Descriptif Titre : Nu descendant un escalier, n°2 Auteur : Marcel

Transcription

Descriptif Titre : Nu descendant un escalier, n°2 Auteur : Marcel
Descriptif
Titre : Nu descendant un escalier, n°2
Auteur : Marcel Duchamp (1887-1968)
Date de création : 1912
Dimensions : Hauteur : 1,46 m x Largeur : 89 cm.
Type : Huile sur toile.
Lieu de conservation : Philadelphie, Museum of Art.
Contexte historique :
A la fin du 19è siècle dans la littérature on parle beaucoup de la quatrième dimension : on ajoute à la
troisième dimension (l’espace) l’idée de mouvement, de durée et de déplacement. La vitesse de
déplacement est une nouveauté, une nouvelle sensation permise par de nouvelles inventions comme le
chemin de fer, la voiture etc. Les artistes sont fascinés par les progrès scientifiques de l’époque, ainsi
Kupka dans sa peinture essaye de suggérer les mouvements de l’espace par des plans verticaux. C’est
surtout l’invention de l’appareil photographique qui va permettre de comprendre comment s’effectue un
mouvement dans l’espace, chose que la rétine ne peut pas faire car sa perception du réel est trop lente.
On parle beaucoup des chronophotographies d’Etienne-Jules Marey qui sont publiées dans des revues
scientifiques. Grâce à son fusil photographique, qui permet de réaliser une succession d’images, il a
réussi à restituer le mouvement d’un corps dans l’espace. Le mouvement est la grande obsession des
modernes, surtout pour les plasticiens, car c’est contradictoire avec la peinture elle-même. La peinture est
fixité, elle ne peut que donner l’illusion du mouvement. Un autre art, tout neuf va permettre aussi de
restituer le mouvement : le cinématographe. Il y a également les nombreuses nouvelles machines
industrielles, mécaniques, des plus précaires aux plus sophistiquées qui ne vont plus rendre compte de la
fixité du temps car elles ne sont pas immobiles mais signifiées la dynamique des formes, des idées et des
corps dans l’espace. Le monde moderne est un monde qui bouge, qui va vite comme les nouvelles idées
et cela est permis par les nouvelles technologies. Tout cela n’a pas échappé à Marcel Duchamp qui s’est
influencé de cette modernité pour révolutionner le monde de l’art.
« Crétine rétine ! » Marcel Duchamp
Marcel Duchamp est né en 1887 à Blainville en Haute Normandie. Le grand père de Marcel Duchamp était peintre, le père notaire. Il aura
cinq frères et sœurs dont Gaston (le peintre Jacques Villon) et Raymond (le sculpteur Duchamp-Villon qui, blessé à la guerre, mourra en 1918). Il
commence à peindre en 1902. En 1912, il expose le Nu descendant un escalier, n°2 au Salon des Indépendants, celui-ci ne répondant pas aux
normes cubiste (pas de nu ni de mouvement) il n’est pas apprécié par les membres du groupe cubiste (auquel appartiennent ces frères). En 1913,
alors que Marcel Duchamp travaille à la bibliothèque Sainte Geneviève de Paris, le Nu descendant un escalier, n°2 fait un scandale à l’Armory
Show de New York et il en devient la vedette, les artistes s’y précipitent pour l’admirer. Marcel Duchamp depuis Paris fait naitre l’art moderne
américain. Cette même année il remet en question l’art en inventant le concept du ready made. Tout en ne voulant faire partie d’aucun groupe
d’artistes, il est affilié aux mouvements Dadaïste et Surréaliste. Il meurt en 1968 à Neuilly-sur-Seine. C’est l’artiste le plus important du 20è siècle
car il a repoussé les limites de l’art.
Analyse plastique
Le titre annonce la vision d’un corps nu exécutant un geste journalier : une descente d’escalier. Or, à la vision de l’œuvre, rien n’est
évident, ne saute aux yeux. Les formes stylisent un corps dépourvu d’une quelconque anatomie, qu’elle soit féminine ou masculine. Il y a donc une
rupture avec les codes de nu classique. La descente se caractérise par des lignes successives qui vont en diagonale du haut gauche vers le bas
droit de la toile. Il n’y a aucune profondeur. Cette œuvre est presque plus conceptuelle que visuelle, elle rend compte de ce que l’œil ne peut
percevoir. Elle s’adresse à l’esprit et non pas à la rétine. C’est comme un compte rendu scientifique. Marcel Duchamp ne voulait pas représenter un
nu classique et traditionnel, très codifié et répondant à de nombreux critères. L’utilisation de ce nu artistique, et non anatomique, permet de mieux
visualiser l’évolution dans l’espace du corps en mouvement. Cette représentation du nu et du mouvement renvoi aux codes de représentation
cubiste : formes géométriques et surtout la représentation simultanée d’une même figure dans l’espace. Il n’ya aucune perspective, to ut est plat.
