Locmariaquer (56). Le tumulus d`Er Grah. Rapport de sondage

Transcription

Locmariaquer (56). Le tumulus d`Er Grah. Rapport de sondage
g
Charles-Tanguy LE ROUX
Jean-Yves TINEVEZ
LOCMARIAQUER
(Morbihan)
Tumulus d ' ER - G RAH
(56. 116. 008.AP)
Campagne
et
de
de
sondages
complémentaires
surveillance
de
travaux
( 1994 )
Direction régionale des Affaires culturelles de Bretagne
Service régional de l'Archéologie
-
Décembre 1994
^30
Charles-Tanguy LE ROUX
Jean-Yves TINEVEZ
LE
TUMULUS
T> ' ER-GRAH
A
LOCMARIAQUER
(Morbihan)
Campagne de sondages complémentaires
et suivi des travaux d'aménagement - restauration
(avril - septembre 1994)
I - Présentation générale
A - Le site
Le complexe mégalithique qui rassemble, au nord du
bourg de Locmariaquer, les trois monuments majeurs de la
Table-des-Marchand, du Grand-Menhir et du tumulus d'Er-Grah
est globalement saisi, sur la Carte archéologique, sous la
référence 56.116.008.AP. Dans cet ensemble, le monument
d'Er-Grah occupe les parcelles n° 126, 127, 145 et 146,
ainsi qu'une vaste zone non cadastrée de la section BD. et
des extensions dans les parcelles riveraines 282 à 292.
La partie centrale du monument (hors-parcelle) et le
n° 127 sont propriétés communales depuis 1964. Depuis les
acquisitions opérées en 1988, la partie nord ( 145 - 146)
est propriété départementale. L'achat des bordures sud-est
et sud, qui était également prévu par le Département au
démarrage du programme, en 1985, n'a pu être réalisé qu'en
1991, la libération définitive des servitudes de passage
n'étant intervenue qu'au printemps 1994.
On rappellera que le tumulus d'Er-Grah s'étire sensiblement du nord au sud sur environ 140m de long, à peu près
suivant la ligne de crête à peine marquée de la presqu'île.
Celle-ci est très légèrement déclive vers le sud,
tude moyenne étant de 13m N.G.F.
l'alti-
B - Historique des recherches
L'intervention de 1994 représente l'épilogue de l'ambitieux programme lancé sur l'ensemble du complexe mégalithique en 1986. Celui-ci comportait l'intervention coordonnée de deux équipes, l'une animée par J. L'Helgouach
(C.N.R.S.) prenant en charge l'étude de la Table-desMarchand, du Grand-Menhir et de leurs abords et l'autre,
pilotée par nous-mêmes (S.D.A.), prenant en charge la levée
des contraintes archéologiques à l'emprise du nouveau cimetière projeté à l'ouest du site (1986) puis l'étude du
tumulus d'Er-Grah.
Sur ce dernier monument, six campagnes de fouilles se
sont succédées de 1987 à 1992, dans le cadre de deux autorisations triannuelles (1986-1988 et 1989-1991), suivies
d'une
campagne
complémentaire
(1992).
Parallèlement,
l'équipe du C.N.R.S. avait été amenée à solliciter une
troisième
autorisation
triannuelle
(1992-1994)
devant
l'ampleur des découvertes effectuées aux abords du GrandMenhir. Nous ne pouvons bien entendu que renvoyer aux
rapports
de
synthèse
des
deux précédentes
campagnes
triennales.
Les retards pris dans les acquisitions foncières ne
nous avaient pas permis de solder comme espéré le programme
envisagé pour la campagne 1992. Les problèmes liés à
l'occupation prémégalithique du site dans sa partie nord
(sous le cairn primaire et notamment au sud du caveau)
avaient pu être traités comme prévu par l'étude du vieuxsol, des fosses et foyers et du dépôt sacrificiel de deux
bovidés ; par contre, plusieurs points importants étaient
restés en suspens dans la partie sud du monument, en raison
notamment de l'impossibilité qu'il y avait encore à l'époque de fouiller l'emprise du chemin privé desservant la
parcelle BE 282 avec droit de passage pour les voisines.
C - Les fouilles de 1992 au sud d'Er-Grah
1 - Dans l'angle sud-est (secteur M)
Dès l'acquisition de la partie ouest de BE 282, un
dessouchage contrôlé du bosquet de cyprès qui l'occupait
avait permis d'y ouvrir un double décapage en AD-AG 53
("secteur M"), de part et d'autre du passage non encore
maitrisé.
