Anorexie mentale et boulimie

Transcription

Anorexie mentale et boulimie
P É T I T I O N
adressée à François Hollande
pour demander un plan TCA
Anorexie mentale
et boulimie
ET SI ON ARRÊTAIT LE GÂCHIS ?
Coût individuel, familial, économique et social
des troubles du comportement alimentaire
Dossier
de presse
“

Des chiffres alarmants

L’importance du diagnostic précoce

Une offre de soins insuffisante

Patients, familles et professionnels se mobilisent
Les TCA ne sont pas un choix mais une réponse à un profond mal-être
Philippe Jeammet
Fédération Nationale des Associations d’aide aux TCA
”
d o ssier de p res s e
Anorexie mentale et boulimie
ET SI ON ARRÊTAIT LE GÂCHIS ?
P É T I T I O N
pour la mise en place d’un plan national de diagnostic précoce et de
développement des filières de soins des Troubles du Comportement
Alimentaire
Monsieur le Président,
La jeunesse était au cœur de vos engagements en 2012,
au début de votre mandat. La souffrance psychologique des adolescents
et des jeunes adultes est intolérable dans l’absolu mais elle a également
un coût pour la société française et c’est tout particulièrement le cas des
troubles des conduites alimentaires (anorexie mentale, boulimie et troubles
apparentés).
Ces troubles concernent plus de 600 000 jeunes en France.
Ils sont à l’origine d’un gâchis considérable. Il est révoltant de constater
qu’on en meurt encore trop souvent dans notre pays en 2014, faute d’une
offre de soins adaptée et suffisante. Il est inadmissible que ces troubles,
pourtant guérissables, puissent dégrader durablement la vie de ceux qui en
souffrent dans tous ses aspects: affectifs, familiaux, éducatifs, professionnels
et sociaux. Il est inacceptable que des familles ne puissent accéder, à une
distance raisonnable, à des lieux d’accueil et de soins spécialisés pour faire
soigner leur enfant et être accompagnées. Certaines ont les moyens de
traverser la France pour en trouver mais la majorité doit y renoncer.
Cette situation est d’autant plus regrettable qu’elle pourrait être évitée,
sur le modèle de ce qui est fait au Royaume Uni, en Suède et aux PaysBas, par le développement et la structuration au niveau national d’une offre
de soins spécialisés couvrant tout le territoire. Les études scientifiques ont
en effet montré qu’une prise en charge précoce et interdisciplinaire crée
les conditions favorables à la guérison et limite les effets néfastes de ces
troubles.
Nous vous demandons donc, qu’à l’instar de l’autisme et du suicide,
les troubles des conduites alimentaires, trop souvent ignorés et banalisés,
deviennent une priorité de santé publique et donnent lieu à un plan national
de diagnostic précoce et de développement des filières de soins. C’est
l’unique manière de mettre fin à la situation actuelle, indigne d’un pays qui
inscrit le droit à la santé pour tous dans sa Constitution.
02
Les premiers signataires
u
Fédération Nationale des Associations liées aux Troubles
du Comportement Alimentaire (FNA-TCA), représentant
les patients et leurs familles
u
Association Française pour le Développement des
Approches Spécialisées des Troubles du Comportement
Alimentaire (AFDAS-TCA), représentant les professionnels
u
Nicolas Hulot, journaliste, président fondateur de la Fondation
Nicolas Hulot pour la nature et l’homme
u
