Marrakech - Typo le mag

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Marrakech - Typo le mag
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Typo se découvre
Typo Extra Muros Maroc
Directeur de publication : Dominique Gaye
(coordonnateur du Clemi Dijon - rectorat)
Coordonnateur général : Eddy Spann
Directeur de l’information : Alexandre Mathis
Rédacteur en chef : Thibault Coudray
Conseiller journalistique et correcteur :
Aurélie Juillard, journaliste professionnelle.
Rédacteurs Typo :
Alexis Hontang, Anabelle Bourotte, Camille Gros,
Cécile Pasquet, Charline Poisson, Elsa Marchand,
François Perez, Juliette Bourrigan, Sonia Barge,
Thibault Coudray, Eddy Spann*, Alexandre Mathis*.
Avec l’aide précieuse, efficace et motivée de Lucie
Postel du lycée français Victor Hugo de Marrakech.
Dessins : Thibault Roy, sauf mention contraire
La mission a été encadrée par :
Dominique Gaye et Aurélie Juillard.
* Post-Bac, typoïstes de générations antérieures.
Mission au Maroc du 4 au 20 avril 2008 :
La rédaction a été installée au riad itrane de
Marrakech pendant 10 jours. Quatre micromissions
ont été organisées pour le reste du temps :
Rabat - Casablanca / Azrou / Atlas/ Oaerzazate.
3 week-ends de formation et de travail en France
Mise en pages : Aurélie Juillard assistée de
Dominique Gaye. Autres Membres : Eddy Petit et
Alexis Hontang, après discussions collectives.
La Une a été réalisée avec l’aide amicale de Patrick
Perrot du service jour du Journal de Saône-et-Loire.
Les photos sont de Typo, sauf mention contraire.
Magazine tiré à 2 000 exemplaires (imprimerie
Mordacq).
Diffusion dans les établissements de l’académie de
Dijon, dans une centaine de lycées français et dans
les rédactions francophones de Typo.
Typo - Lycée Niepce - 141 avenue Boucicaut
71100 Chalon-sur-Saône (France)
Tél : (+33) (0)3.85.43.40.40
(+33) (0)6.21.04.83.36
Fax : (+33) (0)3.85.43.34.34
Mail : [email protected]
Web : www.typomag.net
Ce magazine a été financé, pour une très grande
partie par le Conseil Régional de Bourgogne et
par le Crédit Mutuel Enseignant et Solidarité
Laïque et son programme Demain le Monde.
Typo est aussi financé par le rectorat de
l’Académie de Dijon qui salarie notamment tout le
personnel d’encadrement.
Solidarité Laïque, association
humanitaire de solidarité
internationale, appuie ses actions
sur les valeurs universelles
de la laïcité. Elle coordonne le
programme Demain le Monde...
Le site de Typo a été créé et est
hébergé, maintenu, référencé
par www.LaRouteDuNet.fr
Typo : un Monde ouvert,
un média ouvert
sur le Monde
T
ypo, c’est au départ une action de
presse lycéenne à l’initiative du CLEMI
(Centre de Liaison de l’Enseignement
et des Médias d’Information) de l’Académie
de Dijon, le service d’éducation aux médias
du rectorat. Typo a été fondé en septembre
1998.
Cette expérience donne aux lycéens des
quatre départements bourguignons un espace
d’expression libre et responsable. Ainsi, ils
conçoivent des articles, des dessins de presse,
des séquences télévisuelles visibles sur le site
www.typomag.net et une page mensuelle
dans les titres de la presse quotidienne
départementale - Le Journal de Saône-etLoire (Saône-et-Loire), le Bien Public (Côte
d’Or),et l’Yonne Républicaine (Yonne) et
jusqu’en 2007 le Journal du Centre (Nièvre)
- partenaire à part entière de cette initiative
unique en France.
En soutenant fortement cette action,
l’école joue pleinement son rôle d’écoute,
d’initiatrice, d’accompagnatrice. Soutenue
par les collectivités locales ou régionale, elle
participe activement à la formation des jeunes
citoyens.
débouche sur le premier Typo Extra Muros
et la création de Typo Roumanie. 2002 c’est
le Vietnam, 2003 le Québec, 2004 le Mali
et le Festival de Hué (Vietnam). En octobre
2004, Typo Québec débarque en Bourgogne
ème
étudier les cousins français et réaliser le 6
Extra Muros. Typo Roumanie sera aussi venu
deux fois porter son regard sur la Bourgogne
(articles en ligne).
2005 voit les typoïstes sortir de l’espace
francophone pour se rendre à Auschwitz
et réaliser ainsi le 7ème Typo Extra Muros,
« Déportation : histoires de ne pas oublier ».
2006, c’est Bombay et la sortie du 8ème TEM,
numéro réalisé avec Typo Bombay, rédaction
qui produit encore actuellement de nombreux
articles, à ne pas manquer sur notre site.
Une «parole» écoutée
Grâce à ce partenariat avec les professionnels
de la presse quotidienne départementale,
les écrits journalistiques de ces jeunes
sortent de l’anonymat du journal de lycée.
Lus potentiellement par 420 000 personnes,
jeunes ou moins jeunes, leurs mots, photos
ou illustrations trouvent là un lectorat, un
sens, un poids et une reconnaissance. De
par cette large audience, l’acte d’écrire n’est
plus anodin : les jeunes sont vite amenés à
comprendre qu’ils doivent être responsables
de leurs écrits et de leur média.
En 2001, Typo décide d’aller à la rencontre
d’autres jeunes francophones pour ouvrir
ses horizons et ses champs de découvertes, de
compréhension. Premier pays de destination :
la Roumanie et le lycée Jean Louis Calderon de
Timisoara. Cette « expédition » journalistique
Mais au-delà de cette aventure journalistique
et humaine, de ces moments de travail
commun, de découverte, d’amitié, d’écriture,
de reportage écrit ou visuel, de vie, la vocation
de Typo est de former nos jeunes à être les
hommes et femmes de demain. D’un demain
où Liberté, Égalité, Fraternité auront enfin
trouvé toute leur place et tout leur sens,
partout et pour tous, en Francophonie et
ailleurs. ¿
Un Typo de Mercis
Par contre, nous remercions vivement Laura Abou Haidar de l’Institut français de Marrakech,
pour son professionnalisme et son amical soutien, Françoise Leroy, Véronique Bruez d’ESAV,
Évelyne Bevort du Clemi national, Roland Biache de Solidarité Laïque, Pierre Giezek, M. Revol,
proviseur adjoint du lycée Victor Hugo de Marrakech, Bénédicte Bonnard pour son autre Maroc
à travers Azrou et sa région, Bernard Paquelier directeur du service des anciens combattants,
Abdelouahab Benajiba, Directeur de l’académie de Marrakech, Benjeddi Touhami, Jamila
Hassoune, libraire à Marrakech, Karima Mkika de l’association Al Karam, Tarik Essaadi journaliste,
Youssef Nait Belaid, chargé des relations internationales au rectorat de Marrakech, Khouloud
Kebali journaliste à Osra magazine, Youssef Ziraoui journaliste à TelQuel, Noureddine Daïfi et
sa famille de Ait Omghar, guide exemplaire, Aziz Leflahi, pour ses contacts et sa présence, Aziz
et Souad Aboulama, pour leur gentillesse et leur hospitalité, Mohamed Mohache et Mohamed
Ezzine pour leurs précieux renseignements, Ouahid Belhad notre guide à Meknès, Rachid El
Ghalloussi qui a veillé sur nous depuis la France, Zoubir Bouhoute, entrepreneur à Ouarzazate
qui nous a permis de découvrir la région, Mohamed Abouissaba et Mohamed El Houkari,
professeurs à Skoura pour leur disponibilité et leur hospitalité. Enfin, merci à toute l’équipe du
riad Itrane et à son gérant Othmane Bellout pour sa gentillesse et son aide.
Merci aussi à Marie Françoise Muller, vice-présidente de la région Bourgogne, chargée à
l’époque des relations internationales, qui nous a permis de mener à bien cette mission.
Et, enfin, merci à tous nos partenaires qui nous font confiance depuis longtemps avec un
hommage appuyé à Philippe Baumel, vice-président de la région Bourgogne, service des
lycées, qui est le soutien permanent, engagé de Typo depuis 2004. ¿
t Photo de Une : porte dans la Kasbah de Rabat
Sommaire
1 - Itinéraire marocain
5 - 1 001 facettes
6 Marrakech : Bienvenue chez les Marrakchis
42 Soins du corps : Parce que le hammam, c’est bon pour la santé
7 Rencontre avec le maire : « Marrakech n’est pas dénaturée »
8 Atlas : Sourires de femmes
9 Maroc des champs : Claire comme de l’eau d’Ouzoud
10 Rabat : Rabat, entre province et capitale
12 Sauvegarde du patrimoine : Casa, SOS patrimoine en danger
13 Casablanca : Casa l’incontournable
52 Patrimoine : Riads en mosaïque
16 Royauté : Touche pas à mon roi !
53 Une journée au Riad : Une danse bien réglée
17 Le roi dans le Moyen-Atlas :
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22
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25
48 Berbères : La lutte des hommes libres et collation berbère
6 - Priorité tourisme
2 - Les défis du royaume
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47 Le narguilé : Et toi, tu fumes la chicha ?
50 Saveurs : Ça, c’est du couscous ! / Cuiseur du quotidien
14 D’Essaouira à El Jadida : Road-trip marrakchi
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bonhomme de chemin
49 Thé à la menthe : Thé prêt ?
13 Meknès : Meknès, aux belles portes
19
47 Herboristerie : Sésame, ouvre-toi
11 Sur les routes : Les fous du volant
18
Jamila, tatoueuse : une tradition « gagne-pain »
44 Tanneries : De la bête à la babouche, les peaux font leur petit 46 Poterie : Cette terre appelée argile… / La face cachée du pot
11 Clichés rabatis : La fine fleur de Rabat
18
43 Tradition du henné : « Quand tu es heureux, tu fais du henné ! » 45 Artisan : Mohamed, babouche à votre pied !
10 Clichés rabatis : Souriez, vous êtes pris à Rabat
17
Quand Mohammed VI passe, la ville se surpasse…
Régime politique : Des sacrés pouvoirs !
Règne d’Hassan II : Un royaume plombé
Droits de l’Homme : Avec humanité…
Enfants des rues : Karima Mkika : « Aider, ce n’est pas assister »
Pauvreté extrême : Une lumière dans les ténèbres
Immigration clandestine :
AFVIC : soigner les migraines de l’immigration
Mariage : Le plus beau jour de leur vie…
Dentiste : Souriez, vous êtes cariés !
Hôpital : la santé marocaine n’a pas bonne mine
Santé : Sida, touche pas à mon Maroc
Santé : Le Croissant a du pain sur la planche
Islam : Abdelhay, imam à 23 ans
Rencontre : Ita Abdellaoui, une femme ouléma
Sunnisme : Ali ou Abou Bakr ?
3 - Info, la conquête
54 Tourisme extrême : Ouarzazate, perle du grand Sud
55 Réhabilitation : La kasbah de Taourirt, mémoire de leurs pères
56 Un guide pas comme les autres : Noureddine, la force tranquille
57 Tourisme dans l’Atlas : Ouzoud sort de l’ombre
57 Ouarzazate : Guide touristique, « ça va, ça vient »
58 Micro-trottoir : Des vacances destination Maroc
7 - Vertes inquiétudes
60 Problème de l’eau : Vers une crise de l’or bleu…
61 L’eau dans l’Atlas : À la claire fontaine
62 Agriculture : L’argent ne pousse pas dans les champs
63 Oviculture dans le Moyen-Atlas : Hadou et ses moutons
63 Souk d’Azrou : Au bazar des sens
64 Haras de Meknès : Le berceau des équidés
65 Serpents : Les anti-charmeurs montrent les crochets
66 Parc d’Ifrane : Tout pour le cèdre
67 Tradition renouvelée : en route pour la transhumance
68 Portrait : Abderrazzak Benchaâbane : côté cour, côté jardin
8 - Comment savoir ?
26 Tel Quel : Vouloir être honnête peut défrayer la chronique
27 Presse féminine : Un colon de la mode
70 Association : El Amane touche le cœur des femmes
28 Audiovisuel : Vers la libéralisation
72 Portrait : Jamila Hassoune, libraire en liberté
29 Radio : Une émission pour les jeunes et par les jeunes
73 Initiative : La Caravane du livre
30 Internet : Tarik Essaadi, roi de l’e-Maroc
73 Éducation rurale : Paroles de profs de Skoura
30 Blogosphère : Un espace de liberté à surveiller ?
74 École coranique atlassi : L’imam et les 160 enfants
31 Nouvelles technologies : Le web tisse sa toile jusque dans les parcs
75 Rencontre avec une institutrice :
4 - États d’art
Souad Aboulama, une femme volontaire au tableau
76 Académie de Marrakech : Système scolaire en construction
32 Poésie : Rachid Mansoum : fils de Marrakech !
77 Éducation : Faites confiance à nos profs !
34 Courants musicaux : Quand la musique sonne…
9 - Chers amis
35 Rencontre : La musique, c’est Magic avec Larbi
78 Coup de cœur : Le Maroc, « entre ses mains »
35 Concert franco-marocain : Sans frontières
36 Rap traditionnel : Fnaïre et la main de henné
36 Téléchargements : « Le piratage n’a pas tué la musique »
37 Studio de musique : D-Cibel ne joue pas en sourdine
38 En studios : Ouarzazate, cité du cinéma
39 Cinéma marocain : Un cinquantenaire plein d’avenir
40 Youssef Aït Hamou : À la poursuite du cinématographe
40 École des Arts visuels : Pour un regard neuf
3
80 Anciens combattants : Une mémoire apaisée, mais productive 81 Anciens combattants : Fier d’avoir combattu pour la France
81 Expatriés : La Bretagne en plein Guéliz
82 Collaboration : Programme de communion mutuelle
83 Nouvelle vie : « Les Marocains m’attendaient au tournant »
83 Nouvelle vie : Coup de foudre à Marrakech
84 Tradition : L’hospitalité made in Maroc
Sur www.typomag.net : 55 autres articles à lire...
4
Repères marocains
Histoire du 20ème siècle
Royaume du Maroc
Devise nationale : « Allah, Al Watan, Al Malik », soit
« Dieu, la Patrie, le Roi »
Hymne national : L’hymne chérifien. Initialement simple
air composé par le français Léo Morgan, on lui donna des
paroles qu’en 1970, à l’occasion de la coupe du monde de
football.
