avec des ailes immenses - Théâtre des Marionnettes de Genève
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avec des ailes immenses - Théâtre des Marionnettes de Genève
Théâtre des Marionnettes de Genève Dossier pédagogique – saison 2010 - 2011 AVEC DES AILES IMMENSES Par le Figuren Theater Tübingen (A) ( ((( Du 3 AU 7 NOVEMBRE 2010 Théâtre d’objets et marionnettes Marionnettistes : Karin Ershing, Kain Ould Chih, Franck Soehnle Conteur : Patrick Michaëlis D’après un récit de García Márquez Traduction française : Claude Couffon Mise en scène : Enno Podehl Construction marionnettes et scénographie : Franck Soehnle Musique: Johannes Frisch et Stefan Mertin Costumes : Steffen Flohr Assistante : Ulrike Andersen Accueil en collaboration avec le Théâtre en Cavale HORS LES MURS Au Théâtre Pitoëff Salle communale de Plainpalais 52, Rue de Carouge - Genève Réservations : 022 418 47 77 ou www.marionnettes.ch 60 minutes Adultes et adolescents Le spectacle 1. L’histoire Au bout de trois jours, la pluie cesse son battement cadencé. Dans le poulailler, un être pourvu d’ailes immenses s’ébroue faiblement. C’est ainsi que tout débute pour Pelayo et Elisenda, dans leur misérable village, coincé quelque part entre la forêt et la mer marécageuse. Vêtu comme un chiffonnier, l’ange si vieux, mais obstiné — Avec des ailes immenses comment devrait-on nommer autrement une créature d’apparence humaine avec des ailes ? — est enfermé dans le poulailler. Sa seule présence bouleverse la vie autour de lui, bousculant toute logique. L’incroyable nouvelle se répand comme traînée de poudre. Le phénomène attise la curiosité. Des miracles douteux engendrent l’inquiétude. Les événements s’emballent laissant une terre métamorphosée. Avec des ailes immenses est tiré d’une nouvelle de Gabriel García Márquez, Prix Nobel de littérature. Le récit mêlant au sens du détail concret, des sons, des couleurs, des perceptions olfactives, la présence fugitive du surnaturel, donne une vision contrastée de la solitude de l’homme. L’emploi des formes des contes et légendes est ici délicatement rehaussé d’un humour savoureux. Dans une atmosphère traversée d’apparitions fantastiques, où rêve et réalité se marient, un conteur aveugle rassemble les éclats épars d’un monde, dans une réalité teintée de magie et de grotesque. Sa parole parcourt l’éternité du récit. Et il n’est pas le seul à se souvenir, il y a aussi le bateau, l'araignée, le tabouret et la tourbe. Dans un parti pris fantastique et surréaliste, acteurs et marionnettes aiguillent, avec agilité et grâce, la fable au sein d’un univers scénique singulier, en tissant une toile délicate de mots, d’images et de sons en traversant aussi le théâtre d’ombres. Attentif à mettre en valeur la perception sensorielle d’un récit au cœur d’un théâtre visuel palpitant d’images d’une sidérante étrangeté, Frank Soehnle avait su enchanter l’imaginaire du public au détour de son subtil et onirique "Salto lamento" lors de la saison 2008-2009 du TMG. "Salto lamento" voit un bestiaire marionnettique fabuleux surgit d'un tiroir ou de papiers réduits en cendres et s'anime sous nos yeux, nous rappelant notre destin d'humain entre poussières et étoiles. 2. Synopsis La pluie s'évapore et dans la boue de l'arrière-cour une chose avec des ailes immenses s’agite faiblement. C’est ainsi que tout commence pour Pelayo et Elisenda, dans leur village quelque part entre la forêt et la mer… et pour l'enfant fiévreux. L’«ange» si vieux, si faible mais obstiné (comment devrait-on nommer autrement une créature d’apparence humaine avec des ailes ?) est enfermé dans le poulailler et change par sa seule présence les conditions de vie alentours. Une voisine « avertie », ainsi que le prêtre, s’engagent à expliquer et à étudier la situation… Entre rêve et souvenir, un conteur rassemble les fragments de ce monde dans une réalité teintée de magie et de grotesque. Et