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Homeland Security :
la normalisation face au droit
Jean-Marc PICARD
Les États-Unis, au lendemain de la catastrophe du 11 septembre,
ont lancé un vaste programme sur la normalisation en matière
de sécurité et de protection du citoyen. Ce programme repris
au niveau mondial, européen et français a pour but de doter
la société de normes techniques tant en matière de technologies que pour les organisations. La normalisation devient plus
que jamais non seulement un outil de régulation économique
mais un outil de régulation politique. De plus son caractère
international lui confère une étendue et un pouvoir jusque-là
réservé aux traités internationaux. Cet article propose d’introduire le sujet de la normalisation technique et plus particulièrement d’exposer les enjeux de ce programme international.
Il permet de comprendre le formidable outil économique et
politique que représente la normalisation technique, outil peu
connu et peu exploité par les dirigeants français.
© CORBIS
Homeland Security: standardisation and law
Following 9/11, the US launched a sweeping programme to standardize security and citizen protection.
This programme, taken up at the global, European and French levels, seeks to provide society with technical
standards to evaluate both technologies and organizations. More than ever, standardisation is becoming an
instrument of political as well as economic regulation. Moreover, its international nature gives it a range and
command hitherto reserved for international treaties. This article aims to introduce the subject of technical
standardisation and, more particularly, to explain the issues behind this international programme. It helps us to
grasp the significant economic and political potential of technical standardisation, an instrument little known
and little used by the French authorities.
Jean-Marc Picard
Enseignant chercheur à l’université de technologie de Compiègne (UTC), a été dix-huit ans dans l’industrie dont
dix comme directeur marketing, qualité et sécurité d’un grand groupe d’ingénierie. Il a été vice-président de
l’association nationale des auditeurs IHESI/INHES, conseiller de défense auprès du ministre de l’Intérieur ;
vice-président du groupe d’impulsion stratégique sur la sécurité et la protection du citoyen à Afnor. Président du
forum sur la sécurité à Afnor. Il est aujourd’hui président de la Commission de normalisation sur la sécurité
sociétale. Ancien vice-président de l’Institut pour la maîtrise des risques et la sûreté de fonctionnement (IMDR SDF)
il est expert auprès de nombreuses industries et institutions comme le CNES.
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A
u lendemain de la catastrophe du 11
septembre 2001, les États-Unis se sont
empressés de créer le DHS : le Department
of Homeland Security pouvant être assimilé
en partie à un ministère de l’Intérieur vu
de l’Hexagone.
Les objectifs de ce « ministère » américain, outre une
mission globale de sûreté et de sécurité nationale,
comprennent la sécurité civile dont la protection contre
les catastrophes naturelles ; la coordination globale des
moyens de réponse à un événement et la conduite,
publique et privée, des activités de reconstruction. On
retrouve ainsi le passage du concept de gestion de crise
à celui de plan de continuité d’activité.
Pour cet ensemble de missions, y compris la gestion
des catastrophes naturelles depuis l’épisode de l’ouragan
Katrina, le DHS s’est tourné vers l’organisme national
de normalisation : l’American National Standard Institute
(ANSI) en vue de développer des normes techniques
(que l’on dénomme plutôt « standards » aux USA).
Ainsi en 2003 a été créé le Homeland Security Standards
Panel afin de créer des normes « consensuelles » pour
atteindre les objectifs du DHS. Ainsi se développe une normalisation dont nous allons essayer de cerner les contours.
Le vaste champ d’application
des normes
Les normes techniques sont connues, depuis longtemps,
du grand public au travers des produits dont elles dictent
les caractéristiques techniques. C’est le cas pour des milliers
de produits courants allant de la prise électrique au jouet
en passant par le parpaing de béton.
Mais les normes techniques concernent désormais des
systèmes de communication : la norme GSM par exemple
ou des procédés de sécurisation des aliments (méthodes
HACCP). Enfin les normes techniques dictent, au même
titre que des normes juridiques, des règles d’organisation
pour les entreprises en matière de qualité (normes
ISO 9000), d’environnement (normes ISO 14000),
d’hygiène et de sécurité au travail, de sécurité alimentaire
(ISO 22000) ou encore de sécurité dans les transports.