Fête nationale : 30 juillet (Fête du trône). Elle coïncide
avec l’intronisation officielle du roi Mohammed VI.
Drapeau : fond rouge, avec, au centre, une étoile de
Salomon verte. Il date de 1912.
Capitale : Rabat (1 610 000 habitants)
Villes principales : Casablanca (3 000 000 hab. intramuros), Marrakech (1 030 000), Fès (1 008 000), Tanger
(670 000).
Découpage administratif : 15 régions
p Manifestation de cadres au chômage à Rabat
Régime : Monarchie constitutionnelle
(depuis décembre 1962)
Roi : Mohammed VI (depuis le 30 juillet 1999)
Premier ministre : Abbas El Fassi
(depuis le 19 septembre 2007)
Parti politique au pouvoir : Parti de l’Istiqlal
Superficie : 446 500 km² (710 000 avec le Sahara
occidental).
Point culminant : Jbel Toubkal (4 167 mètres)
Plus grand fleuve : L’oued Drâa (1 100 kilomètres)
Population : 34 343 219 (estimation juillet 2008). La
croissance démographique est estimée à + 1,57 %.
Densité : 48,3 habitants/km²
1912 : Le 30 mars, le Traité de Fès inaugure l’ère
du protectorat français et espagnol. Le nord, excepté
Tanger qui devient zone internationale, et le Sahara
occidental sont placés sous la tutelle ibère, tandis
que la France hérite du reste du pays.
1912 - 1925 : Le maréchal Hubert Lyautey, le
résident général, tente d’insuffler l’air de la modernité
au Maroc, tout en respectant les valeurs ancestrales
et la religion. Il dira même que « la France se
doit être une grande puissance musulmane ». Le
développement éclair de villes comme Casablanca,
l’affirmation de Rabat comme capitale et la
naissance d’infrastructures routières sont autant de
choix politiques œuvrés vers le progrès, orchestrés
par le maréchal lorrain, qui démissionnera en 1925.
1947 : La promulgation d’un dahir (loi) offrant aux
Berbères un statut juridique particulier en détriment
du droit coranique et l’affaiblissement de l’aura
française suite à la guerre mondiale vont entraîner
le sultan Mohammed Ben Youssef à une grève du
sceau - il refuse de signer les dahirs - très populaire.
Le patriotisme commence à se répandre.
Espérance de vie moyenne : 71,2 ans (en 2007)
Âge moyen de la population : 24,7 ans (2008)
Langues : La langue officielle, et parlée de tous les jours
est l’Arabe. L’Amazigh (ou Berbère) est compris par 40 %
de la population totale, principalement dans l’Atlas, le Rif
et le Sud. Quant au Français, il est compris principalement
dans les villes et dans les milieux instruits.
Religions : Islam sunnite (98,7 %), Christianisme (1,1 %),
Judaïsme (0,2 %)
Monnaie : Le dirham marocain (MAD), qui a remplacé
le Franc marocain en 1956. Il est divisé en 100 centimes.
Taux de change au 1er août 2008 : 1 € = 11,4799 MAD
PIB : 53,6 milliards d’euros. Le PIB/habitant se situe lui à
1 725 €.
Ressources principales : Agriculture, tourisme, phosphate
(3e producteur mondial), textiles, construction.
Population vivant sous le seuil de pauvreté : 15 %
Taux de chômage : 10,2 %
Taux d’alphabétisation : 52 %
Alexis Hontang
* Sources : CIA The World Factbook, ministère des
Affaires étrangères, Wikipédia
1953 : Le sultan est exilé à Madagascar. Le peuple
marocain se serre les coudes contre les colonisateurs :
les produits français sont boycottés, les institutions
étatiques sont la cible d’attentats réguliers. Cela
sent la fin du protectorat, surtout que la déconfiture
en Indochine et les troubles en Algérie ne prêtent
guère la France à employer la force.
1956 : La France jette l’éponge : le sultan fait un retour
triomphal et va déclarer, le 2 mars, l’indépendance du
Maroc. Il devient roi sous le nom de Mohammed V. Cependant, les enclaves de Ceuta et Melilla, ainsi
que le Sahara occidental reste espagnols.
1961 : Une banale opération chirurgicale tourne au
L
drame : Mohammed V décède, à l’âge de 52 ans.
Son fils, Hassan II, lui succède. Dès le début de son
règne, le jeune souverain (32 ans) fait adopter une
constitution, mal acceptée du monde politique, où
le roi devient une personne « inviolable et sacrée ».
Le début des « Années de plomb ». Cette période
trouble se caractérisera par une forte répression des
opposants politiques...
1975 : En novembre, Hassan II lance la Marche
verte, attaque pacifique visant à mettre le Sahara
occidental sous le giron marocain. Les armées
espagnoles se retirent et les accords de Madrid
lèguent cette immense région au Royaume. En
février de l’année suivante, la République arabe
sahraouie démocratique est proclamée par le Front
Polisario, un parti indépendantiste. De grosses
tensions naissent. Aujourd’hui encore, ce conflit
perdure.
1999 : Le 23 juillet, à 70 ans, après 38 ans de règne,
Hassan II s’éteint. Son fils, Mohammed, hérite du
trône. Un virage vers plus de libertés et de modernité
est alors amorcé : très populaire, Mohammed
VI débute son règne par la libération de 46 000
prisonniers, pour la plupart politiques. Le retour
d’exil d’Abraham Serfaty, torturé pour ses actions
contre l’absolutisme sous Hassan II, est aussi un
autre grand symbole de ce changement d’ère.
2003 : Huit jours après la naissance de Moulay
El Hassan, l’héritier au trône, les attentats de
Casablanca, prémédités par un groupe terroriste
islamiste, font plus de quarante-cinq morts.
Alexis Hontang
Une histoire plus complète sur notre site typomag
Des partis politiques secondaires
e roi est la politique. Au Maroc, le rôle des partis politiques est secondaire. Le pays est doté d’un parlement
élu, et selon la majorité qui y siège, le roi nomme son premier ministre.
Deux courants majeurs dominent depuis l’indépendance de 1956. Tout d’abord le parti de l’Istiqlal (en
français l’indépendance), fondé durant la lutte pour l’indépendance du Maroc vis-à-vis de la France, et de
l’ Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), le parti d’opposition par excellence durant le règne de
Hassan II. Mais dans cet équilibre bipolaire, une troisième formation politique, le Parti de la Justice et
du Développement (PJD) prend de l’importance. Mouvement à idéologie islamique, le PJD devient une
force majeure du pays en gagnant de plus en plus de suffrages à chaque élection. Pour preuve, aux élections
législatives de septembre 2007, il a obtenu 13,57 % des suffrages, c’est-à-dire le deuxième plus gros score
après le parti Istiqlal. Cette montée du PJD inquiète ses opposants, craignant, à tort ou à raison, que le Maroc
ne devienne un pays islamique. Alexandre Mathis
Frappez et puis entrez - Vous êtes accueillis... - porte de Meknès u
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Itinéraire marocain
À vos marques…
Marrakech
prêt… partez pour un tour
Bienvenue chez les
du Maroc ! Des portes
millénaires de Meknès
aux maisons de bric et de
broc de l’Atlas,
du folklore de la
place Jemaâ-al-Fna
au modernisme de
Casablanca,
le Royaume chérifien
est passé sous toutes
les coutures. Au risque
certains
stéréotypes …
de casser
Marrakchis !
Première ville touristique du pays, Marrakech s’emploie à concilier
tradition et modernité. Face au pittoresque de la médina historique,
le quartier du Guéliz est un pas de plus vers le XXIe siècle. Une avancée
rendue obligatoire par l’énorme contingent de touristes, véritable
poumon économique de l’ancienne capitale de l’empire almoravide.
J
amais le folklore marrakchi, pareil à un spectacle d’un autre temps, n’aura trouvé plus belle scène que la place Jamaâ-El-Fna. Située en
plein cœur de la médina, cette place, où l’on exécutait autrefois les criminels, est la fierté de toute
une ville, de tout un pays même : devant une foule
de touristes et de Marrakchis en quête de chaleur
humaine se mélangent joyeusement charmeurs de
serpents, conteurs, arracheurs de dents, vendeurs
de pacotille ou autres tatoueuses de henné. Et dès
que la nuit tombe, les vapeurs de l’huile chaude,
combinées à la lueur des ampoules de ces cabanons, offrent un tableau unique, avec le minaret de
la Koutoubia en arrière-plan.
Si les très nombreux kiosques vendent ces images magiques sur papier glacé, c’est aussi pour
rappeler que Marrakech a toujours su garder son
âme authentique, digne des contes des 1 001 nuits.
Saviez-vous que le Maroc lui-même tire son nom
d’une lointaine déformation du mot Marrakech ?
Mais, derrière la carte postale, les apparences peuvent parfois prendre une autre forme. Au-delà des
murailles ocre de la médina, le Guéliz est le symbole du Marrakech moderne.
q En 2001, la place Jamaâ-El-Fna a été classée patrimoine mondial oral par l’UNESCO
q Les murailles ocre séparent la Médina du Guéliz
Dans ses longues avenues, les sièges de PME,
les banques et les boutiques à la mode forment
une harmonie voulue par le Protectorat du maréchal Lyautey. À l’angle du boulevard Mohammed
VI et de l’avenue Hassan II, la gare est touchée
de plein fouet par la vague de modernité insufflée
dans le Guéliz : les échafaudages et les pelleteuses
donneront naissance à une énorme verrière, d’où
arriveront les trains en provenance de Casablanca
ou de Fès.
Des grues à perte de vue
À une poignée de kilomètres de là, l’aéroport
de Marrakech-Menara s’est, lui aussi, doté d’un
hall flambant neuf. Dans ce cadre ultramoderne,
la masse agitée de conducteurs, de personnels des
hôtels ou des riads, un papier annonçant le nom de
l’hôte à la main, donne l’impression surréaliste au
touriste désorienté d’être sur les marches du Festival de Cannes.
Cette première sensation n’est pas anodine : en
effet, Marrakech est la première ville touristique
du pays, avec plus d’un million et demi de touristes par an. Cependant, la très haute concentration
de grues autour de la ville peut vite semer le trouble : face aux exigences du plan Azur – ce plan
prévoit l’accueil de 10 millions de touristes au
Maroc pour 2010 -, les hôtels poussent comme des
champignons.
Si ce phénomène a tendance à défigurer l’âme
de la cité marrakchi, la Koutoubia et ses 77 mètres
de hauteur garderont toujours un œil bienveillant
sur la ville. Et tant que battra le cœur de Jamaâ-ElFna, rien n’altérera la magie de Marrakech... ¿
Alexis Hontang
Itinéraire marocain
Omar El Jazouli, maire de la cité ocre
« Marrakech
n’est pas dénaturée »
Omar El Jazouli est maire de
Marrakech. Une ville qu’il appelle
« elle », comme un enfant chérit
sa mère, et pour qui il nourrit de
grandes ambitions touristiques.
Typo : Quels sont vos grands axes de politique, vos grands défis pour Marrakech ?
Omar El Jazouli : Marrakech est une ville touristique. L’économie est basée dessus ainsi que sur
l’artisanat. Qui dit tourisme, dit environnement. Il
faut de la propreté, de l’hygiène pour que les gens
qui viennent ne soient pas malades. Nous devons
éviter la pollution, car si notre ville est polluée, les
touristes ne viendront plus.
T. : Il y a justement une augmentation de la
pollution…
O.E.J. : Oui effectivement ! Nous allons insp Omar El-Jazouli, Marrakchi de toujours, est à la tête de la mairie depuis 1996
taller des machines qui mesurent la pollution. Je
peux vous assurer que nous n’avons pas atteint la
limite maximale, mais nous le craignons fort avec
T. : Dans le Guéliz, les constructions poussent
voyageurs qui amènent des clients ici. Ajoutez les
le développement des voitures. Nous sommes très
comme des champignons. Comment allez-vous
festivals du cinéma à cela et Marrakech est vraià cheval là-dessus, pour que les touristes ne parcontrôler cette expansion pour qu’elle ne dement une destination intéressante.
tent pas. On plante beaucoup pour transformer le
vienne pas anarchique ?
gaz carbonique en oxygène. On demande aux bus
T. : Vous parlez du festival du cinéma, vous
d’utiliser du gasoil propre. On évite que les moO.E.J. : La ville est en pleine expansion, mais
voudriez que Marrakech devienne une capitale
tos soient à deux temps, c’est-à-dire à l’essence
Marrakech n’est pas dénaturée. Nous arrivons
culturelle ?
mélangée avec de l’huile, car c’est très polluant.
toujours à contrôler toutes les
Les motos sont un moyen de
O.E.J. : J’aimerais bien. J’ai veillé à installer des
constructions. Il y a un plan d’améMarrakech a
transport très utilisé, alors
infrastructures, maintenant on s’occupe de donner
nagement. Les chartes communales
nous essayons de transforune dimension culturelle. Nous allons créer des
marocaines sont des copies conforété autrefois capitale
mer ces vélomoteurs essence
mes des chartes françaises.
musées. Marrakech a été autrefois capitale d’un
en vélomoteurs électriques.
d’un empire
empire qui s’étendait du Sénégal aux portes de
T. : Et le fait que beaucoup
Madrid et l’Algérie. C’était donc immense. Nous
T. : Mais comment ald’étrangers achètent ici, c’est
qui s’étendait du
lier tourisme et environvoulons faire connaître le rôle qu’elle a joué.
bien ?
Sénégal aux portes
nement ? Les touristes géT. : Quelles mesures pour tous les problèmes
O.E.J. : C’est moi qui ai initié
nèrent des déchets, ils font
de
Madrid
de
handicap ? On voit beaucoup de personnes
cette
démarche,
donc
j’en
suis
fordonc partie de ce processus
en
fauteuil
roulant…
cément
fier.
Ma
famille
est
implanpolluant !
tée depuis cinq siècles à Marrakech.
O.E.J. : On a mis des passages pour handicaO.E.J. : Nous sommes équipés, pas de soucis.