il n’est pas le seul à se souvenir, il y a aussi le bateau, l'araignée, le tabouret,… et aussi la tourbe. Avec des ailes immenses Des associations récurrentes portent l’action comme des personnages pensants, interrogent puis se dissipent voluptueusement comme d’irritants rêves éveillés. Dans un parti pris fantastique et surréaliste, les niveaux de jeu des acteurs et des marionnettes s’entremêlent au sein d’un univers scénique magique dans lequel à la fin tout semble vivre. Les contours d'un monde quotidien s’estompent et sous nos pieds s’ouvrent les trappes d’un autre savoir. « Les choses te regardent et t’invitent, à toi de changer. » (Rilke). 3. Mystère sensoriel Entretien avec Frank Soehnle, marionnettiste Comment se présente la transposition scénique de la nouvelle ? Frank Soehnle : Un conteur aveugle fait naître de son regard intérieur le récit de García Márquez, Un monsieur très vieux avec des ailes immenses. Il est accompagné par trois comédiens manipulateurs masqués et muets. Ils jouent des mégères inapprivoisées, dont les costumes et les accessoires font naître les différentes marionnettes. Ce narrateur porte un long bâton. Il lui permet de ressentir et éprouver son environnement immédiat. Mais c’est aussi un moyen de le relier aux autres figures du récit tout en le rapprochant de Charon, qui, dans la mythologie grecque, avait pour rôle de faire passer sur sa barque, moyennant un péage, les ombres errantes des défunts à travers le fleuve Achéron (ou selon d’autres versions, le Styx), vers le séjour des morts. Ainsi cet immense bâton établi une connexion avec d’autres mondes, des univers parallèles, celui de la marionnette et l’univers du conte notamment. Le narrateur est un voyageur en chemin et l’histoire peut être envisagée comme celle de son enfance. Dans la nouvelle de García Márquez, il y a le personnage de l’enfant qui entre en contact avec la figure angélique. Nous avons imaginé que ce tout jeune enfant avait grandi et racontait l’histoire de ses premières années. C’est une forme de parabole sur l’art. Cet ange descendant du ciel pour séjourner, un temps, sur terres, constitue une figure ouverte à toutes les associations d’images. L’une des fonctions de l’ange dans cette histoire est d’être révélateur pour chacun de sa propre personnalité. Il en devient une image miroir permettant à chacun d’avoir une vue sur son intimité et permettant une sorte d’introspection. L'histoire, elle, par son mélange de mystère et de grotesque, nous invitait à une nouvelle expérience de la combinaison entre l’image et le mot. La recherche d'une atmosphère favorisant la perception sensorielle de ce récit, qui ne se réduit pas à la seule illustration de la fable, est présente dès le début. A l’origine, l’idée était de trouver une forme de mouvement allant du texte aux images, les deux registres Avec des ailes immenses d’expression s’alimentant mutuellement. L’image ne se veut pas ici illustrative, mais cherche à permettre au spectateur de susciter sa propre association entre la fable racontée et l’univers imagé. Pour certains, les mots peuvent être une porte d’entrée à un théâtre purement visuel. Et la figure de l’ange ? F. S. : Dans le spectacle, il passe par plusieurs incarnations marionnettiques, du crâne d’oiseau à une créature mêlant le squelette à l’humain avec des esquisses ou restes d’ailes. Nous sommes allés pas à pas dans différentes possibilités de visualisation de la figure l’ange, tel qu’elle apparaît non seulement chez García Márquez, mais aussi dans les écrits de Rilke. Chez Rilke, l'Ange n'est pas un messager, mais un être mystérieux, redoutable et fascinant. Ce sont aussi des Anges-miroirs mettant en lumière le danger que peut être, pour l'homme, le narcissisme. De plus, l'Ange est aussi salvateur, dans la mesure où il éveille au sacré et à l'Invisible Quelle est la scénographie proposée ? F. S. : L'espace