Nationalisation Le Soir 10 juin 2013
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Nationalisation Le Soir 10 juin 2013
POLÉMIQUES Le Soir Lundi 10 juin 2013 11 + RÉGIONS L’HOMMAGE P.12 & 13 L’adieu de tous ses amis à Christian De Duve Nationaliser, est-ce encore envisageable en Europe ? l'humeur DIRK VANOVERBEKE LE CONFÉDÉRALISME, LA CARPE QUI SE BAPTISE LAPIN Face aux désinvestissements d’Arcelor Mittal dans la sidérurgie liégeoise, la Région wallonne envisage plusieurs scénarios pour sauver l’outil ; dont une « nationalisation » temporaire, le temps de trouver un repreneur. Mais cette piste semble semée d’embûches. Et la Région elle-même semble hésitante sur le dossier. Poker menteur ou partie de bras de fer ? Éric Toussaint Didier Putzeys Docteur en sciences politiques, président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde de Belgique. (CADTM) Avocat au barreau de Bruxelles, spécialiste du droit des affaires « C’est un outil clef pour l’économie de toute une région » « On peut craindre un remède pire que le mal » Le ministre Marcourt voudrait permettre à la Région d’exproprier Arcelor Mittal des biens qu’il ne veut pas vendre, avec l’optique éventuelle de régionaliser la sidérurgie wallonne. Option intéressante ou irréaliste ? Je trouve très important que les pouvoirs publics aient la possibilité de prendre le contrôle d’outils stratégiques pour l’économie d’un pays. Je sais qu’en 30 ans de néolibéralisme, on a réussi à faire passer cette idée comme complètement incongrue. Pourtant, on se rend bien compte qu’à partir du moment où on remet au privé une série de secteurs clés de l’économie d’un pays ou d’une région, il essaie d’en tirer en maximum de profit sans nécessairement investir. C’est tout à fait le cas de Mittal. Si on veut construire une ligne de tramway dans une ville, ou une autoroute, on trouve parfaitement normal d’exproprier des bien privés de personnes privées. Puis quand il s’agit d’un outil qui concerne l’intérêt de toute une région, on crie au loup ! Or, il y a un intérêt général capital. La nationalisation, n’est-ce pas revenir 40 ans en arrière pour, en plus, investir dans une industrie qui appartient au passé ? Il y a bien entendu d’autres industries à développer. Mais à l’évidence, des outils sidérurgiques, il en faut et il en faudra encore pendant des décennies ! En Wallonie, nous profitons d’une productivité élevée, de la qualification évidente de générations de travailleurs. Nous avons donc un savoir-faire très important et la possibilité réelle de fournir des emplois d’état correctement payés en produisant des produits de qualité qui tiennent parfaitement le coup sur les marchés. Ensuite, cette régionalisation pourrait être accompagnée d’un plan wallon de redéploiement industriel en privilégiant la recherche et le développement. On pourrait aussi élaborer un plan plus large, à travers la réhabilitation de logements, de chauffages collectifs, qui créerait une nouvelle demande d’équipements métallurgiques et donnerait donc des débouchés à la sidérurgie. Il ne s’agit pas de racheter un outil tout simplement pour maintenir à bout de bras une entreprise, mais d’investir et de produire des biens à haute valeur ajoutée. On ne rachète pas un canard boiteux condamné à la disparition ! En s’engageant sur la voie des nationalisations, comme on l’a déjà connu avec Dexia, ne risque-t-on pas d’entraîner l’État dans un gouffre financier sans fond, qui serait en outre mal vu par l’Union Européenne ? Sur le plan du coût, il faut bien calculer les dommages provoqués par Mittal dans sa gestion de l’outil sidérurgique et par les cadeaux énormes qu’il a reçus en matière de permis octroyés par la Région Wallonne. On doit aujourd’hui avoir un acte politique fort de l’autorité wallonne et je ne vois pas pourquoi faire une telle dépense pour reprendre un outil qui serve réellement les besoins de l’économie régionale serait un problème. Je crois que l’opinion publique attend un changement de politique au niveau européen. Ce n’est pas en restant docile à l’aveuglement néolibéral de la Commission, qu’un pays ou une région va s’en sortir ! ■ Propos recueillis par ELODIE BLOGIE La Région wallonne étudie plusieurs pistes dont des expropriations pour forcer Arcelor-Mittal à vendre ce qu’il ne veut pas vendre. Une idée utopique, irréaliste, impossible ? Contraindre de vendre, comme la Région wallonne entend le faire, c’est exproprier. Toute expropriation est soumise à des règles de droit, particulièrement strictes dès lors que l’on porte atteinte à un droit fondamental, le droit de propriété. Les entreprises ont besoin de sérénité pour déployer leurs activités et créer des emplois. Une telle initiative risque de ruiner la confiance des multinationales vis-à-vis de la Région et de les pousser à s’implanter ailleurs. Sans être utopique, cette idée sera par ailleurs très difficile à mettre en œuvre : même en prenant beaucoup de précautions, la Région wallonne risque d’être confrontée à de nombreux recours en justice. Peut-on parler de tentative de « nationalisation », ou de « régionalisation » dans ce cas-ci ? La Région envisage de devenir propriétaire de ces outils industriels en attendant de trouver un hypothétique repreneur. Dans le cadre de cette opération de « portage », l’entreprise sera nationalisée ne fût-ce que durant un court laps de temps. Au sein de l’Union européenne, qu’estce qui est légalement possible en la matière pour des pouvoirs publics ? Nationaliser des entreprises ou des parties d’entreprises n’est pas interdit en tant que tel mais la Région doit veiller à ce que cela se fasse dans le respect