La microfinance a-t-elle un impact macroéconomique au

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La microfinance a-t-elle un impact macroéconomique au
La microfinance a-t-elle un impact macroéconomique au Sénégal ?
Souleymane Mbaye1, Université A. Seck de Ziguinchor, Sénégal
Résumé
L’objectif de ce papier est de mesurer l’impact macroéconomique de la microfinance sur la croissance économique au
Sénégal sur la période 1980-2011.
Les résultats obtenus sur la base de nos régressions montrent une influence négative de l’indicateur retenu, le volume
de l’encours de crédit des Institutions de microfinance (IMF) sur le taux de croissance du PIB. Cependant, à long
terme, l’encours de crédit a un impact positif sur la masse monétaire au sens de M2 de l’année suivante, variable qui
influe sur le taux de croissance de l’année en cours. On peut donc parler d’un impact indirect de la microfinance sur
la croissance du PIB en ce sens que l’effet est différé. Il est donc important qu’il y ait une meilleure articulation entre
les IMF et les banques commerciales pour une meilleure prise en charge des besoins de financement des structures
de microfinance afin de leur permettre de répondre à une demande sans cesse croissante.
Mots-clés : Microfinance, institution de microfinance (IMF), Sénégal, impact, développement financier, Systèmes
Financiers Décentralisés (SFD).
JEL : O16, O17
Has microfinance a macroeconomic impact in Senegal?
The objective of this paper is to measure the macroeconomic impact of the microfinance on the economic growth in
Senegal over the period 1980-2011.
The results obtained on the basis of our regression show a negative influence of the indicator selected, the volume of
However incur credit of the Institutions of microfinance (IMF) on the growth rate of the GDP, in the long run,
incur it credit has a positive impact on the money supply within the meaning of m2 of the following year, variable
which influences the growth rate of the current year. One can thus speak about an indirect impact of the
microfinance on the growth of the GDP in the sense that the effect is differed .It is thus significant that there is a
better articulation between the IMF and the trade banks for the best dealt with of the needs for financing of the
structures of microfinance in order to enable them to answer an unceasingly increasing request.
Key words: Microfinance, institution of microfinance (IMF), Senegal, impact, financial development, Decentralized
Financial Systems (SFD).
1
Enseignant-chercheur Mail: [email protected] . +221 77 206 29 84 BP: 523 Ziguinchor (Sénégal)
1
Introduction
L’échec du « développement pas le haut » a favorisé l’émergence et la montée en puissance dans les années
80, surtout dans les pays du tiers monde, d’institutions de microfinance (IMF) qui offrent des services
financiers à une population pauvre exclue du système bancaire. Pour des raisons liées notamment à la
nécessité d’attirer les financements publics et privés, les études d’impact sur les clients des IMF font
légion. Mais, le lien entre perspectives micro et macro, autrement dit l’impact global des services offerts
par la microfinance sur les performances économiques n’est pas suffisamment interrogé, notamment au
Sénégal.
Cela pose en substance la problématique de la relation secteur financier-secteur réel, qui a été largement
étudiée par la théorie économique. Bagehot (1873) a été l’un des premiers auteurs à montrer le rôle capital
de l’intermédiation financière dans la croissance économique. Aujourd’hui la plupart des études théoriques
(Mac-Kinnon, 1973) et empirique (King et Levine, 1993) s’accordent sur le fait que le secteur financier
joue un rôle déterminant dans le développement économique. La controverse demeure cependant sur le
sens de la causalité entre développement financier et croissance économique.
Compte tenu de son rôle d’intermédiaire qui finance des activités génératrices de revenus d’une catégorie
d’agents économiques qui n’a pas accès au système bancaire officiel, le secteur de la microfinance est bien
une composante du système financier. Au Sénégal, il a connu une montée en puissance fulgurante
caractérisée d’une part par la croissance exponentielle du nombre d’institutions et de points de vente et,
d’autre part, par une massification de l’offre de crédit. Pour autant, la microfinance-t-elle un impact
macroéconomique sur la croissance économique au Sénégal ?
L’objet de ce papier est de mesurer cet impact à travers une étude économétrique. L’enjeu est de voir
quelles sont les implications possibles en termes de politique de promotion du secteur pour un pays qui a
été l’un des premiers à se doter d’un ministère de la microfinance.
Dans une première section nous présentons le contexte d’émergence et de développement des IMF au
Sénégal ainsi que les facteurs de performance. Le modèle et les résultats sont présentés puis discutés après
la revue de la littérature dans le domaine.
1. Emergence et performance des IMF
Permettre à une frange importante de la population de sortir du cercle vicieux de la pauvreté est une
problématique du développement largement partagée. Dès lors, on comprend l’intérêt suscité par
l’émergence de la microfinance qui est définie comme étant l’ensemble des produits et services financiers
destinés aux personnes exclues du système bancaire classique, notamment par manque de garantie. Le
concept, relativement récent, n’est que l’institutionnalisation de pratiques traditionnelles assez anciennes.
1.1.
De la finance informelle à la microfinance
Les prêts sur gage, les gardes monnaie, les tontines, etc. ont un point commun : il s’agit essentiellement de
pratiques à dimension financière, mais qui ne revêtent pas un caractère formel, officiel. C’est la raison pour
laquelle on parle de finance informelle.
1.1.1. Finance informelle : l’allocation de ressource n’est pas optimale
Des pratiques d’épargne et de crédit, sous diverses formes, ont été recensées depuis des siècles de par le
monde. En Europe, dès le début du 15e siècle, l’église catholique avait créé des boutiques de prêt sur gage
pour offrir une solution autre que celle des prêteurs à taux usuraire. Depuis dès siècle également, la
tontine est pratiquée dans beaucoup de sociétés africaines et participe au financement des activités du
secteur informel, surtout le micro-commerce. Lelart (1989) identifie trois types de tontines : la tontine
mutuelle, la tontine commerciale (où l’organisateur est rémunéré) et la tontine aux enchères (le lot est
vendu aux enchères). Au Sénégal, c’est la première forme, pour laquelle chaque participant reçoit autant
qu’il verse, qui est pratiquée. Il s’agit souvent de la réunion d’un groupe de personnes ayant en commun
un certain nombre de liens (familiaux, de voisinage, de travail, etc.) ou des affinités électives ou partageant
simplement un certain nombre de préoccupations éco-sociales, qui cotisent une somme fixée d’un
commun accord selon une périodicité fixée également de manière consensuelle. Ainsi à tour de rôle (défini
2
souvent par tirage au sort), chacun des participants reçoit « la caisse » à l’occasion des réunions périodiques
souvent accompagnées de quelques réjouissances. Le fait de partager le même plat vise à raffermir les liens
de solidarité. La confiance nécessaire au bon fonctionnement du système va se traduire par des groupes
dont l’effectif est plus ou moins restreint. En conséquence, comme le souligne Lelart (2002), la finance
informelle se pratique en circuit fermé. C’est dans ce cadre seulement que circule l’argent et, du coup
l’allocation des ressources n’est pas optimale. En outre l’accumulation n’est pas favorisée car les créances
et les dettes s’éteignent rapidement. Par ailleurs, la finance informelle ne répond pas au besoin de
financement particulier de certaines activités du secteur informel comme l’artisanat, l’agriculture irriguée,
etc. qui ont besoin de ressources plus stables. Ainsi, la nécessité d’avoir un niveau intermédiaire entre la
finance informelle traditionnelle et la finance formelle s’est fait sentir.