scénique, sous la forme d’un sol de tourbe humide, avec des bassines en zinc remplies d'eau, constitue l’aire de jeu. En surplomb, pendent des cordes à linge sur lesquelles s’égouttent des chiffons. Qui se métamorphosent en marionnettes. Une cage à oiseaux se balance dans l'air, alors que la barque vient s’échouer sur le rivage de tourbe. Pour mieux en repartir, une fois le récit achevé. Graphiquement, des lignes flottantes dansent ou se déploient sur un sol boueux, fidèle à la géographie imaginée par García Márquez. Le choix des matériaux scéniques fait alterner la sensation de pesanteur avec une impression de légèreté. La ligne d'horizon qui, dans cette fable, se déplace continuellement ou disparaît, permettant la transposition du récit dans l'espace et le temps. La sensibilité aux différents éléments est omniprésente dans le récit de l’écrivain colombien. Comme nous, il est amoureux d’un lieu, d’une terre, notre terre, cette terre, la seule que nous avons, l’odeur de la mer et les bruits d’un pauvre village. La pièce s’ouvre sur un orage et une marionnette est une possible personnification de la pluie qui se déverse. Qu’est-ce qui caractérise le travail de votre compagnie ? F. S. : Une totale liberté de recherche autour de la marionnette et de l’évolution de son potentiel théâtral, et cela sans aucune restriction, sont les points forts dans la recherche théâtrale du Figuren Theater Tübingen. Les résultats se définissent alors plutôt par une composition (théâtre d'images ou théâtre visuel) ou une chorégraphie. Cependant parfois, cela ramène aussi comme avec García Márquez aux histoires classiques. Propos recueillis et traduits par Bertrand Tappolet 4. Un très vieux Monsieur avec des ailes immenses « Parce que la poésie est critique, elle est aussi révélation. Elle ouvre, découvre et rend visible ce qui est dissimulé – des passions secrètes, la face nocturne des choses et l’envers du don. » Octavio Paz A u bout de trois jours de pluie on avait tué tant de crabes dans la maison que Pelayo dut traverser sa cour inondée pour les jeter à la mer, car le nouveau-né avait passé la nuit à grelotter de fièvre et l’on pensait que c’était à cause de l’horrible odeur. Depuis mardi, le monde était triste. Le ciel et la mer avaient le même aspect cendré, et le sable de la plage, qui en mars scintillait comme une poussière de feu, n’était plus qu’une soupe de boue et de coquillages pourris. La lumière était si paisible à midi que lorsque Pelayo rentra chez lui après avoir jeté les crabes, il eut du mal à voir cette chose qui bougeait et gémissait au fond de la cour. » A minuit, quand la pluie cessa, l’enfant se réveilla, sa fièvre était tombée et il avait Avec des ailes immenses faim. Alors ils se sentirent l’âme généreuse et décidèrent d’installer l’ange sur un radeau avec une provision d’eau douce et des vivres pour trois jours, puis de l’abandonner à son sort en pleine mer. Mais quand, au petit matin, ils sortirent dans la cour, ils trouvèrent devant le poulailler tout le voisinage. L’ange se traînait ici et là comme un moribond sans maître. On l’expulsait d’une chambre à coups de balai et un moment plus tard on le retrouvait dans la cuisine. Il semblait être dans tant d’endroits à la fois qu’on finit par croire qu’il se dédoublait, qu’il se multipliait dans toute la maison, et Elisanda, exaspérée, criait comme une folle que vivre dans cet enfer plein d’anges était une calamité. Extraits à partir de : Un monsieur très vieux avec des ailes immenses de Gabriel García Márquez, in : L'incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique, Les Cahiers Rouges, Grasset. 