La Cour d`appel du Québec reconnaît certains pouvoirs

Transcription

La Cour d`appel du Québec reconnaît certains pouvoirs
Page 1
août 2014
Bulletin de Immobilier Commercial
La Cour d’appel du Québec
reconnaît certains pouvoirs des
municipalités en matière
d’emplacement de tours de
radiocommunication
Le 30 mai 2014, la Cour d'appel du Québec a rendu un jugement
concernant plusieurs appels d'une décision rendue par la Cour
supérieure le 2 juillet 2013. Ce faisant, la Cour d'appel a conclu que
la Ville de Châteauguay avait agi conformément à ses pouvoirs lors
de l’émission d’un avis de réserve foncière qui avait dans les faits
empêché Rogers d'installer une tour de radiocommunication à une
adresse spécifique pour laquelle Industrie Canada avait accordé son
autorisation, alors que celle-ci permettait également la construction
sur un site alternatif.
Faits
Rogers Communications Inc. (« Rogers ») est une société
canadienne qui contrôle et gère un réseau de communications sans
fil. À l’automne 2007, Rogers a entrepris une étude de la région de
Châteauguay en vue de trouver des sites propices à l'installation
d'une nouvelle tour de communications sans fil, afin de combler des
lacunes dans la couverture de son réseau. En décembre 2007,
Rogers a négocié un bail avec le propriétaire de la propriété sise au
411 St-Francis pour l'installation d'une tour.
En mars 2008, Rogers a informé la Ville de Châteauguay de son
intention d’installer une nouvelle tour au 411 St-Francis, un
processus qui nécessite une consultation publique de 120 jours tel
qu’indiqué dans la circulaire d'Industrie Canada. Rogers a également
publié un avis dans un journal local et a envoyé une lettre à chaque
McMillan LLP  Vancouver  Calgary  Toronto  Ottawa  Montréal  Hong Kong  mcmillan.ca
résident et propriétaire d’immeuble dans une aire désignée
entourant le projet de tour.
Le 28 avril 2008, Châteauguay a informé Rogers qu'elle s'opposait à
ce projet, en donnant comme motifs la non-conformité à la
réglementation applicable en matière de zonage, le manque
d’esthétisme des installations et les craintes pour la sécurité et la
santé des résidents. Châteauguay a proposé que Rogers ajoute une
nouvelle tour à une installation existante, augmente la puissance
d’une de ses tours existantes ou construise sa nouvelle tour à un
autre endroit, soit sur la propriété située au 50 Industriel. Rogers a
répondu le 28 août 2008 en faisant valoir que les sites existants
étaient insuffisants et que le 50 Industriel n'était pas disponible.
Rogers a confirmé à la Ville de Châteauguay que la tour serait
conforme aux normes de Santé Canada en matière de limites
d'exposition aux champs électromagnétiques en vertu du Code de
sécurité 61. Châteauguay, tout en réitérant son désaccord avec
Rogers, a délivré un permis pour la construction au 411 St-Francis
en février 2009.
Suite à une pétition de citoyens de Châteauguay, de nouvelles
consultations et diverses discussions ont eu lieu en septembre 2009,
après quoi Industrie Canada a informé Châteauguay et Rogers que
la consultation publique avait été achevée à sa satisfaction et que le
projet n'aurait pas d'impact négatif sur l'environnement. Industrie
Canada a également mentionné, cependant, qu'elle préférait que
Châteauguay et Rogers coopèrent pour s’entendre sur un site, et ne
rendrait pas de décision finale sur le dossier jusqu'à ce que
Châteauguay ait eu l'occasion de trouver un site alternatif.
Rogers et Châteauguay ont tenté de trouver un site alternatif et ont
finalement opté pour le 50 Industriel. Les propriétaires du terrain
étaient en négociations pour le vendre lorsque Rogers et
Châteauguay les ont approchés. Les propriétaires ont alors
manifesté peu d'intérêt à faire affaire avec Rogers, faisant dès lors
du 411 St-Francis la seule alternative. Il convient de noter que tant
le 50 Industriel que le 411 St-Francis étaient situés dans l’aire de
recherche désignée par Rogers afin d'ériger sa nouvelle tour.
