L`attrape-temps - Canopé Hauts-de-Seine

Transcription

L`attrape-temps - Canopé Hauts-de-Seine
L’attrape-temps
L’attrape-temps
Roman
écrit par des élèves de CM2 des écoles élémentaires
Victor Hugo A à Clichy-la-Garenne
Monnet-Debussy à Meudon-la-Forêt
Paul Langevin à Nanterre
Les Buissonnets à Rueil-Malmaison
Robert Pontillon à Suresnes
L’attrape-temps
Ben n’est pas au bout de ses surprises. En poussant la porte de la
librairie du vieux monsieur Palissieux, le jeune garçon est loin de
se douter de l’étrange voyage spatio-temporel et initiatique que lui
réserve le destin.
Accompagné d’un chien répondant au doux nom d’Opié, il a pour
mission de retrouver la jolie Gardenna, petite fille du libraire coincée
entre deux faces temporelles.
Et ce n’est pas une mince affaire ! Dans les contrées qu’il sera amené
à explorer – la Vallée Minute, le sablier de Cycliturne, le pays du temps
dépassé, le monde de la mémoire, l’Aveniroscope – le Temps a décidé
de n’en faire qu’à sa tête…
et des élèves de 6e des collèges
Jean Macé à Clichy-la-Garenne
Jean Moulin à Meudon-la-Forêt
André Doucet à Nanterre
Henri Dunant à Rueil-Malmaison
Émile Zola à Suresnes
dans le cadre d’un atelier d’écriture animé
par Emmanuel Moses, écrivain
Juin 2011
Roman
© Cddp des Hauts-de-Seine
L’attrape-temps
Roman
écrit par des élèves de CM2 des écoles élémentaires
Victor Hugo A à Clichy-La-Garenne
Monnet-Debussy à Meudon
Paul Langevin à Nanterre
Les Buissonnets à Rueil-Malmaison
Robert Pontillon à Suresnes
et des élèves de 6e des collèges
Jean Macé à Clichy-La-Garenne
Jean Moulin à Meudon
André Doucet à Nanterre
Henri Dunant à Rueil-Malmaison
Émile Zola à Suresnes
dans le cadre d’un atelier d’écriture
animé par Emmanuel Moses, écrivain
© Centre régional de documentation pédagogique de l’académie de Versailles
Centre départemental de documentation pédagogique des Hauts-de-Seine
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Avant-propos
Ce roman est le fruit d’un atelier d’écriture animé par Emmanuel
Moses, avec des élèves du département des Hauts-de-Seine, qui
ont travaillé par binôme de classes de CM2 et de 6e dans la
perspective d’une liaison école-collège.
Une trame de départ a été initiée par l’écrivain en concertation
avec les enseignants qui ont défini les modalités de travail avec
les élèves et conduit l’atelier en classe.
À partir de cette trame, le texte s’est construit progressivement
et s’est enrichi avec les suggestions de réécriture proposées
par Emmanuel Moses. La correspondance entre les classes et
l’écrivain mais aussi entre les différents acteurs du projet, s’est
établie par messagerie électronique.
Le groupe Maîtrise de la langue a assuré le pilotage et le suivi
pédagogique de ce projet, en partenariat avec le Cddp des
Hauts-de-Seine.
Le site Internet www.ecrire-en-ligne92.ac-versailles.fr, support
de l’action, présente la démarche et l’ensemble des textes et
ressources produits au cours de l’atelier d’écriture. Laurence
Breton et Marie-Estelle Fabre ont animé ce site.
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Cet atelier d’écriture, animé par Emmanuel Moses, a été mis
en place dans le cadre des actions impulsées par le groupe
départemental Maîtrise de la langue piloté par Françoise
Quillien, inspectrice de l’Éducation nationale.
Avec l’aide de
Laurence Breton, groupe Maîtrise de la langue
Alain Sedbon et Marie-Estelle Fabre, Cddp des Hauts-de-Seine
Avec le soutien
de la Maison des écrivains et de la littérature
et des municipalités de Clichy-la-Garenne, Meudon-la-Forêt,
Nanterre, Rueil-Malmaison et Suresnes
Cette brochure a été réalisée au Cddp des Hauts-de-Seine.
Maquette, mise en pages et infographie : Florence Tronyo
Illustrations : Christian Herzog
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Les classes et les élèves
Ville de Clichy-la-Garenne
Le binôme de Clichy-la-Garenne est l’auteur du chapitre 4 :
« Au pays du myosotis ».
École Victor Hugo A – CM2 B – Classe de Michelle Chanet
Abdenour Abbou, Laurent Abbou, Sofiane Amazzough,
Safia Amesrar, Chaïma Baïda, Badr Benhaïda, Rita Bennis,
Smahan Bouimouass, Camille Boullot, Nori Bouzeroura,
Élise Cassotti, Myriam Chellali, Théodore Colas des Francs,
Sarah El Fdar, Nassim Fissal, Sonia Grain, Mallaury Granziera,
Emma Guiraud, Dimitri Marescq, Doriane Mordier, Sébastien
Rodriguez, Saad Sadda, Younes Saihines, Sonia Su, Khouloud
Thabet, Oulouhou Yahaya.
Collège Jean Macé – 6e B – Classe d’Anne-Sophie
de Chauvigny, en collaboration avec Delphine Zolnierowski,
professeur-documentaliste
Talsa Amer, Leidy Barrios Lopez, Andrea Barroso Pereira,
Linda Bengana, Zohra Bitari, Nezare Cerisier, Margaux
Croche, Sezer Denizhan, Ibrahima Doukansi, Iman El Mir,
Yacine Faraji, Firas Fennani, Pierre Garros, Allan Guclu, Yahia
Hadjouji, Fatoumata Konte, Lucas Le Lez, Yanis Limousin,
Amel Nait-Ben-Daoud, Dany Paul, Laura Peixoto Da Silva,
Youcef Taoui.
Ville de Meudon-la-Forêt
Le binôme de Meudon-la-Forêt est l’auteur du chapitre 3 :
« Le temps dépassé ».
École Monnet-Debussy – CM2 B – Classe de Tamara Ravé
Haissate Abdou, Maïlys Baque, Victor Barbier, Théo Berquier,
Léa Castagnetti, Khadidja Chaouche, Pauline Cisilotto, Laura
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De Barros Barbosa, Anthony Dos Santos, Idris El Mizouni,
Jonathan Fromentin, Maëva Geffray, Louisiane Itasse, Yann
Jean, Lisa Jourdain, Enzo Mitrovic, Kameni-Lesline Monthieu,
Ness Noé Moussoyi Pama, Ugo Mugaruka Nshkera, Lucille
Piauphreix, Hamlet Rubenyan, Mahdi R’Bah, Lucie Sanchez,
Tom Schneider, Boris Vilter, Sandy Vivier, Timothée Willems.
Collège Jean Moulin – 6e 1 – Classe d’Isabelle Saillot,
en collaboration avec Marie-Josée Bouazza, professeurdocumentaliste
Estelle Batikian, Brandon Bissoudre, Avalonne Caillaux,
Dylan Da Silva Barreira, Audrey Darde, Léa Darfeuille, Kamel
Djabri, Achraf Fathi, Munib Hussain, Thomas Juraver, Nour
Kahna, Steven Kérautret, Maeva Le Roy, Margaux Leloroux,
Marta Lopes, Camille Renard, Mounia-Cécile Renauld, Cindy
Rigaux, Fanny Schifferling, Jaouad Soussi, Chloé Thibaut.
Ville de Nanterre
Le binôme de Nanterre est l’auteur du chapitre 1 : « À rebours ».
École Paul Langevin – CM2 B – Classe de Sophie Laballery
Safia Abdeljabbar, Laïs Argis, Yousra Benani, Zakaria
Bouchami, Fayssal Boulahrouz, Grégorie Boularas, Jose
Thama Charlestin, William Edmond, Sarah Ferrand, Déborah
Frere-Breton, Natalia Jachim, Athem Kara, Marthe Lumengo,
Khady Niang, Nizar Okoic, Anouchka Seegobin, Guy Quentin
Tchato, Thinujan Thilahendran, Aurélien Vinals, Kenza
Youssouf.
Collège André Doucet – 6e– Classe de Raphaël Prudencio,
en collaboration avec Lise Fradon, professeurdocumentaliste
Alexandre Achour, Mathieu Bourg, Alexandre Castanheiro,
Sarah Chebbalah, Maeline Combot, Youssra Derdega,
Youssouf Fakhri, Maxence Gautreau, Amine Ghodbane, Dylan
Gondon, Cheïma Hamouga, Mélody Jean François, Marouane
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Laghmara Nocetti, Safa Logbi, Wafa Makhlouf, Majid Mesaud,
Amel Ponsin, Yannis Rabhine, Micael Ribeiro, Manon Sebat,
Virgile Sibert, Donia Soltani, Lina Tidjini, Mélanie Tischer,
Jimmy Vingadassalom, Adel Zane.
Ville de Rueil-Malmaison
Le binôme de Rueil-Malmaison est l’auteur du chapitre 5 :
« Aveniroscope ».
École Les Buissonnets – CM2 B – Classe de Hedwige Hattab
Nassim Benabdelkader, Thibault Bouarroudj, Sara Branly,
Mohamed Diarra, Mbaye Diouf, Yassine El Mimouni, Adrien
Georges, Amélie Glatigny, Mounir Gutari, Aimata Hamidou,
Dalan Kherbache, Brian Laup, Sarah-Michelle Layigui,
Bejenrick Nandjip Tatto, Éric Nguyen, Tom Palmie, Rébecca
Petion, Urielle Quenium, Léa Rossi, Meredith Saban, Elmann
Stubner, Edmond Tamou, Leila Tirche, Christopher Wolf.
Collège Henri Dunant – 6e – Atelier mené par Claire
Crommelynck, en collaboration avec Sylvie Gibert,
professeur-documentaliste
Killian Chedumbrun, Quentin Delivet, Rania Dilem, Mehdi
Ezzahhaf, Manal Ghazouane, Aminata Hamidou, Morjane
Kerbache, Carla Knecht, Chahrazade Lakhdar, Alexia
Papasotiriou, Ray Sepeynith, Olivia Snadli, Orphée Tshiabu,
Gabrielle Vanderbroucke, Walid Zerigue.
Ville de Suresnes
Le binôme de Suresnes est l’auteur du chapitre 2 : « Cycliturne ».
École Robert Pontillon – CM2 – Classe de Cécile Apparu
Othman Benabdelmoumène, Tom Bimont, Aurélien Boronat,
Ruben Bourguignon, François Breloy, Oscar Bruneau, Kévin
Campion, Loïc de Crécy, Charles Desmolliens, Élisabeth Gilbert,
Héloïse Lambert, Élodie Maurey, Gabrielle Mercier, Charlotte
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Morlot, Olga Nedeljkovick, Alexandra Piqueras,Thomas
Raveneau, Juliette Rochard, Pierre Rochard, Ambre Surette,
Romain Timsit, Vincent Tramblay, Cécile Triadu, Nicolas Van
Gorkum, Nicolas Vignard.
Collège Émile Zola – 6e 1 – Classe d’Audrey Gorisse
Djibril Balde, Emma Billy, Matthieu Bouillot, Léa Caillaud,
Youssouf Cissoko, Marine Cocallemen, Edgar De Lima Ribeiro,
Clément Defendini Laidi, Antoine Deffis, Rayan Demiche,
Gwendoline Gaby, Lucas Gbehi, Désirée Goprou Bli, Rémi
Guinet, Samia Hilal, Joshua Hurtis, Steven Lafont, Solène
Le Doeuff, Samia Loisif Rebai, Pierre Margotin, Christina
Nkoula, Léa Puech, Maxwell Rohde, Chloé Rusaouen, Billy
Thy, Quentin Thyriot.
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Prologue
– Ben, il est l’heure de prendre ton agenda et de noter tes
devoirs pour les vacances… La voix de Mme Geai parvint difficilement jusqu’aux oreilles
de Ben.
– Non, non et non… grommela Ben. Il va encore falloir ouvrir
un de ces livres poussiéreux que Mme Geai nous donne à lire pour
les vacances ! Chercher une librairie qui ne sera pas en rupture de
stock, commander, attendre (en espérant qu’il n’arrivera jamais)
et revenir payer l’addition ! Et puis… lire…
Ben n’eut pas le temps d’achever sa rêverie. La sonnerie
retentit, Mme Geai était là, accrochée au stylo de Ben, attendant
impatiemment que les lettres s’impriment sur son Agenda ! Ben
s’exécuta, pressé d’en finir, adressa un « Bonnes vacances ! » à
son professeur chéri et prit le chemin de la maison.
La ville semblait différente les veilles de vacances, agréable,
presque accueillante et propice à toutes les découvertes. Il
s’attardait, flânait, faisait des plans sur la comète : il n’avait
pas de projet pour les vacances. Ses parents n’avaient pas pu
se libérer, il serait donc seul à la maison. Chemin faisant, une
boutique retint son attention. Il ne l’avait jamais remarquée.
– Évidemment, c’est une librairie, se dit Ben. Une libraire,
faut que j’en profite, allons commander ce maudit livre ! Il poussa la porte, qui grinçait comme dans les livres, et
découvrit, comme dans les livres, derrière un amas de vieux
manuscrits, un homme qui lui adressait un sourire timide.
– Ah ! te voilà enfin, s’exclama le vieillard.
Ben le regarda, les yeux écarquillés. Il rétorqua :
– Je ne vous connais même pas monsieur. Qui êtes-vous
d’abord ?
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– Je m’appelle Auguste Palissieux, et toi ?
– Je ne parle pas aux
étrangers ! Ben était intrigué
par cet homme aux
cheveux en bataille et
aux lunettes fêlées.
Néanmoins,
la
douceur de son
visage lui donna envie de
l’écouter davantage.
Il avança donc, quelque peu méfiant. Ses yeux finirent par se
poser sur une machine étrange et poussiéreuse cachée dans un
recoin de l’arrière-boutique.
Le regard interrogatif du jeune garçon invita le libraire à
s’expliquer :
– J’ai inventé une machine à explorer le temps il y a quelques
années. Tu comprends mon p’tit, à force de voyager avec mes
bouquins, un jour, j’ai eu envie de me lancer dans une grande
aventure, d’être enfin le héros des romans que je dévorais. Malheureusement, alors que je gardais ma petite fille Gardenna que
je croyais en train de lire paisiblement, moi-même occupé par
un buveur de livres qui me dévalisait, elle avait été intriguée par
cet engin et avait appuyé sur le bouton rouge lumineux « GO ».
Je suis restée en contact avec elle pendant quelques temps mais
je n’ai plus aucune nouvelle depuis sept jours et sept nuits et je
n’en dors plus.
Ben comprenait pourquoi ce vieil homme l’avait tout d’abord
déstabilisé. Maintenant, son histoire l’émouvait et il lisait dans
ses yeux une immense inquiétude.
– Je… je… je suis désolé M. Palissieux mais je ne vois pas en
quoi je peux vous aider.
– Mais si voyons ! Tu pourrais m’aider à la retrouver et à la
libérer ! Je pense qu’elle est restée coincée entre deux faces
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temporelles et que c’est pour cette raison qu’elle ne me donne
plus de nouvelles.