Néanmoins, une certaine distance est prise avec le cubisme traditionnel puisque cette œuvre offre un certain dynamisme quand bien même le
cubisme fige les objets. Cet intérêt pour le mouvement renvoi au futurisme. Certaines personnes caractérisent alors cette œuvre de cubo-futuriste.
Duchamp affirme que, bien que plus proche du futurisme que du cubisme, cette œuvre est clairement cubiste. Le mouvement est très directement
inspiré des chronophotographies d’Etienne-Jules Marey. L’œuvre a été peinte à l’huile sur une toile marine verticale de 146cm x 89cm. La palette
chromatique est restreinte et semblable à celle des cubistes. En effet, le jaune est l’ocre dominent. Certains aplats sont m arrons/rouges, d’autres
tendent vers le vert-de-gris. La périphérie est traitée dans des teintes marrons sombres, retravaillées par du vert, du bistre et du sépia. La gamme
de couleur est presque monochromatique et évoque le bois, le carton. L’escalier semble immense et anormal. En haut à droite, il semble lointain,
les marches semblent disjointes. En dessous, les marches ont l’air plus volumineuses. Sur la gauche, en bas, on peut voir trois petites marches de
trois/ quart accolées à trois autres bien plus grandes. Ces dernières sont celles sur lesquelles repose le nu. Tout en bas, on peut lire le titre de
l’œuvre. En bas à droite, on peut apercevoir la rampe et la boule de celle-ci. La rampe semble continuer après cette boule. Cela est anormal car
cette boule signe la fin de la rampe. De surcroit, cette rampe semble sortir de la toile, continu er au-delà de celle-ci. L’escalier serait-il infini ? Au
milieu de tout cela, une dizaine de traits successifs forment quatre ou cinq entités. Certaines lignes sont droites (des trai ts) et peuvent se croiser
pour former des triangles ou des losanges. D’autres lignes, courbées, suggèrent des formes arrondies et répétitives, comme la tête. Autour de ces
formes, des touches verdâtres viennent s’installer. Ces dernières semblent définir des points lumineux, comme si l’escalier é tait éclairé à quelques
endroits par une source lumineuse de type éclairage artificiel au gaz de ville. Il y a quelques signes de mouvements qui viennent an imer toute cette
immobilité. Quelques points noirs couplés à un trait rappellent les habits portés lors de l’expérience de Marey. D’autres courbes en pointillés blancs
montrent un mouvement, une rotation possible. Enfin, des traits transversaux, dans le sens perpendiculaire aux membres, expri ment le
mouvement, comme le flou sur une photographie d’un corps en mouvement ou les traits de déplacement dans la bande dessinée. Tous ces traits
lient les personnages et donnent ce sentiment de mobilité, de descente. Sans eux, la progression du personnage ne serait pas visible ; ils sont
donc primordiaux ! Il est désormais plus facile de percevoir le nu, le mouvement, l’univers. Néanmoins, ce nu, est-il vraiment un nu ? Pourquoi estil mécanisé ? Pourquoi est-il représenté dans des tons bois ? Certaines hypothèses tendent à dire que ce nu n’en est pas un réellement, mais qu’il
aurait été simplifié, rabaissé au rang de mannequin, de robot… Par son caractère d’étude et par le passage du modèle de la position horizontale,
comme dans la peinture académique représentant des nus, à la verticale, le Nu descendant un escalier nie toute connotation érotique.
Interprétation
« J’ai voulu créer une image statique du mouvement : le mouvement est une abstraction, une déduction articulée à l’intérieur du tableau sans
qu’on ait à savoir si un personnage réel descend ou non un escalier également réel. Au fond, le mouvement c’est l’œil du spectateur qui l’incorpore
au tableau.» Marcel Duchamp
Etienne-Jules Marey, fusil photographique, 1882.
Frantisek Kupka, Femme cueillant des fleurs,
1910-1911, Pastel sur papier, 45 x 47, 5 cm,
Centre Pompidou, Musée National d’art
moderne, Paris.
Mouvement décomposé en temps et en lumière
(dégradé de couleurs).
Etienne-Jules Marey, Chronophotographies sur
plaques de verre négatives, 1883, Paris.
Superposition de plusieurs images séquentielles
(photographies) sur un seul négatif (en une seule
image).