1.1.2. Développement et élargissement du champ de la microfinance
L’émergence de la microfinance au Sénégal est due à un contexte favorable. D’abord l’échec du
« développement par le haut » s’est traduit, dans les années 80, par une volonté affichée des bailleurs de
fonds d’orienter en partie leurs interventions directement vers les populations via les ONG (plus d’aide
par projet et moins d’aide budgétaire). Les organismes étatiques d’encadrement du monde rural étaient
devenus budgétivores et l’Etat a été contraint de revoir son dispositif voire même de se retirer dans
certains domaines. Les banques publiques créées dans les années 70 pour augmenter l’offre de crédit
agricole aux petits paysans et aux paysans marginalisés dans l’espoir de relever leur productivité et leur
revenu ont échoué pour la plupart. Elles avaient en effet beaucoup de mal à recouvrer leurs coûts étant
donné les taux d’intérêt subventionnés. Les clients ne s’efforçaient pas réellement de rembourser leurs
prêts car ils les percevaient comme des « cadeaux de l’État ». Par conséquent, ces institutions voyaient leur
capital s’éroder et nombre d’entre elles ont été obligées de mettre la clé sous le paillasson.
En réalité, c’est tout le secteur bancaire qui a connu des difficultés financières et structurelles pour avoir,
dans le cadre de la mise en œuvre de la politique de développement du pays, été laxiste dans le soutien de
l’Etat (paiement des salaires des fonctionnaires, financement du secteur public) ou des dignitaires
(constitution d’une bourgeoisie nationale) avec des prêts qui ont rarement été remboursés. C’est la raison
pour laquelle une société de recouvrement a été créée en 1989 pour tenter de limiter les pertes. Cet acte
posé n’est que le premier jalon dans le cadre d’un vaste programme d'assainissement et de restructuration
du système bancaire lancé la même année. Il s’agissait d’abord de libéraliser le secteur bancaire avec la
limitation de la part des actions de l'Etat à un maximum de 25%, ensuite de liquider les banques
insolvables2.
Au surplus, le système bancaire sénégalais étant fortement hérité de la colonisation, son mode de
fonctionnement est peu adapté au contexte local (pauvreté, absence ou faiblesse des garanties offertes,
etc.), à telle enseigne qu’une bonne partie de la population se sent exclue économiquement,
psychologiquement et géographiquement de ce système.
Ce contexte a favorisé l’émergence, à la fin des années 80, d’une autre forme d’intermédiation qui se
préoccupe d’avantage de prendre en compte la situation et le profil du débiteur. De ce point de vue, la
logique de fonctionnement de la finance informelle a été une source d’inspiration, ce qui s’est traduit par la
création ou l’institutionnalisation, de caisses villageoises, de mutuelles d'épargne et de crédit avec souvent
l'aide d'ONG. En 1995 le pays comptait 833 Institutions de microfinance (IMF) ou Systèmes financiers
décentralisés (SFD) contre 18 en 1993. Avec les regroupements en union le nombre d’IMF reconnu était
de 700 en 2010. C'est le premier pays de l’Afrique de l’Ouest à avoir créé un ministère de la microfinance.
Effectivement l’Etat en relation avec ses partenaires a joué un rôle important dans le développement de
ces structures. Cela a consisté particulièrement à la création d’un environnement favorable à l’évolution du
secteur par la mise en œuvre des structures de promotion, d’agrément, de surveillance et de contrôle ainsi
que le soutien aux acteurs institutionnels et professionnels. Le Projet d'Assistance Technique aux
Opérations Bancaires Mutualistes du Sénégal (ATOBMS) appuyé par l'ACDI et la Banque Mondiale, créé
en avril 1990, s'inscrivait dans cette perspective. Le point central des travaux de l’ATOBMS a été durant
deux années le tracé des contours d'un cadre juridique spécifique à ce secteur. A la fin du projet, la Cellule
d'Assistance Technique aux Caisses Populaires d'Épargne et de Crédit AT/CPEC fut créée en 1992 pour
) Il s'agit de l'Assurbank, de la banque Nationale de développement du Sénégal (BNDS), de la Société financière Sénégalaise pour
le Développement de l'Industrie et du Tourisme (SOFISEDIT), de la Banque Sénégalo Koweitienne (BSK), de la Société
Nationale de Banque (SONA Banque) et de l'Union Sénégalaise des Banques (USB) qui sera repris en partie par le Crédit
Lyonnais (CL).
2
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assurer la tutelle du ministère de l'Économie et des Finances sur les Mutuelles d'Épargne et de Crédit
(MEC)3. D’abord un dispositif relatif à l’organisation et aux conditions d’agrément et de fonctionnement
des structures mutualistes d’épargne et de crédit fut mis en place (Arrêté n°1702 du 23/02/1993),
permettant l’agrément de 120 institutions.
En même temps, une loi spécifique aux institutions mutualistes ou coopératives d'épargne et de crédit a
été adoptée par le Conseil des ministres de l'UMOA en 1993 : c’est la loi PARMEC (Projet d’Appui à la
Réglementation des Mutuelles d’Épargne et de Crédit) qui a été intégrée au corpus juridique national sous
la loi 95-03 du 5 janvier 1995. Cependant, ce cadre légal ne régit que les structures à forme mutualiste et
n'a eu pour intérêt que de régulariser des projets d'épargne et crédit soutenus par les bailleurs de fonds
étranger et qui avaient des statuts différenciés4. Ainsi une nouvelle réglementation régissant les IMF et
permettant notamment l’accueil de Sociétés anonymes (SA) de microfinance a été adoptée par l’UMOA en
2007 et intégrée au Sénégal en 20095. Celle-ci a aussi beaucoup contribué à l’essor des IMF.
