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Psycho-éducation GETTY Les premières sont les interventions qui portent sur les accompagnants des malades. Pour rappel, 70% des personnes atteintes de maladie d’Alzheimer ou d’autres formes de démence vivent à leur domicile ou celui d’un proche, ce qui n’est possible que quand des aidants proches (le plus souvent le conjoint ou un des enfants) se charge ALZHEIMER: LES APPROCHES NON MÉDICAMENTEUSES Comprendre pour mieux soigner Ce n’est qu’en formant mieux les personnes appelées à entourer les malades d’Alzheimer qu’on pourra mieux gérer l’augmentation de cette maladie dans les années à venir. KARIN RONDIA I l faut parfois oser dire les choses : la maladie d’Alzheimer est en passe de devenir pour certains un marché colossal en même temps qu’un enjeu politique majeur. Ainsi par exemple, cet automne, un « train Alzheimer » sillonnera la France et fera halte dans 15 grandes villes. Le visiteur y sera accueilli par le portrait de Nicolas Sarkozy, vantant son plan Alzheimer, puis il découvrira les stands des firmes pharmaceutiques, ceux des logiciels de « musculation cérébrale » et des consoles de jeux adaptées aux personnes âgées, ceux des assurances contre la dépendance, des bracelets électroniques et 44 ÉQUILIBRE SEPTEMBRE 2011 autres « solutions » technologiques coûteuses, ceux des aliments liquides fortifiants, des chaînes d’établissements spécialisés privés qui accueillent les malades, etc. Histoire de bien convaincre les Français que consommer encore et toujours plus de biens et de services résoudra l’équation amère du vieillissement de la population et de son cortège de conséquences. Médicaments inefficaces En réalité, il est aujourd’hui notoire que les médicaments sont peu efficaces et que la recherche biomédicale patauge. Pour faire face à cette maladie, il faut d’urgence appréhender le problème à bras le corps dans toutes ses dimensions, c’est-à-dire investir dans la recherche en sciences humaines, en sciences sociales et en santé publique. En d’autres mots, il faut renoncer à guérir ce qui ne pourra sans doute jamais l’être (à moins de trouver la fontaine de jouvence permettant de remonter le cours du vieillissement), et plutôt mobiliser nos ressources humaines et sociales pour mieux entourer ceux qui en sont atteints. En 2009, le KCE, centre fédéral d’expertise en soins de santé, publiait un premier rapport soulignant le peu d’efficacité des médicaments actuellement sur le marché, qui ne stoppent pas l’évolution de la maladie et ne parviennent à maîtriser – temporairement – les symptômes que chez un patient sur dix. En juillet dernier, le KCE a rendu public un deuxième rapport, approfondissant cette fois la question des « interventions non médicamenteuses ». d’accompagner le malade. Une tâche d’un immense dévouement (voir aussi p. 36)... mais que trop affrontent sans aucune préparation. « Ces personnes vont devoir faire face à des deuils successifs au fur et à mesure du lent déclin de leur proche, explique le Dr Jean-Christophe Bier, neurologue à l’Hôpital Érasme. C’est pourquoi il est primordial de leur offrir non seulement un soutien, mais aussi une réelle formation pour leur permettre à la fois de comprendre la maladie, les comportements parfois déroutants qu’elle peut occasionner mais aussi d’apprendre des stratégies pour y faire face, et des techniques pour contrôler leur propre stress sans s’épuiser ou sombrer dans le désespoir. » Il a mis sur pied, avec son équipe, un programme de « psycho-éducation » qui comprend 12 séances d’information. On y aborde tant les problèmes cognitifs (perte de mémoire, perte des habiletés manuelles...) que les troubles du comportement (agressivité, agitation...), notamment en faisant appel à des techniques telles que des jeux de rôle. « Cela permet à l’accompagnant de se mettre en situation pour anticiper un problème, mais aussi de se mettre dans la peau du malade et de percevoir à quel point c’est difficile pour lui aussi, reprend le Dr Bier. Par exemple, un malade qui est persuadé qu’il voit son père (ou sa mère, ou son conjoint) vivant alors que celui-ci est décédé suscite au premier abord chez l’aidant proche de l’agacement (‘Je t’ai déjà dit que ce n’était pas possible !’) mais il faut aussi comprendre toute la détresse qu’une telle idée peut apporter à la personne malade, pour pouvoir l’aborder avec compréhension et empathie. » De telles approches exercent incontestablement, et bien plus que les médicaments, un effet positif sur la qualité de vie de la personne souffrant de démence et sur celle de son entourage. Les proches ainsi soutenus sont plus efficaces dans leurs soins, tiennent mieux le coup, et se sentent moins isolés. « Un effet inattendu mais fort sympathique est la création spontanée d’un nouveau réseau d’amis, avec lesquels la maladie