5. Métamorphoses à tire d’ailes « Nous sommes les abeilles de l'Univers. Nous butinons éperdument le miel du visible pour l'accumuler dans la grande ruche d'or de l'invisible ». R. M. Rilke Dans la recherche théâtrale du Figuren Theater Tübingen se dessinent deux modèles de travail : le premier, plutôt classique, expérimente la littérature comme point de départ et à partir de celle-ci, sa sensorialité dans l’espace. Le second s’attache au développement des matériaux, si nécessaire de la marionnette, avec à la base une négation radicale de l'histoire. Avec des ailes immenses La recherche d'une atmosphère favorisant la perception sensorielle de ce récit, et non contrainte uniquement à l’illustration, est présente dès le début. Narration et images ne se recoupent qu’aux frontières provoquant dans cet intervalle une troisième histoire. Cette mise en scène a fait l’objet de trois versions. La version originale a été conçue en 2004 pour le Theatre im Depot et a été présentée au programme du Staatstheater Stuttgart avec une actrice présente par la "voix". La version scénique est née deux ans plus tard avec Enno Podehl dans le rôle du narrateur. La troisième version, en langue française, a été réalisée en 2008 en collaboration avec le Theatre Le Passage à Fécamp qui accueille depuis plusieurs années les spectacles du Figuren Theater Tübingen. Patrick Michaëlis s’est avéré être l’acteur parfait pour occuper le rôle du conteur et ainsi, le voyage peut se poursuivre au-delà des frontières de l'Allemagne. Frank Soehnle 6. Les Anges parmi nous Au tournant du millénaire voici les anges. Est-ce la grande peur de l'an 2000, ou au contraire l'espoir millénariste d'être ensemble enlevés au ciel, comme Platon l'imagine dans le Phèdre ? Est-ce le rêve d'un corps surnaturel ou artificiel, un corps de beauté lumineuse, d'énergie pure, doué de télécommunication, ce corps proposé par les jeux vidéo de la « cyberculture », maître de ses prolongements techniques et de ses métamorphoses, et bientôt enfin délivré des entraves charnelles et terrestres? Est-ce l'attente d'un grand débarquement salvateur, ou bien au contraire la grande profanation mercantile des décombres du sacré ?... Notre perception première, instrumentée par la télécommunication, n'a le temps de retenir que cet inattendu, cet accidentel, ces catastrophes. La meilleure manière de savoir la vision du monde aune culture est encore de chercher son angélologie. Les Grecs anciens côtoyaient diverses apparitions: divinités, images de rêve, fantômes de morts; les peuples de l'Asie centrale et de l'Altaï avaient besoin de ces « êtres intermédiaires » pour visualiser les opérations du chaman ; les soufis de l'Islam médiéval ne voyaient plus que des anges, et leur cosmologie entière n'était qu'une angélologie fantastique. Dans nos sociétés hantées par l'accident et la catastrophe, ce sont surtout les anges gardiens qui sont de retour, et dans notre ultramoderne solitude, les anges de la para communication sont devenus la chose au monde la plus répandue. L'ange est devenu notre « joker », et peut servir à tout. Il suffit de jeter un coup d'œil affolé à la presse et à une bibliographie galopante pour s'en convaincre. Bientôt on rencontrera plus facilement des anges que des hommes. Olivier Abel 7. Histoire d’un recueil de nouvelles Dans le recueil de nouvelles, dont est extrait Un monsieur très vieux avec des ailes immenses, il y a la côte caraïbe, humide et putrescente. C’est le lieu clos des sept récits. Réservoir de fantasmes et de craintes, espace de mémoires et de fables, un bourg misérable coincé entre la mer, marécageuse, dévoreuse de dunes, grouillante de crabes omniprésents, et l'infranchissable Cordillère, voit s'agiter d'ineffables pantins et de mythiques créatures : le miracle s'inscrit au bas de chaque page et l'humour sauve ce monde abandonné des dieux où l'impitoyable grand-mère prostitue la jeune Erendira pour satisfaire son intense appétit de lucre. Même la mort ne saurait endiguer le flot des légendesDepuis fin 1967, si L’Automne du patriarche était son principal projet, García Márquez avait aussi recommencé à écrire des nouvelles, ajoutant les