– Et je devrais accepter ? – Tu partiras avec mon sac à dos dans lequel je t’ai mis tout ce
dont tu pourrais avoir besoin. Tu seras équipé comme le parfait
aventurier. Quel jeune homme n’a jamais rêvé de jouer un jour
avec le temps. C’est une chance inouïe ! Ben tournait autour de cette machine pour l’apprivoiser. Il la
caressait comme pour faire connaissance. Son sac à dos enfilé,
il rêva quelques secondes à cette grande mission. Lui dont tout
le monde se moquait à l’école à cause de son petit ventre (oui
c’est vrai, il avait toujours une barre chocolatée avec lui), lui
qui n’arrivait pas à courir aussi vite que les garçons de sa classe
(il était même dans une équipe de filles ce qui lui valait moult
moqueries), une belle revanche s’offrait à lui : aller sauver une
jolie fille, en tout cas, c’est comme cela qu’il l’imaginait.
Un bruit finit d’attirer son attention à l’intérieur de la machine.
Avec une certaine appréhension, il se décida finalement à gravir
les quatre marches.
Il tomba nez à nez avec un gros chien qui bavait devant son
os dont il ne restait plus grand-chose. Il troubla le repas d’Opié
(son collier était assez large pour qu’on puisse deviner son nom)
qui sembla bien énervé qu’on le dérange en pleine dégustation.
Il recula avec son os pour montrer son mécontentement et Ben
s’approcha pour tenter de calmer
l’animal. On ne l’amadouait
pas comme ça. Son
popotin finit par enfoncer
le fameux bouton rouge
lumineux. Ben fut ébloui par
cette lumière clignotante.
Le destin lui avait sans
doute forcé la main…
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Chapitre 1
À rebours
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– Vous... êtes... arrivés !
Ben et Opié se réveillèrent en sursaut. Une multitude
d’horloges les entourait.
– Qui a parlé ? demanda Ben.
Opié lui répondit :
– C’est la machine !
– Parce que toi aussi tu parles ! Mais où suis-je tombé ?
Comment sort-on de cet endroit étrange ?
– Oui, je parle et d’ailleurs c’est pour cette raison que le bon
vieux Auguste m’a désigné. Il m’a demandé de te guider.
Ben se mit en route et se retrouva face à une porte. Une
immense porte de bois noir. Il leva les yeux et bondit. Ce n’était
pas une porte, mais une horloge !
– Tu dois répondre à cette
question pour pouvoir passer !
hurla l’horloge.
– Une hor-lo-ge qui parle !
Ben s’évanouit, il se passait
trop de choses en si peu de
temps... Opié se souvint qu’il y
avait une gourde dans le sac,
réussit à l’ouvrir et aspergea
son compagnon.
– Quelle est la couleur du
cheval blanc d’Henri IV ?
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Ben répondit correctement à cette question qui lui rappelait
l’école et en profita pour interroger à son tour l’horloge.
– Petite question, avez-vous vu une jolie jeune fille blonde ?
Elle s’appelle Gardenna et son grand-père n’a plus du tout de
nouvelles d’elle.
– J’ai vu, il y a quelques jours, une jeune fille qui devait avoir
ton âge partir en direction de la Vallée Minute, martela l’horloge.
Son cadran esquissa comme un sourire.
– Mais attention, tu n’as plus beaucoup de temps pour la
chercher. Mes aiguilles tournent vite et la nuit tombe déjà.
L’horloge pivota. Ben et Opié hésitèrent.
– Le temps passe, le temps presse, dit l’horloge d’un ton
grave.
Alors Ben et Opié s’élancèrent, et sans se retourner, ils
coururent à perdre haleine.
11...
Ben prit sa lampe de poche et l’alluma. D’où pouvait venir
tout ce bruit ? L’air tintait. Tout à coup, Opié s’arrêta net, grogna
et montra ses crocs. Ben écarquilla les yeux. Il rêvait, il rêvait
sûrement. Tic tac, tic tac. Des centaines d’horloges de toutes
formes, de toutes couleurs serpentaient. Certaines marquaient
les heures, toutes différentes, d’autres les demi-heures.
Les plus petites qui tournaient sur elles-mêmes, telles des
toupies, carillonnaient toutes les minutes. L’étrange procession
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s’approchait. Tic Tac. Immobile, pétrifié, Ben malgré lui comptait
les heures, les demi-heures, les minutes. Il ne parvenait pas à
rassembler ses esprits. Opié se blottit contre ses jambes.
– Tu entends ? dit-il.
– Quoi ? demanda Ben.
– Les secondes, gémit-il.
Ben se gratta le bas de la jambe et sursauta quand ses doigts
effleurèrent une sorte de toile d’araignée. Il baissa la tête et
aperçut de minuscules cadrans. Tic tac, tic tac. Ces horlogesaraignées sonnaient toutes les secondes.
D’un coup, toutes les horloges
firent silence. Seule la
plus haute d’entre elles
continuait de sonner.
Il était impossible de
savoir si c’était des
heures, des minutes
ou des secondes.
C’était du temps qui
passait. C’était à
la fois des heures,
des minutes et des secondes. Ses longues et noires aiguilles
comme des faux marquaient et découpaient le temps. Cette
horloge était grise comme la poussière. Ben remarqua en haut
du cadran une tache verdâtre.
– Horlogra ! hurlèrent toutes les horloges, lesquelles
maintenant formaient un cercle. Horlogra notre reine !
Alors la plus haute des horloges dit :
– Je suis Horlogra, la reine des horloges, je règne sur la Vallée
Minute et je vénère le Temps, celui qui dévore.
Tic tac, tic tac. Ben ne parvenait pas à détacher son regard
d’Horlogra. Ses aiguilles le fascinaient. Il répétait comme
envoûté : « tic tac, tic tac ».
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Opié se ressaisit. Il mordit légèrement le mollet de son ami.
– Aïe ! fit Ben.
– Partons, partons vite ! aboya Opié. Tu oublies Gardenna !
Ben secoua sa tête comme pour se débarrasser du tic-tac et,
suivi d’Opié, il prit le premier chemin venu.
…
Pendant ce temps, Gardenna vivait au jour le jour. Elle était
heureuse. Telle l’abeille qui butine, elle allait et venait parmi
des milliers de fleurs. Elle se laissait porter par les couleurs,
par les senteurs : jasmins, tulipes, pétunias, roses, violettes…
Gardenna menait la vie des nymphes.
Elle s’était assise sur un talus quand, soudain, elle fut éblouie
par une tache rouge qui brillait au loin dans l’herbe. Elle se leva
et s’approcha de ce rouge lumineux. C’était une fleur. Ses yeux
brillèrent. Un coquelicot. Elle versa de douces larmes. Elle se
revit dans sa chambre. Sa mère la coiffait délicatement. Puis elle
ornait ses longs cheveux blonds d’un coquelicot. Reverrait-elle
ses parents ? Plongée dans ses souvenirs, elle n’avait pas vu que
le coquelicot et les autres fleurs s’étaient fanés. Tout à coup,
une inquiétude la saisit. Elle aperçut des traces de pas près du
coquelicot. Des pas… d’humains !
– Mais qui peut bien être passé par ici ? se demanda-t-elle.
Elle décida de suivre ces traces de pas.
10...
Au même moment, un disque étrange s’interposa devant Ben
et Opié.
– Non Ben, n’y va pas ! hurla Opié.
– Et pourrrquoioioi ?
Ils furent emportés par un énorme courant d’air et atterrirent
dans la Vallée Minute.
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– Attention, je suis là !
– Qui êtes-vous ? questionna Ben.
– C’est moi, chuchota une petite voix.
Il vit avec difficulté un minuscule lutin de cinq centimètres.
– Que fais-tu ici ? s’écria le lutin.
– Je cherche une jeune fille, Gardenna. Pourrais-tu venir avec
moi Crétin le lutin ? questionna Ben.
– Comment as-tu fait pour deviner mon prénom ? s’exclama
le petit bonhomme.
– Une intuition... répliqua Ben.
Notre aventurier était tout de même rassuré à l’idée d’être
accompagné dans sa quête.
– D’accord, je viens ! Mais à une seule condition, que vous
m’aidiez à sortir de cette Vallée, ma famille a trop souffert ici !
La nuit tombait ; ils s’installèrent dans la forêt pour dormir.
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9...
Requinqués, ils suivirent leur chemin et les yeux de Ben
s’arrêtèrent sur un large ruban rouge qui lui rappela quelque
chose.
– Mais c’est le ruban de Gardenna !
Il le fourra dans son sac car Opié semblait vouloir s’en faire
un nouveau jouet à mastiquer.
Enfin un indice qui semblait leur redonner courage... Une
première piste ! De son côté, Gardenna continuait de suivre
les traces qui la guidaient vers une étrange vallée. Que faire ?
Il pouvait y avoir des trolls, des crocodiles, des sorcières
maléfiques. Malgré cela, elle continua vers la vallée et rencontra
une sorcière.
– Ah ! te voilà, j’avais vu ton visage dans une de mes potions !
Alors, tu as déjà peur de vieillir, à ton âge ?
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– En effet, et cela me regarde, j’ai mes raisons. Pourrais-tu
m’aider en me préparant une potion ?
– Hein, hein, hein... Je vais te donner la recette mais tu devras
aller chercher toi-même les ingrédients dans la forêt interdite.
Plante médicinale, bave de crapaud, patte de grenouille, de la
terre, énuméra cette vieille femme qui savait déjà quel mauvais
tour elle allait lui jouer.
Gardenna, pleine de courage, s’avança. À peine avait-elle fait
un pas que les branches des arbres l’agrippèrent comme si c’était
des bras noueux.
8...
Coupant à travers bois, Opié
vit un bijou en or. Il le prit dans
sa patte.
– Ben, regarde ce que j’ai trouvé : une
boucle d’oreille, s’écria Opié.
– C’est à Gardenna, un deuxième indice ! s’exclama le lutin.
Ce deuxième indice fit l’effet d’une bombe. Ils repartirent au
triple galop.
7...
– Au secours, au secours !
Ben, Opié et Crétin le lutin
virent une jeune fille enroulée
dans les branches d’un
arbre. Ils la comparèrent
à la photo. Oui, c’était
bien elle.
– Gardenna, Gardenna, je viens
te sauver ! cria Ben.
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– Un petit garçon rondelet comme toi, me sauver, hein ?
se moqua Gardenna.
Nos amis se concertèrent pour savoir comment s’y prendre
malgré cette remarque fort désagréable. Ben opta pour féliciter
et charmer le chêne :
– Comme je te trouve beau, si ton feuillage se rapporte à ton
branchage, tu es le plus grand chêne de cette forêt...
À ces mots, l’arbre ouvrit ses branches et par un large « crac »
laissa tomber sa proie.
– Qui êtes-vous ? demanda la jeune fille avant même de les
remercier.
– Je m’appelle Ben et voici mes deux compagnons : Opié et
Crétin le lutin.
– Crétin le lutin ? Ah ! laissez-moi rire !
– Elle est jolie, plus jolie que sur la photo, chuchota le lutin.
La lune faisait son apparition. Ils cherchèrent un coin pour
passer la nuit. Gardenna accepta.
Avant de s’endormir, Ben pensa :
– C’est vrai qu’elle est belle, bien plus belle que sur la photo.
Puis il s’endormit avec cette douce image.
…
Dans la nuit, Crétin le lutin, qui n’arrivait pas à dormir, décida
de s’amuser avec la lampe qu’il venait de dérober dans le sac.
– Allumé, éteint, allumé, éteint... répéta le lutin.
Soudain, il entendit un bruit et lâcha la lampe.
– Allumé, éteint... Oups, elle est cassée !
Le lendemain matin, Ben fut réveillé par un ronflement. Il
essaya d’allumer la lampe qui trônait sur le sol mais en vain.
– Crétin le lutin ! cria Ben d’un ton exaspéré.
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6...
– Bonjour.
Ben, doucement, se réveilla. Il ouvrit les yeux, émerveillé. Il
crut un instant que les rayons du soleil l’enveloppaient. Les longs
cheveux dorés de Gardenna lui caressaient le visage, effleuraient
son cou. Il contempla ses traits fins. Il était bien. Il lui semblait
que le temps était suspendu.
– Je ne te connais pas mais merci pour hier.
Ben revint à la dure réalité, se redressa et prit un ton grave :
– Ton grand-père est inquiet, Gardenna. Il m’a envoyé pour
te ramener près de lui car il ne comprend pas pourquoi tu ne lui
donnes plus de nouvelles.
Gardenna devait être en confiance car elle s’exprima en toute
franchise :
– Moi, je reste là parce que j’ai trop peur de la vie. La mort
m’effraie : j’ai vu mes parents partir sous mes yeux. Auguste m’a
élevée avec tout son amour mais je n’y peux rien, c’est plus fort
que moi. Quand il m’a dit qu’il avait une machine à remonter
le temps, je me suis mis en tête que je pourrais retrouver mes
parents. Alors je cherche, je cherche... et je resterai ici tant que
je n’aurai pas de nouvelles d’eux.
– Ah ! C’est donc ça ! Tu as raison, cela terrorise. Je dois
t’avouer un secret, moi aussi j’ai terriblement
peur de la mort mais j’ai appris
à vivre au jour le jour et je
dois te montrer quelque
chose.
Il sortit de son sac à
dos une sorte de miniordinateur puis mit
en route une
vidéo montrant
Auguste : « Ma
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petite-fille, ma douce et tendre petite-fille, je veux que tu
reviennes, j’ai vraiment besoin de toi. Tu me manques. »
Les larmes qui coulaient sur ses joues ne laissèrent pas
Gardenna indifférente. Sans avoir pris vraiment de décision, elle
choisit pourtant de suivre Ben. Sa présence la rassurait.
5...
Nos quatre amis réunis devaient trouver un moyen de
s’échapper de cette Vallée Minute qui les retenait prisonniers.
Gardenna était toujours partagée et Ben ne savait pas s’il
pourrait compter sur son aide.
– Je ne veux pas vieillir, Ben !
– Nous venons d’en parler. Je pensais t’avoir convaincue. Nous
devons faire vite, l’horloge tourne et les aiguilles se meurent.
Nous allons rester coincés si tu continues.
Ben, découragé, s’assit et décida qu’il était temps de faire une
pause. Il proposa de l’eau à Gardenna mais le ruban rouge tomba
du sac au même moment. Opié se jeta dessus car, décidemment,
cette couleur le rendait fou.
Soudain, il aperçut le regard fixe de Gardenna qui le fusillait.
– Rends-moi ça, vilain chien !
Puis, elle s’effondra. Ben s’approcha d’elle et se voulut
rassurant.
– Il n’a pas voulu faire de mal, il voulait juste s’amuser.
– Mais c’est la seule chose qu’il me reste de ma mère, tu ne
comprends pas !
Cette confidence le mit mal à l’aise et pourtant, tous ces
moments continuaient de les rapprocher.
– Elle relevait ses longs cheveux et mettait ce ruban pour les
retenir...
Ben prit sa main dans la sienne mais, malgré l’émotion, il
décida de la remuer car le temps pressait.
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– Gardienna, tu dois penser à ceux qui t’aiment et qui sont
encore en vie. Tu ne pourras jamais revenir dans le passé alors tu
dois avancer, accepter la vie et profiter de ceux qui t’entourent.