C’est la ville qui brasse le plus de civilisations. Le
pés
sur les voies principales. Il n’y a pas que les
Le touriste, il arrive avec ses qualités : de l’emploi
type arabo-andalou a influencé l’architecture locahandicapés moteurs, il y a aussi les aveugles, les
est généré, qui profite à l’activité économique, et
le. Les riads ont ce style. C’étaient de grands boursourds… Il y a un budget pour que, d’ici un ou
aide à la prospérité de la ville. Mais il arrive aussi
geois qui avaient ces maisons, mais après, faute
avec ses défauts. Il a envie de s’amuser, cela aboudeux ans, des aides soient débloquées pour eux.
d’héritiers, elles sont tombées en ruine.
tit parfois à certaines choses répréhensibles…
Des cinémas accessibles par exemple. Je vais exiJ’ai permis à des étrangers de les racheter et de
ger des couloirs pour qu’ils circulent.
T : Quelles choses répréhensibles ?
les transformer en maisons d’hôtes. Je suis très
T. : Votre plus grande fierté en tant que maicontent que ça marche bien. Ça a sauvé l’archiO.E.J. : Un touriste dans un riad, sur la terrasse,
re ?
tecture !
La
plupart
des
acheteurs
sont
des
Franil bronze tout nu, ça ne choque pas l’Européen,
çais plus quelques Anglais. Ils ont fait appel à des
mais ça choque le Marocain. Au Maroc, les terO.E.J. : Je suis fier d’être aux commandes de
artisans d’ici. Chacun déploie son savoir-faire et
rasses sont un lieu de communication pour les
la ville que j’aime et de pouvoir faire ce que je
fait appel aux jeunes. Puis l’entrepreneur meuble
femmes. Si quelqu’un bronze tout nu, ça gêne. Les
souhaite pour elle. ¿
le
lieu à l’ancienne. Et, quand il a fini, il embautouristes sont dans un pays qui a des mœurs difféche 4, 5, 6 personnes. Il y a environ 1 000 commis
rentes, il faut les respecter.
Alexandre Mathis
7
Itinéraire marocain
8
Atlas
Sourires de
femmes...
Dans les villages berbères de l’Atlas, les femmes ont toujours été
les garantes de leur foyer et des traditions qui rythment le Maroc.
Aujourd’hui, avec de maigres ressources et installées à des lieux de
la première ville, elles doivent mêler la vie familiale à la vie
champêtre pour apporter à leur famille ce dont elle a besoin.
Je voulais rester, mais je n’ai pas
pu, car la vie est trop chère », livret-elle. « De toute façon, je n’ai pas
le choix. »
Néanmoins, Abiba ne se plaint pas
de sa condition et son seul rêve est
d’exaucer la volonté d’Allah.
Et une autre femme de raconter comment une
petite fille est morte après s’être fait piquer par un
scorpion. « L’hôpital est trop loin », lâche-t-elle
seulement. Le plus proche est à Demnate à 1 h 30
du village. Les transports se font uniquement le
matin et difficilement.
Compagnons masculins
Dans le village, les hommes et les femmes ne se
Le rêve d’Hada, 42 ans, est tout
mélangent pas. Certains hommes refusent même
autre : « apprendre à lire et à écrique leur femme aille chercher de l’eau de peur
re ». Mais, avec onze enfants et les
qu’elle soit vue par d’autres hommes. Hada, tout en
travaux
domestiques,
elle
ne
pourra
p « Parfois, avec les hommes, cela se passe bien, d’autres fois mal.»
restant quelque peu évasive sur le sujet devant ses
sans doute jamais, « faute de temps »,
compagnons masculins, dit des relations entre les
confie-t-elle, un sourire malgré tout encore accroe village d’Ait Bllal, perché sur l’un des
femmes et les hommes qu’elles ne sont pas mauché aux lèvres.
sommets du Moyen Atlas, situé à 1 h 30 de
vaises. Elle raconte
Demnate est surtout connu pour son école
dans un grand éclat
« Il vivra si
coranique. Mais, même si on ne l’évoque pas, le
de rire : « Parfois
rôle tenu par les femmes est tout aussi important.
Dieu le veut »
cela
se passe bien,
Ce sont elles qui donnent vie à leur village, qui
Les
souhaits,
les
rêves
d’autres
fois mal.
entretiennent leur foyer avec des revenus variant
sont nombreux à être rede 10 à 100 dirhams (1 à 10 euros) par jour et par
Quand la femme
mis entre les mains d’Alfamille.
fait mal son travail,
lah. « Ici, les médicaments
son mari la punit et
« Pendant la journée, je vais chercher du bois,
sont rares, explique une
lorsque c’est l’homje cuisine, je fais la lessive, m’occupe des travaux
vieille
femme. Nos
princime qui ne travaille
des champs et j’élève mes enfants », explique une
pas bien, sa femme
paux remèdes sont le miel
femme, à demi cachée derrière la porte de sa maile punit pareilleet le beurre rance qui ont
son. Ce ne sont peut-être pas elles qui ramènent
ment… »
la totalité du salaire familial, mais tout ce qu’elles
de nombreuses vertus méfont est pour l’intérêt de leur foyer. Même leur unidicales. Après, nous nous
Malgré cette vie
que distraction, le tissage des tapis et des djellabas,
en remettons à la volonté
difficile, pleine de
sert à leurs familles. « Les pièces que je confecd’Allah... » De plus, les
labeur, ce qui rastionne seront vendues sur les souks si nous avons
semble ces femmes
femmes ne croient pas
besoin d’argent », confie ainsi Abiba, 32 ans, trois
c’est cette capacité à
totalement en la médecine
enfants.
ne jamais s’apitoyer
et certains médicaments
sur leur sort et à rane sont pas utilisés. On
«Je n’ai pas le choix»
conter simplement
compte beaucoup sur la
leur quotidien, touMariée à un ouvrier depuis qu’elle a 15 ans, elle
chance. Ainsi, une jeune
jours le sourire aux
passe son temps à s’occuper de sa famille ou à tramère de 19 ans explique :
lèvres. ¿
vailler sur les souks. « Je ne suis partie qu’une
« Mon nourrisson tousse,
seule fois de mon village, pour rendre visite à ma
il a 15 jours. Si Dieu le
p « Pendant la journée, je vais chercher du bois,
veut, il vivra. »
sœur à Casablanca. La vie est très belle là-bas.
Camille Gros
je cuisine, je fais la lessive, m’occupe des travaux
agricoles et j’élève mes enfants. »
L
Itinéraire marocain
Maroc des champs
Claire comme de l’eau
d’Ouzoud
À
la surface des rochers, coule une eau
claire et fraîche. Bienvenue à Ouzoud, à
2 heures de Demnate, par la route. Ici se
niche une superbe cascade, dissimulée aux confins
du Moyen-Atlas comme un trésor que garde jalousement le Maroc.
La vue donne le vertige d’en haut, émerveille
une fois en bas. Des trombes d’eau s’abattent sur
la roche et le touriste se retrouve spectateur de cette immensité. Pour atteindre le bas de la cascade,
des centaines de marches d’escalier sont à dévaler.
La descente est longue ; restaurants et boutiques
se multiplient le long du trajet. « Vous voulez des
souvenirs, les gazelles, demandent les marchands
postés, profitant des touristes qui passent. Une petite pause, allez, c’est fatigant le trajet. » Peu de
touristes semblent s’y arrêter. La plupart préfèrent
explorer les lieux, traverser la rivière avec l’aide
d’un passeur. Pour quelques dirhams, ces bonshommes enjoués vous font faire un petit tour de
barque, histoire d’admirer de près la chute d’eau et
de la mitrailler de photos.
Un décor, mais aussi de la vie
« Vous n’avez pas vu des singes magots par
hasard ? demande un jeune couple d’Italiens.
Parce qu’on nous a dit qu’il y en avait, mais ils
se cachent, je pense. » Effectivement, ces petites
bestioles malicieuses ne jaillissent des fourrés que
lorsqu’un visiteur bienveillant sort les cacahuètes.
Bien que ce soit mauvais pour leur santé, comme
l’explique une pancarte d’avertissement, les magots en raffolent. Ils se jettent sur la nourriture, et
se battent parfois entre eux. Ce spectacle a le don
q Des centaines de marches sont à dévaler pour atteindre le haut de la cascade d’Ouzoud
d’amuser grandement leurs cousins humanoïdes
qui pouffent de rire devant leurs pitreries.
Mais les lieux révèlent d’autres trésors. Au hasard d’une table, une vieille Berbère de 72 ans discute avec les gens. Elle s’appelle Fatma et a à peu
près autant de rides que de tatouages traditionnels.
« Je vis depuis toujours dans l’Atlas profond, mais
je viens parfois jusqu’aux cascades pour récupérer de l’argent », raconte-t-elle.
Très en forme pour son âge, elle cause en fumant du haschisch. « Avec l’argent que je récupère, j’achète du hachisch », précise-t-elle alors.
Voilà tout le contraste de ce lieu de rêve : une expédition touristique dans un lieu où la tradition se
mêle au présent. ¿
Alexandre Mathis
9
10
Itinéraire marocain
Maroc des villes
Rabat,
entre
province
et capitale
Métropole d’un peu moins
de 2 millions d’habitants,
Rabat aime cultiver les paradoxes.
C
alme et excitée, somnolente et pourtant
en perpétuel mouvement : Rabat est
tout cela à la fois. Quand on se promène dans la kasbah des oudaïas (tribu venue
du Sahara, qui s’installa dans la kasbah, alors à
l’abandon, en 1844), enclave fortifiée du XIIe
siècle, le temps semble être comme arrêté : le
blanc et le bleu des ruelles transportent le passant dans une autre époque. Pourtant, à quelques hectomètres de là, la vie bat son plein : à
l’embouchure de l’oued Bou Regreg, frontière
naturelle des deux ennemis Rabat et Salé, les
2x2 voies grouillent de voitures, les premières
marchandises attendent sur le quai d’un port
en plein essor, les pelleteuses font un vacarme
assourdissant dans le but de doter Rabat d’un
tramway, disponible en 2010. Seuls les petits
taxis conservent le souvenir du bleu des murs
de la kasbah.
Cocktail détonnant
Dans l’ombre de sa sœur Casablanca, à seulement une heure de train, Rabat est le centre
politique du royaume chérifien. Le Parlement,
sur l’artère principale, l’avenue Mohammed
V, est le théâtre quotidien de manifestations en
tous genres. Les ministères, éparpillés aux quatre coins du même quartier façon puzzle, ont
été délaissés par les manifestants, faute de résultats. Loin de là, sur l’interminable avenue du
Mechouar, le palais royal semble intouchable :
déserté par les touristes, les Rabatis mais aussi
par le roi, préférant sa résidence privée aux
abords de la capitale, le Dâr-al-Makhzen n’est
plus peuplé que par une armée de policiers.
Enfin, au-delà des forteresses, l’ambassade de
France est surveillée tel un chef d’État, dans un
quartier, l’Agdal, des plus tranquilles…
Rabat est un cocktail détonnant, entre capitale et province : des mondes diamétralement
opposés peuvent s’y côtoyer à chaque coin de
rue. Une balade à Rabat, c’est un tour du Maroc
en quelques kilomètres à peine. ¿
Alexis Hontang
p L’avenue Mohammed V, les « Champs-Elysées » de Rabat
Souriez,
vous êtes pris à Rabat
Se faire prendre en photo devant l’une des fon- mais de l’instantané. Avec l’ère du numérique, tout
taines de l’avenue Mohammed V, c’est juste- le monde a un appareil numérique, un portable ou
ment l’un des clichés phare de Rabat. Ahmed est même rien qu’un jetable. » Ahmed avoue avoir dél’un des nombreux photographes professionnels sormais moins de travail : les personnes désirant se
qui flânent autour de ces lieux,
faire prendre en photo sont plus
q Un photographe de Rabat
en attente d’un nouveau client.
rares qu’à la « bonne époque ».
S
es appareils polaroïd et
numérique au cou, Ahmed
Amzaoui a le regard qui se
perd. Devant lui, une meute de pigeons affamés est à la recherche
de la moindre miette perdue par
la foule de passants de l’avenue
Mohammed V, l’artère principale
de la capitale, joignant la médina
historique au centre moderne.
Qu’il est loin le temps où il était
demandé à chaque mariage, fête ou
réunion ! « Il n’existait alors que
peu d’appareils. On gagnait bien
notre vie, se remémore Ahmed. À
l’époque, il n’y avait qu’un laboratoire photo au Maroc, à Tétouan. Les gens devaient attendre une semaine, dix jours, pour le développement. Puis les laboratoires se sont multipliés
et le temps d’attente a rétréci. » La modernisation
est passée par là : « Les personnes veulent désor-
D’autres photographes de
l’avenue, des sexagénaires pour
la plupart, sont dans une situation similaire. Faute de moyens,
ils restent néanmoins postés là,
tentant de grappiller quelques
dirhams pour vivre. Cette baisse
d’activité, Ahmed fait avec :
« Je photographie des gens de
passage pour un souvenir, mais
aussi, et beaucoup, de personnes
de Rabat avec leur mère, petite
amie, membres de la famille…
Je touche à beaucoup de catégories. » Le capteur d’images,
qui n’hésite pas non plus à flâner
autour du mausolée Hassan II à
la recherche d’un nouveau client, facture ses photographies 10 dirhams. Une bonne façon d’immortaliser son passage à Rabat. ¿
Alexis Hontang
Itinéraire marocain
11
La fine fleur de Rabat
Mohammed est fleuriste dans une rue de Rabat uniquement
occupée par des… fleuristes. Aux Marocains friands de fleurs,
Mohammed conseille la rose de Marrakech.
I
l est une rue dans Rabat où les fleurs dominent l’asphalte, où les
émanations de bouquets multicolores parviennent à supplanter
les odeurs discrètes de la pollution. Niché à l’entrée du parc dit
du « Triangle de vue », très fréquenté par les Rabatis en quête de
tranquillité, devant les murailles multicentenaires de la médina, ce
marché aux fleurs permanent est un point incontournable pour les
couples flâneurs en quête de romantisme… Ce cadre peut sembler
sorti tout droit d’une aquarelle : à l’entrée de chaque kiosque – il y
en a une bonne quinzaine -, les couleurs de chaque bouquet se mêlent, s’unissent dans une charmante palette. Mohammed, 50 ans, est
l’un de ces commerçants qui ont pignon sur rue, avec sa boutique,
« les Fleurs de Marrakech ». Sa spécialité, ce sont les roses. De Marrakech ou d’Agadir. « Les roses de Marrakech sont plus consistantes
en leur base. C’est cela la grande différence », explique le fleuriste,
aux cheveux grisonnants, démonstration à l’appui. « J’achète les roses à un producteur marrakchi. Un bon nombre de ces roses sont
aussi exportées en Italie ou même en France. » Mais est-ce que cela
marche dans le Royaume chérifien ? « Les Marocains aiment beau-
coup les roses : pour les mariages, fêtes de famille, ou en cadeau.