C’est le cas de la nouvelle norme ISO 28000. Cette
norme est une spécification pour des systèmes de management de la sûreté pour la chaîne d'approvisionnement.
Elle définit les exigences pour permettre à une entreprise
d'établir, de mettre en œuvre et d'améliorer un système
de management de la sûreté, y compris les aspects
critiques pour l'assurance de la sécurité de la chaîne
d'approvisionnement. Ces différents éléments concernent,
sans s'y limiter, les aspects relatifs au financement, à la
fabrication, à la gestion de l'information ainsi que les
installations d'emballage, d'entreposage et de transfert
des marchandises entre les différents modes de transport
et les différents lieux 1.
Dans le même cadre, du 29 octobre au 1er novembre,
un « working group » a été organisé sur la protection des
réseaux d’eau potable.
Les normes traitent donc de l’organisation humaine et
politique et plus particulièrement de la sécurité publique,
concurrençant ainsi les dispositions de droit. Elles définissent, outre des caractéristiques techniques de produits
ou services, les modes opérationnels d’organisation. Cela
comprend par exemple les modalités d’organisation
humaine de contrôle. Ainsi, on peut imaginer que le
contrôle des passagers dans les aéroports sera à terme
entièrement défini par des normes internationales. La
réglementation ne faisant qu’imposer, le cas échéant,
l’application de ces normes.
Des normes pour la sécurité
Dans le cadre d’une déclinaison ou d’une reprise du
programme américain sur la défense et la sécurité du
citoyen, de vastes programmes mondiaux et européens se
sont attelés à la production de normes et standards.
Les domaines concernés sont évidemment sensibles, on
y retrouve au niveau des États-Unis des travaux normatifs
portant initialement sur les domaines suivants :
– plan de continuité d’activités ;
– biométrie ;
– traitement de la menace biologique et chimique ;
– formation des opérateurs confrontés à des armes de
destruction massive ;
– communications d’urgence et mobilisation des
citoyens ;
– sécurité et continuité des réseaux d’énergie ;
– lutte contre le terrorisme.
(1) C’est le sujet abordé par la prochaine conférence sur la sécurité des transports publics des 4 et 5 octobre 2007 dans les locaux du
National Institute of Standards and Technology (NIST) à Gaithersburg, Maryland (USA). Dans le même cadre, du 29 octobre au 1er
novembre, un « working group » a été organisé sur la protection des réseaux d’eau potable.
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Et, au niveau européen 2, des travaux normatifs portant
sur les thèmes suivants :
– transport maritime ;
– services d’urgence ;
– alimentation en eau potable ;
– défense contre le terrorisme ;
– contrôle des frontières ;
– protection des Infrastructures critiques - bâtiments ;
– protection des Infrastructures d’énergie ;
– incidents CBRN (chimique, bactériologique,
radiologique, nucléaire) ;
– réduction des qualités criminogènes des produits.
Un nombre croissant
de comités et instances
En complément, un nombre important d’instances
nationales ou internationales travaille sur la normalisation
de la sécurité du citoyen.
On retrouve des structures comme l’InterAgency Board
(IAB), en charge des questions de normalisation et d’interopérabilité des équipements, qui vient de publier le
« Strategic Plan for Developing a Suite of Chemical, Biological,
Radiological, Nuclear, and Explosives Protective Equipment
Standards ». Cette structure regroupe les autorités publiques
locales, régionales et fédérales dans le domaine de la santé
et de la sécurité en cas d’accidents majeurs. Elle est plus
particulièrement reconnue dans le secteur chimique,
biologique, radiologique et nucléaire (ou NRBC en anglais).
En dehors de structures issues d’organismes étatiques,
une majorité de groupes de travail est issue des organismes
de normalisation nationaux (AFNOR France), européen
(Comité européen de normalisation - CEN, CENELEC)
ou internationaux (Organisation internationale de normalisation ISO/CEI) (voir figure 1). Ces groupes de travail spécialisés traitent de sujets divers. Nous donnons un
extrait des sujets au lecteur afin, à la fois d’en montrer
l’ampleur, la variété et de fournir une information utile
(voir figure 2). Il en existe vraisemblablement un millier
au niveau mondial dont les travaux se recoupent bien
souvent. La concurrence entre les groupes et les entités
qui les hébergent est tout aussi vive que la coopération
qui peut exister entre elles.