Philippe Jeammet, psychiatre, psychanalyste
u
David Le Breton, sociologue
u
de santé spécialistes des troubles du comportement
alimentaire
Valérie Lemercier, actrice, réalisatrice
u
Michela Marzano, philosophe, députée au parlement italien
u
Sabah Abouessalam, sociologue
u
Edgar Morin, anthropologue
u
Brigitte Ayrault, marraine de la Maison des Associations de
u
Véronique Nahoum-Grappe, sociologue
Nantes
u
Ali Benmakhlouf, philosophe, membre du Comité Consultatif
Mathilde Nobécourt, psychologue et éditrice
u
Valérie Pécresse, ancien ministre, députée des Yvelines
u
National d’Ethique
u
Alain Braconnier, psychiatre
u
Maryvonne Pinault
u
Antonio Casili, sociologue
u
Patrick Poivre d’Arvor, journaliste, écrivain
u
Bernadette Chirac, présidente de la Fondation Hôpitaux de
u
Véronique Poivre d’Arvor, co-fondatrice de la Maison de
Patrick Cottin, président de l’Association Nationale des
u
Christel Prado, présidente de l’Unapei, membre du CESE
Maisons des Adolescents (ANMDA)
u
Richard Rechtman, psychiatre, anthropologue
u
Sophie Davant, journaliste
u
Marcel Rufo, pédopsychiatre
u
Mireille Darc, actrice, réalisatrice
u
Patricia Schillinger, sénatrice du Haut-Rhin, aide-soignante
u
Jean-Paul Delevoye, président du Conseil Economique,
u
Antoinette Seillière
u
Paola Tubaro, sociologue
Environnemental
u
Jean-Luc Vénisse, psychiatre
u
Anne de Kervasdoué, gynécologue
u
Georges Vigarello, historien
u
Aude de Thuin, fondatrice du Women’s Forum for the
u
Jean-Didier Vincent, neurobiologiste, académicien
u
Fondation pour la Recherche en Psychiatrie et en Santé
Solenn
Paris – Hôpitaux de France
u
Social et Environnemental (CESE)
u
Antoine Dulin, membre du Conseil Economique, Social et
Economy and Society
u
Delphine de Vigan, écrivain, réalisatrice
u
Tatiana de Rosnay, écrivain
u
Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids (GROS)
u
Nicolas Dhuicq, député de l’Aube, psychiatre
u
Réseau ABELA (Loire Atlantique)
u
Roland Dumas, avocat, ancien ministre
u
Réseau TCA Francilien (Ile-de-France)
u
Bruno Falissard, directeur de l’Unité INSERM U669 –
u
Réseau TCA Méditerranée (Marseille, Toulon)
u
Réseau TCA Nord-Pas-de-Calais
u
Réseau TCA Poitou-Charentes
u
Réseau PARAD TCA (Auvergne)
Troubles du comportement alimentaire de l’adolescent
u
Claude Fischler, socio-anthropologue
u
Flavie Flament, journaliste
u
Jacqueline Fraysse, députée des Hauts-de-Seine, cardiologue
u
Serge Héfez, psychiatre
Mentale (FRPSM)
Si vous souhaitez ajouter votre voix à celle des premiers signataires, vous
pouvez signer la pétition en ligne, sur le site change.org à cette adresse :
http://chn.ge/1uGhkqQ
03
Interview
COMPRENDRE LES TCA
Les troubles des conduites alimentaires fascinent mais restent
incompréhensibles pour le grand public. Philippe Jeammet nous
donne à comprendre que l’anorexie mentale et la boulimie ne sont
pas des choix mais des réactions de défense pour apaiser une peur
et un mal-être qu’il s’agit d’identifier pour les désamorcer.
“
L’anorexie mentale et la boulimie sont des maladies
Si vous avez
des envies très fortes qui
vous font peur, vous allez
être obligé de constituer
un énorme barrage
”
très mystérieuses qu’il est difficile de comprendre de
l’extérieur. Comment pourriez-vous les présenter et
expliquer ce qui s’y joue de la façon la plus simple
possible ?

