Thierry Jonquet, un homme honnête

Transcription

Thierry Jonquet, un homme honnête
i n
m e m o R i a m
par Robert Pépin*
Thierry Jonquet, un homme honnête
(1954-2009)
’EST EN AOÛT DERNIER qu’à l’âge de 55 ans est mort l’auteur de romans noirs,
Thierry Jonquet. Plus encore qu’à ses qualités d’écrivain, et elles sont nombreuses, c’est à l’honnêteté de l’homme qu’il convient surtout de rendre hommage. Fils d’ouvrier CGT, il tombe dans le communisme dès la naissance et aurait pu
y faire une belle carrière. À ceci près que le garçon de 14 ans en 1968, et romantique
en diable, qui se laisse emporter par « les événements », n’est pas aveugle et voit bien
que le PCF trahit ce qu’il pense être la Révolution.
Il sera donc gauchiste, de la variété trotskiste (LO puis LCR), dénoncera sous le
couvert d’un roman policier intitulé « Du passé faisons table rase » (signé Ramon
Mercader!) le comportement de Georges Marchais pendant l’Occupation.
Dans le monde des auteurs de romans policiers français, l’heure est alors « au drapeau rouge et au roman noir » anticapitaliste, Manchette étant le plus brillant tenant
de cette tendance. Émerveillement du jeune Jonquet, puis assez vite, désenchantement et sécession: alors qu’il est constamment du côté des pauvres, des malades, des
vieux et des éclopés (il travailla longtemps dans les hôpitaux, les prisons et l’éducation spécialisée), Thierry Jonquet prend en horreur le militantisme et ne se fait
aucune illusion sur la capacité qu’a en lui tout homme de faire le mal.
Car passionné par une Deuxième Guerre mondiale qui, à ses yeux de jeune
homme, a vu le combat titanesque entre les forces du mal, le nazisme, et les forces du
bien, le communisme, il a surtout découvert l’horreur des camps de la mort et là, n’a
pu éviter de se poser cette question: quelle est la nature de cette barbarie à laquelle le
socialisme serait prétendument la seule alternative salutaire?
Cette découverte bouleversante, qu’il racontera dans un livre terrifiant intitulé
« Les Orpailleurs », ne cessera de le hanter, d’autant plus que la femme dont il
C
* Éditeur des deux derniers ouvrages de Jonquet, Mon vieux et Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte.
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histoiRe & libeRté
s’éprend, avec laquelle il vivra jusqu’à sa mort et dont il aura deux enfants, est juive.
Dans un récit autobiographique publié sur son site web, il dit que ces femmes et ces
enfants que les nazis et leurs complices envoyaient à la mort, c’étaient et donc ce sont
les siens, et il ne s’agit pas là d’une formule de style. Ce qui au début de son engagement militant à « Ras le Front » était du domaine intellectuel de l’anti-Lepénisme,
devient central dans sa réflexion sur la barbarie dès lors que c’est dans la chair de sa
femme et de ses enfants qu’il craint l’antisémitisme.
Fini les petits jeux anticapitalistes : encore et encore il se demande ce qui s’est
passé pour que, à la suite de la Première Guerre mondiale, on assiste à la naissance
des deux plus grands totalitarismes du XXe siècle, le nazisme et le communisme?
Y avait-il dans ces deux systèmes quelque chose qui les réunissait et faisait qu’on
pouvait sans difficulté majeure passer de l’un à l’autre et se jeter à fond dans la barbarie en croyant la combattre?
Pour avoir longtemps parlé avec lui, je pense que s’il avait horreur de l’horreur,
– et cela allait du camp de déportation au camp de la mort en passant par le goulag –,
il avait aussi compris que c’est sans doute le désir profond de certains dictateurs et
apprentis dictateurs de façonner un « homme nouveau » qu’on trouve au cœur de la
problématique antihumaniste.
Et lorsque l’islamisme radical commença à pointer sa barbe et que pour d’autres
raisons, religieuses, celles-là, l’antisémitisme se remit à flamber en France – et ce, dans
une assez triste indifférence –, l’homme honnête qu’il était cessa de croire aux discours lénifiants d’une gauche fascinée par les désordres des banlieues et se garda de
toute adhésion hâtive à la cause palestinienne.
Encore une fois, dans Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte, il fit œuvre
de vérité et de liberté en dénonçant cet angélisme qui refusait de voir la réalité en face,
et se fit copieusement incendier par bon nombre de bonnes âmes.
Un homme courageux et honnête donc, en plus d’un remarquable écrivain.
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