J’en vends pas mal. » À des prix très variables selon la saison : des 5
dirhams de cet après-midi d’avril aux 20 dirhams des soirées amoureuses de la Saint-Valentin… ¿
Alexis Hontang
Les fous du volant
P
Les apparences peuvent être parfois trompeuses : si la circulation au Maroc s’apparente à un
souk, on y trouve de nombreuses règles que le Code de la route ne dit pas forcément…
our le touriste français fraîchement débarqué
à Marrakech, rien qu’une vue sur la circulation d’un rond-point au loin lui fait resserrer un peu plus sa ceinture de sécurité (sauf qu’au
Maroc, on ne l’utilise pas toujours) : macédoine
de toutes sortes de véhicules - du 4x4 à la charrette
tirée par un âne essoufflé -, symphonie de klaxons,
feux tricolores et priorités non respectées, des voitures dans tous les sens, quelques piétons égarés
en plein milieu de la route… « Et pourtant, il y
a peu d’accidents sur nos routes, assure Othmane
Bellout, un jeune Marrakchi, habitué des routes
du royaume. La seule grande période d’accidents,
c’est en juillet-août. Et encore, ce sont souvent des
Marocains venus de France… »
Beaucoup d’infractions,
peu d’amendes
Le sens bien marocain de relativiser… Les routes marocaines font des milliers de victimes chaque année : 3 622 en 2006, soit une hausse de 5 %
par rapport à 2005. Ces chiffres du ministère de
l’Équipement et du Transport font aussi état d’une
hausse 8 % des blessés légers et de 3 % des blessés
graves. La situation risque donc d’empirer encore
plus dans un pays où l’on recense plus de 50 000
accidents par an (en 2006, on a compté un peu
plus de 80 000 accidents en France). À y voir de
plus près, la circulation au royaume n’est pourtant
pas qu’un joyeux souk. « Il y a une grande règle
à respecter : les rapports de force. Si un piéton
veut traverser, il doit faire peur à l’automobiliste
et réciproquement », poursuit Othmane, 25 ans,
qui a obtenu son permis, comme bon nombre de
Marocains, « en deux semaines ». « D’abord, nous
payons une somme à l’auto-école puis nous passons deux tests : un oral et un autre sur la route.
C’est très facile », affirme le jeune homme. Une
sensation renforcée par le fait qu’une grande majorité d’entre eux avaient déjà une expérience au
volant auparavant…
Outre la règle d’or des rapports de force, il règne
aussi du respect sur la route : « On ne voit jamais
quelqu’un sortir de sa voiture pour aller se frotter
à un autre automobiliste. Les gens sont plutôt tranquilles au volant. » Pour les klaxons, « ce n’est pas
par agressivité, c’est pour prévenir. De plus, on
se klaxonne mutuellement ». Mais, lorsqu’il s’agit
d’éviter au dernier moment un cyclomotoriste lent
q Une façade d’auto-école, à Azrou
ou un piéton perdu, il faut toujours faire appel
« aux bons vieux réflexes marocains ». Attention,
tout de même !
Même s’il adore rouler sur les interminables lignes droites dont les côtes recèlent, le Marocain
sait que la gendarmerie veille au grain. « On retrouve beaucoup de radars mobiles. Quant aux
fixes, il n’y en a que dans la région de Casablanca
– Rabat, où de la prévention se met aussi en place. » Malgré cela, les amendes infligées aux sujets
de Mohammed VI restent rares : le bakchich passe
souvent par là… ¿
Alexis Hontang
12
Itinéraire marocain
Architecture
Casa : SOS patrimoine
en danger
Casablanca est une mine d’or
qui s’ignore : les témoignages
architecturaux du XXe siècle y
pullulent.
Un patrimoine exceptionnel
qu’essaie de préserver
l’association Casamémoire,
face à l’inévitable spéculation
foncière casablancaise.
A
lors qu’ils faisaient détruire une de ces
villas lambda si fréquentes à Casablanca,
les promoteurs ont vu défiler, devant leurs
pelleteuses, une dizaine de manifestants soucieux
de préserver cet habitat si précieux à leurs yeux.
« C’était une villa datant du XXe siècle, d’un
fameux architecte français, Marius Boyer »,
indique Laure Augereau, architecte nantaise de
33 ans. « L’opération n’a pas marché… Mais
Casamémoire a pu naître ensuite, en 1994. »
Cette association a pour but de conserver l’âme
historique casablancaise, en listant les immeubles
historiques et en tentant de les inscrire au
patrimoine marocain des monuments.
Parce que Casablanca est en proie à de perpétuelles
spéculations foncières, ces témoignages du
XXe siècle uniques en leurs genres sont menacés.
« On veut détruire ce patrimoine qui a pourtant
façonné cette ville », interpelle Luc Brochard, 33
q L’architecte française Laure Augereau
p L’ancien comptoir des fers, érigé en 1929, est l’un des nombreux exemples de cette étonnante architecture
ans, lui aussi architecte. Mais, face à ces nobles
intentions, s’est dressé un mur de mécontents :
« C’est avant tout un héritage étranger ! Jamais le
roi n’ira le défendre ! Quant au maire, il est entre
deux eaux. Les énormes enjeux immobiliers qui
sont derrière pèsent lourd », dit le professionnel.
« Un musée à ciel ouvert ! »
L’action de Casamémoire peut paraître insensée
pour le touriste ignorant. Une balade dans le
centre de la première ville du Maroc n’est pas un
émerveillement pour les yeux : les tour-opérateurs
rechignent même à envoyer leurs clients en
quête de souks colorés et de ruelles étroites dans
l’immense capitale économique du Maroc. « C’est
très différent du reste du Maroc, admet Luc
Brochard. Mais si l’on a un œil averti, Casablanca
est un musée à ciel ouvert ! »
Petite leçon d’histoire : « En 1900, Casa, ce n’était
que la médina. Il y avait alors 20 000 habitants,
explique Laure Augereau, le doigt sur une carte
écornée. À son arrivée au Maroc, le maréchal
Lyautey voulait que Casa devienne la capitale
économique du pays, car l’océan Atlantique n’était
pas aussi houleux que dans le reste du Maroc, ce
qui favorisait le commerce maritime. Il a donc
dû doter la ville de nouveaux bâtiments. Pour les
architectes, c’était un réel bonheur, car le terrain
était vierge et les contraintes moindres ! » La
métropole fut donc le théâtre d’inspirations avantgardistes d’architectes européens. « Il y avait des
projets de parkings souterrains, d’ascenseurs, de
boîtes aux lettres ! », raconte Laure Augereau.
Pour le colonisateur français, Casa était aussi
un gigantesque champ d’expérimentation : « Le
permis de construire a été testé à Casablanca en
1915. En France, la loi ne l’a rendu obligatoire
que quatre ans plus tard. »
Le permis de construire
avant la France
Un patrimoine abondant, mais pourtant quasi
invisible : repérer du premier coup d’œil des chefsd’œuvre de Marius Boyer ou d’Auguste Perret
n’est pas accessible à M. Tout le Monde, tant ces
bâtiments se fondent dans le décor. Alors parfois,
entre promoteurs aveugles et défenseurs acharnés,
la situation peut s’envenimer. Un exemple parmi
tant d’autres : l’hôtel Lincoln, racheté par des
spéculateurs, mais protégé, tombe aujourd’hui
en ruines, laissé à l’abandon. Les investisseurs
pourraient même demander à la mairie un permis
de détruire, l’hôtel étant devenu insalubre. La
guerre ne fait que commencer… ¿
Alexis Hontang
Itinéraire marocain
Capitale
Découverte
Casa,
l’incontournable
Meknès,
aux belles portes
Casablanca est le cœur
du Maroc économique
et culturel. Impossible
de l’éviter !
Q
u’il est loin le temps où Anfa était reconnue par le blanc vif d’une des rares
maisons bordant les quais, une teinte
qui marquera les marins portugais puisque ces
derniers surnommèrent Anfa, « Casablanca ».
Aujourd’hui, dès que l’on pose le pied dans cette métropole de plus de 4 millions d’habitants,
on se sent envahi par mille démons inconnus.
13
Meknès fait partie des quatre villes impériales du royaume
marocain. Située à tout juste 60 km de Fès, cette capitale aux
nombreuses portes est une merveille architecturale.
Les avenues larges et très denses en circulation rappellent volontiers une capitale européenne, le quartier Maârif avec les modernes
Twin Centers (deux tours jumelles culminant
à 115 m) et ses « jeunes cadres dynamiques »
donnent des impressions de City à Londres, les
grandes enseignes chics y ont pris leur quartier
comme à Milan ou Paris… Comme le confie
un couple d’architectes français : « à Casa, on a
tout sur place. On peut tout négocier sans avoir
à trop bouger. En plus, le business se fait en
français ». Voici Casablanca l’européenne, celle
que les Marocains préfèrent appeler « Casa »,
délaissant son nom arabe de « Dar-el-Beida ».
Mais à Casa, troisième bourse d’Afrique, la
médaille a son revers : les attentats du 16 mai
2003, faisant 45 morts et plus d’une centaine de
victimes, ont montré la face cachée de la ville.
Ses nombreux bidonvilles sont des poudrières
invisibles, cachés par d’épais murs. C’est d’ici
que les terroristes présumés proviennent, amadoués par des groupes profitant de la grande
misère ambiante. Casablanca, exemple phare
d’une métropole du Tiers-Monde, entre profusion et pénurie.
Hassan II l’a bien compris, à Casa, on voit
tout en grand. Sa mosquée, bâtie sur les cendres
d’une piscine de 500 mètres de long et 50 de
large (!), est la troisième plus grande au monde.
Elle peut accueillir plus de 25 000 fidèles. Devant la mosquée s’étend la corniche, lieu très
fréquenté des jeunes Casablancais en quête
de romantisme face aux vagues incessantes
de l’Atlantique. Et, en arrière-plan, une forêt
d’immeubles blancs redonne à Casablanca des
faux airs d’Anfa… ¿
p Près du palais royal de Meknès
A
ncienne capitale du Maroc sous le règne
de Moulay Ismaïl, Meknès est aujourd’hui
l’une des quatre villes impériales du Maroc. Considérée comme la petite sœur de Fès, située à tout juste 60 km au nord, elle a été fondée au
cinquième siècle par la tribu Zénète Meknassa, attirée par la fertilité du sol et l’abondance des eaux.
Meknès est séparée en trois quartiers. D’un côté se
trouve le cœur historique, la médina. De l’autre,
côté vallon de l’oued Boufekrane, se trouve la
nouvelle ville, le centre économique meknessi. La
nouvelle ville offre une vue imparable d’ensemble
sur la médina et ses nombreux minarets et remparts.
Son surnom de Meknès, capitale aux belles portes, prend tout son sens lorsque l’on se promène de
part et d’autre de la vieille ville. Les chefs d’œuvres de l’architecture marocaine semblent en effet
pousser à chaque coin et recoin de la cité impériale. Ville de portes, mais aussi de places, Meknès
n’a rien à envier à Marrakech et sa célèbre place
Jamaâ-El-Fna. La grande place historique el-Hedime, qui sépare la médina de la ville impériale, n’est
en effet pas moins attrayante pour les touristes que
le cœur de ville marrakchi. Calme la journée, animée le soir, c’est désormais un lieu incontournable
lorsque l’on s’aventure au cœur de la ville.
Meknès a été classée en décembre 1996 au Patrimoine Universel de l’Humanité par la commission
de l’UNESCO. Cela lui a permis de sauvegarder
son magnifique patrimoine culturel et architectural, si longtemps délaissé et si prisé des touristes
aujourd’hui. ¿
Cécile Pasquet
p On compte une vingtaine de portes à Meknès
Itinéraire marocain
14
Côte marocaine
Road-trip
marrakchi
Les Marocains aiment partir à la découverte
de leur pays. Ceux qui possèdent la voiture
et les finances profitent des fins de semaine
et des vacances pour parcourir les routes
du pays. Les Marrakchis Othmane, Moussaab
et Khalil ne font pas exception.
Essaouira, citadelle posée sur les rochers
S
amedi, 16 heures, direction Essaouira, à
176 km à l’ouest de Marrakech. Othmane,
25 ans, Moussaab, 26, et Khalil, 16 ans,
aiment s’évader de Marrakech pour jouer les touristes dans leur pays. Sur la route, on croise des
ânes et des gendarmes. Le contrôle de routine
coûte 200 dirhams au touriste, moins pour les
Marocains et rien en échange d’un service. « Le
mieux, c’est d’avoir des connaissances », confie
Othmane.
Essaouira, liberté et tolérance
Arrivés juste à temps pour le coucher du soleil, nous nous arrêtons un instant sur les hauteurs
d’Essaouira, l’ancienne Mogador, citadelle posée
sur les rochers. On aperçoit toujours les batteries
de canons qui servaient à protéger le port des pirates. Dans ce qui reste un des plus grands ports
de la côte atlantique, les pêcheurs déchargent leurs
dernières marchandises. Essaouira, la ville du vent
et des mouettes, est dorénavant la cité de la liberté,
« Horrya » en arabe. Les stands de grillades de
poissons et crustacés sur la ballade du port, les
nombreux restaurants dans la Médina, les galops
à cheval sur la plage, les concerts de jazz… Cité
d’artistes et d’artisans, Essaouira abrite chaque
année le festival « Gnaoua et musique du monde ». Descendantes d’anciens esclaves originaires
d’Afrique Noire, les confréries gnaouas sont réputées pour leur musique de transe.
La cité a eu son époque débridée mais s’est
beaucoup assagie. Essaouira n’est plus la ville
hippie où l’on venait marcher pieds nus et fumer
des joints à longueur de journée. « André Azoulay,
natif de la ville et conseiller des rois Hassan II
et Mohammed VI, a mis en ordre la ville en tentant d’enrayer le tourisme sexuel qui concernait
aussi bien les touristes nationaux qu’internationaux », explique Moussab. Mais Essaouira reste
« discrète » pour les Marrakchis qui y échappent
au qu’en-dira-t-on : « On vient à Essaouira parce
qu’ici personne ne nous connaît. On est plus libre
de nos mouvements », renchérit Othmane, un peu
mystérieux.