Philippe Jeammet : Les troubles des conduites alimentaires
peuvent apparaître comme des comportements liés à
des modes alors qu’ils ont existé de tout temps, plus
particulièrement dans certaines civilisations, celles qui sont
soumises à des stress importants. Il faut les voir, comme
d’ailleurs l’ensemble des troubles du comportement, comme
une réponse à des situations de peur et de menace. Cette
réponse est avant tout organique, biologique : c’est la peur
qui déclenche tout, sans que cela soit choisi. On ne décide
pas de devenir anorexique ou boulimique : ce sont des
comportements qui s’imposent parce qu’ils ont sur le moment
un effet d’apaisement. C’est pour cela qu’il est aussi difficile
aux patients de lutter contre : ils se sentent mieux.
On présente souvent les troubles des conduites
alimentaires, et l’anorexie mentale en particulier, comme
des situations de maîtrise absolue et de toute puissance
de la volonté. En vous écoutant, on comprend que ce
n’est en fait pas du tout le cas.
u Philippe Jeammet, Professeur émérite de
psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent,
ancien chef du service de psychiatrie de
l’adolescent et du jeune adulte à l’Institut
Mutualiste Montsouris (Paris)
04

PJ : C’est même une grave erreur de compréhension parce
que cela entraine des contre attitudes face aux patients. Ce
refus de s’alimenter prend une forme tellement spectaculaire
chez des jeunes gens par ailleurs bien insérés dans la réalité,
qu’il peut passer pour de la mauvaise volonté, pour une
façon de s’opposer, alors que ce n’est pas choisi et qu’il n’y a
aucune toute-puissance. Ces troubles ne constituent pas une
décision mais une réponse à un mal-être. Et une réponse qui
est toujours émotionnelle. Elle amène la personne à se sentir
mieux mais également à s’enfermer dans un comportement
qui va avoir des conséquences destructrices.
Si ces maladies constituent une réponse, même
inadaptée, à une peur et un mal-être, on comprend
mieux pourquoi il est aussi difficile pour les patients
de s’en détacher. Comment les y aider ?

PJ : La peur qui les habite est souvent méconnue des patients
qui, parce qu’ils tiennent à leur comportement, vont penser
qu’il est leur choix. Il faut donc les aider à comprendre ce qui
lui arrive : qu’ils sont dans une situation de tension ou de stress
et qu’ils y réagissent par ce comportement anorexique. Dès
les premiers signes, il ne faut pas les stigmatiser en parlant
tout de suite de maladie mais les aider à voir qu’il y a quelque
chose qui ne va pas et essayer d’en parler. Là où la personne
a tendance à s’enfermer, il faut ouvrir en parlant et au besoin
en allant voir un tiers. Il faut expliquer aux patients que le
comportement anorexique n’est pas un choix mais que, ce
qu’ils peuvent par contre choisir, c’est de comprendre que,
même si cela les soulage, le prix à payer est trop cher puisque
tous les effets que cela va avoir sur l’organisme peuvent aller
jusqu’à la mort.
Oui, c’est tout le paradoxe : cela peut aller jusqu’à la
mort alors que, derrière l’anorexie et la boulimie, il y a
un très grand appétit de vivre.
“
Ce qu’ils peuvent par
contre choisir, c’est de
comprendre que, même
si cela les soulage, le prix
à payer est trop cher
”
mangeant moins. C’est un mouvement basique qu’ont aussi
les animaux : dès qu’on est menacé, on se ferme. Avec la
conscience réflexive, l’être humain a la possibilité de sentir
s’il est actif ou passif et il n’est pas fait pour être impuissant,
avoir le sentiment que tout lui échappe. Alors il va retrouver
une activité mais dans le raidissement et la destructivité parce
que la créativité se joue dans la rencontre avec l’autre et qu’on
ne la maîtrise pas.
La prévention des troubles des conduites alimentaires

Ce n’est pas une conduite suicidaire. C’est au contraire une
façon de se protéger d’une menace. Les personnes souffrant
de troubles des conduites alimentaires ont à la fois un très
grand appétit de vivre mais très peu de confiance en elles.
Elles ont peur d’être débordées par leurs envies, de ne pas
être à la hauteur de cet appétit de vie. Si vous avez des
envies très fortes qui vous font peur, vous allez être obligé de
constituer un énorme barrage.
A vous entendre parler des troubles des conduites
alimentaires comme un raidissement face à une
peur, on a le sentiment qu’ils ne sont que le miroir
grossissant de notre manière de fonctionner
et de réagir.
peut donc notamment passer par un travail sur les
émotions, dont nous aurions tous grand besoin.
L’Organisation Mondiale de la Santé considère
même que ce sont des compétences indispensables,
à intégrer dans l’éducation de la jeunesse.

