Santé et travail à la mine XIXe-XXIe siècle

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Santé et travail à la mine XIXe-XXIe siècle
Du déni à la flatterie : la reconnaissance
de la pneumoconiose du mineur de charbon
comme maladie professionnelle en Espagne (1930-1944)1
Alfredo Menéndez-Navarro
Universidad de Granada, Espagne
À José Ramón Menéndez Caso, asturien
Introduction
La pneumoconiose du mineur de charbon a probablement été le problème majeur
de santé professionnelle en Espagne pendant le deuxième tiers du XXe siècle,
tant en raison du nombre de travailleurs affectés qu’à cause de l’ampleur des
mécanismes compensatoires mis en place pour en affronter les conséquences.
Le long processus de reconnaissance de la nature professionnelle de la maladie
montre clairement l’entrelacs des facteurs scientifiques, sociaux, politiques et
économiques qui ont joué sur l’adoption des mesures compensatoires visant à
lutter contre les risques professionnels. Bien que ce processus ait été analysé sur
diverses scènes nationales et internationales, il nous manque une étude détaillée
de l’expérience espagnole2.
1.– L’auteur remercie les institutions qui ont permis cette recherche, qui fait partie des projets
HAR2009-07543 du Ministère espagnol de la science et de l’innovation et HUM200602885 du Ministère espagnol de l’éducation et de la science. Texte traduit de l’espagnol par
Stéphane Carlier.
2.– Parmi les diverses études nationales, il faut souligner : David Rosner, Gerald Markowitz,
Deadly Dust: Silicosis and the Politics of Occupational Disease in Twentieth-Century America,
Princeton, Princeton University Press, 1991 ; Alan Derickson, Black Lung: Anatomy of a Public
Health Disease, Ithaca, Cornell University Press, 1998 ; Arthur McIvor, Ronald Johnston,
Miners’ Lung: A History of Dust Disease in British Coal Mining, Aldershot, Ashgate, 2007 ;
Jean-Claude Devinck, Paul-André Rosental, « Une maladie sociale avec des aspects médicaux : la difficile reconnaissance de la silicose comme maladie professionnelle dans la France
du premier XXe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2009, 56 (1), p. 99-126 ;
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La découverte du bacille tuberculeux dans les années 1880 et l’expansion de
la pensée bactériologique dans la médecine occidentale relèguent à un second
plan le rôle étiologique de la poussière industrielle, considérée uniquement
comme facteur aggravant de l’infection pulmonaire3. À l’aube du XXe siècle, un
ensemble de facteurs techniques, scientifiques et sociaux entraîne la remise en
question de cette vision dominante dans la médecine occidentale. La mécanisation et l’intensification du travail dans les mines, l’accessibilité et la généralisation des explorations radiologiques comme méthode diagnostique, la capacité
croissante de mobilisation du mouvement ouvrier et l’essor du réformisme social
font que les conditions de travail retrouvent leur statut de cause principale des
maladies du travail. À l’époque de la Première Guerre mondiale, il existe un
fort consensus médical sur le rôle prééminent de la poussière de silice comme
cause de la maladie pulmonaire d’une part, et sur le risque minime représenté
par l’inhalation de poussière de charbon pour les millions de mineurs exposés
d’autre part4.
L’organisation, en moins de dix ans, de trois rencontres internationales
d’experts sur le sujet, sous l’égide de la Commission internationale permanente
pour l’étude des maladies du travail (Lyon, 1929) et de l’Organisation internationale du travail (OIT) ( Johannesburg, 1930 et Genève, 1938), et la révision en
1934 de la convention sur la réparation des maladies professionnelles de l’OIT,
ont contribué à la totale reconnaissance de la silicose comme maladie indemnisable5. C’est avec emphase que les experts internationaux ont affirmé le caractère
nocif de la poussière de silice, ce qui les a conduits à mésestimer le caractère
pathologique d’autres poussières inhalées sur les lieux de travail, notamment
celle de charbon. Cette opinion sur l’innocuité de la poussière de charbon fut
approuvée avec enthousiasme par la plupart des médecins liés aux entreprises
Eric Geerkens, « Quand la silicose n’était pas une maladie professionnelle: Genèse de la
réparation des pathologies respiratoires des mineurs en Belgique (1927-1940) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2009, 56 (1), p. 127-141 ; Bernard Thomann, « L’hygiène
nationale, la société civile et la reconnaissance de la silicose comme maladie professionnelle
au Japon (1868-1960) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2009, 56 (1), p. 142-176 ;
Emanuela Mackova, Paul-André Rosental, « Les démocraties populaires d’Europe de l’Est
ont-elles protégé la santé de leurs travailleurs ? La Tchécoslovaquie socialiste face à la silicose », Journal of Modern European History, 2009, 7(2), p. 240-264. L’interaction entre des
situations nationales et les dynamiques transnationales a été analysée dans Paul-André
Rosental, « La silicose comme maladie professionnelle transnationale », Revue française des
affaires sociales, 2008, nº 2-3, p. 255-277 ; Joseph Melling, Christopher Sellers, « Objective
Collectives? Transnationalism and “Invisibles Colleges” in Occupational and Environmental
Health from Collis to Selikoff », dans C. Sellers, J. Melling (éds), Dangerous Trades: Histories
of Industrial Hazard across a Globalizing World, Philadelphia, Temple University Press, 2012,
p. 113-125.
3.– D. Rosner, G. Markowitz, op. cit., p. 13-14 ; P.-A. Rosental, op. cit., p. 257-258.
4.– Mark W. Bufton, Joseph Melling, « “A Mere Matter of Rock”: Organised Labour,
Scientific Evidence and British Government Schemes for Compensation of Silicosis and
Pneumoconiosis among Coalminers, 1926-1940 », Medical History, 2005, 49 (2), p. 155-178 ;
Joseph Melling, « Beyond a shadow of a doubt? Experts, lay knowledge, and the role of
radiography in the diagnosis of silicosis in Britain, c. 1919-1945 », Bulletin of the History of
Medicine, 2010, 84 (3), p. 424-466.
5.– J. Melling, C. Sellers, op. cit., p. 115-118 ; P.-A. Rosental, op. cit., p. 270.
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charbonnières. Pour ces experts, l’anthracose ou black lung était une simple
accumulation de poussière de charbon dans les poumons sans effets pathogènes ;
ils attribuaient la cause principale des problèmes respiratoires observés chez les
mineurs à l’inévitable inhalation de la poussière de silice lors de leurs activités
professionnelles6.
L’objectif de ce travail est de contribuer à enrichir la vision historiographique
fragmentaire sur ce problème en Espagne. C’est pour cela que nous accorderons
une attention spéciale à l’exploration des facteurs scientifiques qui ont compliqué
la reconnaissance du caractère nocif de la poussière de charbon, aspect qui n’a
pas été pris en considération dans les recherches réalisées sur ce sujet jusqu’à
ce jour7. Le consensus médical international atteint au début des années trente
sur l’innocuité de la poussière de charbon a été questionné en Espagne lors de
deux moments politiques exceptionnels que nous examinerons dans ce chapitre.
Dans un premier temps, lors des mois précédant le déclenchement de la Guerre
civile espagnole, quand le gouvernement du Front populaire, reconnaissant les
aspirations des syndicats miniers, a déclaré la silicose et l’anthracose comme
maladies indemnisables selon la loi républicaine sur les maladies professionnelles de 1936 ; dans un second temps, pendant la période autarcique du régime
franquiste, où l’inclusion des mines de charbon dans l’assurance franquiste
contre la silicose, en 1944, fut précédée d’une étude médicale à grande échelle.
Les résultats de cette étude révèlent l’amplitude du problème et la nécessité de
fournir une couverture à un secteur-clé de l’auto-approvisionnement énergétique national. L’utilisation des medias par la propagande d’État ne laisse aucun
doute sur l’intérêt du régime franquiste à obtenir l’adhésion d’un secteur social
aussi combatif que celui des mineurs de charbon des Asturies.
