carnet - Festival d`Aix en Provence

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carnet - Festival d`Aix en Provence
G.F. HAENDEL
IL
TRIONFO
DEL
TEMPO
E DEL DISINGANNO
CARNET
pédagogique
VUE D’ENSEMBLE
Au printemps 1707, Georg Friedrich Haendel a 22 ans. Il réside à Rome et écrit un oratorio
allégorique sur un texte du cardinal Benedetto Pamphili, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno
( Le Triomphe du Temps et de la Désillusion ), ouvrage qui sera créé l’été suivant. Nous ne connaissons
pas les détails de cette création, ni le lieu où elle prit place, ni ses interprètes, même s’il semble
qu’Arcangelo Corelli joua la partie de violon solo et dirigea l’orchestre à cette occasion. Dans les
années suivantes, Haendel réemploya une grande partie des airs de cet oratorio dans ses opéras
seria, et il adapta sa partition pour des effectifs plus importants, en vue de nouvelles exécutions à
Londres en 1737 ( avec un livret traduit en anglais ) puis une nouvelle fois en 1757, sous le titre :
The Triumph of Time and Truth. La version italienne d’origine a toutefois été conservée sous la forme
d’un manuscrit autographe et a été redécouverte à la fin du XXe siècle. Depuis, Il Trionfo del Tempo
e del Disinganno est régulièrement donné en concert et enregistré, et parfois présenté sous forme
scénique. C’est ainsi que le Festival d’Aix-en-Provence, qui programme pour la première fois cet
ouvrage et conclut ainsi son cycle Haendel inauguré en 2014, le confie au metteur en scène
Krzysztof Warlikowski et à la chef d’orchestre Emmanuelle Haïm.
Le livret du cardinal Pamphili met en scène quatre personnages allégoriques : la Beauté qui jure
fidélité au Plaisir, tandis que le Temps et la Désillusion tentent de détourner la jeune femme de ses
serments en lui faisant prendre conscience de sa finitude.
Sur cet argument aux visées morales, le jeune Haendel donne le meilleur de son inspiration tout
en se conformant aux canons italiens de son époque. La partition du Trionfo del Tempo, conçue
pour un simple orchestre à cordes tout juste garni d’un continuo et de deux hautbois, se montre
toutefois extrêmement virtuose et laisse une place non négligeable à certains soli instrumentaux,
notamment le violon et l’orgue à qui est confié un passage ébouriffant, vraisemblablement joué
par Haendel lui-même lors de la création. Cet oratorio sans chœur fait aussi la part belle aux voix
solistes. Les personnages de Beauté ( soprano ), Plaisir ( soprano grave ) et Désillusion ( contralto )
ont très certainement été créés par des castrats, les femmes n’ayant toujours pas le droit de
chanter à Rome à cette époque ; quant à Tempo, il a été conçu pour une voix de ténor. Reprenant
les codes et l’esthétique en train de se développer à l’époque dans l’opéra seria de type napolitain,
la plupart des airs adoptent la forme da capo, et s’autorisent la plus grande virtuosité dans un style
d’écriture brillant et contrasté. Cela dit, et à la différence de l’opéra seria, on trouve dans la partition
quelques ensembles saisissants, soit deux duos et deux quatuors d’une grande théâtralité.
PERSONNAGES
Il Trionfo del Tempo e del Disinganno met en scène quatre personnages
allégoriques, représentant chacun une idée.
Bellezza
Piacere
–
la Beauté
soprano
–
le Plaisir
mezzo-soprano*
Tempo
Disinganno
–
le Temps
ténor
–
la Désillusion
contralto
* Ce rôle peut aussi être chanté par un contre-ténor aigu.
ARGUMENT
PREMIÈRE PARTIE
DEUXIÈME PARTIE
Tout d’abord, les personnages sont partagés de
la manière suivante : le Plaisir parvient à séduire
la Beauté, naïve et frivole. En opposition
apparaissent le Temps et la Désillusion, figures
de raison. Bellezza est jeune et belle, elle est
flattée par le plaisir et semble ainsi baigner dans
l’innocence en contemplant ses belles années
dans le miroir. Le Plaisir lui promet qu’elle
restera ainsi jeune et belle si elle lui jure fidélité.
