-afdas.fr (2) F édération Nationale des Associations d’aide aux Troubles du Comportement Alimentaire : www.fna-tca. fr CONSULTEZ NOS SITES INTERNET ET SUIVEZ-NOUS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX > un annuaire des structures de soins spécialisés TCA (sur le site de l’AFDAS-TCA) > la liste des associations d’aide aux patients et aux familles (sur le site de la FNA-TCA) > l’actualité de la recherche > les recommandations de bonne pratique (Haute Autorité de Santé) pour la prise en charge de l’anorexie mentale et de la boulimie (à venir en 2015) > les dates des colloques et de la journée dédiée chaque année aux familles www.anorexieboulimie-afdas.fr @FNATCA www.fna-tca.fr @AFDASTCA Fna Tca La ligne d’écoute nationale "Anorexie Boulimie, Info écoute" est à votre disposition au 0810 037 037 (Numéro Azur: prix d'un appel local) Des médecins, des psychologues et des membres d’associations répondent à vos questions les lundi, mardi, jeudi et vendredi de 16H à 18H. Ajoutez votre voix à celles d’Edgar Morin, Nicolas Hulot, Valérie Lemercier, Tatiana de Rosnay, Philippe Jeammet, Marcel Rufo et bien d’autres en signant notre pétition à François Hollande « Anorexie mentale et boulimie : et si on arrêtait le gâchis ? » sur le site change.org : http://chn.ge/1uGhkqQ NOS PARTENAIRES La Fondation pour la Recherche en Psychiatrie et en Santé Mentale (FRPSM) www.psy-fondation.fr La Fondation de France www.fondationdefrance.org Les TCA en chiffres 600 000 jeunes souffrent de Troubles des Conduites Alimentaires en France. 28 % des adolescentes sont concernées par les crises de boulimie. 19 % d’entre elles déclarent avoir des stratégies de contrôle de poids. Les TCA constituent la 2e cause de mortalité prématurée chez les 15-24 ans, juste après les accidents de la route. Le taux de mortalité d’un jeune souffrant d’anorexie mentale est 12 fois plus élevé que celui des personnes du même âge, non malades. Les tentatives de suicide touchent jusqu’à 20% des anorexiques et 35% des boulimiques. L’anorexie mentale débute désormais dès l’âge de 8 ans. Ces formes précoces sont particulièrement sévères. 50% des personnes souffrant de TCA ne bénéficient pas d’une prise en charge médicale. Le délai d’attente avant une première consultation dans une structure spécialisée est de 2 à 3 mois en raison du nombre très important de demandes. Les crises de boulimie entraînent des dépenses alimentaires de plusieurs centaines d’euros par mois. Elles amènent certains patients ou leurs familles à des situations de surendettement.