Dans cette recherche, nous avons eu recours à la littérature médicale espagnole
traitant de cette question et aux nombreuses archives historiques de l’Institut
national de prévision (Instituto Nacional de Previsión), conservées à Madrid8.
Nous avons également porté notre attention sur la couverture médiatique
organisée par le régime franquiste sur l’assurance contre la silicose et la reconnaissance de la silicose dans les mines de charbon comme maladie indemnisable.
6.– Eileen Seitz Metress, A Historical Comparison of the Medical Recognition of Coal Workers’
Pneumoconiosis in the United States and Great Britain [The University of Toledo, Ph.D.],
Ann Arbor, 1975, p. 61-95 ; A. Derickson, op. cit., p. 43-59 ; A. McIvor, R. Johnston, op. cit,
p. 67-77.
7.– Ramón García Piñeiro, Los mineros asturianos bajo el franquismo (1937-1962), Madrid,
Fundación 1º de Mayo, 1990 ; Carmen Benito del Pozo, La clase obrera asturiana durante
el franquismo. Empleo, condiciones de trabajo y conflicto (1940-1975), Madrid, Siglo XXI de
España, 1993 ; Irene Díaz Martínez, Carlos García Fernández, « Enfermedad profesional,
redes de solidaridad y acción colectiva en la minería asturiana durante el franquismo »,
Sociología del Trabajo, 2007, nº 59, p. 103-130.
8.– Les Archives historiques de l’Institut national de Prévision se trouvent à l’Instituto Nacional
de Gestión Sanitaria à Madrid.
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La réception en Espagne des thèses sur l’innocuité
de la poussière de charbon
Les auteurs médicaux espagnols ayant abordé le problème de la silicose chez les
mineurs de charbon pendant les années trente ont majoritairement approuvé
la thèse sur le caractère inoffensif de la poussière de charbon. Face à l’apparition de cas d’anthracose signalés dans de nombreuses topographies médicales
asturiennes publiées dans les années vingt9, les études réalisées dans les années
trente considèrent l’anthracose comme une simple découverte anatomo-pathologique, sans signification pathologique, attribuant intégralement la cause
principale des altérations pulmonaires des mineurs de charbon à l’inhalation
de poussière de silice. La plupart des études ont été réalisées par des spécialistes
en maladies pulmonaires et des phtisiologues du nord de l’Espagne, disposant
d’une grande expérience dans le suivi médical des mineurs de charbon.
La première étude sur cette question est publiée en 1933 par deux médecins
asturiens : Plácido Álvarez Buylla, chef de clinique à l’hôpital provincial
d’Oviedo, et Joaquín Pumarino Alonso, médecin de la compagnie Sociedad
Duro Felguera, l’une des principales entreprises minières des Asturies. Les
auteurs approuvaient la thèse de l’innocuité de la poussière de charbon inspirée
tant de la Conférence de Johannesburg que de leur longue expérience clinique
avec les travailleurs du secteur. Parmi les « piqueurs », chargés de détacher le
charbon, aucun cas de pneumoconiose n’avait été diagnostiqué. Par contre, le
risque était évident pour les « haveurs », chargés de creuser avec un marteaupiqueur dans les roches riches en silice qui entouraient les veines de charbon10.
C’est dans le même sens que s’exprime Roger Jalon Lassere, directeur du
dispensaire antituberculeux général d’Oviedo, qui publie en 1941 les résultats
de son expérience clinique sur 247 mineurs examinés entre 1933 et 194011. Les
dispensaires antituberculeux ont vu le nombre de leur personnel substantiellement augmenter et leurs ressources techniques sensiblement s’améliorer après
leur nationalisation en 1931 par le gouvernement républicain, contrastant avec
la pauvreté de l’équipement des services médicaux des exploitations minières. Le
fait de disposer de moyens diagnostiques, tels que les rayons X, comme l’expérience clinique et épidémiologique acquise, ont permis aux phtisiologues de
revendiquer leur compétence dans l’approche des pneumoconioses12.
Les mineurs examinés dans le dispensaire d’Oviedo, qui travaillaient tous
dans ce secteur depuis plus de cinq ans, furent divisés en trois groupes selon leurs
9.– Carlos García Fernández, El archivo de HUNOSA y la construcción de la seguridad en la
minería del carbón asturiana, Oviedo, HUNOSA, 2005, p. 58-60.
10.– Plácido Álvarez Buylla, J. Pumarino Alonso, « Sobre pneumoconiosis en los mineros de
carbón », Progresos de la clínica, 1933, 41, p. 706-716 (en particulier p. 707).
11.– Roger Jalon Lassere, « Nuestra experiencia sobre la silicosis y silicotuberculosis en los
mineros de carbón », Revista Española de Tuberculosis, 1941, 10 (71), p. 379-421.
12.– Jorge Molero-Mesa, « Health and Public policy in Spain during the early Francoist regime
(1936-1951): the Tuberculosis problem », dans I. Lowy, Krige J. (eds), Images of Disease.
Science, Public policy and health in Post-war Europe, Luxembourg, Office for Official
Publications of European Commission, 2001, p. 141-165.
La reconnaissance de la pneumoconiose en Espagne (1930-1944)
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niveaux d’exposition à la poussière : le premier groupe rassemblait le personnel du
fond qui était exposé à la poussière de charbon et de silice ; le deuxième regroupait
les piqueurs exposés plus intensément à la poussière de charbon ; et le troisième
comprenait les haveurs qui, eux, étaient exposés de manière plus directe et plus
intense à la poussière de silice. Les mineurs furent soumis à un examen clinique,
à des analyses de laboratoire et à un examen radioscopique, une radiographie
du thorax étant réalisée sur plus de la moitié d’entre eux. L’incidence de silicose
enregistrée fut de 23,8 % du total des mineurs examinés, bien que les différences
entre les deuxième et troisième groupes fussent manifestes : seuls quatre des
67 piqueurs examinés souffraient de ce problème (moins de 6 %), face à 69 %
parmi les haveurs (à savoir 52 cas sur les 76 mineurs examinés). Compte tenu
de la longue période d’exposition des piqueurs diagnostiqués, le phtisiologue a
conclu que l’incidence de la silicose parmi les mineurs de charbon ne devait être
prise en considération que « pour les haveurs, et pour les autres ouvriers du fond
travaillant depuis de nombreuses années à ce poste (dans notre cas, depuis plus
de trente ans) »13. En outre, Roger Jalon Lassere observait la faible incidence
de la tuberculose parmi les piqueurs, ce qui, selon lui, confirmait le caractère
protecteur de la poussière de charbon face à l’infection tuberculeuse14.
La vision restrictive du problème, imposée par les phtisiologues, n’a guère été
mise en question par d’autres secteurs sanitaires, académiques ou officiels tout au
long des années trente. D’éminents spécialistes en médecine du travail, comme
Antonio Oller Martínez, principal promoteur de la spécialité en Espagne15, ont
accepté les conceptions sur l’anthracose approuvées lors de la Conférence de
Johannesburg16. C’est aussi dans le même sens que s’exprime son collaborateur,
Felipe García Triviño, qui consacre de nombreux écrits sur les pneumoconioses
au début des années trente et qui participe à des rencontres internationales de
premier plan, comme le VIe Congrès international des accidents et des maladies
du travail, à Genève, en 193117. Malgré son intérêt initial pour les effets pathogènes de tout type de poussière industrielle, son travail finit par se focaliser sur
la silicose18. Un autre éminent spécialiste, Vicente de Andrés Bueno, médecin
de la Compagnie de chemin de fer du Nord et membre fondateur de la Société
espagnole de médecine du travail, réalise en 1934 une visite des bassins houillers
des Asturies et de la province de Léon au cours de laquelle il réunit une abondante
13.– R . Jalon Lassere, op. cit., p. 403.
14.– Ibid., p. 404.