plus récentes — dont Un monsieur très vieux avec des ailes immenses, qui datait de 1961. Elles seront toutes rassemblées en 1972 sous le titre L'incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique. La nouvelle-titre a une longue histoire, puisqu’en un sens elle remonte au monde mythique des ses grands-parents et au désert de la Guajira… Avant de devenir une longue nouvelle, l’histoire était un scénario de film. Comme toutes les nouvelles avaient été commencées auparavant − et parfois très longtemps auparavant −, García Márquez put les utiliser pour se « chauffer le bras » afin de revenir à son roman inachevé… A première vue, ces nouvelles sont plus primitives, élémentaires et magiques que les nouvelles des Funérailles de la Grande Mémé, mais c’est d’une manière plus picturale et « littéraire », comme si l’élément fantastique des nouvelles plus anciennes était appliqué à un scénario géographique concret, comme si les bourgades fictives de Macondo et le « Pueblo » étaient réels, alors que la Guajira (que García Márquez n’avait jamais vue) était un royaume magique et mythique (Bogota et ses faubourgs restant toujours, au contraire, un lieu démoniaque plein d’ombres et de menaces. Gerald Martin 8 . G a b r i e l G a r c í a M á r q u e z e n t r e l e c t u r e s et influences Les critiques ont toujours vu dans ton œuvre l'ombre de Faulkner. Gabriel García Márquez : C'est vrai. Et ils ont tellement insisté sur l'influence de Faulkner que pendant un bout de temps je me suis laissé convaincre. Cela ne me gêne pas, parce que Faulkner est un des plus grands romanciers de tous les temps. Mais je n'arrive pas à comprendre comment les critiques découvrent les influences. Dans le cas de Faulkner, les analogies sont plus géographiques que littéraires. Je les ai découvertes bien après avoir écrit mes premiers romans, au cours d'un voyage dans le sud des Etats-Unis. Ces villages brûlés de soleil et poussiéreux, ces gens sans espoir que j'ai rencontrés ressemblaient beaucoup à ceux de mes récits. Cela ne devait pas être une ressemblance due au hasard, puisque Aracataca, le village où je suis né, avait été construit en grande partie par une compagnie nord-américaine, la United Fruit. Avec Virginia Woolf, personne, sauf toi, ne parle de cette influence. Où est-elle ? G. M. : Je ne serais pas l'auteur que je suis si, à vingt ans, je n'avais pas lu ce passage de Mrs. Dalloway : « Mais nul ne doutait qu'un grand personnage ne fût à l'intérieur. La grandeur passait, cachée, dans Bond Street, tout près des gens ordinaires qui se trouvaient — un jour dans leur vie — à portée de voix des Majestés de l'Angleterre, du symbole durable d'un Etat qu'étudieraient plus tard les archéologues dans les fouilles et les ruines. Alors, quand Londres ne sera plus que sentiers couverts d'herbe, et quand, de tous ceux qui, ce mercredi matin, se pressent dans la rue, il ne restera plus que des ossements avec quelques alliances mêlées à leur poussière et l'or d'innombrables dents cariées, on saura quel était ce visage qui se cachait dans l'automobile. » Je me rappelle avoir lu cela tandis que j'écrasais les moustiques et que je délirais de chaleur dans une petite chambre d'hôtel, à l'époque où je vendais des encyclopédies et des livres de médecine dans la Goajira colombienne. (Le département de La Guajira est situé à l'extrême nord-est du pays et baigne dans les eaux tièdes de la mer des Caraïbes). Pourquoi ce passage a-t-il eu autant d'effet sur toi ? G. M. : Il a complètement bouleversé mon sens du temps. Peut-être m'a-t-il permis d'entrevoir en un instant tout le processus de décomposition de Macondo (village imaginaire de Colombie) et son destin final. Je me demande également s'il ne serait pas l'origine lointaine de L'Automne du patriarche, qui est un livre sur l'énigme humaine du pouvoir, sur sa solitude et sa misère. La liste des influences doit être