Mogador, avec 40 % de Juifs au début du
XIXe siècle, a toujours été tolérante. « Les Juifs se
promènent avec la kippa sans problème ici », illustre Moussaab. Ainsi, de nombreuses familles juives expatriées du Maroc viennent pour retrouver
l’héritage ou les maisons de leurs grands-parents.
pratique n’a plus court dans les grandes villes du
Maroc », explique Othmane.
Arrivés à l’entrée de la médina, nous laissons la
voiture sous la surveillance d’un gardien avant de
prendre un taxi pour rejoindre l’appartement loué
pour passer la nuit. Tout le monde passe à la douche, se fait beau et se parfume pour la virée nocturne. Dans la Médina, le dîner se compose d’une harira, la soupe traditionnelle marocaine, d’un tagine
de crevettes, de pain et évidemment de « whisky
berbère », le thé à a menthe. Un petit verre dans un
des rares bars de la ville, un deuxième à l’appartement et la soirée se termine tranquillement.
Khalil, apprécie particulièrement la prochaine
destination. En été, Oualida avec son joli petit
port se transforme en station balnéaire pour les
Marocains. Des petits bateaux de pêche peuvent
être loués pour traverser la lagune et ses parcs à
huîtres. Sur un des côtés du lac, un garde veille sur
une des résidences royales. « Le roi aime se rendre
dans cette région, car c’est un site privilégié pour
les adeptes du jet-ski », explique Othmane. Après
une baignade un peu fraîche et un bain de soleil,
nous voici à nouveau sur la route.
Safi, envoûtements et sardines
El Jadida, la portugaise
Le dimanche matin, nous prenons la route pour
la deuxième étape : Safi. La cité est réputée pour
la finesse de ses poteries. Un important complexe
industriel de transformation de phosphate, précieuse marchandise dont les trois quarts des réserves mondiales sont au Maroc, est situé à l’entrée
de la ville. « Dans cette région, il y a des endroits
où il n’y a qu’à se baisser. À cause des quantités
produites, on a dédié une ligne de chemin de fer à
leur transport. Les ingénieurs d’ici sont les mieux
payés du Maroc », assure Moussaab.
Avant le retour à Marrakech, l’itinéraire prévoit
une pause à El Jadida, la ville portugaise. El Jadida (la nouvelle) est située à 100 km de Casa :
« C’est la résidence de ceux qui travaillent à Casablanca mais préfèrent vivre au calme à une petite heure par l’autoroute », explique Moussaab.
Les maisons cossues avec jardin défilent le long
de la route. Après la visite de la citerne portugaise,
une grande salle voûtée et souterraine datant de
1514, et une dernière collation, fin de l’escapade.
Nous quittons la ville fortifiée pour retrouver aux
alentours de 21 heures la place Jamaâ-El-Fna et la
foule mêlant les touristes aux Marrakchis. ¿
La ville est également connue pour les sorcières
qui envoûteraient les hommes avec des potions.
Cette croyance est bien ancrée, à tel point que
feu le roi Hassan II n’a jamais souhaité prendre
le risque de se rendre dans la ville. Moussaab et
Othmane commentent : « Dans cette ville, il faut
se méfier des femmes. Quand les histoires d’amour
finissent mal, elles ont recourt à des potions pour
se venger. »
Mais, l’odeur des sardines, « les meilleures du
monde » selon Moussaab, rappelle qu’il est l’heure
de déjeuner. Dans le restaurant de poisson, chacun
pioche dans d’immenses plats, du poisson grillé
tout juste débarqué d’un des plus vieux ports du
Maroc. Nous voilà déjà repartis. Des hommes traversent la route en se donnant la main : « Il s’agit
de cousins ou alors d’amis de longue date. Cette
Oualida, lagune et baignade
Eddy Spann
Sans oublier sur le
Web
www.typomag.net
¿ Portraits de cités
u Azrou, générosité dans l'Atlas (E.M.)
¿ Reportages photos
u Marrakech
u Rabat
u Casablanca
u Casamémoire
u Meknès
L’homme de la Kasbah - Rabat u
15
16
Les défis du royaume
L’islam reste le pilier
d’une société dont
les repères évoluent. Le
Maroc change, mais au
rythme consenti par l’omniprésent souverain qui est à la
fois chef
temporel et
spirituel.
Tout le monde
s’accorde à dire que les
Droits de l’Homme
ont progressé dans
le Royaume, sans pour
autant atteindre encore un
niveau de référence.
Pour affronter son destin,
le Maroc peut s’appuyer sur
une société civile très
dynamique.
De nombreuses associations suppléent en effet aux
besoins dans le secteur de
la santé, de l’éducation ou
encore
de l’émigration.
Sans oublier sur le
Web
www.typomag.net
¿ Solidarité
u Un tuteur pour le Tensift (S.B.)
u L’Entraide porte bien son nom (A.H.)
u Avec Skara, Mohamed Mohache fait
revivre un quartier d’Azrou (S.B.)
u Aide-moi à Azrou, je t’aiderai à
Poitiers (S.B.)
¿ Homosexualité
u La chasse aux « pervertis sexuels »
(A.M.)
Royauté
Touche pas
à mon roi !
Mohammed VI, jeune roi au pouvoir depuis 1999, est omniprésent
dans la vie marocaine. S’il fait en apparence l’unanimité chez ses
sujets, c’est aussi parce que certaines personnes plus contestataires ont été invitées à ranger leur plume.
V
ous voulez acheter un timbre au Maroc.
Sur les nombreux journaux que le kiosque compte, Mohammed VI s’affiche en
une, inaugurant un nouveau bâtiment. Derrière le
kiosquier, un énorme portrait du jeune monarque
marocain est affiché, un sourire aux lèvres et vous
fixant attentivement. Pour payer votre timbre, le
billet de 20 dirhams que vous présentiez montre
le souverain de 44 ans au premier plan, devant son
père Hassan II et sa mosquée, à Casablanca.
Pour couronner le tout, sur le timbre, une photo de
l’héritier de la dynastie alaouite, descendant directement de la fille du prophète Mahomet. Où que
vous soyez au Royaume, l’ombre de Mohammed
VI vous suivra. Mais que
pensent réellement les Marocains de leur « malik » ?
« Un roi qui fait
bouger notre pays »
photo de lui en une. « On le voit tout le temps à
la télévision, c’est vrai », acquiesce Abdellatif.
« Ses discours, lors des fêtes, sont aussi très suivis », avoue Abdellah. Une presse qui savoure une
liberté d’expression retrouvée, après les années de
plomb du règne d’Hassan II (1961-1999) : « Parler en mal du roi dans la rue sous Hassan, c’était
un suicide », se remémore Sophia.
Des journaux
détruits
Il existe quelques nostalgiques du père de Mohammed VI, qui trouvent aujourd’hui le Maroc trop libéré, sans ordre ni loi, trop occidentalisé. « Avoir
des étrangers dans
nos rues, c’est bien,
mais désormais, il
y a beaucoup de
trafic de drogues
qui n’existait pas
avant », regrette
Abdellatif. « La vie
est aussi plus chère, les prix montent
tous les jours… »
« C’est un bon roi », reviendra dans toutes les bouches.
Pour Abdellatif, 48 ans,
À en croire les Mar«c’est un roi qui fait bourakchis, personne
ger notre pays et qui fait des
n’est meilleur que
gestes envers les pauvres. Il
le roi. En 2007,
va dans les grandes et petipourtant, le jourtes villes, dans la campagne.
naliste
MoustaIl peut faire le tour du Mapha Hurmatallah
roc en une semaine ! » Braa été condamné à
him, 64 ans, qui l’a déjà vu
56 jours de prison
plusieurs fois à Marrakech
pour un article sur
pense qu’« il est conscient
l’armée, le quotide ses responsabilités et
dien le plus lu du
profondément démocrate et
Royaume, Al-Mashonnête ». Enfin, pour Absae, a été condamdellah, 28 ans, qui n’hésite
né à une amende
pas à orner sa boutique d’un
record de 6 milcadre doré de Sa Majesté :
lions de dirhams
« C’est un roi citoyen. » À p Le roi Mohamed VI
(550 000 euros) pour avoir publié un article
Marrakech, on est d’autant
sur le sujet tabou de l’homosexualité (« diffamaplus séduit que le roi passe trois ou quatre fois par
tion et injures publiques ») et 92 000 numéros des
an dans la cité millénaire pour ses loisirs.
magazines TelQuel et Nichane ont été saisis puis
Aucun Marrakchi ne peut l’éviter. Au pouvoir
détruits pour des éditos jugés trop irrespectueux
depuis le décès de son père en 1999, Mohammed
envers la personne de Mohammed VI.¿
VI, marié, deux enfants, est omniprésent dans les
médias. Pas un journal télévisé sans inauguration
royale à l’ouverture, pas un quotidien sans une
Alexis Hontang
Les défis du royaume
Quand Mohamed VI
passe, la ville se surpasse...
17
Des
sacrés
pouvoirs !
O
fficiellement, le Maroc est une monarchie
constitutionnelle.
Mais,
d’après Driss Ksikes, journaliste à
TelQuel, elle serait « constitutionnelle dans les
papiers, exécutive dans les actes et souvent absolue dans les esprits ».
Comme le roi conserve le contrôle des
principales décisions politiques en matière
de sécurité, d’affaires islamiques, de défense
et de politique extérieure, le gouvernement
ne joue souvent que le rôle d’une figuration
démocratique pour le régime. Le Roi possède
en outre divers moyens d’action sur le
Parlement. Il peut ainsi, selon l’article 27 de
la constitution, dissoudre l’une ou les deux
Chambres. L’article 28 l’autorise également
à adresser des messages au Parlement qui ne
peuvent faire l’objet d’aucun débat.
Impertinents
p Coucher de soleil sur la ville d’Azrou, à quelques heures d’une visite du roi
Azrou, Ifrane, Meknès, Moyen-Atlas, avril 2008.
Dans quelques jours, ces villes seront les hôtes du
Roi en visite. À l’intérieur des communes, Mohamed VI, du haut de ses panneaux, guette l’avancée
des travaux : on refait les peintures des signalisations au sol, on installe des banderoles de bienvenue et on dresse des drapeaux tous les quinze
mètres à l’intérieur de la ville et le long des routes
y menant.
Azrou, un journaliste local confie : « Il préférable
de se rendre au coeur de la ville pour fêter la venue du Roi. » Il ira donc, mais sans grande envie
apparente. D’autres voient son arrivée comme
quelque chose qui mobilise la population et crée
des emplois, même ponctuels. Et si d’ordinaire, le
Roi est un sujet presque tabou, lorsqu’il se déplace, c’est tout le pays qui le suit et on ne parle que
de ça dans les rues. ¿
Elsa Marchand
photo web non sourcée
A
u Maroc, l’arrivée du Roi dans une ville
est haute en couleurs. La préparation inclut la plupart des quartiers de la ville
hôte. Cependant, les avis sont partagés concernant
tous ces préparatifs.
À Meknès, un jeune habitant raconte : « Ils ramassent les sans-abri et balancent de l’insecticide
partout : même une mouche n’a pas le droit de
voler quand le Roi est là. » Le plus impressionnant reste quand même la veille de son arrivée :
les forces de l’ordre de la région sont mobilisées.
Les hôtels sont remplis de gendarmes en uniforme,
l’armée sécurise les routes sur lesquelles le Roi va
passer et semble même surveiller les derniers préparatifs comme la tonte des gazons ou le fonctionnement des fontaines.
L’article 23 de la Constitution proclame que
« la personne du Roi est inviolable et sacrée ».
« Le problème avec cette sacralité, c’est le flou
qui accompagne son interprétation », explique
Mohamed El Ghazzi, journaliste au quotidien
arabophone Alahdat Almaghribia. Sous le règne de feu Hassan II, la sacralité de la personne
du Roi était identifiée à la stabilité du Maroc
et toute atteinte était punie très sévèrement par
de l’emprisonnement. L’idée subsiste que critiquer le roi équivaut à saper son autorité.
La constitution n’a pas changé, mais Mohamed VI semble vouloir l’appliquer moins
brutalement. On peut lire des articles pour le
moins impertinents vis-à-vis du pouvoir, mais,
de temps à autre, des médias sont rappelés à
l’ordre. Une parole de trop et c’est l’amende,
la suspension voire le tribunal. La limite entre
ce qui est permis et ce qui ne l’est pas n’est pas
claire. Les sacralités sont suspendues, comme
l’épée de Damoclès, au-dessus de la tête de
chaque journaliste.
De temps à autre, le couperet, qui ne concerne pas que les journalistes, tombe. Des militants des droits de l’homme ont par exemple
été inculpés d’atteinte aux sacralités à la suite
de leur participation aux défilés du 1er mai
2007 et, en juin de la même année, la cour de
Béni Mellal a condamné l’opposant Mohamed
Bougrine, 72 ans, à un an de prison ferme pour
« atteinte aux valeurs sacrées du Royaume ».
Comme toujours avec le sacré, la question est
bien de savoir jusqu’où on peut aller… ¿
Des voitures de patrouille transportent les troupes de sécurité d’un point à un autre, se fondant
dans la masse des habitants, visiblement habitués, voire même indifférents à cette excitation. À
p Mohamed VI saluant la foule
Eddy Spann
Les défis du royaume
18
Un
royaume
plombé !
Q
uelques années après l’arrivée au pouvoir du roi Hassan II en 1962, le Maroc
connaît un virage politique. Le souverain fait en effet passer une nouvelle constitution qui lui donne un pouvoir absolu. Ces nouvelles lois sont mal acceptées par l’opposition
de gauche. Des contestations éclatent avec notamment la révolte de Casablanca en 1965. Le
29 octobre de cette même année, Mehdi Ben
Barka, chef charismatique de la gauche, est
enlevé boulevard Saint-Germain à Paris, puis
secrètement assassiné. Au nom de l’unification
du pays, Hassan II réprime.
En 1971, l’armée tente un coup d’État qui
fait plus de cent morts au palais royal d’été de
Skhirat (20 km de Rabat). Le 16 août 1972, le
général Mohamed Oufkir monte une attaque
aérienne contre l’avion du souverain alors que
celui-ci rentre d’un voyage en France. Oufkir,
selon la thèse officielle, se suicide. Hassan II,
lui, échappe à l’attentat. Au bout de trois ans,
il trouve enfin un terrain d’entente politique
avec son opposition et son armée. Néanmoins,
toutes les tentatives de dissidence sont durement sanctionnées. Ce règne de fer, qui durera
jusqu’au début des années 90, conservera le titre « d’années de plomb ».