Malgré ses limites, la loi PARMEC a eu un impact positif sur la démographie des IMF dans ce pays
comme nous l’avons constaté plus haut, en autorisant notamment la collecte de l'épargne associée au
crédit et en favorisant fortement le financement des IMF. En effet, c’est au cours de la période 1993-2003
que le secteur de la microfinance a connu une croissance fulgurante avec la mise en place de
réseaux d’institutions (regroupement de certaines structures comme les unions, fédérations et
confédérations en réseau pour se doter d’une institution faîtière).
Le secteur de la microfinance au Sénégal est caractérisé par une certaine segmentation correspondant plus
ou moins au cycle de vie des organisations qui y évoluent et par une domination des réseaux d’IMF. Le
premier segment est en effet composé par les 3 plus grands réseaux mutualistes que sont l'Alliance de
crédit et d'épargne pour la production (ACEP), le crédit mutuel du Sénégal (CMS), qui est le leader et
l'union des mutuelles du partenariat pour la mobilisation de l'épargne et du crédit au Sénégal (UMPAMECAS). Ces IMF dites « matures » dominent le secteur car ils représentaient, en 2010, 83% des actifs
du secteur, 86% de l’encours d’épargne et 80% de l’encours de crédit. Ensuite, il y a un second segment
comprenant 4 à 5 réseaux dits « émergents » et une dernière catégorie regroupant un grand nombre de
petites structures (mutuelle ou Groupement d’épargne et de crédit) non affiliées à des réseaux et assez
fragiles.
En fonction de leur niveau de développement, les IMF n’ont pas les mêmes besoins et sources de
financement. Si au démarrage l’institution ne peut compter que sur les subventions et les fonds de garantie
pour couvrir les frais courants de fonctionnement, la maturité requière le recours à des sources plus
accrues et plus diversifiées. Le financement à des taux bonifiés (taux d’intérêt généralement inférieur à
celui du marché) de la part des bailleurs de fonds, des fonds privés d’investissement en microfinance ou
des investisseurs sociaux, compte tenu sa flexibilité et des conditions de mise en place permet aux IMF de
grandir. L’inconvénient pour ce type de financement c’est qu’il peut être libellé en devises et par
conséquent, expose les IMF à la gestion d’un risque de change. De toutes les façons, pour être durable,
l’accès au financement doit s’affranchir de l’aide extérieure. Eu égard à leur statut d’institution « non
bancaire », la mobilisation de l’épargne locale a joué un rôle important pour accroître l’encours de crédit.
Mais cette dernière étant assez volatile l’augmentation de l’encours de crédit a pu se faire grâce
l’amélioration des performances de remboursement (le plafond des crédits est limité à 2 fois l’épargne).
L’accroissement du rôle d’intermédiaire financier par les IMF nécessite des ressources plus stables,
notamment pour financer les PME. Dans cette perspective, le refinancement bancaire devient une
nécessité étant entendu que leur statut ne leur permet pas d’accéder au marché financier. Le challenge
aujourd’hui c’est la diversification des produits et services.
Il faut noter déjà qu’au début des années 1990, le terme «†microfinance†» avait commencé à supplanter le
terme «†microcrédit†» pour décrire une gamme de services financiers destinés aux pauvres, dont le crédit,
l’épargne, l’assurance et les instruments de transfert d’argent. Ainsi le développement du paysage de la
microfinance s’est également accompagné du volet transfert d’argent où les IMF ont commencé à prendre
des accords avec des sociétés spécialisées comme Western Union, Moneygram. La micro-assurance est
également offerte comme produit à l’image du CMS, mais timidement.
) Elle est devenu aujourd’hui la Direction de la Réglementation et de la Supervision du Ministère de l’économie et des finances
(MEF). Elle s’occupe entre autres de la délivrance des autorisations d’exercer.
4 ) Les autres types de d’institution signaient des conventions-cadres de 5 ans renouvelables avec le MEF.
5) Suite au vote de la loi n°2008-47 du 3 septembre 2008 portant réglementation des Systèmes Financiers Décentralisés.
L’innovation ici c’est l'extension de la nouvelle réglementation à l'ensemble des SFD ainsi que la participation de la BCEAO à
l’instruction des dossiers d’autorisation d’exercice (agrément) qui devient un régime unique.
3
4
1.2.
Massification de l’offre de crédit
Au 30 Juin 2012, le secteur de microfinance au Sénégal enregistre, 1 660 336 clients. En particulier, le
nombre de client a augmenté en moyenne de 21 % entre 1999 et 2004. On a pu parler d’un phénomène
de massification de l’offre de crédit dans les pays pauvres d’Asie et d’Afrique qui a également été observé
au Sénégal (Ndour et E. Paget-Blanc, 2010). Cette massification est due à deux facteurs conjugués.
1.2.1 Le développement des points de vente par un meilleur maillage du territoire
Les IMF sont aujourd’hui implantées dans toutes les 14 régions du Sénégal avec cependant une
prédominance pour Dakar et Thiès (60 % des crédits). Le nombre de points de services est passé de 30 en
1990 à 1715 en 2010 et un réseau comme le CMS tente actuellement l’expérience du « mobile banking »,
avec des bus équipés qui se déplacent au niveau des marchés hebdomadaires pour l'épargne, le montage
des dossiers et le remboursement des prêts.
Graphique 1 : Evolution comparée du nombre d’agences et de points de vente au Sénégal entre 1990 et 2010
Source : N. Ndour et E. Paget-Blanc (2010).
1.2.2 Les performances de remboursement des IMF
Les IMF n’ont pas la possibilité de créer de la monnaie en créditant les comptes de leurs clients. C’est
surtout à partir des sommes d’argent déposées et remboursées qu’elles peuvent accorder des crédits. En
dépit de ce handicap par rapport au système bancaire classique, elles ont pu accroître de manière
spectaculaire l’encours de crédit et le nombre de personnes touchées. Ainsi, si en 1990 l’encours de crédits
des IMF ne représentait que 0,45 % de l’ensemble des prêts au bilan des institutions financières
sénégalaises – établissements de crédit et IMF inclus, en 2010 leur part était 8,8 %. Le graphique cidessous illustre les performances des IMF en termes d’encours.
Graphique 2 : Evolution de la part des IMF dans l’encours de crédit total au Sénégal
Source : N. Ndour et E. Paget-Blanc, op. cit
Si cette part peut être qualifiée de relativement faible (moins de 10%), le taux de progression est
impressionnant. En effet, entre 1990 et 2010, la croissance annuelle des encours de crédit s’est établie à
32,2% pour les IMF, contre 10,8% pour les établissements de crédit. En valeur absolue, l’encours de crédit
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est passé de 87 milliards F CFA à 181,5 milliards F CFA, soit une progression de 108,6% entre 2005 et
2010.
