Le trafic de cocaïne en Afrique de l`ouest

Transcription

Le trafic de cocaïne en Afrique de l`ouest
Le trafic de cocaïne en Afrique de l’ouest
Sociologie des acteurs d’une démocratie néo patrimoniale : le cas du Ghana
Mémoire préparé par Mlle Alice LE MENE
Sous la direction de Mme Wanda CAPELLER
Année 2015
Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans
les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur
auteur(e).
2
Remerciements
Je tenais avant tout à remercier ma directrice de mémoire, Wanda Capeller, pour ses conseils et
sa disponibilité, ainsi que pour ses critiques, qui m’ont aidé à aller dans la bonne direction tout
au long de ces travaux.
Je souhaitais également remercier toutes les personnes que j’ai côtoyé durant mon stage à
l’ambassade de France à Accra, et tout particulièrement l’officier de police, Patrick Amalvy,
qui m’aiguillonné en me transmettant informations, documentations et contacts, toujours avec
grand plaisir. Un grand merci aussi à ma maître de stage, Cécile Vigneau, qui a été énormément
à l’écoute durant ces six mois et grâce à qui j’ai pu comprendre tant de choses sur la société
ghanéenne.
Par ailleurs, je voudrais saluer toutes les personnes que j’ai rencontrées durant l’élaboration de
ce mémoire et qui ont accepté de répondre à mes questions, avec toujours beaucoup d’intérêt et
de gentillesse.
Enfin, je tenais à terminer par ma famille, qui m’a toujours soutenue lors de mes séjours à
l’étranger, et mes amis, en France et à l’étranger, avec une pensée toute particulière pour
Elisabeth et pour les heures de discussion sans fin sur nos projets de recherche respectifs, ainsi
qu’à tous mes proches d’Accra, colocataire, voisins, amis et collègues, pour leurs
encouragements.
3
Abréviations
AFRICOM: United-States Africa Command
AQMI: Al Qaeda au Maghreb Islamique
BNI: Bureau of National Investigations
CEDEAO: Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest
CHRAJ: Commission on Human Rights and Administrative Justice
CID: Criminal Investigations Department
DEA: Drugs Enforcement Authority
EOCO: Economic and Organised Crime Office
FMI: Fonds Monétaire International
IEA: Institute of Economic Affairs
ILU: International Liaison Unit
KIA: Kotoka International Airport
KAIPTC: Kofi Annan International Peacekeeping Training Centre
MP: Member of Parliament
NACOB: Narcotics Control Board
NDC: National Democratic Congress
NPP: New Patriotic Party
OICS: Organe International de Contrôle des Stupéfiants
OMD: Organisation Mondiale des Douanes
ONU: Organisation des Nations-Unies
ONUDC: Organisation des Nations-Unies contre la Drogue et le Crime
PNUD: Programme de Développement des Nations-Unies
SOCA: Serious Organised Crime Agency
UE: Union Européenne
4
WACD: West Africa Commission on Drugs
WACI: West African Coast Initiative
WACSI: West Africa Civil Society Institute
TI: Transparency International
5
Table des matières
Introduction …………………………………………………………………………………... 9
Partie 1 : La réorganisation du marché mondial de la cocaïne ……………………………25
I. Transformations historiques et géographiques ……………………………………………..25
1) L’histoire de la cocaïne : du licite vers l’illicite ………………………………………25
2) Intégration de l’Afrique dans la filière globale de la cocaïne …………………………28
2) a) Extension du bassin caribéen ……………………………………………………28
2) b) L’intégration de la cocaïne dans le circuit informel ……………………………...32
II. Spécificités géographiques ………………………………………………………………..33
1) Le cas du Ghana ………………………………………………………………………33
2) Le Sahel ………………………………………………………………………………35
III. L’ancrage de la cocaïne dans le local : augmentation de la consommation domestique …...36
Partie 2 : La collision entre la cocaïne et les sociétés ouest-africaines ……………………40
I. Tendances globales de la cocaïne …………………………………………………………...40
II. Une baisse des saisies trompeuse …………………………………………………………..43
1) En Afrique de l’ouest …………………………………………………………………43
2) Focus sur le Ghana ……………………………………………………………………45
2) a) Un trafic ancien ………………………………………………………………….45
2) b) Appréciation de la situation actuelle au Ghana…………………………………..46
3) Le trafic de cocaïne, un choix économique rationnel …………………………………48
III. Implication des acteurs locaux ……………………………………………………………50
1) Une implantation facilitée par l’ancienneté du secteur informel ……………………..50
2) Création de réseaux ouest-africains spécialisés ……………………………………….52
3) Un exemple de carrière déviante au Ghana …………………………………………...54
6
Partie 3 : La patrimonialisation de la « ressource » cocaïne ………………………………56
I. Une volonté politique confrontée aux limites structurelles de l’Etat ghanéen ………………57
1) Un Etat de droit démocratique limité par la faiblesse des institutions ……………….57
2) Prégnance de la corruption ……………………………………………………………59
II. Un modèle de démocratie en Afrique… pourtant basé sur le néo-patrimonialisme ………..62
1) La question de l’absence de violence …………………………………………………62
2) Un fonctionnement politique exclusif et élitiste ………………………………………64
3) Sous des airs de démocratie, l’Etat néo-patrimonial …………………………………..65
III. La passivité des pouvoirs publics …………………………………………………………68
1) Les narcotiques, outils de corruption et de construction de capital social des agents
publics ………………………………………………………………………………..69
2) La politisation de la cocaïne : accusations de financements opaques et médiatisation des
affaires ………………………………………………………………………………..71
Partie 4 : Stratégies locales et globales : les institutions ghanéennes et la coopération
internationale ………………………………………………………………………………..75
I. Etat des lieux de la législation et des institutions ghanéennes ………………………………77
1) Un arsenal législatif étoffé mais ancien ……………………………………………….77
2) Les agences de lutte gouvernementales ………………………………………………79
3) Forces et lacunes du monde judiciaire ………………………………………………...81
4) Le cas de la police …………………………………………………………………….83
II. La coopération internationale au Ghana …………………………………………………...84
1) Aperçu des acteurs engagés …………………………………………………………..84
2) Des opérations de soutien centrées sur le renforcement des capacités ………………85
2) a) L’ONUDC ………………………………………………………………………86
2) b) La coopération américaine ………………………………………………………86
2) c) Succès et échecs de la coopération britannique ………………………………….88
3) Les limites du capacity building ……………………………………………………...90
7
Conclusion ……………………………………………………………………………………92
Bibliographie …………………………………………………………………………………94
Annexes :
Annexe 1 : Liste des entretiens effectués …………………………………………….101
Annexe 2 : Grille de questions des entretiens semi-directifs en anglais ……………...102
Annexe 3 : Carte du Ghana …………………………………………………………..103
8
Introduction
Le trafic de cocaïne en Afrique de l’ouest a été révélé à la connaissance du public
européen lors du crash spectaculaire d'un Boeing 727 en 2008 au nord de Goa, au Mali, un
avion surnommé « Air Cocaïne » par les médias. Cette affaire a contribué à révéler l'ampleur
du trafic en Afrique de l'ouest, une zone qui serait devenue submergée par la cocaïne, qui
servirait à financer des groupes terroristes locaux. Dans cette région récemment sortie des
guerres civiles (Liberia et Sierra Leone dans les années 1990, Côte d'Ivoire au début des années
2000), mais de plus en plus déstabilisée depuis plusieurs années par de nouveaux acteurs
(apparition de mouvements terroristes tel qu'Al Qaeda au Maghreb Islamique – AQMI – ou
Boko Haram au Nigeria), le trafic de drogues n'est pas un facteur anodin ou apaisant. L’enjeu
est de taille, les trafics de drogues dans le Sahel et en Afrique de l’ouest pouvant profiter à la
fois aux mouvements terroristes, aux trafiquants et aux États.
L’Afrique de l’ouest est une des régions les plus pauvres au monde ; le trafic de drogues génère
donc des sommes colossales par rapport au PIB des États.1 C'est une zone de transit et non de
production : celle-ci est concentrée en Amérique latine pour ce qui est de la cocaïne, et en Asie
pour l'héroïne. Les modèles d'analyses classiques qui font le lien entre drogues et conflits se
basent le plus souvent sur des régions productrices, telles que la Colombie ou l’Afghanistan, ce
qui n’est pas le cas de l’Afrique de l’ouest. Malgré tout, certains acteurs institutionnels
s'inquiètent de la possibilité que la sous-région ouest-africaine puisse succomber à la violence
et devenir une réplique du Mexique ou de certains pays d’'Amérique centrale (Honduras,
Guatemala). Dans ces régions, il n’y a pas de bénéfices pour la « paysannerie » locale,
contrairement aux zones productrices : les bénéfices réalisés ne se répercutent pas sur la
population locale, étant captés directement par les trafiquants. Alors que dans les pays
d'Amérique latine où est cultivée la coca, la Colombie, la Bolivie et le Pérou, les cultivateurs
profitent également de la manne d'argent que représente la cocaïne.
L'Afrique de l'ouest a donc rejoint la liste des régions touchées par le trafic illicite de
cocaïne, pourtant jusque-là épargnée. L'intérêt pour cette zone est devenu grandissant depuis le
1
Nations-Unies, Résumé analytique, Criminalité transnationale organisée en Afrique de l'Ouest : Une
évaluation des menaces (ONUDC), http://www.unodc.org/toc/fr/reports/TOCTAWestAfrica.html, page
consultée le 3 juin 2015.
9
début des années 2000, bien avant la médiatisation de l’affaire « Air cocaïne ». Les quantités
de drogues saisies étaient déjà devenues suffisamment conséquentes pour attirer l'attention de
l'Office des Nations-Unis contre la Drogue et le Crime (ONUDC), basée à Vienne, qui depuis
publie de nombreux rapports sur la question. En 2008, lors d’une conférence de haut niveau à
Praia, au Cabo Verde, sur la menace représentée par le trafic de drogues pour l’Afrique de
l’ouest, le directeur exécutif de l’époque de l’ONUDC, Antonio Costa, avait déclaré, non sans
un certain sens de la dramatisation, que « la Côte de l'Or est en passe de devenir la Côte de la
Coke ».2 Il avait ajouté « qu’il ne s'agit pas d'un problème de drogue uniquement, mais d'une
menace à la santé et à la sécurité publiques en Afrique de l'Ouest ». L’ONUDC juge alors
opportun de développer la coopération régionale et internationale, afin de renforcer l’État de
droit et la gouvernance dans les pays côtiers de la sous-région. Les ministres de la Communauté
économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) présents à la réunion ont ainsi conclu
un accord politique et un plan d’action régional, afin de lutter contre la menace du trafic de
narcotiques.3 Le Conseil de sécurité de l'ONU va également se saisir du problème, ainsi que le
monde universitaire.4
Du fait de la nature même du transit en question – étant illicite et échappant à tout contrôle
étatique – il est très difficile d'avoir des estimations précises sur les quantités réelles de drogues
circulant en Afrique de l'ouest et au Sahel. La fiabilité des sources est souvent à questionner,
bien qu'il soit estimé que les données fournies par l'ONUDC soient les plus complètes existant.
Dès 2008, les saisies ont baissées, faisant penser à une diminution du trafic de cocaïne dans la
région. Mais pour certains chercheurs5, les trafiquants auraient simplement changé leurs modes
d'opération et le trafic est tout aussi important, voire peut être même plus, car impossible à
quantifier. En effet, un des problèmes majeurs que connaissent l'Afrique de l'ouest et le Sahel
2
La Côte de l’Or, ou Gold Coast, était le nom du Ghana avant son indépendance en 1957 (note de l'auteur)
3
Le
trafic
de
drogues
menace
la
sécurité
en
Afrique
de
l'Ouest,
avertit
l'ONUDC,
http://www.unodc.org/unodc/fr/press/releases/2008-10-28.html, page consultée le 5 juin 2015
4
Le Conseil de Sécurité de l'ONU appelle à une action coordonnée pour lutter contre le trafic de drogues en
Afrique de l'ouest, décembre 2013 http://www.un.org/News/fr-press/docs/2013/CS11224.doc.htm, page
consultée le 1er juin 2015.
5
Notamment Mark Shaw, dans une publication de 2012 (Mark Shaw, « Leadership required: drug trafficking
and the crisis of statehood in West Africa », Policy Brief n°37, Institute for Security Studies, October 2012),
et Simon Julien, dans une publication de 2011 (Simon Julien, « Le Sahel comme espace de trafic de stupéfiants.
Acteurs et conséquences politiques », Hérodote, 2011/3, n°142.)
10
est celui de la porosité des frontières, qui est corrélée en partie à l'importance de l'économie
informelle.6
Selon le rapport des Nations-Unies sur le trafic de cocaïne en Afrique de l'ouest de 2007,
trois routes distinctes ont été établies pour le narcotrafic : maritime et terrestre, depuis le golfe
de Guinée jusqu’à l’Europe, terrestre à travers le Sahel et maritime et terrestre à travers
l’Afrique de l’est. Les chiffres des saisies effectuées sont extrêmement parlants : Mauritanie,
1,5 tonne saisie entre mai et août 2007 ; Sénégal, saisie de 2,4 tonnes en juin 2007, et enfin le
Ghana, avec deux tonnes saisies au cours d’une seule opération en 2006. Au total, pas moins
de 5,7 tonnes de cocaïne ont été saisies entre janvier et septembre 2007 en Afrique, dont 99%
en Afrique de l'ouest.7
Entre 2005 et 2007, les saisies de cocaïne avaient fortement augmentées, notamment au large
des côtes africaines et principalement concentrées sur deux pôles : les côtes guinéennes et la
baie du Bénin (Ghana, Togo, Bénin et Nigeria). Mais la cocaïne pouvant également être
transportée par avion, des pays comme le Mali était également touché. Plusieurs facteurs
avaient été avancés pour expliquer la prise d'importance du trafic dans la sous-région : le
contrôle accentué des moyens de transports arrivant depuis l'Amérique latine en Europe ; la
situation géographique optimale de cette partie du continent africain, à mi-chemin entre
l'Amérique latine et l'Europe, ainsi que la prégnance de la corruption dans de nombreux États
de la CEDEAO.8 Selon l’ONUDC, l’essentiel de la cocaïne est acheminée par des vols
commerciaux, en partance pour la majorité d’entre eux – d’après les saisies effectuées – de
Guinée, du Mali, du Nigeria et du Sénégal. Les saisies ont quadruplées entre 2005 et 2007,
passant de 1323 kilogrammes à 6458 kilogrammes par an. Le directeur de l’ONUDC a reconnu
que la majorité des saisies avaient néanmoins été effectuées « par hasard », et ne reflétaient
6
Bayart, Ellis et Hibou, dans un ouvrage publié en 1997, ont montré l'importance de l'économie informelle dans
la structure de l'Etat africain post-colonisation. In Jean-François Bayart, Stephen Ellis et Béatrice Hibou, La
criminalisation de l’État en Afrique, Espace international, Éditions Complexe, 1997.
7
Office des Nations-Unis contre la drogue et le crime (ONUDC), Rapport sur la situation du trafic de cocaïne
en Afrique de l'ouest, octobre 2007, Vienne, p.5
8
Georges Berghezan, Panorama du trafic de cocaïne en Afrique de l'ouest, Les Rapports du GRIP, Groupe de
Recherche et d'Information sur la Paix et la Sécurité, 2012/6, p.6.
11
donc nullement les tendances structurelles du trafic dans la sous-région.9 Le dernier rapport des
Nations-Unies sur la question, publié en 2013, affirmait que la quantité totale de cocaïne
transitant en Afrique de l’ouest s'élève à 18 tonnes, ce qui représente une baisse considérable
par rapport aux 47 tonnes de 2007, pour un prix de revente estimé en Europe à 1,25 milliard de
dollars.10 Le rapport concluait, sans certitudes, que cette baisse peut être attribuée à divers
facteurs, dont l'attention de la communauté internationale portée à la région, les remous
politiques locaux qui auraient compliqué le fonctionnement des canaux de corruption
classiques, ou tout simplement le changement de techniques des trafiquants, qui utiliseraient
des routes hors du radar pour atteindre l'Afrique de l'ouest. La part de cocaïne saisie en Europe
et qui aurait transitée par l'Afrique est estimée entre 8% et 13% pour l'année 2010, ce qui
représenterait 18 tonnes de cocaïne pure, dont le prix de revente de rue serait de 1,25 milliard
de dollars, d'où l'estimation citée précédemment.
Etat des lieux de la littérature
Une littérature déjà prolifique existe déjà sur le sujet de la cocaïne en Afrique de l’ouest,
notamment depuis que l’ONU a sonné l’alarme sur les dangers que présentait le trafic dans la
région. De nombreuses organisations internationales, mais aussi des think tanks, journalistes,
chercheurs, se sont penchés sur la question.11 Cependant, l’existence d’un trafic de cocaïne
passant par l’Afrique de l’ouest reste assez méconnue du grand public, symptôme d’une
littérature qui s’adresse plus à des acteurs spécialisés qu’à de la vulgarisation.
De manière plus générale, différentes disciplines se sont déjà penchées sur la question des
drogues, notamment de manière abondante en sociologie, mais aussi dans le domaine des
relations internationales. Les narcotiques ont eu en effet un impact non négligeable dans de
nombreux conflits dans le monde – l’Afghanistan en est le parfait exemple. Même l’histoire
s’est penchée sur la question des drogues : l’historien spécialiste de l’Amérique latine, Paul
Gootenberg, a effectué un travail de contextualisation et de reconstruction de la cocaïne en
9
Le
trafic
de
drogues
menace
la
sécurité
en
Afrique
de
l'Ouest,
avertit
l'ONUDC,
http://www.unodc.org/unodc/fr/press/releases/2008-10-28.html, page consultée le 5 juin 2015
10
United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC), Transnational organized crime in West Africa: A
Threat Assessement, February 2013, Vienna, p.1.
11
Voir la bibliographie.
12
inscrivant l’objet d’étude dans le temps long.12 Il évoque la particularité de la cocaïne comme
étant une drogue globale, mais avec des liens géographiques et sociaux déterminés très forts,
ce qui en fait un exemple parfait du concept de glocal. L'économie locale est structurée autour
de l'économie globale et distante, formant ce qu’il appelle une « filière globale ».
Michel Kokoreff, sociologue français, s’est intéressé à la question de la localisation et de
l’urbanité de la drogue trafiquée. Le phénomène du trafic de drogues à l’échelle mondiale reste
dominé par la localisation. En se focalisant sur les ghettos en Europe par exemple, on pense en
termes de territoires, et non de réseaux : or, il existe une porosité entre les diverses économies
licites et illicites. Il s’est notamment appuyé sur les travaux d’Alain Tarius, affirmant que les
économies
souterraines
transfrontalières
sont
un
phénomène
représentatif
de
la
« mondialisation par le bas ».13 Kokoreff inscrit la question de la drogue au sein d’une analyse
urbaine : la question de la drogue est « spécialisée », car elle est fondamentalement ancrée dans
un territoire, ce qui justifie que la lutte contre un produit illicite devienne une lutte nationale.
Alain Labrousse, spécialiste de la géopolitique des drogues, utilise également une approche
spatialisée pour développer une théorie de la division internationale du travail de la cocaïne.
Elle a été modifiée dans les années 1990 par ce qu’il appelle l’ « effet-ballon », c’est-à-dire que
lorsque la production diminue dans un lieu, cette baisse est automatiquement compensée par
une hausse de la production dans un autre lieu : « quand on appuie sur une partie de la surface
du ballon gonflable, cela provoque une excroissance plus loin ».14 Cette théorie s’est vérifiée
avec la baisse de la production en Bolivie et au Pérou dans les années 1990, immédiatement
compensée par la production colombienne, les trafiquants colombiens ayant choisi de cultiver
la coca directement chez eux. Anthony Giddens parle lui de régionalisation du social, postulant
qu’en plus d’être le cadre d'interaction spatio-temporel, il existe « un processus du zonage de
l’espace-temps en relation avec les pratiques sociales routinisées ».15 La régionalisation est
alors relative à une conception sociologique de l’espace, où ce sont les pratiques sociales des
agents, par l’appropriation des normes et localisations spatiales spécifiques, qui créent l’espacetemps social. L’intégration sociale et systémique des normes permet d’appréhender la
12
13
14
Paul Gootenberg, Cocaïne andine. L’invention d'une drogue globale, Presses Universitaires de Rennes, 2014.
Michel Kokoreff, « Drogues, trafics, imaginaire de la guerre », Multitudes 1/ 2011 (n° 44), p. 119-128
Alain Labrousse, Daurius Figueira et Romain Cruse, « Évolutions récentes de la géopolitique de la cocaïne »,
Revue en ligne de géographie politique et de géopolitique, 2008, p. 2.
15
Anthony Giddens, The Constitution of Society, 1984, p. 173.
13
régionalisation comme un concept expliquant l’action sociale dans le temps et dans l’espace.
Couplé au concept de glocalisation, ces concepts nous permettrons de comprendre l’ancrage du
trafic de cocaïne en Afrique de l’ouest, qui s’est inscrit à la fois dans la géographie de l’espace
et dans les normes sociales et institutionnelles de la sous-région. La glocalisation est la
traduction du néologisme anglais « glocalization », qui est en réalité un mot valise formé par
les termes « globalisation » et « localisation » qui a fait son apparition dans les années 1990.16
Ce concept permet d’illustrer l’idée d’un processus global, mais ancré dans le local, à l’image
du trafic de cocaïne : il s’est ancré dans un territoire – l’Afrique de l’ouest – afin de mieux
intégrer la mondialisation informelle.
Labrousse préconise lui d’utiliser une analyse diatopique, c’est-à-dire basée sur la position
géographique des acteurs, afin de mieux souligner l’imbrication des différentes niveaux locaux,
régionaux et internationaux.17 Il a effectué une modélisation de la relation entre les drogues et
les conflits post guerre froide, une théorie qui se base sur l’augmentation des profits à la revente
qui permet de financer des insurrections armés.18 Le modèle se base donc sur le concept de
l’escalade des profits, de par premièrement les obstacles à franchir lors du transport, et dans un
second temps par le fractionnement en petites doses, ce qui permet de réaliser des marges
considérables. Ainsi, la valeur du produit serait multipliée entre 2500 en moyenne entre le
producteur et le consommateur. Les profits réalisés grâce à la drogue peuvent donc être
réutilisés par des groupes insurgés, qui s’articulent avec les réseaux de trafiquants de drogues
et d’armes, pour se transformer peut-être en l’un d’eux pendant, ou une fois, le conflit terminé.
Plusieurs niveaux de financement sont distingués : dans les zones productrices, un impôt est
prélevé sur le produit agricole ; dans les zones de transit, la marchandise est taxée ; des
laboratoires de transformation peuvent être créés ; dans les pays de destination, le profit est
réalisé grâce au commerce de détail. Les forces de l’ordre n’utiliseraient pas la manne financière
de la drogue de la même manière, car l’Etat a les moyens de financer ce que les groupes insurgés
achètent avec l’argent de la drogue ; le trafic serait donc uniquement d’ordre personnel. Or,
dans une zone comme l’Afrique de l’ouest, où le montant total du trafic est supérieur au budget
16
Voir Roland Robertson, Globalization: Social Theory and Global Culture, 1992 et Victor Roudometof,
"Translationalism, Cosmopolitanism, and Glocalization". Current Sociology, 53 (1): 113–135, 2005.
17
Alain Labrousse, Géopolitique des drogues, PUF, collection « Que sais-je ? », 2006.
18
Alain Labrousse, « Drogues et conflits : éléments pour une modélisation », Autrepart, Presses de Sciences Po,
2003/2, n°26, p. 141 – 156
14
de certains États, le détournement des profits de la manne de la cocaïne pourrait également
bénéficier aux gouvernements locaux.
La théorie de la criminalisation de l’État, développée notamment par Jean-François
Bayart, sera utilisée pour comprendre les mécanismes d’influence de la criminalité
transnationale en Afrique de l’ouest.19 Bayart définit le criminel comme « les pratiques
politiques, sociales ou économiques qui font l'objet d'une “criminalisation primaire”, soit de
la part des textes juridiques des États, […], soit (et surtout) de la part du droit international,
des organisations internationales, ou encore de la morale internationale. » Le crime n'a pas de
« substantialité immédiate », c’est un phénomène qualitatif qui transforme l'organisation
globale des sociétés et du système international, en modifiant les rapports entre le pouvoir,
l'accumulation et l'exercice de la violence. L’Afrique serait caractérisée par une exploitation
par les groupes sociaux dominants des rentes économiques, ce qui mène à une économie
politique de la dépendance, reposant sur le long terme, et non seulement sur de la mauvaise
gouvernance.
Son concept central est celui de la « politique du ventre », qui se définit comme la manière
d'exercer l'autorité avec un souci exclusif de satisfaire matériellement une communauté 20. A
cause d’un phénomène de monopolisation de l’appareil productif par les acteurs étatiques, le
paradoxe suivant s’est alors posé : l’économie est-elle de moins en moins étatisée, ou l’État estil de plus en plus privatisé ? Sa théorie est à mettre en parallèle avec le concept de néopatrimonialisme21 de Jean-François Médard, qui définit la patrimonialisation de l’État africain,
comme une compétition pour le partage des ressources plus directe ; les ressources
économiques et politiques sont interchangeables, et l'enjeu véritable est celui de l’accès aux
ressources, via l’État.22
19
Jean-François Bayart, L'Etat en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989.
20
Expression d'origine camerounaise
21
Inspiré par les écrits pionniers de Shmuel Eisenstadt, in EISENSTADT S.N., Traditional Patrimonialism and
Modern Neo-Patrimonialism, Londres, Sage, 1972.
22
Jean-François Médard, « L’État et le politique en Afrique », Revue Française de Science Politique, n° 4 – 5,
2000, p. 849 – 854.
15
Dans le même ouvrage de L’État en Afrique. La politique du ventre, Hibou reprend elle concept
« d’État-rhizome »23, lui assignant trois caractéristiques principales : la déliquescence de
l'administration, la privatisation des pouvoirs et la délégitimation des pouvoirs publics. La lutte
contre la criminalité économique est de pure façade, car la justice connaît également une
dégénérescence de l'administration et la corruption est systématique, et ce grâce à un climat de
totale impunité. William Reno, qui a conceptualisé « l’État de l'ombre » (shadow state), rejoint
ce concept « d'Etat-rhizome ».24 Il théorise un modèle économique expliquant comment les
économies clandestines d'Afrique peuvent contribuer à renforcer l'autorité politique : le shadow
state archétype est construit derrière des façades de droit et d'institutions gouvernementales. Or,
il s’agit en réalité d’une forme de gouvernement personnel, c’est-à-dire basé sur les intérêts
des individus, et non sur des normes.25 Ces théories, développées lors de la décennie des années
1990, restent néanmoins largement réutilisées dans nombreuses études et analyses sociopolitiques sur l’Afrique subsaharienne. Ainsi, Pierre Jacquemot, un universitaire qui fut
notamment ambassadeur de France au Ghana26, affirmait également que l’Etat africain n’était
pas un « proto-Etat », mais un Etat hybride « approprié » par ses détenteurs, c’est-à-dire qu’il
est privatisé par ses acteurs par le biais de la corruption. La vague de démocratisation africaine
des années 1990, dont le Ghana est un des meilleurs exemples, a en réalité légitimée la
marchandisation du politique.27
Focus sur le Ghana
L’originalité de notre démarche est d’étudier la question en utilisant les apports de la
science politique et de la sociologie, et non de rédiger un énième rapport truffé de
23
Formulé par Bayart dans le même ouvrage
24
William Reno, « Clandestine Economies, Violence and States in Africa », Journal of International Affairs,
Vol.53, No. 2, Spring 2000
25
“The Shadow State is a form of personal rule; that is, an authority that is based upon the decisions and
interests of an individual, not a set of written laws and procedures, even though these formal aspects of
government may exist. The Shadow State is founded on rulers' abilities to manipulate external actors'
access to markets, both formal and clandestine, in such a way as to enhance their power. This alternative
manner of rule permits rulers to undermine the formal institutions of government itself”, Op. Cit., p. 1.