15.– Esteban Rodríguez Ocaña, Alfredo Menéndez-Navarro, « From “Accident Medicine” to
“Factory Medicine”: Spanish Occupational Medicine in the Twentieth Century », dans
A. Grieco, D. Fano, T. Carter et S. Iavicoli, (éds), Origins of Occupational Health Associations
in the World, Amsterdam, Elsevier Science B.V., 2003, p. 207-216.
16.– Antonio Oller Martínez. « Antracosis », dans Medicina del Trabajo, Madrid, Morata, 1934,
p. 235-237.
17.– Felipe Garcia Triviño, « Les maladies respiratoires causées par l’inhalation de poussière »,
dans VIe Congrès international des accidents et des maladies du travail, Genève, septembre,
1931, Genève, Imp. du journal de Genève, 1931, p. 544-547.
18.– Felipe García Triviño, « Los problemas clínicos y médico-legales en la silicosis pulmonar », La Medicina Ibera, 1933, 27 (2), p. 73-76 ; « Factores que intervienen en la producción de la silicosis pulmonar », La Medicina Ibera, 1934, 28 (2), p. 577-579.
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documentation en effectuant des enquêtes auprès des médecins des mines de la
région. Les réponses obtenues reflètent une faible incidence de silicose dans la
population minière, limitant le risque à l’inhalation de poussière de silice aux
haveurs et niant une valeur pathologique à l’accumulation pulmonaire de la
poussière de charbon fréquemment détectée lors des autopsies réalisées sur des
mineurs décédés accidentellement19.
En dépit du consensus général et de l’absence de données statistiques, les
voix critiques et les perspectives les plus pessimistes n’ont pas manqué. Jesús
Lartitegui Arenaza, spécialiste en médecine du travail qui exerçait dans les mines
de fer de Biscaye, estimait à près de 100 000 le nombre de travailleurs exposés au
risque de silicose en Espagne au début des années trente. Selon lui, le problème
était particulièrement significatif dans les mines de charbon et de fer, compte
tenu de la dimension des groupes professionnels exposés d’une part, du contenu
élevé en silice des roches qui entouraient les veines de charbon dans les mines
asturiennes et du taux important de silice présent dans le minerai de fer exploité
dans le bassin minier de Biscaye d’autre part20. Juan Dantín Gallego, responsable
de l’enseignement de l’hygiène et de la sécurité du travail à l’École sociale de
Madrid21, réalise en 1936 la première estimation par province des travailleurs
exposés, signalant le nombre d’ouvriers et le volume en silice libre manipulé dans
les différentes industries à risque. Comme le montre la figure n° 1, les groupes
professionnels les plus nombreux se trouvent dans les bassins houillers des
Asturies et de la province de Léon (avec plus de 37 000 ouvriers exposés) et
dans les mines métalliques de Huelva et de Biscaye (avec des chiffres supérieurs
à 14 000 ouvriers). Toutefois, la prise en considération du taux de silice libre
comme principal facteur à risque procure une meilleure visibilité de ce problème
dans les industries céramiques avec un taux d’ouvriers malades proche de 50 %,
ou dans la petite mine d’or de Rodalquilar (province d’Almeria), unique en
Espagne, avec un taux supérieur à 75 %22.
Seule l’Inspection de la santé minière revendique alors la nécessité de
s’occuper du problème de l’anthracose. Cet organisme, rattaché à la Direction
générale de la santé, avait été créé en 1926 pour superviser les campagnes de
lutte contre l’ankylostomiase dans les bassins miniers espagnols, notamment
dans le sud et le sud-est de la péninsule. Les campagnes ont obtenu un vif
succès jusqu’au début des années trente, époque où la maladie est pratiquement
éradiquée des mines espagnoles23. La disparition de ce problème sanitaire permet
19.– V. de Andrés Bueno, « La silicosis de los mineros de carbón en España », Revista Clínica
Castellana, 1935, 2, p. 1-12.
20.– Jesús Lartitegui Arenaza, Pneumoconiosis silicóticas, Bilbao, Imprenta Docmao, 1933,
p. 50-52 ; Pneumoconiosis-silicóticas [Tesis de la Universidad Central], Madrid, 1934.
21.– L’École sociale de Madrid, créée en 1925, formait des spécialistes en relations professionnelles et fut un des établissements en Espagne à proposer un enseignement officiel sur
l’hygiène et la sécurité dans le travail.
22.– Juan Dantín Gallego, « Silicosis: Conferencia del ciclo organizado por la Asociación de
Graduados y Alumnos de la Escuela Social de Madrid, pronunciada en el Salón Azcárate,
del Ministerio de Trabajo, el día 21 de marzo de 1936 », Boletín del Ministerio de Trabajo,
Sanidad y Previsión, 1936, p. 479-485.
23.– Esteban Rodríguez Ocaña, Alfredo Menéndez-Navarro, « Higiene contra la anemia de los
La reconnaissance de la pneumoconiose en Espagne (1930-1944)
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Figure nº 1
Distribution par province des travailleurs exposés au risque de silicose (1933)
Source : Juan Dantín Gallego, « Silicosis: Conferencia del ciclo organizado por la Asociación
de Graduados y Alumnos de la Escuela Social de Madrid, pronunciada en el Salón Azcárate del
Ministerio de Trabajo, el día 21 de marzo de 1936 », Boletín del Ministerio de Trabajo, Sanidad
y Previsión, 1936, p. 479-485.
à l’Inspection d’élargir ses compétences à d’autres problèmes de santé émergeant
dans le secteur minier. En 1935, l’inspecteur Francisco Morayta Serrano réalise
une vaste étude sur l’état sanitaire des ouvriers des mines de charbon espagnoles.
Le rapport étudie la situation de 128 exploitations charbonnières réparties sur
tout le territoire, – y compris les principaux bassins houillers comme ceux des
Asturies, de la province de Léon et celui de Puertollano, situé au centre de la
péninsule – dans lesquelles sont employés 33 393 hommes et 601 femmes. Ce
rapport rassemble des données provenant d’une observation directe sur le terrain
et des informations fournies par des médecins du travail employés dans ces
exploitations. En ce qui concerne les conditions du travail au fond, l’inspecteur
souligne les fortes concentrations de poussière de charbon et de silice présentes
dans les galeries d’extraction. Bien qu’il n’apporte aucune donnée statistique,
Morayta signale une fréquence élevée de cas de silicose et d’anthracose recensés
parmi la population minière. « On pourrait presque affirmer que tout vieux
mineur était atteint par l’anthracose »24, écrit-il. En dépit du consensus médical
mineros. La lucha contra la anquilostomiasis en España (1897-1936) », Asclepio, 2006, 58
(1), p. 219-248.
24.– Francisco Morayta Serrano, Estudio sanitario de las minas de carbón en España, Madrid,
Gráfica Universal, 1936, p. 3.
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Alfredo Menéndez-Navarro
inverse, Morayta défend la conception de l’anthracose comme une maladie
professionnelle provoquée exclusivement par l’inhalation de poussière de
charbon. Il semble que cette conception soit due à sa longue expérience professionnelle dans le bassin minier de Puertollano, où il avait observé de nombreux
cas d’anthracose chez des individus ayant eu une exposition relativement courte.
La loi républicaine sur les maladies professionnelles (1936)
Les débats parlementaires précédant l’adoption de la loi sur les maladies professionnelles promulguée par le gouvernement de la Seconde République espagnole
en juillet 1936 représentent la première grande remise en question de l’innocuité
de la poussière de charbon soutenue par des experts et par le Ministère du travail.
Les premières dispositions de prévention et de soin contre la silicose sont
adoptées pendant la période républicaine et concernent seulement les mines de
plomb du sud de l’Espagne, notamment, le district de Linares-La Carolina, au
nord de la province de Jaén. C’est dans ce secteur qu’avaient été relevés au milieu
des années vingt les premiers cas de silicose, dont l’apparition fut provoquée
par l’introduction généralisée de la perforation mécanique. En 1935, est créée
la Fondation pour la lutte contre la silicose, financée partiellement par l’organisation patronale à travers le Consortium du plomb en Espagne25. La Fondation
crée à Linares en 1935 le premier centre du pays spécialisé dans la lutte contre
la silicose, jusqu’au début de 1939, année où son activité est temporairement
suspendue en raison de la Guerre civile (1936-1939). Le dispensaire s’occupe
d’un millier de mineurs et estime la prévalence de la silicose à plus de la moitié
des travailleurs du fond du district de Linares-La Carolina26.