Tableau 1 : Récapitulation de l'évolution du secteur de 2009 à 2011
Indicateurs
2009
2010
2011
Sociétariat
1 352 287
1 470 280
1 633 409
Encours de crédit
158 814 929 521
181 500 621 897
214 813 700 247
Court terme
57 538 314 909
58 218 038 414
77 978 302 441
Moyen terme
47 331 733 363
62 680 834 389
67 186 034 301
Long terme
47 753 778 309
50 798 073 207
60 701 151 539
Crédits en souffrances
6 191 102 940
9 803 675 887
8 948 211 966
Encours d'épargne
126 660 589 700
140 014 372 842
164 327 528 076
Dépôts à vue
80 163 408 656
89 743 193 995
63 671 603 154
Dépôts à terme
32 257 156 886
28 629 301 889
32 844 186 952
Autres dépôts
14 240 024 158
21 641 876 958
67 811 737 970
Emprunts des SFD
32 374 525 970
37 783 144 245
40 839 412 569
Court terme
6 758 487 284
1 305 911 514
2 574 240 963
Moyen et long terme
23 758 825 444
36 477 232 731
38 265 171 606
Ressources affectées
1 857 213 242
1 754 103 144
1 445 901 449
Fonds propres des SFD
66 043 372 368
71 131 090 699
77 872 101 059
Encaisse
6 778 212 096
7 382 153 858
7 939 540 866
Dépôts auprès des
Institutions Financières
24 785 418 104
26 722 321 865
29 423 759 331
Source : Données consolidées des systèmes financiers décentralisés – 2011, DRS-SFD6.
% évol 2010/2011
11,1%
18,4%
33,9%
7,2%
19,5%
-8,7%
17,4%
-29,1%
14,7%
213,3%
8,1%
97,1%
4,9%
-17,6%
9,5%
7,6%
10,1%
En 2011, l’encours de crédits des IMF a atteint le montant de 214 milliards de FCFA contre 2022 milliards
pour les banques, soit un part de 10,58 %. La collecte de l’épargne progresse moins vite que la demande
de crédit mais le transfert de l’épargne des émigrants pourrait constituer un gisement d’épargne très
important. Mais comme souligné plus haut le développent de la micro-assurance reste encore trop timide.
1.3. Les études d’impact direct du microcrédit au niveau micro et méso-économique
En tant qu’organisations financières qui offrent des services financiers à des personnes à revenus
modestes qui n’ont pas accès au secteur financier formel, les IMF jouent un rôle important dans la lutte
contre la pauvreté. Dans leur portefeuille de clients, on trouve beaucoup de groupements féminins, de
microentreprises et de micro-commerce. Cela résulte d’un certain ciblage qui vise généralement à
amélioration les conditions de vie des personnes pauvres.
1.3.1.
Les cibles des IMF
En étudiant le phénomène de la pauvreté, A. Sen (1987) a mis à nu son caractère multidimensionnel. A la
dimension inégalité des revenus, il ajoute une autre : l’inégalité des capacités. De ce point de vue, une
variable comme le genre peut réduire les chances d’un groupe d’individu, en l’occurrence des femmes, de
tirer le meilleur profit des opportunités liées à un contexte donné. Sous ce rapport, la microfinance a un
rôle important à jouer compte tenu du fait que les ménages pauvres sont souvent vulnérables face aux
chocs externes. Comment faire face aux frais liés à un décès d’un membre de la famille ? Comment
envoyer en urgence de l’argent depuis la capitale régionale à la famille restée au village ? Comment faire
pour acheter le stock d’articles nécessaire à un commerce†? Les besoins sont variés, mais le premier pas
c’est la possibilité de pouvoir accéder au crédit surtout lorsque l’on ne dispose pas de garantie personnel à
offrir. C’est pour y répondre que les IMF ciblent en général des personnes qui se situent autour du seuil de
pauvreté ou juste en-deçà 7.
) Direction de la réglementation et de la supervision des systèmes financiers décentralisés.
) Le ciblage consiste à recourir à des méthodes précises pour identifier les pauvres (par exemple en procédant à une classification
participative par niveau de richesse)
6
7
6
Figure : 1 Cibles des IMF dans les pays sous-développés
Source : La finance pour tous, GCAP 2006.
Les études sur la portée des interventions des IMF au Sénégal montrent qu’elles arrivent à cibler des
groupes socio-économiques particuliers (femmes, pêcheurs, etc.). Cependant, le pourcentage de pauvres
parmi les clients des 3 grands réseaux est relativement moins important, bien qu’elles touchent un nombre
important de ménage. D’une manière générale, on note une forte progression de la population active qui
bénéficie des services du microcrédit. Ainsi, si en 1990 les activités des IMF touchaient seulement 4,8 %
de la population active, en 2010, 32% de cette catégorie y avait recours.
Ces institutions s’efforcent de répondre aux besoins divers de leurs clients surtout dans le financement des
activités génératrices de revenu. Elles octroient des volumes de prêts avec des durées et des taux d’intérêt
qui prennent généralement en compte : le souci de faire accéder les micro et petites entreprises (MPE) au
crédit, de les amener à accroître leurs activités au fur et à mesure qu’elles obtiennent de nouveaux crédits,
de prendre en compte toutes leurs catégories de besoins tant social qu’économique et sans oublier bien
entendu, leur propre souci de viabilité et de pérennité financière. En général, les clients des IMF sont de
petits entrepreneurs indépendants, travaillant souvent à domicile. Dans les zones rurales, ils sont de petits
agriculteurs†; ils peuvent aussi mener de petites activités génératrices de revenus, comme la transformation
alimentaire et le petit commerce. Dans les zones urbaines, la population touchée est souvent plus variée et
comprend non seulement les marchands ambulants mais aussi les propriétaires de boutiques, les
fournisseurs de services, les artisans, etc. Mais 80 % des activités financées concerne le commerce.
1.3.2.
Les crédits améliorent généralement le bien-être des pauvres
Si du point de vue des IMF les soucis de pérennité et de viabilité financière sont des facteurs plus ou
moins essentiels selon l’orientation sociale ou financière de la structure, il n’en demeure pas moins que
l’une des finalités les plus importantes demeure l’amélioration des conditions de vie des ménages et des
performances des microentreprises. C’est à cette aune qu’il faut situer les mesures d’impact direct de la
microfinance et plus particulièrement du microcrédit. De ce point de vue, les études existantes révèlent en
majorité que le microcrédit a produit des effets positifs sur les emprunteurs (Helms, 2006). Comme le
souligne l’auteur de La finance pour tous, les enquêtes menées ont montré qu’en Indonésie, les revenus des
emprunteurs ont augmenté de 12,9% contre seulement 3% pour le groupe témoin. Au Ghana, les clients
de Freedom from Hunger ont augmenté leurs revenus mensuels de 36 dollars, contre 18 dollars pour les nonclients. De plus, les clients ont considérablement diversifié leurs sources de revenus. Au total, 80†% des
clients disposaient de sources de revenus secondaires par rapport à 50†% chez les non-clients.
