Petit déjeuner Coach`Invest
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Petit déjeuner Coach`Invest
Petit déjeuner Coach’Invest du 14 février 2007 Bertrand Collomb Selon Bertrand Collomb, l’esprit d’entreprendre consiste non seulement en la capacité à avoir des idées nouvelles et à prendre des risques pour les mettre en œuvre, mais également en la capacité à manager et à mener à bien un projet. C’est cet esprit qu’il tente depuis plus de trente ans de transmettre aux collaborateurs de Lafarge. En s’appuyant sur son expérience et sur des illustrations concrètes, Bertrand Collomb a mis en avant la dynamique entrepreneuriale qui existe dans un groupe comme Lafarge. La direction décentralisée : les patrons d’unité Lafarge est une structure qui regroupe des business implantés localement, avec à la tête de chacun un patron d’unité. Ces « petits chefs d’entreprise » sont assimilables à des entrepreneurs, dans la mesure où ils mettent en place, dirigent et font avancer les unités dont ils se voient confier la responsabilité. La différence avec un entrepreneur créateur ou repreneur d’entreprise est que le patron d’unité reste attaché au réseau global de l’entreprise dont il dépend, même s’il est très libre dans la gestion de son entité. L’écueil à éviter pour Lafarge est d’avoir des patrons d’unités qui soient trop entreprenants, ou au contraire simplement exécutants pour le compte du groupe. Il faut éviter d’avoir des chefs d’entreprises qui veulent en permanence tout réinventer. En effet, dans un grand groupe, les changements se font par oscillations. Il faut réussir à développer l’esprit d’entreprendre sans pour autant que les patrons d’unités se comportent de manière totalement autonome. On leur demande d’avoir des qualités qui apparaissent a priori comme étant contradictoires, à savoir faire preuve d’esprit d’initiative tout en ayant une bonne capacité à travailler avec les autres. L’objectif pour l’entreprise consiste à dynamiser les patrons d’unité en faisant d’eux des entrepreneurs disposant d’autonomie et pouvant prendre des initiatives, tout en gérant leur intégration dans le réseau du groupe, la direction générale établissant un suivi poussé de la stratégie. C’est ce à quoi s’attache Bertrand Collomb dans sa gestion de l’entreprise. La gestion de projets : les chefs de projets Ayant des difficultés à gérer l’innovation autrement que par secteur du fait de la rigidité de sa structure classique, Lafarge a depuis une quinzaine d’années mis l’accent sur le développement de la gestion par projet. Suivant le fameux exemple du chef de projet ayant développé la Twingo chez Renault, Bertrand Collomb a mis à la tête de chaque projet un véritable chef d’entreprise devant trouver ses ressources, ses équipes,… Ici encore l’entreprise a fait de ces chefs de projets de vrais entrepreneurs, pour qui la seule différence avec un entrepreneur individuel se situe au niveau de l’accès aux ressources financières et de la gestion des finances, puisque la trésorerie est dans leur cas centralisée au niveau du groupe. Cette différence reste une différence majeure avec l’entrepreneur créateur ou repreneur d’entreprise dans la mesure où ce dernier doit gérer une pression financière caractéristique de l’entrepreneuriat. Pour autant, si le patron d’unité n’a pas la préoccupation de la trésorerie, il a la préoccupation des résultats. Pour le reste, ils ont tous les leviers entre les mains et ne sont pas uniquement responsables d’un centre de profits. Ils ont en particulier la responsabilité de la production. La prise de risque : une composante de la culture d’entreprise Si l’opinion commune voudrait que les grandes entreprises soient plutôt averses au risque, Bertrand Collomb estime que celles qui réussissent sont justement celles qui prennent des risques, et que lui en a pris un certain nombre avec Lafarge depuis 30 ans. La question qui se pose alors est à quel niveau se situe la prise de risque : au niveau du dirigeant d’entreprise ou à tous les niveaux ? Le problème est qu’une appréciation très rigoureuse des risques à travers de nombreuses études conduit généralement à une certaine absence de changement. Dès lors, très souvent seuls les projets à l’initiative de la direction, nécessitant forcément moins d’analyses, aboutissent rapidement et efficacement. Bertrand Collomb a pris l’exemple d’un projet en Allemagne