26
Entre 2005 et 2008. Source : http://www.ambafrance-gh.org/Pierre-Jacquemot-2005-2008
27
Pierre Jacquemot, « Comprendre la corruption des élites en Afrique subsaharienne », Revue internationale et
stratégie, 2012/1 n°85, p. 125 et 126.
16
recommandations à destinations d’institutions internationales. Nous aurons donc l’occasion de
recontextualiser le sujet sur le long terme, en partant des années 1980, ainsi que d’étudier en
profondeur la relation entre la cocaïne et l’Etat en Afrique de l’ouest. Par ailleurs, nous centrons
notre analyse sur un cas empirique précis, celui du Ghana. Etant un des Etats le plus touché par
le trafic de cocaïne, c’est donc tout naturellement qu’il existe déjà des recherches sur le sujet.28
La page Wikipédia anglophone de présentation du Ghana comporte même un paragraphe
intitulé « Ghanaian Drug War ».29 Notre travail tentera de relier les apports des études réalisées
sur le Ghana au cours des années 1990 et 2000 au contexte actuel de la cocaïne au Ghana, et de
manière plus générale, en Afrique de l’ouest. Nous essaierons notamment de montrer pourquoi,
malgré l’existence d’un trafic de cocaïne extrêmement lucratif depuis plusieurs décennies, les
Etats et sociétés de la sous-région ne sont pas impactés des maux habituellement attribués aux
zones touchées par le narcotrafic, à savoir notamment l’augmentation de la violence et le
délitement de l’Etat-nation.
Le Ghana est un terrain d'enquête idéal, présentant des caractéristiques qui mettent en relief les
contradictions de l’impact du trafic. Démocratisé depuis la naissance de la quatrième
République avec la Constitution de 1992, le pays est considéré comme un modèle de réussite
de la sous-région, notamment pour sa stabilité et la solidité de ses institutions. Cependant, selon
Mark Shaw, le pays est un des deux « hubs » de la sous-région, d’importantes saisies ayant été
réalisées depuis plusieurs années, et serait le modèle typique d’un État fonctionnel dont les
ressources sont utilisées par le trafic. Le « southern hub » de l'Afrique de l'ouest, avec le Ghana
comme point d’entrée principal, est complété par le Togo et le Nigeria. La Guinée-Bissau est le
point d'entrée principal du « northern hub », ce qui ne veut pas dire pour autant que tous les
pays côtiers ne soient pas touchés par le phénomène30. Ainsi, malgré le fait que le Ghana soit
considéré comme un État de droit, démocratique31, doté d'institutions fonctionnelles, cela
n’empêche pas que la corruption soit endémique dans les agences gouvernementales chargées
28
Voir les travaux de Henry Bernstein, Emmanuel Akyeapomg, Kwesi Aning.
29
https://en.wikipedia.org/wiki/Ghana
30
Emmanuel Aning, « The Geo-Economics of Resources and Conflict in Africa », IISS (International Institute for
Strategic Studies) Conference, 7 – 9 April 2013, p.4.
31
Le Ghana est classé 68ème sur 167 nations par l'index de l'Economist Intelligence Unit, avec un score de 6,33
sur 10, et en 6ème position pour les Etats africains, un index qui mesure le niveau de démocratie des pays dans
le monde. Democracy Index 2014, Economist Intelligence Unit
17
justement de la lutte contre le narcotrafic. Nous allons essayer d'éclairer ce paradoxe, afin de
comprendre l'impact de cette nouvelle criminalité dans un pays certes doté d'institutions
démocratiques, mais qui restent fragiles.
Nous utiliserons également l'approche systémique et le concept de routinisation théorisé par
Anthony Giddens, défini comme étant l'élément de base de l'activité sociale de tous les jours,
et qui nous servira à comprendre les processus d'ancrage et de continuité du trafic de cocaïne.
Alors que le trafic était inexistant au cours des décennies passées, les premiers trafiquants
ghanéens de cocaïne ont été arrêtés pour la première fois dans les années 1990, et sont depuis
impliqués dans de nombreuses affaires. La multiplication et la prise d'importance de la
« carrière déviante »32 de trafiquant au Ghana s'est routinisé et ancré dans les mœurs, notamment
grâce à l'influence des réseaux nigérians. Nous montrerons, grâce aux archives de la presse et à
la littérature existante, la montée en puissance des acteurs locaux ghanéens dans le trafic de
cocaïne, aussi bien au niveau local qu'international.
Selon l’officier de police de l’Ambassade de France à Accra, le trafic de cocaïne en
Afrique de l’ouest est un phénomène qui doit être compris dans sa globalité régionale, et ce à
cause de la porosité des frontières. Cette porosité est notamment le résultat du tracé des
frontières par les anciennes administrations coloniales, qui ont souvent coupé artificiellement
en deux des communautés, où les échanges continuent de se faire à pieds.33 Le focus sur le
Ghana, s’il nous servira à comprendre les logiques des acteurs locaux, notamment en termes de
corruption, devra néanmoins être élargi aux États voisins et côtiers d’Afrique de l’ouest. De par
sa nature, le crime transnational ne tient pas compte des frontières, d’autant plus dans cette
sous-région, où ces dernières ne sont que très peu surveillées, ou bien la surveillance est
inefficace du fait de la corruption des agents locaux.34
Formulation du problème
32
Le concept de « carrière déviante » a été décrit par Howard Becker dans son ouvrage sur les consommateurs de
marijuana aux États-Unis, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Métailié, Paris, 1985 (éd. originale
1963). Le concept peut se définir par la mobilisation de faits objectifs, dépendant de la structure sociale, mais aussi
par des faits personnels, relevant des perspectives, motivations et désirs de la personne déviante.
33
Entretien avec le Secrétaire-général du NACOB, Accra, 23 juillet 2015
34
Entretien avec l’officier de police de l’Ambassade de France au Ghana, Accra, 4 juin 2015
18
La géographie de la cocaïne s’est donc réorganisée, aussi bien au niveau mondial avec
un glissement vers l’Afrique de l’ouest, qu’au niveau local et urbain, avec l’apparition d’un
marché dans certaines villes de la sous-région ouest-africaine. Selon le rapport mondial sur les
drogues de l’ONU pour l’année 2014, 0,7% de la population ouest-africaine consommerait de
la cocaïne.35 Bien qu’étant un pourcentage relativement faible, il n’en reste pas moins
significatif, étant donné la relative nouveauté de l’apparition de la cocaïne. Le trafic global s'est
donc ancré dans le local, dans un nouveau territoire caractérisé par la faiblesse de l’État de droit.
La cocaïne s'inscrit à la fois dans un territoire mondial, grâce à une logique de mondialisation
« par le bas », c'est-à-dire dans une filière informelle globale, et dans le local, en impactant,
même à la marge, la consommation. Ainsi, nous sommes face à un paradoxe de l’inscription de
la cocaïne dans le territoire ouest-africain, où l’Etat de droit est court-circuité par le néopatrimonialisme, mais cette inscription n’a pas déstabilisée le fonctionnement social et politique
des pays concernés. Le trafic s’inscrirait alors dans une logique d’appropriation de la ressource
par les acteurs locaux, qui dans une logique de protection de leurs intérêts, ne remettent donc
pas en cause la souveraineté de l’Etat.
Nous allons chercher à montrer quel est l'impact réel sur les acteurs et leur place dans le
système et déconstruire l’évidence posée par l’équation que présence d’un trafic de drogues est
égale à augmentation des conflits. Les trafics profitent à de nombreux acteurs : les groupes
terroristes comme des fonctionnaires étatiques ou des mafias régionales. Nous allons essayer
de voir comment la cocaïne a bouleversé les États de l'Afrique de l'ouest et si son implantation
dans la région correspond bien à une logique de réorganisation de la cocaïne au niveau
international. Nous nous intéresserons avant tout à la stratégie des acteurs, notamment des
institutions locales et occidentales, afin d'expliquer l'échec apparent du modèle de lutte contre
les trafics de cocaïne, qui paradoxalement ne mène pas à une recrudescence de la violence tel
que le stipule le modèle établi en Amérique latine. Pour étudier la question, il nous faudra
recontextualiser sur le long terme, notamment en partant des années 1980, qui ont été les années
de naissance du trafic de cocaïne dans la région, et non le début des années 2000, moment où
le trafic a explosé et où les agences internationales se sont saisies de la question.
Cependant, le flux de cocaïne en Afrique de l'ouest, bien que faible en quantité, est
néanmoins suffisant pour avoir un impact non négligeable dans des pays où l’Etat de droit n’est
35
United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC), World Drug Report 2014, Vienna, Annex I, page XI
19
pas arrivé à maturité, car malgré la faible quantité de drogue présente, les profits sont
suffisamment importants pour déstabiliser la bonne gouvernance. Or, contrairement aux pays
d'Amérique latine gangrenés par le phénomène, tel que le Mexique, le trafic ne conduit pas à
une augmentation de la violence locale, mais tendrait plutôt vers une captation des bénéfices
dans une logique de néo-patrimonialisme propre aux pays ouest-africains.
Une des particularités de la cocaïne, qui la rend si convoitée et inquiétante, est qu'elle
soulève des montants énormes. Nous allons essayer de mettre en perspective l'importance du
trafic de la cocaïne avec la perception de la corruption dans les États concernés et de s'intéresser
ainsi à l'impact des trafics sur les sociétés et les États. Au regard de la diversité et du nombre
des acteurs en jeu, une sociologie des acteurs est un angle d'analyse qui s'impose pour la
réalisation de ce mémoire, avec comme finalité de dresser une sociologie des acteurs criminels
et institutionnels impliqués dans le trafic, ou dans la lutte contre ce trafic.
Nous ferons l’hypothèse que le trafic de cocaïne est une ressource comme une autre, qui est
captée par les autorités locales afin de renforcer leur autorité politique et le mode de
gouvernement personnel, tel que conceptualisé par la « politique du ventre ». Nous nous
baserons sur des archives de presse et sur les entretiens conduits sur place pour développer cette
idée.
Nous nous intéresserons aussi bien aux acteurs institutionnels internationaux que nationaux, qui
mettent en place des politiques de lutte contre le trafic obéissant à des logiques de répression
qui n'ont eu que peu d'impact sur le trafic, car sont minées par la corruption. Nous chercherons
à comprendre les stratégies de ces différents acteurs, notamment des institutions locales, mais
aussi internationales, ainsi que des élites politiques. Pierre Lascoumes, dans un ouvrage récent,
sorti en 2014, s'était intéressé à la question de la sociologie des élites délinquantes, un champ
qu'il juge trop peu étudié dans le domaine de la criminologie. 36 Dans le cadre de ce mémoire,
il sera une référence précieuse pour comprendre ce qui pousse des élites, notamment politiques,
à devenir délinquantes.
Malgré les efforts et stratégies mis en place pour lutter contre ce trafic au Ghana et en
Afrique de l’ouest, et le fait que les saisies aient diminuées, le trafic n'a pas disparu pour autant.
36
Pierre Lascoumes et Carla Nagels, Sociologie des élites délinquantes. De la criminalité en col blanc à la
corruption en politique, collection U, Armand Colin, Paris, 2014.
20
L'enquête de terrain se concentrera sur les politiques de répression mises en place par les divers
acteurs – la police, les acteurs de la coopération internationale – ainsi que sur l'impact de ce
trafic sur la politique locale et son enchevêtrement avec les phénomènes de corruption au
Ghana.
Nous essaierons également de voir l'influence de la coopération internationale au Ghana, afin
de comprendre si ce modèle a été imposé par les bailleurs de fonds ou adopté par les acteurs
locaux. Nous partons de l'hypothèse que les financements internationaux dans la région ouestafricaine, liés à la coopération et à l'aide au développement, répondent à une logique d'extension
du modèle de lutte répressif contre le trafic de cocaïne, qui est imposé aux pays en voie de
développement. En témoignent les forts investissements réalisés dans la sous-région par les
États-Unis notamment, ainsi que l'investissement de nombreux pays européens, qui
interviennent directement en Afrique, afin d'arrêter le trafic à la source avant qu'il ne parvienne
en Europe. Nous essaierons de voir comment la coopération internationale policière est mise en
place au Ghana, et quel est son impact sur les stratégies des acteurs locaux, ainsi que son
effectivité.
La méthodologie
La zone étudiée, l'Afrique de l'ouest comprend les pays suivants : Bénin, Burkina Faso,
Cabo Verde, Côte d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée-Bissau, Guinée-Conakry, Liberia, Mali,
Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et Togo. Pour cette étude, un focus sera fait
sur le Ghana, pays où été conduits les entretiens à partir de février 2015, en parallèle à un stage
de six mois effectué au sein de la chancellerie diplomatique de l'ambassade de France à Accra.
Il sera également fait référence à la zone du Sahel, parfois désignée comme Sahel –
Sahara, dont la définition est déjà plus complexe et peut différer selon les auteurs, car
correspond plus à un ensemble géographique qu'à un ensemble politique ou social cohérent.
C'est une zone semi-aride, frontière naturelle entre le Maghreb/Machrek et l'Afrique noire, peu
peuplée et espace de circulation depuis toujours ; elle comprend des États aussi différents que
le Soudan et les îles du Cabo Verde.37
37
Conférence de M. Abdoulaye, « Défis sécuritaires au Sahel », 4 novembre 2013, Sciences Po Toulouse
21
Nous utiliserons les apports de divers travaux dans le cadre de ce mémoire, et
notamment d’études socio-politiques sur l’État en Afrique, sur la corruption et les élites
délinquantes. L’objectif est de réutiliser des concepts de la sociologie et de la science politique
qui se sont penchés sur la question, afin de les réévaluer à l’aune du cas empirique, en cherchant
à évaluer leur pertinence au regard de l’état de la criminalité et de la corruption dans un État
d’Afrique de l’ouest en 2015.
L’analyse aura pour objectif de faire un tableau des acteurs locaux impliqués dans le
trafic de cocaïne au Ghana et dans l’ensemble de l’Afrique de l’ouest. Une analyse des acteurs
sera forcément centrée sur le côté répressif, donc biaisée. Nous essaierons d'utiliser ce biais
pour réfléchir sur les liens et relations de pouvoir entre tous ces acteurs locaux, régionaux et
internationaux qui luttent contre le trafic de cocaïne en Afrique de l'ouest et au Ghana. Plusieurs
catégories d’acteurs peuvent être définies : d’un côté, les acteurs nationaux, qui sont en première
ligne, dont l’État ghanéen et les organismes chargés de la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Les principales institutions sont le NACOB (Narcotics Control Board), l’agence ghanéenne
officiellement chargée de la lutte contre les stupéfiants, l'EOCO (Economic and Organized
Crime Office), chargée de lutter contre la corruption et le crime organisée, la police, qui au sein
de son unité anti-drogue se concentre plus sur le trafic local et enfin le BNI (Bureau of National
Investigations) pour les affaires sensibles.38 De l’autre côté, de nombreuses organisations
internationales sont impliquées en Afrique de l’ouest dans la lutte contre le trafic de cocaïne et
certaines sont basées à Accra : la West Africa Costal Initiative (WACI), initiative commune des
Nations-Unies et d'Interpol ; la West Africa Civil Society Institute (WACSI) ; la West African
Drug Commission (WACD) ; International Drug Policy Consortium (IDPC) ; la Kofi Annan
Foundation (KAF) ; mais aussi la communauté régionale de la CEDEAO et l’ONUDC. Peut
être également distinguée une troisième catégorie d’acteurs, qui sont les États étrangers
impliqués de manière directe en Afrique de l’ouest et au Ghana, notamment les États-Unis et la
France.
Nous avons utilisé l'opportunité que présentait la réalisation d'un stage de six mois à
l'ambassade de France au Ghana pour conduire des entretiens auprès des acteurs locaux, basés
à Accra, et impliqués dans la lutte contre le trafic. Face à l’impossibilité d’être exhaustif, et au
vu du manque de temps disponible pour réaliser ce mémoire, mais dans un souci de
38
Entretien avec l’officier de police de l’Ambassade de France au Ghana, Accra, 4 juin 2015
22
représentativité, nous avions souhaité interroger des acteurs issus des divers milieux sus décrit.
Nous avons réussi à rencontrer l’officier de police de l’ambassade de France au Ghana, qui
participe à la coordination d’un projet régional de lutte contre le narcotrafic ; un chercheur
ghanéen spécialisé sur les questions de drogues ; le directeur de l’agence ghanéenne spécialisée
dans la lutte contre le trafic de narcotiques, le NACOB ; le représentant-pays d’une organisation
internationale présente à Accra, l’Office des Nations-Nations contre la Drogue et le Crime
(ONUDC). Ces rencontres se sont déroulées sous la forme d’entretiens semi-directifs ; une
grille de questions est disponible en annexe. A l’exception de l’entretien avec l’officier de
police de l’ambassade de France, tous les entretiens se sont déroulés en anglais et ont été ensuite
traduits par l’auteur lors de la retranscription écrite. Nous avons également utilisés l’opportunité
représentée par un travail de recherche sur la corruption au Ghana réalisé dans le cadre du stage
à la chancellerie de l’ambassade pour utiliser certains éléments empiriques et les observations
faites. Deux entretiens ont donc pu être ajoutés à ce mémoire, centrés sur la question de la
corruption : l’un avec le directeur anti-corruption d’une institution ghanéenne, la Commission
on Human Rights and Administrative Justice (CHRAJ) ; l’autre avec la responsable de la
gouvernance au Programme pour le développement des Nations-Unis (PNUD) d’Accra. La liste
complète des entretiens réalisés se trouve également en annexe.
De nombreuses sources sont disponibles pour travailler sur ce sujet, notamment des
rapports rédigés par l'ONUDC ou des groupes de recherche, que nous avons exploités.
Cependant, cette littérature a un certain côté biaisée, s'adressant à des acteurs s'impliquant dans
la lutte contre le trafic de cocaïne. De manière générale, toutes les sources disponibles sur la
question sont toujours à considérer de manière prudente : les chiffres ne sont jamais entièrement
vérifiables et doivent être utilisés avec précaution. Nous utiliserons majoritairement dans ce
mémoire les données fournies par l'organe de l'ONU sur la question des drogues, l'ONUDC.39
Cependant, de leur propre aveu dans le rapport mondial sur les drogues de 201540, il est noté
que les modèles établis à partir de saisies ne reflètent pas nécessairement la réalité et le mode
opératoire du trafic et des trafiquants, était donné que les saisies sont circonscrites dans une
unité de temps et de lieu. Or, étant donné la nature même du trafic, les acteurs s'adaptent en
fonction des risques et des opportunités très rapidement. Mais d'un autre côté, il a été prouvé
39
Notamment leur publication annuelle sur l'état des drogues dans le monde, le Rapport mondial sur les drogues.
40
UNODC, World Drug Report 2015, Vienna, p. 37.
23
qu'une fois les routes de transit de drogues établies, il est assez difficile de les faire évoluer, une
approche qui s'inspire de la théorie de la dépendance au chemin emprunté – path dependency,
selon l’idée que face à une situation donnée, les choix possibles sont en réalité prédéterminés
par des décisions prises dans le passé.41 De par la nature illicite de l’objet étudié, les estimations,
les données et les propos avancés sont à considérer avec prudence, soit parce qu’ils sont
invérifiables, soit parce qu’étant donné la nature extrêmement changeante du trafic de cocaïne,
ils ne sont déjà plus à jour.
Nous avons découpé ce mémoire en quatre parties, en choisissant une approche en
entonnoir qui part du global, le trafic de cocaïne dans le monde, pour se terminer en se
concentrant sur le cas local, en détaillant les politiques de lutte mises en place au Ghana. Nous
allons donc voir dans un premier temps le processus de réorganisation de la cocaïne au niveau
mondial et son extension vers l’Afrique de l’ouest, puis l’impact que le trafic de la cocaïne a
sur les sociétés ouest-africaines. Dans une troisième partie, nous nous intéressons à la relation
entre ce que nous avons appelé la « ressource cocaïne » et le fonctionnement de la politique et
de l’Etat droit au Ghana, pour finir dans un dernier temps par brosser le tableau des stratégies
locales et globales qui sont engagées dans le pays.
41
Voir Graham Allison, Essence of Decision: Explaining the Cuban Missile Crisis, 1971, Little Brown.
24
Partie 1 : La réorganisation du marché mondial de la cocaïne
I.
Transformations historiques et géographiques
1) L’histoire de la cocaïne : du licite vers l’illicite
La cocaïne, de par son histoire fortement ancré dans un territoire – les Andes – et son
expansion mondiale au cours du XXème siècle, est un des produits qui illustre le mieux le
concept de « glocalisation », ancré dans le local mais fortement inscrit dans le processus de ce
que les anglo-saxons ont nommé globalisation. A l'origine, la cocaïne est un produit purement
panaméricain. La culture de la feuille de coca, qui sert de base à la transformation vers le produit
fini qu’est la cocaïne, est une des plus anciennes cultures au monde. Elle est produite
uniquement dans les Andes, une production qui fut encouragée par la colonisation espagnole,
car la plante avait des vertus médicinales, coupe-faim et anti fatigue, et fut utilisée pour
l’exploitation dans les mines. Car avant d'être une drogue illicite, la cocaïne est avant tout feuille
de coca, et ne sera exportée mondialement qu'à la fin du XIXème siècle, en tant que produit
innovant, et non drogue illicite.42 C'est grâce à l'intérêt de scientifiques germanophones que le
produit est transformé : Albert Niemann isole la cocaïne en 1860, et l'autrichien Sigmund Freud
fit la promotion de ses vertus, suite à la découverte en 1884 de ses propriétés anesthésiantes. À
la fin du XIXème siècle, la feuille de coca et la cocaïne sont utilisées dans plusieurs industries :
en France, le vin Mariani mélange du vin de Bordeaux et de la coca, et son succès contribuera
à augmenter la production au Pérou. En Allemagne, E. Merck mit au point le chlorhydrate de
cocaïne à usage médical, réalisé à partir d'importations de feuilles séchées de coca boliviennes
et péruviennes. Aux États-Unis, les deux produits connurent le même succès, et le pays était en
1900 le plus grand consommateur de cocaïne et de feuilles de coca : 600 à 1000 de tonnes de
coca étaient importées par an, utilisée notamment dans des boissons populaires, du même acabit
que le vin Mariani, et dont le Coca-Cola reste le meilleur exemple.43 La célèbre marque
importait en effet des feuilles de coca de Trujillo, au Pérou.
42
Paul Gootenberg, « La filière coca du licite à l'illicte : grandeur et décadence d'une marchandise
internationale », Hérodote, 2004/1 N°112, p. 67. Paul Gootenberg est un professeur d'histoire à la Stony Brook
University de New-York, spécialiste de l'histoire des drogues.
43
Ibid., p. 70
25
Dans le même temps, un courant anti cocaïne se développa aux États-Unis, qui culmina avec
une croisade internationale du pays en 1915. En 1920, seules deux entreprises importaient
encore de la coca : Merck, entreprise pharmaceutique, et une filiale de Coca-Cola. Après ce pic
de popularité, l'interdiction de la drogue va faire chuter la production : en 1930, elle n'est plus
que de sept tonnes. Mais la cocaïne connaîtra se renaissance au début des années 1960, avec ce
que l'historien des drogues David T. Courtwrigt appela la « révolution psychoactive du
capitalisme ».44 Dans les années 1970, le boom de la consommation dans l’hémisphère Nord
participe à la transformation radicale du marché mondial de la cocaïne. La baisse des prix des
matières premières encouragent de nombreux agriculteurs à cultiver la coca en Amérique latine,
qui devient plus lucrative, notamment grâce à l’émergence de nombreux cartels, en Thaïlande,
en Colombie ou au Mexique. Dès les années 1980, l’Afrique deviendra à la fois zone de transit
et d’entrepôt pour la drogue destinée à la revente en Europe et Amérique du Nord, ce qui
contribuera à l’émergence de marchés de consommation dans certains États d’Afrique, qui
resteront marginaux.45
Paul Gootenberg explique l'histoire de la drogue en la considérant non comme pas une
substance illicite, mais en utilisant le concept de « filière globale », ce qui permet de considérer
la cocaïne comme un simple produit d'exportation, qui fut d'abord licite avant d'être illicite. Elle
est ainsi devenue « un des plus importants commerces de matière première de l'histoire, légaux
ou non ».46 Les filières de la cocaïne ne deviennent illicites qu'après les années 1950, avec son
interdiction mondiale suite à l'adoption en 1961 de la Convention unique sur les stupéfiants de
1961, convoquée par les Nations-Unies et entrée en vigueur en 1964. Paul Gootenberg signale
clairement que c'est cette prohibition, au niveau international accompagné de mesures locales
et régionales, qui a poussé la cocaïne de manière si drastique à se distribuer dans des filières
illégales, ce qui crée une valeur ajoutée non négligeable.
44
Paul Gootenberg, Cocaïne andine. L’invention d'une drogue globale, Presses Universitaires de Rennes, 2014,
chapitre 6.
45
David Courtwright, Forces of Habit: Drugs and the making of the modern world, Harvard University Press,
Cambridge, MA, 1997.
46
Gootenberg, Ibid., p. 78
26
Le concept de glocalisation va alors se retrouver via un double phénomène d'ancrage du trafic
dans l'illicite au niveau des politiques locales et des relations internationales, ce qui s'illustre
par :
i. une économie rurale ancrée au niveau régional – les Andes
ii. un projet panaméricain émanant d'entrepreneurs locaux47
Le marché de la cocaïne se transforme dans les années 1970 : elle inonde le marché américain.
Le Pérou, dont le régime est affaibli, est remplacé par les cartels colombiens pour l'exportation
du produit, dont le groupe de Medellín, dirigé par Pablo Escobar, qui deviendra une figure
mythique. Avant les années 1970 et les phénomènes de cartélisation, le marché de la cocaïne
était aux mains de diasporas hétéroclites et indépendantes, sans présence d'aucune forme de
violence.
Le marché est à son apogée au début des années 1990, avec une production mondiale
estimée à 1000 tonnes et représentant 50 à 100 milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel.48
Au XXIème siècle, la distribution mondiale se transforme de nouveau, avec une extension du
trafic depuis le continent américain vers l'Afrique de l'ouest et l'Europe.
Cette mise en contexte historique était nécessaire afin de saisir l'utilisation du concept
de glocal pour la cocaïne, un objet pensé et construit depuis un siècle et demi comme une drogue
globale, mais avec des liens géographiques et sociaux très forts, car concentrée dans quelques
régions de trois pays andins, la Colombie, la Bolivie et le Pérou. Le processus de délégitimation
du produit et son passage dans l'illicite permettent de comprendre la prise d'importance de la
cocaïne dans l'économie illicite mondialisée. Selon les Nations-Unies, une estimation de 17,1
millions de personnes consommerait de la cocaïne dans le monde, ce qui représente un marché
d'une valeur de 88 milliards de dollars pour l'année 2013. 49 A titre de comparaison, l'estimation
du PIB pour la zone de l'Afrique de l'ouest (États membres de la CEDEAO) s'élève à 564, 86
47
Paul Gootenberg, Cocaïne andine. L’invention d'une drogue globale, Op. Cit.
