la parole comme mediateur de la dependance et

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la parole comme mediateur de la dependance et
LA PAROLE COMME MEDIATEUR DE LA DEPENDANCE ET DE L’INTIMITE
Louis-Antoine ALRIC – Psychanalyste, Périgueux
Louis-Antoine ALRIC
…La femme vit (…) qu’il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement… .La Génèse III 6-7
Ce qui m’a toujours interrogé, dans ce texte de la Genèse, c’est le marquage très fort des dangers liés à
la connaissance, et plus particulièrement en ce qui concerne l’accès au savoir sur la sexualité. La
première conséquence de l’accès au savoir, c’est qu’ils se rendent compte qu’ils sont nus ! Ce qui ouvre
la porte à la concupiscence, c’est-à-dire, au désir.
Or la construction de la sexualité doit se faire dans le secret ; il faut qu’il y ait du « caché » dans cette
affaire-là. Car la notion de secret est à l’origine de la pudeur et de l’intimité : deux concepts qui font
souvent défaut chez l’adulte polyhandicapé, tellement il se vit comme un corps de besoins auxquels il
faut répondre (manipulation, rééducation, opérations, prothèse…). La dépendance corporelle ne lui
permet pas de vivre et de mettre en acte cette pudeur. Le jeune enfant aime bien s’exhiber, se montrer
nu. Mais un jour, il va cacher son corps nu au regard des autres, même des plus proches, et il ne
supportera plus que l’on entre dans la salle de bains lorsqu’il s’y trouve. Que mettons-nous en acte, que
disons-nous à ce propos dans nos institutions ?
Qu’il y ait nécessairement une dimension cachée dans la construction de la sexualité ne doit pas nous
empêcher de tenir un certain nombre de discours, car la question se pose de savoir comment se fait-il
que, dans les lieux mêmes de formation, ces questions ne se travaillent pas ?
On « tourne autour », ponctuellement, à l’occasion de tel évènement vécu pendant les stages en
institution, mais il n’est pas suffisant de déposer ainsi les problématiques qui dérangent. Même s’il y a
quelques dangers à parler de sexualité ; danger de produire un discours du Maître, c’est-à-dire de
penser dans sa propre problématique, la sexualité d’autrui (cf. Jean ALLOUCH1).
Il faut donc donner aux professionnels les moyens de se situer, de pouvoir prendre position par rapport
à des situations auxquelles ils seront inévitablement confrontés dans leur pratique. Serait-ce trop
subversif que d’envisager, tout le long des différentes études que l’on peut faire dans une école
d’éducateurs, qu’il y ait un véritable enseignement à la sexualité humaine ? Parce que nous sommes
1 Jean Allouch, Droits des assujettis, sujet du droit, in L’UNEBÉVUE, revue de psychanalyse N°20.
L’Unebévue-Editeur, 29 rue Madame 75006 Paris
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tous pris dans une histoire unique, particulière, de notre sexualité, il nous faut, en tant que
professionnels, des outils indispensables à la mise à distance de notre seule subjectivité. C’est difficile
de ne pas juger ou de ne pas se sentir encombré par des demandes ou des comportements vécus
comme autant d’agressions. Avoir des outils communs, c’est permettre une certaine cohérence –que
l’on peut aussi entendre comme une « co-errance »- dans nos pratiques. Qu’en est-il de l’étude de
l’Histoire de la sexualité de Michel FOUCAULT2 par exemple ? Étude d’autant plus intéressante qu’il
s’agit pour FOUCAULT d’aborder cette histoire : « … comme expérience –si on entend par expérience
la corrélation, dans une culture, entre domaines de savoir, types de normativité et formes de
subjectivité. »3 Mais qu’en est-il aussi, d’une lecture attentive du véritable traité de la sodomie que nous
propose Claude GUILLON4 ou encore du difficile témoignage d’Anaïs NIN5 sur l’inceste (où il ne s’agit
pas de la petite fille séduite par son gentil papa, mais de son désir de femme mûre convoquée par le
désir de son père vieillissant) ? Idem lorsque Sylvia BOURDON déclare : « J’ai vu des hétérosexuels
convaincus sodomisés comme des centurions, des gouines exclusives avaler du sperme comme une
hostie, des femmes monogames se transformer en supermarchés, des businessmen autoritaires se
faire fouetter avec délices. » 6 Peut-être dit-elle la vérité … ?
Mais la parole considérée comme médiatrice passe aussi par l’écrit. Et il me paraît urgent que dans les
institutions, des réflexions se mettent en place pour élaborer des écrits afin qu’il soit clair que l’intimité
des personnes accueillies sera respectée, autrement dit que la dimension sexuelle sera prise en
compte.
