michael jeremiasz – 3 – sport 2

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michael jeremiasz – 3 – sport 2
Michaël Jeremiasz
Tennis en fauteuil
Entretien : Paris, Août 2009
3 – Le sport (partie 2)
En dehors des tournois du Grand Chelem et des Jeux, il y a des tournois…
Nous avons un circuit avec 170 compétitions annuelles. Moi, je dois faire une
vingtaine de tournois par an.
Tu es à l’étranger une bonne partie de ton temps.
De mi-janvier à mi-février, nous sommes en Australie ; mars à l’entraînement ; avril
aux Etats-Unis. Mai : Japon, Corée puis Europe. Juin : Roland Garros et Europe.
Juillet-Août : Wimbledon et Europe. Septembre : Etats-Unis et US Open, puis c’est
assez light jusque fin octobre. Novembre : les Masters de simple et de double.
Quelle est ta plus grande joie sportive pour l’instant ?
Je n’ai pas encore réussi à les hiérarchiser. Il y a le titre de champion de France en
2001. J’ai commencé à taper quelques balles fin 2000 ; 2001, j’y vais, je m’entraîne,
aidé par le niveau que j’avais avant l’accident, et ma très rapide adaptation au
fauteuil. En 2001, je suis champion de France individuel, première série, la plus haute
distinction nationale. Je me dis que quelque chose est en train de se passer, et qu’il y a
moyen de faire quelque chose. En 2004, pour la médaille de bronze à Athènes en
simple… J’ai aussi eu la médaille d’argent en double : c’est mieux, c’est de l’argent,
mais nous l’obtenons sur une défaite. Tu perds la finale, tu as l’argent ; tu gagnes la
petite finale, tu as le bronze. Toute la famille et les amis étaient là… Cela reste dans le
top 5. En 2005, je suis champion du monde et numéro un mondial ; je gagne l’Open
de France – pas Roland Garros, le BNP Paribas Open de France – qui est le plus gros
tournoi français en handisport pur. En finale, je bats le numéro un mondial de
l’époque : je suis mené 5/0 au troisième set et je gagne 7/6, devant tout le public
français, environ 500 personnes, au Parc de Sceaux. Enfin, ma première victoire à
Wimbledon en 2005.
En double (N.d.A. : l’épreuve ne se dispute pas en simple) ?
Oui, c’était la première édition : je gagne avec un joueur anglais Jayant Mistry, un très
bon ami. En direct sur la BBC, avec dîner de gala le soir. Nous posons avec Federer ;
Venus Williams fait un super discours en nous citant, en disant qu’elle était honorée
d’avoir gagné l’année où le handisport était intégré. Vraiment sympa. C’était un grand
souvenir aussi. Et le dernier en date : la médaille d’or aux Jeux de Pékin. C’était
quand même énorme… C’est l’ensemble : la victoire, moi torse nu sur le terrain à
jeter ma raquette et à casser le protocole, et à mettre le feu avec mon partenaire. Nos
deux familles étaient là, soit cinquante personnes, plus tout le staff. Puis une grande
fête le soir à Pékin jusque neuf heures du matin. J’ai même raté la visite de la muraille
de Chine : je suis allé à Pékin et je n’ai pas vu la muraille de Chine. Roland Garros est
le plus marquant.
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Et, à l’inverse, la plus grande déception ?
… Je n’ai pas vraiment de match où je suis passé à côté…À Athènes, en finale du
double, ils sont vraiment plus forts que nous. À Pékin, je perds en quart de finale
contre un joueur contre lequel je n’avais jamais perdu. Je sortais de quatre mois
d’arrêt entre février et mai. J’ai repris fin juin, deux mois avant les Jeux. C’était une
frustration. Je n’ai pas le souvenir de quelque chose qui m’a mis au fond du trou,
comme Paul-Henri Matthieu qui perd contre Youzhny en Coupe Davis.
As-tu déjà été blessé à cause du tennis ?
Depuis quelques années, j’ai des tendinites à répétition au niveau de l’épaule gauche.
Je suis droitier, mais il faut ajuster avec le bras qui ne tient pas la raquette au moment
de la frappe, ce qui est assez traumatisant pour les articulations. Tendinite de la coiffe
des rotateurs pendant des années. Au mois d’octobre de l’année dernière, je me suis
fait opérer de l’épaule, une acromioplastie, qui a eu comme effet de réveiller un
syndrome cervico-thoraco-brachial, que je traînais depuis quelques années des deux
côtés, mais qui ne me gênait pas plus que ça jusqu’à présent. Depuis août, j’ai arrêté
les tournois, à cause de douleurs très violentes. C’est donc quelque chose que je
soigne.
Par une opération ?
A priori non. C’est une période de repos d’abord puis de la kinésithérapie-ostéopathie,
où nous allons travailler sur la zone où se trouve le syndrome, pour soulager. Ensuite,
c’est un gros travail de musculation, de rééquilibrage entre les muscles. Chez nous,
les pectoraux et les biceps sont très forts, et il faut rééquilibrer avec les muscles du
dos, qui sont moins forts, parce que nous poussons toujours vers l’avant. J’en ai pour
plusieurs mois…
Et tu comptes reprendre…
Idéalement, j’aimerais reprendre en fin d’année en vue de la compétition en Australie
au mois de janvier. Là, j’étais deuxième mondial en double, troisième en simple, et je
vais donc retomber un peu au classement.