Quoique peu important, le secteur de l’extraction de l’or a également attiré
l’attention des responsables professionnels. En 1935, la Caisse nationale d’assurance contre les accidents du travail (CNSAT) réalise une étude médicale dans
les mines de Rodalquilar (province d’Almeria), qui étaient exploitées depuis
1930 par une compagnie britannique27. L’introduction de la perforation
mécanique au début des années trente permet de quintupler la production, mais
cela favorise en même temps l’émergence soudaine du problème de la silicose,
dont l’incidence est estimée à 35 % des travailleurs du fond. Tous les haveurs
ayant cinq ans d’activité qui sont examinés présentent des signes de silicose et la
moitié d’entre eux décède cette même année28.
Bien que, dans la pratique, les mesures de prévention et de soin se soient
limitées aux mines de plomb et d’or, le débat sur la nécessité d’une loi sur les
25.– Alfredo Menéndez-Navarro, « The politics of silicosis in interwar Spain: Republican and
Francoist approaches to occupational health », Dynamis, 2008, 28, p. 77-102 (en particulier p. 89).
26.– José Leal y Leal, « El problema de la silicosis en la zona minera de Linares y La Carolina »,
Medicina (Madrid), 1943, 11, p. 375-383.
27.– Francisco Hernández Ortiz, Rodalquilar: Historia económica, Almería, GBG Editora, 2005,
p. 36.
28.– Luis Ramallal Rumbo, La silicosis en las minas de oro de Rodalquilar, [Tesis de la Universidad
Central], Madrid, 1940.
La reconnaissance de la pneumoconiose en Espagne (1930-1944)
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maladies professionnelles permet de questionner cette vision trop restrictive
du problème des pneumoconioses et, grâce aux pressions ouvrières, de reconsidérer la nocivité de la poussière de charbon. Le compromis républicain pour
améliorer les conditions de travail de la population ouvrière s’est concrétisé
dans l’approbation en 1932 d’une nouvelle loi sur les accidents dans le secteur
industriel et par l’extension de la législation compensatrice à l’activité agricole
(1931)29. En 1932, le gouvernement républicain ratifie la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) de 1925 sur la réparation des maladies
professionnelles30, ce qui contribue à stimuler le débat politique et social sur la
nécessité d’une loi spécifique en la matière. Le Conseil du travail, organisme
appartenant au Ministère du travail, implique dans le débat plusieurs acteurs
sociaux à travers une enquête31. Neuf associations patronales et corporations
industrielles, huit associations ouvrières – parmi lesquelles le syndicat majoritaire des mines de charbon des Asturies – et un particulier – Vicente de Andrés
Bueno – y répondent. Le sujet le plus controversé est l’élaboration de la liste
des maladies susceptibles d’être indemnisées. Les organisations patronales
souhaitent se restreindre à liste des maladies établie par la convention de l’OIT
de 1925 (intoxication par le plomb, le mercure et l’anthrax), tandis que, de leur
côté, les syndicats ouvriers défendent une liste beaucoup longue. Le Syndicat
minier des Asturies revendique notamment la nécessité d’y inclure les pneumoconioses, et plus particulièrement, l’anthracose32.
De fait, la victoire du Front populaire aux élections de février 1936 est déterminante pour vaincre les résistances politiques et patronales au projet de loi, qui
est présenté au Parlement en juin de la même année par le nouveau Ministère du
travail, de la santé et de la prévision33. La proposition du Ministère surpasse la
liste des maladies prévues lors de la révision de la convention sur la réparation
des maladies professionnelles que l’OIT avait établie en 1934, dans laquelle la
silicose était pour la première fois reconnue comme maladie indemnisable34. Le
projet de loi espagnol y ajoute de manière novatrice l’anthracose. Les débats parlementaires permettent l’élargissement de la liste des maladies, rendant possible
la couverture de nouvelles pathologies. À l’alinéa sur les pneumoconioses
et les industries concernées, il est inscrit : « Toute industrie ou toute activité
exposant au risque de silicose », et explicitement « les industries et les activités
29.– José Martínez Pérez, « La salud laboral en la II República: la actitud de los médicos
ante la Ley de Accidentes de Trabajo en la Industria », dans R. Huertas et R. Campos
(éds), Medicina social y clase obrera en España (siglos XIX y XX), Madrid, Fundación de
Investigaciones Marxistas, 1992, p. 349-369.
30.– Gaceta de Madrid, 18 de mayo de 1932, p. 1293-1294 ; 4 de noviembre de 1932, p. 795-796.
31.– Consejo de Trabajo, Antecedentes relativos a la reparación de las enfermedades profesionales
recogidos con motivo de la ratificación por España del Convenio internacional de Ginebra de
junio de 1925 y Proyecto de Bases para la correspondiente Ley, Madrid, Imp. Sob. De la Suc.
De M. Minuesa de los Ríos, 1934.
32.– Consejo de Trabajo, op. cit., p. 59.
33.– Gaceta de Madrid, 4 de junio de 1936, p. 2020-2021.
34.– International Labour Organisation, International Labour Conventions and Recommendations,
1919-1981, Genève, ILO, 1982, p. 662-664.
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Alfredo Menéndez-Navarro
du charbon »35. La loi est approuvée le 7 juin 1936, à peine quelques jours avant
le déclenchement de la Guerre civile, ce qui rend difficile son application36.
L’assurance contre la silicose pendant le premier franquisme
En dépit de l’image de rupture avec le passé républicain promue par le régime
franquiste et le retrait de l’Espagne de l’OIT dès 1939, les premières mesures
contre la silicose adoptées après la Guerre civile s’inscrivent sous le sceau de la
continuité. En octobre 1940, le Ministère du travail remet à l’Institut national
de prévision (INP), l’organisme chargé de gérer les assurances sociales, un projet
d’extension de l’assurance des accidents du travail incluant largement les différentes pneumoconioses. Le projet s’inspire de la Charte du travail de 1938, texte
fondamental pour comprendre la politique sociale du nouveau régime et son
choix pour les assurances sociales comme principal instrument d’encadrement
social accompagnant la répression37. Cependant, il admet comme antécédent le
texte républicain sur les maladies professionnelles. De fait, le projet comprend
une liste reconnaissant les risques provoqués par les poussières d’origine
minérale, végétale et animale, et concerne un vaste ensemble d’industries à
risque. En outre, le projet accorde une attention spéciale à la prévention, en
optant pour les moyens techniques de suppression de la poussière, l’utilisation
de masques, l’installation de lavabos et de douches dans les centres de travail et
l’établissement d’examens médicaux préventifs et périodiques. Par son caractère
novateur, le projet oblige les entreprises de plus de cent travailleurs à créer un
« service médical de reconnaissance et de prévention de la pneumoconiose »
dirigé par un médecin spécialiste. De plus, il impose aux entrepreneurs des
secteurs à risque l’obligation d’élargir l’assurance pour fournir une couverture
aux personnes souffrant de pneumoconioses38.
La commission d’experts de l’INP chargée d’évaluer le projet signale qu’il
serait opportun d’employer une conception plus restrictive de la pneumoconiose
et de réduire la liste des industries à risque. Elle exprime également de sérieuses
réserves sur l’impact qu’aurait la mise en œuvre des reconnaissances médicales,
tant par leur coût, par l’importance des moyens techniques et humains pour le
diagnostic que par les effets dérivés de la possible déclaration d’incapacité des
ouvriers. Outre le coût élevé des indemnités, cela entraînerait un problème de
« chômage forcé », compte tenu des difficultés pour reclasser dans des emplois
sans risque les malades atteints de pneumoconiose, voire même un problème
35.– Diario de las Sesiones de Cortes. Congreso de los Diputados, sesión de 19 de junio de 1936,
nº 48, p. 1529.