48
Gootenberg, Op. Cit., p. 82
49
United Nations Office on Drugs and Crime, World Drug Report 2013, Vienna; Edward Gresser, « World drug
trade », Progressie Economy, 14 août 2013
27
milliards de dollars, soit seulement six fois plus que l'estimation du chiffre d’affaires du
commerce mondial de la cocaïne.50
2) Intégration de l’Afrique dans la filière globale de la cocaïne
2) a) Extension du bassin caribéen
La transformation du marché depuis les années 1990, puis de manière plus marquée au
tournant du nouveau siècle, s'illustre notamment par l'apparition de la cocaïne en Afrique de
l'ouest. Bien que les données soient assez limitées, Maria Luisa Cesoni souligne que la première
saisie de cocaïne dans la sous-région a été effectuée dès 1985, même si cette information ne
permet pas d'affirmer avec certitude qu'il s'agit de la date de la première apparition de la drogue
dans la région. Dans la période 1986 – 1987, l'ouverture à la fois des flux commerciaux et des
flux de personnes entre l'Afrique de l'ouest et l'Amérique latine aurait permis l'apparition d'un
trafic de transit de la cocaïne. Selon des informations de la Commission des stupéfiants, les
saisies de cocaïne ont augmenté de 48% entre 1986 et 1989 en Afrique occidentale et centrale.51
Cependant, il faut manipuler les informations avec précaution : la multiplication par deux du
nombre de saisies de cocaïne correspond en réalité à une seule opération, une saisie de 500
kilogrammes effectuée au Cabo Verde en 1988. Le trafic reste dans l'ensemble assez peu détecté
dans les années 1980, avec un nombre très faible de saisies.
L’arrivé de la cocaïne dans cette zone a témoignée d’une restructuration de
l’organisation du trafic à l’échelle mondiale dès les années 1990, qui s’est déplacé de la « zone
caraïbe » à, en partie, l’Afrique de l’ouest.52 Le trafic, qui circule sur l’ « autoroute 10 », car
suit le tracé du 10ème parallèle nord, part du Brésil ou du Venezuela pour arriver dans la sousrégion ouest-africaine. Des acteurs locaux se sont impliqués, notamment les mafias nigérianes
qui se sont spécialisées dans l’envoi de « mules » à destination de l’Europe. Les acteurs
nigérians ont réussi à contrôler le trafic grâce à divers facteurs : leur présence et influence sur
leur route vers l’Europe, mais aussi en Amérique latine et la Caraïbe, où une diaspora est
présente. Les acteurs tribaux locaux font également transiter la cocaïne, mais sans être
50
Fonds Monétaire International, PIB en parité de pouvoir d'achat
51
Interpol, Overview of illicit traffic in drugs and psychotropic substances, Africa 1988 – 1990
52
Alain Labrousse, Daurius Figueira et Romain Cruse, « Évolutions récentes de la géopolitique de la cocaïne »,
Revue en ligne de géographie politique et de géopolitique, 2008, p.1
28
spécialisés dans le trafic, pratiquant un type de contrebande divers (cigarettes, etc.), tandis
qu’une partie de la diaspora africaine basée en Europe est utilisée pour revendre la drogue.53 A
l'origine, c'est-à-dire avant le boom du milieu des années 2000, les cartels sud-américains
posaient la cocaïne en Afrique de l'ouest, qui était stockée sur place, avant d'être acheminée
vers l'Europe par bateau. Un deuxième procédé a ensuite été utilisé, par voie aérienne, in
corpore, avalé par des « mules », ce qui permet de faire passer entre un à dix kilos de cocaïne
par personne. Par voie terrestre, la « zone d'impact » de la cocaïne correspond aux Etats côtiers
ouest-africains, où elle est déchargée et stockée ; la « zone de positionnement » correspond à la
partie centrale du Sahel – soit le Mali, le Niger et le Tchad. La route terrestre, qui passait par le
Sahel et notamment le Mali, a pris un coup suite à l’intervention militaire française de 2012,
mais existe néanmoins toujours, passant par d'autres pays. De la cocaïne a même été retrouvée
en Europe en provenance des Balkans, après un trajet par l’Afrique de l’ouest et la Libye.54
La cocaïne fut contrôlée par des groupes qui géraient déjà le trafic de l'héroïne en
provenance d'Asie. En effet, dès 1982 sont effectuées des saisies d'héroïne destinée au marché
européen et distribuée par des réseaux nigérians, le premier groupe à avoir compris les intérêts
du trafic ; c'est également le premier pays où apparaît également la consommation. De par sa
position géographique, qui privilégie la contrebande (au carrefour de l’Afrique de l’ouest,
l’Afrique centrale et le Sahel), et des niveaux de corruption élevés, le Nigeria, et les réseaux
nigérians, se sont positionnés comme des acteurs incontournables pour le trafic de drogues en
Afrique de l’ouest. Les ghanéens vont suivre leur exemple et s'impliquer également dans le
trafic d'héroïne, bien qu'ils soient dépendants des nigérians.55 Cette préexistence d'un réseau
fonctionnel et l'expérience des acteurs criminels ont sans aucun doute facilité l'arrivée et la
distribution de la cocaïne dans la sous-région vers la fin des années 1980.
L'Afrique de l’ouest s’est ainsi progressivement transformée en une extension de la zone
caraïbe, suite à la réorganisation de la production andine. C'est notamment la théorie défendue
53
Simon Julien, « Le Sahel comme espace de trafic de stupéfiants. Acteurs et conséquences politiques », Hérodote,
2011/3, n°142, p. 135 – 136.
54
Entretien avec l’officier de police de l’Ambassade de France au Ghana, Accra, 4 juin 2015
55
Maria Luisa Cesoni, « Les routes des drogues: explorations en Afrique subsaharienne », Tiers-Monde, tome 33
n° 131, 1992, p. 650
29
par Alain Labrousse, Daurius Figueira et Romain Cruse dans un article paru en 2008. 56 La
« division internationale du travail », si tant soit peu que cette notion liée au capitalisme mondial
puisse être appliquée au commerce informel des narcotiques, aurait ainsi été profondément
modifiée au cours des années 1990. Centrée sur la Colombie, leur étude démontre comment le
trafic mondial a explosé, en parallèle à la production de la coca, dont les cultures se sont
étendues. Le plan Colombie, développé par USAID et financé par les États-Unis, le pays leader
de la « guerre contre la drogue », avec plus de 7,7 milliards dépensés, a été un échec cuisant.
La stratégie n’a pas remis en cause l’hégémonie des cartels, ni pris en compte l’entièreté du
problème, en se focalisant sur ses conséquences plutôt que sur ses racines. Le plan Colombie
n’a pas empêché les cartels colombiens de poursuivre leur mainmise, et de se subvenir à l’État.57
Les cartels mexicains ont pris le contrôle de la drogue transitant par l’Amérique
centrale ; tandis que parallèlement, les organisations caribéennes – colombiennes notamment –
ont pu alors s’implanter en Afrique de l’ouest, grâce à la présence d’une diaspora. Alain
Labrousse émet l’hypothèse d’une intégration « verticale », sans implication des acteurs locaux,
qui va à l’encontre de ce qu’avait théorisé un chercheur ghanéen, Emmanuel Akyeampong, que
nous détaillerons plus bas. Selon Labrousse, les cartels latino-américains – colombiens ou
vénézuéliens – reproduisent un modèle de domination sur les acteurs locaux.
Cette réorganisation du marché de la cocaïne vers l'intégration de la sous-région ouestafricaine s'est effectuée en parallèle d'une montée en puissance du crime organisé au sud du
Sahara. Selon Bayart, le problème se pose notamment au regard de deux phénomènes : les
opportunités importantes offertes par la mondialisation et la prééminence des pouvoirs
militaires sur les pouvoirs civils au niveau local. La délinquance organisée a pu monter en
puissance grâce à un phénomène de « glocalisation » de la criminalité, ce que Syad Barre avait
appelé « la voie somalienne du développement ».58 L'Afrique de l'ouest est marginalisée au
cours de la décennie des années 1990, tant au point de vue financier, économique et
diplomatique, en partie à cause des ajustements structurels imposés par les institutions
56
Alain Labrousse, Daurius Figueira et Romain Cruse, « Évolutions récentes de la géopolitique de la cocaïne »,
Revue en ligne de géographie politique et de géopolitique, 2008, p.1.
57
58
Juan Camilo Macias, Plan Colombie et Plan Mérida. Chronique d’un échec, opalc, Sciences Po
Jean-François Bayart, Stephen Ellis et Béatrice Hibou, La criminalisation de l’État en Afrique, Espace
international, Éditions Complexe, 1997, premières pages.
30
internationales. L’État souverain perd du terrain, remplacé une « économie de pillage »
impliquant de plus en plus les acteurs politiques et économiques dans des activités illégales. Le
crime, en tant qu'une unité fonctionnelle de la sous-région, illustre le processus de glocalisation
de par son ancrage local et son inscription dans le système de délinquance organisée
international.
Plusieurs hypothèses ont été développées pour le futur du paysage ouest-africain, basées
sur des modèles établis grâce aux exemples du continent américain. Ainsi, à long terme,
l’Afrique de l’ouest pourrait connaître une « colombinisation » du paysage, c’est-à-dire un
éclatement de l’effet-ballon jusqu’à la sous-région ouest africaine, avec l’apparition d’une
production locale. Ou bien, un phénomène de « mexicanisation », c’est dire l’apparition de
groupes criminels locaux suffisamment puissants pour taxer la cocaïne colombienne et
influencer les milieux politiques locaux. Auquel cas existerait le risque d'apparition d’État
« défaillant » narcotrafiquant, ce qui serait synonyme d'une explosion de la consommation de
la cocaïne et de l'augmentation forte de la criminalité. En troisième lieu, Labrousse émet
l’hypothèse de l’apparition d’un modèle original africain, qui pourrait être une cohabitation des
deux premiers, avec la participation d'acteurs locaux ouest-africains spécialisés : par exemple,
les nigérians à la tête du trafic, les ghanéens réceptionnant la drogue, les sénégalais la
transportant, etc.59 Un autre développement du modèle africain pourrait être dans la continuité
de la tendance actuelle, c'est-à-dire la mainmise des trafiquants latino-américains exportant la
cocaïne, ensuite redistribuée par les groupes locaux, nigérians ou ghanéens. Les groupes ouestafricains seraient néanmoins trop faiblement organisés et hiérarchisés, à l’exception notable de
la mafia nigériane.60
Dans le cadre de cette étude, bien que nous appuyant notamment sur les travaux d’Alain
Labrousse, nous ne considérerons que l’hypothèse d’un modèle original africain, qui s’explique
par l’absence de territorialisation de la production, contrairement à la Colombie – l'Afrique de
l'ouest est une zone de transit uniquement – et du caractère endémique de la corruption dans les
pays de la sous-région, qui court-circuite la main mise classique des réseaux mafieux.
59
Labrousse, Op. Cit., p. 8.
60
Mark Shaw, « Leadership required: drug trafficking and the crisis of statehood in West Africa », Policy Brief
n°37, Institute for Security Studies, October 2012, p. 2.
31
2) b) L’intégration de la cocaïne dans le circuit informel
Contrairement à ce que la médiatisation des affaires de cocaïne en Afrique de l’ouest et la prise
de conscience de l'existence du phénomène par les Nations-Unies à partir des années 2005 –
2007 le laissaient entendre, la présence de la cocaïne dans la sous-région n'est donc pas
nouvelle. Maria Luisa Cesoni, dans un article rédigé en 1992, avait déjà montré que le trafic de
drogues en Afrique subsaharienne n’était pas un phénomène récent. Le chercheur français
Simon Julien a également plaidé pour que la problématique du trafic de cocaïne en Afrique soit
placée dans un temps plus long. Le commerce trans-sahélien, le plus souvent informel, n’est
pas un phénomène nouveau, mais un processus intégré au sein de l’économie mondiale.61 Ainsi,
il ne faudrait pas faire d’extrapolation sur des données de court terme, et affirmer que l’Afrique
de l’ouest est vouée à devenir un « nouveau Mexique », comme l’a fait Alain Labrousse. Simon
Julien évoque néanmoins la possibilité de création de « mafias d’État », étant donné les forts
niveaux de corruption dans la sous-région. Mais il soutient également qu’il faut replacer le trafic
de drogues au sein des questions de société, et non en marge, en partant de l’hypothèse de
Bayart qu’elle participe « à un processus de déstructuration – restructuration du politique ».
Comme expliqué précédemment, l'économie criminelle en Afrique de l'ouest participe à
l'insertion de la zone au sein de l'économie mondialisée ; c'est pourquoi il faut analyser les
phénomènes de trafic de cocaïne d'un point de vue holistique, et non coupés de la société et du
politique.
En conséquence du trafic des années 1990, plusieurs phénomènes restructurent le
paysage ouest-africain : la circulation des armes, les phénomènes d’enrichissement qui
s’accélèrent, ainsi que des luttes internes, avec l’apparition de compétition autour des lieux de
stockage, et un fractionnement des « territoires tribaux ». Dans les années 1990, le trafic est
toléré, car il permet d’apporter des liquidités et de sortir des contraintes financières des
organisations internationales.
On remarque cependant un changement drastique dans la nature des flux au tournant
des années 2000. Avant 2005, les saisies étaient négligeables, de l'ordre d'une tonne par an. Or,
ce ne sont pas moins de 46 tonnes de cocaïne qui ont été interceptées entre 2005 et 2008, à la
61
Simon Julien, « Le Sahel comme espace de trafic de stupéfiants. Acteurs et conséquences politiques »,
Hérodote, 2011/3, n°142, p. 126.
32
fois arraisonnées en mer sur des bâtiments à destination de l'Afrique de l'ouest, ou bien dans les
États de la sous-région.62
L'expansion du marché européen n'est pas la seule raison pouvant expliquer cette
brusque évolution, même s'il reste moins développé que le marché nord-américain - 3, 67
millions de consommateurs en Europe contre 5,58 millions en Amérique du nord.63 Une route
acheminant la cocaïne vers le vieux continent existait déjà, passant par les Caraïbes, puis les
îles des Açores et l'Espagne ; une route similaire passait par le Cabo Verde, puis les Canaries
et l'Europe.64 Le développement d'un trajet plus au sud, en passant par les États côtiers d'Afrique
de l'ouest, s'explique notamment par le renforcement de la surveillance sur les routes
« traditionnelles » de la cocaïne, devenues dangereuses pour les trafiquants.65
II. Spécificités géographiques
1) Le cas du Ghana
En ce qui concerne le cas du Ghana, deux études ont déjà été publiées à des dates
distinctes, par Henry Bernstein en 1999 et Emmanuel Akyeampong en 2005, bien que cela soit
sous un angle différent. Mais leur lecture permet d’effectuer une comparaison dans le temps
de l’évolution du trafic de la cocaïne dans le pays et des politiques de répressions. Bernstein
effectua la première étude scientifique sur la drogue au Ghana ; l’article d’Akyeampong, publié
six ans plus tard, y fera beaucoup référence, tout en apportant son éclairage propre, en partant
de la thèse que la diaspora ghanéenne a contribué à l’explosion du trafic. D'autres articles
viendront enrichir ces premières recherches, rédigés notamment par le Dr. Kwesi Aning, le
directeur de la Faculté des Affaires académiques et de la recherche (FAAR) du Kofi Annan
International Peacekeeping Trainig Centre (KAIPTC).
Dans l’étude de Bernstein de 1999, une étude sur la drogue au Ghana, la première du
genre, l’auteur justifia le choix de son sujet par sa pertinence, car malgré l’absence de littérature
préexistante sur le sujet, l’apparition de la drogue était suffisamment récente pour être retracée
62
L. Sun Wyler et N. Cook, Illegal Drug Trade in Africa: Trends and U.S. Policy, CRS Report For Congress,
Washington, 30 septembre 2009, p.9.
63
Données du WDR 2014, Op. Cit.
64
Simon Julien, Op. Cit., p.131
65
Entretiens avec des officiels à Accra
33
historiquement.66 L’intérêt de cette étude est qu’elle permet de confirmer que les origines du
trafic de cocaïne au Ghana, et en Afrique de l’ouest en général, sont bien plus anciennes que ne
le laissaient supposer les divers rapports de l’ONU et des organisations internationales du
milieu des années 2000. Le trafic dans le pays remonte aux années 1980, avant de s’intensifier
dans les années 1990 ; s’il est vrai que les quantités transitant étaient sans communes mesures
par rapport à celles des années 2000, il est cependant intéressant de noter que le trafic a des
racines historiques et sociales bien plus anciennes. La production, la distribution et la
consommation de cannabis ont ouvert la voie pour l’incorporation de la cocaïne et de l’héroïne
dans les années 1980.
Pour Bernstein, l’économie politique des drogues en Afrique, quasi peu étudiée, fournit
pourtant un moyen d’enquêter sur les phénomènes de dislocations et d’insécurité vécus dans de
nombreux États, et sur les opportunités ouvertes par la crise prolongée causée par les
ajustements structurels et l’échec des politiques de développement étatique des années 1990.
Le cas du Ghana permet d’illustrer plusieurs éléments : la crise prolongée du développement,
qui impacte les pratiques et relations sociales, les attitudes, les attentes ; la routinisation des
pratiques illégales avec la « crise de la gouvernance » ou « criminalisation de l’État », via
l’implication des agents publics – à divers niveaux – dans le trafic et l’impact de la
mondialisation. Selon l’auteur, la cocaïne fait partie des biens « non traditionnels » d’Afrique
exportés avec le plus de valeur. S’ajoutent à ces éléments la difficulté du contrôle des frontières,
mais surtout, l’importance historique du commerce et des liens culturels et sociaux des
différents territoires bordant les frontières. Bernstein affirme que la tendance du trafic et de la
consommation sera à la hausse dans les années 1990, tendance qui devrait se poursuivre dans
le futur, ce qui s’est vérifié. Pour lui, cette tendance sera influencée par des éléments endogènes
et exogènes au Ghana, c’est-à-dire par des facteurs internationaux et par les capacités des
agences de répression ghanéenne.
66
Henry Bernstein, “Ghana's Drug Economy: Some Preliminary Data”, Review of African Political Economy,
no. 79, ROAPE Publications Ltd., 1999.
34
2) Le Sahel
Une autre zone également affectée par le trafic, mais qui sera moins détaillée dans le
cadre de ce travail, est celle du Sahel. Beaucoup de rapports de chercheurs et de journalistes
n’ont pas hésité à établir un lien entre la montée du terrorisme dans la région et l’explosion du
trafic de cocaïne.67 Un article du magazine français Slate était ainsi titré Drogue au Sahel : la
source principale de financement des jihadistes en janvier 2013 ; un autre du Nouvel
Observateur Sahel. Les djihadistes et la « cocaïne connection ».68 Certes avéré, le rôle de la
drogue a néanmoins été exagéré : contrairement au cas colombien par exemple, aucun complexe
« narcoterroriste » n’est apparu.69 La relation entre le terrorisme et le trafic a plutôt été le résultat
de jeux d’acteurs, à la fois au sein des groupes terroristes et des États, qui ont encouragé et
favorisé le trafic grâce à la corruption. Des membres du MUJAO70 ont certes été impliqués dans
du trafic dans le nord du Mali, mais les membres en question étaient des hommes d'affaires, pas
des leaders du groupe. Les implications diverses dans les réseaux de drogues ont été démantelés
suite à l’intervention de l’armée française. AQMI n’a pas été, et ne sera pas, un acteur principal
du trafic.71 La zone nord du Mali n’est pas indispensable pour acheminer la cocaïne jusqu’à
l’Europe. Depuis le fameux crash de l’avion dans le désert malien « Air Cocaïne », aucune
saisie n’a été réalisée dans la bande sahélienne. Pour preuve, la route de la cocaïne ouestafricaine n'a pas disparue au lendemain de l'intervention militaire française au Mali en 2013.
La première source de revenus des groupes djihadistes du Sahel reste le business de la prise
d'otages, grâce aux montants faramineux obtenus pour négocier leur libération. Le New York
Times avait révélé en 2014 que pas moins de 125 millions de dollars avaient été versés aux
djihadistes depuis 2008, dont 66 millions de dollars pour la seule année 2013.72 Au contraire
67
Voir notamment le document de travail Terrorisme et trafic de drogues en Afrique subsaharienne de l'Institut
Espagnol d’Études Stratégiques (IEEE). Pour plus de précisions, consulter l'article de W. Lacher sur le mythe
narcoterroriste au Sahel, cité plus bas.
68
Slate.fr, 21 janvier 2013; Le Nouvel Obs, 1er mars 2013.
69
Wolfram Lacher, Le mythe narcoterroriste au Sahel. Document de référence de la WACD (West Africa
Commission on Development), 2013.
70
Mouvement pour l'Unicité et le Jihad en Afrique de l'Ouest, groupe armé salafiste issu d'une scission avec AQMI
en 2011.
71
Al Qaeda au Maghreb Islamique.
72
New York Times, édition du 29 juillet 2014
35
des groupes terroristes, l’implication des élites, issues des milieux des affaires et politiques, est
elle bien documentée. Selon Lacher, elle se retrouverait, pour la zone du Sahel, au Mali, au
Niger, en Mauritanie, en Algérie et en Libye. Au-delà de la cocaïne, la contrebande et le trafic
de stupéfiants sont le produit d’un système qui permet d’enrichir le Sahara ; cependant, la
plaque tournante de la cocaïne resterait située dans les États côtiers africains.
III) L’ancrage de la cocaïne dans le local : augmentation de la consommation
domestique
Mark Shaw avait réalisé en 2012 une enquête de terrain destinée à évaluer l’impact des
divers efforts de lutte mis en place par les États, qui auraient été inefficaces, faute de réponse
adéquate et coordonnée. Il défend également la thèse de l’apparition de « narco-Etats », un
processus qui pourrait être difficilement réversible.73 En Afrique de l’ouest, la Gambie, la
Guinée-Bissau et la Guinée Conakry, la Sierra Leone, le Togo, le Bénin, le Cabo Verde et le
Mali sont considérés comme des États faibles, facilement gangrenés par le trafic de drogues.
Malgré le renforcement des processus démocratiques au Nigeria et au Ghana, ces deux États
sont néanmoins menacés par leur vulnérabilité, due à la corruption et à l’existence d’une mafia
pour le Nigeria. Deux éléments sont soulignés par le chercheur afin de mieux saisir le
phénomène : tout d’abord, il faut mieux estimer la quantité de flux qui transitent, car ce n’est
pas parce que les saisies ont diminuées que le trafic est plus faible. Des enquêtes de terrain
réalisées par des agences d’intelligence européennes contredisent les rapports de l’ONUDC
affirmant que l’importance de la route de l’Afrique de l’ouest a diminuée depuis 2007.
Deuxième point, la région se transforme : d’un lieu de passage, elle devient à la fois le lieu de
l’achat et de la vente du produit.
Une des conséquences de la transformation de la géoéconomie mondiale de la cocaïne
vers l'intégration de l'Afrique de l'ouest, comme espace à la fois de stockage et de transit, a été
l'apparition d'une consommation au niveau local. Conséquence de l'effet de débordement – spill
over effect – la consommation, bien qu'à des niveaux faibles, non comparables à l'Europe ou à
l'Amérique latine, est le résultat de plusieurs facteurs, tels que le paiement des mules en cocaïne
73
Mark Shaw, « Leadership required: drug trafficking and the crisis of statehood in West Africa », Policy Brief
n°37, Institute for Security Studies, October 2012
36
ou l'intérêt montré par certains membres de la diaspora ouest-africaine qui retournent dans la
sous-région et sont déjà familiers de la cocaïne. Selon une estimation du rapport sur les drogues
de 2014, bien que les informations disponibles soient peu nombreuses et disparates, 0,4% de la
population africaine consommerait de la cocaïne.
Mais si on se fie au rapport sur les drogues de 2015 de l'ONU, une augmentation de la
consommation de la cocaïne au niveau local aurait eu lieu. Il est estimé qu’en 2013, 0,7% de la
population avait consommé de la cocaïne en Afrique centrale et de l'ouest. Or, reporté au taux
de consommation de la cocaïne en Europe, qui est de 1%, et à celui en Asie, extrêmement faible,
de 0,05%, l'Afrique de l'ouest présente un taux de consommation assez élevé.74 De plus, on note
une forte augmentation par rapport à l'estimation du rapport de 2014, qui chiffrait à 0,4% de la
population les consommateurs de cocaïne, contre 0,7% dans le rapport de 2015.
Dans le cas du Ghana, le phénomène s'observe dès les années 1990 : en effet, il y a eu
une augmentation des saisies de rue, même s’il estimé qu'elles ne représentent qu’une toute
petite fraction de la drogue en circulation. Par exemple, 731 « sacs » de cocaïne et d'héroïne ont
été saisis sur une seule personne à Kumasi, la capitale de la région Ashanti et deuxième ville
du pays, en décembre 1995.75 La cocaïne est consommée par les classes moyenne et haute,
notamment par des ghanéens qui ont pu en faire l’expérience à l’étranger ; elle est liée donc aux
enfants de riches familles, ou bien aux personnes côtoyant des expatriés ou des touristes, et les
expatriés ou diplomates eux-mêmes.76
Selon Kwesi Aning, la menace posée par le trafic de drogues en Afrique de l'ouest se
situe ainsi plus au niveau de la sécurité humaine, et que de la sécurité des États. En effet, en
conséquence notamment de l'approche de la lutte contre les drogues centrée sur la répression
des trafiquants, assez peu d'initiatives se concentrent sur le soutien à la baisse de la
consommation – harm reduction.77 Les politiques ouest-africains sont punitives et non
préventives, notamment en appliquant de lourdes sentences pour des premières condamnations.
74
UNODC, World Drug Report 2015, Vienna, p. 55.
75
Ghana Times, 11 février 1995
76
Bernstein, Op. Cit, p. 25
77
Kwesi Aning and John Pokoo, « Understanding the nature and threats of drug trafficking to national and
regional security in West Africa », Stability: International Journal of Security and Development, 3 (1), 2014,
p. 2.
37
Les institutions de santé de la sous-région sont de manière globale sous-financées et souséquipées, et en ce qui concerne la gestion de problèmes d'addictions aux drogues, très largement
non formées. Aucun pays d'Afrique de l'ouest n'a de politique de réintégration des usagers de
drogues dures, qui sont pour la plupart du temps traités dans des hôpitaux psychiatriques. Au
Ghana, la consommation de drogues illicites se fait dans plusieurs contextes : elles peuvent être
utilisées par des travailleurs miniers – notamment dans la région Ashanti78 - mais aussi dans
des zones urbaines défavorisées. Ainsi, dans une étude réalisée par Yahya Affinnih à la fin des
années 1990, l'auteur signalait qu'il n'existait quasiment aucune recherche empirique sur les
phénomènes de consommation de drogues dures au Ghana, ce qui est toujours vrai de nos
jours.79
80
Il s'était intéressé à un quartier défavorisé du grand Accra, Tudu, connu pour sa
consommation de drogues, et avait observé un changement de la consommation traditionnelle
de marijuana vers le crack81 ou l'héroïne.