Répète-toi chaque matin que tu as des amis, un grand-père qui
t’aime plus que tout... Et moi maintenant, je serai toujours là
pour t’aider. Tu dois regarder devant !
Il s’étonna lui-même de ce qu’il venait de dire. Serait-il
toujours là pour elle ? Il la connaissait à peine, mais il s’attachait
à elle, à son histoire, à ses peurs.
4...
– Regarde, Ben, devant toi ! prévint Gardenna.
La sorcière Maléfique apparut dans un nuage de fumée.
– Hahahaha... Me voilà ! Viens avec moi, tu ne devais pas
m’apporter quelque chose ?
Elle saisit Gardenna par le bras avec beaucoup de violence.
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Opié aboya mais la sorcière le tapa violemment d’un coup de
balai qui le mit à terre, ce qui freina Ben et le lutin.
– C’est ce monstre qui a transformé ma famille en lutins !
Gardenna, serrée contre la poitrine de Maléfique, en profita
pour lui dérober la potion dissimulée sous sa veste, qui, elle
l’espérait, lui donnerait l’éternité puis la plongea dans le fond
de sa poche.
Crétin, tout à coup, saisi de rage et de courage, hurla :
– À l’attaque !!!
Ben fut émerveillé par la force du petit bonhomme et courut
à ses côtés pour combattre ce démon.
3...
Les trois coups de l’horloge transformèrent la sorcière en deux
aiguilles, l’une courte et l’autre plus longue ce qui lui offrait
deux armes pour le combat. Elle voulut alors leur jeter un sort.
– Zempétangue, Zempétingue, disparaissez pour toujours !!!
Ben eut l’idée de brandir un miroir de son sac et le maléfice
se retourna contre celle qui l’avait jeté.
Un nuage de poussière noire s’envola. Ils avaient vaincu et
enfin l’espoir était présent. Tout à coup, les oreilles pointues de
Crétin le lutin se changèrent en oreilles ordinaires. À la place de
cet étrange pif surgit un nez en trompette. Ses petites jambes
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s’allongèrent. Un petit garçon apparut avec une coupe au bol.
– Merci beaucoup, vous m’avez délivré de ce sortilège.
Chronos, car c’était son vrai prénom, avait peine à croire qu’il
avait retrouvé son apparence humaine. Quel bonheur ! Et sa
famille, avait-elle subi la même transformation ?
Les aventuriers purent continuer leur chemin. Ils avancèrent
dans la forêt. Soudain, ils virent la machine perchée sur un arbre
magnifique du printemps. L’arbre était orné de camélias et de
coquelicots, c’était féérique. Ben sortit de son sac une corde de
cow-boy puis il la lança autour de la machine.
– Tirez avec moi. 1... 2... 3…
La machine tomba par terre, sur ses pattes (c’est une image
bien sûr). Ils restèrent bouche-bée devant la machine intacte.
2...
La jeune fille, fatiguée, et dont les gouttes de sueur coulaient
sur ses joues roses, s’assit sur un rocher. Ben la rejoignit et
lui dit :
– Allez, profite du beau temps. La vie est longue ! N’aie
crainte, je te protégerai !
Gardenna hésita, réfléchit, se gratta la tête et finit par dire...
NON !
Opié intervint. Il la charma pour qu’elle accepte l’invitation
mais hélas, elle ne se laissa pas surprendre. Les deux pauvres
petits tentèrent tout. Ils essayèrent le coup des fleurs, le tour de
magie, la pièce qui sortait de l’oreille mais rien ne l’impressionnait. Gardienna se rappela de la fiole de potion et sans crainte
grimpa avec eux. Elle était encore persuadée que cette potion
lui donnerait l’éternité. C’était sans compter sur le mauvais état
d’esprit de Maléfique.
Devant la machine, se trouvaient des marches. Chronos, qui
goûtait son bonheur, bondissait partout, escaladait et finit par
s’appuyer par erreur sur le bouton qui ferma les portes.
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La machine s’éclipsa en laissant notre maladroit seul.
– Bon voyage ! Au revoir et merci pour tout !
Il se retourna, confiant, car il avait espoir de retrouver les
siens.
1...
Go... Tic tac, Tic Tac, Tic Tac...
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Chapitre 2
Cycliturne
Lorsqu’ils se posèrent, Ben était inconscient. Opié le réveilla
avec un coup de langue, Ben sursauta et ouvrit enfin les yeux.
Le garçon souleva la capsule, s’empara de son sac à dos
par précaution. Gardenna semblait avoir disparu. Opié se jeta
dehors, bousculant Ben au passage. Celui-ci voulut pousser un
juron mais, au moment où il leva les yeux, il fut interrompu par
la vision du paysage : en face d’eux, tout était vide et sombre.
– Opié, nous sommes enfin arrivés ! Notre quête est accomplie :
nous sommes rentrés à la maison !
Il regarda autour de lui et constata que le paysage ne lui était
pas familier. Ben ne s’étonna pas davantage. Opié, quant à lui,
reniflait le moindre centimètre carré.
– Je ne reconnais pas cet endroit mais nous ne devons pas
être très loin de chez nous. Marchons quelques minutes, cela
nous fera un peu d’exercice.
– Je ne voudrais pas te démoraliser, cher Big Ben, mais ma
truffe ne m’annonce rien qui vaille. Je ne reconnais aucune
odeur familière.
– Ne sois pas pessimiste, où veux-tu qu’on soit ? Sur Mars ?
plaisanta Ben, un poil inquiet tout de même. En route !
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M. Palissieux doit nous attendre, nous avons un compte à régler !
Ils marchèrent une minute, puis deux, puis dix. Ben n’osa pas
engager la conversation. Ils marchaient en silence. C’est Opié
qui brisa ce silence de plomb :
– Regarde là-bas, une indication !
Ils se précipitèrent et découvrirent avec stupeur une
pancarte sur laquelle était écrit « CYCLITURNE ». Ben
s’effondra. Lorsqu’ils levèrent les yeux, ils purent voir devant
eux quatre immenses « peintures » : l’été, l’automne, l’hiver et
le printemps. Attiré par le soleil, Opié prit la direction de l’été.
Puis il disparut dans le tableau. Ben, un peu inquiet d’être
seul, lui emboîta le pas.
L’endroit était désert. Quelques mauvaises herbes poussaient
librement. Opié semblait déçu et aussi apeuré. Ben le réconforta
du regard en essayant de dissimuler sa peur. Ils s’avancèrent
au hasard, ne sachant pas où aller, lorsque Gardenna fit son
apparition. D’un geste, elle dégagea ses longs cheveux blonds
et se dirigea vers eux, le sourire aux lèvres. Ben était content
de la revoir. Heureuse de les retrouver sains et saufs, elle prit
Opié dans ses bras et déposa un baiser sur son front. Ben, qui se
demandait si c’était possible d’être jaloux d’un chien, engagea
la conversation :
– Mais où sommes-nous ? On n’a pas réussi à rentrer ?
– Non, il nous reste encore un peu de chemin. Ici, nous
sommes sur Cycliturne, répondit-elle.
– Dis Gardenna, c’est une nouvelle épreuve qui nous est
donnée ? J’ai envie de rentrer chez moi, moi. On va commencer
à s’inquiéter ici-bas et Auguste à s’impatienter !
– Il sait, ne t’inquiète pas. À présent, mettons-nous en route.
Il faut aller au Nord-Ouest, puis marcher jusqu’à la tombée de
la nuit.
– Tu en connais des choses, s’esclaffa Ben.
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– C’est que vous avez mis du temps à vous réveiller de votre
petit voyage. Et moi, je n’avais pas envie de moisir ici, j’ai donc
cherché une sortie, lui répondit-elle d’un sourire éclatant qui
faillit le faire tomber.
Mais alors qu’il s’apprêtait à lui poser d’autres questions, elle
se volatilisa. Ben et Opié marchèrent silencieusement, tous les
deux plongés dans leurs « pensées » (si tant est qu’un chien, et
celui-ci en particulier, « pense »…).
Ils atteignirent alors un grand jardin, qui à première vue,
paraissait tout à fait normal. Opié attiré par un papillon s’éloigna.
Une brise légère agitait doucement des arbres surprenants :
dans leur tronc se trouvait un balancier surmonté d’une petite
pendule. Au bout des branches pendouillaient de drôles de fruits
dégoulinant de jus.
Ben s’approcha dans l’intention d’en cueillir un. Mais Gardenna
réapparut comme par miracle :
– Ne touche pas aux encoriques !
Cependant, elle n’eut pas le temps de finir sa phrase. Tout
à coup, les aiguilles se mirent à tourner lentement en arrière.
Ils se retrouvèrent alors au même endroit qu’au tout début. Il
faisait très chaud.
– Que s’est-il passé ? demanda Ben.
– C’est la planète du temps cyclique, à tout moment, si tu
n’es pas attentif, tu peux revenir en arrière, répondit Gardenna.
– Attentif à quoi ? s’interrogea Ben.
Mais sa question sembla s’évanouir dans l’éternité.
Opié revint de sa balade. Affamé et assoiffé, il se jeta, sans
réfléchir (l’instinct animal sans doute !) sur un encorique tombé
au sol. Et les aiguilles tournèrent lentement en arrière.
Ben fut alors pris d’un grand vertige, il se sentit soudain
emporté vers le bas. Dans sa chute, il eut l’impression qu’il
heurtait des branches, probablement. Il entendait Opié aboyer.
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Lorsque Ben ouvrit les yeux, il ne mit pas longtemps à
comprendre qu’il n’avait pas heurté des branches mais des parois
de verre ; il ne mit pas longtemps à comprendre non plus qu’ils
étaient tous trois prisonniers d’un immense sablier. Enfin tous
deux, car une fois encore il ne voyait plus Gardenna. Et là-bas,
tout en haut, il entrevoyait la sortie.
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Ben ouvrit son sac dans l’espoir de trouver une solution
miracle. Il fouilla à la recherche de la corde qui les avait sauvés
une première fois. Au même moment, l’ordinateur émit une
petite musique. Un message s’afficha.
Cher voyageur du temps,
Si tu lis cette lettre, c’est que tu es dans le sablier de Cycliturne,
ce monde du temps cyclique, le temps qui revient sans cesse…
Cycle veut dire : le temps qui retourne toujours à son point de
départ comme dans un cercle !
Ce monde est composé de deux parties, le haut et le bas. En
haut il y a le sable qui attend de tomber, en bas, la salle se
remplit. Au centre tu trouveras une cascade de sable. Quand le
dernier grain touchera le sol, que la totalité se sera déversée dans
la partie inférieure, le sablier se retournera, tu te renverseras et
tout recommencera.
Tu auras peu de temps, mais rassure-toi, à chaque fois tu
recommenceras les MÊMES actions et tu pourras alors aller plus
vite. Il faut t’appuyer sur ton expérience du temps précédent.
J’ai confiance en toi, la première fois que je t’ai vu j’ai su que
tu étais le sauveur de Gardenna. Je suis sûr que tu réussiras. Il
suffit de faire confiance au temps, à toi.
Bonne chance.
Auguste PALISSIEUX
Quel message intriguant ! Ben rangea soigneusement son
ordinateur.
Il releva la tête et observa les lieux : il était ébloui par une
lumière aveuglante. Le paysage était, à première vue, désertique.
Il n’y avait pas de verdure mais une immense plaine de sable.
En son centre, il y avait cette magnifique cascade au sable
brûlant qui s’écoulait à une grande vitesse en faisant un vacarme
assourdissant et en créant une gigantesque montagne de sable.
Ben eut un sentiment de solitude, seul dans cet univers vide
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avec pour seul compagnon un drôle de chien qui parle. Après
quelques pas, épuisé par la chaleur, il aperçut un grand lac bleu
avec des bulles qui explosaient régulièrement à la surface, un
lac d’acide… Et une île au milieu. Un homme étrange y pêchait,
perché sur une branche d’arbre. Ben se dit que si l’inconnu était
arrivé sur l’île, c’est qu’il avait été capable de traverser ce lac
sans danger.
Ben eut peur, tout d’un coup, car il pensait qu’il ne retrouverait
jamais Gardenna dans le sable, elle était peut-être de l’autre côté
du lac, et comme il était bordé de murs de buissons épineux, il
allait falloir traverser.
L’été
Il fallait qu’il retrouve Gardenna. Il faisait une chaleur
insupportable et il n’y avait pas d’eau, sa gourde s’était
déversée dans le sable quand il avait traversé le tableau. Il
se retrouva le nez devant la grande chute de sable, il entendit
un petit cliquetis et demanda à Opié de fouiller. Opié renifla,
gratta, fouilla et trouva une clé.
Ben s’enfonçait dans le sable, il avait une soif horrible.
Et alors qu’il croyait dépérir, il vit jaillir une main du sable :
étaient-ce les effets du manque d’eau qui provoquaient des
hallucinations ? Il se frotta les yeux. Un bras puis un visage
se dessinèrent, c’était Gardenna. Surpris, Ben ne la reconnut
pas tout de suite. Elle était plus blonde, comme un soleil
éclatant, et avait les yeux bleus, comme le lac qu’il apercevait
au loin.
– Ah ! te voilà ! Mais d’où viens-tu et comment as-tu fait ?
Il voulait lui poser encore une ou deux questions mais elle
ne le laissa pas finir :
– Tu vois cette porte là-bas ?
– Oui, et alors ?
– Avec la clé que tu as trouvée, ouvre-la !
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Le temps qu’il tourne la tête, elle s’était volatilisée, encore
une fois… Ben courut de toutes ses forces en espérant qu’il y
avait de quoi se ravitailler. Il ouvrit la porte :
– Une clepsydre ! De l’eau !
Et il plongea sa tête avec délectation dans l’eau fraîche. Il
continua son chemin vers le lac, il n’avait pas d’autre choix
que d’avancer. Il était plus en forme, l’eau lui avait fait du
bien.
Au bord du lac, en prenant garde de ne pas mouiller ses
chaussures, il appela le pêcheur en faisant de grands gestes :
– Ho hé ! Monsieur ! Vous pouvez m’aider ?
L’homme approcha dans sa barque à fond en métal. Comparé
à Monsieur Palissieux, il était plus jeune et plus robuste,
comme de la pierre. Il avait les cheveux courts et un tee-shirt
rouge.
– Pouvez-vous m’aider à atteindre l’autre côté ?
– Je n’ai pas que ça à faire, j’ai du travail…
Ben insista, il n’avait pas l’air si affairé sur sa branche…
– J’aime bien les énigmes, dit l’homme. Je t’en propose une,
si tu réponds juste, je te ferai monter dans ma barque, OK ?
– Heu… Oui, Monsieur. Je n’ai pas l’air d’avoir le choix.
– Écoute bien : « Je suis née grande, pourtant plus je vieillis,
plus je rapetisse. Qui suis-je ? »
Ben resta bouche bée !
– Grande… et je vieillis, c’est une personne ? Un animal ?
L’homme faisait non de la tête.
Gardenna apparut brusquement :
– Concentre-toi, Big Ben, la chute ralentit, tu n’entends pas,
elle fait moins de bruit.
– T’es marrante toi, t’étais où ?
– Le sable Benny, réfléchis, il faut sortir d’ici… S’il te plaît !