Le plus important d'entre eux, au nord de cette voie,
avait effectivement retrouvé le prolongement de la bordure
pierreuse orientale du monument, déjà bien connue dans le
secteur I depuis la première campagne triennale. La disposition à trois parements parallèles était en particulier
bien conservée sur 2m de long, entre deux perturbations
3
dues à des souches de cyprès. Plus au sud, les parements
étaient complètement détruits mais le tracé du plus externe
a pu être suivi grâce à l'empreinte laissée dans le sol par
l'assise de base ; on pressentait ainsi un arrondi et le
départ à 120°, en direction du sud-ouest, de ce qui devait
être l'extrémité méridionale du monument.
L'arrêt du tumulus à ce niveau semble confirmé par le
sondage complémentaire AG 53, au sud du chemin. Ce dernier
n'a rencontré aucune structure susceptible d'être attribuée
au monument; les coupes montrent en effet, de haut en bas:
- un apport moderne avec, à côté du gravillonnage de
l'allée, un lit de moellons formant fondation de clôture en
limite de parcelle,
- une masse de limon gris remanié (avec restes de bois
pourri), épaisse de 40 à 50cm et résultant manifestement de
1'épandage du prolongement sud du tumulus en 1964,
- un lit de pierres irrégulières,
- un sol brun foncé moulant les aspérité du substratum
granitique dont le principal pointement avait manifestement
été attaqué anciennement.
Dans l'emprise du sondage, ce vieux sol a révélé les
traces de deux petites fosses ovalaires peu profondes ; il
a également livré des tessons néolithiques épars, de sorte
que l'on peut le paralléliser avec le niveau "pré-Tabledes-Marchand" étudié par l'équipe de J. L'Helgouach.
Pour revenir aux parements latéraux du tumulus, on
notera que la largeur totale du massif pierreux dépasse 5m
en AD 52-53 (sa bordure interne ayant été atteinte dans une
extension du décapage). Cette structure bordière orientale
s'élargit donc progressivement vers le sud (rappelons
qu'elle n'atteint pas 2m à son départ du cairn primaire, en
1 53-54). Une disposition symétrique s'observe côté ouest
où la largeur de la bordure passe de 1,5m au nord (en I 50)
à 4m en AG 48, l'élargissement des bordures allant de pair
avec l'élargissement du monument lui-même.
2 - Dans l'angle sud-ouest (secteur J)
Dès 1988, les parements occidentaux de l'extension sud
avaient été dégagés sur toute leur longueur (plus de 80m)
entre le cairn primaire et la voie privée prolongeant la
parcelle BE 282. Il avait alors semblé que l'arrêt observé
en limite de fouille pouvait correspondre, non à un accident de conservation mais à l'extrémité réelle de la structure (en particulier, une grande pierre corniforme en remploi paraissait marquer un angle du parement externe).
Pour préciser la stratigraphie de ce secteur, un petit
sondage avait été opéré en 1992 dans l'étroit espace disponible entre l'extrémité des parements conservés et la voie
privée. Faute d'un recul suffisant, les résultats n'avaient
pas été décisifs, même si l'hypothèse d'un arrêt effectif
du tumulus à ce niveau semblait se préciser, avec implantation des parements sur un débordement du noyau limoneux
(comme cela avait été noté pour la façade ouest en AB - AG,
4
dès 1992). D'autre part, un cailloutis séparant la base de
ce limon d'un vieux sol brun avait été, à titre d'hypothèse, parallélisé avec le niveau d'occupation "pré-Table-desMarchand" de la fouille sud.
II - LES SONDAGES COMPLEMENTAIRES DE 1994
La campagne 1994 a enfin permis de prendre le recul
nécessaire et de faire la jonction entre les deux chantiers
d'Er-Grah et du Grand-Menhir par une extension vers le
nord-ouest des bandes décapées en SE-RA et ZU-XO de ce
dernier, jusqu'au contact avec les structres du tumulus (en
AH 48 et AG 49-51 de celui-ci). Pour ce qui nous concerne
ici, ce travail, mené en commun par les deux équipes, a
apporté quelques informations essentielles.
A - LIMITE SUD DU TUMULUS
Quelques moellons alignés dans le prolongement de
l'arrêt des parements ouest,
en SA-SE 40,
confirment
définitivement l'hypothèse de l'arrêt du tumulus à ce
niveau.
En outre,
l'alignement quasi-parfait de cette
structure avec la série de blocs qui avait été dégagée dès
1992 en SI-SU 38 (AH 50) et dont la position très superficielle, sensiblement en bordure de la voie privée, avait
alors pu faire douter de l'ancienneté, amène à proposer un
tracé complet de l'extrémité sud d'Er-Grah, jusqu'à se raccorder avec l'angle sud-est.reconnu en AF 53 (D-F 40-42).