Notre compréhension des émotions est effectivement
moyenâgeuse. Nous restons attachés à l’idée d’un esprit
tout-puissant, détaché du corps et des émotions. Il faut sortir
de ces représentations et montrer le vrai rôle des émotions,
qui est central, pour comprendre le fonctionnement réel de
notre psychisme, la manière dont nous nous raidissons face à
la peur et les moyens d’éviter que cela ne débouche sur un
enfermement.

Les patients souffrant d’anorexie mentale et de boulimie
ne sont pas des personnes anormales. Ce qui leur arrive
est simplement l’exagération d’un mouvement que chacun
peut avoir. Quand on ne se sent pas bien, on va se raidir,
soit en faisant le tête, soit en s’enfermant chez soi, soit en
“
On ne décide pas de devenir anorexique ou
boulimique ces comportements s’imposent parce qu’ils ont
un effet d’apaisement
”
05
Interview
SOIGNER LES TCA
Une prise en charge précoce, multidisciplinaire et en réseau crée les
conditions favorables à la guérison. Peu de patients y ont cependant
accès, avec de lourdes conséquences sur l’évolution du trouble et
son impact sur leur vie affective, sociale et professionnelle.
LA NÉCESSITÉ PRISE EN CHARGE PRÉCOCE,
MULTIDISCIPLINAIRE ET EN RÉSEAU
Les troubles des conduites alimentaires se situent à
l’interface du corps et de l’esprit. Quelles vont être les
conséquences sur la prise en charge ?
u Dr Sophie Criquillion-Doublet,
psychiatre (Hôpital Sainte-Anne, Paris)

La prise en charge des TCA implique une coordination à
différents niveaux. Non seulement une collaboration entre
des somaticiens et des psychiatres et/ou psychologues mais
aussi, pour assurer une continuité dans le suivi des patients,
entre les équipes d’occupant d’enfants, d’adolescents ou
d’adultes, ainsi qu’entre les équipes hospitalières et libérales.
Les soins des TCA ne peuvent donc se concevoir qu’au travers
un réseau multidisciplinaire de thérapeutes interagissant avec
le patient et entre eux pour construire un plan de soin adapté
à chaque situation et à l’évolution des troubles.
L’hospitalisation est-elle systématique ? Quand
devient-elle nécessaire ?
u Pr Jean-Claude Melchior, professeur

Les soins en hospitalisation temps plein ne sont en aucun
cas la règle. Les soins sont, en dehors de l’urgence, toujours
d’emblée conduits en ambulatoire. L’hospitalisation devient
nécessaire en cas d’urgence somatique, psychologique ou
dans une situation où les soins ambulatoires ne permettent
pas une amélioration dans un délai acceptable, ou s’ils
s’avèrent impossibles.
de nutrition, président du Réseau TCA
Francilien (Hôpital Raymond Poincaré,
Garches)
“
Il existe en France des zones où l’offre de soins des
TCA est totalement inexistante, d’autres où seuls certains
besoins sont couverts
06
”
Comment faciliter l’action en réseau des différents
professionnels de santé impliqués ?

La mise en œuvre d’un réseau de collaboration locale
ou régionale est indispensable pour les patients mais
demande de la part des soignants (qui doivent être formés
aux spécificités de ces troubles) d’y consacrer un temps
considérable et de dépenser une énergie importante. Ce
travail devrait être soutenu par les pouvoirs publics au travers
de la reconnaissance de structures spécialisées labélisées
ayant pour mission de mettre en place et d’animer ces
réseaux. Il faudrait par ailleurs que le temps de coordination
entre professionnels soit valorisé financièrement comme un
temps du soin ; il est aujourd’hui entièrement bénévole.
UNE OFFRE DE SOINS TRÈS INSUFFISANTE, AVEC DE
LOURDES CONSÉQUENCES
Une telle prise en charge, multidisciplinaire et en
réseau, est-elle accessible pour tous les patients à un
coût, un délai et une distance raisonnable ?