36.– Gaceta de Madrid, de 15 de julio de 1936, p. 515-516.
37.– Jerònia Pons-Pons, Margarita Vilar-Rodríguez, « Labour Repression and Social Justice in
Franco’s Spain: The Political Objectives of Compulsory Sickness Insurance (1942-1957) »,
Labor History, 2012, 53, p. 245-267 ; Carme Molinero, « El reclamo de la “justicia social”
en las políticas de consenso del régimen franquista », Historia Social, 2006, 56, p. 93-110.
38.– « Proyecto de extensión del Seguro de Accidentes del Trabajo a las enfermedades profesionales de Neumoconiosis y Silicosis », 19 de octubre de 1940. INGESA. Archivo Histórico
del Instituto Nacional de Previsión. Entrada AG nº23/1976.4.21.C3/23/B1. Carpeta 46,
Subcarpetilla 1, documento 5.
La reconnaissance de la pneumoconiose en Espagne (1930-1944)
141
de « haute politique sanitaire » pour faire face au traitement des personnes
affectées. Malgré l’absence de statistique fiable, la commission se rend parfaitement compte de l’ampleur du problème, qui, dans le cas de la silicose, atteint
« des chiffres réellement alarmants ». La commission propose la création d’un
système de mutualisation des industries affectées pour faire face aux indemnisations, à cause des « risques passés », comptant sur le fait que l’amélioration de
la prévention devrait atténuer ce problème à l’avenir39.
Les recommandations de l’INP sont suivies par le Ministère du travail, qui,
en mars 1941, promulgue un règlement sur la prévention et l’indemnisation
des pneumoconioses. Ce règlement intègre dans sa couverture presque toutes
les activités où les travailleurs sont exposés à la poussière minérale, y compris
le charbon, et exclut les travaux à risque d’inhalation de poussières végétales et
animales. Les prescriptions préventives et les indemnisations ne subissent aucun
changement par rapport au projet original40.
L’arrivée en mai 1941 de José Antonio Girón de Velasco (1911-1995) au
Ministère du travail modifie substantiellement l’approche du problème des
pneumoconioses en Espagne, car celui-ci favorise la dimension compensatrice au
détriment de la prévention et restreint le champ d’intervention exclusivement à
la silicose41. En septembre 1941 est promulgué le décret établissant l’assurance
contre la silicose, dont le règlement est approuvé en novembre 194242. À la
différence du règlement de mars 1941, l’assurance contre la silicose établit une
couverture extrêmement restrictive. Cette assurance devant protéger en priorité
les industries les plus affectées par ce problème s’applique seulement dans ses
débuts à trois secteurs à risque : les mines de plomb et d’or et les industries
céramiques. Les absences les plus surprenantes concernent sans nul doute les
mines de charbon et de fer. Outre son application limitée, l’assurance contribue à
rendre invisible d’autres pneumoconioses, conformément au consensus médical
en vigueur, celles-ci cédant l’exclusivité du rôle étiologique à la poussière de
silice. Ainsi, ce qui est exclu de la couverture de l’assurance n’est pas seulement
l’anthracose des mineurs, objet d’un débat médical, mais également le risque très
largement reconnu pour les haveurs perforant la roche siliceuse de contracter la
silicose. Bien que les autorités professionnelles n’aient pas ignoré ce fait, elles
espéraient cependant que les cas de silicose apparus dans les secteurs exclus de
l’assurance seraient indemnisés comme accidents du travail.
Comment l’exclusion de la silicose de l’assurance a-t-elle été reçue dans les
bassins charbonniers ? L’absence de critique dans la presse n’est pas surprenante,
sachant que celle-ci, comme tous les autres médias, est contrôlée d’une main
39.– « Propuesta a la Comisión Permanente del informe redactado por la Ponencia sobre el
proyecto de reglamentación de las enfermedades profesionales », 21 de noviembre de
1940. INGESA. Archivo Histórico del Instituto Nacional de Previsión. Entrada AG
nº23/1976.4.21.C3/23/B1. Carpeta 46, Subcarpetilla 1, documento 9.
40.– B OE, 18 de marzo de 1941, p. 1973-1875.
41.– A . Menéndez-Navarro, op. cit., p. 96-97.
42.– B OE, 7 de enero de 1942, p. 112-114 ; 20 de noviembre de 1942, p. 9404-9407.
142
Alfredo Menéndez-Navarro
de fer par le régime franquiste43. La Nueva España, journal publié à Oviedo
depuis décembre 1936 par l’organisation fasciste de la Phalange, approuve le
règlement de mars 1941 et la création quelques mois plus tard de l’assurance
contre la silicose, en les présentant comme un exemple de plus de la bienveillance et des préoccupations sociales du régime44. Le journal fournit également
une information sur l’ampleur du problème en Espagne. Malgré l’exclusion de
ces secteurs de l’assurance, certaines informations soulignent l’incidence du
problème dans le secteur du charbon, désignant les mineurs de charbon et de
plomb comme les groupes les plus exposés après les travailleurs du granit45.
Certaines associations locales asturiennes du syndicat unique, ce qu’on
appelle alors le syndicat vertical, réalisent alors des actions de protestation plus
rhétoriques qu’effectives. La délégation régionale des Syndicats de Sama de
Langreo, dans les Asturies, élabore, quelques semaines après l’entrée en vigueur
de l’assurance contre la silicose, une circulaire envoyée aux entreprises du secteur
dans laquelle elle exprime son rejet total de l’assurance à cause de l’exclusion
des mines de charbon. S’appuyant sur la loi républicaine relative aux maladies
professionnelles, la circulaire revendique la nécessité de fournir une couverture
aux mineurs de charbon atteints de silicose et de nystagmus, et indique comment
gérer les cas des personnes affectées dans les entreprises46.
Au sein du corps médical apparaissent également quelques critiques contre la
législation sur la silicose. Les phtisiologues de Bilbao, Silvano Izquierdo Laguna
et Eusebio García Sanz, tous deux forts d’une longue expérience dans l’étude
de la silicose dans le bassin minier de Biscaye, signalent l’erreur que suppose la
restriction de la couverture de l’assurance, qui permet aux entreprises à risque
non inscrites d’échapper à toute mesure de prévention et de vigilance sanitaire47.
Leur déception est compréhensible, étant donné qu’ils se consacrent à l’étude du
problème de la silicose en Biscaye pour le compte de la Confédération nationale
des syndicats (CNS). Les premiers résultats de leur étude, constituée par l’examen
de 3 000 mineurs, sont publiés en février 194248. Ils montrent que le taux moyen
de prévalence de silicose observé, qui s’élève à 3,23 %, est sous-estimé, puisque
seuls les mineurs en activité ont été examinés sans tenir compte des travailleurs
retraités du secteur. En outre la plupart de ces mineurs (presque 85 %) sont
employés dans des exploitations à ciel ouvert. Le taux enregistré parmi les mineurs
de fond, qui représentent seulement 3,4 % des ouvriers examinés, oscille entre
11,1 % et 50 %, selon la période d’exposition49. Après la publication des résultats
43.– Francisco Sevillano Calero, Propaganda y Medios de Comunicación en el Franquismo (19361951), Alicante, Publicaciones de la Universidad de Alicante, 1998, p. 77-95.
44.– La Nueva España, 19 de marzo de 1941, p. 4 ; 28 de marzo de 1942, p. 1 ; 18 de septiembre
de 1942, p. 12.
45.– La Nueva España, 22 de septiembre de 1942, p. 4.
46.– « Circular de la Central Nacional-Sindicalista, Delegación Comarcal de Sama de Langreo,
29 de enero de 1943 ». Archivo Histórico Hunosa, SMDF 7.2.0.16 C/746.1.
47.– Silvano Izquierdo Laguna, Eusebio García Sainz, Silicosis, Bilbao, Imprenta Editorial
Moderna, 1945, p. 229.