On aboutit ainsi à un tracé en "proue de péniche"
assez classique malgré un sensible déport de 1'étrave vers
l'ouest, tout le pan coupé sud-est apparaissant curieusement sub-parallèle à la file des calages mis au jour au
nord-est du Grand Menhir.
B - OBSERVATIONS STRATIGRAPHIQUES
1 - Dans l'angle sud-ouest
L'identification du cailloutis repéré sous le limon
formant le coeur du tumulus avec la surface "Tré-Table des
Marchand" a été confirmée, notamment par la présence d'un
abondant matériel céramique à ce niveau mais, de plus, on a
pu mettre en évidence le recouvrement, par ce limon relativement meuble et grisâtre, de celui, plus clair et plus
compact, qui forme le tertre associé au Grand Menhir.
D'autre part, les restes de la bordure pierreuse de
l'extrémité sud d'Er-Grah sont tous superficiels et reposent clairement sur des débordements importants du limon
gris, à la différence de ce que l'on observait pour le
parement oriental qui, angle sud-est compris, était directement au contact du substratum. Quelques "bavures" sousjacentes au parement ouest, avaient bien été repérées, mais
elles restaient très modestes
avons pu observer ici.
par
rapport
à ce
que nous
Il semble donc que la fermeture du tumulus au sud ait
été une opération tardive et peu "struc-turante" par rapport à l'architecture générale du monument.
2 - Dans la partie centrale
Le prolongement vers le nord-ouest de la bande décapée
en ZO-XO jusqu'à recouper l'extrémité supposée d'Er-Grah
(totalement aplanie à cet endroit pour la réalisation du
parking de 1964), s'est heurtée à l'obstache de larges et
profondes perturbations sous l'emprise de la voie privée.
a) - les structures profondes
La coupe est, la plus explicite, montre clairement un
massif argileux compact, apparemment résiduel entre deux
zones remaniées. Immédiatement au nord de la fouille de
1992 (bandes 38 et 39). En plan, celui-ci part obliquement
vers le sud et enveloppe une travée de très gros moellons
qui se raccorde avec celle déjà dégagée par l'équipe de J.
L'Helgouach, jusqu'en XO 32.
A l'époque, cette structure linéaire, désormais reconnue sur près de 10m de long, avait été clairement perçue
comme postérieure au niveau d'occupation " Pré-Table-desMarchand" mais, apparaissant au milieu de multiples perturbations, son ancienneté réelle n'avait pu être alors mise
en évidence.
L'extension de la fouille montre qu'il s'agit là d'un
dispositif ancien qui, avec sa gangue d'argile (apparemment
surtout développée du côté nord-ouest autant qu'on puisse
en juger d'après les rares lambeaux encore en place) parait
avoir contribué à structurer les niveaux profonds de ce
secteur. Le lit de terre brune qui, dans toute cette partie
de
la fouille,
constitue
le paléosol
"Pré-Table-desMarchand" devient en effet beaucoup plus épais au nordouest de la structure, la profondeur des multiples perturbations ne suffisant pas à expliquer le caractère systématique de cette différence de niveau, particulièrement nette
dans la coupe est (en ZU 38-42).
Non seulement la surface supérieure de ce sol est plus
haute de 20cm, mais la couche descend en profondeur sur
plus de 60cm, comme s'il s'agissait du comblement d'une
fosse dont les limites n'ont pas été reconnues dans l'emprise du sondage et qui parait s'engager de manière notable
sous le tumulus.
Si le sens de cette structure linéaire reste énigmatique, on peut du moins noter qu'elle est sub-perpendiculaire
à une autre travée pierreuse, reconnue en 1990 sous le
parement ouest, en AF 48. On peut donc envisager que l'extension sud d'Er-Grah ait elle aussi recouvert des structures préexistantes, apparemment très différentes de celles
déjà étudiées sous le cairn primaire (et aussi de celles
6
recouvertes par la Table-des-Marchand). On ne peut que
regretter l'ampleur des perturbations superficielles rencontrées dans ce secteur (XO-ZO / 32-37)par l'équipe de J.
L'Helgouach (elles touchaient la travée pierreuse en maints
endroits et, par place, frôlaient presque le niveau d'occupation ) .
