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Afrique, des petits Monuments
Anne Sophie Boivin
Anne-Sophie Boivin est photographe et relieuse d’art. Membre de la maison d’édition L’œil électrique, elle
est née à Rennes en 1978. Elle vit et travaille aujourd’hui à Marseille, région dans laquelle elle continue
de travailler entre la reliure, l’édition et le théâtre de rue. Elle organise des ateliers sténopé qui donnent
souvent lieu à des créations : livres-objets, assemblages d’images et de mots, danses, chants, toujours
avec l’idée de sensibiliser les habitants sur leur ville, de donner à rêver les quartiers, les places, de
permettre à un passant de s'arrêter là et de se souvenir du moment passé ici.
Le projet « Le Bal poussière » est né d’un désir de partir, de quitter « les choses » (comme un clin d’œil
à Georges Pérec à l’envers), pour renaître ailleurs, là-bas, loin de l’agitation, en Afrique de l’ouest. Anne
Sophie Boivin a donc vidé son sac, et chargée de ce « vide », de cet espace vacant qui cherchait à se
nourrir, elle est partie à bicyclette avec ses objets de prédilection : des boîtes de conserve ordinaires, des
sténopés plus exactement, ancêtres des boîtiers photos, une valise transformée en laboratoire, du papier
sensibilisé et quelques chimies de développement. Pour être sûre que le projet photographique n’avorte
pas… Régression, pourrait-on penser, en regard de la photographie ? Retour sur une époque ancienne,
histoire de provoquer la nôtre, qui donne la main au tout numérique ?
Anne Sophie B. n’est pas du style à adopter des solutions de replis, se réfugier dans des convenances,
dans une Histoire qui donnerait de la crédibilité à son projet, au contraire. En évoquant l’Histoire de la
ème
Photographie des années 50, celles du 19 , les épopées glorieuses de Maxime Du Camp, de Gustave
Le Gray, de Felice Beato et de bien d’autres, en France, en Afrique ou en Orient, cette jeune
photographe au caractère trempé, s’inscrit « de fait » dans cette histoire, se coltine les poussières et la
chaleur, les incompatibilités photographiques, comme ses pères avant elle, à qui implicitement elle rend
un très bel hommage.
Et cet hommage est tout entier contenu dans son propos : celui de la lenteur. Une lenteur qu’elle érige
comme un étendard, afin de vaincre les frontières qui nous imperméabilisent les Uns et les Autres. Elle
revendique avec ses boîtiers préhistoriques, le droit (à nouveau) de se mesurer à la lumière des
personnes, à leurs ombres, à cette écriture si particulière que produit le petit trou d’une aiguille dans une
« boîte noire » transcendée par les rayons du soleil. Elle fait l’éloge, non pas de ce procédé rudimentaire,
mais de sa capacité à faire naître des images du monde. Pour cela, elle choisit ses lieux, parfois à
l’aveugle comme son appareil le fait sans viseur, elle accepte les ratages. Elle découvre combien la vie
est belle quand elle se révèle sur un petit morceau de papier sensibilisé, miroir d’une réalité que l’œil ne
peut saisir ainsi, en noir et blanc, déformée, étonnante, émouvante, petits monument célébrant la vie
comme d’autres célèbrent la mort ou l’histoire des civilisations.
Ce sont ses plaques de verre à elle : celles-ci sur papier photo, décrivent des quotidiens, ne cherchent
pas les thèmes de la peinture ni le pittoresque de la ruine. Ces photographies nous renseignent sur les
gens, tout simplement, ceux qui vivent et ceux qui dorment, positions plus propices à des prises de vue
qui s’éternisent. Des prises de vue qui sont dans le temps de l’image, qui sont le temps lui-même.
Certains spectateurs parfois voient des morts photographiés. La photographie, n’est-elle pas elle-même
une petite mort, un petit monument funèbre qui se substitue à notre mémoire pour qu’elle n’oublie pas.
À vélo, Anne Sophie Boivin a progressé au rythme de son énergie. En cette année 2008, elle a sillonné
les routes Africaines, de la Mauritanie au Ghana, pendant 8 mois. 3000 kilomètres en tout, éreintant,
ressentant cette grande liberté quand on a tout sur soi et rien à perdre. Chaque jour, elle a fait des
images, certaines finissaient au fond des poches, froissées, d’autres méritaient d’être accrochées sur un
mur, chez quelqu’un. Pour donner du temps aux autres, une trace, des images, des souvenirs, des
rencontres…
De cette expérience quasi initiatique, elle est rentrée avec cette envie de partage sans savoir comment
s’y prendre. Le temps s’est écoulé, elle a fait la connaissance d'une femme menuisière-scénographe qui
a été touchée par ses images. Ensemble, elles ont décidé de les présenter dans un écrin particulier. Puis,
durant trois ans, après avoir retourné les textes de son carnet de route, un livre est né, le premier de sa
nouvelle maison d'édition « Le Saut de la puce ». Une puce, le savez-vous, saute 48 fois sa taille. Après
ça, on est capable de tout !
Patrick Ruet et Anne Sophie Boivin, pour L’atelier du midi, mars 2013

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