Les Fleurs de lune

Transcription

Les Fleurs de lune
Les Fleurs de lune
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Jetta Carleton
Les Fleurs
de lune
Traduit de l’américain
par Jean Bourdier
Tome 1
A
vue
d’œil
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Titre original : The Moonflower Vine
© 1962, by Jetta Carleton. Renewed 1990 by Jetta
Carleton, all rights reserved.
© Simon and Schuster, New York, 1962.
© 2009 by Jane Smiley
© Éditions de Fallois, 2009, pour la traduction
française.
© À vue d'œil, 2010, pour la présente édition.
ISBN : 978-2-84666-551-3
www.avuedoeil.fr
À vue d'œil
27 Avenue de la Constellation
B.P. 78264 CERGY
95801 CERGY-PONTOISE CEDEX
Numéro Azur : 0810 00 04 58
(prix d’un appel local)
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Ce livre est dédié à mon père, à mes sœurs
et à la mémoire de ma mère
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AVANT-PROPOS
de Jane Smiley
La plupart des romanciers, si populaires qu’ils
aient pu être, sombrent un moment dans
l’obscurité. Charles Dickens n’a plus été lu
pendant plusieurs dizaines d’années après sa
mort. Anthony Trollope, presque incroyablement
prolifique, a dû être ressuscité dans les années
quarante. Qui se trouve aujourd’hui dans ce
purgatoire ? Avez-vous jamais entendu parler de
Rhoda Broughton ? Avez-vous jamais lu Sumner
Locke Elliott ou Camilla R. Bittle ? Et cependant,
par des hasards dus à l’affection de leurs lecteurs
et à la fidélité de leur éditeur, quelques romans
persistent à nous revenir. Parmi eux figure Les
Fleurs de lune de Jetta Carleton, réédité pour la
première fois depuis vingt-quatre ans.
Quand le livre, situé dans les campagnes du
Missouri durant la première partie du vingtième
siècle, fut publié, son auteur, Jetta Carleton, avait
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le net sentiment qu’il différait de la grande
majorité des romans alors mis sur le marché.
Dans la notice biographique accompagnant la
version condensée de son livre réalisée par le
Reader’s Digest, elle soulignait : « Il n’est plus du
tout à la mode d’aimer quoi que ce soit, et moi, il
y a bien des choses que j’aime. Les Jeunes
Hommes en Colère sont actuellement en vogue,
mais, quant à moi, je suis une Vieille Femme de
Bonne Humeur. » Approchant de la cinquantaine, elle pensait peut-être à Norman
Mailer, James Baldwin ou Gore Vidal, écrivains
plus jeunes qu’elle de dix à douze ans, qui avaient
construit leur réputation en s’attaquant au
système. Mais Jetta Carleton, qui avait travaillé
quelque six ans sur Les Fleurs de lune, était loin
d’être une attardée. Après avoir obtenu son
diplôme de l’université du Missouri et travaillé
pour une radio de Kansas City, elle s’était rendue
dans l’Est pour entamer une carrière dans la
publicité. En 1962, lors de la parution de son
livre, elle vivait à Hoboken, dans le New Jersey,
était mariée à un autre publicitaire et travaillait à
New York, où elle rédigeait des textes commer8
ciaux pour la télévision. En d’autres termes, elle
était au sommet d’une carrière éminemment
moderne. Les membres de sa famille restés dans
le Missouri la considéraient comme incarnant le
comble de la sophistication. Sa petite-nièce, Susan
Beasley, raconte : « Elle était exubérante et pleine
d’esprit, la vedette de la famille, celle qui sortait
de l’ordinaire. Nous savions toujours, quand nous
regardions la télévision, quels textes publicitaires
étaient d’elle, car ils lui ressemblaient ; elle avait
une façon très originale de s’exprimer. Elle était
délicieuse. Elle aimait rire et prendre du bon
temps. »
Jetta Carleton était sans nul doute consciente
du fait que Les Fleurs de lune représentait beaucoup
plus qu’une évocation nostalgique et sentimentale
de l’Amérique profonde. C’était en fait un livre
complexe et audacieux à l’époque de sa publication, et il le demeure au vingt et unième siècle –
une exploration sensible et tendre des aspects les
plus délicats de la vie familiale, présentée dans un
style très direct et remarquable de beauté comme
de précision. Les Fleurs de lune est l’un de ces livres
dont les lecteurs souhaiteraient qu’ils aient une
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suite. Robert Gottlieb lui-même, l’un des
directeurs littéraires ayant la plus grande
expérience de l’édition, le ressentait. Il écrivit en
1984 : « Des centaines et des centaines de romans
sur lesquels j’ai travaillé, celui-là est véritablement
le seul que j’ai relu plusieurs fois depuis sa
parution. Et chaque fois que je l’ai relu, j’ai été de
nouveau ému par lui – par les personnages, par
leurs vies, par la vérité, la clarté et la générosité de
l’écriture comme du sentiment. »
Le roman commence par une sorte d’ouverture. On nous présente la famille Soames, dans
sa petite ferme du Missouri. Matthew et Callie, à
peu près septuagénaires, reçoivent trois de leurs
filles – Jessica, qui a la cinquantaine, Leonie, qui
en approche, et Mary Jo, beaucoup plus jeune – à
l’occasion de leur visite estivale annuelle. Il fait
très chaud. La ferme est largement dépourvue de
commodités, comme elle l’a toujours été, et l’on
sent obscurément que les filles goûtent particulièrement ces visites annuelles parce qu’elles
savent qu’elles repartiront sous peu pour reprendre le cours de leurs propres existences, mais une
partie de la force du roman est que nous ne
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voyons rien de ces existences. Le dernier jour de
leur séjour, de malencontreuses obligations de
bon voisinage viennent menacer puis réduire à
néant le projet des Soames d’un pique-nique près
du vieil arbre à abeilles, où l’on recueillerait du
miel en famille. Bon gré mal gré, les Soames font
ce qu’ils savent tous être leur devoir, mais ils
finiront par pouvoir échapper à leur entourage et
regagner la ferme à temps pour assister, au
crépuscule, à l’épanouissement des « fleurs de
lune », ces curieuses plantes grimpantes dont les
pétales ne restent ouverts que durant la nuit. Le
rythme du récit est mesuré et presque nonchalant,
en concordance avec la chaleur et les circonstances. Jetta Carleton amène tranquillement le
lecteur à s’interroger sur la famille Soames, mais,
endormant savamment sa méfiance, elle l’incite
également à penser que Matthew et Callie
forment un couple marié à l’ancienne mode, tout
simple, et que leurs filles mènent également des
vies banales et typiquement américaines, telles
qu’on pourrait les dépeindre dans quelque film
familial sur le Middle West rural.
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