La coupe ouest montre, à la base de sa partie méridionale (XI 38-39), un petit massif résiduel de limon gris
clair, compact mais finement lité de brun. Cette texture
rappelle ce qui avait été observé en 1987-88 au nord-est de
l'extension sud (secteur E, en
G-H / 52-53 ) et qui avait
été clairement reconnu comme une structure de remblai en
mottes. Ici, nous sommes encore dans l'emprise du tumulus,
mais la profondeur de ce massif amène à penser qu'il pourrait représenter le reste ultime d'un petit tertre limoneux,
complètement désorganisé par ailleurs,
homologue
éventuel de celui reconnu par L'équipe de J. L'Helgouach
autour de la base du Grand-Menhir.
b) - les accumulations tardives
entre les perturbations et rechargements modernes (qui
peuvent atteindre 60cm d'épaisseur) et les formations anciennes que nous venons de présenter, les coupes mon-trent
une masse de terre brun clair, homogène malgré quelques
pierres isolées côté est où cette terre comble manifestement une large fosse ancienne. Dans la coupe ouest, très
bouleversée en surface mais plus régulière en profondeur,
cette masse terreuse est traversée par une structure en
creux pierreuse (un calage ?) qui, partant d'unee surface
manifestement arasée à l'époque moderne, ne peut malheureusement être datée.
C - CONCLUSIONS ET REFLEXIONS
Les résultats quelque peu ambigus des sondages menés
sous l'emprise de la voie privée qui, jusqu'à ce printemps,
séparait les deux chantiers de Locmariaquer, permettent
cependant, en les croisant avec des observations des années
précédentes sur l'un et l'autre chantier, quelques déductions intéressantes.
Tout d'abord, le fait que l'emprise de cette voie corresponde à une zone profondément perturbée n'est sans doute
pas un hasard. Bien avant la situation foncière actuelle,
on constate que le tracé représente, déjà sur le cadastre
napoléonien, des limites de parcelles. On peut penser que
celles-ci s'étaient fixées sur un accident du paysage, et
pourquoi pas la limite sud du tumulus d'Er-Grah lorsqu'il
présentait encore un relief appréciable.
Nous avons noté au passage combien les restes de la
limite sud d'Er-Grah apparaissaient ténus et superficiels
par rapport aux systèmes de parements latéraux. Certes les
perturbations modernes peuvent avoir eu raison de structures au départ plus importantes, mais elles ne sauraient
avoir modifié leur position stratigraphique, clairement
7
superposée au massif de limon passant lui-même en sifflet
sur le tertre associé au Grand-Menhir, ni avoir modifié les
cotes d'altitude des assises de base (un décalage de 20cm
s'observe entre la base de la partie centrale et la moyenne
des pieds de parements telle qu'elle peut être matérialisée
par une ligne droite joignant les soubassements des parements est et ouest à leur extrémité méridionale). Tout se
passe donc comme si cette bordure sud était simplement
venue souligner l'arrêt naturel du noyau de limon contre
les structures liées à la file de menhirs avec, semble-til, un "petit goût d'inachevé".
Dès les premières campagnes, nous avions remarqué combien la structure d'Er-Grah était, dans son ensemble, axée
sur la base du Grand-Menhir et symétrique par rapport à une
ligne idéale joignant la base de celui-ci au caveau, aussi
bien pour le cairn primaire que pour l'extension sud (bordures latérales ou palissade axiale implantée dans le
vieux-sol). Le décalage vers l'ouest de l'"étrave" sud
apparait donc comme une anomalie. Mais celle-ci conduit à
un tracé de la limite sud-est quasi-parallèle à la file des
calages liés au Grand-Menhir (la distance varie de 14 à 16m
d'est en ouest), comme si les bâtisseurs avaient tenu
compte de l'existence de cette file de menhirs.
La fermeture vers le sud du tumulus d'Er-Grah parait
ainsi calée entre l'édification du "tertre" associé au
Grand-Menhir (et peut-être aussi des structures comparables
qui pouvaient se répéter tout au long de l'alignement mais
que les perturbations superficielles ont pu détruire) et la
destruction complète de cet alignement.
Un problème subsiste cependant : la couverture du
caveau, dans le cairn primaire, est une belle dalle d'orthogneiss que nous avions jadis proposé d'associer, malgré
ses mutilations, à celles recouvrant la Table-des-Marchand
et Gavrinis pour reconstituer une grande stèle dépecée de
14m de haut. Certes les découvertes autour du Grand-Menhir
rendent plus que jamais plausible une telle hypothèse mais
il faut reconnaître qu'en raison des mutila-tions qu'elle a
subies, la dalle d'Er-Grah ne fournit guère d'arguments
décisifs en faveur (ni d'ailleurs à 1'encontre) de cette
proposition en dépit des bonnes compatibilités qui existent
(entre les grains et les fils des roches d'une part, les
dimensions des sections d'autre part).