Un des premiers bénéfices de ces écrits serait de dissocier l’aspect purement génital de la sexualité de
son aspect « existentiel ». La sexualité chez l’être humain, c’est le désir de vivre. André COMTESPONVILLE affirme par exemple « que le désir, non la liberté ou la raison, est l’essence de l’humanité,
et que ce désir, …, est toujours et tout entier sexué. Cela même qui nous empêche de nous prendre
pour un Dieu nous oblige à nous reconnaître animaux, et à devenir humains. »7 Bien sûr, l'aspect
génital prend beaucoup de place à cause des passages à l'acte et des demandes qui peuvent survenir.
Il y a donc lieu de pouvoir définir le cadre qui permettra aux résidants, mais aussi aux familles et aux
financeurs, de se situer par rapport à cette question. Avec ce que cela comporte de différences entre ce
qui peut se passer entre adolescents et ce qui peut se vivre entre adultes.
2
Michel Foucault, Histoire de la sexualité, t. I, II et III, Paris, Gallimard
M. Foucault, « Usages des plaisirs et technique de soi » in dits et écrits, t. II, Paris, Gallimard, p.1358-1380
(1359 pour la citation).
4 C. Guillon, Le Siège de l’âme, Éloge de la sodomie, Zulma 1999
5 A. Nin, Inceste, Stock.
6 Sylvia Bourdon, L’amour est une fête, Editions Blanche, Paris, 2001, p.97
7 A. Comte-Sponville, in Dictionnaire philosophique, coll. Perspectives critiques, Puf 2001 p.536
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A ce sujet je participe, modestement, à un travail de recherche sur « adolescence et polyhandicap » et
il est frappant de constater combien, dans le discours des parents et des professionnels, la sexualité est
associée à la violence. Je tiens à souligner autour de ce thème une des dérives du droit français actuel
qui criminalise non plus certains actes, mais l’ensemble des comportements sexuels, et vous invite à
lire le travail de Marcela IACUB8 pour davantage d’informations sur cette question. À ce même propos,
je profite de la tribune qui m'est offerte aujourd'hui pour clamer haut et fort qu'il n'y a pas de besoin
sexuel chez l'être humain. C'est du manque de différenciation entre désir et besoin que proviennent
un certain nombre de discours, voire de passages à l'acte, qui ne peuvent rendre que les uns et les
autres confus et empêcher toute pratique éducative. Ainsi, envisager que des professionnels de
l'éducation puissent aider concrètement à un acte sexuel est un déni de l'intimité et un enfermement
dans la dépendance : c'est-à-dire exactement tout le contraire de la fonction éducative. Quelle que soit
la frustration vécue du fait d’un manque de plaisir sexuel génital, il nous faut bien savoir qu'il n'y a pas
d'aide concrète possible, sauf de redéfinir les fonctions en question :
- E.S, éducateur sexuel,
- M.E, masturbateur expert,
- A.M.P, assistante médicale à la procréation ou selon le cas aide manuelle à la pénétration !
Je voudrais aussi vous faire par de quelques réflexions rapides sur la question du « consentement »
dont il est souvent fait mention lorsqu’on traite de sexualité.
Consentir signifie tomber d’accord, accepter qu’une chose se fasse, mais aussi, se résigner à. L’adjectif
consentante, c’est à dire en particulier lorsqu’il est au féminin, exprime l’idée de celle qui consent au
désir d’un homme, qui accepte une proposition amoureuse.(Larousse). En fait, consentir n’est possible,
comme le dit Jean ALLOUCH9, que dans le cas où on bute et dépasse une inhibition. Il est donc
impossible de consentir « raisonnablement », car consentir c’est prendre un risque. Tout un jeu
(érotique, érogène) entre inhibition et consentement est alors envisageable.
Parce que la sexualité humaine se situe exclusivement dans le champ du désir, la seule intervention, la
seule aide envisageable ne peut se faire que dans la dimension symbolique de la parole. Encore nous
faut-il admettre que quelle que soit l'étrangeté physique ou psychologique de l'autre, il a ceci en
commun avec moi : c'est un être de désir, et c'est ce qui vient faire limite à ma pratique. Car comment
puis-je aller au-delà de ce que je vivrais moi-même comme une insupportable intrusion dans ma vie
privée ?
8
Marcela Iacub, Le crime était presque sexuel, Editions EPEL, Paris 2002
Jean Allouch, op.cit.
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Il est possible, il est même important, d'élaborer sur ces questions car nous avons tous besoin de
balisages puisque nous avons fait le choix de la relation humaine dans nos fonctions. Ces repères, ils
passent par les processus de formation. Et s'engager dans ces processus, c'est accepter de bousculer
un peu nos représentations mentales et nos connaissances intellectuelles qui ne peuvent pas servir
qu'à nous protéger de nos propres peurs.
« Jouir de l’autre, s’il y consent, ou le faire jouir, si nous en sommes capables, cela ne saurait nous
autoriser à l’asservir. Le désirer, cela ne saurait nous dispenser de l’aimer et de le respecter ».10
10
A. Comte-Sponville, op.cit.
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