n’est plus un tabou », ajoute JeanChristophe Bier. On peut espérer que cette preuve d’efficacité encouragera les pouvoirs publics à mieux financer ces initiatives qui, faute de moyens, sont encore très rares dans notre pays. Formation du personnel soignant Dans le même ordre d’idées, il est indispensable de former le personnel des maisons de repos à un accompagnement adéquat de leurs résidents désorientés. Neuropsychologue à l’asbl Le Bien Vieillir, Valentine Charlot donne souvent ce genre de formations. « Ce qui est très encourageant, c’est que les effets d’une telle sensibilisation du personnel sont immédiats, sourit-elle. Par exemple, une explication, même très simple, sur le fonctionnement de la mémoire permet aux soignants (et aux familles d’ailleurs) de comprendre immédiatement pourquoi le malade pose tout le temps la même question. Or, comprendre fait qu’on ne s’exaspère plus – ou moins vite –, qu’on ne perd plus du temps à raisonner mille fois la personne et qu’on arrive à lui répondre de manière à calmer son incessant questionnement. C’est valorisant et cela contribue à lutter contre l’épuisement du personnel. » Chacun a son rôle à jouer : « La femme d’ouvrage qui range la chambre d’un malade à sa façon ne se rend pas toujours compte de l’anxiété que cela peut provoquer chez la personne désorientée. » Le travail avec les kinés permet de les sensibiliser à l’importance d’encourager les malades à marcher, ou simplement à se tenir debout. « Il faut alors lutter contre les craintes des familles qui disent ‘S’il marche, il va tomber !’, à quoi nous répondons : ‘S’il ne marche plus, il va perdre toutes ses forces et péricliter plus vite’. C’est toute une mentalité à faire évoluer. » Dans les maisons de repos, ce sont surtout les comportements identifiés comme « agressifs » qui posent problème ; or, il est prouvé que du personnel correctement formé à l’accompagnement travaillera dans un plus grand respect de la personne, et obtiendra moins de comportements problématiques. « Une agitation, un comportement agressif sont souvent le résultat d’une anxiété inexprimable par la personne. Tenter d’en comprendre la raison, même si cela prend du temps, est toujours plus profitable que d’avoir recours à des contentions. Car si vous attachez la personne à son fauteuil, elle va s’angoisser de plus belle, crier et s’agiter. Après quoi on en viendra peut-être à lui donner des calmants, et c’est un cercle vicieux qui s’enclenche. » Valentine Charlot évoque l’exemple d’une dame âgée qui était toujours très agitée après la visite de sa fille : « En s’interrogeant avec l’équipe, on a compris que sa fille s’éclipsait toujours très discrètement pendant que sa maman somnolait, probablement en proie à un sentiment de culpabilité lié au fait de repartir. Et la maman, désarçonnée par ces disparitions, exprimait son angoisse par des cris de détresse. En parler ouvertement avec la fille a permis l’aider à dépasser sa culpabilité et de mettre en place un ‘au revoir’ en douceur. Et la maman n’a plus crié. » Il existe de plus en plus de formations proposées aux maisons de repos : musicothérapie, aromathérapie, toucher relationnel, snoezelen... ; certaines comme la Validation® ou l’Humanitude® sont même des marques déposées. Mais ce nouveau marché n’est pas encore très sérieusement balisé et il n’existe pas de données scientifiques prouvant l’efficacité de ces approches. Un constat que le KCE tempère dans son rapport en précisant que cela ne signifie pas que ces traitements » SEPTEMBRE 2011 ÉQUILIBRE 45 PSYCHO Révélateur, espérons-le, d’une prise de conscience salutaire par les pouvoirs publics que continuer à rembourser de très coûteux médicaments inutiles ne suffira pas à endiguer le problème de société que constituera à moyen terme une population de plus en plus âgée avec un pourcentage croissant de personnes désorientées. Mais ce n’est pas parce que les sciences humaines ne sont pas des sciences exactes qu’on peut faire l’impasse sur leurs preuves d’efficacité. Les experts du KCE ont donc analysé, dans la littérature scientifique internationale, les données relatives à 30 sortes d’interventions non médicamenteuses. Ils sont arrivés à la conclusion que quatre types d’approches pouvaient bel et bien améliorer la qualité de vie des personnes atteintes et de leur entourage. PSYCHOLOGIE THS La stimulation cognitive doit se faire sur base des activités qui comptent vraiment aux yeux de la personne. » soient inefficaces : il existe simplement trop peu d’études scientifiques à leur sujet pour pouvoir tirer des conclusions. Pour Valentine Charlot, il s’agit là d’outils qui peuvent avoir leur intérêt, mais le travers dans lequel il faut éviter de tomber est de penser qu’ils conviennent à tout le monde et qu’ils apportent des solutions universelles. « Le plus important reste