des règles européennes concernant, par exemple, les aides d’Etat ou l’interdiction de discriminer les entreprises issues d’autres Etats membres. © BELGA. Par exemple, il va de soi que la Région ne peut pas favoriser une entreprise en lui revendant un site industriel à des conditions trop favorables : cela fausserait une saine concurrence et passerait probablement sous les fourches caudines de la Commission européenne. Les pouvoirs publics l’ont bien fait pour des banques, donc pourquoi pas pour d’autres entreprises… Tout dépendra de la situation de telle entreprise à tel moment. En 1982, le président Mitterrand avait nationalisé des sociétés actives dans des secteurs très divers. Plus récemment, en 2009, le gouvernement américain a pris le contrôle de General Motors avant de se désengager partiellement. Même si les contextes juridiques étaient différents dans ces situations, la légalité et l’opportunité de ces nationalisations n’avaient pas été remises en question. J’ai par contre l’impression que le projet de décret wallon risque de soulever plus d’écueils en regard de notre droit constitutionnel et du droit européen. Peut-on parler de « retour en arrière » ou plutôt de « vision d’avenir » face à une crise économique ? La détresse des familles de travailleurs qui sont menacés par le chômage ne laisse personne insensible, surtout dans le contexte actuel de crise. Les pouvoirs publics sont tout naturellement en première ligne pour dégager des solutions innovantes, mais si la nationalisation a parfois fait ses preuves en d’autres temps ou en d’autres lieux, je crains que l’expropriation de sites industriels soit un remède pire que le mal dans un cas de figure comme celui-ci. ■ Propos recueillis par PHILIPPE DE BOECK « Le confédéralisme, c’est le fédéralisme pour les cons : on fait croire que confédéralisme et fédéralisme, c’est du pareil au même. » C’est le constitutionnaliste Francis Delpérée qui le déclarait au « Soir » en 1996. « Le confédéralisme, c’est un piège à cons », renchérissait récemment Rudy Demotte, le ministre-président de la Communauté française. Précisons : le fédéralisme, c’est un Etat. La confédération, c’est plusieurs Etats. C’est donc le séparatisme. Le fédéralisme, c’est l’option choisie par les partis francophones, le confédéralisme, celle des partis flamands, à l’exception des socialistes et des verts. Et depuis la fin de la semaine dernière, à l’exception aussi des libéraux flamands. Gwendolyn Rutten (photo), leur jeune présidente, a décidé de jeter aux orties ce « terme contaminé » que les libéraux flamands avaient adopté en 2002. Un an après le CD&V qui, lors de son congrès de Courtrai, avait enclenché le turbo communautaire. Il ne reste plus désormais que l’extrême droite, les nationalistes et… les démocrates chrétiens à prêcher en Flandre la fin de l’Etat fédéral, même si ces derniers jurent la bouche en cœur que leur seul objectif est de déplacer l’axe de gravité du niveau fédéral vers les entités fédérées. Une argutie jésuitique et sémantique avec laquelle s’amuse même la N-VA, dont le manifeste fondateur pointe l’indépendance de la Flandre tout en haut de ses priorités. Autant rebaptiser une carpe en lapin. On peut comprendre que tous ces hérauts du séparatisme préfèrent l’écran de fumée du confédéralisme : cela fait moins peur aux électeurs que de leur dire franco qu’ils veulent l’éclatement du pays, sachant que 10 % des Flamands seulement en rêvent. La sortie de la présidente du VLD a le mérite de la clarté. A moins d’un an du scrutin dont l’enjeu sera l’avenir ou la mort de l’Etat, les électeurs flamands pourront faire leur choix en connaissance de cause. le buzz du monde L’union sacrée des clubs de foot contre Erdogan rda porte une écharpe du club de Galatasaray. A ses côtés, deux A supporteurs de Fenerbahçe et Besiktas. « D’habitude, on se fout sur la gueule. Mais là, notre ennemi, c’est eux », dit-il en montrant les policiers à bonne distance de la place Taksim, bastion de la contestation à Istanbul. Sur les pelouses en pente qui surplombent l’« Inönü », le stade historique de Besiktas, des dizaines de fans des trois plus importants clubs de la ville sont prêts à en découdre avec la police antiémeute. Les supporters stambouliotes se vouent une haine farouche. Surtout les partisans de Fenerbahçe, le club de « nouveaux riches », sur la rive asiatique du Bosphore, et ceux de Galatasaray, le club de l’élite républicaine, sur sa rive européenne. Mais le 31 mai a tout changé. Une banale manifestation contre le projet d’aménagement du parc Gezi, dans le centre d’Istanbul, a tourné à la plus importante contestation du pouvoir du Pre- mier ministre Recep Tayyip Erdogan depuis onze ans. Et quand la police a fait donner les canons à eau et les gaz lacrymogènes, les supporteurs des trois clubs ont fait cause commune. Menés par le « kop » de Besiktas, le plus ancien club turc (1903), des centaines de fans des clubs rivaux ont afflué. Samedi, c’est le kop de Fenerbahçe qui a symboliquement franchi le Bosphore pour arriver, applaudi par la foule, aux cris de « Nous sommes les soldats de Mustafa Kemal » sur la place Taksim. Tous sont désormais en première ligne de la contestation. Les maillots blanc et noir des Aigles de Besiktas croisent ceux marine et jaune des Canaris de Fenerbahçe et le rouge et jaune des Lions de Galatasaray. Certains joueurs de football leur ont apporté leur soutien. Comme l’Ivoirien Didier Drogba, le Néerlandais Wesley Sneijder ou le Turc Burak Yilmaz, qui évoluent à Galatasaray. (afp) )G D’habitude ennemis, les fans des grands clubs de foot d’Istanbul sont unis face à Erdogan. © AP. 11