Si l’on s’appuie sur l’annuaire réalisé par l’AFDAS-TCA qui
a recensé tous les lieux de soins accueillant les patients
souffrant de TCA en France spécialisés ou non (cet annuaire
vient d’être mis en ligne sur le site de l’AFDAS-TCA), il est
clair que non. Il existe en France des zones où l’offre de
soins des TCA est totalement inexistante, d’autres où seuls
certains besoins sont couverts (par exemple prise en charge
des adolescents mais pas des enfants ou des adultes ou soins
somatiques mais pas psychiatriques ou inversement). Par
ailleurs, dans les régions, comme en Ile de France où l’offre
existe, elle est totalement saturée et ne peut répondre à la
demande.
Quels sont les effets des difficultés d’accès aux soins
sur l’état de santé des patients ?

La ligne téléphonique « Anorexie Boulimie info écoute »
(0810 037 037) et les patients que nous rencontrons après des
parcours longs et complexes nous permettent de mesurer les
conséquences de cette situation au travers de témoignages
de patients : certains ne reçoivent pas de diagnostic et ou de
soins adaptés pendant des mois ou des années, d’autres en
trouvent à des heures de routes de chez eux et ne peuvent
s’y rendre régulièrement, d’autres attendent des mois avant
d’accéder à des soins. Cela a de lourdes conséquences :
complications somatiques pouvant entrainer la mort et des
effets secondaires irréversibles (ostéoporose, infertilité),
désinsertion sociale, rupture scolaire et professionnelle,
reconnaissance de handicap.
“
Certains patients ne
reçoivent pas de diagnostic
et ou de soins adaptés
pendant des mois ou des
années, d’autres en trouvent
à des heures de routes de
chez eux
”
L’IMPORTANCE DU DÉVELOPPEMENT DE LA
FORMATION ET DES FILIÈRES DE SOINS
Dans l’idéal, comment l’offre de diagnostic et de
soins devrait-elle être structurée (au niveau national,
régional, départemental, local) pour prendre en
charge correctement les patients ?

Il faudrait que le repérage précoce soit possible et plus rapide
au travers des soignants de proximité, avec la possibilité
d’un premier niveau de suivi adapté à proximité, ce qui
serait permis par des professionnels plus nombreux et mieux
formés ; ensuite il faudrait un deuxième niveau de soins
spécialisés au niveau départemental ou régional et enfin la
possibilité de bénéficier de structures de recours dans des
situations difficiles et/ou plus complexes.
Les professionnels de santé ont-il une formation
suffisante sur les TCA durant leurs études ?

La formation médicale initiale est de 2 à 4 heures, dans tout
le cursus des études de médecine. Certaines spécialités
bénéficient d’un complément variable (Psychiatrie,
Nutrition). Il existe des Diplômes Universitaires et Inter
Universitaires mais ils sont facultatifs et trop peu nombreux. Il
faudrait pouvoir intensifier la formation de tous les médecins
et des personnels paramédicaux de premier recours
pour le repérage, l’évaluation et l’orientation. Celle des
spécialistes plus particulièrement concernés devrait être plus
conséquente et intégrer un volet sur les soins spécialisés pour
les TCA. Les différentes spécialités n’ayant pas spontanément
l’habitude de travailler ensemble, il est par ailleurs nécessaire
de développer des formations pour que cette connaissance
et cette culture du travail multidisciplinaire et en réseau se
développent, au service des TCA.
07
Interview
PRÉVENIR LES TCA
La prévention des TCA doit se jouer à plusieurs niveaux : par une
action sur les facteurs de risque (estime de soi, anxiété) pour éviter
leur apparition et par une prise en charge dès les premiers symptômes
pour limiter le risque de complications somatiques, de chronicisation
et toutes les conséquences sociales.
“
Le repérage précoce est un enjeu majeur de la
prévention des Troubles du Comportement Alimentaire
Quels sont les principaux facteurs des TCA,
”
sur lesquels une politique de prévention primaire
peut agir ?
u Nathalie Godart, pédopsychiatre
(Institut Mutualiste Montsouris, Paris)