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Ben réfléchit mais ne trouvait rien.
– Pouvez-vous me donner un indice ? demanda-t-il au
pêcheur.
– C’est un objet que l’on utilise quand il fait noir.
Ben réfléchissait à cent à l’heure, il regardait autour de lui
et vit dans la barque deux bougies, l’une était fondue et l’autre
non utilisée. Il les fixa un moment. Il ouvrit grand les yeux.
– Une bougie ! Mais c’est une bougie !
– Bravo, mon enfant ! Tu as trouvé la réponse. Maintenant,
je peux t’aider à traverser ce lac, une petite surprise vous y
attend.
En posant le pied, ou plutôt la patte, sur l’île, Opié trottina,
la truffe en avant et revint, la queue frétillante, il avait dans sa
gueule un objet brillant. C’était la première pièce du puzzle qui
leur permettrait de sortir de Cycliturne.
Ils allaient pouvoir continuer leur chemin.
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Mais, il était déjà trop tard, la chute ne coulait plus, ils se
mirent à rétrécir, ils s’enfonçaient petit à petit dans le sable
fin. Oh non, tout allait recommencer ! Le sablier tremblait, ils
allaient s’étouffer dans le sable, quand soudain ils glissèrent sur
le dos, sur le ventre et… plus rien.
L’automne
Ben ouvrit doucement les paupières. Ils étaient bien au point
de départ comme l’avait annoncé Auguste. Il devait retrouver
Gardenna. Et il DEVAIT sortir de cet enfer !
Un bruit de cliquetis attira son attention, il vit la clé dans
la chute. Ni une, ni deux, il plongea tête en avant et ressortit
héroïquement avec la petite clé dans la main, mais couvert
de sable.
Il n’en pouvait plus, il avait l’impression d’être là depuis des
heures, il avait surtout très soif ! Et où cette petite peste de
Gardenna pouvait-elle bien être passée ?
À présent, le sable où ils pataugeaient était recouvert de
feuilles de multiples couleurs : jaune doré, vert sombre, rouge
bordeaux. Il faisait un peu frais et des nuages gris doré cachaient
le soleil. Ben regarda autour de lui. Ce n’était plus du sable qui
coulait de la chute, mais des feuilles qui volaient comme des
papillons.
– Je sais ! C’est l’automne maintenant, tout devient logique !
Après l’été, l’automne. Les arbres verdâtres, le soleil moins
éblouissant et le sol qui crisse sous les feuilles, ça, c’est bel et
bien l’automne… Il restait pensif quand Opié aboya, Ben sursauta et le comprit
dans le regard du brave chien.
Il devait tout recommencer : courir, aller jusqu’à la clepsydre,
boire et traverser le lac, mais plus vite cette fois, il savait
comment s’y prendre.
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Il but l’eau. Il se dit qu’il serait plus intelligent de remplir
sa gourde en prévision d’une prochaine pénurie. Près de la
clepsydre, Gardenna le regardait : elle semblait flotter dans l’air.
Elle avait beaucoup changé : ses cheveux blonds avaient viré au
roux et elle semait des mèches de cheveux un peu partout en
bougeant sa tête.
– Alors, c’est l’automne aussi dans tes cheveux ! Ils tombent
comme les feuilles ! Qu’est-ce que ça va être en hiver ? Tu seras
chauve ?!
– Laisse-moi tranquille, ce n’est vraiment pas drôle ! J’voudrais
t’y voir si tu restais bloqué aussi longtemps que moi…
Ils sortirent et coururent vers le lac, il ne s’agissait plus de
perdre du temps !
Ben ne reconnut pas tout de suite le pêcheur. Il avait les
cheveux plus longs et une petite barbichette avait poussé sur
son menton. Son tee-shirt était maintenant rouge délavé.
– Bonjour ! dit Ben joyeusement.
– Euh… On se connaît ? répondit le pêcheur.
– Bah… Oui, en tout cas, moi je vous reconnais, dit Ben qui
réalisa que le pêcheur ne pouvait pas se souvenir de lui.
– Pouvez-vous me mener sur l’île puis de l’autre côté du lac ?
– Moi, j’ai pas que ça à faire... Je peux te proposer une
énigme… Je suis née grande et pourtant plus je vieillis et…
– Plus je rapetisse ? Et je vous réponds une bougie ! dit
précipitamment Ben.
– Mais… C’est incroyable, tu la connaissais ?
Ben et Gardenna répondirent par un grand sourire charmeur.
– Bon, je vous fais traverser alors ! dit le pêcheur un peu
surpris de cet exploit.
Ils n’échangèrent aucune parole durant la traversée. Ben
préférait ça car le pêcheur devait croire qu’il était une espèce de
sorcier-voyant. Ils firent une halte sur l’île, puis ils repartirent.
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Lorsque le canot toucha le bord, Ben et ses amis débarquèrent,
remercièrent le pêcheur et s’enfoncèrent dans les profondeurs de
l’autre rive.
Ils s’avancèrent et soudain ils se trouvèrent nez à nez avec
une barrière de feuilles. Elles tombaient et laissaient apparaître
un mur de pierre. Sur ces pierres étaient gravés des dessins que
Ben ne reconnaissait pas à première vue. D’un œil plus fin, il
identifia un cadran, des aiguilles et un balancier, des chiffres
romains… C’était un puzzle représentant une horloge !
Il balaya de la main les dernières feuilles qui restaient sur
le mur et découvrit un bouton rouge. Gardenna appuya dessus
sans prévenir personne. Ben allait protester quand le mécanisme
se mit en marche. On entendit un grand bruit et les pièces du
puzzle commencèrent à bouger. Elle venait de déverrouiller le
système. Super ! Il essaya de faire le puzzle en bougeant les
pièces horizontalement et verticalement. Il n’y arrivait pas.
Ben se rappela son enfance, en maternelle : il faut toujours
commencer un puzzle par les coins ! Puis placer les bordures et
compléter le reste.
Gardenna dit :
– Il faut que tu reconstruises ce puzzle. Je veux bien t’aider
si tu veux !
– Avec plaisir ! Cherchons ensemble les coins.
– J’en ai trouvé deux !
– Et moi aussi !
– Il faut trouver les bordures.
– Donc ce sont les chiffres romains du cadran.
– Ça y est ! Il faut maintenant poser le cœur du puzzle !?
– Ce sont les aiguilles ! Les voici !
– Enfin, c’est terminé ! On forme une bonne équipe quand tu
décides de ne pas te volatiliser !
Elle sourit timidement… Opié aboya. Un nouveau morceau du
puzzle d’or était sorti du mur, magnifique ! Gardenna s’en empara
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mais déjà le sol tremblait, Ben reconnut le signal, Cycliturne
allait se retourner, encore…
L’hiver
Ben comprit qu’ils étaient à présent en hiver lorsque son
regard tomba sur les cheveux argentés de Gardenna. Évidemment,
ce n’était pas une surprise ! Après l’été et l’automne, quelle
surprise en effet pouvait leur réserver un sablier ! Le paysage
était glacé et neigeux. Devant eux s’étendait le grand lac,
maintenant glacé.
– Opié, va tester le lac ! ordonna Ben.
Opié, pas motivé pour un sou, s’écarta, boudeur.
– Pff... Comme d’hab, c’est moi qui m’y colle. Je me demande
à quoi me sert ce chien… Ben mit un pied sur la glace qui était
craquante mais solide. Le garçon commença à marcher sur cette
grande patinoire. De loin, l’animal boudeur le suivait précédé de
Gardenna qui semblait craintive. Mais lorsque le petit cabotin
aperçut son reflet dans la glace, il fut pris de peur et la brisa.
– Espèce d’idiot ! cria Ben.
Toute la glace commença à se casser. Ben saisit Opié dans
un bras, de l’autre, il saisit la main de Gardenna et courut ainsi
jusqu’à la rive.
– Enfin du repos, pensa Opié.
Arrivés de l’autre côté, les aventuriers prirent le chemin qu’ils
avaient emprunté la dernière fois. Ils savaient à quoi s’attendre.
Après le lac, le casse-tête géant. Mais après ? Quelle épreuve leur
réservait l’hiver ? Ils reconstituèrent rapidement le casse-tête.
Mais l’angoisse s’empara d’eux lorsqu’ils furent à nouveau
confrontés à l’inconnu : à perte de vue s’étendait maintenant
une forêt dense. Dans tous les livres, Ben avait lu que les forêts
étaient peuplées de créatures toutes aussi effrayantes les unes
que les autres. La chair de poule recouvrit tout son corps. Opié
se rapprocha de lui. Il leur faudrait du courage.
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Ne voyant pas d’autres issues, le garçon entra toujours suivi
par son fidèle compagnon. Sans savoir ce qui la provoqua, une
ombre humaine s’approcha d’eux.
– Big Ben, rends-moi service… commença-t-elle.
– Hé ! Comment vous connaissez mon surnom ! l’interrompit
Ben, énervé quand on l’appelait comme ça, mais étonné par
l’apparition soudaine d’une ombre qui parlait.
– Je sais beaucoup de choses sur toi…
– Laissez-moi passer, je n’ai pas de temps à perdre, coupa
Ben, agacé.
L’aventurier continua son chemin. L’ombre, étonnée de sa
réaction, s’évapora mais réapparut un peu plus loin.
– Laissez-moi tranquille ! hurla Ben.
– Écoute-moi avant de partir, rends-moi service. Je t’en
supplie. Moi aussi je suis coincée là depuis une éternité ! Nous
sommes nombreux, ici, à tourner en rond…
Il garda le silence. Puis, comprenant le désarroi de l’ombre
(car il commençait à le ressentir lui aussi), il lui dit :
– Que dois-je faire ?
– Je te demande de me rapporter le fruit qui pousse sur la
colline glacée et une plume du manchot sacré.
– Bon d’accord… répondit Ben.
– Je te donne cette montre à gousset, elle t’aidera à te
diriger.
Sur ce, elle disparut. Les amis s’enfoncèrent dans la forêt.
Après plusieurs heures de marche, leur semblait-il, ils
parvinrent à une clairière. Au centre se dressait une grande
colline glacée, mystérieuse et intimidante à la fois... Elle
semblait impénétrable. Ben ouvrit la montre à gousset. Il y
avait une seule aiguille qui pointait tout droit vers la colline.
– J’ai compris, pensa Ben, l’aiguille m’indique la direction
des éléments que je dois trouver.
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– Nous devons monter, souffla Opié.
Mais Ben s’allongea, découragé et épuisé devant cette
colline imposante. Il fallait qu’il se repose un peu. Il s’endormit.
Opié, agacé par les ronflements incessants de Ben, décida de
s’éloigner de ce ronfleur paresseux. Il se mit à fureter le sol.
Il se crut chanceux lorsqu’il posa sa truffe sur un beau fruit
juteux et parfaitement rond au pied de la colline. Il essaya de
l’attraper avant de se rendre compte que ce n’était qu’un reflet.
Il leva la tête et découvrit le fruit tant convoité perché sur un
arbre. Il décida donc de se lancer seul dans l’aventure.
– Chouette, pensa-t-il, ce sale gamin ne pourra plus dire que
je suis « un sale cabot fainéant » ! Moi aussi je suis fort…
Il grimpa dans l’arbre, s’approcha précautionneusement du
fruit, le saisit, mais, pas de chance, la branche se brisa. Il ne
put arrêter le roulé-boulé, et il finit sa glissade sur Big Ben !
– Laisse-moi, ronchonna Ben.
Ben se leva à contrecœur. Très surpris, il découvrit le fruit à
ses pieds et caressa avec joie le « sale cabot ».
Il rouvrit sa montre à gousset et se dirigea vers sa deuxième
quête. Ils marchèrent longtemps dans le froid avant de découvrir,
au pied d’un arbre l’entrée de ce qui ressemblait à un igloo. Sans
hésiter, ils frappèrent et, n’ayant pas de réponse, ils entrèrent.
Un manchot couronné de laurier les « accueillit » :
– Asseyez-vous, prenez donc un thé, mais, je vous préviens,
je n’ai pas de cuillère !
– Merci, mais je n’aime pas le thé, nous pensions que…
– Asseyez-vous prenez donc un thé, mais, je vous préviens,
je n’ai pas de cuillère !
– Merci beaucoup, répondit Ben conciliant.
– Que faites-vous ici ?
– Nous vous cherchions.
– Que faites-vous ici ?
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– Nous vous cherchions ! Nous avions quelque chose…
– Asseyez-vous, prenez donc un thé, mais, je vous préviens,
je n’ai pas de cuillère ! Donc, vous vous contenterez d’une de
mes plumes !
– Bien... Merci, acquiesça Ben en réprimant un fou rire.
– Je crois qu’il n’y a rien à faire pour lui, il doit être atteint
par le temps cyclique, dit Opié. Prenons cette plume, elle fera
l’affaire et continuons !
Ils saluèrent leur hôte et sortirent. Ils retrouvèrent le froid
polaire de la forêt. Gardenna les attendait assise sur une souche.
– Qu’elle est belle ! ne put s’empêcher de penser Ben.
Les deux éléments enfin en leur possession, ils décidèrent,
ensemble, de se reposer un peu. Ils choisirent un endroit
magnifique éclairé par les rayons d’une lune bienveillante.
La forêt entière semblait recouverte d’un manteau de cristal.
Ils s’installèrent non loin l’un de l’autre, Opié les séparant
seulement de quelques centimètres. Et alors que Ben croyait
avoir enfin un petit moment de répit, l’ombre apparut :
– Merci infiniment, dit-elle en s’emparant doucement des
« objets », et en leur offrant la troisième pièce du puzzle.
Veuillez croire en…
Elle n’eut pas le temps d’achever sa phrase. Une secousse
se fit sentir et pour la quatrième fois, les trois amis furent
entraînés dans l’immense chute… d’eau cette fois-ci car c’était
le printemps qui les attendait.
Le printemps
Un instant émerveillés par le paysage printanier, leur plaisir
se dissipa lorsqu’ils s’aperçurent que, pour la quatrième fois, ils
se trouvaient non loin du lac. Mais à présent, il était bordé de
magnifiques arbres très alléchants : ils étaient fleuris et surtout
couverts de fruits. Ben reconnut rapidement les encoricas.
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Un arbre attira particulièrement leur regard : une sorte de
chêne qui dépassait les autres d’une cime au moins et semblait
les… appeler. Curieux et gourmands, ils s’approchèrent. L’arbre
s’inclina sur leur passage et sembla susurrer un « c’est par
ici… ». Ils furent soudain arrachés du sol par les puissantes
branches de l’encorica qui les déposa devant le lac. Habitués à
ces péripéties, ils connaissaient maintenant par cœur la marche
à suivre.
– C’est ça qui est bien avec les habitudes, on sait où on met
les pieds, glissa Ben à son compagnon.
Puis, sans se poser de question, ils traversèrent sans difficulté
le lac, reconstituèrent le casse-tête géant et s’engagèrent dans
la forêt. Ils firent un petit coucou au passage au manchot sacré
qui leur offrit un petit rafraîchissement. Ça avait décidément du
bon d’avoir ses petits repères…
Lorsqu’ils sortirent, ils furent accueillis par un animal ailé
qui se présenta :
– Je m’appelle Ideul. Que puis-je faire pour vous ?