Si la consommation reste confinée à certains territoires – centres urbains majeurs, mines
– et affecte une certaine couche sociale de la population – classes supérieures pour la cocaïne,
classes défavorisées pour le crack – elle pourrait néanmoins s’étendre dans le futur. La
consommation actuelle est le résultat de la redistribution et revente effectuées par les trafiquants
locaux, qui ne sont pas payés en argent liquide, mais en petite quantité de cocaïne.
Selon Bernard Asamoah, l’objectif final des trafiquants latino-américains est qu’il n’ait
pas de consommation locale, afin que la cocaïne soit redistribuée en Europe, où une plus grande
marge de profits sera réalisée. Mais si le travail effectué par les agences de sécurité devient
réellement efficace, il existe un risque que cela devienne difficile de renvoyer la cocaïne et
qu’un marché local important de consommation pourra apparaître. Or, le Ghana n’a pas les
78
Ibid., p. 4. La région Ashanti est une des plus importantes du pays, à la fois en termes culturel, démographique
et économique. C’est le territoire de l’Ashantehene, le roi des Ashanti, la première ethnie du pays, et qui a une
influence considérable au Ghana ; c’est la région la plus peuplée du pays, et une des plus riches, étant une
productrice majeure de cacao et d’or. [Note de l’auteur]
79
Yahya Affinni, « A preliminary study of drug abuse and its mental health and health consequences among
addicts in Greater Accra, Ghana », Journal of Psychoactive Drugs, Oct – Dec 1999, 31 (4), p. 395 – 403.
80
U. M. Read and V. CK. Doku, “Mental Health Research in Ghana: A Literature Review”, Ghana Med Journal,
June 2012, 46 (2 Suppl), p. 29 – 38.
81
Stupéfiant dérivé de la cocaïne obtenu en faisant fondre un mélange de poudre de cocaïne, de bicarbonate de
soude et d'ammoniaque. Souvent dénommé « la drogue du pauvre ».
38
moyens sanitaires pour prendre en charge les consommateurs de drogues dures. Le
gouvernement est pourtant conscient de ses faiblesses, et des efforts récents ont été faits pour
améliorer la prise en charge des consommateurs de drogues dures en développant des
programmes de réhabilitation. Le ministre de l’Intérieur, Mark Woyongo, avait affirmé en juin
2015 que la consommation de drogues cesserait d’être considérée uniquement comme une
offense criminelle, mais serait également vue comme un problème de santé publique.82 Si cette
déclaration constitue en effet une avancée, il faut néanmoins signaler que la loi n’a pas encore
été votée et qu’il y aura sûrement un laps de temps conséquent avant sa mise en place. De
manière générale, la législation ghanéenne est toujours solide, mais est tributaire des montants
alloués au développement des projets. Le manque de fonds et l’absence de personnel qualifié
sont des éléments qui contribuent à l’échec de politiques pourtant nécessaires. Il faut donc être
prudent vis-à-vis de toutes les déclarations d’intention, et juger, si possible, l’impact réel des
politiques.
82
The Chronicle, Drug Addication is a Public Health Issue – Woyongo, June 29, 2015.
39
Partie 2 : La collision entre la cocaïne et les sociétés ouest-africaines
L’extension des réseaux latino-américains de la cocaïne vers l’Afrique de l’ouest n’était
pas seulement liée à un avantage comparatif au niveau des coûts de transports. Le contexte des
États de la sous-région est un argument qui a bien plus pesé dans le choix de délocalisation de
l’activité. En effet, les politiques locales jouent un rôle surdéterminant, et dans le cas de
l’Afrique de l’ouest, la faiblesse de la lutte contre la cocaïne internationale, au départ, et les
taux élevés de corruption au sein des gouvernements, ont certainement été des facteurs de poids.
La production de la drogue, ou le trafic, ne s’expliquent pas par une théorie de rationalité
économique, mais le plus souvent par le contexte social et politique. Ainsi, l’Afghanistan, qui
produit environ 90% de l’héroïne mondiale, a largement devancé les pays du sud-est asiatique
grâce à l’instabilité chronique du pays, qui a connu invasions étrangères, rebellions et coups
d’État successifs. La drogue est ainsi plus en lien avec les « institutions, la gouvernance et les
valeurs sociales » qu’avec des modèles de rentabilité économique classique.83
I.
Tendances globales de la cocaïne
La production mondiale de cocaïne varie d'une année à l'autre, cependant une tendance
à la baisse a été observée depuis 2007. Selon le dernier rapport des Nations-Unies sur les
drogues, la production pour l'année 2013 était la plus faible depuis que les données ont
commencé à être enregistrées au milieu des années 1980 ; en 2013, un déclin de 14% des
cultures avait été observé.84 La baisse est néanmoins compensée par une amélioration des
techniques de transformation de la cocaïne, un processus qui a eu lieu sur le long terme. La
baisse de la production de la coca dans les trois principaux pays producteurs – Bolivie,
Colombie et Pérou – a conduit à un déclin de la production globale de la cocaïne, ce qui explique
en partie la réduction de la disponibilité du produit en Amérique du nord. Cependant, en Europe,
bien que selon les données des saisies disponibles, la consommation ait baissée sur le continent,
la cocaïne reste la troisième drogue la plus trafiquée – après le cannabis et la résine de cannabis.
83
Francisco Thoumi, “The rise of two drug tigers: the development of the illegal drugs industry and drug policy
failure in Afghanistan and Colombia”, in F. Bovenkerk and M. Levi (eds), The organized Crime Community:
Essays in honour of Alan A. Block, Studies of Organized Crime No. 6, Springer Science and Business Media,
New York, 2007, p. 126.
84
WDR 2014, Op. Cit., p. 35; WDR 2015, Op. Cit., p. 50.
40
Le trafic a évolué, devenant plus complexe. Le Brésil s’est transformé un acteur clé du trafic,
comme point de transit : la cocaïne entre dans le pays par voie aérienne, terrestre ou maritime
(via les voies fluviales de l'Amazone), avant d'être redistribuée, notamment en Afrique de
l'ouest – environ 30% de la cocaïne présente au Brésil est destinée au marché extérieur.85
La majorité du transport se fait désormais par voie maritime, ce qui permet de déplacer
de larges quantités et rend les saisies plus difficiles – plus de 60% de la cocaïne mondiale serait
concernée, alors que 50% des saisies s'effectuent dans les avions, où le trafic est plus courant
mais les quantités transportés sont bien plus faibles. Les saisies ont augmentées à la marge,
passant de 634 tonnes en 2011 à 671 tonnes en 2012, pour se stabiliser en 2013, avec 687 tonnes
saisies dans l'année. Néanmoins, sur une période de cinq ans, la quantité de cocaïne saisie a
connu une baisse de 9%.
La production mondiale peut-être estimée à 1000 tonnes par an, avec donc des variations en
fonction des années.86 Selon les dernières données disponibles, publiées en 2015, mais basées
sur des chiffres de 2013, l'estimation de la production mondiale de cocaïne était estimée entre
662 et 902 tonnes et ne présentait donc pas d'évolution par rapport aux années passées : la
production globale est relativement stable.87 Les estimations des Nations-Unies sont basées sur
des enquêtes réalisées en Bolivie, Colombie et au Pérou, les trois producteurs mondiaux de
cocaïne. La quantité de cocaïne arrivant sur le marché européen est calculée en soustrayant les
saisies – plusieurs centaines de tonnes sont saisies chaque année en Amérique latine – et la
consommation dans le reste du monde, avant tout en Amérique du nord. Le résultat obtenu est
croisé avec les données disponibles sur la consommation en Europe, qui sont parmi les plus
fiables au monde. Ainsi, l'ONUDC estimait que pour l'année 2010, 130 tonnes de cocaïne
avaient été consommées en Europe. En ajoutant les saisies effectuées dans l'année, soit 42
tonnes, la quantité de cocaïne pure entrant sur le marché européen peut donc être estimée à 172
tonnes. Étant donné l'absence d'estimations et de données concernant les pays d'Afrique de
l'ouest, il est difficile d'évaluer avec pertinence la quantité de drogues transitant par la sousrégion. L'ONUDC a choisi de se baser sur la provenance de saisies effectuées en Europe, qui
85
Estimation du WDR 2015, p. 54.
86
Transnational Organized Crime in West Africa, Op. Cit, p. 17.
87
WDR 2015, Op. Cit, p. 50.
41
montrent qu'entre 8% et 13% de la cocaïne du marché européen était passée par l'Afrique de
l'ouest.
Cependant, cette estimation ne prend en compte que les données disponibles grâce aux
saisies européennes. Pour Simon Julien, ce serait en réalité entre 80 et 100 tonnes de cocaïne
qui transiteraient chaque année par la sous-région, une estimation plus élevée que celle que l'on
retrouve dans la plupart des publications, et qui est également utilisée par les services de police
français.88 L'estimation prudente des Nations-Unies donne néanmoins une idée de l'importance
et de l'impact que peut avoir le trafic de la cocaïne sur les États ouest-africains. Le prix de
revente d'une seule tonne de cocaïne est en effet plus élevé que la plupart des budgets militaires !
Ainsi, à titre de comparaison, la tonne de cocaïne pure se revendait autour de 85 millions de
dollars en 2010 : la même année, le budget militaire du Liberia était de 8,5 millions de dollars,
celui du Togo de 56,8 millions de dollars, et celui du Ghana de 125 millions de dollars.89 La
cocaïne est un des produits qui génèrent le plus de valeur ajoutée au monde, notamment à cause
de son illégalité : la prise de risques fait augmenter le coût. La valeur ajoutée entre le coût de
production et de vente a un coefficient multiplicateur de 2500, un chiffre considérable par
rapport à l'économie légale. Dans un article publié en 2013, la journaliste basée à Dakar Anne
Frintz affirmait que la cocaïne, achetée entre 2000 à 3000 euros le kilogramme dans les zones
de production, s'échangeait à 10 000 euros le kilogramme dans les villes côtières ouestafricaines, 12 000 euros dans les villes sahéliennes, entre 18 000 à 20 000 en Afrique du nord,
pour finir avec un prix situé dans une fourchette de 30 000 – 45 000 euros dans les capitales
européennes. Cette pyramide des prix illustre bien le concept de filière intégrée ou globale
utilisé par Paul Gootenberg. Comme n'importe quelle matière première dans le monde, une fois
transformée et acheminée à son point de vente, la valeur du produit a considérablement
augmentée.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la prise d'importance de cette route. Selon Georges
Berghezan, ils sont au nombre de trois : le renforcement du contrôle des routes atlantiques
traditionnelles – argument également cité par Simon Julien –, ainsi que des aéroports européens,
avec une surveillance accrue des passagers arrivant d'Amérique latine. Les deux autres facteurs
88
Simon Julien, Op.Cit, p. 130.
89
Transnational Organized Crime in West Africa, Op. Cit, p. 18.
42
sont la position géographique de l'Afrique de l'ouest, idéalement placé à mi-chemin entre le
nouveau et l'ancien continent, et la prégnance de la corruption, couplée à un contexte « postconflit » pour plusieurs États de la sous-région (Sierra Leone, Liberia, Côte d'Ivoire).
II.
Une baisse des saisies trompeuse
1) En Afrique de l’ouest
Cependant, depuis 2007, les saisies de cocaïne ont diminué dans la zone. En 2008, un
nombre plus faible de « mules » - les individus transportant de petite quantité de cocaïne,
généralement un kilo, via des vols commerciaux – a été intercepté ; la part de cocaïne saisie en
Europe après être passée par l'Afrique de l'ouest était de 25% en 2007, avant de tomber à 13%
en 2009. Faut-il y voir une coïncidence de la mobilisation internationale qui a suivi la
publication du rapport alarmant de l'ONUDC en 2007 ? Ce n’est pas en tout cas ce que pense
Georges Berghezan, qui s'appuie sur un rapport de 2012 de l'Organe international de contrôle
des stupéfiants (OICS) : « les trafiquants ont simplement modifié leur modus operandi et trouvé
de nouvelles méthodes pour faire transiter la cocaïne par l'Afrique de l'ouest en la dissimulant
dans des conteneurs de fret maritime ».90 Une hypothèse qui a été confirmée par les entretiens
conduits au Ghana dans le cadre de ce mémoire, où les personnes interrogées ont confirmé que
le trafic n'avait pas perdu de son importance, notamment à cause de la faiblesse des pouvoirs
locaux et du manque de capacités des agences de contrôle.91 L'officier de police de l'ambassade
de France au Ghana nous a confirmé que les trafiquants dissimulaient la marchandise dans des
containers, une affirmation basée sur des saisies effectuées notamment au port de Tema, le plus
important du pays, grâce à des informations des services de police européens. De la cocaïne a
par exemple été retrouvée dans un container transportant de la ferraille depuis la Bolivie, à
destination des côtes ouest-africaines. En termes de logistiques du trafic, la cocaïne n'est pas
seulement transportée par bateaux ; elle le serait également par avions privés, décollant du
Venezuela, ce qui rend leur détection beaucoup plus facile ; cependant, les pays de la région ne
90
Rapport de l'Organe international de contrôle des stupéfiants pour 2011, ONU, février 2012, p. 49.
91
Entretiens avec le Dr. Kwesi Aning et l'officier de police de l'ambassade de France à Accra, juin 2015
43
bénéficient pas de la même couverture aérienne en termes de radars, en comparaison avec
l’Europe ou l’Amérique du Nord.92
Une fois arrivée dans la sous-région, la cocaïne peut être redistribuée dans n'importe quel pays,
notamment grâce à la libre-circulation des biens et personnes au sein de la CEDEAO. Dans la
pratique, les États de la CEDEAO sont coupés en deux au niveau des infrastructures routières
par le Liberia et la Sierra Leone, qui n'ont pas de routes goudronnées. La zone « sud », au
contraire, peut facilement être reliée rapidement: une route d'assez bonne qualité permet de
rejoindre Accra (capitale du Ghana), à Lagos (Nigeria), en passant par Lomé (Togo) et Cotonou
(Bénin). Dans la zone « nord », faute d'aéroports suffisamment importants et d’infrastructures
de qualité, la circulation de la cocaïne est limitée aux villes de Dakar et Conakry, pour ce qui
est des vols aériens en tout cas.93
La Guinée-Bissau est le pays qui a été le plus impacté par le trafic de cocaïne originaire
d'Amérique latine, à tel point qu'elle est désormais qualifiée de « narco-État », le seul existant
en Afrique. Les politiques, aussi bien que les miliaires, sont impliqués dans le trafic et en
seraient même les organisateurs : Simon Julien parle de mafias d’État, « constituées de segments
venus du monde des affaires, de la haute administration, de la parentèle ou du premier cercle
d'amitié du Président et de personnes issues du monde politique. »94 Un coup d’État réalisé en
2012 a même placé au pouvoir un parti lié au réseau criminel, ce qui a permis d'utiliser
directement les ressources étatiques pour gérer le trafic. Reconnu par les États-Unis, la France
et l'Afrique du sud notamment, le nouveau régime a été légitimé dans son rôle de soutien à la
criminalité.95 Cependant, le coup d’Etat a permis de focaliser l’attention de la communauté
internationale sur la Guinée-Bissau, car il a contribué à déstabiliser un pays déjà très fragile,
deux éléments qui auraient incité les trafiquants latino-américains à choisir des pays plus sûrs
pour faire transiter la cocaïne, comme le Ghana.
92
Entretien avec l’officier de police de l’ambassade de France à Accra.
93
Transnational Organized Crime in West Africa, Op. Cit, p. 13.
94
Simon Julien, Op. Cit., p. 137
95
Mark Shaw, Op. Cit., p. 2.
44
Loin d'être aussi extrême, le cas du Ghana n'en est pas moins pour autant problématique,
étant un des pays clés en termes de quantité du trafic. Nous allons voir que le Ghana peut être
typifié comme étant l'exemple d'un État de droit fonctionnel, doté d'institutions démocratiques,
mais qui reste néanmoins caractérisé par l'économie informelle, notamment à cause de la
corruption endogène.
2) Focus sur le Ghana
2) a) Un trafic ancien
Le trafic de cocaïne au Ghana est bien plus ancien que ne le laisse supposer les données
susmentionnées. Un article publié par l’Observatoire géopolitique des drogues (OGD) en 1997
affirmait déjà que « depuis une dizaine d’années, le Ghana est un important centre de transit
pour […] la cocaïne sud-américaine destinée aux marchés européens et nord-américains. » En
1996, 2,63 kilogrammes de cocaïne furent saisis, une quantité dérisoire par rapport aux saisies
des années 2000, mais qui selon l’OGD ne reflétait « absolument pas l’ampleur réelle du
trafic ».96 Un des facteurs qui a contribué à l’expansion du trafic est notamment l’urbanisation
du Ghana, qui a permis de fournir la main d’œuvre nécessaire pour les « mules », pour qui les
montants de rémunération d’un seul voyage étaient extrêmement attractifs. Le taux de chômage
élevé et les faibles salaires existant étaient des incitatifs pour accepter des voyages dangereux,
rémunérés 2000 dollars par trajet, quand le salaire moyen annuel tournait autour des 600 dollars
dans les années 1990. Ainsi, en 1996 des ghanéens sont déjà arrêtés à l’étranger, preuve de leur
implication dans le trafic international : plusieurs individus ont été interpellés à Quito, en
Equateur, qui faisaient transiter de la cocaïne entre la Colombie, l’Equateur et l’Afrique du sud.
La cocaïne qui rentre au Ghana est pour la plupart originaire du Brésil et présente un taux de
pureté très important, de l’ordre de 92% à 94%. 97 Le pays est déjà, à cette époque, plus qu’une
simple zone de transit : la cocaïne est également vendue et est consommée localement par la
haute-société d’Accra : « politiciens, hauts fonctionnaires, hiérarques militaires et hommes
d’affaires ghanéens, expatriés occidentaux, diplomates de toutes nationalités et immigrés
96
Observatoire Géopolitique des drogues, Ghana, 1er septembre 1997, p. 1.
97
Ibid.
45
libanais et indiens », mais aussi par un public plus populaire, qui s’approvisionne auprès des
réseaux de rue, installés à Kwame Nkrumah Circle, au cœur de la capitale.98
2) b) Appréciation de la situation actuelle au Ghana
Une responsable d'AFRICOM estimait qu'en 2008, 8% du total des drogues saisies en
Europe avaient transitées par le Ghana.99 D'importantes saisies ont été effectuées entre 2004 et
2009 : une tonne de cocaïne a été saisie à Accra en 2004, en collaboration avec les services de
police espagnols et les douanes britanniques ;100 en 2005, 3 tonnes de cocaïne ont été saisies
par la marine espagnole sur un navire ghanéen ; en 2006, 1,9 tonnes ont été saisies dans un petit
village côtier, Prampran, soit pas moins de la moitié de la cocaïne saisie cette année-là dans le
continent tout entier.101 La même année, cinq ghanéens ont été arrêtés dans des aéroports
européens pour trafic de cocaïne, ce qui place les citoyens ghanéens en troisième position des
nationalités ouest-africaines arrêtées en Europe, avec un total de 8%. En 2008, une nouvelle
saisie avait placé le Ghana en tête des pays ouest-africains en terme de quantité confisquée :
841 kilogrammes de cocaïne ont été saisis. Deux kilogrammes et demi de cocaïne furent
également saisies par les autorités françaises en 2008 dans un navire au large du Liberia, le Blue
Atlantic, mais dont l’équipage était composé de neuf citoyens ghanéens, ce qui montre bien
leur implication dans le trafic. Ce fut la saisie de cocaïne la plus importante de l’année sur le
continent africain.
Des câbles diplomatiques, consultés grâce à Wikileaks, ont permis d'établir qu'une des
raisons expliquant l'ampleur du trafic au Ghana avant les années 2010 est l'absence de volonté
politique de la part du gouvernement de poursuivre pénalement les narcotrafiquants.102 Un câble
permettait notamment d’apprendre que l’ancien président du Ghana John Atta Mills (2009 –
98
Ibid., p.3
99
Mary Carlin Yates, vice-commandante des activités militaires d'AFRICOM, citée par Kwesi Aning dans
Understanding the intersection of drugs, politics and crime in West Africa : an interpretive analysis, p. 8.
100
Afrol
News,
«
One
tonne
of
cocaine
seize
in
Ghanaian
capital
»,
7
janvier
2005,
http://www.afrol.com/articles/10720
101
102
UNODC, Cocaine trafficking in Western Africa, October 2007, p.5.
Georges Berghezan, « Panorama du trafic de cocaïne en Afrique de l'ouest », Groupe de recherche et
d'information sur la paix et la sécurité, Les rapports du GRIP, 2012
46
2012), décédé dans l’exercice de son mandat en 2012, avait qualifié l’aéroport international de
Kotoka d’Accra (KIA) de « corridor de la drogue ». A partir de 2010, les efforts de lutte contre
le trafic se sont intensifiés, traduits notamment par une hausse des quantités de drogues saisies,
grâce au soutien américain.103 L’entrée de la cocaïne ne s’est pas arrêtée pour autant, les
trafiquants rivalisant d’inventivité : en 2011, de la cocaïne a été retrouvée cachée parmi des
produits pétroliers ; en 2014, elle fut retrouvée dans un container en provenance de Bolivie
parmi des chaussures de seconde main, à destination du Burkina Faso ; un trafiquant fut
également au Ghana interpellé après avoir réussi à transporter de la cocaïne dans des
préservatifs.104 Pourtant, malgré ces succès, le secrétaire-général du Narcotics Control Board
(NACOB), Yaw Sarpong, avait reconnu que la quantité réelle en transition était inconnue, et
que les saisies pourrait représenter seulement 1/10ème du trafic, soit seulement la pointe de
l’iceberg. Selon Sarpong, les profits réalisés grâce à la cocaïne sont véritablement énormes.
La situation ne s’est pas réellement améliorée en 2015, malgré la mobilisation internationale et
régionale, même s’il n’y a pas de certitudes car il y a très peu de faits ; les seules informations
disponibles sont fournies grâce aux arrestations de passeurs et les saisies de cocaïne.105 Selon
Kwesi Aning, le Ghana a toujours une part importante du commerce international : « les sources
aux services de sécurité sont frustrés, énervés, elles parlent : leur impression est que rien n’a
changé. Il y a une collusion entre les politiques, les banquiers, les services de l’ordre. »
L’attention de la communauté internationale se serait trop centrée sur la Guinée-Bissau, qui est
devenu un Etat instable. Or, pour les trafiquants, le pays est désormais trop surveillé, les
politiques sont bien trop corrompus ; ce qu’il faut,
« c’est un endroit agréable comme le Ghana, où le Parlement est fort, la démocratie fonctionne.
Le Ghana a ratifié tous les protocoles des Nations-Unies. On a un bon système bancaire, Accra
est desservie par beaucoup de compagnies aériennes, des hôtels sympathiques. Mais surtout,
on a des agents publics très corrompus. Donc on peut venir ici faire des affaires et passer du
bon temps, et personne ne vous arrêtera. »
103
Rapport de l'Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) pour 2010, p. 54 – 55.
104
Entretien avec Yaw Sarpong, Secrétaire-exécutif du Narcotics Control Board (NACOB).
105
Entretien avec Kwesi Aning, Directeur de la Faculté des Affaires académiques et de la recherche (FAAR) au
Kofi Annan International Peacekeeping Trainig Centre (KAIPTC), juin 2015.
47
Pour Bernard Asamoah, le représentant pays de l’ONUDC, la hausse des saisies reflète
une réalité à double tranchant : la loi est mieux appliquée au Ghana, mais d’autre part, le rôle
du pays comme plaque tournante du trafic a pris de l’importance. 106 Les derniers chiffres
disponibles, publiés par le rapport mondial sur les drogues de 2015, révèlent que la saisie record
en Afrique a été faite au Ghana en 2013, avec 901 kilogrammes de cocaïne. La même année,
290 kilogrammes ont été saisis au Nigeria et 20 kilogrammes en Côte d'Ivoire seulement.
L’importance des saisies s’explique notamment par le fait que le Ghana est un des pays leaders
de la lutte contre la cocaïne de la sous-région, aux côtés du Sénégal et du Cabo Verde. La mise
en œuvre de moyens plus importants, en comparaison avec ses voisins, permet d’expliquer la
récurrence des saisies, ainsi que les quantités élevées. Pour le directeur du NACOB, la lutte
n’est pas répartie équitablement dans toute l’Afrique de l’ouest : la région n’est pas intégrée et
seuls quelques pays ont les moyens de s’impliquer.107 Or, au regard de la porosité des frontières,
du nombre important d’Etats (quinze), de la faiblesse de la gouvernance et des institutions, il
n’est pas étonnant que le trafic de cocaïne soit aussi fleurissant.
3) Le trafic de cocaïne, un choix économique rationnel
Quand, en 2007, le directeur de l’époque de l’ONUDC déjà mentionné, Antonio Costa,
s’inquiète de la possibilité que l’argent de la drogue « pervertisse les économies », il ne fait en
réalité que constater un fait déjà établi, étant donné qu’un trafic en sous-main était déjà présent
depuis la moitié des années 1980, mais non détecté par les acteurs internationaux. C’est
réellement l’explosion des saisies, en termes de quantité, qui a attiré l’œil de la communauté
internationale, et non l’état de déliquescence des États ouest-africains, considéré comme une
« fatalité » par tous les tenants de la théorie de l’afro-pessimisme. L’afro-pessimisme est une
tendance de certains observateurs, chercheurs, politiciens ou même la société civile, de
considérer que « l’Afrique noire est mal partie ! » (titre d’un ouvrage de René Dumont, publié
en 1962), assumant que le problème de l’Afrique vient des africains eux-mêmes, qui par la
violence, la mauvaise gouvernance, les clivages ethniques, empêchent l’aide au développement
106
AFP, « Le trafic de drogue, fléau du Ghana, le bon élève d’Afrique de l’ouest », L’Express, publié le
27/09/2013.
107
Entretien avec Yaw Sarpong, Secrétaire-exécutif du NACOB.
48
de mener son but.108 Les sociétés africaines ne seraient pas faites pour la démocratie, un discours
occidentalo-centré qui définit quelles seraient les normes de la démocratie – pour s’en
convaincre, il suffit de citer le désormais tristement célèbre « Discours de Dakar » de Nicolas
Sarkozy de 2007, appelant l’homme africain à rentrer dans l’histoire et affirmant que « l'Afrique
a sa part de responsabilité dans son propre malheur ».109 Si elle n’explique pas tout, la vision
afro-pessimiste du continent permet de comprendre pourquoi, et comment, le trafic de cocaïne
a pu s’infiltrer dans les États ouest-africains pendant les années 1990 sans éveiller les soupçons
de la communauté internationale, qui s’était déjà, de toute manière, détournée de la région
pendant la décennie des ajustements structurels et des guerres civiles. Le « réveil de l’Afrique »,
en tout cas économique, au début des années 2000, est concomitant avec les premiers
signalements de la part d’États européens – France, Espagne – de l’existence d’un trafic en
provenance d’Amérique latine.