Rogers a accepté de prendre en considération le site alternatif au 50
Industriel à la condition que Châteauguay puisse compléter une
acquisition (par voie d'expropriation ou de gré à gré) dans les 60
jours suivant le 15 décembre 2009. Châteauguay a par la suite
adopté une résolution pour exproprier le site, mais, dans l'intervalle,
une dénommée Christine White avait acquis la propriété.
Châteauguay a procédé à l'expropriation, publiant l'avis au registre
1
Voir « Code de sécurité 6 : Lignes directrices de Santé Canada sur l'exposition aux radiofréquences », en ligne :
< http://www.hc-sc.gc.ca/ewh-semt/pubs/radiation/radio_guide-lignes_direct/index-fra.php >.
McMillan LLP  mcmillan.ca
foncier le 17 février 2010, soit après l’expiration du délai de 60
jours alloué par Rogers.
Le 8 mars 2010, Mme White a déposé une requête contestant l'avis
d'expropriation de la Ville de Châteauguay.
Après plusieurs mois et de nombreuses discussions entre Industrie
Canada, Châteauguay et Rogers, Industrie Canada a accordé à
Rogers la permission de procéder à l'installation d'une nouvelle tour
au 411 St-Francis, et Rogers a avisé Châteauguay de son intention
d’aller de l’avant avec ce projet.
Châteauguay a réitéré ses demandes auprès de Rogers afin que
cette dernière installe sa nouvelle tour au 50 Industriel, dans
l'éventualité où l'expropriation s'avérerait être valide. Châteauguay
s’était engagée à ne pas contester l'installation de Rogers au 411
St-Francis dans le cas où la municipalité perdait face à la
contestation de Mme White. Rogers a rejeté l'offre de Châteauguay
et le 12 octobre 2010, Châteauguay a signifié un avis de réserve
foncière pour le 411 St-Francis. Le 27 octobre 2010, Rogers a
déposé une requête pour contester l'avis. L'avis a été reconduit le 2
octobre 2012.
Décision de première instance
Se fondant sur l’arrêt Spraytech2, la juge du procès a conclu que
Châteauguay avait exercé son pouvoir d’expropriation au 50
Industriel en vue de protéger le bien-être de ses citoyens, et ne
l’avait pas exercé de manière abusive ni en vue de favoriser les
intérêts d’une entreprise privée. Le tribunal a également conclu que
l'expropriation avait une fin, car le refus de l'offre de construire au
50 Industriel par Rogers n'était pas définitif.
La juge conclut également que les gestes de Châteauguay n’avaient
pas non plus empiété sur les pouvoirs fédéraux, puisqu’il n’existait
pas d’obligation pour Rogers d’utiliser le 50 Industriel.
Cependant, tout en reconnaissant le droit de Châteauguay en vertu
de la Loi sur les cités et villes3 de prendre possession d’immeubles à
des fins de création d'une réserve foncière, la juge a conclu que
Châteauguay avait agi de mauvaise foi dans le cas du 411 StFrancis, car son seul but était d'empêcher Rogers de construire une
tour. Par conséquent, le tribunal a déterminé que la réserve prise
par Châteauguay pour le 411 St-Francis était nulle.
2
114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d'arrosage) c. Hudson (Town), 2001 CSC 40 [« Spraytech »].
3
Loi sur les cités et villes, LRQ c C-19.
McMillan LLP  mcmillan.ca
Les trois parties ont porté la décision en appel.
L’appel
Rogers soutenait que les avis d'expropriation et de réserve étaient
inconstitutionnels et que la juge de première instance avait commis
une erreur en permettant la preuve d'expert sur la sécurité des
champs électromagnétiques. À l'inverse, Châteauguay faisait valoir
que la juge avait commis une erreur en concluant que Châteauguay
avait agi de mauvaise foi et abusé de son pouvoir. Enfin, Mme White
a demandé à la Cour de déterminer si l'ordonnance d'expropriation
du 50 Industriel était sans objet, considérant que Rogers ne
souhaitait désormais plus installer sa tour à cet endroit.