plus vaste. Qui avons-nous oublié ? G. M. : Sophocle, Rimbaud, Kafka, la poésie espagnole du Siècle d'Or et la musique de chambre depuis Schumann jusqu'à Bartok. Propos recueillis par Plinio Mendoza 9. Gabriel García Márquez ou le réalisme magique Prix Nobel de Littérature en 1982, l'écrivain colombien Gabriel García Márquez appartient à la récente génération de ces romanciers latino-américains qui ont su se faire lire et entendre hors de leur pays en donnant un nouveau souffle au genre narratif. Le cas de García Márquez, né en 1927 à Aracataca, un petit bourg du nord de la Colombie, est d'autant plus remarquable que la vaste audience qu'il a acquise depuis la publication de Cent Ans de solitude (1967), il la doit à la création d'un univers romanesque très particulier, ce qui n'est pas le moyen le plus facile de toucher un large public. En effet, même s'il peut prendre une signification générale pour n'importe quel lecteur, le monde fictif de García Márquez reste a priori nettement colombien dans sa matière et son esprit. Or, et c'est là un autre intérêt de cette œuvre, la manifestation d'une réalité et d'une mentalité locales y est également fort différente de l'indigénisme qui a marqué l'histoire du roman latino-américain, surtout dans la première moitié du XXe siècle, et en limitait singulièrement la portée. García Márquez a trouvé une manière de conter, appelée par certains « réalisme magique », qui élève une réalité identifiable dans le temps et l'espace à la valeur de mythe universel. Merveilleux et magie Les premières années de García Márquez furent bercées par un environnement familial et social qui détermina par la suite son univers littéraire. Elevé dans un univers où le merveilleux le dispute sans cesse à l’irrationnel, le jeune Dans une atmosphère de chaleur moite et de pluies diluviennes… Gabriel gardera par exemple le souvenir des aventures de son grand-père, le colonel Nicolas Marquez en lutte permanente contre la bureaucratie d’un gouvernement conservateur, ou encore du récit des méfaits de la compagnie bananière américaine « United Fruits ». Dans toute son œuvre, García Márquez montre sa volonté d’échapper à une réalité rurale élémentaire et à la narration omnisciente, afin de rendre compte de la compénétration entre le réel et l’imaginaire qui caractérisait le monde de son enfance et d’affirmer la souveraine liberté esthétique. Le merveilleux, la magie, l’amour, sont les éléments qu’il cultive pour faire échec à l’avance inexorable du temps et de la mort. La seule façon d’échapper à cette angoisse, c’est le recours à l’humour, au fantastique et au rêve qui confère à ses personnages une dimension excentrique et tragicomique. La plupart des récits de García Márquez, à l'exception de L'Automne du patriarche (1975) et de certains contes, sont une seule et même histoire toujours recommencée et toujours différente, partiellement développée et approfondie jusqu'à la magistrale synthèse de Cent Ans de solitude. Peu à peu, à partir de Pas de lettre pour le colonel (1961), on voit s'élaborer la figure de Macondo, avec des lieux, des personnages et des événements qui resurgissent semblables d'un récit à l'autre, mais repris à chaque fois dans une perspective différente ou avec une importance variable. Loin d’être seulement l'image de la bourgade colombienne typique, Macondo, c'est aussi le symbole de toute l'Amérique latine qui, d'une manière générale, connaît le même destin, les mêmes conflits et problèmes que la Colombie. Dans une atmosphère de chaleur moite et de pluies diluviennes, une lente et fatale décomposition semble toucher les hommes comme les choses, le corps social comme les âmes. L'ennui et l'usure du temps travaillent à ce pourrissement aussi sûrement que la tension que l'on sent partout latente, alimentée par les passions personnelles, mais également par la traditionnelle rivalité entre les deux factions