Au Sénégal, les enquêtes effectuées par la Direction de la Microfinance (DMF) ont abouti à un impact
favorable des crédits accordés par les IMF à leurs clients. Plus de 70% des clients rencontrés et
bénéficiaires de prêts estiment en effet que leur patrimoine a augmenté en termes de fonds de commerce
ou de biens personnels (maisons, équipements de maisons) (DMF, 2011, 73). Dans la même lancée, les
revenus mensuels de familles ont aussi augmenté car plus de 60% des enquêtés ont estimé que les prêts
leur ont permis de tirer des gains conséquents issus de leurs activités commerciales pour la plupart.
Cependant, il s’agit souvent de crédit à court terme et les IMF ont du mal à répondre aux besoins des
PME. En dehors de l’ACEP et du CMS, elles interviennent très peu dans le financement de cette catégorie
7
d’entreprise. Cependant, l’explosion des institutions de microfinance laisse penser que la problématique du
« missing middle » sera dépassée dans un futur proche.
En réduisant la vulnérabilité de la population pauvre, en améliorant les revenus, en offrant des
opportunités aux microentreprises on peut penser que la microfinance, à travers notamment le
microcrédit, contribue à améliorer le bien-être des populations cibles. L’amélioration des revenus est en
principe synonyme d’un accroissement de la demande. Il est dès lors pertinent de se poser la question de
l’impact global de la microfinance sur le développement qui est généralement mesuré par le taux de
croissance du PIB.
2. La Microfinance a-t-elle un impact macroéconomique au Sénégal ?
Pour des raisons liées notamment à la nécessité d’attirer les financements publics et privés, les études
d’impact sur les clients des IMF font légion. Mais, le lien entre perspectives micro et macro, autrement dit
l’impact global des services offerts par la microfinance sur les performances économiques n’est pas
suffisamment interrogé au Sénégal. Nous nous proposons d’explorer cette perspective dans le cas de ce
pays. Cela pose de manière incidente, la question de la place de la microfinance dans le système financier
général du pays dont elle est une composante. Encore faudrait-il que la preuve soit faite que dans le cas du
Sénégal, le système financier dans son ensemble, impact positivement sur les indicateurs de croissance
économique.
2.1. Développement financier et croissance : une causalité ambigüe
La problématique de la relation secteur financier secteur réel pose en substance la question du rôle de
l’intermédiation financière dans le développement. Il existe une impressionnante littérature et quelques
études empiriques sur cette relation. En revanche les études d’impact macroéconomique incluant la
microfinance en tant que composante du système financier sont moins nombreuses.
2.1.1. Les approches théoriques
Le lien entre la finance et le développement économique semble communément admis. Cette relation a été
largement étudiée par la théorie économique. Une des premières approches est due à Bagehot (1873) qui
montre le rôle décisif du marché financier dans les performances économiques à travers la capacité de
mobilisation de l’épargne et de financement des investissements de long terme en Grande Bretagne. Il en
tire une explication du sous-développement qui serait lié à l’impossibilité de mobiliser des ressources dans
le contexte d’un système financier peu développé. A la suite de Bagehot, Schumpeter (1911) va mettre à
nu le rôle primordial de l’intermédiation financière qui contribue à stimuler la sphère financière par une
meilleure allocation des ressources. Ce postulat sera remis en cause par les keynésiens8. Minsky (1964)
souligne que les intermédiaires financiers constituent plutôt un facteur d’instabilité financière. Quant à
Robinson (1952), sa conviction est que la finance est le résultat de la croissance économique et non
l’inverse.
Le retour en force de la pensée libérale va remettre au gout du jour l’idée d’une causalité dans le sens
secteur financier secteur réel. En termes de politique économique, cette vision a connu un écho important
avec la théorie de la libéralisation financière qui s’inspire des travaux de Mac-kinnon (1973) et de Shaw
(1973). L’idée est qu’un système financier libéralisé (avec comme conséquence une hausse des taux
d’intérêt) pourra jouer un rôle positif dans le financement du développement et, par conséquent, pourra
favoriser la croissance économique. L’importance qu’a prise la finance informelle est justement expliquée
par la thèse de la répression financière9 qui empêche les banques de mobiliser de manière efficace
l’épargne. Cette thèse a été contredite par les néo-structuralites qui considèrent que le dualisme entre la
fiance informelle et la finance formelle ne constitue pas un handicap dans la mesure où la finance
informelle joue un rôle déterminant dans les économies sous-développés. Elle facilite les transactions
entre les épargnants et les investisseurs alors que les banques commerciales sont contraintes par les
réserves obligatoires qui constituent des fuites du système financier. Lelart (2002) est favorable à une
) Avec l’idée que le développement financier est une réponse du changement de l’offre et de la demande dans le secteur réel.
) Les autorités monétaires plafonnent les taux d’intérêt sur les dépôts à des niveaux qui sont en dessous de la valeur d’équilibre
sur le marché.
8
9
8
stratégie d’articulation entre les deux systèmes, étant entendu que la « finance formelle a évolué vers la
microfinance ». Il importe alors de mesurer l’impact macroéconomique de cette dernière.
2.1.2.
L’état des résultats empiriques dans le domaine
S’inspirant des approches théoriques, les études empiriques démontrent la contribution positive du
système financier (qui inclut généralement les banques commerciales et le marché financier) à la croissance
économique. Dans la plupart des études, la corrélation entre les deux est admise, mais c’est sur le sens de
la causalité qu’elles divergent.
Golsmith (1969) est l’un des pionniers dans les études empiriques consacrées à cette relation. Les
recherches qu’il a effectuées sur un échantillon de 35 pays sur la période 1860-1963 ont abouti au fait qu’il
existe une liaison entre le secteur financier et le secteur réel à travers l’efficacité et le volume de
l’investissement. Cependant, il n’a pas analysé le sens de la causalité. King et Levine (1993) vont tenir
compte des insuffisances de l’étude de Golsmith. Dans leur analyse qui a porté sur 80 pays sur la période
allant de 1960 à 1989, ils ont montré que les indicateurs de développement financier choisis (comme
M3/PIB) sont positivement et significativement corrélés avec le taux de croissance du PIB par tête. Mais
selon De Gregorio et Guiditti (1995), le meilleur indicateur de l’activité financière n’est pas le ratio
M3/PIB, mais le ratio crédit accordé au secteur privé/PIB.