Des programmes de prévention sont développés à petite
échelle, principalement dans les pays anglo-saxons. Ils
ciblent la remise en question de l’idéalisation de la minceur
véhiculée par les médias chez les enfants et les adolescents
et l’acceptation de leur corps, ainsi que d’autres facteurs de
risque tels que l’estime de soi, la régulation émotionnelle
(anxiété, symptômes dépressifs). Agir sur ces deux derniers
facteurs pourrait permettre une prévention plus large, des
TCA mais plus globalement des troubles psychiques.
Vous insistez beaucoup sur l’importance de la
prévention secondaire : le diagnostic précoce.
u Renaud de Tournemire, pédiatre
(CHI Poissy Saint Germain-en-Laye),
Responsable de la commission
« Médecine de l’adolescent » à la Société
Française de Pédiatrie
08

En France, comme dans les autres pays occidentaux, moins
de la moitié des personnes souffrant de TCA déclarent avoir
été pris en charge pour ces troubles et cela a de lourdes
conséquences pour l’évolution de la maladie. Les études
scientifiques ont en effet montré que le repérage précoce
est un enjeu majeur pour les patients car une intervention
thérapeutique plus rapide est le gage d’une efficacité
supérieure des soins. L’aggravation des troubles au fil du
temps précipite les personnes malades dans un véritable
cercle vicieux : l’amaigrissement a des conséquences
psychologiques et la maladie s’auto-entretient, aboutissant à
des complications multiples, parfois mortelles.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)
distingue trois niveaux de prévention :
• la prévention primaire permet d’éviter
l’apparition de nouveaux cas
• la prévention secondaire correspond au
diagnostic précoce qui permet de prendre
en charge la maladie avant qu’elle n’ait
évolué
• la prévention tertiaire vise à réduire au
maximum les invalidités fonctionnelles
consécutives à la maladie.
L’isolement engendré par les TCA constitue aussi
On sait que les TCA peuvent avoir des complications
multiples. Quelles sont-elles et comment les
prévenir ?

Les TCA peuvent causer des problèmes somatiques tels
que des retards de croissance et des retards pubertaires,
ils impactent la fertilité des femmes en âge de procréer, ils
favorisent le développement d’une ostéoporose précoce,
ils causent des dégâts dentaires ayant des conséquences
fonctionnelles et esthétiques. Ils se compliquent aussi de
difficultés psychologique sincluant la dépression (dont
des dépressions du post partum), les troubles anxieux, les
troubles obsessionnels. Ils sont responsables de handicaps
(somatique, psychique et social). Et ils sont responsables
d’une mortalité prématurée considérable et évitable (de
6 à 12 fois celle de la population générale du même âge).
Les études scientifiques ont montré que la prise en charge
précoce et multidisciplinaire limite la survenue de ces
complications.
Quelle place les TCA tiennent-ils parmi les maladies
un cercle vicieux qu’il faut identifier et limiter pour
de l’enfance et de l’adolescence ?
prévenir leur aggravation.

Une étude épidémiologique a montré, aux Etats Unis, que
l’anorexie mentale était la troisième maladie chronique après
l’obésité et l’asthme. Si on élargit à l’ensemble des troubles
des conduites alimentaires, ils tiennent tout simplement une
place centrale. Il est aujourd’hui inconcevable de ne pas
rechercher des TCA alors qu’on interroge nos patients sur
des thématiques comme le tabac, le cannabis, la sexualité, le
sommeil, les idées suicidaires.