Figure 1 – Les groupes clefs en matière de normalisation
de la sécurité
• Défense et sécurité civiles (ISO TC 233)
• Sécurité du citoyen (CEN WG 161)
• NATO Air Force Armaments Group (NAFAG)
• Forum Sécurité (AFNOR)
Figure 2 – Quelques exemples de groupes de travail
• Déminage humanitaire (CEN WS 12)
• Services de sécurité privée (AFNOR CN)
• Contrefaçon
• Water security CEN TC 164
• Transport Maritime
• Risk Management (ISO TMB WG)
• Biométrie (ISO CEI JTC 1 SC 37 )
• Identification des cartes et des personnes
(ISO CEI JTC 1 SC 17)
• Identification personnelle et signature électronique
(CEN TC 224)
• Système d'information sur les risques (IRIS)
(AFNOR/X08S )
• Techniques de sécurité des technologies
de l'information (ISO CEI JTC 1 SC 27)
• Meilleures pratiques pour la conception et le
développement des systèmes d’information
critiques (CEN WS)
• Emergency Telecommunications (ETSI WS EMTEL)
• Emergency Prepardeness
• Situation d’urgence (ISO WS)
• ISDEM (Information System for Disaster and
Emergency) (CEN WS)
• CAP : Common Alerting Protocol (OASIS)
• PSCE (Public Safety communication in Europe)
(Forum de l’UE)
• Alarm response CEN TF
• Systèmes d’alarme (CEI TC 79)
• Traçabilité des conteneurs ICSO (International
Container Security Organisation)
• Système intelligent de transports (ISO TC 204)
• Équipement des services de secours et de lutte
contre l'incendie (CEN TC 192)
• Radioprotection (ISO TC 85 SC 2)
• Carte électronique du citoyen (CEC) (AFNOR CN)
• Systèmes de détection et d'alarme incendie (CEN TC 72)
• Portes et fenêtres (CEN TC 33)
• Atmosphères explosibles (CEN TC 305)
• Systèmes de détection d'incendie et d'alarme
(ISO/TC 21/SC 3)
• Sécurité au feu (ISO TC 92 )
• Dispositifs de sécurité (AFNOR CN )
• Dangers pour les personnes et l'environnement dus
au feu (ISO TC 92 SC 3)
• Conteneurs pour le transport de marchandises
(ISO TC 104)
(2) Cadre du WG 161 du CEN (Comité européen de normalisation).
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Les producteurs de normes
L’organisation de la normalisation repose en grande
partie sur des ONG à l’échelon mondial, européen et
national.
Niveau mondial
En 1906, une organisation pour la normalisation de
l’électricité et l’électrotechnique est créée sous le nom
d’International Electrotechnical Commission (IEC) ou en
français CEI (Commission électrotechnique internationale).
Un peu plus tard, en 1926, l’Afnor est créée en France.
L’ISO 3 succédera à l’ISA après la guerre et regroupe
aujourd’hui environ 148 pays à travers leur structure
nationale de normalisation.
http://www.iso.ch/iso/fr/ISOOnline.frontpage
L’ISO a été créée, après-guerre pour favoriser le développement de la normalisation et des activités dans le
monde, en vue de faciliter entre les nations les échanges
de biens et de services, et de développer la coopération
dans les domaines intellectuels, scientifiques, techniques
et économiques. Les travaux de l’ISO aboutissent à des
accords internationaux publiés, pour l'essentiel, sous la
forme de normes internationales 4.
Au niveau mondial, existent d’autres organisations de
normalisation. Notamment au niveau des télécommunications avec l’Union internationale des télécommunications
(UIT) à Genève, qui fait partie du système des Nations
unies, dans laquelle les gouvernements et le secteur privé
coordonnent les réseaux et les services de télécommunications au niveau mondial.