Opié émit un petit grognement qui n’alarma pas Ben, pressé
de sortir de cette forêt. Il n’avait pas oublié que l’immense
chute d’eau était en train de continuer sa course et que la
dernière goutte tombée, ils se retrouveraient en été. Et cela, il
n’en avait aucune envie… Une année dans un sablier (si l’on se
fiait aux saisons), cela commençait à faire long !
– Crois-tu que tu pourrais nous faire sortir de cette forêt ?
demanda Ben.
L’animal accepta, sans contrepartie, et ils s’envolèrent. De
là-haut, ils purent constater que la chute d’eau n’était qu’à
moitié écoulée. L’espoir se ralluma dans l’esprit de Ben. Mais il
fut interrompu dans sa rêverie par Ideul : – Que voulez-vous exactement ?
– Nous sommes à la recherche de la quatrième pièce d’un
puzzle. C’est notre seul moyen de ramener Gardenna à son
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grand-père et de sortir d’ici. Enfin, ce serait compliqué de tout
vous expliquer…
– Vous n’êtes pas les premiers à passer par ici. Je crois que
ce que tu cherches est là, sous tes yeux, petit, déclara l’animal,
un sourire énigmatique aux lèvres.
Il déposa les amis dans un immense jardin luxuriant au pied,
à nouveau, d’un encorica. L’aventurier commença à chercher
mais il ne lui était pas venu à l’idée qu’Ideul lui avait tendu
un piège car lui aussi, il cherchait les quatre pièces du puzzle
pour retourner dans son monde d’origine. Ben, qui ne trouvait
rien, se retourna pour interroger Ideul mais il le surprit en train
de fouiller dans son sac. Opié l’attaqua aussitôt à la patte, le
mordit. L’animal se volatilisa immédiatement.
Ils préférèrent oublier cet incident et se concentrer sur leur
recherche. Ils se remirent donc au travail. Opié s’éloigna et Ben
l’observa. Il vit la petite queue du chien s’agiter en signe de
victoire. Opié ramenait une surprise à Ben.
– Tu n’es bon qu’à déterrer des os, sale cabot, se lamenta Ben
les larmes aux yeux. On n’y arrivera jamais ! De colère, il saisit l’os et le lança de toutes ses forces.
Pourtant, l’os retomba juste sous leurs nez et se transforma,
petit à petit, en une magnifique pièce de puzzle, la quatrième,
la dernière ! Ben s’empara de son sac à dos, sortit les trois
autres pièces et les assembla. Dès qu’elles furent en contact,
une inscription apparut :
– Plus je me vide, plus je me remplis. Qui suis-je ? C’est ce moment précis que Gardenna choisit pour réapparaître.
– Comme par hasard, quand tout est fait et que tous les
dangers sont écartés, marmonna Ben.
– Je savais que tu réussirais, Ben, Auguste ne t’a pas choisi
par hasard…
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Alors le ciel s’assombrit. Les aventuriers se trouvèrent dans
la pénombre. Quand ils levèrent la tête, ils virent des chouettes
dans le ciel. Ce n’était pas bon signe… Ils se mirent à chercher
leur vaisseau mais celui-ci restait introuvable. Ils eurent
l’impression que tout avait disparu.
– Ça ne s’arrêtera donc jamais ! dit Ben.
– Il faut que l’on trouve rapidement la réponse à cette
énigme, on ne pourra sortir de Cycliturne qu’à cette condition.
La cascade d’eau n’est pas encore écoulée mais, il ne faut pas
perdre de temps…
– Perdre du temps, mais on n’a fait que ça depuis notre
arrivée ! À quoi tout cela rime-t-il ? Qui a bien pu concevoir
une telle dimension ? Et pourquoi a-t-elle été conçue pour nous
garder prisonniers ? Je n’y comprends rien et je commence à
en avoir marre. Je veux rentrer chez moi. Avec ou sans vous !
Auguste doit savoir quoi faire. Il ne peut pas nous avoir
abandonnés ici. Je vais lui envoyer un message.
Alors, la main de Gardenna l’arrêta. Un simple sourire, et
Ben retrouva ses esprits. Il commençait décidément à s’attacher
à elle.
– Cherchons la réponse à l’énigme et sortons d’ici ! lança
Opié qui s’amusait des sensibleries de son petit maître.
Mais au loin, ils aperçurent un être étrange. Attiré par l’or,
il voulait s’emparer des pièces du puzzle. Opié l’avait tout de
suite senti et tous trois préférèrent prendre leurs jambes à leur
cou, il fallait que ça s’arrête… C’était beaucoup trop d’émotion.
Malheureusement, ils étaient talonnés par cette espèce de
troll affreux. Ils ne savaient plus où aller. Gardenna, dans un
moment de panique, saisit la petite fiole qu’elle avait autour du
cou, but quelques gouttes et offrit le reste à ses amis.
Les trois compères rétrécirent immédiatement et se
réfugièrent dans le premier trou qu’ils aperçurent. C’était une
immense fourmilière. La reine des fourmis leur demanda ce
qu’ils désiraient.
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Ben bégaya :
– Nous sommes de passage sur Cycliturne, nous cherchons
notre vaisseau afin de retourner sur terre.
– Nous vous attendions… Le manchot sacré, notre cousin,
nous avait prévenues de votre arrivée… Prenez cette fiole et
montez sur mon dos !
Ben ne sut combien de temps ils voyagèrent ainsi. Mais
lorsque l’aventurier se réveilla, il était au pied d’une immense
statue : c’était un sphinx. Opié le regardait, impuissant.
Gardenna était introuvable. Dans sa main, Ben tenait la petite
fiole : elle était complétement vide.
Il secoua la tête croyant à un cauchemar mais le sphinx était
bel et bien là. Ben fut autant émerveillé qu’apeuré devant la
créature qui se dressait devant lui. Elle devait mesurer au moins
trente mètres et brillait comme de l’or, le soleil se reflétait sur
son corps massif.
Soudain le sphinx ouvrit les paupières dans un cri de ferraille
et lui dit d’une voix de stentor :
– Je suis ton dernier obstacle avant de quitter ce monde,
pour cela, as-tu résolu l’énigme ?
– Pas exactement, répondit Ben courageusement. C’est-à-dire
qu’un troll nous a attaqués puis des fourmis nous ont….
– Suffit, grogna le sphinx, je connais ton histoire, je t’ai vu
accoster ! Voyons, quelle est ta réponse ?
– Allez Ben, un peu d’imagination, la chute d’eau va se
terminer, aboya Opié un poil insolent.
– Plus je me vide… Plus je me remplis… C’est invraisemblable ! Ce ne peut pas être un verre d’eau, peut-être une
clepsydre…
– Il ne faut pas te tromper sinon tu devras recommencer le
cycle des quatre saisons !
– Les quatre saisons. Et je resterai coincé dans ce sablier qui
ne fait que se… Euh attendez, laissez-moi réfléchir. Je crois
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que je viens de comprendre : qui se vide puis se remplit ? C’est
un… sablier ?
– Bonne réponse ! répondit le sphinx dans un rugissement
puissant.
Le sablier se mit à trembler et le sphinx ouvrit sa bouche
en découvrant ses crocs énormes et son haleine immonde.
Sa langue se déroula pour former un escalier mou, humide et
gluant. Et puis, tout au bout, le noir, le néant. Ce n’était pas
très engageant…
Mais si, il y avait quelque chose, une ombre qu’il aurait
reconnue entre toutes : Gardenna ! Elle était là, en haut des
marches !
– Salut, mon Benny préféré ! dit-elle simplement.
Ben ne put pas répondre et avait les yeux fixés sur les cheveux
de Gardenna. Il ne réussit qu’à marmonner :
– Mais… Tu as les cheveux verts !
– Oui, c’est joli, non ?
– Oh oui ! dit-il impressionné.
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Ses cheveux qui lui descendaient jusqu’à la taille la rendaient
encore plus jolie…
Ben posa son pied sur la première marche spongieuse… Mais,
à ce moment précis, une main tout droit sortie des ténèbres
agrippa les cheveux de Gardenna et la força à descendre dans les
profondeurs de la gueule du sphinx.
Ben, rassembla son courage qu’il tirait de la haine envers
celui qui lui enlevait sa Gardenna et gravit les quelques marches
pour atteindre une plate-forme. Sans réfléchir, il s’enfonça tête
en avant dans l’étroit boyau où avait disparu Gardenna, suivi
du fidèle Opié.
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Chapitre 3
Le temps dépassé
Ben et Gardenna, séparés violemment, vécurent alors des
temps fort différents…
Le récit de Ben
La machine se posa dans une troisième contrée. Ben devait
chercher Gardenna disparue dans la deuxième. Le jeune garçon
se sentait seul sans elle, mais heureusement Opié était là. En
ouvrant la porte, il constata que tout était blanc, froid et humide.
Il ressentit comme une sensation étrange, l’espace d’un instant.
Opié commença à flairer une piste, sauta de la machine et
s’enfuit en courant à toute allure. Ben essaya de le rattraper
mais c’était peine perdue, Opié était trop rapide.
Le garçon partait à la recherche de son chien lorsqu’il entendit
des bruits dans la machine. Il alla vérifier ce qu’il se passait et
constata qu’un compte à rebours de trois heures avait été lancé.
Il se rendit compte qu’il devait se dépêcher de retrouver son
chien, ainsi que Gardenna.
Ben cherchait dans le froid et la glace, sentait l’angoisse
et la panique monter. Il était persuadé que cela faisait déjà
plusieurs heures qu’il cherchait la jeune fille et son chien, mais
il se trompait. Que le temps est long lorsqu’on est seul et qu’on
recherche ses amis ! Il marcha longtemps au milieu des glaciers,
quand soudain il crut entendre son chien Opié aboyer. Il s’élança,
guidé par le bruit en s’écriant :
– Opié ! Oh ! c’est toi, Gardenna !
Il l’avait enfin retrouvée.
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Le récit de Gardenna
À l’horizon, une silhouette s’approche de plus en plus. Je
plisse les yeux et je distingue un visage familier : qui est-ce ?
Que me veut-il ? Pourquoi avance-t-il si vite ? Méfiance, je dois
rester sur mes gardes. Vite, vite, quelque chose… un bâton,
pour me défendre. Que se passe-t-il ? Je n’arrive pas à avancer
ni à attraper ce bâton, il est pourtant si près !
Tout à coup, j’entends crier mon nom : « Gardenna ! » Mais
oui, cette voix, cette allure, cette corpulence… c’est Ben !
– Ben, je suis blessée, aide-moi !
– Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
– Je me sens très mal, c’est comme si ma jambe était endormie,
j’ai le dos en feu… Je ne sais pas ce que je fais ici, j’ai même eu
du mal à te reconnaître. Je suis complètement perdue.
– Mets… dos… chercher… Repartirons.
– Quoi ? Pourquoi parles-tu si vite ? Je ne comprends rien….
Répète et parle plus lentement.
Il me prend pour un folle, je le vois bien à son air (stupide) !
– Écoute ! Écoute-moi… Je vais essayer de t’expliquer ce qui
m’est arrivé. Je suis partie à ta recherche, en chemin j’ai rencontré
un vieil homme qui m’a barré la route. Il m’a expliqué que si
je voulais rentrer chez moi rapidement, je devrais escalader un
glacier et récupérer une clé magique. Quand j’ai vu cette énorme
masse de glace, le courage m’a abandonnée. Comme vous m’avez
manqué Opié et toi ! J’y suis quand même allée parce que je
voulais me sortir de là.
– Attends, je t’écoute mais montre-moi d’abord ta jambe !
– Non, non, j’ai très mal mais le temps presse et je dois
finir mon histoire. J’ai escaladé ce glacier avec difficulté, car
les parois étaient glissantes et m’empêchaient de m’accrocher.
Pour avoir plus de prise, j’ai taillé des bouts de bois que j’ai
plantés dans la glace et mon idée était judicieuse : j’ai réussi
à atteindre le sommet ! Le souffle me manquait, mes jambes et
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mes bras étaient endoloris, une crampe m’a paralysé l’épaule…
Je n’en pouvais plus. Au sommet, une vieille femme m’attendait
et m’a proposé un jeu de stratégie pour récupérer la clé. Trois
gobelets étaient placés sur une table. Elle m’a montré la clé sous
l’un d’eux, puis elle les a mélangés habilement. Envahie par la
douleur, je n’ai pas pu être attentive au mouvement des gobelets
et j’ai soulevé le mauvais. Une boule de feu en a jailli et est
passée comme un éclair au-dessus de ma tête et m’a brûlé le dos.
La glace a fondu à mes pieds sous l’effet des étincelles… J’ai
dévalé le glacier… C’est allé si vite que je n’ai rien vu arriver… – Pourquoi… brandi… bâton… approché… toi ?
– Je comprends ta question mais parle moins vite, je te l’ai
déjà dit ! Je pense que je me retrouve dans un monde ralenti.
Tout est trop rapide pour moi. J’ai aussi l’impression d’avoir
des trous de mémoire, je ne t’ai d’ailleurs pas reconnu tout de
suite. Voilà pourquoi j’ai voulu brandir un bâton, c’était pour me
défendre.
– Ah ! maintenant, je comprends mieux. Fais-moi confiance,
tout va bien se passer.
– Aide-moi ! Je n’en peux plus…. Il faut retrouver un couple
de vieillard qui détient l’antidote qui me guérira. Tu dois les
affronter. Et Opié ? Où est-il ?
Le récit de Ben
Ben s’assit à côté d’elle, et le plus proche possible de sa jambe.
Il la regarda avec pitié, car elle devait souffrir atrocement. Avec
inquiétude aussi, par peur de ce qu’il pourrait lui arriver à lui
aussi… Il se sentait perdu, il transpirait. Il ne se sentait pas à
la hauteur.
Il se souvint de son chien, du fait qu’il ne lui restait déjà
plus beaucoup de temps. Il se découragea face à toutes ces
difficultés : petit un, chercher son chien ; petit deux, trouver
des inconnus qui pouvaient être n’importe où dans ce désert de
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glace, et fort peu sympathiques ; petit trois, passer des épreuves
impossibles, perdre et prendre une boule de feu dans le dos ;
enfin, repartir avec Opié et Gardenna, sans être tué par les deux
vieillards.
Ben partit quand même à la recherche de ce fameux vieil
homme et de cet antidote précieux et mystérieux. Il se sentait
peu rassuré.
Des craquements de glace, venus de nulle part. Il crut un
instant qu’Opié était de retour. Il regarda en tous sens. Tout
à coup, il vit une silhouette vêtue d’une peau de bête. Cela
semblait être le pelage d’un loup. Il pensait avoir trouvé le
vieillard.
Ben s’approcha de cet homme prudemment, il pouvait être
dangereux. Sans attendre, celui-ci s’enfuit et disparut derrière
une colline de glace. La neige se mit à tomber et le garçon ne
voyait plus grand-chose. Les traces de pas s’effaçaient. Ben se
dirigea vers cette colline, mais le vent l’empêchait d’avancer.
Il arriva enfin à destination. Il découvrit une grotte, une
sorte de cachette secrète. Elle était profonde et peu éclairée. Il
crut apercevoir au fond une silhouette humaine.
Une voix aigüe et éraillée s’éleva :
– Tu m’as trouvé. Je t’attendais. Comme tu le sais déjà, tu
dois passer une épreuve pour retrouver la clé.