A priori, on conçoit mal qu'un monument, dans sa phase
ancienne, incorpore un élément provenant du dépeçage d'une
structure qui aurait encore existé lors de l'édification de
sa phase récente. Deux possibilités sont alors à examiner :
- Les grandes stèles ornées n'ont pas nécessairement
eu le monopole d'usage de 1'orthogneiss et la table d'ErGrah peut n'avoir jamais appartenu à ce système, même si
son extraction et son transport doivent vraisemblablement
se situer vers la même époque que l'érection de l'alignement (ce qui est parfaitement compatible avec les observations stratigraphiques),
8
- La table d'Er-Grah proviendrait bien d'une stèle
(celle de Gravrinis - Table-des-Marchand ou d'une autre),
mais le dépeçage de l'alignement se serait fait progressivement (peut-être, pourquoi pas, au fur et à mesure des
besoins).
Comme, nous l'avons vu dans les précédents rapports,
toute l'histoire d'Er-Grah semble s'être déroulée en un
laps de temps assez bref ; rien ne s'opposerait à ce que le
caveau ait été couvert avec le produit d'un des tout premiers vandalismes mais que les stèles subsistantes de
l'alignement aient encore structuré de manière significative le paysage un siècle ou deux plus tard... En poussant
un peu le raisonnement, on pourrait même arguer de la
médiocrité de la bordure sud du tertre pour voir là une
limite provisoire, dans l'attente d'un dégagement total du
terrain qui aurait permis le parachèvement de l'édifice !
III - LES OPERATIONS ANNEXES
Parallèlement à l'achèvement des fouilles sur le site,
1994 a vu le déroulement de trois interventions dont nous
avons assuré le contrôle archéologique : la 2ème tranche de
restauration du tumulus d'Er-Grah, la pose d'un câble électrique enterré entre le bâtiment d'accueil et la Table-desMarchand, l'ouverture d'un accès pour les riverains en
substitution de la voie privée supprimée.
A - LA POSE DU CABLE ELECTRIQUE
Dans le cadre de l'aménagement du site, l'installation
d'un éclairage artificiel à l'intérieur de la Table-desMarchand impliquait une alimentation électrique ; un câble
sous gaine a donc été enfoui entre le bâtiment d'accueil et
l'entrée du monument, selon un tracé qui a profité au maximum des tranchées de fouille, mais n'a pu éviter deux saignées au tracto-pelle, larges de 0,5m et profondes de lm.
L'une, entre le bâtiment et Er-Grah à hauteur de la bande G
du maillage de fouille, n'a donné lieu à aucune observation
particulière, le terrain semblant largement perturbé dans
ce secteur. Il en a été de même pour les franchissements de
banquettes entre les différentes zones de fouille.
Par contre, la jonction entre le secteur M et le décapage derrière la Table-des-Marchand a rencontré, entre deux
poches perturbées, un petit massif de gros moellons qui a
fait l'objet d'un décapage de reconnaissance durant notre
campagne de sondages complémentaires.
Un carré de 3m x 3m a donc été ouvert (en 0-Q 30-32 du
quadrillage Table-des-Marchand, autour du point où l'engin
avait accroché. Il a rencontré les restes d'une plate-forme
empierrée à gros éléments, paraissant avoir été limitée à
l'est par une ligne de blocs plus importants. En raison des
dispersions, la forme de cette nappe reste indécise. Aucun
9
élément ne permet de la dater mais on peut observer qu'elle
se trouve au même niveau que la fréquentation "pré-Tabledes-Marchand" et que le sommet des calages de menhirs. On
peut donc la présumer grosso-modo contemporaine bien
qu'elle soit isolée par des perturbations modernes. Vers
l'ouest et le sud, cette structure débordait clairement
l'emprise du sondage. Il a donc été décidé d'arrêter là
cette reconnaissance et de remblayer, ce secteur étant à
considérer comme une réserve dans la perspective d'une
reprise à terme des recherches sur le site.
B - RESTAURATION D'ER-GRAH
La même intervention d'entreprise concernait au premier chef la deuxième tranche de restaurations sur le
monument d'Er-Grah, pour faire suite aux premières consolidations du cairn primaire déjà effectuées en 1989. Nous
avons effectué le suivi archéologique de ces nouveaux travaux en liaison oermanente avec M. LEFEVRE, Architecte en
Chef des Monuments historiques et avec la S.E.E.L., entreprise adjudicataire du marché.
Conformément au programme qui avait été arrêté avec le
Service régional de l'Archéologie, les travaux comprenaient
- Le parachèvement des restaurations de parements dans
le cairn primaire ; des plaquettes d'ardoise ont systématiquement été placées à espace régulier pour marquer la limite inférieure des reprises ; les parement n'ont été remontés que sur les sections où leur base au moins était bien
assurée, ce qui explique des hiatus de tracés dans la zone
profondément perturbée au sud du caveau. Des décrochements
d'une assise de moellons
améliorent en surface la lisibilité des parements multiples et soulignent leur hiérarchie,
sachant que, dans toute la mesure du possible, ces restaurations se sont arrêtées au niveau le plus élevé attesté
par la portion la mieux conservée de chaque structure.