de l’Est après la chute du Mur. Après étude sur le terrain, ses collaborateurs n’étaient que peu convaincus de l’opportunité de s’implanter sur le marché. Pourtant après une rencontre avec Antoine Riboud (alors PDG de Danone) qui avait investi là-bas sans vraiment de certitudes, Bertrand Collomb a décidé de prendre le risque de tenter l’aventure, et l’implantation a finalement été un très gros succès. Il est certain que s’il avait fallu que le projet passe par un processus de décision hiérarchique classique, il n’aurait jamais abouti. Selon Bertrand Collomb, pour qu’une entreprise puisse développer une dynamique entrepreneuriale, il faut qu’à tous les niveaux une prise de risque raisonnable puisse être prise, car elle est nécessaire pour avancer. Mais tous les systèmes d’audit et de contrôle ne facilitent pas cette prise de risque, bien au contraire. Le soutien à l’entrepreneuriat : l’essaimage L’essaimage a parfois été contraint chez Lafarge, dans le cadre de restructurations, comme par exemple lors de la fermeture de l’usine de Tétouan au Maroc, à l’issue de laquelle Bertrand Collomb s’est aperçu que beaucoup plus de gens qu’il ne le pensait étaient capables de créer une entreprise. Ses collaborateurs et lui-même ont travaillé pendant 3 ans au replacement de 100 personnes qui allaient être licenciées et finalement sur ces 100 replacements, 90 l’ont été en créant leur propre entreprise (commerces de proximité, transports, …). Cinq ans après, 75% des entreprises créées existent encore et elles ont doublé leurs effectifs. Avec peu d’argent mais avec beaucoup de conseils et d’accompagnement, Lafarge a largement contribué à un important essaimage, preuve que les grandes entreprises peuvent aider les entrepreneurs à créer leur entreprise. La cession d’activité dans le cadre de LBO En 2000-2001, Lafarge a du céder une activité dans le cadre d’une opération de LBO. Plutôt que de vendre l’affaire par parties, ce qui aurait rapporté davantage d’argent mais représentait plus de risques, Bertrand Collomb a préféré sauver les équipes et vendre l’activité dans son ensemble, avec à sa tête son patron de l’époque. L’entité a connu une histoire formidable et a beaucoup mieux réussi qu’à l’intérieur de Lafarge, preuve que le groupe n’avait pas tué l’esprit entrepreneurial du manager qui était à sa tête d’une part, et que la vente groupée était un excellent encouragement à développer cet esprit d’autre part. Comment les grandes entreprises peuvent elles aider l’entrepreneuriat ? L’esprit d’entreprise est une donnée culturelle, or en France il y a un réel problème avec l’entrepreneuriat. Tous les gouvernements ont beau créer des lois pour le favoriser, c’est tout le système qu’il faut repenser : éducatif, fiscal,… Il faudrait pouvoir récompenser la réussite et accepter l’échec. En effet, on a le sentiment en France qu’échouer c’est mal et que réussir s’est encore pire ... Il faudrait également privilégier les faits et non pas les raisonnements comme c’est presque toujours le cas. A ce titre, la vague de créations d’entreprises liée à Internet est très instructive. En effet, les créateurs ont eu comme démarche d’essayer, de faire des tests, et lorsque quelque chose ne fonctionnait pas, ils ne cherchaient pas les causes de l’échec mais essayaient autre chose. Cette culture qui consiste à privilégier la pratique par l’essai plutôt que le raisonnement systématique mériterait de se développer dans les grandes entreprises. Mais pour le moment Bertrand Collomb pense que les grandes entreprises peuvent déjà apporter leur contribution, non pas seulement avec de l’argent mais par un apport de compétences à travers différents réseaux comme le Réseau Entreprendre. Sans tomber dans l’assistanat, les grandes entreprises peuvent aussi être les partenaires des PME, à condition que le partenariat soit bâti dans une logique d’intérêts et d’efficacité mutuelle. Pour qu’une culture d’entreprise se développe et soit pérenne au sein d’un grand groupe, il faut qu’elle soit incarnée par le patron lui-même d’une part et qu’elle soit en adéquation avec le monde extérieur d’autre part. Si une entreprise change de patron ou d’actionnaires tous les cinq ans, il est difficile de maintenir sa culture. Il faut donc une certaine stabilité dans le temps qui permet de définir une vision et d’appliquer les moyens nécessaires à sa mise en œuvre.