Cependant, de manière paradoxale, le succès de l’implantation de la cocaïne n’aurait
jamais été possible sans l’intégration de la région au reste du monde, qui va se lier aux
phénomènes typiques de la fin du 20ème siècle, la mondialisation et l’expansion des migrations
internationales de grande ampleur. C’est grâce notamment aux containers, le symbole de
l’accélération de la globalisation, que la cocaïne est transportée aussi facilement d’un continent
à l’autre. Pour l’ONUDC, le danger réside dans le fait que le crime détruit le capital social, et
est donc un obstacle au développement.110 Si cette hypothèse peut être remise en cause dans le
contexte ouest-africain, nous considérerons néanmoins que le trafic de la cocaïne participe à
l’affaiblissement l’État de droit et la gouvernance, car justifie la corruption publique de par
l’attrait des montants astronomiques qu’elle peut rapporter. Ainsi, même la démocratie
ghanéenne est largement concernée par le phénomène, et s’il ne menace par la survie de l’État
108
Tiré de la page “Afro-pessimisme” du site Géoconfluences, publié le 11 janvier 2013, consulté le 25 juin
2015, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/afro-pessimisme
109
« Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain,
qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne
connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes
paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour
l'idée de progrès. » Intégralité du discours disponible sur le site du monde.fr,
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2007/11/09/le-discours-de-dakar_976786_3212.html
110
UNODC, Crime and Development in Africa, Vienna, 2005, p. 67
49
pour ce qui est du cas du Ghana, il contribue néanmoins au détournement de l’argent public à
des fins privés.
III.
Implication des acteurs locaux
1) Une implantation facilitée par l’ancienneté du secteur informel
Les réseaux ghanéens et nigérians ont bénéficié de l’expérience apportée par le trafic de
marijuana vers l’Afrique, et les années 1980 ont vues la diversification du trafic avec l’ajout de
l’héroïne et de la cocaïne. Les racines du commerce illicite à destination du vieux continent ont
plus de cinquante ans.111 Les cartels latino-américains ont donc pu s’appuyer sur des partenaires
locaux avec des réseaux préexistants, qui ont pu fournir du soutien en termes de stockage de la
drogue, de services bancaires, de logements sécurisés, etc. L’Afrique de l’ouest s’est révélée
être un terrain idéal, en termes d’opportunités sociales et politiques, pour la conduite d’activités
criminelles. Selon Stephen Ellis, l’expérience des réseaux dans la criminalité a participé à la
construction d’un capital à la fois social et politique, qui s’est enrichi au fil du temps – remettant
donc en cause l’hypothèse de l’ONUDC que le crime détruit le capital social en Afrique. Pour
reprendre Anthony Giddens, la pratique des agents a contribué à créer l’espace social, en
intégrant des normes criminelles au fonctionnement économique informel. Grâce à la
routinisation des pratiques, les agents locaux ont pu monter en puissance et s’intégrer dans
l’espace, à la fois au niveau social et politique en Afrique de l’ouest, et au niveau global, en
s’intégrant à l’espace mondialisé. Ce double processus illustre bien le paradoxe de la
glocalisation, qui modifie les pratiques locales ancrées dans un territoire, en les intégrant dans
un espace mondialisé qui permet de faire vivre ce territoire. L’Afrique de l’ouest, comme
l’Amérique latine, a bénéficié de l’intégration de son secteur informel dans la mondialisation,
qui lui a permis de participer au phénomène, tout en privilégiant les ressources immédiatement
disponibles et avec le plus de valeur ajoutée, les narcotiques.
Le grand avantage des criminels ouest-africains, dans les années 1980, était que les agences de
sécurité ne s’attendaient pas à ce que de la cocaïne ou de l’héroïne soient importées depuis la
sous-région et ne contrôlaient donc pas les individus ou les chargements. Parallèlement à la
montée du trafic, les années 1980 étaient synonymes pour l’Afrique de l’ouest d’un fort déclin
111
Stephen Ellis, “West Africa’s International Drug Trade”, African Affairs, 108/431, 171 – 196, 2009, p. 173.
50
économique, couplé à la présence de la corruption et au manque de capacités des
gouvernants.112 La plupart des Etats ouest-africains se sont tournés vers la libéralisation des
économies pour répondre à leurs difficultés, en mettant en place les ajustements structurels de
la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). Pour la plupart des citoyens,
les ajustements se sont traduits par un accroissement des difficultés de la vie quotidienne,
notamment à cause de la baisse des investissements dans le secteur public. Privés de moyens
de gagner leur vie, de nombreux individus se sont tournés vers l’économie informelle – déjà
sur représentée en Afrique – et illicite. Le secteur informel se défini au niveau international
comme :
« un ensemble d’unités produisant des biens et des services en vue principalement de créer
des emplois et des revenus pour les personnes concernées. Ces unités, ayant un faible niveau
d’organisation, opèrent à petite échelle et de manière spécifique, avec peu ou pas de division
entre le travail et le capital en tant que facteurs de production. Les relations de travail,
lorsqu’elles existent, sont surtout fondées sur l’emploi occasionnel, les relations de parenté ou
les relations personnelles et sociales plutôt que sur des accords contractuels comportant des
garanties en bonne et due forme»113
Le secteur informel représentait 54,7% du PIB dans le pays d’Afrique subsaharienne dans
les années 2000 selon une source d’un rapport de l’OCDE de 2008114, une amélioration
néanmoins par rapport au taux des années 1990 de 74, 8% (qui représentait par contre une
augmentation par rapport à la part de l’économie informelle dans le PIB pendant les années
1980, qui était de 68,1%).115 Le secteur informel a donc pris une importance fondamentale lors
des années 1990, du fait de la crise économique. Or, nous remarquons que c’est à la même
période que le trafic de cocaïne se développe réellement dans les États ouest-africains. Il ne faut
néanmoins pas confondre secteur informel et activités criminelles, bien que la distinction soit
parfois un peu ténue. L’économie informelle recouvre, dans sa définition, l’économie
criminelle, sans pourtant que l’inverse ne soit vrai. Le trafic se dissout au sein d'activités et
produits parfois légaux, sans distinction entre ce qui est légal ou illégal. L'économie formelle
112
Stephen Ellis, Op. Cit., p. 178.
113
Définition du Bureau International du Travail – BIT, 1993.
114
OCDE, Rapport Afrique de l’ouest 2007 – 2008, Décembre 2008, p. 170
115
Jacques Charmes, Les origines du concept de secteur informel et la récente définition de l’emploi informel.
51
peut se retrouver noyautée par ses capitaux issus d'activités criminelles, ce qui est notamment
le cas au Ghana.
2) Création de réseaux ouest-africains spécialisés
Dans les années 1990, le Nigeria, fortement corrompu, était le centre des activités
criminelles d’Afrique de l’ouest, notamment grâce à des connections avec des élites du monde
politique. Les trafiquants nigérians fonctionnaient au niveau global, tout en transmettant à la
génération suivante leur savoir-faire. Vers le milieu des années 1990, les nigérians avaient
investis dans les pays à la fois consommateurs et producteurs de drogues, imités à moindre
échelle par les trafiquants ghanéens.
L’implication d’un réseau ghanéen dans le trafic est mesurée par le nombre de saisies et
d’arrestations effectuées à l’aéroport international de Kotoka, à Accra. Bernstein, retraçant
l’historique du réseau, affirme qu’au départ, les nigérians s’étaient impliqués dans le trafic au
Ghana, et que les ghanéens servaient d’intermédiaires, avant de prendre une plus grande
autonomie. Leur implication s’expliquait par plusieurs facteurs, dont la facilité du recrutement :
un seul voyage, en 1997, pouvait rapporter 2000 dollars. La présence de nationaux ghanéens
sur des vols entre l’Afrique de l’ouest et l’Europe ou l’Amérique du Nord n’éveillait pas de
suspicion, du fait de l'existence d’une diaspora importante sur place. Une « Ghanaian
Connexion » se mit en place entre 1984 et 1990, avec pas moins de 1744 transactions illégales
de narcotiques reportées au Ghana. Cette inflation des transactions s'explique notamment par
l’apparition sur le territoire de trafiquants nigérians, qui s'installent dans le pays suite à
l’imposition de la peine de mort pour les trafiquants de drogues au Nigeria par le général Buhari
– le même général qui vient de remporter la présidentielle nigériane de 2015. 116 Le Ghana, dans
les années 1990, eut même son « baron de la drogue » local, en la personne de Raymond Kwame
Amankwaah, trafiquant qui fut traqué par la police britannique. Elle effectua une saisie de crack
cocaïne d’une valeur d’un million de livres sterling à Londres, ce qui était sans doute à l’époque
la plus grosse saisie de crack cocaïne jamais effectuée. Amankwaah fut suspecté, mais jamais
inquiété. Il fut identifié en 1995, et condamné in absentia par la justice française, suite à une
116
People’s Daily Graphic, 27 juin 1992.
52
saisie de 3,3 kilogrammes de cocaïne ; il fut également condamné au Ghana in absentia (grâce
à l’aide d’Interpol) et ses biens furent saisis. Cependant, il ne fut jamais retrouvé.117
L’implication des ghanéens dans le trafic d’abord se fait d’abord comme mules et
intermédiaires des nigérians. Ils ont alors commencé dans les années 1990 à voyager sans se
faire suspecter aux douanes, et se rendait notamment au Brésil pour acheter de la cocaïne.118
Cette nouvelle richesse devint évidente dans les années 1990, avec l’apparition de « cocainehouses » à Accra, où tout un chacun savait d’où était venu l’argent nécessaire à l’achat de la
nouvelle demeure.119 D’autant plus que l’économie était en crise et que l’industrie locale s’était
effondrée. Les ghanéens avaient réalisés dans les années 1990 que le gouvernement ne
contrôlait pas l’économie, transformée en profondeur par la mondialisation. Selon le chercheur
ghanéen Emmanuel Akyeampong, la diaspora ghanéenne a bénéficié d’une interface unique, la
compréhension de l’Afrique d’un côté et l’accès aux marchés européen et américain de
l’autre.120 Certains de ses membres ont donc tiré parti de cette position, qui leur permettait
d’avoir des informations comparables sur les prix des biens des deux côtés de la « frontière ».
Ils ont agi en homo economicus rationnel, tirant profit d’une situation économique et
géographique, l’Afrique de l’ouest jouant le rôle d’intermédiaire entre l’Amérique du sud et
l’Europe.
Les ajustements structurels des années 1990 et le déclin des économies ont donc conduit à la
prolifération du trafic en Afrique de l’ouest. Le trafic s’est ainsi inscrit dans la logique de la
mondialisation par « le bas » d’Alain Tarius : les trafiquants ont profité des failles de l’Etat, en
pleine crise de légitimité, pour participer à une forme de capitalisme nomade. Les immigrés
ghanéens sont devenus les « fourmis » du modèle de Tarius, qui de par leur activité incessante,
117
Emmanuel Akyeampong, « Diaspora and drug trafficking in West Africa: a case study of Ghana », African
Affairs, 104/416, p. 429 – 447.
118
Ghanaian Times, 19 February 1993.
119
Ghanaian Chronicle, 25 – 27 July 1997.
120
Emmanuel Akyeampong, Op. Cit.
53
prennent parti de leur position unique pour bénéficier des fruits de la mondialisation en passant
par des canaux informels.121
Ironiquement, le fait que le Ghana accepte les programmes d’ajustement structurel des
institutions internationales et que le pays soit considéré comme un « bon élève » n’a pas
empêché les trafiquants latino-américains de s’implanter. Malgré les taux de croissance élevés,
la liberté de la parole et de la presse et l’implantation durable de la démocratie, l’argent de la
drogue a su trouver son chemin. Selon Stephen Ellis, qui a interrogé des officiers des forces de
l’ordre ghanéens, de nombreux hommes politiques du pays seraient impliqués dans le trafic, et
de nombreux immeubles d’Accra, qui ont poussé comme des champignons à partir des années
2000 dans la capitale, auraient été financés grâce à ce commerce rentable, dans la continuité de
la logique des années 1980.122
3) Un exemple de carrière déviante au Ghana
La carrière, définie comme une activité humaine présentant des étapes, se découpe en
ajustements séquentiels au contact du réseau institutionnel ou des organisations formelles et
informelles.123 La carrière criminelle est donc un ajustement au sein d’un système qui combine
l’appréhension des institutions formelles et la conduite d’activités illégales au regard de la
justice. Le milieu social, tout autant que les ressources économiques, sont des variables
déterminantes pour l’orientation vers une carrière criminelle. Comme nous l’avons précisé, le
Ghana a connu des périodes économiques difficiles dans les années 1990, où de nombreux
individus sans ressources se sont tournés vers le commerce informel, et certains vers le trafic
de cocaïne. Et les difficultés économiques du Ghana ne sont toujours pas terminées, malgré les
taux de croissance élevés depuis le début des années 2000 : en témoigne la crise de l’énergie en
cours depuis 2012 et la conclusion d’un programme d’aide avec le FMI en 2015. Nous n’avons
malheureusement pas les moyens dans ce mémoire de brosser un tableau complet des logiques
qui conduisent un individu à choisir une carrière déviante au Ghana. Nous évoquerons
121
Alain Tarius, La mondialisation par le bas. Les nouveaux nomades de l’économie souterraine, Paris, Balland,
Voix et regards, 2002.
122
123
Ellis, Op. Cit., p. 193
Marc Leblanc, « La carrière criminelle : définition et prédiction », Criminologie, vol. 19, no. 2, 1986, p. 77.
54
simplement rapidement le cas de Nayele Ametefe, dont l’arrestation en 2014 a été médiatisée
dans la presse ghanéenne, ce qui a rendu possible la consultation de matériaux biographiques
sur sa carrière dans les archives de presse.
Nayele Ametefe est issue d’un milieu défavorisé et d’un foyer brisé. Elle s’est mariée à l’âge
de 16 ans à un homme d’affaires ghanéen, Abossey Okai. Trois enfants naîtront de ce mariage,
qui prendra fin au bout de dix ans de vie commune. Se retrouvant mère célibataire et sans
revenus, elle rentre en contact avec des « gens puissants » en 2004, notamment des élites
politiques. Lors de son procès, en 2015, elle s’est dit « obligée » d’avoir eu recours au
narcotrafic, afin de subvenir aux besoins de ses enfants. Son ex-mari était un homme aisé, qui
les avait habitués au confort. Elle fut arrêtée pour avoir transporté 12 kilogrammes de cocaïne,
une mission qu’elle avait acceptée pour une rémunération de 23 000 dollars, avec un bonus de
6000 livres sterling une fois la transaction effectuée.124 125
Il semblerait que cela soit la nécessité de trouver rapidement des ressources économiques, tout
en faisait face à un déclassement social suite à la séparation d’avec son époux, qui ait poussé
Nayele à rentrer en contact avec des acteurs criminels, qui l’ont initié aux normes et
comportements à adopter. L’hypothèse économique est corroborée par Kwesi Aning, pour qui
la carrière déviante résulte d’un simple calcul rationnel, étant donné qu’un seul voyage en
Europe peut rapporter suffisamment d’argent pour «transformer la vie des gens ».126 Les
sommes d’argent engrangés par le trafic, qui peuvent tourner autour de 20 000 – 50 000 dollars
sont suffisamment importantes pour changer la dynamique de toute une communauté, où le
salaire moyen individuel annuel ne dépasse pas souvent les 500 dollars. Ainsi, la plupart des
individus servant de « mules » vers l’Europe ne feraient le voyage qu’une seule fois, et
réinvestiraient leurs gains dans l’économie locale, notamment en blanchissant l’argent dans le
secteur immobilier. Le trafic serait donc l’œuvre d’individus différents, s’engageant
périodiquement dans une carrière déviante, avant de réinvestir les gains dans une activité à
faible risque, au Ghana.
124
Daily Graphic, Repatriate me to Austria and not Ghana, January 6, 2015.
125
Joy Online, Nayele Ametefe sentenced 8 years, 8 months, June 1st, 2015. Page consultée le 5 juillet 2015.
126
Entretien
55
Partie 3 : La patrimonialisation de la « ressource » cocaïne
La présence de la cocaïne au Ghana vient renforcer la corruption endémique présente
dans les institutions et la gouvernance du pays, qu'elle soit locale ou nationale, un système qui
a jusqu'à présent a tenu éloigné les phénomènes de violence liés à la drogue qu'a connu
l'Amérique latine. La relation structurelle entre drogue et violence n'est ainsi pas vérifiée en
Afrique de l'ouest, qu'elle soit urbaine ou politique. Comme nous l'avons démontré plus haut,
le trafic de cocaïne n'avait un lien qu'à la marge avec les groupes terroristes du Sahel. Bien que
les acteurs locaux – notamment nigérians et ghanéens – prennent une part active dans la
distribution du produit illicite, les affrontements entre clans ou gangs, tels qu'observés par
exemple au Mexique et qui participent au délitement de l’État, ne sont pas présents dans la
région. Ainsi, il nous est possible de poser l'hypothèse que la présence de la drogue en Afrique
de l'ouest doit être analysée avec un modèle original, permettant d'expliquer l'absence de
violence intrinsèque. Nous partons de l'idée que la captation des ressources de la cocaïne se fait
ici indifféremment vis-à-vis d'autres ressources, notamment grâce à la confusion entre le
commerce informel et formel, et s'inscrit dans une logique de néo-patrimonialisme, où les
ressources économiques sont directement captées et utilisées par les élites locales. Il s’agit ici
de faire une généralisation du mauvais fonctionnement des institutions ghanéennes et de la
disparité entre la législation, souvent solide, et la réalité, où la loi est souvent peu ou mal
appliquée.
Au vu des limites de temps imposés par l’élaboration et la rédaction du mémoire, ainsi
que la limite inhérence à l’exercice qui impose de se centrer sur une approche, nous ne pourrons
pas développer une sociologie complète des acteurs criminels ghanéens, faute de temps et de
moyens. Nous en resterons donc à une approche théorique du problème, supposant que la
sociologie criminelle classique a une portée universelle, nous permettant de théoriser le
fonctionnement de réseaux criminels en Afrique de l’ouest.
56
I.
Une volonté politique confrontée aux limites structurelles de l’Etat ghanéen
Les autorités ghanéennes n’auraient pris conscience de l’importance du problème que
tardivement, sous estimant ainsi son impact dans la gouvernance et la politique ghanéennes.127
Le Président John Mahama, élu en 2012, avait indiqué dans son programme de campagne que
la lutte contre le trafic était une de ses priorités en termes de questions de sécurité. Pourtant, le
directeur du Bureau de contrôle des stupéfiants (Narcotics Control Board, NACOB), Akrasi
Sarpong, avait révélé en 2011 qu'il y avait de fortes probabilités pour que les partis politiques
du pays aient bénéficié de financements illégaux, issus du narcotrafic, depuis au moins deux
décennies. L'agence NACOB, ainsi que la Sécurité nationale et le Bureau d'enquêtes national
(BNI), l'agence d'intelligence ghanéenne, auraient été infiltrés par des « taupes » dès 2006,
chargées d'obtenir des informations afin que les mules puissent quitter le pays sans inquiétude.
L'importance prise par les infiltrations étaient telle que des arrestations d'agents de la NACOB
et du BNI, au nombre de 15, eurent lieu en 2011, mais ils furent libéré sous caution la même
année.128 L'aéroport international de Kotoka, basé à Accra, est une des plaques tournante du
trafic dans le pays.
1) Un Etat de droit démocratique limité par la faiblesse des institutions
Si la démocratie ghanéenne a atteint un certain niveau de maturité, le fonctionnement
du monde politique, et notamment des partis, n’est pas régi avec transparence. Le système du
Ghana, surnommé « Winner-Takes-All » polarise la gouvernance en favorisant l’exécutif au
détriment du législatif.129 Le pouvoir est concentré dans les mains de l’exécutif et de la
présidence, qui nomme notamment tous les directeurs des institutions constitutionnelles, ainsi
qu’un tiers des membres des assemblées locales de district. Dans ce contexte, la « garde
rapprochée » du président de la République du Ghana obtient souvent des postes clés, et les
tentatives de réforme de la Constitution pour changer le fonctionnement du système politique
127
AFP, « Le trafic de drogue, fléau du Ghana, le bon élève d’Afrique de l’ouest », L’Express, publié le 27
septembre 2013.
128
129
Ghana Web, “Eight suspected NACOB officials granted bail”, 17 octobre 2011.
Institute of Economic Affairs Winner-Takes-All / Constitution Review Workshop, Alisa Hotel, Accra, 8th July,
2015.
57
sont laborieuses. Lancée en 2010, le processus de réforme n’a toujours pas abouti, et ne sera
pas mis en place avant les élections présidentielles et parlementaires de 2016.130 Les députés
du Parlement, qui est la seule chambre du pays, ont au final peu de pouvoir ou de contrôle ; les
projets de loi sont déposés par le gouvernement et le Parlement manque de moyens financiers
et humains. Malgré la volonté politique affichée par le gouvernement ou les parlementaires, sur
beaucoup de sujets, la rhétorique n’est pas à la hauteur de la réalité sur le terrain, que ce soit
par exemple sur la corruption, l’énergie, le chômage ou l’agriculture.
Prenons l’exemple de la crise de l’électricité, devenue emblématique des problèmes du
Ghana. Elle a commencée en 2012, en partie à cause de la trop forte croissance de la demande,
de la baisse du niveau d’eau au barrage d’Akosombo, qui fournit plus de la moitié de
l’électricité du pays, et de l’absence d’initiatives du gouvernement, qui n’a pas rénové les
centrales usagées. Depuis le début de la crise, le gouvernement martèle qu’elle sera bientôt
résolue ; le président Mahama avait déclaré dans son discours sur l’état de la Nation en février
2015 « I will fix the energy challenge ».131 Or, la crise est loin d’être résolue et avait été qualifiée
de « single most important risk » par le Fonds monétaire international (FMI) lors de la mise en
place d’un programme d’aide pour le Ghana.132 Les délestages, surnommés « lights-off » sont
monnaie courante, à raison de 24 heures de coupure toutes les 12 heures.
De même pour l’engagement dans la lutte contre les narcotiques. Selon Kwesi Aning,
la volonté politique affichée est celle de l’engagement dans la lutte, le renforcement de la
coopération internationale ; or, derrière les discours, les choses tardent à bouger, victimes à la
fois de la lenteur du système institutionnel et de l’immobilisme des agences, qui réforment avec
difficulté et manquent de fonds. Un ancien ministre de l’Intérieur, William Aboah, a été nommé
pour engager les démarches nécessaires afin de transformer le Narcotics Control Board
(NACOB) en une commission, une nomination annoncée lors du discours sur l’état de la Nation
en février 2015. Or, le projet de réforme de la loi date déjà de 2011, ce qui montre bien la lenteur
du processus législatif.133 Bernard Asamoah, le représentant pays de l’ONUDC, a affirmé ne
130
Source diplomatique.
131
Presideny of Ghana, State of the Nation address, 27th February 2015.
132
Financial Times, Power shortages cut growth prospects in Ghana, July 8th 2015.
133
Modern Ghana, Laws on Narcotic To Be Tougher, 29 June 2011.
58
pas être au courant des avancées du projet de loi, préparé par le département de la procureure
générale, et qui doit encore passer par le Parlement. Le processus risque encore de prendre un
certain temps.134
En plus des problèmes structurels, tels que la faiblesse des financements et la difficulté
de la mise en place des politiques, se pose également la question du rôle de la société civile. La
plupart des politiques se concentrent sur le volet répressif et n’intègrent pas les acteurs non
institutionnels : le trafic de drogues est un problème relevant de la capacité de l’Etat. Or, la
société civile et les organisations non gouvernementales (ONG) sont essentielles afin de
sensibiliser et éduquer le public sur les questions du trafic et de la consommation de cocaïne.135
Nous n’avons pas observé la présence d’ONG impliquées dans ce secteur lors de nos
recherches, et s’il est possible que certaines d’entre elles s’y intéressent, le rôle de la société
civile n’a pas été mentionné une seule fois par les acteurs que nous avons rencontrés. Nous
pouvons supposer que l’avenir de la cocaïne au Ghana et en Afrique de l’ouest, concernant le
volet du contrôle de la demande, se jouera notamment sur la capacité de l’Etat à inclure la
société civile dans le processus.
2) Prégnance de la corruption
Dans le cadre du Ghana, il est généralement admis que l’État reste largement
patrimonialisé, malgré l’introduction de la démocratie en 1992, avec la rédaction d’une nouvelle
Constitution et la présidence de J.J. Rawlings. Mais la révolution électorale n’a pas été
complétée par la révolution contre le patrimonialisme ; le faible niveau de responsabilité du
gouvernement n’a pas permis au pouvoir discrétionnaire de disparaître. 136 Le renforcement de
la démocratie au Ghana n’a pas été synonyme d’un renforcement de la lutte anti-corruption ;
l’absence d’un système de freins et contrepoids au gouvernement laisse le champ libre à la
corruption des agents. Le président actuel de la République ghanéenne, John Dramani Mahama,
134
Entretien avec Bernard Asamoah.
135
Afia Asare-Kyei, Drug Trafficking and the Role of Civil Society in West Africa, Open Society Foundations,
February 11, 2013.
136
Fortune Agbele, “Political Economy Analysis of Corruption in Ghana”, European Research Centre for AntiCorruption and State Building, Working Paper No. 28, April 2011
59
élu en 2012, a reconnu dans un de ses discours que la corruption était institutionnalisée au
Ghana.137
Malgré les scores relativement bons du Ghana dans les classements internationaux –
selon Transparency international, en 2013, le pays était le 8ème plus performant d’Afrique, avec
un score au-dessus de la moyenne régionale, et même de la moyenne des scores des pays à
revenu moyen extérieur -, il existe encore des différences importantes entre la législation en
place et la réalité de la corruption dans le pays. Les enquêtes récentes indiquent que les citoyens
ghanéens sont de plus en plus sceptiques concernant les moyens de lutte mis en œuvre : pour la
période 2010 – 2011, 37% des foyers considéraient que la lutte contre la corruption
gouvernementale était ineffective ; en 2013, ce pourcentage s’élève à 55%.138 Bien que le Ghana
soit perçu comme un pays moins corrompu que ses voisins, les phénomènes de patronage
politique, tels que théorisés par Jean-François Bayart et Jean-François Médard, jouent toujours
un rôle important. Bien qu’une législation forte et des institutions efficientes existent, les
réformes institutionnelles manquent de crédibilité, notamment à cause de l’absence de
transparence et de responsabilité.
Éléments auxquels se rajoutent souvent le manque de fonds disponibles. Souvent qualifié de
« bon élève » de l’Afrique de l’ouest pour ses taux de croissance impressionnants depuis le
début des années 2000, le Ghana est néanmoins en crise depuis plusieurs années, et sa dette a
explosé.139 Bien qu’ayant rejoint la catégorie de la Banque Mondiale de « pays à revenu
intermédiaire – tranche inférieure » en 2010, le pays n’a pas les moyens de ses ambitions, et
n’a pas suffisamment de ressources financières pour réformer. La masse salariale de la fonction
publique représente à elle seule une part considérable du budget.140 Au-delà du manque de
137
John Dramani Mahama, Speech for the High Level Conference on the National Anti-Corruption Action Plan
(NACAP), 8 décembre 2014, Accra.
138
Transparency International Global Corruption Index, 2010 – 2011 et 2013.
139
Stéphane Ballong, Crise: Comment le Ghana en est-il arrivé là?, Jeune Afrique, mardi 16 septembre 2014,
http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/23073-crise-comment-le-ghana-en-est-ilarrive-la-.html, page consultée le 5 juin 2015
140
Ibid.
60
moyens de l’État ghanéen, l’impunité des fonctionnaires est importante, illustrée par l’absence
quasi-totale de poursuites judiciaires engagées contre des infractions de corruption.141
Paradoxalement, si le trafic de stupéfiants a contribué à aggraver les phénomènes de
corruption et de mauvaise gouvernance dans la Caraïbe, nous pouvons affirmer qu'au contraire,
aucune chute spectaculaire de la qualité de la gouvernance n'a été observée au Ghana, qui depuis
une quinzaine d'années bénéficie d'une place relativement stable au sein des classements
internationaux sur la perception de la corruption, bien que celle-ci n'ait pas disparue pour autant.