politiques de la Colombie : les libéraux et les conservateurs. Tout baigne dans un lourd climat qui paraît préluder à une catastrophe avec parfois, comme signe prémonitoire, le suicide des oiseaux venant s'écraser contre les fenêtres. Sauf dans des récits comme Des Feuilles dans la bourrasque (où un homme seul affronte l'hostilité de tout un village), ce monde n'est pourtant pas vraiment tragique : car on échappe à la tragédie à mesure que s'affirme chez García Márquez un art de conter fait de démesure sereine et d'humour, et qui trouve son plein épanouissement dans Cent Ans de solitude. Réalité politique Dans les œuvres majeures de l’écrivain, les grandes épidémies porteuses de Un art de conter fait de mort (paludisme, fièvre démesure sereine et d’humour. jaune, choléra, peste) sont une allégorie de toutes les formes de violence dont souffre la Colombie depuis le début du XXe siècle et en particulier la violence politique. Dans Journal d’un enlèvement (1996), l’auteur colombien aborde le thème du narcoterrorisme qui ravage le pays en relatant les enlèvements de dix personnalités qui furent victimes du chef du cartel de Medellin, Pablo escobar, au début des années 90. García Márquez n'a jamais dissimulé sa profonde sympathie à l'égard de Fidel Castro et des mouvements révolutionnaires latino-américains auxquels il a toujours accordé un indéfectible soutien, aussi bien moral que financier. En 1972, il avait d'ailleurs financé grâce à l'argent d'un prix littéraire reçu pour Cent ans de solitude (le "Rómulo Gallegos"), la campagne électorale du Mouvement vers le socialisme au Venezuela, un parti politique qui a soutenu Hugo Chavez lors de ses deux élections. Il a logiquement servi, en diverses occasions, d'intermédiaire entre le gouvernement colombien et les guérilleros comme lors du mouvement du 19 avril 1970. Il est l'un des fondateurs de L'École Internationale de Cinéma et de Télévision (EICTV) de Cuba. Son agent a annoncé que l'auteur mettrait un terme à sa carrière d'écrivain et n'écrirait rien de plus, le 31 mars 2009. En 2002, il publie Vivre pour la raconter, le premier volume de ses mémoires, livre qui a connu un succès immense dans les pays hispanophones. Certaines de ses œuvres ont été adaptées au cinéma dont Chronique d'une mort annoncée réalisé en 1986 par Francesco Rosi, avec entre autres Rupert Everett, Ornella Muti et Anthony Delon ou encore L'Amour au temps du choléra, écrit pour l'écran par Ronald Harwood, mis en scène par Mike Newell et interprété notamment par Javier Bardem, Benjamin Bratt et Giovanna Mezzogiorno. Très détaillée et fournie, la prose de García Márquez brise la narration linéaire, privilégie l'anecdote baroque et essaime les références historiques dans un univers constitué de lieux ou de figures complètement inventés. Cette superposition de l'érudition à l'imagination et du rationnel au fantastique permet de brouiller les pistes d'une lecture romanesque univoque. Emplies d'un souffle épique enjoué et ironique, ses fictions dénoncent inégalités sociales et compromissions morales, fruits de luttes acharnées de pouvoir ou d'intérêt et principales causes du malheur des plus faibles, acculés à connaître les rouages d'un destin tragique. Au passage, l'auteur fustige certains des maux qui gangrènent une bonne partie du comportement humain : la lâcheté, la bassesse, l'avidité, le goût du pouvoir, la vengeance, l'archaïque attachement aux tradition. Sous sa plume démiurgique et « naïve » (non pas au sens de « bêtise » mais d'« émerveillement de l'enfant devant sa création » comme l'explique son traducteur), c'est tout le continent latino-américain en général et la Colombie en particulier qui renaissent : leurs us et coutumes, leurs croyances, leurs conflits, leurs guerres civiles... jusqu'à leur soumission à l'impérialisme nord-américain. Humanisme inquiet La création romanesque de García Márquez