En 2004, Mohammed VI, au pouvoir depuis
la mort de son père en 1999, crée l’Instance
Équité et Réconciliation (IER) pour faire la
lumière sur les exactions commises depuis l’indépendance et indemniser les victimes. Pendant près d’une année, l’IER examine plus de
16 800 dossiers et entend 200 victimes de la
répression des « années de plomb », réalisant
du même coup une première dans le monde
arabo-musulman : retransmettre en direct à la
télévision nationale les témoignages d’anciens
torturés. On y apprend les enlèvements, les sévices sexuels, l’atrocité des conditions de détention… Abdallah Agaou est de ces victimes.
Il témoignait dans une audition retransmise à la
télévision le 22 décembre 2004 : « Nos cellules
étaient des tombeaux. Nous étions en permanence dans l’obscurité. Nous n’avions qu’une
dalle de ciment en guise de lit, un trou creusé
dans le sol pour faire nos besoins, un seau
d’eau. »
Malgré le travail de mémoire engagé par
Mohamed VI, les débats restent aujourd’hui
encore vifs sur le nombre exact de victimes du
règne d’Hassan II. Et, si les réformes constitutionnelles de 1992 et 1996 ont assoupli le
caractère absolutiste du régime, la menace islamiste hypothèque aujourd’hui la libéralisation
totale du royaume. ¿
Alexandre Mathis
Droits de l’Homme
Avec humanité...
Khadija Ryadi est présidente de l’Association Marocaine des Droits
de l’Homme (AMDH) depuis 2007. Depuis Rabat, elle établit un
état des lieux des droits humains au Maroc.
D
epuis cinq ans qu’elle est instituée, la
Moudawana, nouveau code la famille,
est-elle appliquée et améliore-t-elle
vraiment la condition des femmes ?
Non, parce que la mentalité des juges n’a pas
changé, ils ne dépassent pas ces traditions triviales.
C’est surtout dans les régions isolées que la Moudawana est bafouée, car le mariage avec mineure
est encouragé par les parents qui
considèrent que ce sera une bouche de moins à nourrir.
La condition des femmes divorcées est aussi un frein à cette
application. En divorçant, les
femmes perdent leur couverture
sociale et n’ont pour la plupart pas
de travail donc plus les moyens
de subvenir aux besoins de leurs
enfants. Il ne suffit pas d’avoir
institué le Code de la famille, car
tant que les femmes ne seront pas
indépendantes financièrement, el- p Khadija Ryadi
les ne pourront pas divorcer.
Qu’en est-il de la condition
des enfants au Maroc ?
Des organes de presse sont condamnés à des
amendes exorbitantes pour des faits mineurs. Par
exemple, à Ksar El Kebir, la rumeur d’un faux mariage homosexuel a fait scandale et les journaux
ayant publié cette rumeur ont été condamnés à verser des sommes injustes. Il y a aussi beaucoup de
condamnations pour atteintes aux sacralités, à la
personne du roi et à l’armée.
La religion interfère donc
toujours dans la législation
marocaine ?
Oui. Nous voudrions pourtant
séparer le pouvoir politique du
pouvoir religieux, car la religion
s’immisce trop dans la justice.
L’homosexualité par exemple,
bête noire de la religion, devrait
être soustraite au pénal parce
que c’est une liberté qui relève
de la vie privée. C’est un droit
de disposer de son corps.
« Nous voudrions
séparer le pouvoir
politique du
pouvoir religieux car la
religion s’immisce
trop dans
Un bien triste constat, les mariages avec mineures et le tourisme sexuel, précisément à Marrakech, sont des fléaux. De par
leur condition économique, les
parents poussent leurs enfants à
se prostituer. On travaille alors en
collaboration avec des associations de défense des
enfants comme « Ne touche pas à mes fils » pour
juguler ces atrocités. Il y a aussi l’esclavagisme
moderne dans les grandes villes. On a vu des enfants de 7 à 15 ans travaillant de 15 à 16 heures par
jour, sans éducation ni couverture sociale ! La pauvreté augmente au Maroc et les premières victimes
en sont les femmes.
Comment analysez-vous cette pauvreté persistante ?
Dans une république, le peuple est souverain
et les décisions politiques sont aux mains du peuple alors qu’au Maroc le pouvoir est centralisé
dans les mains du roi. Le peuple n’a pas alors les
moyens de s’autodéterminer. Pour nous, la mise en
place d’une démocratie est un pilier essentiel pour
le développement.
Le développement des libertés notamment.
Depuis la fin des années de plomb, où en est-on
en matière de liberté d’expression ?
Que pense l’AMDH des mesures prises par les gouvernements sur l’immigration ?
Ces mesures sont trop dures.
Le Maroc est un point de transit des immigrés subsahariens,
algériens et maliens. Dans les
villes du Nord qui bordent le
littoral méditerranéen, Tanger
ou Tétouan, les clandestins vivent dans des conditions critiques. C’est le même
constat sur le sol espagnol. Les autorités font des
rafles arbitraires en ramenant les immigrés, par
exemple, à la frontière algérienne dans des conditions là aussi très critiques. On demande aux autorités européennes de respecter la Convention sur le
droit des immigrants.
Comment sensibiliser la jeunesse à ses
droits ?
Nous expliquons leurs droits aux jeunes marocains grâce à des programmes financés par des
ONG, dans les colonies de vacances, les événements culturels et les lycées. On a créé 300 clubs
de lycées pour les droits humains, soutenus par le
Ministère de l’Éducation, surtout dans des zones
rurales et marginalisées où la jeunesse est plus
touchée par le fléau de l’extrémisme et l’analphabétisme. ¿
Charline Poisson
www.amdh.org.ma
Les défis du royaume
19
Enfants des rues
Karima Mkika :« Aider,
ce n’est pas assister »
À 39 ans, la présidente de l’association Al Karam, Karima
Mkika, a le dynamisme d’une
jeune fille. Le sourire aux
lèvres, cette mère de quatre
enfants explique son combat
pour cette association vieille de
17 ans.
«
Depuis que je suis toute petite, je voulais
aider les gens », raconte Karima Mkika,
présidente de l’association Al Karam - la
générosité en arabe. Chaque été, elle habitait un
mois chez sa grand-mère à Casablanca. Celle-ci
logeait dans un quartier populaire où Karima était
confrontée à la pauvreté. « Ma grand-mère était
très religieuse, décrit cette femme énergique de 39
ans. Elle considérait qu’au cours du ramadan on
devait inviter à dîner des gens dans le besoin. Leur
état me choquait. »
Les premiers actes sociaux de la jeune Karima
seront des démarches charitables. « Quand mon
grand-père allait prier, je tenais son magasin,
rigole la présidente d’Al Karam. À son retour il
manquait souvent 10 dirhams. Je lui disais : « la
dame qui est venue, elle était pauvre… » »
Mais même si elle souhaite venir en aide aux
plus démunis, Karima Mkika ne veut pas en faire
son métier. Une fois son bac en poche, elle désire
devenir médecin, mais son père refuse qu’elle parte en France. Elle s’inscrit alors dans une école de
commerce avant de se rendre à Rabat pour suivre
des études de droit en français. Là, elle rencontre
son futur époux avec lequel elle se marie rapidement.
Les débuts à Safi
Le couple s’installe dans la ville côtière de Safi.
En allant, faire son marché sur le port tous les
jours, Karima croise des enfants des rues. « Un
jour, je me suis dit que ça ne pouvait plus durer,
raconte-t-elle. J’ai alors fondé Al Karam, une association destinée à aider les enfants en difficultés.
Au bout des trois premiers mois, j’ai réalisé que la
charité telle que la pratiquaient mes grands-parents ne servait à rien. » Il fallait permettre aux
enfants de voler de leurs propres ailes. « Même si
je suis pratiquante, mon action est purement humaine contrairement aux autres membres de ma
famille qui le font car le Coran l’exige », spécifie
Karima Mkika. Dix-sept ans plus tard, l’associa-
tion se porte bien et comprend plusieurs antennes,
dont une à Marrakech. Karima Mkika aimerait désormais pouvoir confier la présidence à quelqu’un
d’autre. « Mon mari m’a beaucoup aidé dans mon
entreprise, affirme-t-elle. C’est lui qui a assuré les
apports financiers, qui s’est occupé des enfants
lorsque j’étais en voyage de formation, etc. » Ce
qu’elle souhaiterait aujourd’hui, c’est léguer une
partie de ses pouvoirs tout en gardant des fonctions dans l’association. Cela lui permettrait de
consacrer plus de temps à sa famille. Dans un petit
sourire, elle conclut : « C’est à mon tour de m’occuper de mon mari… » ¿
Thibault Coudray
p Karima Mkika, une femme d’action et de solidarité.
Pauvreté extrême
Une
lumière dans les ténèbres
Être plus pauvre que pauvre ?
C’est malheureusement possible comme le prouve tristement la situation de trois habitants des montagnes de l’Atlas.
L
es milieux ruraux sont particulièrement
touchés par ce type de pauvreté que l’on
appellera pauvreté extrême. Certains endroits sont reclus, isolés et coupés de tout. Vivre
sans eau, sans électricité, sans matériel de santé,
c’est une vie très dure, mais elle peut l’être encore
plus : la situation de Mohammed et Fatima, habitants d’un petit village de montagne, le prouve
à leurs dépens. Comme beaucoup de personnes
dans les milieux ruraux, leur âge leur est inconnu,
mais leurs dos courbés prouvent qu’ils ne sont
pas de prime jeunesse.
Mohammed est handicapé de naissance, il ne
peut donc pas travailler comme les autres. Son
travail est de s’occuper des corvées des champs
et d’élever les moutons des autres, mais cela ne
rapporte que très peu d’argent. Sa femme, Fatima,
est handicapée à cause d’une piqûre d’insecte qui
l’a rendue complètement invalide il y a cinq ans.
Elle commence à remarcher depuis peu, mais a
toujours du mal à se déplacer. « Je voudrais que
ma main et mon pied puissent bouger », confiet-elle. La fatalité s’est de nouveau abattue sur ce
couple aimant il y a deux ans : de fortes averses de pluie ont fait s’effondrer leur maison. Ils
ont alors tenté de chercher de l’aide auprès de la
commune qui, pour seul dédommagement, leur
a donné… un sac de ciment ! « Ils se fichent de
nous, on n’en a pas voulu de leur sac ! » lâche
Mohammed, encore dépité. Les habitants du
village se sont alors cotisés pour reconstruire
la maison et secrètement - « pour ne pas blesser leur fierté », explique un voisin -, ils leur
apportent de l’argent pour qu’ils puissent vivre.
Dans ce même village, Fatouma raconte son histoire, tout aussi poignante. Âgée de plus de 70 ans,
elle a été gravement blessée lors d’une chute, il y
a quatre ans, ce qui lui a laissé de sévères séquelles dans le dos. « Ce n’était pas facile de m’emmener à l’hôpital, mes blessures ont eu le temps
de s’aggraver », explique-t-elle. Les malheurs
s’enchaînent quand, un an plus tard, son mari décède et la laisse seule, la vieille femme n’ayant
jamais eu d’enfants. L’année suivante, elle perd la
vue. La vieille femme est amère : « Avant, j’étais
fière… » Elle peut cependant compter sur l’aide
de ses voisins qui lui apportent chaque jour de la
nourriture et lui tiennent compagnie.
La situation de ces deux familles est misérable
et leurs cas ne sont malheureusement pas isolés.
Ce quotidien est le lot de milliers d’autres personnes au Maroc. Mais, une chose est sûre, elles peuvent faire confiance à leurs voisins, leurs
amis, leurs familles pour qu’ils les soutiennent et
prennent soin d’eux, tout en leur laissant fierté et
dignité. Telle est la solidarité au Maroc. ¿
Anabelle Bourotte
20
Les défis du royaume
Clandestins
AFVIC : soigner les migraines
de l’immigration
Nombreux sont les candidats
marocains à affronter la mort
chaque année dans le but d’une
vie plus facile en Europe.
Devant la détresse des familles
ayant perdu leurs proches au
cours de ces traversées
périlleuses, l’AFVIC l’association des Amis et
Familles des Victimes de
l’Immigration Clandestine s’est créée en 2001. Sensibiliser
les Marocains aux risques de
l’immigration clandestine et
intégrer à la vie économique les
refoulés : tel est son leitmotiv.
«
L’obligation d’avoir à forcer quelque frontière que ce pourra être, sous la poussée de
la misère, est aussi scandaleuse que les fondements de cette misère. » En empruntant les mots
de l’écrivain Édouard Glissant dans son dépliant,
l’AFVIC met d’entrée le lecteur innocent au cœur
des débats sur l’immigration. Car « franchir la
frontière est un privilège dont nul ne devrait être
privé, sous quelque raison de ce soit », toujours
selon les mots de l’auteur martiniquais.
« Nous ne disons pas aux jeunes : « Ne partez
pas ! ». Nous préférons leur dire que s’ils partent,
voici les risques auxquels ils s’exposent », explique Lætitia Graux, coordonnatrice du projet des
droits de l’Homme à l’AFVIC, bureau de Casablanca. Sur son ordinateur, les images des pateras,
ces embarcations de fortune pour clandestins en
quête d’un eldorado européen, pullulent, témoignages colorés d’une situation en alerte rouge.
Le triangle de la mort
De par sa position particulière, le Maroc est touché de plein fouet par les vagues de l’immigration
clandestine : au nord, l’Europe est à portée de rames ; au sud, quelques milliers de kilomètres n’effraient pas les candidats d’Afrique subsaharienne.
Chez les Marocains aussi, la tentation d’un avenir
meilleur est présente. « Notre ONG a son siège à
Khouribga (à 150 km au sud de Casablanca, dans
les terres). Cette ville, associée à Beni Mellal et
Fqih Ben Salah, forme le triangle de mort. C’est
une région très portée sur l’immigration, spé-
p L’AFVIC effectue de la prévention dans les salles de classe (photo AFVIC)
cialement en Italie. D’ailleurs au Maroc, chaque
région a une destination de prédilection : le nord
préfère l’Espagne ; la zone de Kenitra apprécie,
elle, l’Amérique ».
Pourtant, depuis 2005, le rêve de réussite sur
le vieux continent devient un parcours… mortel :
depuis que des caméras de surveillance ont filmé une « attaque
en force » de désespérés à Ceuta,
l’Europe a mis des barbelés à ses
« Nous
frontières.