Dans un article sur les enseignements tirés des expériences de la Caraïbe et de l'Amérique latine,
David O'Reagan montrait comment la Jamaïque, devenue le point de transit pour la cocaïne à
partir de 2003, avait chuté de la 45ème à la 99ème place dans l'index de perception de la
corruption de Transparency International (TI).142
Or, pour le Ghana, le classement s’est amélioré au fil des ans, même s’il a fluctué depuis le
début des années 2000. Depuis 2003, le Ghana a toujours été classé dans la fourchette des 60 –
70 pays les moins corrompus. Le score de 2014, inférieur aux positions du Ghana une quinzaine
d’années auparavant, reste néanmoins meilleur que celui, par exemple, de l’Italie ou de
l’Afrique du sud. Ainsi, le classement du Ghana ne reflète pas une évolution de la perception
de la corruption qui serait concomitante au trafic de drogues, qui est en augmentation depuis le
début des années 2000, alors que la perception de la corruption a fluctuée, ayant successivement
baissée, puis augmentée.
141
Publication des Nations-Unies, Conférence des États parties à la Convention des Nations-Unies contre la
corruption, à destination du Groupe d’examen de l’application, Sixième session, Vienne, 1er – 5 juin 2015.
Résumé analytique, p.9
142
David O'Regan, « Cocaïne et instabilité en Afrique : Enseignements tirés de l'Amérique latine et de la
Caraïbe », Bulletin de la sécurité africaine, n°5, Centre d’Études Stratégiques de l'Afrique, Juillet 2010, p. 4.
61
II.
Un modèle de démocratie en Afrique… pourtant basé sur le néopatrimonialisme
1) La question de l’absence de violence
Contrairement à ses voisins de la région, le Ghana n'a pas connu de période de guerres
civiles ou d'affrontements inter-ethniques (Côte d'Ivoire, Sierra Leone, Liberia), ni de
phénomènes de terrorisme (Mali, Nigeria). Au contraire, le pays est considéré comme un
exemple de démocratie dans la sous-région depuis 1992 et des élections considérées comme
transparentes et libres, qui ont permis des alternances politiques – en 2000 avec l'élection de
John Kufuor, puis en 2007 avec l'élection d'Atta Mills – et le passage par la voie légale pour
contester les résultats – en 2012, le candidat perdant, Nana Akufo-Addo, a contesté le résultat
de l'élection présidentielle à la Cour Suprême, qui a confirmé la victoire de John Dramani
Mahama, l'actuel président. Cette maturité du processus électoral n'est cependant pas une
garantie de la maturité du système de gouvernance démocratique ghanéen. En effet, comme
dans le reste de l'Afrique de l'ouest, le Ghana n'a pas la capacité institutionnelle pour lutter
contre le phénomène du trafic de drogues, notamment à cause de contraintes logistiques, de
ressources humaines et financières, et du système de clientélisme.143
David O'Regan part de l'hypothèse que l'Afrique de l'ouest présente toutes les caractéristiques
structurelles et fonctionnelles pour sombrer dans la violence, qui prend l'exemple de l'Amérique
latine pour expliquer la naissance d'une « culture de la violence ». Or, cette hypothèse n’est pas
partagée les acteurs locaux, qui sans jusqu’à évoquer l’existence d’un modèle ouest-africain,
mentionnent tout du moins des caractéristiques propres au Ghana qui expliquerait l’absence de
violence.144 Il n’existe pas de modèle théorique pouvant l’expliquer ; tout au plus, pouvonsnous émettre l’hypothèse, basée sur notre compréhension de la société ghanéenne, que le
système de captation direct des ressources, qui sont redistribuées à la communauté grâce à la
corruption, permet de canaliser des comportements individuels violents et la compétition contre
143
Kwesi Aning, Sampson B. Kwarkye and John Pokoo, « A Case Study of Ghana », in Getting Smart and Scaling
Up: The Impact of Organized Crime in Developing Countries, Camino Kavanagh and al, Center on
International Cooperation, New York University, June 2013, p. 99.
144
Entretiens avec Kwesi Aning et Bernard Asamoah
62
les autres groupes. Le chercheur Kwesi Aning explique lui l’absence de violence par la
prégnance de ce qu’il appelle les « liens du sang », c’est-à-dire le sentiment d’appartenance à
une famille, une communauté, une ethnie. Le groupe défendra toujours l’individu, même s’il
est criminel, et sur une base de compréhension tacite des normes implicites, les individus ne
s’attaquent donc pas entre eux, car ils s’attaqueraient à l’ensemble du groupe.
Au contraire, pour Bernard Asamoah, les activités criminelles au Ghana sont cachées,
effectués en sous-main, sans aucune fierté. Le regard de la société serait trop fort et trop porteur
de jugements pour s’engager dans le trafic au grand jour. Un facteur soutenant cette théorie est
la prégnance de la religion dans la société ghanéenne, qui influence la vie politique,
économique, ainsi que la vie de tous les jours. Le Ghana est un des pays les plus religieux au
monde ; 71,2% de la population était chrétienne en 2010, une représentativité néanmoins
circonscrite géographiquement : la prégnance de la religion musulmane est beaucoup plus forte
dans le nord du pays, à l’instar de pays voisins (Côte d’Ivoire, Togo, Bénin, Nigeria). 96% des
ghanéens, au total, seraient religieux.145 Les athéistes seraient tellement minoritaires qu’un
sondage avait estimé leur nombre à 0%. Les religions ont une forte légitimité sociale et politique
et constituent une source d’adhésion et de changement social, les normes religieuses se
confondant avec les normes sociales.146
L’organisation des groupes criminels, selon Kwesi Aning, n’est pas ethnique, car les
acteurs utilisent un raisonnement rationnel de calcul des gains et des pertes. Cette approche par
la rationalité des acteurs, qui stipule que les trafiquants sont donc des homo economicus
rationnels évacue complétement l’appartenance ethnique des facteurs qui poussent les individus
à devenir criminels. Pour Aning, la nature même du crime fait que les individus collaborent
avec des individus d’un groupe extérieur, sans quoi il n’y pas d’échange possible – un argument
pourtant à l’encontre de l’hypothèse de la prégnance des liens du sang. Les réseaux nigérians,
par exemple, sont souvent composés d’individus Igbos, l’ethnie majoritaire au sud-est du pays.
Or, cette domination ethnique s’explique plus par des facteurs exogènes que par des facteurs
endogènes qui auraient facilité une certaine prédisposition à la criminalité. Suite à la guerre du
Biafra, et à cause notamment de représailles de la part de l’Etat fédéral nigérian, beaucoup
145
Win-Gallup International, Global Index of Religion and Atheism, 2012.
146
Source diplomatique.
63
d’Igbos se sont vus dans l’impossibilité d’accéder à l’emploi, notamment gouvernemental. Des
réseaux Igbos se sont donc constitués, investissant le seul champ à leur portée, le champ
informel et criminel ; ils seront notamment à l’origine de la célèbre arnaque postale, puis par
Internet, du 419.
2) Un fonctionnement politique exclusif et élitiste
Selon Pierre Lascoumes, les élites « délinquantes » entretiennent l’opacité du système,
notamment pour faire obstacle au travail de la justice.147 S’il a basé son raisonnement sur le
fonctionnement de la démocratie française – en travaillant par exemple sur le cas du procès
Chirac pour les emplois fictifs de la mairie de Paris – il n’en reste pas moins que sa thèse de
l’existence d’une forme de complaisance sociale peut s’appliquer au Ghana et à l’Afrique de
l’ouest. L’action des puissants est légitimée par leurs actions, car les élites fournissent des
services utiles à la société et à la communauté. Un phénomène encore plus vrai dans le cadre
de l’Etat néo-patrimonial, où cette relation est directe entre l’élu et le membre de la
communauté. Les élites fixent les normes, mais à destination des citoyens, tout en intégrant des
pratiques déviantes dans leur pratique du pouvoir. Si les cas de corruption sont fortement
décriés dans les médias au Ghana, il existe toujours une culture du « cadeau » et de pratiques
d’achat de votes ou de récompenses, qui sont ancrés dans l’inconscient politique du pays.
Parmi les faiblesses du système politique actuel peuvent être mentionné le coût
prohibitif du processus électoral, la faiblesse des mécanismes de responsabilisation, ainsi que
la faiblesse de la législation du contrôle des campagnes électorales et de la vie politique. Ainsi,
à titre d'exemple, le simple coût d'entrée pour se présenter à des primaires parlementaires, étape
obligatoire pour les deux partis principaux du Ghana, le National Democratic Congress (NDC)
et le New Patriotic Party (NPP), est prohibitif. Pour être candidat aux primaires parlementaires
du NPP de juin 2015, le coût d’inscription était de 30 000 Ghana cédis, ce qui au taux de change
en vigueur à l'époque représentait 6800 dollars.148 Or, le salaire annuel moyen d'un ghanéen est
de 1474 dollars (en 2014), soit près de quatre fois moins que le coût d'inscription. Rentrer en
147
Pierre Lascoumes et Carla Nagels, Sociologie des élites délinquantes. De la criminalité en col blanc à la
corruption en politique, collection U, Armand Colin, Paris, 2014.
148
Daily Guide, NPP MPs To Pay GH¢30,000 As Filing Fee, March 24, 2015.
64
politique au Ghana coûte cher, et s'il est certain que seule l'élite se présente aux élections, le
coût dissuasif d'entrée peut inciter certains individus à se tourner vers le commerce illicite pour
faire des profits rapides et importants.
La faiblesse des mécanismes de responsabilisation et de la législation ghanéenne est illustrée
par le travail effectué par le Ghana Audit Service. Chaque année, l'auditeur-général est chargé
de contrôler les comptes publics, conformément à la Constitution. Régulièrement, des sommes
astronomiques manquantes sont découvertes, mais les rapports de l'auditeur, toujours très précis
et documentés, ne sont jamais suivis d'effets ou de poursuites en justice. 149 Pour l’année 2012,
le montant des irrégularités était estimé à 2 milliards de Ghana cédis pour les institutions
publiques (soit environ 660 millions d’euros) et 395 millions de Ghana cédis pour les ministères
(soit environ 130 millions d’euros).150
3) Sous des airs de démocratie, l’Etat néo-patrimonial
Le néo-patrimonialisme au Ghana est un système bien implanté sous les airs
démocratiques du pays. Qui démocratie ne dit pas fonctionnement efficient de la gouvernance,
à l'image des pays développés du Nord. Le député redistribue avant tout ses bénéfices dans sa
circonscription : un tel a fait construire une route asphaltée pour désenclaver quelques villages
dans la région Volta, route qui n'est quasi jamais empruntée ; un autre a fait établir un marché
couvert dans le quartier de Jamestown, à Accra, qui n'est jamais utilisé car s'est révélé trop petit,
etc.151 Les exemples ne manquent pas dans la vie quotidienne pour observer que les relations
interpersonnelles gèrent en grande majorité le quotidien de la vie politique et sociale ghanéenne.
Le clientélisme politique, la corruption et la faiblesse des institutions publiques sont donc des
problèmes structurels de la démocratie ghanéenne, où le pot-de-vin est parfois institué en tant
que norme : le conducteur de tro-tro (minibus) ne fait plus forcément la différence entre
149
150
Source diplomatique.
Report of the Auditor General on the Public Accounts of Ghana, fort the year ended 31 December 2012;
Ministries, Departments and other Agencies (MDAs) of the central government.
151
Observations de l'auteur à Amedzofe, dans le district municipal de Hohoe dans la région Volta, en juin 2015
et dans le bidonville du village de prêcheurs à Jamestown en mai 2015, où l’État n’exerçant plus ses fonctions,
les services basiques d'école, santé, etc. sont pris en charge par le député local ou les habitants.
65
l'amende légale et la corruption, et donne ainsi automatiquement un billet d'un ou deux Ghana
cédis152 à l'officier de police qui le contrôle.153
La corruption n’est pas un phénomène nouveau au Ghana et a émaillé son histoire
politique. Lors du coup d’Etat qui a renversé le premier Président du Ghana Kwame Nkrumah
en 1966, les militaires avaient partie justifié leur action par la nécessité de combattre la
corruption du secteur public. En 1979, l’insurrection du 4 juin a également été justifiée par la
nécessité de purifier l’environnement corrompu et rendre le pouvoir aux citoyens. Les affaires
de corruption, dénommées kalabule, ne se sont pas arrêtés pour autant dans les années qui
suivirent. Au début des années 1970, des commissions d’enquêtes sont mises en place, suite à
la réalisation que la corruption pose un sérieux problème au développement du pays. Des
mesures draconiennes de lutte furent même prises, telles que l’exécution des coupables par
peloton d’exécution ou la confiscation des propriétés. Mais ce n’est pas avant le retour du Ghana
sous un fonctionnement démocratique, en janvier 1993, que la lutte contre la corruption est
réellement institutionnalisée, et surtout constitutionnalisée. Est même inscrit dans la nouvelle
Constitution du Ghana la formule « probité et responsabilité » (« probity and accountability »),
accolée aux côté au motto « liberté et justice ». Depuis, les gouvernements successifs se sont
attaqués au problème de la corruption, notamment sous les deux mandats de John Kufuor (2001
– 2009), qui avait lancé une politique de « zéro tolérance de la corruption ». La société civile
s’est également impliquée, avec le lancement en 2001 d’une coalition de lutte anti-corruption
(Ghana Anti-corruption Coalition, GACC), qui regroupe des institutions variées, issues des
secteurs privé, public ou de la société civile.
Cependant, les médias comme les organisations de la société civile sont limités au niveau
financier et en termes d’accès à l’information, et manquent cruellement de capacités.
L’effectivité des médias est compromise par la faiblesse des capacités d’enquêtes
journalistiques et l’accès à l’information est limité, étant donné que la loi sur le droit à
l’information est toujours en attente devant le Parlement depuis plus de dix ans.154 Dans
152
Le Ghana cédi est la monnaie nationale.
153
Entretien avec Jennifer Asuako, responsable de la gouvernance au Programme des Nations-Unies pour le
Développement (PNUD) au Ghana, juin 2015.
154
Human Rights Initiative, A Critique to the Draft Right to Information Bill, Ghana
66
l’enquête Afrobaromètre de 2014, 64% des interrogés avaient répondu que la corruption avait
énormément augmenté au cours de l’année passée.155 Selon Baffour Agyeman-Duah, un
chercheur ghanéen, qui a conduit des entretiens avec des experts sur la corruption, la majorité
des interrogés avaient conclus qu’il y avait bien eu des changements, mais qu'ils ne s’étaient
pas traduits par une réduction de la corruption.156 Le manque de moyens humains et matériels,
couplés à la faiblesse structurelle des institutions, est une des explications centrales pour le bilan
en demi-teinte de la lutte anti-corruption. Les réformes introduites n’ont pas apporté de bonnes
pratiques de gouvernance, dans le privé comme le public. L’engagement politique existe, mais
est mitigé, car la rhétorique n’est pas couplée par des actions concrètes.157
Le contrôle de la corruption au Ghana s’est notamment prouvé difficile à cause des
limites constitutionnelles de responsabilité horizontale des relations entre le législatif et
l’exécutif.158 Le fonctionnement de la quatrième République privilégie la domination de
l’exécutif, où le contrôle par le Parlement des actions de l’exécutif est inefficace. Le
« clientélisme présidentiel » est perçu comme étant une norme de gouvernance : le président a
le pouvoir de nommer directement 4050 individus, dont les présidents des assemblées de district
– 110 dans le pays – et 30% des membres des assemblées de district locales.159 Ainsi, un pouvoir
présidentiel excessivement fort a contribué à politiser la bureaucratie : les positions de hautsfonctionnaires et les contrats publics d'importance sont souvent octroyés à des fidèles du
président ou du parti.160 Le Parlement n'a pas assez de pouvoir pour lancer des propositions de
lois, notamment en termes de ressources humaines et financières. Le pouvoir judiciaire du
Ghana est considéré comme étant relativement épargné par la corruption, étant jugé entièrement
155
Voir http://afrobarometer.org/fr/pays/ghana. L'Afrobarmètre est un projet d'enquêtes non partisan qui mesure
sur le continent africain les attitudes des citoyens vis-à-vis de la gouvernance, la démocratie et l'économie,
entre autres, dans 36 des 53 Etats d'Afrique.
156
Baffour Agyeman-Duah, “Curbing Corruption and Improving Economic Governance: The Case of Ghana”,
The World Bank, 2005.
157
Ibid.
158
Ibid.
159
Constitution
of
the
Republic
of
Ghana,
1992,
Chapter
8,
The
Executive,
http://www.judicial.gov.gh/constitution/chapter/chap_8.htm
160
Centre for Centre Democratic Development (CDD) – Ghana, Annual Report 2009, Accra, p. 5 – 6. CDD –
Ghana est l'ONG qui réalise les enquêtes de l'Afrobarmètre.
67
indépendant161, avec un score de 4,4 sur une échelle de 7 du Global Competitiveness Report de
2013, ce qui place le Ghana au-dessus du niveau de la majorité des pays africains, mais
également de pays comme l’Italie, la Pologne, l’Espagne ou le Portugal. Cependant, des
ressources limitées se traduisent en une capacité réduite des cours de justice, qui peuvent parfois
tarder à rendre un jugement : les procès sont lents et coûteux, les juges sont mal payés et les
capacités sont trop faibles, notamment au regard du défi posé par le trafic de cocaïne.
En effet, un certain nombre de jugements de cas de trafic de drogues ont remis en
question l'indépendance du secteur de la justice. Par exemple, en 2004, la police ghanéenne a
arrêté un réseau de trafiquants en possession de 675 kilogrammes de cocaïne, d'une valeur de
revente de rue estimée à 140 millions de dollars.162 Les individus ont été relâchés sous caution,
qui s'élevait à 2000 dollars. Corruption de la justice ou méconnaissance de la valeur du produit,
plusieurs hypothèses sont permises sans certitudes.163
III) La passivité des pouvoirs publics
Le trafic de cocaïne s’est délocalisé au sein même du pays, afin d’échapper à tout
contrôle des autorités étatiques, qui centrent leurs efforts de lutte sur la capitale ; d'Accra, le
trafic passe désormais par des villes de taille moyenne de province, où les capacités des agences
gouvernementales, notamment de la police, sont limitées. Le changement de modus operandi a
donné lieu à des affrontements afin de prendre le contrôle du marché au Ghana entre les cartels
de la drogue latino-américains, notamment les réseaux mexicains, péruviens, colombiens et
vénézuéliens, afin de contrôler la qualité et les prix de la cocaïne.164
161
162
163
Par le World Economic Forum en 2013.
Kwesi Aning & al, 2013, Op. Cit., p. 104.
Kwesi Aning, Understanding the intersection of drugs, politics and crime in West Africa : an interpretive
analysis, Global Consortium on Security Transformation (GCST), Policy Brief, N.°6, April 2010, p. 3 – 4.
164
The Enquirer, March 12, 2009.
68
1) Les narcotiques, outils de corruption et de construction de capital social
La décentralisation du trafic, ainsi que l’impunité des trafiquants étrangers, sont rendus
possible grâce à la passivité des pouvoirs publics. Ainsi, en 2005, dans la ville d'Agona Swedru,
située dans la région Centre, à quelques dizaines de kilomètres de la côte Atlantique, 18
personnes avaient été arrêtées par la police pour trafic de cocaïne et de cannabis indien.165 En
2006, un trafiquant nigérian, Ben Huga, avait été arrêté pour possession de 67 cartons de
cocaïne sur la plage de Prampram, voisine du port de Tema, le plus important du Ghana. Cette
histoire est révélatrice de l'implication des institutions gouvernementales dans le trafic, ou du
tout moins montre leur passivité. La police avait eu près de 20 heures de retard pour confisquer
la cocaïne après avoir reçu l'information de la police de Tema, qui avait saisi les 67 cartons.166
Le laps de temps fut suffisant pour que les narcotiques stockés dans la résidence d'un des
suspects puissent disparaître, et la police fit chou blanc en arrivant sur les lieux. Deux ans après
la saisie, la cocaïne disparut de la section des narcotiques du département des enquêtes
criminelles (Criminal Investigations Department, CID), au quartier général de la police
d'Accra. Certains officiers de police s'étaient ligués contre le chef de la section des narcotiques
récemment nommé, Adu Amankwah, qui souhaitait effectuer un nouveau test de la substance
saisie, qui avait déjà été labellisé comme étant de la cocaïne par le Ghana Standards Board
(GSB). Le principal suspect, Ben Huga, avait lui quitté le Ghana le jour même où il fut libéré
sous caution – d'un montant de 300 millions de Ghana cédis – alors que la législation ghanéenne
spécifie qu'une libération sous caution ne peut pas être proposée tant que le cas n'est pas passé
devant une cour. Or, la libération sous caution avait été proposée par un tribunal d’Accra, avec
le motif que le département du procureur-général ne pouvait pas le défendre.
La saisie d’une quantité aussi importante de cocaïne dans une zone mineure du pays, un village
côtier, est révélatrice d’un second élément caractéristique de la cocaïne au Ghana. D’un point
de vue géographique, le trafic s’est d’abord délocalisé de l’Amérique latine vers l’Afrique de
l’ouest, de manière globale, puis des grandes villes vers des zones rurales de taille modeste, de
manière plus localisée. Une fois que les routes ont été détectées par les puissances européennes,
les trafiquants ont alors choisi de débarquer la marchandise loin des zones surveillées, et dans
165
GhanaWeb, “18 cocaine and India hemp suspects arrested”, March 1 st, 2005.
166
Ghanaian Chronicle, “Cocaine Gone Missing at CID Headquarters”, January 31, 2008.
69
le cas du Ghana, seule Accra est contrôlée de manière intensive.167 En plus de la saisie de
Prampram, dans la région du grand Accra, le phénomène touche également d’autres
communautés et régions : par exemple, quatre personnes ont été arrêtées en juillet 2015 dans la
municipalité de Krobo, dans la région Est, avec 375 sacs de cocaïne.168
Un autre exemple révélateur des liens entre la drogue et les institutions du pays, politiques cette
fois, est le cas de l'ancien député (Member of Parliament, MP) de la circonscription Nkoranza
North dans la région de Brong Ahafo, Eric Amoateng, du New Patriotic Party (NPP), le parti
actuellement dans l'opposition. Il fut accusé en 2005, avec son complice Nii Okai Adjei, « de
conspiration pour distribution de narcotiques ».169 Il est à noter qu'ils furent mis en accusation
par une cour américaine, et non ghanéenne : la Cour du district de Brooklyn, New York, l'a
condamné pour trafic et distribution d'héroïne, d'une valeur de revente estimée à 6 millions de
dollars. Cependant, un média ghanéen a reporté qu'il était perçu dans sa circonscription de
manière positive, notamment par les leaders traditionnels, qui avaient affirmé qu'ils espéraient
que « les autres citoyens de la circonscription suivraient son exemple ».170 Le MP a en effet
redistribué les profits du trafic à destination de sa communauté, suivant ainsi le profil typique
du Big Man entrepreneur.
La figure du Big Man, développé par Jean-François Médard dans sa réflexion sur le néopatrimonialisme, est l'archétype de l'individu qui, grâce à son capital de relations personnelles
et ses pratiques néo-patrimoniales, dont l’appropriation des biens et la pratique du pouvoir
personnel, permet de transformer un pouvoir économique en politique, et vice versa. 171 Les
chefs traditionnels de la circonscription ont ainsi décidé de renommer en 2007 une rue au nom
d'Eric Amoateng, pour le remercier de sa contribution au développement socio-économique de
la zone, et ce alors qu'il était toujours incarcéré aux Etats-Unis. L'ancien MP avait financé
plusieurs projets, dont la construction de huit rues et le développement du système d'égouts de
167
Entretien avec Bernard Asamoah, représentant pays de l’ONUDC.
168
Daily Guide, “Four Cocaine Dealers Busted”, July 7, 2012.
169
GhanaWeb, November 28, 2005.
170
The Statesman, April 12, 2007.
171
Voir MÉDARD J.-F., “Le "Big Man" en Afrique - esquisse d’analyse du politicien entrepreneur”, L’Année
sociologique, vol. 42, 1992, p. 167-192.
70
la ville de Nkoranza.172 En 2010, l'ancien président du Ghana, John Agyekum Kufuor – issu du
même parti, le NPP – avait chargé le Narcotic Controls Board (NACOB) d'enquêter sur les
deux complices, afin de saisir leurs biens, soit 13 propriétés et une station radio. Les enquêtes
n'ont données de suite immédiate, étant donné qu'en 2014, les biens n'avaient toujours pas été
saisis, bien que le gouvernement, par la voie du procureur-général de l'époque, Ben Kumbuor,
ait annoncé que le processus avait été lancé.173 Le réinvestissement des profits de la drogue
dans les communautés locales a ainsi un double effet bénéfique: d'une part, il permet d'établir
un capital social important, et d'autre part, il vient combler l'absence de l’État, en faisant
intrusion dans des secteurs gouvernementaux, mais qui ne sont pas développés faute de
moyens.174
2) La politisation de la cocaïne : accusations de financements opaques et
médiatisation des affaires
La question de la cocaïne s’est extrêmement politisée dans le pays, notamment avec le
tournant des élections présidentielles et législatives de 2008. Un câble de l’ambassade des EtatsUnis au Ghana, publié par Wikileaks, expliquait que le thème des narcotiques était central, étant
donné que les deux partis politiques principaux, le NPP et le NDC, se sont engagés à combattre
le trafic une fois au pouvoir.175 La campagne électorale fut parsemée d’allégations en
provenance du NPP et du NDC, accusant le parti adverse d’être impliqué dans le trafic de
cocaïne pour financer les fonds de campagne.176 Un article de presse citait les propos d’un
chauffeur de taxi de la capitale, affirmant qu’il ne « votera pas pour Nana, car il prend tout
l’argent de la cocaïne ».177 Le NDC accusa notamment des membres de l’exécutif national du
172
GhanaWeb, April 10, 2007.
173
PeaceFm online, “Saga of NPP Drug Dealer…Amoateng’s Assets Confiscated?” August 6, 2014.
174
Kwesi Aning, Op. Cit., p. 5
175
The Guardian, US embassy cables: « Ghana is becoming transshipment point for drugs trade to Europe from
Asia and Latin America », December 14, 2010.
176
Tristan McConnell, Rumours of cocaine money taint Ghana vote, The Chrisitian Science Monitor, December
6, 2008.
177
« Nana » est le surnom populaire de Nana Akufo-Addo, candidat du NPP en 2008 et en 2012. Il est de nouveau
le candidat du NPP pour 2016.
71
NPP d’être liés à des barons de la drogue, notamment à cause de l’échec du gouvernement NPP
de poursuivre en justice et de saisir les biens des personnes accusées de trafic de drogues.178
Le fait est que la législation ghanéenne sur le financement des partis politiques est
extrêmement opaque, ce qui ne permet pas d’effectuer de traçabilité des fonds. La loi sur les
partis politiques de 2000 – Political Parties Act – requière que les partis soumettent leurs audits
financiers à la Commission électorale afin qu’ils soient rendus publics. Cependant, la loi
n’oblige pas les candidats à déclarer leurs biens, et n’établit pas non plus de pénalités en cas de
non publication des audits financiers.179 Par ailleurs, les partis politiques ne sont pas aidés
financièrement aidés par l’Etat, ce qui oblige alors les candidats à être capables de remporter
des sommes d’argent importantes. Selon Kwesi Aning, l’argent est redistribué dans les
circonscriptions d’origine une fois les candidats élus, et les supporteurs sont largement
récompensés par des cadeaux et de l’argent. Le modèle néo-patrimonial est donc bien toujours
vivace au Ghana, et étant donné le manque de contrôle de la législation ghanéenne sur les
financements politiques et la disponibilité de la cocaïne dans le pays, la ressource peut alors
être captée par les élites politiques locales et nationales.