Le Temps et la Désillusion sortent rapidement
la Beauté de son rêve en l’invitant à plutôt
regarder le miroir de la vérité qui lui enseignera
une toute autre réalité : la jeunesse ne dure
hélas qu’un instant, et la Beauté souffrira si
elle n’accepte pas l’emprise du temps sur son
apparence.
La deuxième partie marque la victoire des
arguments avancés par le Temps, et voit la
Beauté échapper peu à peu au Plaisir. Bellezza
doit désormais faire face à son avenir –
« Che risolvi ? Che pensi ? » – « quelle est ta
décision ? » : elle doit choisir.
Le Temps se place en ennemi du Plaisir, et
déclare la guerre à la Beauté et à sa vanité : ici
s’opposent l’éphémère et la jouissance contre
le tempus fugit, l’inexorable fuite en avant
du temps. Malgré les multiples tentatives de
Piacere pour garder toute la confiance de
sa belle, celle-ci prend conscience à mesure
des discours convaincants du Temps et de la
Désillusion que sa promesse initiale n’était ni
raisonnable, ni vertueuse. À la fin de la première
partie, la Beauté doute de plus en plus du duo
qu’elle forme avec Piacere.
Bellezza évoque le souhait d’avoir deux cœurs :
l’un pour le repentir et la beauté d’âme, l’autre
voué au plaisir et à la beauté esthétique.
Disinganno lui rétorque que son âme restera
belle malgré le temps qui passe et que c’est
précisément ce qui importe.
Enfin, pour se convaincre, la Beauté demande
à la Désillusion d’où vient le ruisseau qui coule
dans le palais du Plaisir, « il vient des larmes du
monde » lui répond-elle. Qu’en est-il des pleurs
des justes ? « Si leurs larmes semblent viles sur
terre, elles sont des perles au ciel » – « che in
vederle sembrano vili, e pure in ciel son perle ».
Après une ultime tentative du Plaisir qui
convie une dernière fois la Beauté à choisir la
rose plutôt que les épines ( « lascia la spina,
cogli la rosa » ), Bellezza dit adieu, au sens le
plus étymologique du terme : elle part pour se
confier à Dieu, et promet qu’elle abandonne là
ses ardeurs et son désir de jeunesse éternelle.
Le Temps et la Désillusion ont triomphé et se
réjouissent de cette conversion à la sagesse.
L’aria final célèbre le don de soi et la foi
naissante de Bellezza ( « Tu del Ciel ministro
eletto » ).
CECI N'EST PAS UN OPÉRA
Il Trionfo del Tempo e del Disinganno n’est pas un opéra à proprement parler. Il s’agit d’un oratorio
allégorique, œuvre instrumentale et vocale qui met en scène des personnages à la portée
symbolique.
On peut également définir cette œuvre comme une « parabole » ou une « fable », car elle cache un
enseignement, une morale : dans l’Italie du début du XVIIIe siècle, le très jeune Haendel assure sa
légitimité en proposant un triomphe de l’éthique chrétienne et de l’ascétisme de la vie de couvent
( c’est bien de cela dont il est question lorsque Bellezza dit « adieu » ) face au plaisir sensoriel et
fugace.
allégorie
Un procédé qui consiste à « parler par figure ».
allos = « l’autre » en grec ancien
agorein = « parler »
( on reconnait dans ce verbe la même racine qu’agora,
la place publique grecque, lieu de parole de la cité )
L’allégorie est donc une « parole autre », une « autre façon de dire ».
Le sens moderne du terme désigne un type de narration qui utilise des
représentations concrètes ( ici des personnages de chair ) à contenu symbolique
( les idées abstraites que sont la beauté, le plaisir, le temps, la désillusion ).
GUIDE D’ÉCOUTE
LES EXTRAITS
G.F. Haendel, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, Le Concert d’Astrée, dir. Emmanuelle
Haïm ( Virgin Classics, 2007 )
AIR DE BELLEZZA
Un pensiero nemico di pace
CD1, plage 14
Il s’agit du septième air de l’oratorio et de la quatrième intervention de Bellezza. Cette dernière
n’est pas encore prête à abandonner Piacere et exprime sa colère envers le Temps, présenté
comme son ennemi ( partie A ). Mais pour la première fois, elle concède qu’il est difficile de nier
« l’empire du temps » et se lamente sur son inévitable pouvoir ( partie B ).
Les quatre premières mesures sont introductives ; avant l’aria de Bellezza, l’orchestre entre dans
un tempo presto, décochant des rafales de doubles-croches jouées par les cordes de l’orchestre.