– Mais à quoi sert cette clé ? Pourquoi est-elle si importante ?
Donnez-moi plutôt l’antidote, Gardenna va mourir.
– Sans cette clé, tu ne pourras pas partir d’ici et tu seras
bloqué à jamais dans le temps suspendu de ce district…
Ben ne persista pas. Le temps lui était compté.
Le vieillard reprit :
– Tu dois plonger pour aller chercher la clé dans ce bain
profond et glacé.
Cela lui rappela le souvenir d’un ennuyeux cours de sciences,
où il avait appris que lorsqu’on plonge dans de l’eau glacée, le
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froid nous atteint au bout de deux minutes et
gèle nos membres. Tout son corps
allait geler : il fallait faire vite.
Ben plongea. Il ressentit
comme des frissons, des
minuscules couteaux
qui rentraient dans sa
chair. Il aurait voulu
crier de douleur, mais
l’eau l’en empêchait. Le
courage lui manquait.
Soudain, il vit une lueur dorée au fond. La clé !
Il l’effleura du doigt et elle se mit à remonter à la surface.
Il ne lui restait plus qu’à faire pareil. Ses membres étaient
engourdis. Il sentait que sa fin était proche…
Ben sentit alors que quelqu’un le remontait à la surface. Il
était gelé, mais il avait réussi. Il avait à nouveau espoir.
L’enfant se retrouva face à une femme. Elle était ridée,
marquée par l’âge et par le temps, mais il éprouva de la crainte
en la voyant. Elle semblait dangereuse et surnaturelle.
Il se mit à la questionner :
– Êtes-vous la personne qui devait aussi me faire passer une
épreuve ? Avez-vous l’antidote ?
Elle ne répondit pas tout de suite.
Une voix très forte retentit soudainement.
– Il te faut passer une autre épreuve, alors suis-moi !
Ils arrivèrent dans une salle humide et sombre, dans laquelle
pendaient des stalactites. La pièce ovale était remplie de
livres en tous genres. Disposés sur une multitude d’étagères
poussiéreuses, ces ouvrages étaient éclairés par des centaines
de bougies.
– Es-tu prêt ? Qu’est-ce qui marche à quatre pattes le matin,
à deux pattes le midi et à trois le soir ?
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Il se mit à chercher dans les livres. Mais c’était comme
chercher une aiguille dans une botte de foin. Ben s’aperçut que
chercher ainsi prenait beaucoup trop de temps. S’il ne trouvait
pas, ils allaient tous être bloqués ici. Les souvenirs de sa vie
défilèrent dans sa tête. Il se rappela de détails d’un seul coup.
Il se souvenait de sa petite enfance, de ses parents, d’Auguste
le vieillard… Eurêka ! Il avait trouvé la réponse à son énigme.
– Je sais, l’Homme !
– Bien joué !
Tout à coup, il entendit un aboiement. Ce ne pouvait être que
son chien, Opié.
– Opié ! Viens ici, dépêche-toi !
– Si tu veux récupérer ton chien et l’antidote, donne-moi la
clé.
– Pourquoi ?
– Ce que tu ne sais pas, c’est que si Gardenna et toi vous
repartez, nous mourrons car le temps nous aura rattrapés mon
mari et moi. Cette clé permet de verrouiller le temps, si tu nous
la donnes, nous pouvons continuer à vivre paisiblement et
éternellement.
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– Comment faire pour satisfaire tout le monde ?
Soudain, la clé tomba des mains de Ben et une lumière
aveuglante surgit. Elle se dirigea comme une fusée vers un grand
manuscrit ancien. Celui-ci tomba et s’ouvrit. Ben lut la page et
découvrit l’histoire de la clé. Ainsi, il apprit qu’elle pouvait se
séparer en deux et que chaque partie détenait un pouvoir. La
première bloquait le temps et la deuxième permettait aux heures
et aux minutes de s’écouler normalement. Ben sépara donc la clé
en deux et en confia une partie à la vieille femme.
Soulagée, celle-ci se réjouit. Elle rendit Opié à son jeune
maître, lui remit l’antidote et disparut.
Suivi d’Opié, Ben courut à toute vitesse pour rejoindre
Gardenna.
Soudain, un arbre s’abattit devant eux et leur barra la route.
Agacé, Ben prit la décision de faire un détour et se rua comme
un guépard vers son amie. Essoufflé, épuisé par sa quête, il arriva
enfin auprès de Gardenna. Celle-ci était adossée à un rocher, sans
connaissance. Ben s’agenouilla et la prit délicatement dans ses
bras. Un sourire illumina le visage de la jeune fille. Ben approcha
doucement l’antidote des lèvres de la jeune fille, attentif à ce
qu’elle l’avale jusqu’à la dernière goutte.
Lorsqu’il vit Gardenna reprendre conscience, Opié lui lécha les
mains : il était excité comme une puce.
Ben expliqua le mystère de la clé à Gardenna et comment
les deux vieillards pourraient survivre. Confiante et rassurée, la
jeune fille ferma les yeux et se sentit revivre. Le temps s’écoulait
à nouveau normalement.
Comme dans un rêve, où le temps ne compte plus, on les vit
s’éloigner, main dans la main, en direction de la machine.
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Chapitre 4
Au pays du myosotis
À toute vitesse, la machine s’écrasa dans un arbre. Par le
hublot, Ben vit des branches enchevêtrées tout autour. Il comprit
alors qu’il avait atterri dans une forêt.
– Où suis-je ? Qu’est-ce qui m’arrive ? Ce n’est toujours pas
la librairie ! s’exclama-t-il, étonné. Il faut que je remette la
machine en marche pour rentrer.
Ben appuya sur tous les boutons mais rien ne se passa. De
colère, il donna un coup de pied dans la machine.
– Saleté de ferraille, tu vas marcher, oui !
Il constata alors qu’une fois de plus Gardenna s’était
évaporée. Angoissé, Ben se pencha sur le tableau de bord et
se mit à pleurer. Une larme tomba sur des câbles et provoqua
un court-circuit. Un éclair jaillit d’une telle puissance que Ben
s’électrocuta. Il tomba à la renverse.
Opié essaya de réveiller Ben qui avait perdu connaissance.
Le chien se mit à aboyer et lécha la joue de son maître. En
vain. Découragé, Opié sauta de la machine et partit chercher du
secours.
Peu de temps après, Ben se réveilla, étourdi. Il ne se souvenait
plus de rien. Beaucoup de questions lui vinrent à l’esprit :
« Comment ai-je atterri là ? Qu’est-ce que je fabrique là-dedans ?
Qu’est-ce qui m’est arrivé ? Que vais-je faire ? »
Ben se releva avec difficulté. Toujours un peu sonné, le jeune
garçon sortit de la machine par le hublot. Ben n’avait pas réalisé
qu’il était perché dans un arbre, sur la cime. Regardant autour
de lui, il ne vit que des branches enchevêtrées. Il descendit tant
bien que mal le long du tronc. Tout à coup il se trouva nez-à-nez
avec une grosse araignée. Effrayé par cette arachnide, il lâcha
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prise et se retrouva en deux temps trois mouvements au sol.
Heureusement, un tapis de mousse avait amorti sa chute. Il s’en
sortait indemne. Il aperçut une lueur dans le tronc de l’arbre
duquel il venait de tomber. Poussé par la curiosité, il s’engouffra
dans le creux. Il entendit alors une voix envoûtante lui dire :
– Je t’attendais.
Ben se trouvait devant une porte en bois, arrondie au-dessus.
En son milieu, une petite fenêtre l’attira. Curieux, il s’approcha
pour regarder par l’ouverture. C’est alors que Gardenna sortit de
l’ombre en disant :
– Te voilà enfin !
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– Qui es-tu ? demanda Ben. Tu es perdue, toi aussi ?
– Je suis Gardenna. Tu ne te rappelles plus de moi, Ben ?
– Non, je devrais ? Je ne t’ai jamais vue, je ne te connais pas.
Gardenna semblait surprise et en colère. Ben rougit sous
le reproche ; il réfléchit quelques instants et hésita avant de
continuer :
– C’est la phrase que tu viens de dire qui me rappelle quelque
chose. Je l’ai déjà entendue.
– Souviens-toi, c’est mon grand-père qui te l’a dite, dans sa
librairie pour que tu viennes me chercher.
– Oui, je m’en souviens vaguement : c’était au début des
vacances, je suis entré dans une librairie, il y avait un vieux
monsieur. Et la machine! Je crois qu’elle est cassée et je ne sais
pas la réparer.
– Je peux t’aider, mais chaque chose en son temps ! Auparavant
viens ici, regarde par l’ouverture de la porte et laisse-toi aller au
milieu de tes souvenirs ; fais-moi confiance.
Sans poser de questions, Ben obéit et colla son œil contre
la porte. Soudain une étrange et épaisse lumière bleue l’aspira
dans la pièce.
Il se retrouva dans une salle de classe de collège. Gardenna
n’était plus à côté de lui mais il pouvait communiquer avec elle.
– Je ne comprends pas. J’ai l’impression bizarre de connaître
cet endroit.
– Oui, tu es dans une salle de classe de ton collège.
Devant lui, un de ses camarades se retourna et lui demanda
son cahier pour réviser la leçon avant un contrôle.
Ben se souvint alors de cette scène : il n’avait eu aucune
envie de prêter son cahier. Son camarade avait insisté. Non,
c’était non !
– Pourquoi n’as-tu pas prêté ton cahier ? lui demanda la voix
de Gardenna.
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– Je ne sais pas ; je n’avais pas envie. Et puis de toute façon,
il n’avait qu’à apprendre sa leçon ! se défendit le garçon.
– Et que s’est-il passé ensuite ?
– Euh, je crois qu’il a été puni. Mais c’est du passé, ce qui est
fait est fait, je ne peux plus rien y faire !
– En es-tu sûr, Ben ?
De plus en plus étonné, Ben regarda autour de lui : le cahier
était sur sa table. Et d’un coup, sans réfléchir, il le tendit à son
camarade.
Il n’eut pas le temps de se demander pourquoi il avait fait
ce choix. Au moment où il donna le cahier, la lumière bleue
disparut et il fut propulsé devant la porte.
Pendant ce temps-là, Opié qui avait couru des heures durant
se sentait las. Il décida de se reposer dans une clairière. Tout à
coup, il aperçut une silhouette en mouvement. Son esprit était-il
en train de lui jouer des tours ? Non, la silhouette s’approchait
de plus en plus de lui, le chien réalisa alors que c’était une
chienne.
Pour Opié, ce fut le coup de foudre, il n’avait jamais vu une
chienne aussi belle. Elle avait le poil soyeux, de grands yeux
bleus. Elle se déplaçait avec élégance. Opié se sentait plus
léger. Il ne sentait plus sa fatigue. Le temps s’était arrêté, plus
rien n’existait. La chienne était maintenant assise devant lui.
Intimidé, Opié bredouilla :
– Bonjour, que vous êtes belle !
La chienne décida d’ignorer le pauvre Opié. En un rien de
temps, elle disparut aussi vite que la lumière. Il reprit ses esprits.
– Flûte ! J’ai pris tellement de bon temps que j’en ai oublié
Ben. Je dois le retrouver.
Grâce à la mémoire de sa truffe, il revint sur ses pas. Levant
les yeux, il vit la machine. Par contre, plus de trace de Ben. C’est
alors qu’Opié découvrit, au pied de l’arbre, le creux par lequel
Ben était passé. Le chien reconnaissant l’odeur de son maître
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s’engouffra à son tour. Heureux à l’idée de retrouver Ben, Opié
aboyait de joie.
Quand Ben reprit ses esprits, il vit Opié assis derrière lui. Opié
lui sauta dessus et le lécha.
– Mon chien, mon chien adoré ! s’exclama Ben (qui se souvint
instantanément de son compagnon à quatre pattes).
C’est alors que Ben s’aperçut de la disparition de Gardenna.
– Où est Gardenna ? s’inquiéta-t-il.
– Gardenna, je ne sais pas. Tu l’as revue ? demanda Opié qui,
lui, n’avait pas perdu la mémoire.
– Mais tu parles ? s’étonna Ben.
– Oui, tu ne t’en souviens pas ?
– Non, mais tu peux m’aider à la retrouver.
Ben trouva un bout de tissu du pull de Gardenna qu’il fit
flairer à Opié. Celui-ci se lança sur les traces de Gardenna. Il
avança, avança, Ben sur ses talons, quand, tout à coup, ils se
retrouvèrent devant une grotte sombre et noire. Ben se dit :
– Oh non ! Pas ça ! Non ! J’ai peur du noir, moi ! Opié avança en courant. Ben l’appela :
– Opié, reviens, Opié, ici !
Sans succès.
Ben s’aventura doucement dans la grotte puis il eut une
idée : il lui fallait une lampe de poche. Il se souvint soudain de
son sac à dos. Il réfléchit un instant ; ah ! oui, il l’avait oublié
dans la machine !
Ben retourna au pied de l’arbre, fatigué, il se demanda
comment il allait monter tout en haut jusqu’à sa machine. Il se
rappela alors que chez sa grand-mère, à la campagne, il grimpait
aux arbres. Alors, il réfléchit et remarqua des branches formant
comme des marches. Un escalier, certes difficile à pratiquer,
mais un escalier. Peu rassuré, il se déplaçait sur les branches
qui craquaient sous ses pieds. L’une d’elle céda même sous
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son poids, mais Ben se raccrocha et continuant de branche en
branche arriva près de sa machine.
Appuyée contre le tronc de l’arbre, la machine ne semblait
pas trop abîmée.
– J’ai dû rêver ! Elle n’a pas l’air hors d’usage, cette maudite
machine ! Je croyais cette vitre cassée et ce câble électrique
fichu. Ce n’est pas grave, sûrement ma mémoire qui me joue
encore un tour. Pas le temps de faire une inspection, je dois
retrouver mon sac et repartir au plus vite.
Il prit son sac à dos, vérifia le contenu et retourna à toute
allure jusqu’à la grotte. Essoufflé, il alluma sa lampe, éclaira le
sol et avança résolument.
Entre les rochers, il y avait un petit peu d’eau qui coulait.
Ben vit dans la boue des empreintes de pattes.
– Opié est passé par là, pensa-t-il. Les traces le conduisirent
jusqu’au fond de la grotte. Opié l’attendait, couché par terre.
Ben entendit alors la voix familière de Gardenna lui dire :
– Je t’attendais !
Il chercha à droite, à gauche, rien, le vide !
Devant lui, il y avait comme un étrange rideau fait de plantes
grimpantes et parsemé de petites fleurs bleues.
– Approche, ordonna la voix.
Il tira le rideau bleu et soudain se retrouva dans une salle
qui avait tout l’air d’être une bibliothèque. Ben distingua des
rangées de livres le long des murs et fut attiré. Intrigué, il
attrapa au hasard un livre dont le titre était « Au pays de la
mémoire ».
– Tiens, c’est bizarre...