- La restauration de la paroi sud du caveau et sa refermeture : par sécurité, la paroi sud, largement éventrée
par l'ancien accès, a été refaite jusqu'à porter la dalle.
La paroi est a été laissée ouverte entre l'orthostate et le
mur nord, un puits d'accès étant ménagé dans le remblai
est. Celui-ci est fermé par une trappe dissimulée sous deux
couches de très gros moellons évoquant en surface le bourrage grossier de l'accès transitoire est du caveau qui
avait été démonté à la fouille.
- Le comblement des fouilles descendues jusque dans
les niveaux prémégalithiques sous le cairn primaire ; le
remblai a été précédé par la pose d'un film géotextile.
- Le remodelage du prolongement nord, y compris la
restitution de la chape pierreuse joignant les massifs de
bordure est et ouest par dessus le noyau limoneux. L'extrémité nord a été traitée en arrachement pour présenter une
10
coupe pédagogique de la structure à l'applomb du front de
taille de l'ancienne carrière tronquant le monument.
- Les structures bordières du prolongement sud ; elles
ont été restituées avec une élévation minimale, le plus
souvent par marquage au sol lorsque les vestiges authentiques, trop arasés, ne pouvaient être présentés à l'affleurement
sans décaissements
intempestifs.
Parallèlement,
l'espace médian, correspondant à l'emprise du noyau limoneux, était remblayé de terre jusqu'à l'arase des parements
internes restaurés. Systématiquement, des films géotextiles
ont été placés entre les vestiges en place et les remblais.
L'extrémité sud du monument a été laissée en attente, dans
l'espoir que l'ultime campagne de fouille donnerait des
arguments pour guider un parti architectural précis (à
proposer dans l'étude préalable à l'aménagement final du
site).
C - DESENCLAVEMENT DES PARCELLES
Le rachat par le Département de la voie privée desservant vers l'ouest la parcelle AB 282 (et ses voisines qui y
jouissaient d'un droit de passage) imposait au gestionnaire
du site de rétablir un accès. Celui-ci a finalement été
raccordé au CD 791 par le percement vers le sud-est d'une
allée à travers les parcelles 379, 271p et 270 nouvellement
acquises. Ce travail impliquait l'enlèvement de la terre
arable avant gravillonnage. Le suivi des travaux a permis
deux constatations essentielles.
- sur la quasi-totalité du tracé, le socle rocheux
affleure juste sous la semelle de labour ; aucune structure
n'y a été repérée et seuls quelques débris épars de brique
romaine ont été notés. Ce contraste avec l'épaisseur du sol
et la densité des vestiges étudiés devant l'entrée de la
Table-des-Marchand pose la question de l'âge et de la fonction du talus limitant au sud-est la parcelle 279 (la propriété de l'Etat). Cette limite apparait déjà en trait fort
(comme talus) sur le cadastre napoléonien et. on peut rappeler que J. L'Helgouach a recueilli en fouille un petit
dépôt du Bronze final à son pied (découverte qui rejoint la
longue cohorte des dépôts associés aux talus). Cette structure pourrait donc être très ancienne et avoir été à l'origine des rétentions de terre qui ont permis, en amont, les
conditions de conservation exceptionnelles que l'on sait.
- Au droit du talus séparatif des parcelles 270 et
271p, qui semble correspondre approximativement au contour
du théâtre antique, les terrassements ont par contre rencontré un profond surcreusement dans le substratum rocheux
où il se termine vers l'est par un véritable front de
taille d'une cinquantaien de centimètres de haut ; il pourrait s'agir de l'emprise d'un épais mur "volé" jusque dans
ses fondations, peut-être l'enceinte du théâtre. Aucun
élément mobilier significatif n'a été recueilli dans le
remblai
11
IV - CONCLUSIONS GENERALES
A la fin de cette septième (et ultime) campagne sur le
long tumulus d'Er-Grah, force est de constater que le programme initialement prévu s'est déroulé de manière quelque
peu chaotique par rapport aux prévisions, notamment du fait
des délais d'entrée en jouissance de certains terrains
(mais il est vrai que la situation foncière était loin
d'être simple). Malgré cela, des réponses ont pu être
apportées aux principales questions posées :
- La structure du monument : avec le cairn primaire à
parements multiples et les deux prolongements à noyau
limoneux, on est bien loin de la disposition envisagée par
Le Rouzic en 1908. De même, si le tumulus tient manifestement compte de la présence du Grand-Menhir, il en apparait
structurellement indépendant.