48.– S ilvano Izquierdo Laguna, Eusebio García Sainz, « La silicosis entre los mineros de
Vizcaya », Revista Española de Tuberculosis, 1942, 11 (83), p. 71-87.
49.– Ibid., p. 81. L’étude est prolongée jusqu’en 1944, ce qui correspond à un nombre total de
La reconnaissance de la pneumoconiose en Espagne (1930-1944)
143
provisoires de l’étude, la CNS de Biscaye les diffuse dans le quotidien de Bilbao,
Hierro, comme parfait exemple des « progrès de la révolution nationale-syndicaliste » et comme une nette contribution au bien-être des « producteurs »,
euphémisme du régime pour désigner les travailleurs. La Nueva España s’en fait
également l’écho et annonce l’imminente extension de l’assurance, sans établir
cependant aucune relation avec la situation problématique des bassins miniers
des Asturies50. Comme les phtisiologues le signalent eux-mêmes en 1945, malgré
les promesses et la propagande de l’État, les mines de fer n’ont toujours pas été
incluses dans l’assurance contre la silicose51.
Autarcie et propagande : l’inclusion des mines de charbon
dans l’assurance contre la silicose (1943-1944)
Les mines de charbon, secteur-clé pour le régime dans le panorama énergétique
de la période autarcique, ont connu un bien meilleur sort que les mines de fer.
La décision de leur inclusion dans l’assurance est adoptée après avoir effectué
l’étude médicale sur plus de 10 % des mineurs asturiens, étude que le Ministre
du travail confie à la CNSAT en juin 1943, à peine six mois après l’entrée en
vigueur de l’assurance contre la silicose52. L’étude est conçue en deux phases.
D’abord, une première reconnaissance essentiellement clinique permet d’identifier les travailleurs souffrant de maladies broncho-pulmonaires. Puis, lors d’une
deuxième reconnaissance exhaustive dirigée par des spécialistes en médecine du
travail et en maladies respiratoires, ils sont soumis à un examen radiographique
et à des analyses cliniques53.
Les reconnaissances sont effectuées tout au long du deuxième semestre 1943,
ce qui entraîne un déploiement considérable de médecins. En plus des membres
du personnel médical de la CNSAT envoyés aux Asturies, on engage sur place
66 médecins. Il s’agit de personnel médical qui a déjà collaboré avec la CNSAT
ou qui a été employé dans les entreprises minières, ou bien des médecins exerçant
dans des localités avec une concentration élevée de population minière54. À
l’origine, 3 233 mineurs sont examinés, soit presque 10 % des travailleurs du
secteur qui sont, selon les chiffres établis par la Direction générale des mines,
au nombre de 34 733 ouvriers. Près de la moitié des ouvriers sélectionnés, soit
travailleurs examinés de 5 030 : 3 260 mineurs de fer et 1 410 ouvriers employés dans des
industries à risque comme la céramique, la métallurgie et les industries du ciment et de
l’amiante. Les taux de prévalence de silicose détectés chez les mineurs ne montrent aucune
différence avec ceux de l’étude provisoire. S. Izquierdo Laguna, E. García Sainz (1945),
op. cit. p. 199-202.
50.– La Nueva España, 5 de marzo de 1943, p. 4 ; 16 marzo de 1943, p. 6 ; 17 de marzo de 1943,
p. 6.
51.– S. Izquierdo Laguna, E. García Sainz (1945), op. cit., p. 232.
52.– B OE, 24 de junio de 1943, p. 6130.
53.– « Propuesta a la Comisión Permanente sobre habilitación de un Crédito para gastos de
reconocimiento de presuntos silicóticos en las minas de carbón de Asturias », 7 de julio
de 1943. INGESA. Archivo Histórico del Instituto Nacional de Previsión. Entrada AG
nº23/1976.4.21.C3/23/B1, Carpeta 46, Subcarpetilla 5, documento 3.
54.– Caja Nacional del Seguro de Accidentes del Trabajo, Memoria y balance técnico general, año
1943, Madrid, INP, mecanografiado.
144
Alfredo Menéndez-Navarro
1 545 travailleurs, sont des haveurs, c’est-à-dire les travailleurs potentiellement les plus exposés. Le reste est composé par 591 piqueurs (18 % du total),
486 boiseurs (15 %), 332 rouleurs (10 %) et 279 travailleurs du jour (8 %).
Pour chaque groupe professionnel, les travailleurs sont sélectionnés en fonction
de leur durée d’activité dans le secteur : 50 % des ouvriers avec plus de 10 ans
d’activité, 30 % entre 5 et 10 ans et 20 % avec moins de 5 ans d’activité. Après
les études initiales sont réalisés des examens approfondis sur les ouvriers ayant
des signes de pathologie broncho-pulmonaire. Cette deuxième reconnaissance
est dirigée par deux équipes se réduisant au personnel médical de la CNSAT afin
d’appliquer des critères d’évaluation homogènes55.
Les résultats préliminaires de l’étude confirment l’existence d’un taux de
maladie élevé chez les mineurs asturiens, ce dont les dirigeants de la CNSAT
étaient convaincus. En revanche, le niveau élevé de prévalence enregistré chez les
piqueurs (en théorie, un groupe uniquement exposé à la poussière de charbon)
constitue une vraie surprise pour les responsables de l’étude. Il est donc décidé de
soumettre un nouvel échantillon d’environ mille piqueurs à une étude réalisée
par des équipes spécialisées : 1 021 nouveaux piqueurs sont examinés, tous se
consacrant à cette activité depuis plus de 10 ans. Le nombre final d’ouvriers
examinés s’élève par conséquent à 4 254.
Dans le tableau n° 1, nous reproduisons les résultats du rapport, dans lequel les
piqueurs présentent des taux de prévalence de silicose supérieurs aux haveurs.56
Tableau nº1
Prévalence de la silicose dans l’étude médicale des mines asturiennes (CNSAT,
1943)
PROFESSIONS Total
Total
Silicose
travailleurs Négatifs I
II
examinés
Haveurs
Rouleurs
Piqueurs
Boiseurs
Autres ouvriers
du fond
Ouvriers du
jour
Totaux
III
1 545
332
1 612
486
176
983
315
963
348
118
331
13
417
91
37
Silicotuberculose
164 30 37
4
0
0
187 21 24
46 0
1
18 0
3
103
103
0
0
4 254
2 830
889
419 51 65
0
0
Total positifs
%
562
17
649
138
58
36,3
5,2
36,8
28,3
32,9
0
1 424
Source : « Informe de la CNSAT al Director General de Previsión sobre la “Silicosis” en las minas
de carbón de Asturias », Madrid, 24 de enero de 1944. INGESA. Archivo Histórico del Instituto
Nacional de Previsión. Entrada AG nº 23/1976.4.21.C3/23/B1. Carpeta 46, Subcarpetilla 5,
documento 6.
55.– « Informe de la CNSAT al Director General de Previsión sobre la “Silicosis” en las minas
de carbón de Asturias », Madrid, 24 de enero de 1944. INGESA. Archivo Histórico del
Instituto Nacional de Previsión. Entrada AG nº 23/1976.4.21.C3/23/B1. Carpeta 46,
Subcarpetilla 5, documento 6.
56.– Les ouvriers atteints de silicose sont classés selon le stade de développement de la maladie.
145
La reconnaissance de la pneumoconiose en Espagne (1930-1944)
Le directeur de la CNSAT justifie ces taux de maladie inattendus chez
les piqueurs par le fait que les ouvriers de cette catégorie examinés lors de la
deuxième étude médicale ont une longue durée d’activité dans la mine57. Étant
donné que la concentration de poussière n’a pas été mesurée dans les espaces de
production et que les parcours professionnels des ouvriers examinés font état
de plusieurs types d’emplois dans plus de la moitié des cas, le principal facteur
explicatif des taux d’incidence est la durée d’exposition. Dans le tableau n° 2,
nous montrons les taux de prévalence selon le nombre d’années d’exposition,
qui apparaissent clairement corrélés.
