Empathie pour le taureau

Transcription

Empathie pour le taureau
Empathie pour le taureau
Le taureau va mourir. Il ne saura jamais pourquoi on le mutile
Sous les cris, les vivats des humains sans pudeur, affolé, terrifié,
Innocent sacrifié sous le ciel immobile. Il ne sait pas.
Il ne sait pas pourquoi il doit se battre, pourquoi il doit souffrir.
Pour offrir à ceux qui le regardent lentement mourir, un plaisir sadique dont il ne sait rien.
Seuls les humains savent être inhumains
Son sang noir coule des plaies où le long crochet arrache sa chair à chaque mouvement.
Ses muscles lacérés, ses nerfs déchirés vont le rendre fou. Banderilles-supplices.
Sa folie de souffrance l’amène à perforer le ventre des chevaux,
Ses frères de misère, innocents, impuissants complices des bourreaux.
Pendant que le ciel chante et que nous aimons vivre,
Les rutilants bipèdes déchirent tous vivants les pauvres animaux soumis à leurs caprices,
Préparés, harcelés, étourdis bien avant le combat sanctifié.
Le tortionnaire laisse peu de chance à sa victime sacrifiée.
Cerné de haine et de lumière, innocent et muet sous le ciel immobile, il ne sait où aller
Enfermé dans son enfer clos par l’invisible mur de nos perversions.
Joie indécente des vivats dont l’exaltation morbide crucifie le jour étincelant.
Seul,
Transpercé, titubant devant la foule en transes, il entend la folie humaine rugir dans les tribunes.
Les poignards aiguisés de la torture rient de ses infinies douleurs.
Souffrance obscène, le taureau pantelant tombe sur les genoux, sa force légendaire mise à terre,
Humilié, vaincu par l’organisation optimisée de nos pulsions de mort.
Nos pulsions tortionnaires. Nos pulsions totalitaires.
Ses grands yeux ouverts et candides cherchent vainement l’espoir, une issue pour fuir cette folie.
Mais tout est déjà perdu. Aucune compassion dans l’incandescence du cycle infernal.
Même l’azur céleste détourne son insondable regard bleu.
Prisonnier du cercle maléfique, meurtri et massacré, il est seul, il est nu.
Offrande mythique au soleil, son sang jaillit en gerbes pourpres, sacrifié sur le sable rougi,
Quels obscurs dieux cruels et maléfiques son calvaire va-t-il satisfaire ?
Le ruminant supplicié ne saura jamais que l’homme est le seul être vivant
A posséder une conscience.
Conscience.
Espérances lacérées en plaies immondes.
Il hurle sa détresse indicible et les bourreaux s’amusent.
Conscience.
Les aficionados de l’obscénité ignorent l’empathie, et vénèrent la mort. La mort des autres.
Quelles chimères de bonheur n’ont pas su conquérir ces voyeurs indécents, pour ainsi se délecter
De l’absolu désarroi d’un être vivant ? Rire de son désespoir. Jouir de ses supplices.
L’argent aux doigts sanglants célèbre les fantasmes pathologiques et les immémoriales veuleries
Dans le grand cirque reptilien. Les bas instincts triomphent au grand règne des lâches
Il parait, selon eux, que la force brutale et sauvage, c’est le taureau.
Les médias complaisants de tout cœur les encensent, sans donner la parole aux défenseurs de vie
Qui ne font pas le poids face à la barbarie. Le commerce d’abord.
Passez la monnaie et Viva la muerte !
Conscience.
Insupportable corrida aux couleurs fascinantes, épousailles resplendissantes de soleil et de sang.
Ténèbres de lumière où s’éteint le cœur subtil des étoiles.
Vertige scintillant, douloureux esthétisme, escorté de musiques tragiques et flamboyantes,
Objet d’un charme obscur que l’Histoire s’enorgueillit de perpétuer. Tuer.
Tuer mais d’abord torturer. Torturer.
Rite rouge excitant de notre tragédie où l’homme pulsionnel jouit de ses cruautés.
Dans quels ciels impossibles trouver la rédemption, le respect de l’autre,
La conscience ?
Où se dissimule l’inaccessible compassion d’une civilisation de l’intelligence ?
Dans quels ciels éloignés battent les cœurs purs ?
Les amis du vivant, majorité muette, indifférents, discrets, ne manifestent guère.
Ils sont l’honneur des hommes aimants et solidaires,
Respectant chaque vie, poussière sur la planète.
Je veux dire pour eux la douleur des poètes face aux actes violents, aux instincts mortifères,
Aux spectacles abjects de folie sanguinaire, et pour toujours j’ai honte de n’être pas la bête.
Lorsque s’élèvera la sentence cosmique du Grand Tribunal des Etoiles,
Là-haut, dans l’équanimité du ciel sans horizon,
Les âmes perdues des taureaux sacrifiés goûteront enfin la paix des prairies éternelles.
Où finira l’âme des hommes ?
Elyane REJONY
« Torturer un taureau pour le plaisir, pour l’amusement, c’est beaucoup plus que torturer un animal, c’est
torturer une conscience » Victor HUGO
« La corrida n’est ni un art, ni une culture, mais la torture d’une victime désignée, avec, autour, des
badauds qui regardent » Emile ZOLA