Depuis l’élection de 2008, la cocaïne est un sujet qui est repris souvent par les médias,
bien qu’il soit relayé avec moins d’intensité qu’en 2007 – 2008, période où les saisies et
arrestations liées à la cocaïne battaient leur plein. De nombreux articles ont été publiés sur le
sujet sur la période de deux ans dans les principaux quotidiens de la presse nationale, alors que
jusqu’ici, en 2015, seule une poignée d’articles a été publiée.180 La question de la cocaïne s’est
banalisée au sein de l’espace médiatique ghanéen, ce qui témoigne de l’ancrage du trafic dans
la société comme pratique reconnue. De nombreux articles s’inquiètent alors, en 2007, des
conséquences possibles pour le Ghana de l’augmentation du trafic de cocaïne.181 Est également
relevée l’augmentation de la consommation de drogues dures, notamment de la cocaïne par une
partie de la jeunesse ghanéenne. Dans un article de mars 2008, le Daily Graphic, le quotidien
178
The Statesman, September 10, 2006.
179
Political Parties Act, 2000, Section 13 (1).
180
Archives de presse de l’ambassade de France au Ghana.
181
The Ghanaian Voice, Rate of shipment in Ghana becoming worse, October 26, 2007 ; Ghana Palaver, Cocaine
is an issue, April 4, 2008 ; The Insight, Cocaine : More Questions Than Answers, January 4 ; 2008.
72
national de référence, citait le Dr. J. B. Asare, affirmant que l’augmentation de la consommation
était une conséquence directe du fait que le Ghana servait de centre de transit de cocaïne pour
l’Afrique de l’ouest.182
Les exemples d’affaires impliquant politiques et cocaïne ne manquent pas et sont
régulièrement mentionnées dans la presse locale. Nous en retiendrons deux, qui montrent bien
la collusion entre les agents gouvernementaux et le trafic illicite de cocaïne.
En février 2012, lors d’une opération menée par la DEA américaine, un patron de la sécurité à
l’aéroport international de Kotoka d’Accra (KIA), Solomon Adelaquaye, est arrêté. Il est accusé
d’avoir introduit de la cocaïne et de l’héroïne à bord de vols internationaux, avec l’aide de deux
nigérians et d’un colombien. Il s’est fait prendre alors qu’il essayait de faire passer un ordinateur
rempli d’héroïne, en échange de 10 000 dollars proposés par des agents de la DEA. Il fut de
nouveau arrêté en mai 2013 aux États-Unis avec ses complices, alors qu’ils essayaient de faire
rentrer au Ghana trois tonnes de cocaïne.183
En 2006, des officiers ghanéens reçurent des informations sur un navire dénommé MV
Benjamin, qui allait rentrer dans les eaux territoriales avec à son bord un chargement de cocaïne.
Malgré le fait que le NACOB eut reçu des photographies aériennes du navire et que de l'aide
fut demandée aux forces armées pour intervenir, les policiers ont échoué à intercepter la
cocaïne. Une fois arrivé à Tema, il ne restait plus qu'un paquet de cocaïne, sur les 77 présents
sur le navire. Une commission d'enquête fut créée, dirigée par la présidente de la Cour Suprême
(Chief Justice), Georgina Wood. Plusieurs membres de l'équipage, ainsi que le directeur des
opérations des services de police ghanéens, Kofi Boakye, et le sergent-détective Samuel Yaw
Amoah de la police, furent mis en cause.184 Grâce à des écoutes, l'implication de Kofi Boakye
fut confirmée, et le rapport préconisa son arrestation et sa mise en jugement. Plusieurs des
accusés reçurent des peines de prison allant jusqu'à 15 ans ; cependant, le directeur ne fut pas
inquiété, mais fut seulement forcé à démissionner, une mise à pieds qu'il utilisa pour s'inscrire
182
183
Daily Graphic, Hard drug use increases in Ghana, March 20, 2008.
AFP, « Le trafic de drogue, fléau du Ghana, le bon élève d’Afrique de l’ouest », L’Express, publié le
27/09/2013, Op. Cit.
184
Georgina Wood Committe Report
73
à la Ghana Law School et passer l'examen du barreau. Il récupéra ses fonctions de directeur à
la fin du mandat du président John Kufuor, pour être de nouveau renvoyé lorsque Atta Mills
devint président. En 2009, il fut néanmoins nommé directeur de l'unité d'éducation de la police,
puis directeur de l'école de formation de la police d'Accra. Il occupe désormais la position de
commandant de police de la région Ouest.185
Ces deux affaires permettent de révéler l’existence de comportements sociaux ancrés
dans la criminalité, notamment chez des agents publics. Les « gros bonnets » ne sont pas
inquiétés par la justice ghanéenne ; ils sont uniquement accusés par la justice américaine, qui
interférent dans la gestion des arrestations et des procès des acteurs criminels locaux.
L’impunité locale est révélatrice à la fois de l’impuissance des pouvoirs publics – de la justice
et de la police notamment – et de l’ancrage des comportements criminels, qui se sont routinisés.
Les financements opaques, qui peuvent contribuer à influencer la vie politique, sont rendus
possibles grâce à la facilité de fonctionnement du système de blanchiment d’argent.
En effet, le secteur de l’immobilier est un des premiers vecteurs de transformation de l’argent
« sale » au Ghana.186 N’étant absolument pas régulé, il est très facile d’acheter une demeure
avec de l’argent liquide, puis de la revendre sur le marché et obtenir ainsi de l’argent « propre ».
L’argent est ainsi blanchi en seulement deux étapes ; le même phénomène se retrouve dans le
secteur de la construction.187 La somme blanchie est ensuite placée dans des investissements
rentables au Ghana, ce qui permet de soutenir la théorie de l’acteur criminel par intermittence :
si l’investissement est rentable, l’acteur aura tendance à en profiter, plutôt que de se relancer
dans une activité criminelle à haut risque. Les agents gouvernementaux peuvent donc
s’impliquer de manière sporadique dans le trafic de cocaïne, tout en touchant des bénéfices
conséquents, qui, au regard du salaire moyen et du coût de la vie dans le pays, leur permettent
d’acquérir un certain statut social et politique.
185
Kwesi Aning & al, Op. Cit., p. 110.
186
Entretien avec Kwesi Aning
187
Informations du service économique de l’ambassade de France au Ghana
74
Partie 4 : Stratégies locales et globales : les institutions ghanéennes
et la coopération internationale
Le « consensus de Vienne » désigne le système de contrôle international des drogues
mis en place par les Nations-Unies, via l'adoption depuis cinq décennies de diverses
conventions internationales.188 Inspirée par le modèle de « tolérance zéro » des États-Unis, il a
fait de la prohibition et de la lutte contre les narcotiques une priorité. Ce modèle supposé
universel est cependant basé sur un consensus fragile, car il est de plus en plus critiqué.189
Essentiellement centré sur le principe de respect de la loi, les aspects de réduction de la
consommation et de santé publique sont laissés de côté, notamment dans un pays en voie de
développement comme le Ghana. La volonté de changer de paradigme est notamment illustrée
par la montée en puissance du concept de « développement alternatif », qui promeut le bienêtre des producteurs des matières premières ensuite transformées en drogues – la coca, le pavot
et le cannabis – en soutenant des programmes de réduction de la pauvreté et de cultures
agricoles alternatives.190 Car la législation actuelle internationale sur le contrôle des drogues
implique une dichotomie à la fois entre la répression et la prévention, et entre le Nord et le Sud.
Les donneurs de l'aide publique dictent ainsi les politiques des receveurs, issus du monde
développé. Ainsi, l'agence de l'ONU responsable du contrôle, l'ONUDC, développe une
approche centrée sur le respect des lois plutôt que sur la santé ou le développement. Le modèle
de contrôle des Nations-Unis est également mis en place par les pays d'Afrique de l'ouest, dont
la plupart des pays sont tributaires du montant de l'aide au développement versé par les
partenaires occidentaux.
188
La première a été adoptée aux débuts des années 1960: la Convention unique sur les stupéfiants, ratifiée le 31
mars 1961 à New-York.
189
Martin Jelsma & Pien Metaal, Cracks in the Vienna Consensus: The UN Drug Control Debate, January 2004,
Washington Office on Latin America (WOLA), p.1 – 4.
190
Le chapitre II du Rapport mondial sur les drogues de l'ONUDC de l'année 2015 est centré sur la question du
développement alternatif, preuve de sa prise d'importance au sein de l'agence onusienne et de l'ONU de manière
générale, considérant le fait que la Convention des Nations-Unies sera revue lors de l'Assemblée générale de
l'ONU de 2016.
75
La coopération internationale entre les Etats « occidentaux », entendus comme les pays
d’Europe et d’Amérique du Nord, et les pays d’Afrique de l’ouest, dont le Ghana, s’est étendue
depuis quelques années dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic. La prohibition et la
lutte contre le trafic de cocaïne font partie intégrante des politiques étrangères et de coopération
des Etats du Nord, qui cherchent à imposer le modèle répressif comme seule modèle de lutte
valable. Au Ghana, de nombreux Etats occidentaux se sont impliqués pour réformer les
institutions locales, et si des efforts législatifs et institutionnels indéniables ont été faits, il n’en
reste pas moins que le trafic est toujours fleurissant. A cause de faiblesses structurelles,
notamment le manque de moyens humains, matériels et financiers, les politiques mises en place
ne portent pas leurs fruits.
Les États-Unis en particulier cherchent à intervenir dans la zone de l’Afrique de l’ouest,
avec l'établissement notamment d'une mission spéciale, la WACSI (West Africa Cooperative
Security Initiative). Les acteurs occidentaux sont les plus inquiets et agissent énormément : la
DEA, l'UE, l'ONU, la France sont présents dans la sous-région. Une mission a également été
ainsi mise en œuvre par Interpol et les Nations-Unies, la WACI (West Africa Commission on
Drugs). Suite au renforcement des dispositifs de détection et d'intervention des marines
françaises et espagnoles dans leurs zones d'influence respectives (la Caraïbe et les côtes
galiciennes) au début des années 2000, la « politique du bouclier » des deux pays européens a
été lancée. L'objectif est d'intervenir directement dans les pays par où transite la cocaïne.191 En
2002, la marine française, déjà présente dans le golfe de Guinée, avait arraisonné au large des
côtes ouest-africaines le cargo Winner parti de la Caraïbe et transportant de la cocaïne. La
jurisprudence s'était penchée sur le cas d'espèce, et avait tranchée en faveur de la légalité de
l'arraisonnement en mer par la marine française dans des eaux internationales. La politique du
bouclier va alors s'étendre aux États côtiers d'Afrique de l'ouest, avec la mise en place d'un
groupe régional en 2009. Suite à la conférence interministérielle à Praia au Cabo Verde, la
CEDEAO avait adopté un plan d'action régional à Abuja, au Nigeria, en décembre 2008, avec
le soutien d'Interpol et de l'ONUDC. Cependant, l'adoption de ce plan d'action n'est pas
synonyme de volonté d'engagement forte de la part de l'organisation régionale, car l’adoption
des lignes de conduite est laissée à la discrétion des Etats. En parallèle, l’ONUDC a développé
des programmes nationaux intégrés pour tous les pays, ainsi qu’un programme de contrôle de
191
Document de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ), mai 2011
76
containers au Ghana et au Sénégal. Malgré les avancées, le Secrétaire-général de l’ONU
affirmait dans le rapport de 2012 sur les activités du bureau des Nations-Unies pour l’Afrique
de l’ouest (UNOWA) que la sous-région continuait d’être un point de transit pour la cocaïne et
que les pays n’étaient toujours pas équipés pour faire face à la menace.192
I.
Etat des lieux de la législation et des institutions ghanéennes
1) Un arsenal législatif étoffé mais ancien
En apparence, le Ghana respecte toute la législation internationale de la lutte contre les drogues
– il a ratifié toutes les conventions de l'ONU – mais dans la réalité, les lois ne sont pas
appliquées, comme le montre l'absence de condamnations par la justice ghanéenne : les
trafiquants ghanéens condamnés par des cours l’ont été aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en
France.
C'est une des raisons expliquant la popularité de la destination Ghana pour les trafiquants
comme point de transit : en apparence, des efforts de lutte dissuasifs sont faits, alors qu'en
réalité, la corruption endémique et la faiblesse des institutions permettent au trafic de cocaïne
de suivre son cours sans se faire inquiéter – comme le montre le dernier report mondial sur les
drogues, où la saisie record de l’année en Afrique de l'ouest a été faite au Ghana (un peu moins
d'une tonne), et qui n'est sans doute que la partie apparente de l'iceberg.193 Le pays a tout pour
plaire : il est stable, le climat est propice aux affaires, les infrastructures sont relativement bien
développées par rapport aux pays voisins – notamment les routes, qui sont asphaltées entre les
grandes villes – la dose de corruption est suffisante, sans être hors de contrôle, et tous les textes
internationaux ont été ratifiés.
En effet, le Ghana est signataire des multiples conventions de l’ONU : la Convention unique
sur les stupéfiants de 1961 ; le protocole de 1972 amendant la Convention unique sur les
stupéfiants ; la Convention sur les substances psychotropes de 1971 et la Convention contre le
trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988. Ces conventions font la
promotion de la coopération en tant qu’outil permettant de résoudre à la fois les problèmes de
192
UN Security Council, Report of the Secretary-General on the activities of the United Nations Office for West
Africa, S/2012/510, June 29, 2012.
193
WDR 2015, p. 56.
77
trafic de drogues illégaux et de consommation de substances psychotropes illégales. Cette
adhésion aux normes transnationales, retranscrites dans la législation nationale en 1990 avec la
loi sur les narcotiques et la création du NACOB s’inscrit dans une logique de ce que Wanda
Capeller avait appelé la « transnationalisation du champ pénal », où le régime juridique national
épouse la logique mondiale et supra-étatique.194 Le régime législatif mondial répressif et de
contrôle se trouve entériné, du moins dans la théorie, dans la législation ghanéenne : à
l’extension globale du crime, sous la forme du trafic de drogues, a été faite une modification
des lois nationales en faveur du durcissement des logiques sécuritaires. Nous allons voir que
cette inscription de la logique répressive a bénéficié d’une continuité et du soutien de la
coopération internationale, avec l’implication de nombreux partenaires de développement dans
des projets de lutte contre le trafic de cocaïne. Cependant, du fait des problèmes et faiblesses
structurelles du système législatif et institutionnel ghanéen, cette nouvelle tendance peine à
s’inscrire sur le long terme, la société étant toujours touchée par des phénomènes de corruption
importants et basés sur des relations de type néo-patrimoniales et non indirectes, comme pour
l’Etat de droit moderne.
De plus, la législation principale de lutte contre les narcotiques date de 1990 et n’a jamais été
révisée depuis. Globalement, les lois du Ghana existant pour lutter contre le narcotrafic et le
système institutionnel actuel sont jugées comme étant assez faibles et ont besoin d’être
réformées, afin de donner plus de pouvoirs aux agences, notamment au NACOB.195 La loi a
plus de 25 ans; or, la dynamique du trafic illicite de cocaïne a depuis considérablement évolué.
La Narcotics Drugs Law résultait notamment de la volonté du gouvernement du Ghana de
l’époque de lutter contre l’augmentation de la consommation de drogues au niveau local et
contre la prise d’importance du commerce international.196 Mais selon Henry Bernstein, le
problème de cette législation est qu’elle instaure des peines bien plus lourdes pour des petites
possessions de cannabis que pour de la cocaïne ou de l’héroïne ; la disparité est encore plus
forte quand on prend en compte le différentiel de prix de revente de rue. 197 L’auteur concluait
que la disparité des condamnations pour les consommateurs de drogues n’était qu’une
194
Wanda de Lemos Capeller, « La transnationalisation du champ pénal: réflexions sur les mutations du crime et
du contrôle », Droit et société, 35 – 1997, p. 63.
195
Entretien avec Kwesi Aning
196
Narcotics Drugs (Control, Enforcement and Sanctions) Law – 1990 (PNDCL 236)
197
Bernstein, 1999, Op. Cit., p. 27.
78
composante du contrôle social, une thèse soutenue par Loïc Wacquant dans son ouvrage sur le
système carcéral américain, où il développait l’idée que la législation extrêmement punitive
pour possession et consommation de cannabis permettait à l’Etat fédéral américain d’effectuer
un contrôle social sur les franges les plus défavorisées de sa population.198
2) Les agences de lutte gouvernementales
La section 55 de la loi de 1990 établit le Narcotics Control Board (NACOB) comme institution
principale de coordination des activités de réduction de l’offre et de la demande. Le NACOB
reçut comme mandat d’empêcher le pays d'être utilisé comme une zone de transit pour les
drogues, en coordonnant les efforts de lutte contre les narcotiques au sein des agences de
sécurité étatiques. Cependant, il ne dispose pas des ressources nécessaires pour mener à bien
son mandat et dépend directement du ministère de l'Intérieur, qui détache ses agents publics.
L’équipe n'a pas assez de ressources financières, ni de personnel.199 Pour le moment, il n’est
qu’un conseil, et n’a donc que des capacités de conseils, et non d’enquêtes ou d’exécution –
d’enforcement. Il est composé d’un conseil d’administration, d’un secrétaire-exécutif et deux
vice-secrétaires, un en charge des formations et services, et l’autre du contrôle de l’application
des directives du conseil d’administration.200 La création du NACOB avait pour objectif d’en
faire une « agence d’excellence en Afrique », en se donnant pour missions de réduire la
consommation et le trafic de narcotiques dans le pays, éduquer le public, développer des
traitements et favoriser la réintégration sociale et coordonner les agences gouvernementales et
non-gouvernementales, des objectifs ambitieux qui n’ont pas été respectés.201 Le NACOB a
198
199
200
Loïc Wacquant, Les prisons de la misère, éd. Raisons d’agir, Paris, 1999.
Ibid., p. 111.
Ministry of Interior, Narcotics Control Board, http://www.mint.gov.gh/narcotics.htm, page consultée le 13
juillet 2015.
201
Le volet chargé du contrôle collabore avec les agences suivantes: Ghana Police Service, Ghana Standards
Board, Ghana Fire Service, Ghana Prisons Service, Defence Intelligence, National Security Council, Ghana
Ports And Harbours Authority, Aviance Cargo Handling Services, Menzies Cargo, Ghana Airports Company
Limited, The Ministry Of Justice And Attorney General, Customs Excise And Preventive Service, Bureau Of
National Investigations, Ghana Immigration Service. Le volet chargé de la réduction de la demande collabore
avec: Environmental Protection Agency, Ghana Health Service, Food and Drugs Board, Pharmacy Council,
Coalition of NGO’s, Department of Social Welfare, Ghana Education Service (School Health and Education
Programme), Information Services Department, Ghana Journalists Association, Agricultural Extension
Services. Source: http://www.mint.gov.gh/narcotics.htm
79
également des obligations de respect des conventions internationales signées par le Ghana, en
tant qu’institution principale de lutte contre le trafic de drogues illicite. A l’aune des évolutions
du trafic de la cocaïne depuis le début des années 1990, le NACOB a clairement échoué à
remplir sa mission de limitation de la consommation et du transit de narcotiques, qui a explosé
au cours des années 2000, sans que l’agence ne se réadapte aux nouvelles dynamiques.
L’agence doit être réformée, afin de la transformer en commission, et la doter de moyens qui
seraient à la hauteur de son mandat. Le projet de loi a été approuvé par le conseil des ministres
et est en attente devant le Parlement ; la réforme avait été promise par le président Mahama,
notamment après le scandale de corruption qui avait touché le NACOB il y a quelques années.
Cependant, selon son directeur actuel, la nouvelle loi ne va pas changer grand-chose ; seuls les
statuts financiers vont évoluer. Le NACOB bénéficiera de plus d’autonomie, percevant
directement ses fonds, et ne sera donc plus dépendant du ministre de l’Intérieur. Lors de notre
rencontre, le directeur de l’agence était très positif sur l’efficacité et le fonctionnement du
NACOB, une bonne foi qui contrastait fortement avec le discours relevé auprès d’acteurs
impliqués dans la coopération internationale, qui avaient mentionné les problèmes suscités.
Forme d’aveuglement ou optimisme forcée face à une jeune chercheuse, il est dur d’y voir clair ;
le NACOB nous a néanmoins renvoyé une image de fort amateurisme, l’entretien ayant
nécessité trois semaines de planification, plus de deux heures d’attente et deux rendez-vous
annulés, pour finalement être reçue entre deux réunions, dans une salle anonyme.202
D’autres institutions publiques sont également supposées participer à la lutte contre le trafic de
cocaïne. En 2010, le Parlement vota une loi qui permit la transformation du Serious Fraud
Office en Economic and Organized Crime Office (EOCO), ce qui élargit son mandat en incluant
la lutte contre le crime organisé, le trafic de drogues et toute autre infraction grave.203 Des Cours
pour les crimes économiques et financiers (Financial and Economic Crimes Court, FECC) ont
été mises en place, comme divisions spécialisées de la Haute-cour, afin de juger les cas de
202
Je me permets d’attribuer ce comportement au manque de professionnalisme du directeur et non à mon statut
de jeune fille, blanche, et apprentie chercheuse. En comparaison, j’ai toujours été très bien accueillie lors de
tous mes autres entretiens, d’autant plus que je bénéficiais à chaque fois d’une certaine forme de respect dû à
mon travail au sein de l’ambassade de France. Tandis qu’avec le directeur du NACOB, je notais une forte
insouciance dans ses propos, notamment des erreurs dans certains faits affirmés et qui ont été vérifiés a
posteriori.
203
Economic and Organized Crime Act, 2010 (Act 804).
80
corruption de hauts profils ou d’officiers publics cités dans les rapports de l’auditeur-général.
Cinq cours sont opérationnelles depuis mars 2014, mais la juge en chef (Chief Justice) Georgina
Theodora Wood s’est inquiétée de ce qu’elles ne fonctionnaient pas, simplement car aucune
agence gouvernementale, censée soumettre les cas, ne l’a encore fait. Deux cours sont situées
dans la capitale Accra, une à Kumasi dans la région Ashanti, une à Sekondi dans la région Ouest
et une dernière à Tamale, dans la région Nord.204
3) Forces et lacunes du monde judiciaire
Malgré ces réformes et le renforcement de la législation, le système judiciaire ghanéen
a toujours des problèmes, notamment lorsque l’on en vient à la condamnation effective des cas
traduits devant la justice. Bien souvent, les médias reportent des affaires où les accusés ont été
libérés sous caution, notamment dans l’affaire Nayele Ametefe susmentionnée, où un de ses
complices jugé au Ghana, qui a facilité le transit de la cocaïne à l’aéroport, a été libéré sous
caution de 100 000 Ghana cédis.205 Bernard Asamoah avait reconnu que le système judiciaire
connaissait beaucoup de problèmes, notamment pour l’accusation, mais qu’il y avait
globalement peu de corruption, une hypothèse également soutenue par Charles Ayamdoo, le
directeur anti-corruption de la commission des droits de l’Homme et de la justice administrative
(CHRAJ).206 Pour Ayamdoo, il existe de nombreuses entraves systémiques au bon
fonctionnement de la justice : retards, mauvaises enquêtes, manque d’effectifs, etc. Tandis
qu’Asamoah défendait une hypothèse de lacunes du côté de l’accusation, mais qui est corrélée :
face au manque d’effectifs, les policiers représentent l’accusation pour les faits mineurs, au
nom du gouvernement. Or, la plupart des cas traités par les tribunaux concernent justement des
faits mineurs. L’officier de police se retrouve ainsi face à une défense représentée par un avocat
professionnel, et manque de la technicité nécessaire pour convaincre le procureur. Second
problème, les procureurs ne sont pas assez nombreux dans tout le pays pour gérer tous les cas,
et manquent d’indépendance. Tous les procès sont censés être dirigés par le département du
procureur-général ; or, celui-ci est directement rattaché au ministère de la Justice, et donc au
204
TV3 Network, No case filed yet at financial courts, Chief Justice laments, November 15, 2014,
http://www.ghanaweb.com/GhanaHomePage/NewsArchive/artikel.php?ID=335101
205
Ghana Business News, Nayele cocaine case: Courts grants Alhaji Dawood bail, December 23, 2014.
206
Entretiens, juin et juillet 2015.
81
gouvernement. Marietta Brew-Oppong a ainsi deux casquettes au sein du gouvernement de
Mahama : elle est à la fois ministre de la Justice et procureure-générale.207
Enfin, l’accusation souffre du manque de moyens matériels mis à sa disposition. L’Union
Européenne a pourtant financé un laboratoire destiné à tester les narcotiques, un laboratoire
médico-légal qui est supposé être une référence dans la sous-région : 15 officiers de police,
originaires de Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Bénin, Togo et Nigeria étaient venus le visiter afin
d’en découvrir le fonctionnement, une visite qui était financée par l’ambassade de France au
Ghana.208 Mais selon l’aveu du représentant pays de l’ONUDC, Bernard Asamoah, le
laboratoire n’a pas à sa disposition les produits chimiques nécessaires pour effectuer des tests
des substances saisis, faute de moyens financiers. Ainsi, la plupart du temps, les procureurs
n’ont aucune preuve que la substance saisie est de la cocaïne, et encore moins quel est son degré
de pureté. Ils sont donc obligés de prononcer des non-lieux ou d’abandonner les charges, fautes
de preuves. Les médias, qui n’hésitent jamais parler de cocaïne dans leurs titres (4 Cocaine
Dealers Busted, Daily Guide, July 7, 2015 ; Cocaine Cop Caged, Daily Guide, July 9, 2015),
précisent bien pourtant dans le corps des articles qu’il s’agit d’une « substance blanche qui est
suspectée d’être de la cocaïne », sans jamais qu’aucune preuve scientifique ne vienne étayer les
suspicions.
Cependant, pour Yaw Sarpong, le secrétaire-exécutif du NACOB, la justice fonctionne
et les condamnations ont bien lieu : le processus judiciaire serait en réalité simplement trop
lent.209 Les preuves nécessaires à l’accusation sont souvenues détenues par des pays tiers, et
l’entraide juridique prend du temps. Si la coopération policière internationale est bien
développée, elle n’est pas complétée par une coopération judiciaire ; or, la justice n’a assez de
capacités au niveau local. Mais d’après nos propres observations et nos entretiens avec des
acteurs non gouvernementaux, il y a un réel problème au niveau local avec la justice, et les
condamnations sont plutôt l’exception. S’il est vrai que la coopération internationale n’a pas
une approche intégrée, les problèmes de condamnations sont en réalité inhérents au système
judiciaire ghanéen. Entravée par son manque de ressources humaines et de capacités, ainsi que
207
GhanaWeb, Ministers, http://www.ghanaweb.com/GhanaHomePage/republic/ministers.php
208
Daily Guide, CID Chief Hosts Foreign Cops, June 4, 2015.
209
Entretien avec Yaw Sarpong, Secrétaire-exécutif du NACOB.
82
par sa dépendance à l’exécutif, la justice ghanéenne prononce ainsi énormément de non-lieux
ou abandonne les poursuites judiciaires, faute de moyens.