Ben feuilleta le conte poussiéreux et s’aperçut que l’histoire
ressemblait étrangement à la sienne. En continuant à tourner les
pages, une douce odeur d’encre et de livre ancien se dégagea. Peu
à peu, un vague souvenir le troubla, l’image se faisait de plus en
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plus nette : à la fin de l’école, il s’était rendu à la bibliothèque
pour rendre ses livres. Dans le tas se trouvait un livre corné et
crayonné. Gêné, le garçon avait déposé son paquet et s’était
empressé de tourner les talons le plus discrètement possible.
– Pas question de me faire attraper par la bibliothécaire,
elle me fait peur ! Et en plus, elle aurait raison de se fâcher
contre moi...
Soudain une petite voix douce se fit entendre. Ben, surpris,
sursauta et crut reconnaître celle de Gardenna.
– Est-ce toi, Gardenna ? Où es-tu, je ne te vois pas !
– Oui, c’est bien moi, je vais t’aider à réparer ta faute.
Ben revint sur ses pas, poussé par l’envie inexpliquée de se
racheter et confus, avoua à la bibliothécaire qu’il avait abîmé
un livre. Touchée, celle-ci s’exclama :
– Faute avouée, à moitié pardonnée !
Soulagé, Ben soupira et esquissa un sourire. Il s’engagea à
racheter un livre neuf.
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– Bravo Ben ! entendit-il à son oreille. C’était Gardenna qui
le félicitait.
Le rideau bleu tomba, la bibliothèque disparut, fin du souvenir.
– Que d’émotions ! pensa Ben.
Il était heureux et fier de lui.
Il sortit de la grotte et se retrouva en face de Gardenna. Elle
s’approcha de lui et sans qu’il s’en aperçoive, elle lui donna un
baiser sur la joue en guise de récompense.
Temps suspendu.
Ben rougit et eut un mouvement de recul : il se demandait ce
qui se passait. Il eut même envie de se pincer pour voir s’il rêvait
ou non. Opié, caché derrière Gardenna pendant tout ce temps,
fut le témoin de cette scène. « Il faudra que je demande à Ben
son secret… »
– Bon, ne perdons pas notre temps ! s’exclama Ben. Filons
d’ici au plus vite pour réparer la machine et rentrer chez nous.
Les trois amis se mirent en route vers l’engin. Arrivés au pied
de l’arbre, ils se hissèrent jusqu’à la cime. Et là, quelle ne fut pas
leur surprise ! Les fils du tableau de bord étaient réparés.
Ben tenta de faire redémarrer la machine en appuyant sur
le bouton GO. Pas le moindre vrombissement à l’horizon… En
fouillant un peu partout, Gardenna trouva un manuel d’utilisation
coincé entre deux commandes.
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Elle l’ouvrit et lut : « Ben doit se confronter à un dernier
mauvais souvenir ».
Ben fit la moue. Un déluge de questions s’abattit sur lui. Il y
en avait tellement que cela lui faisait mal à la tête : « Ai-je fait
tant d’erreurs ? Gardenna, quand va-t-on en terminer ? Quand
vais-je enfin pouvoir rentrer chez moi ? »
Tout à coup Ben remarqua l’agitation de son chien. Opié
aboyait et trépignait, la truffe en l’air. Il semblait flairer une
odeur imperceptible par les enfants. Attiré par cette senteur, il
se pencha tellement au hublot de la machine qu’il bascula et
dégringola de l’arbre.
Ben et Gardenna se précipitèrent à la suite d’Opié pour voir
s’il n’était pas blessé. Tout allait bien, Opié se remit sur ses
pattes. Il repartit à la recherche de cette odeur entêtante. Les
enfants le suivirent. Tous trois débouchèrent dans un jardin
fleuri. Là, une famille de souris bleues surgit au détour d’une
allée, passa sous les yeux ébahis des enfants et du chien. Du
museau, elle les invita à venir.
– Dis donc Gardenna, tu vois ce que je vois ? Qu’est-ce que
c’est que ça encore ? Ce n’est pas tous les jours que l’on voit
des rongeurs avec cette teinte ! Et en plus, elles nous parlent !
Gardenna restait bouche bée. Les souris emmenèrent les trois
compagnons jusqu’à une fleur plus belle et plus haute que les
autres, dont la couleur bleu ciel se détachait sur l’herbe verte.
Elles les plantèrent là et leur firent un signe d’adieu.
Opié reconnut l’odeur qu’il avait sentie depuis la machine.
Ben et Gardenna perçurent alors à leur tour cette douce odeur
et Ben attiré par ce parfum, s’approcha, s’approcha, s’approcha
et fut aspiré par la fleur.
Ben fut ébloui par le soleil et se rappela tout de suite cette
scène. Il était dans la cour du collège ; c’était la pause du midi.
Un groupe de collégiens avait décidé de faire une partie de foot.
Ben avait demandé à jouer avec eux. Mais personne ne l’avait
voulu dans son équipe.
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– Eh ! Big Ben, tu es trop gros, tu ne cours pas assez vite,
tu nous fais toujours perdre et tu ne sais pas bloquer un ballon.
Triste, Ben avait baissé la tête et était parti s’asseoir dans
un coin. Il s’était résigné à regarder ses camarades jouer tout le
temps de la pause sans oser insister.
– Tu n’aimes donc pas jouer au foot, Ben ? demanda Gardenna.
– Oh si ! Beaucoup ! Mais je fais souvent perdre mon équipe
car j’avoue que je suis lourdaud et peu sportif. C’est pour cela
qu’ils ne veulent pas de moi.
– Et tu acceptes que l’on te traite ainsi !
– Je m’accepte comme je suis et j’accepte les autres tels
qu’ils sont. J’essaie toujours de faire de mon mieux mais je ne
suis pas adroit.
Les mots sortaient tout seul de sa bouche et Ben eut soudain
conscience de la méchanceté de ses camarades. Il se leva alors
et se dirigea vers les joueurs ; arrivé au milieu du terrain, Ben
intercepta la balle et la confisqua.
Choqués, les joueurs regardèrent Ben et s’approchèrent de
lui, menaçants.
– Eh oh ! Pour qui tu te prends ? Rends-nous la balle,
Big Ben !
– Trop c’est trop ! Moi aussi j’existe ! Et j’ai le droit de jouer.
Que nous soyons adroits ou pas, nous sommes tous là pour
prendre du bon temps ! Je vais vous montrer ce dont je suis
capable si vous me laissez jouer avec vous.
Les camarades de Ben le regardèrent ; ils étaient tous
stupéfaits, parfois émus mais aussi admiratifs devant son
courage.
– Désolé, Ben, on ne voulait pas te blesser en t’appelant Big
Ben. C’était pour rire ! Allez, viens jouer avec nous.
Ben shoota dans le ballon et se retrouva dans la prairie.
Après ce souvenir, il se sentait fort et fier d’avoir osé faire cela.
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Opié et Gardenna n’avaient pas bougé. Ben, chamboulé par
toutes ces péripéties, se remettait lentement de ses émotions.
Il avait envie de s’attarder dans la prairie pour discuter avec
Gardenna de l’aventure vécue ensemble.
En effet, Ben se sentait mieux dans sa peau et voulait
s’affirmer auprès de Gardenna. Il était désormais prêt à lui
ouvrir son cœur et pour la remercier, il cueillit quelques fleurs
bleues et les lui offrit.
– Oh ! c’est pour moi ? dit-elle en rougissant. Comme
c’est gentil. Ce sont mes fleurs préférées, des myosotis. As-tu
remarqué, Ben, la forme de leurs pétales ? On dirait des oreilles
de souris !
– Je me rappelle avoir lu que le mot myosotis se dit « forget
me not » en anglais, c’est-à-dire « ne m’oublie pas ».
– Tiens, je vois que tu as retrouvé ta mémoire ! Je suis
contente pour toi.
– Hum, hum, sans vouloir vous déranger, il faudrait songer à
retourner à la machine, interrompit Opié.
Les trois amis prirent leurs jambes à leur cou pour rejoindre
l’arbre. Une ultime escalade et les voilà arrivés dans la machine.
Gardenna vérifia une dernière fois le mode d’emploi.
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Quand elle l’ouvrit, elle lut : « Ben a su progresser au fil du
temps et la machine est prête à décoller. »
— Youpi, on a réussi ! Adieu pays du myosotis ! En route
pour la librairie !
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Chapitre 5
Aveniroscope
– Ouf ! dit Ben. Enfin un atterrissage en douceur.
– On est sans doute arrivés à la librairie, répliqua Gardenna. Les trois compagnons descendirent de la machine et virent
qu’ils n’étaient pas arrivés là où ils espéraient mais qu’ils étaient
dans un nouveau monde, le cinquième maintenant.
– Cette maudite machine ne nous a pas ramenés ! dit Ben
énervé en donnant une fois encore un coup de pied, lui qui
n’avait pas l’habitude de se mettre dans de tels états.
– Calme-toi, lui dit Opié, un nouveau monde à découvrir, c’est
peut-être une chance. Nous trouverons sans doute une solution
pour repartir.
Ils étaient arrivés au beau milieu d’une fête foraine lumineuse,
bruyante et grouillant de monde. Gardenna, émerveillée, courut
pour aller jouer et se mêla à la foule.
Ben cria :
– Où vas-tu ?
Mais Gardenna ne l’entendit pas et il la perdit de vue.
– Punaise ! Où est-elle encore passée ?
Ben eut les larmes aux yeux ; il en avait assez de Gardenna
qui lui filait sans cesse entre les doigts. Et dans quel monde
extravagant était-il encore tombé ?
Ben aperçut une grande roue et voulut s’y rendre. Il se dit
qu’en hauteur il pourrait retrouver Gardenna. En chemin, il fut
attiré par un stand plus lumineux que les autres. Il entendit la
voix grave d’un homme qui attirait la foule. En s’approchant, Ben
vit qu’il était grand, musclé et qu’il avait un beau sourire qui
inspirait de la confiance.
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Il était entièrement vêtu de noir. Seul son gilet rouge brillait
de mille lumières. Son grand sourire au milieu d’un large visage
séduisait la foule. Mais Ben et les autres joueurs se méfièrent de
son tic. En effet, dès qu’il lançait la roue, il fronçait les sourcils
en affichant un regard menaçant. Opié se mit à grogner.
L’homme faisait tourner la roue du hasard. Elle était bien plus
petite que la grande roue mais faisait malgré tout plus de deux
mètres de haut et le croupier avait du mal à l’actionner. Elle
était multicolore et brillante comme de l’or. Cela rendait le stand
lumineux à tel point que l’on en était presque aveuglé. Sur la roue
était inscrits les mots : malheur, peur, amour, tristesse, bonheur,
mort, jeunesse éternelle, richesse, pauvreté et immortalité. Les
sentences tournaient autour une d’aiguille immobile.
– Venez tenter votre chance. Êtes-vous prêt à jouer votre
avenir ? répétait-il sans cesse.
Il fixa Ben d’un regard malicieux.
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– Bonjour jeune homme, tu m’as l’air d’avoir de la chance.
Es-tu prêt à jouer ton avenir ? s’exclama le croupier.
– Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, chuchota Opié.
Ben hésita un instant et répondit :
– Pouvez-vous d’abord m’expliquer les règles du jeu, s’il vous
plaît ?
– Les règles sont simples, jeune homme : tu dois tourner la
roue et la case sur laquelle tu tomberas déterminera ton avenir.
Es-tu prêt à jouer ton avenir ?
– Non, je n’ai pas le temps, je dois retrouver une fille qui s’est
mêlée à la foule, répondit Ben prêt à partir.
– Tu auras le temps de la retrouver plus tard, dit le croupier
fronçant les sourcils. Viens tenter ta chance, reprit-il en souriant.
Regarde ce que tu peux y gagner : le bonheur, la richesse, la
santé, l’amour, la joie, la jeunesse éternelle...
– Non ! Tu peux aussi perdre et trouver le malheur, la pauvreté,
la maladie, la tristesse et la mort! chuchota Opié.
– Et si je tombe sur la mort par exemple ? interrogea alors
Ben.
– La plupart des joueurs ont gagné. Donc je doute que tu
perdes.
– Depuis que je suis ici, je n’ai eu que de la malchance et ce
n’est pas maintenant que je vais devenir chanceux. Je n’ai pas
envie de jouer mon avenir à la roue, point final !
Ben et Opié décidèrent de quitter le stand et malgré les appels
du croupier, ils poursuivirent leur chemin. Ils allèrent à la grande
roue. Avec un peu de chance, ils retrouveraient Gardenna. Mais
il y avait trop de monde.
Ben et Opié commençaient à être vraiment fatigués. Le
tumulte de la fête les étourdissait et ils n’avaient maintenant
envie que de calme. Ils furent ensemble attirés par une étrange
ruelle dans laquelle ils s’engagèrent.
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Au fur et à mesure qu’ils s’avançaient, l’endroit devenait de
plus en plus sombre et le vacarme de la fête disparaissait peu
à peu ne devenant bientôt qu’une rumeur. Ils arrivèrent alors
au pied d’un grand arbre décharné sous lequel se dressait une
toute petite cabane en bois paraissant abandonnée depuis fort
longtemps.
Opié refusa net de s’approcher. Il ne pouvait plus dire un mot,
seuls quelques grognements étouffés sortaient de sa gueule. Ben
lui n’hésita pas et s’approcha d’une des fenêtres. Quel contraste !
Le décor à l’intérieur était vraiment luxueux. Les murs étaient
recouverts de tissus de couleurs vives et l’unique pièce n’était
éclairée que par des bougies.
C’est alors qu’il l’aperçut. Une femme mystérieuse se tenait
assise au milieu de la seule pièce, elle semblait méditer les yeux
ouverts. Ben ne pouvait lui donner d’âge car sa peau très ridée
contrastait avec ses gestes élégants de jeune fille. Un foulard
lui couvrait la tête. Ben fut bouleversé par son regard perçant.
Dans ses yeux se trouvait tout l’univers.
Elle inspirait au jeune garçon tout autant de la peur que de
l’attirance. C’est alors que Ben entendit sa voix envoûtante qui
semblait vouloir l’attirer vers elle :
– Ah Ben, te voilà enfin. Entre donc. Entre donc ! Je t’attendais.
Ton chien a été bien moins courageux que toi.
Ben pénétra dans la petite pièce.
– Mais comment connaissez-vous mon nom ? interrogea-t-il
avec méfiance.
– Oh Ben ! Si tu savais… Je sais absolument tout de toi. Tu
n’as même pas commencé le livre que Mme Geai vous a demandé
de lire !
Ben restait sans voix.
– Et comment se porte M. Palissieux ? continua la femme.
Quelle aventure pleine de rebondissements pour retrouver cette
jeune fille qui ne lui donne plus aucune nouvelle depuis très
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exactement sept jours ! Mais ne pose plus de question ! Laisse-toi
faire, tu es chez la diseuse de bonne aventure.
Ben était perturbé, apeuré et toujours sans voix. Cette femme
était vraiment étrange. Qu’attendait-elle de lui ? Quelles étaient
ses intentions ? Devait-il se méfier ?
Soudain, comme si la voyante avait lu dans ses pensées, elle
lui dit d’un ton sec :
– Bon, cessons là les présentations. Maintenant je dois te dire
ton avenir.
– Vous m’avez parlé de mon passé… Vous connaissez aussi
mon avenir ?
– Bien sûr ! s’esclaffa-t-elle. Mais es-tu vraiment certain de
vouloir le connaître ? lui demanda-t-elle d’un ton maintenant
plus calme.