Bref, la Cour devait déterminer si la municipalité avait le droit de
prendre des mesures, dans les circonstances particulières de
l’espèce, afin d'influencer l'emplacement de la tour dans l’aire
désignée déterminée par Rogers.
Les questions d’ordre constitutionnel
(a) Caractère véritable
La Cour a noté que la question constitutionnelle consistait à savoir si
le caractère véritable des avis d'expropriation et de réserve de
Châteauguay, examinés ensemble, étaient ultra vires, car empiétant
sur le pouvoir fédéral en matière de radiocommunication. À cette
fin, la question était de savoir si Châteauguay avait agi au service
de fins municipales légitimes.
La Cour d'appel a invoqué l'application des doctrines
constitutionnelles soulevées par la Cour suprême du Canada dans
l’arrêt Banque canadienne de l'Ouest4, notant le fait que la Cour
favorise les doctrines du caractère véritable, du double aspect et de
la prépondérance fédérale à la notion d’exclusivité des
compétences. La Cour d'appel a également utilisé le concept du
fédéralisme coopératif entériné aux termes de l’arrêt PHS
Community Services5, indiquant que la tendance moderne consiste
à chercher un juste équilibre entre les deux ordres de
gouvernement.
La Cour a observé que l'expropriation du 50 Industriel par
Châteauguay, un site de moindre impact pour les installations de
Rogers, était motivée par des objectifs de protection du bien-être
des citoyens et d'organisation harmonieuse du territoire municipal.
La Cour a également noté qu'il s'agissait de deux objectifs
4
Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22 [« Canadian Western Bank »].
5
Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44 [« PHS Community Services »].
McMillan LLP  mcmillan.ca
municipaux légitimes, partageant l'avis de la juge de première
instance à l’effet que le pouvoir d'expropriation puisse être exercé
par une municipalité au service du bien-être des citoyens. En
l'espèce, la municipalité n'avait pu trouver de preuves concluantes
démontrant l'innocuité des champs électromagnétiques générés par
l'équipement de Rogers. Afin de répondre aux préoccupations des
citoyens concernant leur santé, que ces préoccupations aient été
fondées ou non, Châteauguay avait le droit de mettre fin à une
controverse qui était source de malaise en expropriant le 50
Industriel.
La Cour a cependant infirmé les propos de la juge du procès quant à
la conclusion de mauvaise foi de la Ville de Châteauguay lors de
l’émission de l'avis de réserve. La Cour a noté que la juge de
première instance avait elle-même reconnu que l'objectif recherché
par Châteauguay en imposant l'avis de réserve était le bien-être des
citoyens, ce qui constitue une fin municipale légitime. Sans cet avis,
tous les efforts déployés par Châteauguay pour la création d'un site
alternatif au 50 Industriel pour Rogers auraient été faits en vain.
Par conséquent, la Cour a conclu que Châteauguay avait agi dans
l'intérêt de ses citoyens et à des fins municipales légitimes, et que le
caractère véritable des avis, examinés ensemble, n’empiétaient pas
sur la compétence fédérale.
(b) Exclusivité des compétences
La Cour a également jugé que, contrairement à ce qu’avançait
Rogers, il n'y avait pas de précédent jurisprudentiel sur l'application
de la doctrine de l'exclusivité des compétences dans le cadre
spécifique de l'emplacement d’antennes de radiocommunication
dans une aire dont le caractère approprié a déjà été reconnu. La
Cour a constaté que le Conseil privé avait déterminé, aux termes de
l'arrêt Bell6, que les conseils municipaux avaient leur mot à dire
dans la détermination de l'emplacement des poteaux de téléphone,
concluant ainsi que l'emplacement de tours de radiocommunication
n'était pas un élément indivisible du pouvoir fédéral en matière de
radiocommunication, faisant ainsi échec à l'application de
l'exclusivité des compétences.