semble se définir dans le refus systématique d'un réalisme traditionnel qui donnerait au discours narratif un caractère platement analytique. D'où l'ambiguïté déjà signalée et à laquelle n'échappe pas Le Général dans son labyrinthe, roman qui évoque les derniers jours de la vie du théoricien et fondateur de l'Amérique latine indépendante, Simón Bolívar. Dans ses récits politiques, comme dans le reste de son œuvre, les moyens esthétiques mis en œuvre par García Márquez n'ont pas pour but la manifestation d'une idéologie explicite (comme celle qui apparaît dans son abondante œuvre journalistique). Son attitude de romancier est avant tout éthique, une éthique qui semble se fonder sur un mélange d'humanisme et de scepticisme, et qui demeure toujours profondément ouverte. 10. Le Figuren Theater Sur scène, un secrétaire. Un tiroir s’ouvre et des messages secrets se révèlent à des « centaures », des créatures mi-homme, mi-bête. Ils pénètrent ensuite dans l’antichambre de notre mémoire et rencontrent la Mort, une danseuse aux plusieurs visages. Un éventail de transformations, poétiques et bizarres, créées à partir d’images de « Danses macabres ». Un trio de musique, marionnettes et danse hante Salto lamento, grand succès public et critique de la saison 2008-2009 au Théâtre des Marionnettes de Genève. Fondé en 1991 par Frank Soehnle et Karin Ersching, le Figuren Theater Tübingen repousse les limites qui séparent le théâtre de marionnettes et les autres arts. Leurs spectacles sont des poèmes visuels, présentés et acclamés à travers le monde, dans plus de 40 pays. 11. Bibliographie Oeuvres • García Márquez Gabriel, L'incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique, Paris, Grasset, 2007 • García Márquez Gabriel, Douze Contes vagabonds, Paris, le Livre de Poche, 2006 Etudes sur la littérature latino-américaine • Bareiro Saguier Ruben, De Leon Olver, Anthologie de la nouvelle latino-américaine, Paris, Belfond/Unesco, 1991 • Cyrman Claude, Fell Claude (dir.), Histoire de la littérature hispano-américaine de 1940 à nos jours, Paris, Nathan, 1997 • Delpart François, Lemogodeuc Jean-Marie, Penjon Jacqueline, Littératures de l’Amérique latine, Aix-en-Provence, Edisud, 2009 • Franco Jean, Lemogodeuc Jean-Marie, Anthologie de la littérature hispano-américaine, Paris, Presses Universitaires de France, 1993. • Fuentes Carlos, Le Sourire d’Erasme. Epopée, utopie, et mythe dans le régime latinoaméricain, Paris, Gallimard, 1992 • Leehardt Jacques (dir), Littérature latino-américaine d’aujourd’hui, Paris, Bourgois, 1981 Biographie et autobiographie • García Márquez Gabriel, Vivre pour la raconter, Paris, Grasset, 2003 • García Márquez Gabriel, Une Odeur de goyave, (entretiens), Paris, Belfond, 1982 • Martin Gérald, Gabriel García Márquez, Paris, Grasset, 2009 • Billon Yves, García Márquez. A Witch Writing, film documentaire, Zarafa Films, France 3, 1998 Les Anges • Abel Olivier, Le Réveil des anges, Messagers des peurs et des consolations, Paris, Ed. Autrement, 1996 • Bernet Anne, Enquête sur les anges, Paris, Perrin, 1997 • Faure Philippe, Les Anges, Pris, Ed. du Cerf, 2004 Le Fantastique • Couty Daniel, Le Fantastique, Paris, Bordas, 1989 • Labbé Denis, Millet Gilbert, Le Fantastique, Paris, Ellipses Edition Marketing, 2000 ► Les ouvrages cités dans cette sélection bibliographique ont été soigneusement lus et choisis pour vous. Ils sont disponibles dans le cadre des Bibliothèques Municipales et de la Bibliothèque de Genève. Réservations : 022 418 47 77 ou sur : wwww.marionnettes.ch Pour des informations complémentaires : Bertrand Tappolet Théâtre des Marionnettes de Genève 3, rue Rodo - cp 217 - 1211 Genève 4 tél. +41 22 418 47 84 mobile +41 0 79 517 09 47 e-mail [email protected] Davantage d’informations sur : www.marionnettes.ch T TT Théâtre des Marionnettes de Genève - Rue Rodo 3, 1205 Genève / Tél. 022/418.47.70 - fax 022/418.47.71