Royaume chérifien. « Le chiffre d’immigrants
clandestins qui n’ont pu partir ou en attente de
départ augmente chaque année. Le séjour de ces
migrants devient aussi plus long. C’est pour cela
qu’il faut dès à présent tisser des liens entre les
Marocains et les Subsahariens mais aussi assurer
des papiers à ces derniers. » Une initiative qui ne
plaît pas à tous : « Certains
nous disent bravo, mais beaucoup de Marocains préfèrent
devons
que l’on s’occupe d’eux ! »
sensibiliser
les jeunes
Loin du cliché du Marocain
Ils sont déjà plus de 2 000 à
revenant au bled les poches
avoir perdu la vie en essayant
remplies d’argent, les refoulés
de traverser ce petit bout de mer
d’Europe ont aussi droit à toules séparant de Gibraltar ou des
dès maintenant
te l’attention de l’ONG : « On
Canaries… « Il faut prendre le
essaie des les réintégrer dans
pour éviter
problème à sa source. Les Marola vie socio-économique en
cains ne s’intéressent à la quesleur proposant des formations
tion de l’immigration clandesde six mois dans des domaines
tine que depuis quelques années.
où ils avaient déjà des compéd’aujourd’hui
»
C’est pour cela que nous devons
tences avant. Puis, nous nous
sensibiliser les jeunes dès mainengageons à leur trouver un
tenant, pour éviter les dérives
stage en entreprise. »
d’aujourd’hui. L’AFVIC va dans
les écoles et fait aussi le tour des médiathèques
Travailler, gagner de l’argent sans avoir à jouer
pendant un mois dans ce but-là. »
sa vie dans un embarquement de fortune : c’est
possible. Grâce à l’AFVIC, certains l’ont compris.
Réintégrer les refoulés
Les plages espagnoles n’auront peut-être bientôt
plus à être nettoyées de corps gisants venus d’AfriL’AFVIC s’intéresse aussi à un fléau méconnu,
que… ¿
conséquent à la fermeture des frontières européen-
les dérives
nes : l’accueil des migrants subsahariens dans le
Alexis Hontang
Les défis du royaume
21
Mariage
Le plus beau jour de leur vie...
Passage indispensable dans la
vie de chaque homme et
femme, au Maroc le mariage
suppose des règles particulières
et des coutumes controversées.
Mais, depuis une vingtaine
d’années, son statut évolue.
«
La famille, ici, c’est sacré ! » affirme Abdou, jeune Marocain habitué des mariages,
expliquant ainsi l’importance de cet engagement qui constitue, à travers l’union de deux
personnes, celle de deux familles. Le mariage est
donc avant tout une fête familiale, où le père de la
mariée va laisser passer sa fille sous la responsabilité de son futur mari, mais aussi une fête pour
que l’engagement soit reconnu par tout le monde.
Le respect du mariage est grand au Maroc : la virginité avant le mariage reste ainsi une condition
fortement ancrée dans les mœurs. Auparavant, le
mariage durait sept jours ; maintenant, il se fait le
plus souvent en trois.
Mariage arrangé,
mariage forcé
La première journée est celle du henné : « Les
symboles dessinés sur la peau des femmes comme
des hommes sont censés porter chance aux futurs
mariés. Le henné sert
également à éloigner
les mauvais esprits qui
voudraient empêcher
le bonheur du couple », explique Abdou.
Le deuxième jour se
déroule chez la mariée,
c’est le plus important. La journée et la
nuit sont rythmées par
les repas, les louanges
aux jeunes mariés, les
changements de costumes, les danses et les
chants. Le troisième
jour se passe chez le
marié, dans un faste un
peu moins marqué.
p Le mariage n’est pas un acte religieux. Deux notaires vérifiant les cartes d’identité et la dot suffisent.
n’est ainsi pas consacré par un imam, mais par
deux notaires, appelés laâdoul, qui vérifient les
cartes nationales des futurs époux et contrôlent la
dot que le père de la fiancée verse au mari. Le système de dot est très ancien, mais toujours obligatoire. Son minimum est de 25 centimes. « Parfois,
les familles donnent des dots énormes comme ça
les époux sont obligés de
rester ensemble pour ne
pas avoir à restituer la
dot en cas de divorce »,
confie Abdou.
Le mariage arrangé
est chose fréquente au
Maroc, mais il n’est pas
perçu comme un problème par la plupart des
Marocains. « Le mariage
ne se fait pas forcément
par amour, remarque
Abdou. C’est surtout
pour la protection de la
femme. » Que celle-ci
l’ait choisi ou non ! Si la
jeune femme n’est pas
cultivée, c’est sa famille
qui fera le choix qu’elle
Le soir venu, le majuge le plus profitable
riage sera consommé
pour elle. Il lui est donc
et les draps souillés
impossible de choisir elexposés aux invi- p Des amoureux dans les rues publiques de Casa
le-même l’homme avec
tés sous un tonlequel elle passera sa vie. Ce cas de figure est très
nerre de cris et de manifestations de joie : la
présent dans les milieux ruraux, mais il est fort
jeune fille était pure, elle a honoré sa famille.
bien accepté. Abdou n’hésite d’ailleurs pas à dé« Le mariage est plus une tradition qu’un acte
clarer que « mariage arrangé ne signifie pas forcéreligieux », déclare Abdou. Le contrat de mariage
ment mariage forcé ». Et les jeunes filles, élevées
dans le culte de l’honneur de la famille, n’osent
pas forcément réfuter le choix de leurs parents.
On retrouve aussi cette pratique du mariage
arrangé chez les gens riches qui, eux, choisissent
les alliances en fonction de leurs intérêts économiques ou pour ne pas perdre leur patrimoine. Depuis
une vingtaine d’années, une classe moyenne s’est
néanmoins créée au Maroc amenant un certain assouplissement : les gens de cette classe moyenne
choisissent eux-mêmes leurs partenaires et les
soumettent ensuite à l’approbation de la famille.
Les unions à la hausse
La Moudawana - ou code de la famille - a par
ailleurs apporté, depuis son instauration en 2001,
des changements flagrants dans le domaine du mariage. L’âge légal du mariage a été fixé à 18 ans
et la polygamie interdite, sauf dans le cas particulier où la femme est stérile et accepte le « ménage
à trois ». La polygamie et les unions de mineurs
étaient deux sources de refus du mariage qui maintenant sont peu à peu repoussées, rassérénant ainsi
les jeunes femmes. Ce genre de réformes, initiées
par Mohammed VI, sont pourtant fortement critiquées et contestées par certains fondamentalistes.
Malgré ces critiques, les bienfaits de la Moudawana sont indéniables comme en témoignent
les chiffres du Ministère de la Justice : la nouvelle
législation a entraîné une augmentation de 11,6 %
des mariages entre 2006 et 2007. Le respect des
droits et des choix semble faire souffler un vent
d’amour sur le Maroc… ¿
Anabelle Bourotte
Les défis du royaume
22
Santé
Souriez, vous êtes cariés !
« Fais attention à tes dents » :
c’est ce que l’on nous répète
depuis notre tendre enfance.
Cette phrase ne semble
pourtant pas de mise au Maroc.
Entre prestations trop onéreuses, faible nombre de dentistes
et charlatans, la santé dentaire
n’est pas au beau fixe.
A
u Maroc, la santé dentaire n’est pas une
préoccupation majeure pour les personnes
modestes comme le confirme le docteur
Abou Ankira, chirurgien-dentiste à Marrakech :
« 80 % des gens qui viennent nous voir, c’est parce qu’ils n’en peuvent plus. » La salle d’attente
concrétise ses propos : tous les clients se tiennent
la mâchoire avec une expression de douleur sur
le visage qui ferait presque regretter d’avoir des
dents. Mais les soins coûtent cher et ne sont pas
remboursés. Pour cela, il faudrait une assurance et
seulement 10 % des Marocains en ont une. Même
si les soins sont moins chers qu’en France, ils représentent un coût non négligeable par rapport au
niveau de vie des Marocains. « Eh oui, ici pas de
sécurité sociale ! », commente le docteur.
Mécaniciens dentistes
Les Marocains se tournent donc vers une solution moins coûteuse, mais risquée : les « mécaniciens dentistes », comme les appelle le docteur
Abou Ankira, ou « charlatans ». Ils seraient ainsi
plus de 10 000 à travers le Maroc. « Ces faux dentistes n’ont pas de formation, ils exercent donc
leur activité illégalement, et cela, sans avoir le
moindre ennui puisque l’État ne les contrôle pas,
L
p L’impressionnante collection de « trophées » d’un arracheur de dents sur la place Jamaâ-El-Fna
s’exclame le chirurgien professionnel. Ils ne soignent rien ! Ils ne savent qu’arracher des dents,
même quand il n’y en a pas besoin. »
La prévention, la sensibilisation et l’information sur la santé dentaire sont quasi inexistantes
dans le pays. Le chirurgien ne peut d’ailleurs citer qu’une seule action : « Il y a un programme de
sensibilisation dans une école à Casa… » Mais il
ajoute : « Peut-être parce qu’une faculté de médecine dentaire se situe juste à côté… » Un peu
léger pour un pays de 33 millions d’habitants !
Il y a deux facultés de médecine dentaire au Maroc : l’une à Casa, l’autre à Rabat. Chaque année,
170 nouveaux dentistes sortent de ces facultés, le
diplôme en poche et prêts à exercer.
« Les dentistes étrangers n’ont pas le droit
d’ouvrir de cabinet au Maroc », indique le docteur Abou Ankira, contredisant ainsi son propre
cas. Pour pouvoir exercer, « il faut être nationalisé
et obtenir l’équivalence de diplômes étrangers,
de plus en plus difficiles à décrocher ». D’origine
palestinienne, lui-même a attendu pendant des années de recevoir son autorisation d’exercer, ce précieux sésame n’étant délivré qu’au compte-gouttes
par le gouvernement. Une vingtaine de professionnels sont dans la même situation sur le territoire
marocain. Mais ce ne sont pas ces quelques paires
de mains gantées en plus qui soigneront les caries
et les rages de dents de tout un territoire ! ¿
Anabelle Bourotte
La santé marocaine n’a pas bonne mine
’Hôpital Ibn Tofail de Marrakech est un
grand complexe comprenant les services
de chirurgie, radiologie, gynécologies, qui
forment le futur personnel médical et soignant. Il
compte 409 lits, répartis dans des chambres de 4
ou 6 lits le plus généralement, les chambres individuelles ou doubles étant très peu nombreuses.
En 2007, l’hôpital a accueilli 185 557 personnes
pour des soins, dont 49 % étaient des urgences.
Pour cela, 67 médecins, 576 personnels soignants,
dont 423 infirmiers et assistants, et 13 spécialistes
sont mobilisés, à une cadence phénoménale, sans
pour autant réussir à répondre à toutes les demandes. « Nous manquons cruellement de moyens, de
personnel et travaillons dans de très mauvaises
conditions », confie un cardiologue, désolé par
l’état de l’hôpital.
De fait, les bâtiments sont vétustes, les murs se
fissurent et des débris s’amoncellent le long d’un
mur du bâtiment de radiologie. Pourtant, des entreprises sont mandatées pour gérer tout ce qui
a trait à l’hygiène, aux déchets, à l’entretien, au
gardiennage et à la restauration. Pas moins de 112
personnes extérieures exécutent ces tâches. « Pour
répondre aux demandes, un nouvel hôpital de la
Femme et de l’Enfant va être inauguré en 2010, il
ajoutera 200 lits en plus sur le secteur de Marrakech », annonce le Dr Mouhouch.
En attendant, le nombre de malades ne diminue
pas. Tant et si bien que les entrées sont contrôlées.
« Il faut l’autorisation d’un médecin ou autre personnel pour pouvoir entrer et les visiteurs n’ont
le droit de venir qu’à partir de 12 h 30 », décrit le
directeur. Même si petit à petit un système d’assurance-maladie obligatoire se met en place, 77 %
de la population n’en profitent pas. Les hôpitaux
ne peuvent faire autrement que de donner l’accès
à la santé à tout le monde. Il reste, à la santé marocaine un grand chemin, rempli d’obstacles, à parcourir pour atteindre un niveau que l’on pourrait
qualifier de convenable. ¿
Camille Gros
Les défis du royaume
Santé
Sida, « le combat
est encore lent »
L’Association de Lutte Contre
le Sida au Maroc se bat depuis
des années pour venir à bout
du VIH. Le combat est difficile,
comme partout, et le manque
de moyens ajoute des barrières
à l’engagement des bénévoles.
Une première victoire sur les
mentalités a tout de même eu
lieu durant le Sidaction.
2
548 cas de Sida ont été notifiés fin décembre 2007 au Maroc, sans compter les cas non
déclarés. « Le combat est encore lent », déclare Othman Mellouk, jeune chirurgien-dentiste
et président de l’Association de Lutte Contre le
Sida (ALCS) de Marrakech. « On agit sur trois
axes : la prévention, le soutien et la défense des
droits », explique-t-il. Au niveau de la prévention,
il existe des actions « grand public », telles que des
journées nationales ou les campagnes de presse
qui les précèdent. « Le sida est de moins en moins
tabou au Maroc. On peut coller nos affiches sans
problème, mais on ne peut pas rentrer dans les détails », nuance le jeune président.
p Un calendrier pour collecter des fonds.
lancée en décembre 2007. Durant un week-end,
des jeunes se sont investis en créant une sorte de
kermesse sur le thème du sida, pour sensibiliser les
Marocains. C’est au Cyber Park que s’est installé
ce circuit de jeu particulier, fait pour « transmettre
des messages ». « Les jeunes font évoluer le combat », ajoute le président, fier de cette action.
L’ALCS est financée par la mairie de Paris.