4) Le cas de la police
Aux côtés du NACOB, la police, est selon la loi, la seconde institution chargée du contrôle
et de la lutte contre les drogues. Il existe au sein de la police une unité chargée de la lutte contre
le trafic de drogues, qui dépend du Criminal Investigation Department (CID) et vient en
complément du travail du Narcotics Control Board. Les unités sont censées être décentralisées
et présentes dans toutes les régions du pays, mais le plan de décentralisation n’a jamais été mis
à exécution. Si le CID a bien un bureau régional dans les dix régions du pays, ils ne comportent
pas pour autant d’unité anti-drogue, donc pas de personnel formé pour faire circuler les
informations ou effectuer des saisies. De même, le NACOB, qui est supposé fonctionner de
manière décentralisée, n’a pas d’officiers dans toutes les régions. Les trafiquants déchargent en
mer et déposent par bateau, en toute impunité, la cocaïne près de communautés côtières du
Ghana, avant de la renvoyer vers les ports (Tema, dans la région du grand Accra, ou SekondiTakoradi dans la région Ouest) pour redistribution. Sans unités locales du NACOB et du CID,
et sans formations spécifiques de la police, de la marine et des miliaires, l’Etat ghanéen n’a que
peu de moyens de lutter contre le trafic en dehors de la capitale.
Autre problème, la police est souvent citée comme étant l’institution la plus corrompue au
Ghana : dans l’enquête de l’Afrobarmètre de 2014, 89% des interrogés avaient répondu que la
police était corrompue ; dans l’enquête d’un think-tank de politiques publiques très influent au
Ghana, l’Institute of Economic Affairs (IEA), la police était jugée comme étant l’institution la
plus corrompue, devant le bureau de la présidence.210
211
Une des raisons les plus citées pour
expliquer le taux élevé de pots-de-vin au sein de la police est le manque de financements,
conduisant à un niveau de rémunération des policiers très faible et à un renouvellement
important du personnel, qui a donc très peu de capacités ou d’expérience.212
210
Afrobarometer, Summary of results, Afrobarometer Round 6, 2014, Compiled by the Ghana Center for
Democratic Development.
211
IEA’s 2015 Socio-Economic and Governance Survey, February 2015.
212
Entretien avec Kwesi Aning.
83
II.
La coopération internationale au Ghana
1) Aperçu des acteurs engagés
L’aide obtenue grâce à la coopération provient en grande majorité d’agences spécialisées
internationales, telles que la Drug Enforcement Agency (DEA) pour les Etats-Unis, la Serious
Organised Crime Agency (SOCA) pour le Royaume-Uni, ainsi que d’institutions
internationales telles que l’ONUDC et la CEDEAO. Seuls les Etats-Unis et le Royaume-Uni
s’investissement réellement en termes de moyens financiers au Ghana. Nous allons nous
concentrer ici sur les programmes conduits par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’ONUDC,
qui sont à la fois les plus importants et nous semblent être les plus représentatifs des tenants et
aboutissants de la coopération internationale contre le trafic de drogue au Ghana, et le reflet,
d’une certaine manière, des défis rencontrés par l’aide au développement en Afrique.
La particularité de la cocaïne en Afrique de l’ouest étant sa nouveauté, les programmes
sont donc tous relativement récents, ce qui permet d’en effectuer une traçabilité. Les pays
européens, la France et l’Espagne notamment, s’impliquent depuis 2003 dans la région, surtout
dans le golfe de Guinée en effectuant des saisies de cocaïne en mer. 213 Au niveau de la
coopération internationale policière, une plateforme a été créée en 2009 pour échanger des
informations, une basée à Dakar, et l’autre à Accra. La plateforme d’Accra, nommée
« International Liaison Unit » (ILU), regroupe les officiers de liaison de six pays : la GrandeBretagne, la France, l'Allemagne, les États-Unis, l'Espagne et les Pays-Bas (non résident). Le
principal objectif est l'échange d'informations, mais des formations communes sont également
dispensées.214 Sa compétence est régionale, étant donné qu'elle couvre la Côte d'Ivoire, le
Ghana, le Burkina Faso et le Togo. Mais les formations sont organisées de manière sporadique ;
par exemple, un seul officier a été formé en Allemagne aux techniques de contrôle à l’aide de
chiens renifleurs. Les moyens déployés sont donc assez faibles sur le terrain, ce qui contraste
avec le discours engagé des Nations-Unis. La coopération française se résume au travail d’une
seule personne, l’officier de police de l’ambassade de France au Ghana, qui est forcément limité
dans ses capacités. Il a pourtant également une compétence régionale pour le Togo, le Bénin,
213
Entretien avec l’officier de police de l’ambassade de France
214
Ainsi, le Bureau of National Investigation (BNI) du Ghana a reçu une formation de l'ILU; quatre officiers
ghanéens ont reçu une formation de quatre mois en Allemagne en 2010, afin de pouvoir contrôler des chiens
destinés à détecter la drogue dans les aéroports. (in ILU Successes since inception, May 2009 to Present)
84
la Côte d’Ivoire et la Nigeria et sa présence est essentielle, car en tant que pays non francophone,
Paris a un besoin d’informations de première main sur le Ghana.215
Parallèlement, le NACOB coopère directement avec des polices européennes, dont la police
française, la Bundeskriminalamt (BKA) allemande et la National Crime Agency (NCA)
britannique, ainsi qu’avec Interpol.216 La coopération se fait aussi au niveau local, notamment
avec les trois pays frontaliers : le Togo, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. De par la porosité
des frontières et la faiblesse des contrôles, les transactions illégales sont monnaie courante ; par
exemple, il existe deux vols directs par semaine entre Lomé et le Brésil, qui permettent
d’introduire de la cocaïne dans le pays, qui est ensuite réacheminée au Ghana par la route.217
Les programmes des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l’ONUDC se concentrent
surtout sur des formations et le développement des capacités – l’incontournable capacity
building – des agences ghanéennes, et en premier lieu du NACOB. Malgré la présence
relativement nouvelle des acteurs internationaux de coopération dans ce champ, elle serait
néanmoins relativement efficace à son échelle, étant donné que le travail des agences
internationales a conduit à la plupart des arrestations et des saisies que l’on observe.218 Malgré
tout, le Ghana aurait besoin de 25 millions de dollars pour appliquer un programme complet de
lutte contre l’infiltration de la cocaïne, notamment pour mettre en place des mesures de
détection – chiens renifleurs, recours à des experts étrangers. Les partenaires de développement
ne se sont engagés à verser que 154 000 dollars.219
2) Des opérations de soutien centrées sur le renforcement des capacités
Le Narcotics Control Board a notamment bénéficié de la coopération internationale
menée par le service des douanes britannique avec le projet Westbridge, destiné à former les
officiers au contrôle des bagages et des passagers à l’aéroport international de Kotoka (KIA)
d’Accra. Le NACOB a également conclu des accords de coopération bilatérale avec l’Union
Européenne, les Etats-Unis, la France et l’Espagne, l’ONUDC, le Programme de
215
Entretien avec l’officier de police de l’Ambassade de France au Ghana, Accra, 4 juin 2015
216
Entretien avec le Secrétaire-général du NACOB.
217
Ibid.
218
Entretien avec Bernard Asamoah
219
« Le trafic de drogue, fléau du Ghana, le bon élève d’Afrique de l’ouest », L’Express, publié le 27/09/2013
85
développement des Nations-Unis (PNUD), l’Organisation mondiale des douanes (OMD) et
l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS).
2) a) L’ONUDC
L’ONUDC a développé un programme régional ambitieux pour l’Afrique de l’ouest,
afin de mettre en place les recommandations de la CEDEAO sur la lutte contre le crime et les
drogues. Le Ghana a désormais son propre programme national intégré, qui est plus équilibré
que la politique de la CEDEAO, car prenant en compte les questions de santé et de gouvernance.
Cependant, les partenaires de développement n’ont pas encore versés de fonds pour développer
le programme.220
Le bureau de l’ONUDC au Ghana, implanté dans le pays en 2012, dépend du bureau régional,
basé à Dakar ; il n’y avait auparavant aucune représentation. Le Ghana a développé un
programme national d’intégrité, destiné à combattre le crime et à renforcer la justice criminelle,
sous la forme d’un projet de cinq ans et rédigé par le gouvernement du Ghana. Il a bénéficié de
l’expertise de l’ONUDC, qui a identifié tous les défis et développé une approche intégrée.
Cependant, le programme national n’a pas été appliqué, faute de fonds alloués, qui devaient à
la fois provenir du gouvernement ghanéen et de l’ONUDC.221 Le travail de l’ONUDC au Ghana
se centre sur deux projets stratégiques : un projet de soutien au port de Tema pour analyser le
contenu des containers et un projet de communication à l’aéroport de KIA, lancé en 2012.
L’objectif du second projet est d’améliorer la communication avec d’autres aéroports, afin de
créer des profils types de trafiquants et des routes. Le programme regroupe plusieurs agences :
la police, les services de l’immigration, les douanes, les militaires, la sécurité de l’aéroport, le
NACOB. Or, centré autour de la communication, ce projet eut du mal à démarrer, faute de
connexion à Internet disponible.
2) b) La coopération américaine
Le soutien financier des Etats-Unis dans la lutte contre les narcotiques en Afrique de
l’ouest a augmenté au fil des ans, passant de 7,5 millions de dollars en 2009 à 50 millions de
dollars annuels en 2010 et 2011. Selon le directeur de la section Europe, Asie et Afrique de la
220
Kwesi & al, Op. Cit., p. 128.
221
Entretien avec Bernard Asamoah.
86
DEA, Jeffrey Breeden, l’Afrique est la nouvelle frontier de la lutte contre le terrorisme et le
trafic de narcotiques, la tactique agressive des Etats-Unis étant la réponse du changement de
cap nécessaire suite au désengagement en Irak et en Afghanistan où la lutte contre le trafic
d’opium a échouée.222
La coopération au Ghana dans le secteur de la lutte contre le narcotrafic s’est décidée au plus
haut niveau gouvernemental américain, selon un rapport du Sénat américain de 2013. 223 La
West African Cooperative Security Initative a été lancée en 2011, avec un budget initial de 60
millions de dollars d’aide sur cinq ans, qui est financé par l’AFRICOM – l’United-States Africa
Command. L’objectif des Etats-Unis est à la fois de renforcer la coopération inter-régionale de
haut niveau et de développer les capacités des agences de lutte à travers l’Afrique de l’ouest.
Un focus est fait sur trois projets, uniquement dans les pays anglophones de la sous-région : le
développement d’une unité de lutte contre les narcotiques au Nigeria – l’équivalent du NACOB
ghanéen –, d’une commission anti-corruption au Sierra Leone et d’un centre de formation
régional au Ghana. Le centre de formation ghanéen dépend du secteur privé, de l’entreprise
Commonwealth Trading Partners (CTP), mais qui travaille pour le gouvernement américain,
plus précisément le département d’Etat.224
Les Etats-Unis sont un acteur relativement important, voire majeur, dans le champ de la
coopération internationale au Ghana. Premier pays d’Afrique visité par Barack Obama après
son élection en 2008, apprécié pour la stabilité de ses institutions et son fonctionnement
démocratique, le Ghana est un des pays clés sur le continent noir pour les Etats-Unis,
notamment pour ce qui est du développement économique. Une importante diaspora ghanéenne
présente aux Etats-Unis permet de renforcer cet intérêt. Ainsi, le plus gros portefeuille
d’Afrique d’USAID, l’agence de développement international américaine, est le Ghana.225
L’agence de lutte américaine contre le trafic de drogues, la Drug Enforcement Agency (DEA),
est hébergée au sein de l’ambassade américaine. Un programme de terrain, nommé Sensitive
222
Charlie Savage and Thom Sanker, “U.S. Drug War Expands to Africa, a Newer Hub for Cartels”, New York
Times, July 21, 2012.
223
8 steps to counter the drug trade in West Africa, by the United States Senate Caucus on International Narcotics
Control, 113th Congress, First session, December 2013.
224
CTP website: http://www.ctp-inc.com/
225
Propos recueillis auprès d’un responsable d’USAID à Accra.
87
Investigative Units (SIUs), est développé par l’agence au niveau local, et permet d’identifier et
de former les homologues de la DEA au Ghana. La DEA est la première agence fédérale chargée
de l'application de la loi en termes de présence à l'étranger, une présence globale qui est jugée
essentielle afin de lutter contre le trafic de drogues en Afrique: la plupart de l'intelligence
obtenue sur les groupes criminels est fournie par la DEA, grâce à la présence de ses divers
bureaux sur le continent et ses enquêtes.
La DEA a six bureaux sur le continent africain : au Nigeria, au Ghana, en Égypte, en Afrique
du Sud, au Kenya et au Sénégal. Ils servent de plateformes régionales pour coordonner les
activités d'enquête de l'agence et mettre en place les stratégies régionales. Parmi les succès de
la DEA, on peut noter l’arrestation en mai 2011 de deux sierra-léonais, deux nigérians, deux
ghanéens, un colombien et un russe, transférés aux Etats-Unis et jugés à New-York pour
distribution de cocaïne avec volonté ou prévision d'importation vers les États-Unis ; en
décembre 2009, trois ouest-africains sont arrêtés au Ghana à la demande des Etats-Unis,
soupçonnés d’appartenir à Al-Qaeda , accusés de trafic de drogues et de terrorisme. C’est la
première fois que des complices d’Al-Qaeda font face à des charges de narco-terrorisme.
2) c) Succès et échecs de la coopération britannique
L’opération de lutte contre le trafic de drogues Westbridge a été mise sur pieds par le RoyaumeUni et le Ghana et est hébergée à la Haute-Commission du Royaume-Uni à Accra. Lancée en
2006, l’opération avait été qualifiée de succès par le gouvernement britannique ; l’idée était de
contrôler le trafic à la source, c’est-à-dire à l’aéroport international de Kotoka (KIA) à Accra,
en soutenant les agences de lutte ghanéennes. En 2009, le ministre britannique responsable de
la prévention contre le crime, Alan Campbell, avait affirmé devant une commission
parlementaire que l’opération « était un très bon exemple de lutte contre le trafic de cocaïne »,
tandis que le ministère de l’Intérieur – le Home Office – avait publié un communiqué expliquant
que « les opérations étaient dans la continuité de la volonté d’intercepter les drogues et les
mules avant qu’elles n’arrivent au Royaume-Uni ». D’un coût d’un million de livres sterling,
l’opération s’est en réalité révélée peu efficace, car gangrenée par la corruption, ce qu’ont révélé
des câbles de l’ambassade des Etats-Unis au Ghana rendus publics par Wikileaks.226
226
The Guardian, Wikileaks cables: Ghanaian police “helped drug smugglers evade security”, December 14,
2010.
88
Les notes diplomatiques ont notamment permis d’apprendre que des officiers du NACOB
travaillant en coopération avec leurs homologues britanniques avaient fournis des informations
aux trafiquants, en les renseignant sur les moments où les contrôles avaient lieu, en sabotant du
matériel de détection payé par les britanniques et en faisant passer certains passagers suspectés
de trafic par le lounge VIP, exempté de contrôles. Un des câbles rapporte une anecdote d’un
officiel britannique qui s’était rendu inopinément à l’aéroport à 4 heures du matin pour contrôler
l’arrivée d’un vol. Un trafiquant fut arrêté et déclara qu’il avait eu des informations comme
quoi « Westbridge ne fonctionnait pas cette nuit-là ». Le répertoire de son téléphone saisi fut
analysé, et les numéros de plusieurs officiels seniors du NACOB furent découverts. 227 De
même, lorsque l’équipe d’officiers britanniques rentra à Londres, le nombre de saisies tomba à
presque zéro à Accra.228 La situation était telle que le président du Ghana de l’époque, John
Atta Mills, avait demandé à un officier des douanes britannique de mettre en place un système
de contrôles des passagers transitant par la suite présidentielle de l’aéroport d’Accra, car il
soupçonnait certaines personnes de son propre entourage de transporter de la cocaïne. Selon les
diplomates de l’ambassade américaine, la requête au caractère exceptionnel du président
permettait, entre autres, de révéler l’importance du trafic de cocaïne dans la capitale. Le câble
concluait en affirmant que le gouvernement du Ghana n’avait « ni les ressources pour résoudre
le problème, ni la volonté politique de s’attaquer aux barons de la drogue ». Les contacts de
l’ambassade américaine au service de police et au bureau de la présidence ghanéens auraient en
effet affirmé que l’identité des trafiquants de drogue étaient bien connus, mais que le
gouvernement ne souhaitaient pas les poursuivre.
227
Câble 164939
228
Câble 135389
89
3) Les limites du « capacity building »
L’affaire largement médiatisée de Nayele Ametefe, arrêtée avec 12,5 kilogrammes de
cocaïne en novembre 2014 à l’aéroport d’Heathrow de Londres, a permis de confirmer que
malgré l’existence d’une coopération internationale et de formations au Ghana, le trafic de
cocaïne transitait toujours par l’aéroport de Kotoka. Nayele Ametefe, surnommé Ruby Appiah,
possédant la double nationalité ghanéenne et autrichienne, fut arrêtée pour avoir transporté de
la cocaïne pure à 78% et d’une valeur de revente estimée à 1,8 millions de livres sterling. En
provenance d’Amérique latine et à destination du Royaume-Uni, elle avait transité par le lounge
VIP de Kotoka, qui est supposé être réservé aux présidents et ministres d’Etat, grâce à l’aide
d’un complice.229 Le capitaine Baffour Assasie-Gyimah, président du NACOB qui fut renvoyé
suite aux révélations de l’affaire – ainsi que les 23 membres du conseil du NACOB - avait
affirmé qu’il n’était pas de son ressort de contrôler les lounges VIP et diplomatiques. S’étant
lui-même rendu sur place, il avait ensuite reporté que le lieu « était pire qu’une place de marché.
Tout le monde au Ghana passait par là. Tout le monde au Ghana est une personne
importante ».230
Le NACOB rapporta aux médias avoir collaboré avec ses partenaires britanniques pour arrêter
Nayele Ametefe, une affirmation qui fut contredite par le gouvernement du Ghana et la HauteCommission britannique, ce qui conduit à la dissolution du Conseil du NACOB. Pour l’ancien
directeur, le personnel de sécurité du salon VIP avait failli à sa mission, et non uniquement le
NACOB. Le Bureau of National Investigations (BNI) a arrêté 12 personnes au Ghana en lien
avec l’affaire. La principale suspecte, interpellée à Londres, fut donc jugée au Royaume-Uni en
juin 2015; elle plaida coupable et fut condamnée à une peine de huit ans et huit mois de prison
par l’Isleworth Crown Court. Cependant, les individus interpellés au Ghana et accusés de
complicité dans l’affaire ne furent finalement pas jugés. Six individus furent relâchés en février
2015, suite à un non-lieu prononcé par la justice ghanéenne. Deux accusés étaient des officiels
de l’aéroport de Kotoka et un troisième était un agent des affaires étrangères ; ils avaient tous
229
Joy Online, Nayele Ametefe sentenced 8 years, 8 months, June 1st, 2015. Page consultée le 5 juillet 2015.
230
AgooEast, KIA VIP Lounge « worse than a market place” – ex NACOB Chair, December 7, 2014. Traduction
de l’auteur.
90
plaidés non coupables.231 Le NPP, le parti actuellement dans l’opposition, accusa le
gouvernement de complicité dans l’affaire.232
Depuis les révélations faites par Wikileaks, aucune mesure n’a été prise par le
gouvernement ghanéen pour agir contre le trafic en contrôlant les entrées et sorties des salons
VIP et diplomatiques de l’aéroport. La corruption à haut-niveau des officiels et le manque de
volonté politique du gouvernement sont des explications centrales pour justifier le manque
d’actions, ainsi que les problèmes structurels rencontrés par la justice et les agences
institutionnelles au Ghana.
231
Top Fm, Prosecution drops case against Nayele cocaine suspects, February 24, 2015. Page consultée le 5 juillet
2015.
232
Joy Online, Discontinuation of Nayele cocaine suspects is proof of gov’t’s complicity – NPP, February 25,
2015. Page consultée le 5 juillet 2015.
91
Conclusion
Le trafic de cocaïne est toujours fleurissant en Afrique de l’ouest et son avenir est incertain dans
la sous-région. A l’heure actuelle, malgré l’engagement fort d’acteurs internationaux et un
semblant de volonté montré par certains Etats, les politiques de contrôle ont échoué. L’étude
de cas du Ghana nous a permis de montrer que la cocaïne a été appropriée comme ressource
par les acteurs locaux et s’est ancrée dans les pratiques criminelles des trafiquants et des
politiques. Dans la continuité du modèle de l’Etat néo-patrimonial africain, elle permet au
modèle de domination directe de se réinventer en diversifiant les sources de financement. De
l’aveu des acteurs rencontrés sur le terrain, l’engagement dans la lutte de l’Etat ghanéen n’est
que de pure façade, car malgré la fermeté affichée, les moyens financiers et humains ne viennent
pas traduire la rhétorique en réalité. Les discours engagés des organisations internationales, tel
que l’ONUDC, ou d’un pays comme les Etats-Unis, reflètent la volonté d’imposer le paradigme
de contrôle des drogues, au dépit d’une approche multi-intégrée tenant compte des problèmes
de santé publique. Le Ghana, mal équipé, en manque de financements, n’a pas les moyens des
ambitions des acteurs du Nord, malgré les investissements financiers réalisés. Corruption, mal
fonctionnement de la justice, police mal formée, gouvernance défaillante, agences
gouvernementales en manque de capacités, tous ces traits négatifs de l’Etat ghanéen explique
l’échec apparent de la lutte contre la cocaïne.
Cependant, et contrairement à la majorité de la littérature existante sur le sujet, nous affirmons
que le monopole de la violence de l’Etat n’est pas remis en cause en Afrique de l’ouest,
précisément grâce à ses défauts, qui ont permis l’apparition de pratiques criminelles qui ne sont
pas en contradiction avec l’autorité de l’Etat. L’Etat ouest-africain est une forme originelle de
gouvernance, issu du modèle exogène imposé par la colonisation, croisé avec des formes de
gouvernement personnalisé. Dans cet univers, la cocaïne n’est qu’un élément de plus s’intégrant
à l’économie informelle ; la lutte menée par les forces de police est plus le résultat de
l’application des théories des Etats occidentaux, qui souhaitent bloquer le produit à sa source,
que de l’appropriation des politiques de répression.
L’avenir de l’Afrique de l’ouest et du Ghana reste encore à déterminer, au regard notamment
de nouvelles dynamiques : l’héroïne afghane se diffuse désormais de plus en plus dans la sous-
92
région233 ; au sein des instances internationales, le paradigme répressif est doucement remis en
cause, parallèlement à l’émergence de mouvements appelant à légiférer certaines drogues.
Interrogés sur la question de la cocaïne dans le futur, tous les acteurs rencontrés se sont dit
pessimistes concernant l’avancée de la lutte au niveau régional. Les limites avancées étaient
avant tout structurelles, telles que la porosité des frontières, l’absence de coordination régionale,
la prégnance de la corruption ou la faiblesse du système juridique. Dans ces conditions, toute
politique ambitieuse de la lutte contre la cocaïne en Afrique de l’ouest devrait être intégrée au
sein d’une problématique plus générale de renforcement de la gouvernance locale, un processus
sur le temps long et de réformes en profondeur qui iraient au-delà du simple renforcement des
capacités des agences et acteurs locaux.
233
ONUDC, Nouveau rapport de l’ONUDC : Le trafic de l’héroïne afghane se diffuse désormais en Afrique, 17
juin 2015.
93
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Le Monde Diplomatique : www.monde-diplomatique.fr
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Le Nouvel Observateur : http://tempsreel.nouvelobs.com/
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Wikileaks : https://wikileaks.org/index.fr.html
Presse ghanéenne en ligne :
 The Chronicle : http://thechronicle.com.gh/
 Daily Graphic : http://graphic.com.gh/
 Daily Guide : http://www.dailyguideghana.com/
 Ghana Business News : https://www.ghanabusinessnews.com/
 GhanaWeb : http://www.ghanaweb.com/
 Modern Ghana : http://www.modernghana.com/
 PeaceFm : http://www.peacefmonline.com/
 TV3 Network : http://tv3network.com/
Conférences :
Abdoulaye, « Défis sécuritaires au Sahel », 4 novembre 2011, Sciences Po Toulouse.
Institute of Economic Affairs Winner-Takes-All / Constitution Review Workshop, Alisa Hotel,
Accra, 8th July, 2015.
John Dramani Mahama, Speech for the High Level Conference on the National Anti-Corruption
Action Plan (NACAP), 8th December 2014, Accra.
Revues :
Diplomatie, Géopolitique mondiale de la drogue. Hors-série n°11, Areion Group, Avril – Mai
2011.
100
Annexes
Annexe 1 : Liste des entretiens effectués
Nom
Présentation
Date
Patrick Amalvy
Attaché de sécurité intérieure à 3 juin 2015
Ambassade
l’Ambassade de France à Accra,
de France au
Commandant
Ghana, Accra
de
Police,
Chef
Lieu
d’antenne D.C.I. et officier de liaison
régional
Charles Ayamdoo
Directeur chargé de la lutte anti- 10 juin 2015
CHRAJ,
corruption, Commission on Human
Accra
Rights and Administrative Justice
(CHRAJ)
Jennifer Asuako
Responsable de la gouvernance au 12 juin 2015
PNUD, Accra
Programme des Nations-Unies pour
le Développement (PNUD)
Dr. Kwesi Aning
Directeur de la Faculté des Affaires 18 juin 2015
KAIPTC,
académiques et de la recherche
Accra
(FAAR)
au
Kofi
Annan
International Peacekeeping Trainig
Centre (KAIPTC)
Bernard Asamoah
National Programme Coordinator de 9 juillet 2015
PNUD, Accra
l’Office des Nations-Unies contre la
drogue et le crime (ONUDC)
Yaw Akrasi
Secrétaire-exécutif (directeur) du 23 juillet
NACOB,
Sarpong
Narcotics Control Board (NACOB)
Accra
2015
101
Annexe 2 : Grille de questions des entretiens semi-directifs en anglais
1) Introduction
I am doing my Master’s thesis on cocaine trafficking in West Africa, with a focus on Ghana. I will
study mainly the behaviors of the actors involved in the fight against the traffic, to see what are
the tools and the politics put in place. I am also, at the same time, an intern at the French
embassy, and I have been in Ghana for a few months now.
2) Presentation of the person interviewed
3) Questions, ideas
1st of all, your assessment on the situation: the cocaine in Ghana – both traffic and
consumption- and the state of the politics put in place, the role of the NACOB, the politics and
the scandals.
Here are some of the things I would like to understand:
-
How do you explain the apparition of cocaine in Ghana?
-
Can we generalize the case of Ghana to the others countries in WA? If not, why?
-
Can we talk about a new “model” for the relationships between drugs, politics,
organized crime and violence in WA?
-
Is the amount of cocaine transiting through Ghana important enough to threaten the
State?
-
How is the money used? Meaning local benefits, or in the hands of the Latin American
mafias, involved in politics?
-
Despite all the efforts put in place, locally – the NACOB – and internationally – UNODC,
cooperation, etc – why has the traffic has not disappeared?
-
How do you assess the work of the police, the customs?
-
What is the future for Ghana and the cocaine trafficking in the sub-region?
102
Annexe 3 : Carte du Ghana, avec les dix régions et villes principales
103