Oui, dans les premiers mois de la maladie on note un
isolement social important. Au collège ou au lycée, les pairs
s’éloignent. Cela entraine un cercle vicieux, en renforçant la
mésestime de l’individu concerné, déjà souvent importante.
Le comportement alimentaire même, du fait de bizarreries ou
d’une impossibilité de manger en présence de quelqu’un, vient
majorer cet isolement. Enfin, en cas de dénutrition sévère,
les hospitalisations, souvent longues, peuvent aussi, si l’on n’y
prend pas garde, accentuer le manque de liens. Le service de
Promotion de la Santé en faveur des élèves peut jouer un rôle
important à travers des Projets d’Accueil Individualisé ou le
maintien d’un lien pendant une hospitalisation.
Quels doivent être les principaux acteurs du
repérage précoce des TCA et comment faciliter
leur intervention ?

Ce sont les praticiens de première ligne (infirmières et
médecins scolaires, généralistes, pédiatres) et les spécialistes
consultés fréquemment pour des symptômes somatiques ou
psychiques (tels que respectivement, aménorrhée, troubles
digestifs, amaigrissement inexpliqués ou dépression, état
anxieux, etc.). On pourrait faciliter leur action en les formant
mieux aux symptômes des TCA, à leurs facteurs de risque.
Par ailleurs on pourrait mener des actions de repérage dans
les populations à risque (adolescents, milieux sportifs où
le poids doit être contrôlé ou pour lequel la silhouette est
soumise à des normes drastiques). Enfin, la structuration
de l’offre de soins permettrait aussi aux acteurs de première
ligne, d’orienter plus rapidement les patients vers des soins
multidisciplinaires adaptés, gage d’une meilleure évolution.
“
Il est aujourd’hui
inconcevable de ne pas
rechercher des TCA
alors qu’on interroge nos
patients sur le tabac, le
cannabis, la sexualité
”
09
Interview
COMMENT ACCOMPAGNER LES FAMILLES ?
Les spécialistes s’accordent aujourd’hui sur la nécessité d’inclure
la famille dans le processus de soins. Les associations de familles
jouent un rôle important d’accueil et d’écoute qui est valorisé par les
professionnels de santé.
Quel message voudriez-vous transmettre à des
parents qui viennent d’apprendre que leur enfant
souffre d’anorexie mentale ou de boulimie ?
u Bernard Cochy, Président de
l’association Allo Anorexie Boulimie 44
Quel impact la maladie a-t-elle sur la vie familiale,
celle des parents, de la fratrie ?

Bernard Cochy : Au début un impact très négatif, fait de
souffrances, d’incompréhensions, de culpabilité, de sentiment
d’impuissance. Il est donc indispensable d’accompagner
les familles et de les inclure dans le processus de soin.
En participant à des groupes de parole, elles sortent de
l’isolement, elles peuvent échanger avec d’autres parents,
exprimer leur souffrance, retrouver de l’espoir par des
témoignages positifs. Elles y trouvent également des conseils
pour découvrir pas à pas les mécanismes et effets pervers de
cette pathologie, revoir leur positionnement, soutenir l’enfant
sans le surprotéger, réapprendre à vivre au quotidien, faire
confiance au jeune malade et aux soignants.
“
En participant à des
groupes de parole, les familles
sortent de l’isolement, elles
peuvent exprimer leur souffrance
trouver des conseils
10
”

BC : Ne surtout pas rester isolés, demander à leur médecin
traitant de les aider à trouver des lieux et modes de prise
en charge adaptés, pour leur enfant et pour eux. Les aider
également à trouver une entraide associative spécialisée
dans les TCA, dans un environnement proche si possible. Ils
peuvent trouver ces renseignements sur les sites respectifs
de l’AFDAS-TCA1 et de la FNA-TCA2, les fédérations de
professionnels et celles des associations liées aux TCA
(Troubles du comportement alimentaire). Il n’en existe
malheureusement pas dans toutes les régions. Pour obtenir
des informations, des conseils, une écoute, ils peuvent
composer le numéro de la ligne d’écoute nationale, Anorexie
Boulimie Info Ecoute 0810 037 037 (prix d’un appel local).
Des professionnels de santé et des associatifs se relaient
bénévolement pour leur répondre.
Vous avez créé une association, Allo Anorexie
Boulimie 44. Quelles sont vos relations avec les
professionnels de santé et les lieux de soins ?