– Oui… Enfin, je crois…
– Pourquoi ?
– À dire vrai, je suis trop fatigué pour penser seul. J’ai vécu
toutes ces aventures sans poser de question et pourtant j’en
avais mille qui me trottaient dans la tête. J’ai vraiment besoin
de savoir et de comprendre aujourd’hui pour me rassurer.
– Te rassurer ? Je sais que ce voyage a été très difficile. Je
sais que tous les petits garçons aussi vivants que toi ont bien
des questions à se poser. Mais es-tu sûr que ton avenir sera
joyeux ? Je te conseille de bien réfléchir, Ben.
– Je suis perdu ! Je n’ai qu’une envie, me reposer… S’il vous
plaît, répondez-moi, même si mon avenir n’est pas très bon.
– Comme tu voudras, Ben.
La diseuse de bonne aventure fit asseoir le jeune garçon…
peut-être pour ne pas qu’il tombe en apprenant la suite. Un
silence pesant s’installa. Le calme de la femme inquiétait
maintenant Ben.
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Soudain, elle prit une grande inspiration et dit dans un
souffle :
– Tu ne retrouveras plus jamais Gardenna, tu la chercheras
longtemps et tu resteras sur cette île, tu vieilliras sur cette île et
tu mourras sur cette île !
– Je ne sortirai donc jamais de ce monde ?
– Jamais ! T’adapter à ce nouveau monde est ton destin !
– Je ne veux pas rester ici. Ne suis-je pas maître de mes
choix ? Je ne suis donc que le jouet de la fatalité ? Où mon
destin est-il inscrit ? Qui l’a écrit ? Je n’ai rien demandé, ni de
venir jusqu’ici, encore moins de vieillir et de mourir ici !
Il réfléchit un moment puis il reprit :
– Puis-je encore faire quelque chose pour éviter tout cela ?
– Rien Ben, rien du tout ! Tu ne peux rien changer à cela,
c’est ton destin ! Mais tu peux te poser de nombreuses questions
et cela je l’attendais de toi.
– Pourquoi mon destin est-il si cruel ?
Soudain Ben se leva :
– Non, je refuse un destin pareil ! Je veux avoir le choix
de mon avenir, je suis jeune et malgré mes petits bras, mes
petites jambes et mon petit ventre, j’ai une grande volonté. Je
retrouverai Gardenna et sortirai de ce monde. Parole de Ben !
– Tu lances donc un défi à ton destin, Ben. Cela sera difficile !
Et elle ajouta avec un brin de malice mais aussi de curiosité :
– Ce pari m’intéresse. Va retrouver Opié et affronter ta destinée.
Elle fit un clin d’œil à Ben. Il se retrouva seul dans la ruelle
sombre mais il avait une grande volonté, celle de conquérir son
avenir. Opié le rejoignit très vite. Ils se retrouvèrent tous les
deux au milieu de la fête. Ben vit une silhouette au loin qui
entrait dans un labyrinthe. Il lui sembla que c’était celle de
Gardenna. Opié le lui confirma. Il la reconnut grâce à son flair et
aboya bruyamment…
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Ben entra dans le labyrinthe et vit plusieurs reflets. Son
image se multipliait dans une infinité de miroirs. Le labyrinthe
était tellement sombre qu’il ne se reconnaissait même pas.
Il essaya de suivre Gardenna mais elle pénétra dans un miroir
à une vitesse incroyable. Opié courait plus vite que Ben et,
la suivant de près, il traversa le miroir à son tour. Ben arriva
cinq secondes après, tout essoufflé, essaya d’y entrer mais il s’y
cogna. Il entendit une voix et des bruits de mastication. Les
bruits résonnèrent de plus en plus fort. La voix lui dit :
– T’es qui toi ?
Ben chercha d’où elle venait. Elle semblait venir d’un miroir.
Il s’en approcha et fit un geste. Le reflet l’imita. Ben fut
surpris : ce n’était pas son image qui se reflétait mais celle d’un
adolescent qui lui ressemblait. Il était assez négligé, mâchait
un chewing-gum d’une façon grossière. Il était habillé avec
un tee-shirt rock, un short de plage et des lunettes de soleil,
Ben crut qu’il était fou mais il comprit que cette voix venait de
l’adolescent.
– Oh ! t’es qui toi ? répéta l’adolescent.
– Je m’appelle Ben.
– Moi aussi ! dit l’adolescent.
– Donc tu es moi, s’exclama Ben.
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– Oui je suis toi dans le futur, à dix-sept ans.
– Et donc je peux te poser des questions sur mon avenir ?
– Oui, pose-moi toutes les questions que tu veux.
– Est-ce qu’on se moque encore de moi ? demanda Ben.
– Non, tu es devenu le plus populaire du lycée.
Ben, surpris, dit :
– NON sans blagues ! Comment ai-je fait ?
– Oui, je t’assure, confirma l’adolescent. Je suis devenu sûr
de moi.
– Cool !
– Qu’est-que tu veux me poser encore comme questions ?
– Ai-je une petite amie ?
– Tu le sauras bientôt, répondit-il en lui faisant un clin d’œil.
Puis il disparut. Ben se dirigea vers un autre miroir. Il y vit
un monsieur très classe et, bien sûr, bien habillé. Il portait un
costume. Il donnait l’air d’être sérieux et travailleur. En fait, il
était ce que Ben rêvait d’être quand il serait grand. Ce monsieur
dans le miroir lui dit :
– Bonjour Ben. Je suis ton avenir.
– Cela veut dire que, quand je serai grand, je serai comme
vous ?
– Oui mais fais attention, ce que je fais, ce que je vis, c’est
très dur.
– Oui ! Mais s’il faut se battre comme ça pour en arriver là, je
le ferai. Ça a l’air d’être trop bien, non ! Vous êtes bien habillé
et avez l’air d’être respecté.
– Oui mais j’ai dû travailler dur pour y arriver, j’ai dû me
battre.
– Oui, mais quand je vais à l’école personne ne me respecte et
personne ne m’aime. Par exemple au sport on me prend tout le
temps en dernier. Même Daniel qui déteste le sport est pris avant
moi. S’il faut travailler pour être respecté, je le ferai.
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– Tout n’est pas si facile : j’ai une famille qui habite loin d’ici
et je ne la vois pas beaucoup. Et donc tu trouves ça bien toi ?
– Oui. Moi je serai
respecté et je serai capable
de garder ma famille près
de moi. Sur ces mots, il quitta
l’homme d’affaires.
Ben vit une silhouette
dans le troisième miroir.
C’était un vieillard aux
cheveux blancs, aux yeux
noirs, à la longue barbe
et au visage ridé. Il était
habillé comme Ben. Ben
prit peur :
– C’est donc ma
vieillesse... Dans quel monde est-ce que je me trouve ? La
diseuse de bonne aventure avait-elle raison ? Suis-je resté dans
ce monde ?
Il s’approcha du miroir, voulut lui poser la main sur le visage
qui serait un jour le sien. Elle ne rencontra aucune résistance et
il traversa le miroir. Ben sentit son corps se fatiguer. Ses os lui
faisaient mal et sa peau se fripait. Sa vue devenait trouble. Mais
que lui arrivait-il ?
De l’autre côté du miroir, le vieil homme avait disparu. Et c’est
en regardant ses mains qu’il comprit : il était devenu lui. Il avait
vieilli. Ben eut alors l’impression d’être au bord d’un grand vide.
L’endroit où il se trouvait maintenant était d’un bleu profond.
Il ne distinguait presque rien car des brumes s’étendaient
lentement. Il n’y avait pas âme qui vive. Où était-il ? Quel était
ce lieu qui semblait oublié de tout ?
Il perçut soudain le bruit sourd de vagues faibles qui
s’abattaient dans un son mélancolique. Lentement, les brumes se
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dissipèrent, laissant place à la lumière de la lune. Ben s’aperçut
alors qu’il était arrivé aux pieds d’une grande étendue d’eau. Il
était déboussolé. Il ferma alors les yeux et vit d’un coup toute
sa vie défiler : tous ces moments passés, tous ses pleurs, toutes
ses joies…
Tout prit alors sens : il était allé à la rencontre de sa propre
mort. Son destin était donc bien écrit, la diseuse de bonne
aventure n’avait pas menti.
Il ouvrit les yeux et vit une ombre mystérieuse surgir de
la grande étendue d’eau et se glisser lentement vers lui. Elle
envahit bientôt tout l’espace.
Une grande cape d’un bleu glacial,
un visage que Ben ne pouvait
distinguer, une faux, elle bien
reconnaissable : comme
venue de nulle part, la
Mort était bien là. Elle
s’approcha calmement et
tendit simplement une main toute décharnée au garçon pétrifié.
Ce geste était doux mais sans appel. On ne pouvait y échapper.
Ben ne lui rendit pas son geste. Il avait beaucoup vieilli et la
fatigue l’envahissait. De plus, la déception de perdre face à son
destin l’accablait. Son cœur se mit à battre de plus en plus fort.
Les questions se bousculaient dans sa tête.
– Pourquoi maintenant ? Pourquoi si vite ? Ma vie m’a semblé
si courte ! Pourquoi dans ce monde ? Et sans avoir accompli ma
mission ?
Alors le désespoir le prit.
– Je ne retrouverai plus jamais Gardenna. Je ne reverrai plus
jamais mes parents, mes amis, ma maison, mon école. J’ai vieilli
beaucoup trop vite, je n’ai pas eu assez de temps ! Tout ce que
j’aurais pu faire et que je ne pourrai plus jamais vivre !
La colère alors le saisit.
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– Tout ça est de la faute de ce maudit Palissieux et de sa
satanée machine. Pourquoi je suis rentré dans cette fichue
librairie ? J’aurais dû rester chez moi et demander à ma mère
d’aller acheter ce sacré livre. Je n’aurais jamais dû accepter de
retrouver Gardenna. Et d’ailleurs je ne veux plus jamais la revoir.
La colère fit place à une terrible peur.
– Et si la mort n’était que le noir, le néant. Je ne serai donc
bientôt plus rien ! Je n’existerai plus. Je ne sentirai plus mon
cœur battre et ni mon sang dans mes veines. Mais je ne sais
même pas ce que c’est vraiment que de n’être plus rien. Ne plus
être matériel ? Ne plus rien ressentir ? N’être plus qu’une ombre ?
Face à toutes ses interrogations, ses doutes, sa colère, Ben ne
trouvait que le silence. Il s’écroula.
– Alors c’est comme ça. Il n’y aura pas de miracle. Je vais
devoir partir dans ce bleu glacial, isolé de tous. Je suis arrivé
à ma limite. Nous avons tous une limite derrière laquelle nous
ne pouvons plus rien. J’ai beaucoup appris sur moi pendant ce
voyage mais maintenant, je suis épuisé. Je n’avancerai plus. Au
moins, j’aurai essayé. Je ne veux plus rien savoir. Je ne veux plus
rien comprendre. J’abandonne. Oui, j’abandonne.
Ben ferma les yeux et s’abandonna à ses larmes. La Mort qui
jusque-là n’avait rien dit s’avança :
– Ne bouge pas, Ben. C’est moi qui vais venir à toi, c’est moi
qui vais t’emporter.
Ben ouvrit les yeux. Il vit le ciel clair, la pureté des nuages,
l’herbe verte. Il sentit le baiser de ses parents, il entendit le rire
de ses amis. Le passé, le présent et le futur se mêlaient.
Et là, au loin, une ombre fine… L’ombre s’approcha de Ben.
Elle était entourée de couleurs chaudes qui lui donnaient une
beauté étincelante. Le rouge flamboyant se mêlait au jaune
soleil. Ben aperçut un visage. Il avait le sourire d’un ange.
Mais non, ce n’était pas un ange ! C’était Gardenna, là, devant
lui ! D’où venait-elle ? Ben ne savait plus si la jeune fille était
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dans ses pensées ou si elle était bien réelle. Et lui était-il vivant
ou déjà emporté par la mort ?
Ben voulait y croire. Il voulait garder les yeux ouverts de
peur que tout cela ne disparaisse. Il fallait qu’il soit bien en vie.
Il se pinça et sentit la douleur. Il s’aspergea d’eau et perçut le
froid sur son visage. Il s’approcha et huma le doux parfum de
Gardenna. Elle s’approcha à son tour et lui caressa la joue. Ben
ressentit une grande tendresse et comprit alors qu’il était bien
vivant. Et là, à ses pieds, Opié le regardait. Opié ! Happé par ses
sentiments, Ben l’avait oublié. Lui aussi était bien vivant.
Ben rassembla les forces qui peu à peu lui revenaient et tendit
la main à Gardenna.
– Ben, écoute-moi. Tu as traversé bien des moments difficiles.
Tu as surmonté les épreuves. Je fus à l’origine de tes mésaventures
mais maintenant je suis ta chance.Tu as ouvert les yeux et tu as
choisi de vivre.
Vivre pour grandir.
Vivre pour se découvrir.
Vivre pour apprécier tous les bonheurs quotidiens.
Vivre pour s’amuser, rigoler.
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Vivre pour danser, jouer, dessiner, rêver.
Vivre pour découvrir le monde.
Vivre pour apprendre.
Vivre pour lire et écrire des livres.
Vivre pour avoir un chez-soi.
Vivre pour fonder une famille.
Vivre pour la beauté.
Vivre pour partager.
Vivre pour l’amitié.
Vivre pour faire des bêtises avec ses amis.
Vivre pour être malin et ne pas tomber dans les pièges.
Vivre pour l’aventure.
Vivre pour faire tout ce que l’on n’a pas encore fait.
Vivre pour se reposer.
Vivre pour aimer et être aimé.
Vivre pour réaliser ses rêves.
Vivre pour ses passions.
Vivre pour connaître le bonheur.
Vivre pour tout.
Vivre pour vivre tout simplement.
Le monde a besoin de toi, Ben. J’ai besoin de toi.
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Roman
écrit par des élèves de CM2 des écoles élémentaires
Victor Hugo A à Clichy-la-Garenne
Monnet-Debussy à Meudon-la-Forêt
Paul Langevin à Nanterre
Les Buissonnets à Rueil-Malmaison
Robert Pontillon à Suresnes
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Ben n’est pas au bout de ses surprises. En poussant la porte de la
librairie du vieux monsieur Palissieux, le jeune garçon est loin de
se douter de l’étrange voyage spatio-temporel et initiatique que lui
réserve le destin.
Accompagné d’un chien répondant au doux nom d’Opié, il a pour
mission de retrouver la jolie Gardenna, petite fille du libraire coincée
entre deux faces temporelles.
Et ce n’est pas une mince affaire ! Dans les contrées qu’il sera amené
à explorer – la Vallée Minute, le sablier de Cycliturne, le pays du temps
dépassé, le monde de la mémoire, l’Aveniroscope – le Temps a décidé
de n’en faire qu’à sa tête…
et des élèves de 6e des collèges
Jean Macé à Clichy-la-Garenne
Jean Moulin à Meudon-la-Forêt
André Doucet à Nanterre
Henri Dunant à Rueil-Malmaison
Émile Zola à Suresnes
dans le cadre d’un atelier d’écriture animé
par Emmanuel Moses, écrivain
Juin 2011
Roman
© Cddp des Hauts-de-Seine
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