Analyse plastique : plan sombre et plan éclairé.
Elio Elisofon, Marcel Duchamp descendant un
escalier, Photographie, 1954, Collection privée.
« Mon but était la représentation statique du mouvement – une composition statique d’indications statiques des positions diverses
prises par une forme en mouvement – sans essayer de créer par la peinture des effets cinématiques. » Marcel Duchamp
Marcel Duchamp, Entretiens avec Pierre Cabanne, éditions Allia, Paris, 2014, p. 34-35 :
Pierre Cabanne : Dans le Nu descendant un escalier, il n’y a pas une influence du cinéma ?
Marcel Duchamp : Bien sûr que si. C’est cette chose de Marey…
Pierre Cabanne : La chronophotographie.
Marcel Duchamp : Oui. J’avais vu dans l’illustration d’un livre de Marey comment il indiquait les gens qui font de
l’escrime, ou les chevaux au galop, avec un système de pointillés délimitant les différents mouvements. C’est ainsi
qu’il expliquait l’idée du parallélisme élémentaire. Ça a l’air prétentieux comme formule, mais c’est amusant.
C’est ce qui m’a donné l’idée de l’exécution du Nu descendant un escalier. J’ai employé un peu ce procédé dans
l’esquisse, mais surtout dans le dernier état du tableau. Cela a dû se passer d’une manière définitive entre décembre
et janvier 1912. En même temps, je gardais beaucoup de cubisme en moi, du moins dans l’harmonie des couleurs.
Des choses que j’avais vues chez Picasso et chez Braque. Mais j’essayais d’appliquer une formule un peu différente.
Pierre Cabanne : Est-ce que dans ce Nu descendant un escalier, l’utilisation de la chronophotographie n’a pas
introduit en vous l’idée, peut-être inconsciente au départ de la mécanisation de l’homme par opposition à la beauté
sensible ?
Marcel Duchamp : Oui, évidemment, ça va avec. Il n’y a pas de chair, juste une anatomie simplifiée, le haut et le bas,
la tête, les bras et les jambes. C’était une autre sorte de déformation que celle du cubisme. Dans le déchiquetage des
tableaux précédents, il n’y avait qu’une légère influence de pensée. Il n’y avait pas de futurisme non plus puisque je
ne connaissais pas les futuristes ; ce qui n’a pas empêché Apollinaire de qualifier le Jeune homme triste d’ « état
d’âme futuriste ». Rappelez-vous les états d’âme de Carrà et de Boccioni (peintres futuristes). Or, je n’en avais
jamais vu ; disons que c’était l’interprétation cubiste d’une formule futuriste… Les futuristes, pour moi, ce sont des
impressionnistes urbains qui, au lieu de faire des impressions de paysage, se servent de la ville. J’ai quand même
était influencé, comme on l’est forcément, par ces choses-là, en espérant garder une note assez personnelle pour
faire mon propre boulot.
Marcel Duchamp propos sur le Nu descendant un escalier, n°2 :
« Cette version définitive du Nu descendant un escalier, peinte en janvier 1912, fut la convergence dans mon esprit
de divers intérêts, dont le cinéma, encore en enfance, et la séparation des positions statiques dans les
chronophotographies de Marey en France, d’Eakins et Muybridge en Amérique.
Peint comme il l’est, en sévères couleurs bois, le nu anatomique n’existe pas, ou du moins, ne peut pas être vu, car je
renonçai complètement à l’apparence naturaliste d’un nu, ne conservant que ces quelque vingt différentes positions
statiques dans l’acte successif de la descente.
Avant d’être présenté à l’Armory Show de New York en 1913, je l’avais envoyé aux Indépendants de Paris en février
1912, mais mes amis artistes ne l’aimèrent pas et me demandèrent au moins d’en changer le titre. Au lieu de modifier
quoi que ce fût, je le retirai et l’exposai en octobre de la même année au salon de la Section d’Or, cette fois sans
opposition.
Les futuristes s’intéressaient aussi alors aux problèmes du mouvement et quand ils exposèrent pour la première fois à
Paris en janvier 1912, ce fut passionnant pour moi de voir le tableau de Bala, Chien en laisse, qui montrait lui aussi
les positions statiques successives de la laisse et des pattes du chien.
Néanmoins, je me sentais plus cubiste que futuriste dans cette abstraction d’un nu descendant un escalier : l’aspect
général et le chromatisme brunâtre du tableau sont nettement cubistes, même si le traitement du mouvement a
quelques connotations futuristes. »
Liens utiles :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Nu_descendant_un_escalier
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tienne-Jules_Marey