- Le type de la tombe : c'est la première fois depuis
les grandes fouilles du siècle dernier (Mané-er-Hroek,
Tumiac, Tumulus St. Michel) que l'on a pu étudier le dispositif de fermeture d'un caveau de style carnacéen.
- Les antécédents du monument : le vieux-sol a livré,
sur l'étendue étudiée, foyers, fosses et tertres représentant une phase pré-mégalithique importante. La probable
"fosse de fondation" avec deux bovins inhumés constitue une
première, au moins dans la région.
- Datations absolue et relative : le monument est bien
calé à la charnière des 5e et 4e millénaires avant J.-C. ;
sa "durée de vie", probablement brève, parait se placer
entre l'érection du Grand-Menhir et le dépeçage total de
l'alignement qui lui était associé. L'ambiance culturelle
associe pleinement la céramique de type "Castellic" et la
tradition chasséenne à "Vases-supports".
Il reste désormais à finir de croiser ces informations
avec celles recueillies dans le même temps par l'autre
équipe de fouille dirigée par J. L'Helgouach pour aboutir à
une connaissance globale de cet ensemble exceptionnel. Mais
les potentialités du site sont loin d'être épuisées ; les
blancs sur le plan général des fouilles indiquent clairement l'ampleur des "réserves" archéologiques encore disponibles sur le site pour une reprise à terme des recherches.
Mais nous ne saurions refermer ce rapport sans rappeler la compétence et la disponibilité des archéologues
contractuels qui ont épaulé l'équipe du S.R.A. (E. Gaumé,
D. Leroy et C. Le Potier), mais aussi l'enthousiasme des
centaines de fouilleurs bénévoles ou T.U.C. qui se sont
succédés
durant ces campagnes.
Saluons aussi
l'appui
précieux des personnels de la SAGEMOR, des services départementaux et municipaux ainsi que la foi des élus qui ont
accepté de se lancer dans l'aventure qu'était la réhabilitation de ce fleuron de leur patrimoine mégalithique.
Merci à tous.
ER-GRAH 1994 - Pl. I
A) - Le cadastre napoléonien (1834).
Noter le talus indiqué
à l'emplacement de la
voie privée (AB 282 du
cadastre actuel) et au
sud de la Table-desMarchand (Comparer avec
le cadastre actuel,
fig. 2 et3).
B) - Décapage de la
terre arable en AB 271
pour le rétablissement
de la servitude d'accès
des riverains.
Noter l'affleurement
généralisé du rocher
ER-GRAH 1994 -Pl.
II
Les travaux de
restauration
Le cairn primaire
(en haut),
La bordure ouest
de l'extension sud
(en bas)
-
ER-GRAH 1994 - Pl. III
A) - Vue générale du
monument restauré
depuis le sud :,
extension sud
et cairn primaire
B) - Vue rapprochée du
cairn primaire.
Noter le bourrage à
gros moellons restituant la condamnation
de l'entrée primitive
du caveau (ils dissimulent un accès techni-
u
ER-GRAH 1994 -Pl. IV
Vues générales de
l'extension sud
restaurée :
Bordures pierreuses
restituées au-dessus
des vestiges authentiques réenfouis,
recharge de terre sur
l'emprise du noyau de
limon gris,
extrémité sud laissée
en attente de l'achèvement des fouilles
sous l'emprise de la
voie privée.
ER-GRAH 1994 - Pl. V
A) - Vue générale du
décapage nord du
"secteur M"
(AD-AF 52-53) :
restes de la bordure
pierreuse est à trois
parements ; le plus
externe se devine
jusqu'à son virage vers
le sud-ouest au sud du
décapage
B) - Secteur M, sondage
sud ( C-F 28-30):
vieux sol sous le
cailloutis équivalent
au niveau d'occupation
"Pré-Table-des-Marchand
recouvert par du limon
gris remanié (étalement
de l'extension sud en
1964). En surface,
bordure de la voie
privée.
m
Décapage de reconnaissance de la structure empierrée repérée
en 0-Q / 30-32 lors de la pose du câble d'alimentation électrique
de la Table-des-Marchand.
ER-GRAH 1994 - Pl. VII
A) - Vue générale du
décapage XO-ZO prolongé
vers le nord sous la
voie privée.
Noter les lambeaux du
massif d'argile compact
épaulant la travée de
moellons qui traverse 1
fouille en diagonale
au-dessus du niveau
d'occupation "pré-Table
des-Marchand",
B) - Coupe ouest sous
la voie privée: lambeau
de limon gris feuilleté
(lits végétaux correspondant à des mottes)
à la base d'une coupe
très perturbée.