Niveau européen
Le CEN, Comité européen de normalisation, est en
quelque sorte la fédération des organismes européens de
normalisation. Le CEN, créé sur les fonds baptismaux de
l’Europe, est une association sans but lucratif de droit
belge. Il associe à ses travaux, outre les membres de
l’Union européenne, des membres de l’AELE, et des
organisations comme l’OTAN.
Enfin l’Institut européen de normalisation des télécommunications (ETSI) reste un organisme piloté par
les industriels.
Niveau national
Pour la France, la normalisation est le monopole de
l’Afnor. Le statut juridique de la normalisation 5 donne
Figure 3 – L’organisation de la normalisation dans le monde
Note : La France est membre du CEN et de l’ISO, mais le CEN n’est pas membre de l’ISO, ce
qui explique la multiplicité des accords de coopération. Par ailleurs l’UIT étant une émanation
de l’ONU, le ministère chargé des postes et télécommunications y représente la France en tant
qu’État membre.
(3) Pour l’anecdote, le mot ISO est bien le préfixe grec : conforme, identique et non l’abréviation de International Standardisation
Organisation, traduction de sa dénomination suisse exacte : Organisation internationale de normalisation.
(4) Parfois sous l'appellation de « guides » ou sous la forme de documents provisoires tels que les TR (technical report). Les documents
en projet sont émis à divers stades, notamment et en simplifié (!) : NP, AWI, WD, CD, DIS, FDIS…
(5) Décret 84-74 du conseil d’État modifié en 1991 et 1993.
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à cette association reconnue d’utilité publique un statut
privilégié proche d’un service public.
L’Afnor élabore souvent les normes par le biais de
bureaux de normalisation sectoriels. Ceux-ci sont en
majorité des ONG professionnelles en quelque sorte
« sous-traitantes » de l’Afnor. C’est le cas de l’UTE :
Union technique de l’électricité et de la communication.
L’Afnor représente la France au CEN et à l’ISO. L’UTE
représente la France au CENELEC et à la CEI/IEC.
En Europe, deux organismes de normalisation nationaux
rivalisent avec l’Afnor par leur puissance, le BSI britannique
et le DIN allemand.
Autres organismes
Il existe d’autres organisations officielles comme
l’OIML (Organisation internationale de métrologie
légale) ou le EMLMF (Forum euro-méditerranéen de
métrologie légale). Il existe par ailleurs de nombreuses
associations professionnelles comme l’IEEE américaine
(Institute of Electrical and Electronics Engineers). Plus que
centenaire cette structure résulte de la fusion de l’American
Institute of Electrical Engineers et de L’Institute of Radio
Engineers.
Le contrôle de la conformité
aux normes
Le contrôle de la conformité est aussi parfois effectué
par les services de l’État : le service des Mines par exemple.
Ce service qui effectuait encore récemment le contrôle
technique des poids lourds a été transféré à des entreprises
privées accréditées.
Le contrôle de la conformité s’effectue le plus souvent
par des audits ou inspections. Ces audits vont au cœur
des organisations inspectées, même pour le simple
contrôle de la fabrication d’un produit, ils conduisent à
inspecter toute l’organisation intime du producteur de
produit ou de services. Ainsi les rapports d’audits et les
documents de travail associés regorgent d’informations
souvent extrêmement sensibles. Certains audits dans les
domaines de la sécurité, effectués par des organismes
étrangers, peuvent conduire à la divulgation plus ou
moins contrôlée d’informations parfois extrêmement
sensibles. Et malgré les précautions prises dans certains
domaines comme celui de la défense, la confidentialité
des résultats est un réel problème. Cette situation est
d’autant plus critique dans des domaines comme le
nucléaire, que le contrôle qualité repose sur la transparence, ce qui n’est pas facile à assurer dans des contextes
sensibles, dans la mesure où la divulgation d’information
pourrait bénéficier à des groupes terroristes.
Enfin le contrôle de la conformité suppose de pouvoir
disposer d’experts impartiaux et compétents. Cette tâche
incombant aux organismes de contrôle précités n’est
évidemment pas simple.