Dès cette introduction, l’auditeur comprend qu’il est aux prises avec un air de tourment, voire de
fureur ; ces montagnes russes de la ligne mélodique créent un sentiment de vertige. On imagine
Bellezza essayant de fuir, de courir plus vite que le temps qui passe, mais elle est tragiquement
rattrapée par le tempus fugit.
La première strophe ( « Un pensiero nemico di pace » ) est répétée deux fois par Bellezza sur le
modèle de l’introduction instrumentale. Deux mesures entières sont consacrées à des vocalises
en doubles-croches sur le mot « edace » mais avec des notes qui restent dans la même tessiture
et provoquent un effet de tourbillon, donnant un sentiment de sur-place voire d’emprisonnement
du personnage dans ses propres doutes. La panique de Bellezza est à son comble.
L’atmosphère change radicalement dans la section B : Le tempo se ralentit, les doubles-croches
qui structuraient l’ensemble s’arrêtent pour laisser place à un rythme plus libre. On note la
prédominance du clavecin en accords arpégés. Le temps est suspendu, Bellezza est rêveuse,
mélancolique. Les triolets de croches en notes conjointes descendantes pourraient même mimer
des sanglots et des soupirs.
Selon le schéma de l’aria da capo, la section A rapide est reprise, en y ajoutant des ornementations
et des nuances, donnant un aspect général de virtuosité et d’improvisation, afin de mettre en
avant les prouesses vocales de la chanteuse.
AIR DE PIACERE
Lascia la spina
CD2, plage 16
Cet air est extrêmement célèbre, non seulement par sa beauté et son intensité dramatique, mais
aussi parce qu’il apparaît plusieurs fois dans l’œuvre de Haendel. Tout d’abord sous la forme
que nous allons entendre, « Lascia la spina », Il Trionfo del Tempo étant chronologiquement
le premier oratorio composé par le compositeur. Cet air réapparait à l’identique en 1711 dans
l’opéra Rinaldo, mais son texte a changé : « Lascia ch’io pianga / Mia cruda sorte / E che sospiri
la liberta ». Par ailleurs, il est à noter que l’oratorio connaîtra plusieurs versions, notamment un
travail d’expansion de la pièce en un oratorio en trois sections intitulé Il Trionfo del Tempo e della
Verità en 1737, puis une version anglaise The Triumph of Time and Truth en 1757.
L’air est chanté par Piacere au milieu de la deuxième partie, il s’agit de son avant-dernière
intervention. Alors que le Temps et la Désillusion ont manifestement déjà convaincu Bellezza
de se ranger du côté de la vertu, le Plaisir tente de récupérer la belle, en se montrant charmeur
et enjôleur. Si les arguments des deux autres personnages sont construits et reposent sur une
éthique chrétienne, ceux du Plaisir sont ceux du cœur et de la philosophie hédoniste du carpe
diem. Le recours à l’image de la rose – « Lascia la spina, cogli la rosa » ( « laisse de côté les épines,
cueille la rose » ) – comme symbole de jeunesse est un lieu commun de la littérature. Les exemples
ne manquent pas, de la célèbre œuvre médiévale Le Roman de la Rose, où la fleur est une allégorie
de la beauté parfaite et de la jeune femme à conquérir, à l’Ode à Cassandre ( « Mignonne, allons
voir si la rose… » ) de Ronsard. Ici encore, Piacere invite Bellezza à laisser les épines, métaphores de
la douleur, et à cueillir la rose, symbole de jeunesse éphémère, de fragilité et de beauté.
Le tempo est largo, la mesure à trois temps, et la tonalité en fa majeur. Les instruments
accompagnant la voix du Plaisir sont les cordes frottées ( violon, alto et viole de gambe ), ainsi que
les cordes pincées ( clavecin et théorbe ).
GUIDE D’ÉCOUTE
La beauté de cette aria repose sur la simplicité de la mélodie et sur son architecture générale, d’une
symétrie parfaite. Reprenant la forme de l’aria da capo qui produit un effet de bouclage, l’air se
compose des trois parties habituelles de l’aria da capo : ABA’ ( seules les parties A et B sont écrite, A’
étant une reprise ornée de A ). La partie B est une parenthèse plus “allante” et juste accompagnée
par le continuo ( clavecin, théorbe, violoncelle ). La partie A, introduction et conclusion de l’aria,
repose également dans sa structure interne sur une symétrie parfaite selon le schéma a-b-cb-a. Les huit premières et les huit dernières mesures exposent le thème « a » dans une version
instrumentale. Ce thème correspondant aux deux premières strophes est repris à l’identique par
Piacere dans les sections « b ». Enfin, la section « c » module passagèrement dans l’aigu avant de
revenir à « b ».