ER-GRAH 1994 - Pl. VIII
Prolongement nord du décapage XO-ZO sous la voie privée:
fosse ancienne recoupantle limon gris et le contrefort argileux de
la travée pierreuse.
Vue générale (en haut) et gros plan du bord sud de la fosse
(en bas).
ER-GRAH 1994 -Pl.
IX
Restes du parement transversal à l'extrémité du prolongement S.
Noter le surhaussement des vestiges par rapport à la base des
parements de l'ouest et l'importance du limon gris entre les
pierres et le cailloutis surmontant le vieux-sol.
SUE de la Table des MARCHAND-,
et du GRAND MENHIR
Section BE
ECHELLE I/IOOO
PLAN PARCELLAIRE
LEGENDE
GÉOM^i RE-EXPERT
S, Roc Ludogi£iRa-^-361UU-AUKAY
3s33 DES 0.6. NO 2£M
Tit : 91 24 12 37
ïC.i£17
ER-GRAH 1994 - Fig. 3
Emprise des acquisitions départementales
effectuées en 1994. (réduction à 7/10 000°)
I
I
J
O '.O cû' ,*Q
Ccrrières
Fosses, fossés
'JDcIte
SECT EUR
SECTEUR
10M
E
SECTEUR
0
Limon
GaCoirn
SECTEUR
0
t
ZaSëÈCTEUR
H
SBCTEUR J
ER-GRAH 1994 - Fig. 4
Plan-masse du monument (état à l'issue de la campagne îyyz)
+
i
I
NIVEAU
U .
CAILLOUTIS.CALAGE
ir
AH
0
1m
TROU DE POTEAU .CARRIERE
t
T}
ER-GRAH 1994 - Fig. 5
Dégagement de l'angle S.W.
(niveaux de l'assise des parements et du cailloutis de base
sur le paléosol)
47
************************************** \y~*' '/(/V*** * *
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COUPE NORD AA
A L APLOMB
DU PAREMENT SUD DU
♦ * * o4 •
*******
************
************
TUMULUS
COUPE SUO BB' DU SONDAGE
arasement parking
(2)
terre brune
(J)
terre verdâtre
(£)
terre
(5)
cniloutis • terre marron
riche en mobilier
terre sombre
♦ cendres et argile
brune
©
roche
COUPE OUEST CC
mère
DU SONDAGE
ER-GRAH 1994 - Fig.
6
Coupes du sondage S.W.
53
NGR-3.00
-150
-4.00
-4.50
4-structure J-
SONOACE
SECTEUR
N
- COUPE
NN '
NGR.-150 : fondations clôture moderne
NGR.-4.00 : niveau caittoutis - pendage vers l'est
NGR-3.00
53
■im
AG
-5.00
COUPE
SS
.;i'XV;ï;:,V arasement parking
VA'itô
*
limon grisâtre remanié
_ fragments
vieux sol
_ mobilier néolithique
ZZSZJTZ limon
brun foncé
bois pourri
brun dair
* ♦ ♦* ♦
ttll roche mère
♦ ♦ » ♦ »
ER-GRAH 1994 - Fig. 8
Angle S.E., coupes du sondage complémentaire sud
ER-GRAH 1994 - Fig. 10
Implantation et relevé de la structure pierreuse repérée
lors du câblage électrique de la Table-des-Marchand
40
ER-GRAH 1994
- Fig. 11
Essai de reconstitution de l'extrémité sud
du tumulus
(les hauteurs de la coupe sont doublées)
■ i
i
i
i
>
i
ZA
i
A
i
III
i
i
i
i
i
ER-GRAH 1994 - Fig. 12
Coupes est et ouest de l'extension vers le nord du
décapage XO / ZO.
a - chaussée moderne de la voie privée
b - terre brune perturbée (étalement moderne du tumulus ?)
c - terre brune homogène (épandages tardif)
d - divers faciès plus ou moins lités et/ou grumeleux de
limon (épandages du coeur de l'extension sud du tumulus ?)
e - vieux sol brun en place
f - terre brune accumulée (noyau du tumulus et/ou
comblement de structures en creux anciennes
g - passage dans la coupe de la travée pierreuse et de son
contrefort argileux
ER-GRAH 1994 - Fig 12bis
Coupe nord de la bande de fouille TA-VA 38,en limite sud
d'Er-Grah, sous l'emprise de la voie privée, montrant la
position stratigraphique de l'assise de blocs, probable
relique du parement transversal sud (la limite E se
raccorde à l'extrémité S de la coupe W de la fig- 12).
VO
ER-GRAH 1994 - Fig. 13
Coupe le long de l'allée de désenclavement
au niveau du mur d'enceinte du théâtre antique
(probable tranchée de fondation ;
mur volé à une époque indéterminée).

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