d’observer le malade, de s’interroger sur le sens de son comportement. On doit toujours se poser la question du pourquoi. Il n’y a pas toujours de réponse, mais cela permet au moins d’envisager l’autre comme une personne à part entière. » Une troisième catégorie d’interventions utiles est celle de l’activité physique, qui non seulement améliore la condition physique de la personne atteinte (meilleure résistance aux maladies, meilleur équilibre...), mais exerce aussi un effet bénéfique sur son moral et son autonomie tout en la maintenant dans un réseau social actif. Nous avons largement développé cet aspect dans EQ n°58 (article sur l’asbl Gym-sana), aussi nous ne nous y attardons pas ici. Stimulations cognitives Quant à la quatrième catégorie d’interventions, les stimulations cognitives, elles rassemblent moins de preuves d’efficacité alors que, paradoxalement, ce sont celles qui sont le plus souvent pratiquées, via les « ateliers-mémoire » et autres exercices de « musculation » pour neurones défaillants. Des activités qui suscitent le plus grand agacement du Pr Stéphane Adam, qui enseigne la psychologie du vieillissement à l’ULg... et qui est pourtant un des grands spécialistes des approches cognitives de la maladie ! « On assiste à une véritable récupération commerciale du concept de stimulation cognitive, assène-t-il. On a 46 ÉQUILIBRE SEPTEMBRE 2011 beaucoup entendu dire qu’il fallait faire travailler sa mémoire pour diminuer son risque de maladie d’Alzheimer. Alors on soumet les malades à des séances de jeux de mémorisation, de résolutions de problèmes, on leur propose des grilles de sudoku, sans parler de tous ces logiciels qui promettent de gagner des points aux tests de mémoire. Tout cela se base sur une vision simpliste du fonctionnement de notre cerveau. On peut transformer les malades en champions de sudoku, ils continueront à perdre le chemin pour retourner dans leur chambre ! » Car en effet, si ces activités permettent adaptée à chaque patient. En sélectionnant des tâches choisies par eux en fonction de leurs propres centres d’intérêt – que ce soit du tricot ou la visite de musées – et en travaillant avec eux, non pas à récupérer leur mémoire mais à consolider leurs capacités préservées et leurs automatismes. Car ceux-ci restent bien ancrés dans les neurones et permettent de fonctionner de manière autonome pendant étonnamment longtemps, malgré la progression de la maladie. « Je pense à cette dame qui avait toujours aimé dessiner. Or dans les tests classiques, on demande aux patients de reproduire une figure géométrique simple ; mais dessiner, ce n’est pas faire des figures géométriques ! La dame n’y parvient pas et se stresse d’autant plus. Alors, nous lui demandons de nous dessiner simplement quelque chose. Elle refuse, disant que le dessin ne l’intéresse plus. C’est classique : au lieu d’admettre qu’on éprouve de plus en plus de difficultés à faire une chose, on décrète que cela ne nous intéresse plus. Nous insistons un peu... et voilà qu’elle nous esquisse une tomate magnifique, comme je Ce qui compte n'est pas de gagner des points aux tests de mémoire, mais de consolider des activités qui améliorent vraiment la qualité de vie. parfois, à force d’entraînement, de récupérer l’un ou l’autre « point » sur les tests d’évaluation de la mémoire tels que le MMSE (Mini Mental State Evaluation, le test de référence des études sur la mémoire), cela ne se traduit, selon Stéphane Adam, par aucune amélioration de la qualité de vie. « Que du contraire, en exhortant sans cesse ces personnes à faire des exercices répétitifs et dénués d’intérêt, on les confronte à leur déclin cognitif, on les focalise sur leurs symptômes déficitaires... Différents éléments permettent de penser que cela pourrait même conduire à une augmentation de leur anxiété et de leur dépression, ce qui est plutôt douteux sur le plan éthique.... Lutter contre la maladie d’Alzheimer, c’est bien plus vaste qu’améliorer un score de mémoire ! » Aucun intérêt, alors, la stimulation cognitive ? Si ! Mais appliquée de manière serais bien incapable de dessiner moi-même. Que s’est-il passé ? Elle a enclenché un automatisme. Elle a toujours été douée pour le dessin, elle le restera encore longtemps. Et ça, non seulement c’est plus important à ses yeux que de devenir championne de sudoku, mais cela change aussi le regard que ses proches posent sur elle. » Il y aura de plus en plus de personnes atteintes de déclin cognitif – qu’on appelle cela maladie d’Alzheimer ou autre chose. Aucune solution toute faite ne nous tombera du ciel. Mais si nous essayons de mieux comprendre ce qui se passe dans l’esprit de ceux qui en sont atteints, nous pourrons mieux les accompagner. C’est une question de respect, de considération et de solidarité. Le rapport n° 160B du KCE est lisible sur le site www.kce.fgov.be