Sur la question de la causalité, Patrick (1966) avait apporté une contribution qui présente un certain intérêt.
Selon cet auteur, le développement financier peut provenir soit de la demande de services financiers
(demand following) encore appelé développement financier endogène ou de l’offre de services financiers
(supply leading), i.e développement exogène. Ce dernier entraîne une causalité du développement financier
vers la croissance. Partant de l’importance de cette relation, il en tire l’explication selon laquelle la faible
croissance des pays sous-développés serait due à leur faible niveau de développement financier. Une fois
que le processus de développement est arrivé à maturité, on a la causalité inverse, c’est-à-dire de la
croissance vers la finance.
Cependant, il apparait que les résultats des études empiriques sont ambigus. En Afrique par exemple, ils
ne montrent pas toujours une causalité selon le schéma de Patrick. Ils sont souvent contradictoires en
fonction de l’auteur ou des variables retenues.
Bhatia et Khathate (1975) ont été les premiers à travailler sur un échantillon exclusivement africains (11
pays, dont deux de l’Afrique du Nord, le Maroc et la Tunisie). L’indicateur du développement financier
retenu est la part des actifs financiers dans le PIB alors que le niveau de développement est mesuré par le
PIB par tête. Les résultats issus du graphique comparant ces deux variables sont contrastés. Le lien est
positif pour certains pays comme le Kenya, la Côte d’ivoire et la Zambie, mais négatif pour le Ghana, l’IleMaurice et la Sierra Léone, par exemple. Cependant l’échantillon retenu est faible et il n’y a pas des
variables de contrôle, ce qui constitue des facteurs limitant. Avec une méthodologie améliorée (graphique
et coefficients de corrélation), Spears (1992) étudie la relation sur un échantillon de 10 pays africains, avec
comme indicateurs de développement financier, le ratio des dépôts à vue et des comptes d’épargne sur M2
et les ratios M2/PIB et M3/PIB. La lecture des graphiques, corroborée par les coefficients de corrélation
montrent clairement une relation positive pour la majorité de l’échantillon, sauf pour la Zambie et le
Malawi.
Etant une zone monétaire homogène, l’espace UEMOA a aussi intéressé les chercheurs toujours dans
l’optique d’étudier la relation secteur financier/secteur réel. C’est le cas de Raffinot et Venet (1998), qui
ont analysé cette problématique pour la période 1970-1995 sur 7 pays de l’UEMOA (la Guinée Bissau
étant exclu de l’échantillon compte tenu de son intégration récente). Les indicateurs de développement
financier utilisés sont le ratio M2/PIB, le ratio quasi-monnaie /M2, l’encours nominal de crédit au secteur
privé et l’encours réel de crédit par habitant, tandis que le développement est mesuré par le PIB réel par
tête. L’étude conclut à un impact positif du développement financier sur la croissance de la sphère réelle.
Cependant, les tests de causalité au sens de Granger indiquent l’absence de causalité significative pour le
cas du Niger, tandis que pour le Togo, le lien unidirectionnel va plutôt dans le sens secteur réel vers
9
secteur financier. Cette liaison dans le sens inverse concernant le Togo est aussi vérifiée par l’étude de
Laciné (1999) alors que pour la Côte d’Ivoire et le Sénégal, le sens de la causalité va du secteur financier au
secteur réel.
Aucune de ces études n’intègre le secteur de la microfinance dans le modèle. Kamalan (2006) qui s’est
intéressé à la contribution des IMF à la croissance économique des pays d’Afrique de l’Ouest, n’a pas fait
une étude économétrique directe. Il est parti des conclusions des analyses de Raffinot et Venet (1998) et
celles de King et Levine (1993) abordées plus haut pour essayer de critiquer la pertinence du choix de PIB
comme grille d’étude de l’influence des IMF sur le développement économique de ces pays. En comparant
les données de crédits et d’épargne des IMF avec celles des banques commerciales sur la période 19962004, il constate que le poids de la microfinance est très négligeable. Sa conclusion est que les IMF ne
contribuent guère au développement des institutions financière en termes d’accroissement de capacités de
création et de mobilisation de l’épargne.
En définitive, on constate qu’aucune variable liée aux IMF n’a pas été intégrée directement dans un
modèle pour par exemple analyser les liens de causalité. Par ailleurs toutes ces études ont été faites sur un
ensemble de pays (pays à faible niveau de revenu, pays de l’UEMOA voire pays francophones de cet
espace monétaire) et il serait intéressant d’examiner la contribution de la microfinance dans le contexte
d’un pays comme le Sénégal où ce secteur a connu une certaine massification de l’encours de crédit
comme l’ont montré Ndour et Paget-Blanc (2010).
2.2.
Méthodes, données et résultats
Nous avons utilisé un modèle économétrique avec comme objectif d’apprécier directement l’impact de la
microfinance dans l’évolution du taux de croissance du PIB de 1980 à 2011. Dans ce paragraphe, nous
présenterons le modèle puis les résultats. Enfin la partie discussion sera l’occasion de les interpréter.
2.2.1
Données et méthodologie
Les données utilisées dans cette étude sont tirées du « World Development Indicators (2013) », sauf celles
concernant les banques commerciales et les IMF qui proviennent des bases de données de la cellule de
réglementation des systèmes financiers décentralisés du Sénégal. Il s’agit de séries sur la période 19802011. Nous avons utilisé un modèle de régression linéaire, précisément la régression multiple dans lequel
les variables retenues ont été inspirées de la discussion précédente ( voir notamment les études de Raffinot
et Venet (1998), de King et Levine (1993) et de Ndour et Paget-blanc (2010). S’agissant des variables du
modèle, la variable expliquée est le taux de croissance du PIB (TCPIB) tandis que les variables explicatives
sont respectivement le taux de croissance du PIB par habitant (TCPIBHBT) ; la masse monétaire au sens
de M2 rapporté au PIB (MM) ; les crédits au secteur privé sur le PIB (CREDPRIV) ; la Formation brut de
capital fixe rapportée au PIB (FBCF) ; le volume (ou encours) de crédit des IMF (VCIMF) ; le volume de
crédit des banques commerciales (VCBANK) et la population totale (POPT).
Sur cette base le modèle à estimer se présente ainsi :
TCPIB = C + a1 (TCPIBhbt) + a2 (MM) +a3 (CREDPRIVE) + a4 (FBCF) + a5 (VCIMF) + a6
(VCBANK) +a7 (POPT) + Ɛ
où C est la constante, les coefficients sont les paramètres des différentes variables à estimer et Ɛ une
variable aléatoire qui mesure le terme d’erreur. Ce modèle d’origine sera transformé en modèle en Log
pour l’estimation dans Eviews4. Ensuite nous ferons des tests de causalité au sens de Granger tandis que
le Modèle VAR sera utilisé pour analyser les liens dynamiques de long terme.
