Thierry Jonquet - Vampires

Transcription

Thierry Jonquet - Vampires
Le Magazine des Livres, n° 29 – Mars /avril 2011
Vampires, Thierry Jonquet
Éditions du Seuil
Par Marc Villemain
Jonquet, social-goth
Il n’est pas illégitime (cf. Véronique Maurus, Frustrés ?
Pire, déçus ! – Le Monde des Livres du 21 janvier 2011),
de questionner le choix et la motivation d’un éditeur de
publier un livre posthume et (à ce point) inachevé. La
question vaut particulièrement pour Vampires, ultime
roman, donc, de Thierry Jonquet, tant on s’avise bien vite
qu’il lui manque sans doute une centaine de pages et
s’interrompt au beau milieu d’une phrase dont le moins
que l’on puisse dire est qu’elle ne va pas sans laisser un
arrière-goût d’ironie amère – « Un long travail
commençait. Aussi routinier qu'incertain. » Et si Jean-Christophe Brochier, son éditeur au
Seuil, insiste avec raison sur les indiscutables qualités du manuscrit, on peut toutefois se
demander ce que Thierry Jonquet lui-même aurait pensé de ce texte aussi prompt à entraîner
le lecteur qu’il l’abandonne à sa frustration.
Donc, on pèse le pour et le contre. Encore un peu, on s’en voudrait de s’être laissé prendre à
cette intrigue très construite, dopée à une énergie narrative aussi intarissable que précise, pour
se retrouver là, panne sèche sur le bord de la route, condamnés à imaginer une hypothétique
sortie de scénario. Il n’empêche. On ne saurait évaluer ce roman à la seule aune de notre
sensation d’inassouvissement. Peut-on même seulement l’évaluer, quand on sait qu’il n’a pas
été ni expressément relu – qu’il n’a pas été édité ? Car si Thierry Jonquet s’y montre assez
virtuose, s’il est patent qu’il a dû éprouver bien du plaisir à élaborer une histoire originale,
dynamique, moderne, pleine d’imagination et de virtualités, il est probable que lui-même en
aurait affûté certaines formulations, peaufiné quelques enchaînements, élagué certains
détours. Il serait très injuste pourtant de considérer cet ouvrage comme un document pour
aficionados. Car non content d’être doté d’une belle construction et d’une grand expressivité
narrative, Vampires livre, clés en main, une idée d’une grande ingéniosité – que je me
garderai bien de déflorer. Détournement génial de la mode dite gothique, avec son lot
d’images sépulcrales et de macabres gimmicks, le livre, même dans son état, parvient à
renouveler un genre que l’on croyait un peu épuisé, pour ne pas dire éculé. Jonquet installe
son décor à merveille – on s’en convaincra dès les premières pages, suivies de l’imparable
scène de l’empalement –, et parvient très vite, en intégrant quelques éléments de contexte
succincts mais très éloquents, à donner à ce texte très inventif un tour immédiatement réaliste
et contemporain. Fidèle au registre qui le met à la lisière du roman noir et de la chronique
sociale, on ne peut que constater combien de tours encore il avait dans son sac, et combien il
est décidément vain de se refuser à des sujets sous prétexte qu’ils seraient par trop
estampillés. Moyennant quoi, Vampires aurait certainement été un très grand Jonquet ; à sa
manière, il l’est d’ailleurs déjà.
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