Section A
5 X 8 mesures
a b c b a
strophes 1 à 4
Section B
3 X 8 mesures
d e d
strophes 5 à 7
Section A' da capo
5 X 8 mesures
a b c b a
strophes 1 à 4
De nombreux silences s’intercalent entre les notes pour mettre en valeur la diction du chant,
notamment en fin de mesure. Sur le thème des deux premières strophes, chaque mesure est
composée de manière identique : les deux premiers temps correspondent à deux syllabes et le
troisième temps est celui du silence.
Mesure 1
Las – cia
1 2
Mesure 3
Co – gli
1 2 3
3
Mesure 2
La spi – na
1
2
3
Mesure 4
La ro – sa
1 2 3
Une phrase musicale ou un mot isolé grâce au silence qui l’entoure acquiert une force
émotionnelle et dramatique toute particulière. Ces troisièmes temps de silence ( ni la chanteuse ni
les instruments ne jouent ) tiennent ce rôle de mise en relief de la mélodie et du désespoir du Plaisir.
COMPOSITEUR
G.F. HAENDEL ( 1685-1759 )
L’EXACT CONTEMPORAIN DE BACH
Georg Friedrich Haendel naît à Halle en Allemagne le 23 février
1685, quelques semaines avant Johann Sebastian Bach, d’un
père chirurgien-barbier également chambellan du duc de SaxeWeissenfels et d’une mère fille de pasteur. Dès l’âge de sept ans, il
apprend le clavecin, l’orgue et la composition auprès de l’organiste
de la ville, avant d’être engagé à l’Opéra de Hambourg au poste
de claveciniste par le compositeur Reinhard Kaiser. De 1706 à 1710, un séjour en Italie, où il
remporte ses premiers triomphes ( Dixit dominus, 1707, Aci, Galatea e Polifemo, 1708 ), lui permet
de se familiariser à d’autres styles musicaux. De retour en Allemagne, il est nommé maître de
chapelle à la cour de Hanovre.
DÉPART POUR L’ANGLETERRE
En 1710, il se rend pour la première fois en Angleterre et livre en 1711
Rinaldo, premier opéra italien spécifiquement destiné au public londonien.
L’année 1713 marque son entrée au service de la couronne britannique
et l’écriture de ses premières œuvres anglaises. Après un passage chez le
duc de Chandos, à l’attention duquel il conçoit les Chandos Anthems et
Acis and Galatea, il est nommé directeur artistique de la nouvelle Royal
Academy of Music pour laquelle il écrit Radamisto ( 1720 ), Giulio Cesare
( 1724 ) ou encore Rodelinda ( 1725 ). Le fonctionnement de l’Académie est
secoué par d’incessantes rivalités entre les divas Faustina Bordoni et Francesca Cuzzoni, que le
compositeur s’efforce de satisfaire au prix, parfois, de certaines invraisemblances dramatiques.
SUJET BRITANNIQUE
L’institution vacille à nouveau lors de l’établissement d’une troupe
concurrente, l’Opéra de la Noblesse. C’est l’époque d’Ariodante et
d’Alcina ( 1735 ), écrits à l’intention du castrat Carestini et de la
soprano Maria Strada del Po. Après plusieurs échecs successifs,
Haendel se tourne vers l’oratorio sacré dont le sommet est atteint
avec Le Messie ( 1742 ). Victime d’une attaque de paralysie en
1737, Haendel souffre d’une baisse de la vue à partir de 1750
puis de cécité. S’il ne compose plus, il continue à jouer ses propres œuvres. Le compositeur, vénéré
outre-manche, devient sujet britannique en 1727. Décédé le 14 avril 1759 à Londres, il est
inhumé à la cathédrale de Westminster.
FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE 2016
Direction musicale
Mise en scène
Bellezza
Disinganno
Piacere
Tempo
Orchestre
Emmanuelle Haïm
Krzysztof Warlikowski
Sabine Devieilhe
Sarah Mingardo
Franco Fagioli
Michael Spyres
Le Concert d’Astrée
NOTE D’INTENTION
Il Trionfo del Tempo e del Disinganno n’est pas un opéra. Il s’agit du premier oratorio de Haendel, soit
un genre musical et vocal né à Rome, qui se veut narratif mais non représentatif, et raconte une
histoire religieuse. On donnait des oratorios dans des oratoires ( d’où le nom de ce genre ) ou des
églises, et plus tard dans des théâtres mais en disposition de concert. Il n’y avait donc pas de mise
en scène, de costumes ou de machines – même s’il pouvait arriver que l’orchestre et les solistes
soient placés devant des toiles peintes.
Cette dimension non-théâtrale se ressent dans Il Trionfo dans le sens où, si les solistes incarnent
des personnages ( allégoriques en l’occurrence ), les lieux dans lesquels ils évoluent ne sont pas
toujours très clairs, et leurs interactions se limitent la plupart du temps à des dialogues, tandis que
leurs actions sont très réduites.
Pour autant, il y a beaucoup de « théâtralité » dans Il Trionfo, car la musique de l’époque baroque
était théâtrale dans son essence même. C’est-à-dire bâtie sur des alternances de tensions et de
détentes, avec des atmosphères très contrastées, des pages très expressives. La musique prend
donc en charge l’absence de scène : elle est souvent remplie de tensions, de couleurs et de
figuralismes. Et le dialogue lui-même est à la base du geste théâtral. Quelques metteurs en scène
ont donc déjà proposé des spectacles sur cette partition. Krzysztof Warlikowski s’y essaie à son tour.
S’il a un temps pensé situer l’action de sa mise en scène dans une maison de retraite, où la
jeune Bellezza serait une aide-soignante confrontée aux images de la vieillesse et de la fin de
vie, Warlikowski a finalement changé complètement d’orientation. Il est parti du dernier air de
Bellezza, qui montre une acceptation des rigueurs du temps et un renoncement au monde. Alors
que certains metteurs en scène figurent ce renoncement par une entrée au couvent, Warlikowski,
inspiré de certains modèles cinématographiques ( Virgin Suicide de Sofia Coppola et After Life
de Hirokazu Kore-eda ), y voit plutôt le renoncement sous forme de suicide d’une adolescente.
Confrontée aux questions difficiles du corps florissant mais promis au flétrissement, du regard de
l’autre, de la finitude humaine, la jeune fille finit par mettre fin à ses jours. Warlikowski touche là
à une thématique très contemporaine, qui lui permet de réinterroger les thèmes de l’oratorio de
Haendel.
Concrètement, il met en scène Bellezza au milieu d’autres jeunes filles incarnées par des figurantes,
qui occuperont le décor en jouant le rôle de spectatrices dans deux salles de cinéma identiques,
séparées par un couloir que Bellezza empruntera à la fin de l’œuvre. On peut considérer ce couloir
comme un symbole funèbre, chemin qui relie les vivants aux morts. On peut aussi comprendre ces
salles de cinéma comme un lieu de « purgatoire », où l’on s’observe soi-même et où l’on médite sur
sa condition ou sa vie passée. L’idée provient du film After Life, où l’on voit des personnes décédées
recréer sous forme de film les meilleurs moments de leur vie dans un lieu industriel désaffecté
tenant lieu de purgatoire. À noter que des images vidéo des jeunes filles seront projetées sur les
parois des deux salles de cinéma.
À l’avant-scène, un espace de jeu distinct permettra d’observer la vie de Bellezza entourée des
siens. On y verra son frère Piacere ( un contre-ténor ), qui l’incite à profiter de la jeunesse et à tenter
des expériences, ainsi que ses deux parents, Tempo ( un ténor ) et Disinganno ( une contralto )
qui, au contraire, rappellent sans cesse à la jeune fille sa condition mortelle. Les scènes de la vie
quotidienne de cette famille entreront ainsi en contrepoint avec l’observation-méditation des
jeunes filles dans les salles de cinéma.