Équivalences des normes
Il n’y a pas de norme, pas plus que de règle, sans
contrôle. Sujet plus méconnu que contesté, le contrôle
de la conformité par rapport aux normes techniques
relève d’une organisation internationale complexe qu’il
serait fastidieux de décrire complètement ici. Cette
organisation est elle-même régie par un ensemble de
normes. Les organismes de contrôle de la conformité
sont parfois des organismes désignés par les États,
notamment dans le cadre européen du marché unique,
c’est le cas des organismes dits « notifiés ».
Il existe par ailleurs les organismes accréditeurs 6
(souvent un par pays). Ils accréditent 7 les organismes
certificateurs 8, les laboratoires 9 et les organismes de
contrôle technique 10.
Certains organismes produisent des normes ex-nihilo mais
le plus souvent les organismes nationaux reprennent à leur
compte des normes internationales qu’ils ne font que traduire. Ainsi par le fait d’accords complexes, certaines
normes françaises par exemple ne sont que la reprise de
normes mondiales, européennes ou non européennes.
Or cette reprise est souvent obligatoire. C’est le cas
pour toute norme européenne qui prime dans les pays de
l’Union toute norme nationale équivalente. Ainsi, une
norme française peut n’être que la traduction d’une
norme européenne, voire mondiale.
(6) En France, il s’agit du Cofrac, qui est une association loi 1901 avec comme Afnor des prérogatives de service public.
(7) L’accréditation est parfois obligatoire réglementairement.
(8) En France on retrouve AFAQ-Afnor, (Le groupe Afnor, outre sa fonction d’élaborer des normes, agit aussi pour en contrôler l’application
dans le cadre d’une filiale)
(9) Très nombreux, les laboratoires peuvent être privés ou publics comme le LNE : Laboratoire national d’essais.
(10) Par exemple en France : Socotec, Apave, Veristas, etc.
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Réglementation
et normalisation
Une norme peut être rendue d’application obligatoire
par la loi ou la réglementation. À défaut, une norme
peut être exigée dans le cadre d’un contrat ou d’une
convention. À défaut également, en cas de litige, une
norme peut être considérée par le juge comme une règle
de l’art. Le poids de la norme dans la conduite des
affaires devient donc considérable.
La norme technique,
complément opérationnel
du droit
Au-delà des précédentes considérations, la norme
devient un véritable complément opérationnel du droit.
En effet selon les règles de l’OMC 11 et différentes
dispositions de l’Union européenne 12, la réglementation
technique doit privilégier la référence aux normes internationales ; de même le code des marchés publics dispose
un principe de référence obligatoire aux normes.
La réglementation technique n’est donc plus libre, et
d’aucuns considèrent que la norme « fait la loi ». En tout
état de cause, la norme devient de facto un complément
opérationnel du droit dans un monde de plus en plus
juridique, technocratique et technologique.
Une situation que la France
ne maîtrise pas suffisamment
Cette situation peut parfois inquiéter. Disposer de règles
et de références communes, faisant abstraction de toutes
les particularités locales générées par les droits nationaux,
est néanmoins essentiel pour le développement des affaires
mais aussi de l’économie et de la politique. Ainsi en
matière de protection de l’environnement et de développement durable, le bénéfice procuré par l’apport de
normes internationales reconnues est évident. En matière
de terrorisme aussi.
On peut aussi remarquer que les organismes de normalisation ou plutôt les membres de commissions les plus
fortunés ont le pouvoir de faire ou défaire des marchés.
C’est une conséquence naturelle du fait qu’ils sont le
fruit « du marché ». La représentativité au sein de ces
organismes étant relativement libre, les plus présents,
les plus habiles y sont les plus écoutés.
De ce fait les organismes de normalisation ou plutôt
les différents comités techniques qui en sont issus ont
un pouvoir considérable, capable parfois de contrecarrer
de nombreuses dispositions réglementaires.
Faut-il s’en inquiéter vraiment ? Le problème français
est plutôt son manque de présence dans les organismes
de normalisation surtout à l’international. Ce reproche
concerne surtout et globalement notre administration 13
et les associations de consommateurs.
Les causes de cette insuffisance sont nombreuses.