(c) Prépondérance fédérale
La Cour d'appel a également conclu qu'il n'y avait aucune raison
d'appliquer la doctrine de la prépondérance fédérale en l'espèce.
Dans ses motifs, la Cour a décrit les deux formes de conflits qui
peuvent conduire à l'application de la doctrine de la prépondérance:
un conflit d'application entre le droit fédéral et le droit provincial, ou
6
Toronto Corporation c. Bell Telephone Co. of Canada, [1905] A.C. 52 (C.P.) [« Bell »].
McMillan LLP  mcmillan.ca
un conflit découlant d’une loi provinciale frustrant l'objet d'une loi
fédérale.
La Cour n’a constaté aucun conflit d'application, indiquant que
l'autorisation d'Industrie Canada permettait la construction de la
nouvelle tour de Rogers autant au 411 St-Francis qu’au 50
Industriel. Il était donc possible pour Rogers de se conformer à la
fois à l'autorisation du gouvernement fédéral et aux exigences de
Châteauguay relativement à la localisation de la tour dans la zone
concernée.
La Cour a également constaté une absence de conflit résultant de
l'entrave à un but fédéral. La Cour a décrit le but de la Loi sur la
radiocommunication7 comme étant de permettre le déploiement de
réseaux de radiocommunication tout en respectant les besoins des
populations locales. En outre, la Cour a observé que l'objectif de
Châteauguay à l'égard des avis d'expropriation et de réserve était
de protéger le bien-être de ses citoyens et le développement
harmonieux de son territoire, deux objectifs qui peuvent être
atteints sans entraver à un objectif fédéral. En l’espèce,
Châteauguay n'avait pas complètement empêché l'installation de la
tour de Rogers, mais simplement désigné un autre emplacement.
Conclusion
La Cour d'appel a confirmé certains pouvoirs des municipalités de
déterminer par elles-mêmes le développement de leur territoire et
de protéger le bien-être de leurs citoyens, en dépit du caractère
fédéral des tours de radiocommunication et la délivrance
d’autorisations par le gouvernement fédéral. Le fardeau de prouver
la mauvaise foi et l’abus de pouvoir dans l'expropriation et l’avis de
réserve pour fins foncières est lourd et celui-ci incombe à
l'exproprié. Par conséquent, selon les enseignements de la Cour
d’appel, il est difficile d’argumenter avec succès que la décision
d’une municipalité de déménager l’emplacement d’une tour projetée
est nulle au motif d’abus de droit ou de mauvaise foi,
particulièrement en présence d’une fin municipale légitime.
Contrairement aux aérodromes8, dans certains cas, l'emplacement
d'une tour de radiocommunication ne constitue pas un élément
essentiel et indivisible d’un pouvoir fédéral. Par conséquent, une
municipalité ne porte pas nécessairement atteinte à la compétence
fédérale en exigeant qu’une tour soit érigée à un endroit différent
7
8
Loi sur la radiocommunication, LRC 1985, c R-2.
Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39.
McMillan LLP  mcmillan.ca
sur son territoire, lorsque cet endroit additionnel est situé dans l’aire
de recherche de la compagnie de radiocommunications.
par Stéphanie Hamelin et Pierre-Christian Collins Hoffman
Pour plus d'information à ce sujet, veuillez contacter :
Montréal
Stéphanie Hamelin
514.987.5085
[email protected]
Montréal
Pierre-Christian Collins
514.987.5062
[email protected]
Hoffman
mise en garde
Le contenu du présent document fournit un aperçu de la question, qui ne saurait en aucun cas
être interprété comme des conseils juridiques. Le lecteur ne doit pas se fonder uniquement
sur ce document pour prendre une décision, mais devrait plutôt consulter ses propres
conseillers juridiques.
© 2014 McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.
McMillan LLP  mcmillan.ca

Documents pareils

La Cour Suprême du Canada rend une décision

La Cour Suprême du Canada rend une décision antennes et donc, qu’il s’agit de l’exercice d’un pouvoir relatif à l’aménagement de son territoire qui est permis par le partage des compétences. Dans cette situation, la Cour est d’avis que la co...

Plus en détail