Tableau nº2
Taux des ouvriers silicosés dans les mines asturiennes selon le nombre d’années
d’exposition (CNSAT, 1943)
NOMBRE
D’ANNÉES
DE TRAVAIL
< 1 an
1 à 5 ans
6 à 10 ans
11 à 15
ans
16 à 20
ans
21 à 25
ans
26 à 30
ans
Plus de 30
ans
Totaux
Total travailleurs
Silicose
examinés
Total
Négatifs I
%
II
III
103
711
354
470
2,4
16,7
8,3
1,04
103
708
335
414
0
2
18
36
0
1
1
17
606
14,2
432
622
14,6
685
703
4 254
Total positifs
0
0
0
0
SilicoTuberculose
0
0
0
3
%
0
3
19
56
0,4
5,3
11,9
134 35
0
5
174
28,7
318
205 77
12 10
304
48,8
16,1
290
243 126 8
18
395
57,6
16,5
230
251 162 31 29
473
67,2
2 830
889 419 51 65
1 424
Source : « Informe de la CNSAT al Director General de Previsión sobre la “Silicosis” en las minas
de carbón de Asturias », Madrid, 24 de enero de 1944. INGESA. Archivo Histórico del Instituto
Nacional de Previsión. Entrada AG nº 23/1976.4.21.C3/23/B1. Carpeta 46, Subcarpetilla 5,
documento 6.
L’étude montre que le taux de prévalence de la silicose enregistré parmi les
haveurs est de 36,3 %. Il est particulièrement problématique de déterminer
la durée d’exposition dans ce métier, puisque seulement 49 % des haveurs
examinés se sont exclusivement consacrés à cette activité pendant toute la durée
de leur vie professionnelle. Dans ce groupe, la durée d’exposition moyenne pour
l’apparition de la silicose de premier degré est estimée à une période de 10 à
11 ans. Après 30 ans d’exposition, 78,3 % des haveurs souffrent de la maladie.
Les résultats obtenus pour les piqueurs diffèrent à peine. Pour le nombre total
des piqueurs examinés, le taux de prévalence s’élève à 36,8 %. Parmi le deuxième
57.– « Informe de la CNSAT al Director General de Previsión sobre la “Silicosis”… », op. cit.
146
Alfredo Menéndez-Navarro
groupe de piqueurs examinés dans l’étude, avec une durée d’activité dans le
secteur entre 12 et 15 ans, ce taux s’élève à 54,1 %. Après 30 ans d’activité professionnelle, 66,6 % des piqueurs examinés souffraient de silicose, face à 78,3 %
parmi les haveurs. En conséquence, le directeur de la CNSAT conclue :
[…] en ce qui concerne la silicose, il peut être établi que la profession de
piqueur de charbon est, après celle de haveur, la plus dangereuse, vu que
le taux des travailleurs silicosés est très proche de celui des haveurs, bien
que le temps d’exposition nécessaire pour être atteint de la maladie soit
légèrement supérieur58.
Quoiqu’évidente, l’incidence élevée de pneumoconiose chez les piqueurs n’a
pas provoqué de remise en question du consensus médical sur l’innocuité de la
poussière de charbon. Le directeur du CNSAT fait en effet porter la responsabilité de ces résultats surprenants aux caractéristiques géologiques des bassins
miniers des Asturies. L’étroitesse des veines de charbon et leur inclusion entre les
roches sablonneuses et l’ardoise expliquent, selon lui, que l’activité des piqueurs
se déploie rarement de manière exclusive sur du charbon pur. Quoi qu’il en soit,
le rapport conclut qu’il existe des risques de silicose dans toutes les activités du
fond, et compte tenu de l’ampleur du problème, recommande sans ambages
l’inclusion des mines de charbon dans le système d’assurance. Le rapport signale
également le manque de vigilance des entreprises pour réduire les concentrations
de poussières dans les chantiers. Pour finir, il préconise la mise en place d’équipes
spécialisées de radiologues, pneumologues, analystes et inspecteurs médicaux
pour mener à bien les activités de diagnostic, d’assistance, de recherche et de
prévention59.
Ce rapport a un effet immédiat : le 26 janvier 1944, deux jours après son
envoi au Ministère, Girón de Velasco signe l’ordonnance par laquelle les entreprises minières de charbon sont désormais incluses dans l’assurance obligatoire contre la silicose, avec effet (rétroactif ) au 1er janvier de la même année.
L’ordonnance comprend l’obligation de réaliser dans les trois mois suivants
l’étude médicale initiale de tous les ouvriers du secteur et autorise l’assurance à
désigner les cliniques et les dispensaires pouvant collaborer à cette tâche. Il est
également établi une période de trois mois pendant laquelle les mineurs silicosés
– ou leurs descendants en cas de décès – peuvent demander les indemnités
correspondantes, selon le principe de rétroactivité de l’assurance60.
L’inclusion des mines de charbon dans l’assurance, comme la réalisation de
l’étude médicale elle-même, ont bénéficié d’une ample couverture par la presse
asturienne. Pendant le second semestre 1943 et en particulier pendant les jours
qui précèdent l’extension de l’assurance aux mines de charbon en janvier 1944,
La Nueva España consacre 16 articles à la silicose. Les articles insistent sur la
58.– Ibid.
59.– Ibid.
60.– B OE, 2 de febrero de 1944, p. 938-940.
La reconnaissance de la pneumoconiose en Espagne (1930-1944)
147
présentation de ces mesures comme preuve des préoccupations sociales du régime
et du Ministère du travail, en plus de forcer les possibles réticences patronales61.
Cette opération de propagande et de diffusion au sein de la population
ouvrière et du patronat minier est complétée par ce qu’on intitule la « Semaine
de la silicose ». Celle-ci consiste en un cycle de conférences et de projections
organisé par le Ministère du travail en septembre 1943 dans plusieurs localités des
bassins miniers asturiens et bénéficie de la couverture médiatique du quotidien
La Nueva España. Les conférences données par des experts de la CNSAT sont
complétées par la projection du court-métrage de vulgarisation Silicosis, produit
par la Délégation nationale de la Santé et tourné dans les mines de plomb de
Linares62.
L’appareil de propagande du régime est donc mis en œuvre avec le plus grand
soin. L’adhésion « inébranlable » au chef de l’État des mineurs asturiens, –
une communauté qui s’est pourtant montrée terriblement combative contre le
régime franquiste – et les « marques de gratitude » pour la « protection croissante des travailleurs » font en novembre et décembre 1943 les gros titres des
journaux63. La presse justifie l’exclusion initiale des mines de charbon à cause
de l’urgence du problème dans les mines de plomb et insiste spécialement sur
l’application « révolutionnaire » du principe de rétroactivité, qui permet de
compenser les travailleurs déjà retraités au moment de la publication de l’ordonnance ministérielle64.
La mise en scène publique de l’adhésion des mineurs asturiens à la politique
sociale du Ministère du travail atteint son apothéose à la mi-juin 1944, lorsque
Girón de Velasco réalise une visite « triomphale » dans le bassin minier des
Asturies, l’événement central ayant lieu à Mieres le 18 juin. Près de trois semaines
avant, Girón s’était offert un autre bain de foule à Linares où, selon la presse, la
médaille d’or de la mine lui avait été remise devant plus de 10 000 mineurs. La
visite comprenait un bref séjour dans un dispensaire de silicose, créé en 1935, et
une inspection de l’endroit où devrait être édifié le futur hôpital pour silicosés,
dont la construction avait été annoncée lors de la visite de Franco dans cette région
minière en mai 194365. L’événement de Mieres bénéficie d’une large couverture
médiatique de la part des journaux, lesquels soulignent la « grandeur » de l’événement, avec une assistance estimée à « plus de 70 000 âmes » marquée par la
« ferveur nationale-syndicaliste » ambiante. Le discours aborde les difficultés
croissantes d’approvisionnement du pays en charbon et l’obligation d’augmenter
61.– La Nueva España, 9 de julio de 1943, p. 3 ; 15 de agosto de 1943, p. 5 ; 21 de agosto de 1943,
p. 3 ; 7 de septiembre de 1943, p. 8 ; 8 de septiembre de 1943, p. 8.