2.2.2. Les résultats d’estimation
Les résultats des tests sont présentés dans les différents tableaux. Le tableau n° 2 fait apparaître les
résultats des tests de significativité à travers les coefficients et permet d’apprécier la significativité globale
du modèle.
10
Tableau 2 : résultats de la régression multiple pour la variable dépendante TCPIB
Dependent Variable: LOG(TCPIB)
Method: Least Squares
Date: 04/01/13 Time: 11:32
Sample (adjusted): 1981 2010
Included observations: 19
Excluded observations: 11 after adjusting endpoints
Variable
Coefficient
Std. Error
t-Statistic
C
-3.812643
2.406542
-1.584283
LOG(TCPIBHBT)
0.239502
0.024656
9.713548
LOG(MM)
1.083161
0.362150
2.990916
LOG(CREDPRIVE)
-1.011207
0.309463
-3.267620
LOG(FBCF)
-0.173428
0.179700
-0.965099
LOG(VCIMF)
-0.365309
0.118217
-3.090157
LOG(VCBANK)
0.666506
0.294937
2.259827
LOG(POPT)
0.014241
0.012864
1.107036
R-squared
0.948316
Mean dependent var
Adjusted R-squared
0.915426
S.D. dependent var
S.E. of regression
0.083043
Akaike info criterion
Sum squared resid
0.075858
Schwarz criterion
Log likelihood
25.51183
F-statistic
Durbin-Watson stat
1.914388
Prob(F-statistic)
Source : auteur à partir des estimations sur Eviews-4
Prob.
0.1414
0.0000
0.0123
0.0075
0.3552
0.0103
0.0451
0.2919
1.544752
0.285552
-1.843350
-1.445692
28.83296
0.000003
Les tests de causalité au sens de Granger reposent sur les hypothèses suivantes : Ho : Yt ne cause pas Xt et
H1 : Yt cause Xt . Un tableau de synthèse des résultats des tests est présenté en annexes (tableau n 3).
Concernant les liens de long terme, les principaux résultats sont synthétisés dans l’encadré ci-dessous.
Encadré n°1 : Résultats des principaux liens de long terme
Equation-1 : D(LOG(TCPIB)) = - 6.578604386*D(LOG(TCPIB(-1))) - 0.6359543479*D(LOG(TCPIBHBT(-1))) +
12.2594329*D(LOG(MM(-1))) - 11.02840615*D(LOG(VCIMF(-1))) - 75.72781889*D(LOG(POPT(-1))) + 4.276374844
Equation-2 : D(LOG(TCPIBHBT)) = - 19.65016805*D(LOG(TCPIB(-1))) - 3.471435519*D(LOG(TCPIBHBT(-1))) +
59.76339352*D(LOG(MM(-1))) - 39.49952535*D(LOG(VCIMF(-1))) - 286.6864729*D(LOG(POPT(-1))) + 15.3013633
Equation-3 : D(LOG(MM)) = - 0.2164710826*D(LOG(TCPIB(-1))) + 0.1197156186*D(LOG(TCPIBHBT(-1))) 0.3275109578*D(LOG(MM(-1))) + 0.1861338748*D(LOG(VCIMF(-1))) - 3.735850147*D(LOG(POPT(-1))) + 0.130742556
Equation-4: D(LOG(VCIMF)) = 3.597343712*D(LOG(TCPIB(-1))) + 0.04658782457*D(LOG(TCPIBHBT(-1))) 2.942408994*D(LOG(MM(-1))) + 4.857912035*D(LOG(VCIMF(-1))) + 21.96258171*D(LOG(POPT(-1))) - 1.2993694
Equation-5 : D(LOG(POPT)) = 0.02905522992*D(LOG(TCPIB(-1))) + 0.0008333275976*D(LOG(TCPIBHBT(-1))) 0.02305114113*D(LOG(MM(-1))) + 0.03608041334*D(LOG(VCIMF(-1))) + 0.03171142212*D(LOG(POPT(-1))) +
0.01829267938
Source : auteur sur Eviews-4
Ces cinq équations expriment les relations dynamiques entre les différentes variables du modèle. Les
principales relations feront l’objet d’une interprétation dans le paragraphe ci-dessous qui nous permettra
de discuter des résultats de l’ensemble des tests.
2.2.3. Microfinance et croissance économique : un impact indirect
Le tableau n°2 montre que le modèle est globalement significatif au seuil de 1% (Prob de F-statistic <
1%). Globalement, il y a donc une corrélation entre la variable expliquée et les variables explicatives
choisies. Le modèle est satisfaisant car 92% (R2 ajusté) de la croissance du PIB est expliqué par ces
dernières. Les variables TCPIBHBT, MM, CREDPRIVE, VCIMF, et VCBANK ont toutes une influence
significative au seuil de 5 % sur le taux de croissance du PIB. Ce qui montre que certaines variables du
système financier ont un effet significatif sur la croissance au Sénégal.
Un impact positif de la masse monétaire et le volume de crédit des banques commerciales
La masse monétaire au sens de M2 rapportée au PIB (MM) et la VCBANK influent positivement sur le
taux de croissance du PIB. Une hausse de 1% de la MM entraîne une hausse du taux de croissance du PIB
11
1,08%. Bien que moins importante, une augmentation de 1% du l’encours de crédit des banques se traduit
par une hausse de 0,66 % du taux de croissance du PIB.
Ces résultats sont en adéquation avec ceux des études empiriques sur les pays de l’Afrique subsaharienne
ou de l’UEMOA, en ce sens qu’aucun impact n’apparaît globalement mais, pris individuellement, les
variables d’approfondissement financier sont corrélées avec les indicateurs de développement (Raffinot et
Venet, 1998), même si l’impact est plus modeste comparé aux autres pays en voie de développement
(Kpodar, 2003, p. 23). Selon Salviddes (1995), le ratio M2/PIB agit positivement sur la croissance
économique. Cependant les résultats contredisent l’idée de Barthélemy et Varoudaki (1998) qui, raisonnant
en termes de seuil dans une optique de club de convergence, avancent que dans les pays ayant un faible
ratio M2/PIB (inférieur à 36, 5%), l’impact du développement financier sur la croissance ne sera pas
significatif. Or la moyenne pour le Sénégal est de 25,88% sur la période 1980-2011. En fournissant de la
liquidité aux agents économiques, l’intermédiation financière permet tout de même le financement d’un
nombre non négligeable de projets d’investissement. Comme le constate l’étude de Esso (2009,15)
consacrée au pays de l’UEMOA, l’influence de ce ratio semble spécifique à chaque pays.