Au niveau de l’entraînement…
Je peux te décrire une semaine type d’entraînement.
Allez, une folie !
Soyons fous ! Par exemple, lors de la préparation de la tournée australienne, l’hiver
dernier, c’était entraînement du lundi au samedi : deux ou trois heures de tennis par
jour, deux heures d’entraînement physique : un peu de musculation, médecine ball,
vitesse… Puis kiné tous les soirs.
Tu as une préparation mentale aussi ?
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Certains oui. Moi, non. J’ai des frères, des amis pour cela. Et c’est aussi l’une des
missions du coach.
Certaines personnes t’ont-elles poussé ou aidé, à ce moment-là ou après, ou c’est
plutôt venu de toi ?
J’ai demandé par curiosité si je pouvais faire du tennis en fauteuil. Ils m’ont dit oui ;
ils m’ont présenté à Pierre Fusade, le directeur technique fédéral de tennis en fauteuil,
qui m’a décrit tout cela. Cela m’a donné envie, et j’ai toujours eu le soutien
inconditionnel de mes parents – y compris pour l’aspect financier – et de mes frères.
Personne ne m’a poussé ; je l’ai fait à l’envie.
Pour les études, tu as mentionné les études de langues et je crois que tu suis des
cours à Sciences-Po.
J’ai eu mon accident en février 2000 ; j’avais validé mon premier semestre en
Langues Etrangères Appliquées (Anglais, Espagnol) à Créteil. Les six mois suivants,
j’étais en rééducation. L’année suivante, j’ai pris des cours à la fac, et je pratiquais le
tennis en même temps. J’ai validé mes deux premières années et, en 2003, soit je
passais ma licence, soit je me lançais à fond dans le tennis. J’ai choisi cette voie. Puis,
je me posais la question depuis deux ou trois ans ; je trouve cela un peu pauvre de ne
faire que du sport. La Fondation Lagardère a signé un partenariat avec Sciences-Po,
pour aider à la réinsertion des athlètes de haut niveau, avec la possibilité de suivre des
cours, pour éventuellement intégrer des Masters. Cela fait deux ans que je suis des
cours, avec un tuteur qui me suit à l’année. Nous avons beaucoup de travail de
méthodologie.
Tu le fais dans quelle optique : une autre corde à ton arc ou tu as une idée
derrière la tête ?
Je fais cela pour préparer ma reconversion. J’ai fait un bilan de compétences juste
avant l’été avec un des professeurs de l’équipe, et je vais me diriger vers le
journalisme et la communication. Communication, médias, événementiel… Je suis
plutôt à l’aise, à la télévision, à la radio… Être le prochain Harry Roselmack à
roulettes. Pourquoi pas ?
Oui, pourquoi pas ? Le dopage est-il présent dans le tennis en fauteuil ?
Nous avons des contrôles toute l’année. J’ai été contrôlé trois fois cette année, une
fois chez moi et deux fois en compétition. Ils ont les mêmes exigences vis-à-vis de
nous qu’avec les valides. Dans le top cinq mondial, ce qui est mon cas depuis quatre
ans, il faut remplir un papier tous les trimestres qui doit donner le lieu et une heure de
disponibilité par jour.
Et si tu changes ?
J’ai le droit, mais je dois le dire. Si j’avais prévu demain d’être chez moi entre huit en
neuf heures, que je fais la fête, que je ne dors pas chez moi, et qu’ils viennent demain
matin, j’ai un blâme. Au bout de deux ou trois blâmes, nous sommes suspendus..Le
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seul cas de dopage révélé, c’était un joueur anglais pour prise de cocaïne. Chacun
appelle cela comme il veut ; moi, je n’appelle pas cela du dopage.
C’est plus une bêtise que du dopage.
C’est une bêtise, c’est la fête, mais ce n’est pas un joueur qui a pris cela avant un
match pour mieux jouer. Une fille a été pénalisée symboliquement – c’est pathétique
d’ailleurs – une joueuse israélienne qui n’est pas du tout professionnelle, elle ne fait
que quelques tournois par an. Elle est asthmatique depuis très longtemps – je la
connais très bien – mais elle n’a pas déclaré les produits et elle a pris un mois ou
deux. Il n’y a pas eu de cas aujourd’hui comme un Guillermo Coria ou un Mariano
Puerta, d’un joueur qui a pris des anabolisants. Il y en aura sans doute un jour, comme
chez les valides. Peut-être moins, parce qu’il y a moins d’enjeu. Mais, cela commence
à devenir un peu plus pro, avec plus d’argent. Cela fait quand même partie de ces
sports très techniques, avec un aspect purement physique moins important que pour la
course ou le vélo. Si Nadal bat Federer, c’est qu’il a le jeu pour l’ennuyer et qu’il sait
le faire.
Prochaine lettre :
Michaël Jeremiasz
4 – Le sport (partie 3).
© Loïc Henry / 2009 – 2010.
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