62.– La Nueva España, 12 de septiembre de 1943, p. 5 ; 15 de septiembre de 1943, p. 2 ; 16 de
septiembre de 1943, p. 4 ; 18 de septiembre de 1943, p. 4. Le déroulement de la « Semaine
de la silicose » bénéficie également de la couverture d’autres journaux de la région comme
Voluntad, quotidien de la Phalange espagnole publié à Gijón. Voluntad, 12 de septiembre
de 1943, p. 5, 7 ; 14 de septiembre de 1943, p. 4.
63.– La Nueva España, 16 de noviembre de 1943 ; 14 de diciembre de 1943, p. 1, 7 ; La Vanguardia
Española, 14 de diciembre de 1943, p. 1.
64.– La Nueva España, 8 de febrero de 1944, p. 6 ; 10 de febrero de 1944, p. 7.
65.– La Nueva España, 16 de mayo de 1944, p. 1.
148
Alfredo Menéndez-Navarro
la journée de travail, mesure récemment adoptée. Tout cela n’est qu’une mise
en scène de l’approbation des travailleurs aux nouvelles exigences du moment66.
Outre la presse écrite, le meilleur instrument de propagande a été le NO-DO,
programme d’actualités et de documentaires diffusé obligatoirement dans
toutes les salles de cinéma67. L’événement de Mieres est inscrit au programme
des actualités, dans lesquelles le Ministre du travail remet d’abord à des ouvriers
des titres de propriété de logements protégés dans la localité asturienne d’Avilés.
Selon le commentaire en voix off du NO-DO, cette remise de titres est la preuve
qu’on continue « l’œuvre efficace de la reconstruction espagnole ». La séquence
suivante présente l’arrivée du ministre à Mieres, avec une profusion de saluts
fascistes pour ensuite montrer la grande tribune, entourée de drapeaux espagnols
et, au fond, devant la cheminée d’un puits de mine, un immense portrait de
Franco. Le narrateur évoque l’allocution de Girón de Velasco « devant une
assistance de soixante-dix mille producteurs ». Dans la séquence suivante, la
caméra étant placée derrière l’orateur, le plan exalte la grandeur de l’événement
avec la participation enthousiaste du public68.
Le NO-DO assure de nouveau la couverture de la visite de Franco dans les
Asturies en 1946, avec deux films d’actualité dans lesquels la question minière
fait l’objet d’un traitement spécifique. Le premier relate la visite du chef de l’État
à Oviedo où Franco, accompagné par Girón de Velasco, prononce un discours
devant « 70 000 producteurs »69. Le second fait part de la tournée réalisée par
Franco dans différents villages des bassins miniers, ainsi que dans les villes de
Gijón et Léon. Le film d’actualité insiste sur la représentation de l’adhésion
de la population minière au nouveau régime et montre de nombreux plans de
cheminées fumantes, preuves flagrantes de la renaissance industrielle espagnole.
Le commentaire du narrateur annonce même que l’avenir de l’Espagne est
« fondé sur l’unité des masses travailleuses »70. Une union difficile à obtenir
sans le ciment des politiques sociales du régime qui, avec l’assurance contre la
silicose, a rencontré le moyen propice pour les mettre en scène.
66.– Voluntad, 20 de junio de 1944, p. 1, 3, 5 ; La Vanguardia Española, 20 de junio de 1944,
p. 5. L’ampleur de l’assistance à l’événement est un sujet de polémique. Le 21 octobre de
cette même année, Voluntad qualifie de « mensonges » les nouvelles diffusées par Radio
Toulouse, qui estimait le nombre des personnes présentes à un millier « bien que les autorités leur aient offert un repas et les aient obligés de venir sous la menace de leurs pistolets »
(p. 1).
67.– Rosa M. Medina-Doménech, Alfredo Menéndez-Navarro, « Cinematic representations of
medical technologies in the Spanish official newsreel, 1943-1970 », Public Understanding
of Science, 2005, 14, p. 393-408.
68.– Filmoteca Española, NO-DO, 79-B, 1944, disponible en ligne : http://www.rtve.es/
filmoteca/no-do/not-79/1465413/ (consulté le 21 février 2014).
69.– Filmoteca Española, NO-DO, 177-B, 1946, disponible en ligne : http://www.rtve.es/
filmoteca/no-do/not-177/1467255/ (consulté le 21 février 2014).
70.– Filmoteca Nacional, NO-DO, 178-A, 1946, disponible en ligne : http://www.rtve.es/
filmoteca/no-do/not-178/1467260/ (consulté le 21 février 2014).
La reconnaissance de la pneumoconiose en Espagne (1930-1944)
149
À titre d’épilogue
Bien qu’il s’agisse d’une étude médicale d’une portée similaire à celles réalisées
à la fin des années trente dans d’autres pays disposant d’importants bassins
miniers, l’étude médicale sur les mineurs des Asturies possède deux traits caractéristiques. En premier lieu, les mineurs espagnols ont à peine participé à la
genèse de l’étude, ce qui s’oppose au rôle-clé joué par les mouvements syndicaux
dans d’autres pays71. Quant au patronat charbonnier, il n’a pas non plus exercé
d’opposition comme cela arriva dans d’autres cas72. Le Ministère du travail
franquiste a cherché à réaliser cette étude selon la vision d’un état-providence
tutélaire. Le potentiel de propagande contenu dans la mesure a largement
compensé son impact économique, celui-ci étant minimisé par l’application
restrictive de l’assurance73.
Enfin, le Ministère du travail espagnol ne s’est pas impliqué dans le débat
sur la nature de la maladie, débat mené par d’autres administrations nationales, comme celle du Royaume-Uni. De fait, l’étude a bénéficié d’une faible
diffusion publique, celle-ci se réduisant à un bref résumé dans une publication
officielle74. Loin de remettre en question l’innocuité de la poussière de charbon,
les autorités professionnelles ont continué d’affirmer que la cause de l’apparition
de la maladie était la poussière de silice. Elles ont persisté à maintenir l’appellation de « silicose » pour se référer à la fibrose pulmonaire détectée chez les
mineurs de charbon, y compris pour ceux qui étaient peu ou pas exposés à la
poussière de silice. Cette position est demeurée inchangée, même après la publication des rapports du Medical Research Council britannique ou du Bureau de la
santé publique américain qui ont donné lieu à la reconnaissance internationale
de la pneumoconiose des mineurs de charbon75.
71.– Le cas le mieux étudié est celui du Pays de Galles, où la puissante South Wales Miners’
Federation a obtenu que les bénéfices de l’assurance contre la silicose soient étendus à tous
les travailleurs du fond dans les mines de charbon au milieu des années trente. La réalisation de nombreuses études médicales à des fins diagnostiques et la reconnaissance de
nombreux malades à indemniser ont permis d’apporter la preuve que la plupart des cas
de silicose provenaient des bassins miniers du sud du pays et qu’un grand nombre de ces
travailleurs n’avaient jamais travaillé la roche, ce qui entraîna la réalisation de plusieurs
études à grande échelle. A. McIvor, R. Johnston, op. cit., p. 74. L’action syndicale fut aussi
un élément-clé dans l’étude médicale réalisée par le Bureau de la santé publique américaine
en 1933 chez les mineurs de Pennsylvanie. A. Derickson, op. cit, p. 87-97.
72.– E . Geerkens, op. cit., p. 128-129, 132-133 ; J.-C. Devinck, P.-A. Rosental, op. cit., p. 109-117.
73.– A . Menéndez-Navarro, op. cit., p. 77-102.
74.– « Silicosis. Extensión del seguro a las empresas mineras del carbón », Boletín de Información
del INP, 1944, nº 2, p. 188-190.
75.– José García Cosío, Joaquín Pumarino Alonso, Silicosis, Barcelona, Ed. Científico Médica,
1946, p. 11.