Quant au ratio du crédit privé rapporté au PIB, les résultats ont montré qu’il influe négativement sur la
croissance du PIB, contrairement à ce qui est attendu. Une hausse de 1% du CREDPRIVE entraine en
effet une baisse du 1,01% du taux de croissance du PIB. Prenant comme indicateur de développement
économique le PIB par tête, Essso (2009), montre que le ratio des crédits au secteur privé sur PIB dégrade
le PIB de presque tous les pays de la zone (coefficient négatif), ses effets étant non significatifs sauf pour
le Togo. L’orientation de ces crédits pourrait expliquer cette situation. On parle de banques sur-liquides au
Sénégal, mais il leur est également reproché de ne financer que les projets les moins risqués, donc à faible
intensité capitalistique.
L’encours de crédit des IMF : un impact négatif à court terme
Il faut surtout constater que l’encours de crédit des IMF (VCIMF) influe négativement sur le taux de
croissance du PIB (une hausse de 1% entraîne une dégradation de l’indicateur de croissance économique
de 0,36%). Cela confirme l’idée à priori d’une contribution négligeable des IMF selon Kamalan (2006)
mais aussi Dossou (2003) qui a utilisé comme variable le ratio encours des IMF rapporté au crédit accordé
au secteur privé par les banques. Dans le cas du Togo, l’étude faite par Korem (2007) constate une
influence positive de la part des crédits octroyés par les institutions de microfinance sur la croissance
économique à court terme, mais ce résultat n'est pas statistiquement significatif. Les tests effectués
confirment la non causalité entre cette variable et la mesure de la croissance économique. Autrement dit,
une augmentation de la part des crédits octroyés par les IMF dans le crédit à l'économie n'affecte pas de
manière statistiquement significative la mesure de la croissance économique au Togo.
A long terme, un impact positif via la masse monétaire
Les résultats de nos tests montrent qu’en termes de dynamique de long terme, le volume de microcrédit de
l’année précédente influe négativement sur le taux de croissance du PIB actuel ; ceci montre un impact
différé du volume de crédit des IMF sur l’économie. En effet, il apparaît également que volume de crédit
de l’année passée à un impact positif sur la masse monétaire actuelle. Or celle-ci impact positivement sur le
taux de croissance du PIB de l’année en cours. On peut donc parler d’un impact indirect de la
microfinance sur la croissance du PIB.
En effet, les IMF et les banques commerciales sont liées par une relation de complémentarité. Compte
tenu des dispositions de la Loi PARMEC, les IMF sont tenues de déposer leurs excédents d’épargne
auprès des banques commerciales, étant donné qu’elles ne sont pas considérées comme des institutions
financières bancaires. En retour, les IMF peuvent bénéficier d’un refinancement ce qui est source de
création monétaire par les banques. Ce refinancement est susceptible de permettre une meilleure prise en
charge des besoins de financement de ces institutions, notamment par des ressources plus stables et moins
risquées que celles de la coopération internationale lorsqu’elles sont libellées en devises.
Par ailleurs, l’approche classique des banques commerciales étant plutôt un facteur d’exclusion financière
pour nombre de personnes, un partenariat institutionnel avec les IMF, qui se positionnent sur un segment
de marché différent, tendrait à élargir la surface d’intermédiation financière (Seck, 2009). Il importe donc
12
pour les autorités monétaires et le MEF, d’œuvrer à une meilleure articulation entre ces deus segments du
système financier sénégalais qui sont complémentaires.
Conclusion
L’espoir suscité par l’émergence et le développement des institutions de microfinance en tant
qu’intermédiaires financiers permettant l’accès au crédit pour un plus grand nombre, ainsi que les
performances liées à un cadre réglementaire amélioré et une professionnalisation accrue légitiment des
attentes en termes d’impact sur le développement économique. Si au niveau des bénéficiaires les enquêtes
montrent que le microcrédit améliore généralement leur bien-être, il existe peu de recherche essayant de
mettre de mettre en évidence son impact macroéconomique dans le contexte spécifique du Sénégal. C’est
cette problématique que nous avons essayé d’aborder ici à travers la question de l’impact de la
microfinance sur la croissance économique au Sénégal.
Pour apporter un éclairage à cette interrogation, nous avons utilisé un modèle économétrique dans lequel
nous avons introduit une variable relative à la microfinance : l’encours de crédit des IMF.
Si comme la plupart des autres variables, l’encours de crédit des IMF a une influence significative sur le
taux de croissance, celle-ci est négative. Cependant, le volume des crédits octroyés par les IMF impacte
positivement sur la masse monétaire de l’année suivante qui est un des facteurs explicatif de la croissance
pour la même année. Par conséquent, on peut dire que la microfinance impacte indirectement la
croissance économique à travers notamment ses liens avec les banques. Dès lors, il importe pour l’Etat
d’assurer la complémentarité entre ces deux segments du système financier.
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Annexes :
Tableau n°3 : Résultats des tests de causalité au sens de Granger
Pairwise Granger Causality Tests
Date: 04/01/13 Time: 23:23
Sample: 1980 2011
Lags: 1
Null Hypothesis:
Obs
F-Statistic
Probability
D(LOG(VCIMF)) does not Granger Cause D(LOG(TCPIB))
D(LOG(TCPIB)) does not Granger Cause D(LOG(VCIMF))
18
0.20655
0.14009
0.65599
0.71343
D(LOG(VCIMF)) does not Granger Cause D(LOG(TCPIBHBT))
D(LOG(TCPIBHBT)) does not Granger Cause D(LOG(VCIMF))
6
0.79087
0.77140
0.43935
0.44445
D(LOG(VCIMF)) does not Granger Cause D(LOG(MM))
D(LOG(MM)) does not Granger Cause D(LOG(VCIMF))
30
1.76318
0.80327
0.19535
0.37804
D(LOG(VCIMF)) does not Granger Cause D(LOG(CREDPRIVE))
D(LOG(CREDPRIVE)) does not Granger Cause D(LOG(VCIMF))
30
1.00462
0.08169
0.32509
0.77720
D(LOG(VCIMF)) does not Granger Cause D(LOG(FBCF))
D(LOG(FBCF)) does not Granger Cause D(LOG(VCIMF))
30
0.15797
0.14375
0.69415
0.70755
D(LOG(VCBANK)) does not Granger Cause D(LOG(VCIMF))
D(LOG(VCIMF)) does not Granger Cause D(LOG(VCBANK))
30
0.03296
0.20006
0.85729
0.65824
Source : auteur sur Eviews-4
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