Participer aux innombrables travaux de normalisation
est, comme pour la législation ou la réglementation, un
lourd investissement humain et financier. De plus les
réunions se tiennent souvent aux quatre coins du monde.
Nos fonctionnaires sont loin d’être polyglottes, ils
maîtrisent peu les langues étrangères. Enfin et surtout
notre droit romano-germanique et notre organisation
hiérarchique s’accommodent très mal d’un système
proche de celui de la Common Law où les règles sont
issues d’un processus de réglementation qui part d’en
bas, par expérience, expérimentation, tâtonnement et
discussion, et non qui part d’en haut, le pouvoir, pour
s’imposer à tous ; ce que nous appelons un processus
« bottom-up » contre le processus « top down ». Alors que
le processus normatif est le fruit de consensus transversaux,
il met à mal notre organisation cloisonnée entre
départements ministériels.
Si beaucoup sont sensibles à cette situation, et redoublent
remarquablement d’efforts, comme Afnor, pour sensibiliser les acteurs nationaux, force est de constater que la
mobilisation française et la cohésion européenne sont
encore à parfaire. Ainsi la Chine elle-même a compris les
enjeux. Le ministre chinois délégué à la Normalisation,
monsieur Pingjun Liu, a accepté d’intervenir à Afnor.
Les Américains, dans le cadre de leur programme
Homeland Security, ne s’y sont pas trompés et ont vu aussi
l’utilité stratégique de la normalisation. L’ISO a créé un
comité technique sur la défense civile entièrement aux
mains des Suédois et Américains. Les Britanniques ont
lancé un groupe similaire en Europe (CEN) et nous n’y
sommes pas encore présents.
(11) L’accord sur les Obstacles techniques au commerce (OTC, article2 et plus précisément 2.2 et 2.3) de l’Organisation mondiale du
commerce ou WTO, basée à Genève tout comme l’ISO et l’IEC/CEI.
(12) Les traités TCE (articles 28 à 30) et TUE.
(13) Soulignons cependant la forte présence du ministère de la Défense au contraire d’autres départements ministériels.
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Le forum sécurité à l’Afnor
Un monde nouveau
Réunissant pouvoirs publics et acteurs économiques,
le forum sécurité a pour ambition de continuer les
travaux du groupe d’impulsion stratégique d’Afnor. Il
s’agit de coordonner de manière informelle l’action de
la France dans le concert européen et international en
matière de normalisation de la sécurité et de la défense
du citoyen. Le forum sécurité est aussi le miroir français
de structures européennes équivalentes. Il a été lancé sous
l’impulsion d’Afnor et des ministères de l’Intérieur et de
la Défense principalement.
L’interopérabilité des forces de police, des secours,
l’interopérabilité des systèmes de communication,
l’organisation de la sécurité de nos ports et aéroports, la
surveillance des frontières, la sécurité de nos réseaux
d’eau comme d’électricité, la sécurité des transports
sont autant de domaines qui seront régis demain par la
normalisation.
Ce forum est adoubé de la commission de normalisation
sur la sécurité sociétale. Cette dernière est l’instance qui
valide la production de normes françaises en matière de
sécurité sociétale soit dans les domaines que nous avons
évoqués. La participation active des acteurs de la sécurité
y est donc cruciale, cette participation inclut un travail
avec nos partenaires européens.
Cette commission et le forum sécurité auront besoin
de la participation active et constructive de tous, loin des
luttes de pouvoir chères au pays d’Astérix s’il veut garder
son rang de grande puissance. Nul doute qu’il y parviendra.
La normalisation, à l’instar d’une nouvelle forme de
Common Law international est en marche. Il ne s’agit pas
de s’y opposer, ce qui serait vain. Il s’agit de saisir une
opportunité, de comprendre qu’elle est un nouvel
instrument aux mains des nations mais aussi des États
dans la construction internationale. S’y impliquer est une
urgente nécessité, une chance ; l’ignorer serait une bévue
dramatique.
Pour plus d’informations quelques sites web sont à visiter :
• Le site américain : http://www.ansi.org/hssp
• Le site Afnor : www.afnor.org
• Le site européen du CEN : http://www.cen.eu
• Le site de l’ISO : www.iso.org
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