C’est une véritable collaboration. Devenus membres à part
entière du réseau de santé ABELA (Anorexie Boulimie En
Loire-Atlantique), nous sommes conscients de notre chance
et avons périodiquement des relations institutionnelles avec
les professionnels du réseau, co organisons des conférencesdébats ouvertes au public. Deux ans après notre création,
les professionnels nous ont confié l’organisation du groupe
de parole pour les familles. Nous établissons également
des relations avec les structures de soins de la région,
prenant en charge les personnes souffrant de Troubles du
Comportement Alimentaire (TCA) et leurs familles. Nous
confrontons, chacun dans son rôle et place, nos vécus et
expériences de la prise en charge et de l’accompagnement
des patients et de leurs familles
(1) A
ssociation Française pour le Développement des Approches Spécialisées
des Troubles du Comportement Alimentaire : www.anorexieboulimie-afdas.fr
(2) F
édération Nationale des Associations d’aide aux Troubles du
Comportement Alimentaire : www.fna-tca. fr
CONSULTEZ NOS SITES INTERNET ET SUIVEZ-NOUS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
> un annuaire des structures de soins spécialisés TCA (sur le site de l’AFDAS-TCA)
> la liste des associations d’aide aux patients et aux familles (sur le site de la FNA-TCA)
> l’actualité de la recherche
> les recommandations de bonne pratique (Haute Autorité de Santé) pour la prise en charge de
l’anorexie mentale et de la boulimie (à venir en 2015)
> les dates des colloques et de la journée dédiée chaque année aux familles
www.anorexieboulimie-afdas.fr
@FNATCA
www.fna-tca.fr
@AFDASTCA
Fna Tca
La ligne d’écoute nationale "Anorexie Boulimie, Info écoute"
est à votre disposition au
0810 037 037
(Numéro Azur: prix d'un appel local)
Des médecins, des psychologues et des membres d’associations répondent à vos questions les lundi, mardi,
jeudi et vendredi de 16H à 18H.
Ajoutez votre voix à celles d’Edgar Morin,
Nicolas Hulot, Valérie Lemercier, Tatiana
de Rosnay, Philippe Jeammet, Marcel Rufo
et bien d’autres en signant notre pétition
à François Hollande « Anorexie mentale et
boulimie : et si on arrêtait le gâchis ? » sur le
site change.org : http://chn.ge/1uGhkqQ
NOS PARTENAIRES
La Fondation pour la Recherche en Psychiatrie et en Santé Mentale
(FRPSM)
www.psy-fondation.fr
La Fondation de France
www.fondationdefrance.org
Les TCA en chiffres
600 000 jeunes souffrent de Troubles des Conduites
Alimentaires en France.
28 % des adolescentes sont concernées par les crises de boulimie.
19 % d’entre elles déclarent avoir des stratégies de contrôle de poids.
Les TCA constituent la 2e cause de mortalité prématurée chez
les 15-24 ans, juste après les accidents de la route.
Le taux de mortalité d’un jeune souffrant d’anorexie mentale est
12 fois plus élevé que celui des personnes du même âge, non
malades.
Les tentatives de suicide touchent jusqu’à 20% des anorexiques
et 35% des boulimiques.
L’anorexie mentale débute désormais dès l’âge de 8 ans.
Ces formes précoces sont particulièrement sévères.
50% des personnes souffrant de TCA ne bénéficient pas d’une
prise en charge médicale.
Le délai d’attente avant une première consultation dans une
structure spécialisée est de 2 à 3 mois en raison du nombre très
important de demandes.
Les crises de boulimie entraînent des dépenses alimentaires de
plusieurs centaines d’euros par mois. Elles amènent certains
patients ou leurs familles à des situations de surendettement.