After Life
ÉQUIPE ARTISTIQUE
Attaché à renouveler le langage théâtral, Krzysztof Warlikowski atteint rapidement une notoriété
importante sur la scène européenne grâce à ses interprétations de Shakespeare. Au théâtre, citons
notamment ses productions de Anioły / Angels in America ( Kushner ), Madame de Sade ( Mishima ),
Krum / Kroum l’ectoplasme ( Levin ), Koniec / La Fin ( d’après Kafka, Koltès et Coetzee ), ( A )pollonia,
Un tramway ( d’après Tennessee Williams ) et Contes Africains ( d’après Shakespeare ). Très actif à
l’opéra, il signe également les mises en scène de nombreuses productions lyriques : Iphigénie en
Tauride ( Gluck ), L’Affaire Makropulos ( Janáček ), Parsifal ( Wagner ), Król Roger ( Szymanowski ) et
Barbe-bleue ( Bartók ) / La Voix Humaine ( Poulenc ) à l’Opéra national de Paris ; Wozzeck ( Berg ) et
Don Carlo ( Verdi ) au Teatr Wielki – Opéra national de Pologne ; Eugène Onéguine ( Tchaïkovski ) et Die
Frau ohne Schatten ( Strauss ) au Bayerische Staatsoper à Munich ; The Rake’s Progress ( Stravinski )
au Staatsoper de Berlin ; L’Affaire Makropoulos ( élue meilleure mise en scène aux Premios Liricos
2009 ), Król Roger, Poppea e Nerone ( Monteverdi / Boesmans ) et Alceste ( Gluck ) au Teatro Real
de Madrid ; Médée ( Cherubini ), Macbeth ( Verdi, élue Meilleure production de l’année 20092010 par le magazine Opernwelt ), Lulu ( Berg ) et Don Giovanni ( Mozart ) au Théâtre Royal de la
Monnaie à Bruxelles. Krzysztof Warlikowski dirige le Nowy Teatr de Varsovie, un centre culturel
interdisciplinaire.
Après des études de piano et de clavecin, Emmanuelle Haïm enseigne au Conservatoire
National Supérieur de Musique de Paris puis choisit la direction d’orchestre et fonde, en 2000,
Le Concert d’Astrée, orchestre spécialisé dans la musique baroque. Invitée des plus grandes
scènes internationales, elle est notamment une habituée du Festival de Glyndebourne. Elle est
la première femme chef d’orchestre à officier à l’Opéra de Chicago en dirigeant Jules César de
Haendel. Elle dirige aussi l’Orchestre Philharmonique de Berlin en 2008, 2011 et 2014. Ses
enregistrements avec Le Concert d’Astrée sont abondamment récompensés : Victoires de la
Musique Classique, nomination aux Grammy Awards… Elle collabore avec de grands artistes tels
que Philippe Jaroussky, Patricia Petibon, Anne Sofie von Otter et Laurent Naouri. Emmanuelle
Haïm est Chevalier de la Légion d’honneur, Officier des Arts et des Lettres et Membre honoraire
de la Royal Academy of Music de Londres. Nordiste de cœur, elle est aussi l’Ambassadrice du Nord
à travers le monde, Le Concert d’Astrée étant en résidence à Lille. Elle dirigera cette année son
ensemble sur instruments d’époque pour la production Il Trionfo del Tempo e del Disinganno de
Haendel, œuvre qui fait partie de sa discographie, enregistrée en 2007 avec son orchestre et
Natalie Dessay dans le rôle de Bellezza.
À VOIR/ À LIRE
Théâtre
Sarah Kane, 4.48 Psychose ( 4.48 Psychosis ), L’Arche, 2001
Univers proche de ce que souhaite représenter Warlikowski.
Cinéma
Sofia Coppola, Virgin suicides ( 1999 )
Le suicide de quatre sœurs dans une petite ville de la banlieue de Détroit, raconté par un
narrateur extérieur à la famille.
Hirokazu Kore-eda, After life ( 2000 )
Dans cette métaphore de l’au-delà, une série de personnages se retrouve dans une
situation intermédiaire, où il leur est proposé de se souvenir du plus beau rêve de leur vie…
FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE 2016 www.festival-aix.com
ÉDUCATIF ET SOCIO-ARTISTIQUE – PASSERELLES [email protected] /
[email protected]
COORDINATION ÉDITORIALE ET TEXTES Alain Perroux assisté
d’Orane Furness-Pina
ILLUSTRATIONS Extraits du webdoc du Festival d’Aix-en-Provence La fantastique histoire
de G.F. Haendel © Mistère Public
ICONOGRAPHIE Maquettes du décor © Malgorzata Szczeniak | Références
visuelles Virgin Suicides / After Life
DESIGN GRAPHIQUE Céline Gillier
SERVICES