Elle ne reçoit qu’une maigre subvention du Ministère de la Santé marocain qui mène un combat
parallèle, « beaucoup plus consensuel », selon le
docteur Mellouk. « Finalement, c’est une force
de n’avoir pas beaucoup d’argent. Nous sommes
indépendants », commente le jeune président. Il
Un impact énorme
parle également de « partenariat compliqué » avec
L’ALCS travaille beaucoup avec la France. Il
les autres associations marocaines. « Nous, on ne
existe un partenariat avec
moralise pas les gens, on se base
Aide, Sida Info Service et
sur la science », affirme le préle Sidaction. Un Sidaction
sident marrakchi avant d’ajouter,
a d’ailleurs été organisé en
« Les
dépité : « Il y a des moments de
2005 au Maroc. Gad Elmatension via la presse et il existe
leh, humoriste français d’orifont évoluer
une théorie du complot, qui dit
gine marocaine, en a été le
que nous sommes manipulés par
»
le
parrain.
l’Occident. » Au Maroc, le pays
le plus avancé par rapport à ce
« C’était historiquement
fléau sur le continent africain,
important », avoue le jeune
les
traitements
sont
gratuits. Cependant, il reste
médecin. Pour la première fois au Maroc, une perde
nombreuses
personnes
séropositives non désonne séropositive témoignait à visage découvert.
tectées, faute de moyens. « Avant, tout le monde
« L’impact a été énorme puisque tout le monde en
était égal face à la maladie. Aujourd’hui, ceux qui
a parlé après. » Les changements de mentalité qui
meurent du sida, c’est pour des raisons économien ont découlé et les fonds récoltés par le Sidacques », soupire le président marrakchi.
tion ont permis de nombreuses avancées : un bus
jeunes
combat
de dépistage parcourant le Maroc, des centres de
dépistage anonyme et gratuit, le centre d’écoute
« Allô info Sida » et le site internet de l’ALCS,
autant d’armes contre la maladie.
Un deuxième Sidaction serait même envisageable, mais « Sidaction France ne fait que ça ; nous,
nous sommes sur le terrain aussi », explique Othman Mellouk. Une action pilote a également été
Santé
Le Croissant
a du pain
sur la planche
«
Les principes fondamentaux du Croissant rouge sont et ont toujours été : humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, désintéressement, unité
et universalité », pose Moulay Hafid Alaoui,
président du comité marrakchi de cette association de secours volontaire qui coopère avec
les pouvoirs civils, sanitaires et humanitaires
marocains. Il entretient d’étroites relations
avec les différents services du gouvernement
et a même signé des accords de coopération
avec plusieurs ministères, preuve d’une action
reconnue au plus haut niveau. « La société est
propriétaire de quinze bâtiments, douze complexes et centres de formation, huit entrepôts,
sept cliniques et services de maternité », détaille M. Alaoui.
Seul bémol, le financement. Les principales
ressources financières du CRM sont les taxes
spéciales qui représentent plus de 50 % de
l’ensemble. Les contributions de partenaires
externes, les subventions du gouvernement, les
recettes des cliniques, des centres de formation
et les dons privés correspondent, tous réunis, à
moins de 5 % des ressources. « Même si on est
conscient des buts à atteindre, on n’a pas toujours les moyens. C’est pourquoi les bénévoles
sont nos vrais piliers », confie M. Alaoui.
Tolérance et assistance mutuelle
La formation aux premiers secours est l’une
des principales activités du CRM qui recrute
par ailleurs régulièrement des donneurs de sang
parmi les volontaires du CRM et aide les centres de transfusion sanguine lors de pénuries
de sang. « Les transfusions sont gratis, mais,
parfois, on demande à un membre de la même
famille que le transfusé de donner du sang lui
aussi », avoue M. Alaoui. « Les activités du
CRM concernent également la prévention (drogues, conduites à risques…) et la société participe aux campagnes nationales organisées par
le Ministère de la Santé publique, comme celles
de prévention routière… », ajoute le président
du comité.
Et de nombreuses personnes restent mal informées. « La sexualité des jeunes est assez clandestine. Pour les parents, leurs enfants n’ont pas
de relations sexuelles », déclare le jeune docteur.
Le risque se multiplie donc, le préservatif n’étant
« pas dans les mœurs ». De quoi confirmer la nécessité de l’action de l’ALCS ! ¿
« Le Croissant cherche à transmettre des
concepts de tolérance, d’assistance mutuelle
et désintéressée, mais aussi à promouvoir la
diffusion du droit international humanitaire et
des droits de l’Homme », affirme M. Alaoui.
Le Croissant projette même de développer ces
activités, en coopération avec les organes des
Nations Unies et le gouvernement marocain.¿
Juliette Bourrigan
François Perez
23
24
Les défis du royaume
Islam
Abdelhay, imam
à 23 ans
Abdelhay est imam dans une mosquée près de la place
Jamâa-El-Fna à Marrakech. Son parcours ne ressemble pas à celui
de la majorité des imams marocains : alors que la plupart d’entre
eux ne deviennent meneur de la prière qu’après 30 ans, lui a
commencé à 20 ans. Il en a aujourd’hui 23 et est toujours étudiant.
A
bdelhay a commencé à étudier le Livre
Saint à l’âge de 14 ans dans une école coranique et, en même temps, à la mosquée
de son quartier. Il n’avait alors pas en tête de devenir imam. « Ce sont les gens qui m’ont choisi,
explique-t-il. Alors que je récitais le Coran pour
m’entraîner, à la fin de mon enseignement, devant
des musulmans, ils m’ont dit qu’ils voudraient que
je sois leur imam. » Il a accepté et s’est installé
dans la mosquée du quartier Derb Jamaâ Derb Dabachi de Marrakech.
Contrairement à certains imams, ce jeune homme n’habite pas dans la mosquée, mais reste entièrement disponible pour écouter les fidèles. Son
rôle ne se résume pas simplement à diriger la prière
cinq fois par jour, il est présent pour répondre aux
questions concernant la religion et peut aussi aider
à résoudre des problèmes plus personnels. Il se définit ainsi comme un confident et un conseiller.
« Mais l’imam n’entretient en aucun cas un lien
privilégié avec Dieu, indique-t-il. Il n’est qu’un
modèle pour la prière, car il connaît mieux le Coran que les autres croyants. »
Grâce à son savoir important de la religion musulmane, Abdelhay reçoit des garçons et des filles
à la mosquée pendant leur temps libre et leur enseigne la morale, le devoir, le respect et tous les
préceptes du Coran.
Exerçant dans un pays où l’islam est la religion
d’État, il touche un salaire de 1 750 dirhams, le
smic marocain, payé par le gouvernement, tel
un fonctionnaire. Ce jeune imam n’est pas encore marié. Mais selon des amis, il a pour projet
de le faire, quand il aura trouvé la femme idéale.
« À l’inverse des prêtres catholiques, pour un
imam, se marier, c’est préférable », affirme-t-il.
Abdelhay n’a que 23 ans et constate le modernisme
occidental qui, actuellement, touche les Marocains
de sa génération. « Étant encore étudiant, je côtoie
ces jeunes croyants qui évoluent, je ne pense pas
que ce soit mal », confie-t-il avant d’ajouter : « Enlever les apparences, soit ne plus porter l’habit
traditionnel et avoir un mode de vie plus occidental, ça ne dérange pas, mais il ne faut pas changer
les principes de la religion. » Lui porte la barbe et
est vêtu d’une djellaba… ¿
q Musulman pratiquant la prière du midi, devant un bus scolaire à Casablanca
Elsa Marchand
Touchée par un miracle, Ita
femme pieuse, d’une
quarantaine d’années, cheveux
cendrés tirés en arrière, vêtue
d’une djellaba grise est devenue une savante de l’Islam.
Elle peut, ainsi, rendre avec le
Conseil des Oulémas des
« fatwas ».
L
es oulémas sont des hommes et femmes
qui ont tous appris par cœur le Coran et
ses traductions, l’hadith - rapport des actes et paroles du prophète considérés comme des
exemples à suivre - et la sunna - recueil des faits et
propos du prophète. Ce sont des savants de l’Islam
qui, lorsqu’ils se réunissent en conseil, rendent la
« fatwa », consultation juridique ou interprétation
de la loi du Coran. Ita Abdellaoui, la quarantaine,
est l’une d’entre eux. Elle a été choisie pour son
« exemplarité » : elle agissait en bien, connaissait
tous ses textes et les communiquait avec ferveur.
Mais, avant de suivre le « chemin du bien »,
comme elle le nomme, Ita a travaillé dès l’âge de
16 ans dans le secteur du tourisme, en hôtellerie.
Elle n’avait plus de temps pour sa fille. « Je me
Les défis du royaume
Histoire
Ali ou
Abou Bakr ?
Dans chaque religion, on
trouve des variantes et
l’Islam ne fait pas exception.
Au Maroc, c’est le sunnisme
qui prédomine.
M
ahomet est le prophète de l’Islam. À
sa mort en 632, l’Islam jusqu’alors
unifié va se scinder en différentes
branches à cause d’une divergence politique :
qui va diriger la communauté des croyants en
l’absence du prophète ? Pour les chiites, Ali,
gendre de Mahomet, doit prendre le pouvoir
suivi par ses descendants. Pour les sunnites, il
faut que ce soit le plus sage et le plus méritant
des croyants, Abou Bakr, marchand à La Mecque et beau-père du prophète. Ce dernier succède finalement à Mahomet grâce à la majorité
sunnite et devient calife.
S’efforcer d’imiter
le prophète
p La fameuse mosquée Hassan II à Casablanca, la plus grande du Maroc, peut réunir jusqu’à 25 000 fidèles
Ita Abdellaoui,
une femme ouléma
« Le sunnisme est le courant majeur de l’Islam, environ 85 % des musulmans sont sunnites », déclare Mohammed, ancien Professeur
d’université, élevé dans une école coranique
de l’Atlas. Ce courant se base sur deux piliers :
« le Coran bien entendu », comme le rappelle
Mohammed, et la Sunna, ensemble des paroles
et des actions du prophète que les croyants doivent s’efforcer d’imiter. « On appelle les sunnites les gens de la sunna », explique-t-il. Ces
piliers sont les deux sources principales de la
loi islamique ou charia.
Place aux coutumes
sentais de plus en plus égoïste », commente-t-elle
sans regret pour cette période.
Sa vocation religieuse lui est venue après « un
miracle », affirme-t-elle. « J’étais enragée contre
Dieu parce que ma fille était handicapée, racontet-elle. On m’avait dit qu’elle aurait des difficultés
à marcher. Je priais toujours, espérant que son
mal s’amenuise et, un matin, elle a marché normalement. Le médecin n’en est pas revenu ! »
Et elle n’est jamais retournée voir un professionnel de santé : « Leurs pronostics sont des mensonges, ils vous donnent des produits chimiques,
ne voient que l’appât du gain et ne vous tendent jamais la main… », lâche-t-elle avec mépris. Depuis
ce « signe », elle a en revanche créé une association pour le handicap, mais « c’est pénible, car au
Maroc personne ne s’y intéresse », déplore cette
maman. En tant qu’ouléma, Ita donne régulièrement des cours de religion dans des organismes
qui accueillent des jeunes en difficultés. Toxicomanes, analphabètes, sans abris…
Autant d’individus auxquels « il faut rappeler
que Dieu existe, qu’il faut oublier son malheur
pour ne pas plonger », soutient Mme Abdellaoui
qui ajoute avec une ferveur non dissimulée : « On
oublie Dieu dans notre quotidien. Le jour, c’est
l’enfer à cause du stress qui engendre égoïsme
et narcissisme. Fanées sont les valeurs et l’Être
est mort. Mais la nuit peut devenir un paradis, un
temps de la transcendance et de la relation verticale avec l’Être éternel. » ¿
Charline Poisson
Le sunnisme se découpe lui-même en quatre
grandes écoles : le hanafisme, le malékisme, le
chaféisme, et le hanbalisme. « Ces écoles sont
unanimes sur le fondement des croyances, elles
diffèrent juste sur des questions de jurisprudence », précise Mohammed. Au Maroc, le rite
malékite est prépondérant. « C’est le plus modéré », affirme l’ancien enseignant. Cette école
a été fondée par l’imam Mâlik. Elle donne une
place importante aux coutumes, au consensus
ainsi qu’aux savants. Il ne faut cependant pas
oublier que, même si la religion musulmane est
largement majoritaire au Maroc, elle tolère et
laisse la place aux autres religions telles que le
christianisme et la religion juive. ¿
Anabelle Bourotte
25
26
Info, la conquête
L’information n’a
jamais été aussi facile d’accès
au Maroc. Avec l’arrivée au
pouvoir de Mohammed VI et
le développement progressif
des nouvelles
technologies,
les Marocains ont accès à une
information de moins en
moins contrôlée. Seuls trois
tabous n’ont pas été
repoussés : le Roi, l’armée et
le Sahara occidental,
obligeant les journaux
indépendants à faire
les funambules sur cette
ligne rouge.
Tel Quel
Vouloir être honnête peut
défrayer la chronique
Lancé en 2001 par son directeur de publication, Ahmed Réda
Benchemsi, TelQuel est l’hebdomadaire francophone le plus lu au
Maroc. Tiré à environ 25 000 exemplaires par semaine,
il est distribué dans l’intégralité du pays. Son objectif est clair :
peindre le Maroc tel qu’il est. Une tâche non sans danger.
L
a ligne éditoriale de TelQuel fait de ce
journal un ovni de la presse marocaine.
Sa volonté de représenter un Maroc « sans
complaisance » l’a poussé à aborder des sujets jusque-là tabous : la monarchie, le
Sahara occidental, la religion, le
sexe, etc. « Ces thèmes sont sensibles, explique Youssef Ziraoui,
un journaliste de la rédaction. Il
serait suicidaire d’aborder certains sujets de front. Mais il y a
l’art et la manière. On peut être
suggestif… » Tel Quel est un
projet audacieux. Il est la cible
de nombreux procès. « Notre
seule véritable ligne rouge, c’est
l’éthique », résume le reporter
marocain.
un lectorat fidèle, composé de Marocains, mais
également de MRE (Marocains expatriés), s’est
formé autour du journal. On le voit notamment
lors des procès qu’essuie l’hebdomadaire. « Il y
a souvent une forte mobilisation », informe le journaliste.
Un public assidu
A contre-courant de
l’approche officielle
Pour chacun de leurs articles, les journalistes recoupent leurs sources, donnant la
parole aux deux camps quand
il y a polémique. Ils ne veulent en aucun cas dénigrer
ou diffamer qui que ce soit.
« On n’est pas là pour lyncher, insiste Youssef Ziraoui.
Globalement, les personnes
acceptent d’être interviewées.
On arrive à parler avec à peu
près tout le monde, sauf le
« TelQuel, les gens aiment
et détestent », décrit Youssef
«
ne se prend
Ziraoui. En effet,
nombreux sont les
pas au
articles qui dérangent la bienséanmais on fait un
ce. Parfois les lecteurs reprochent
sérieux »
à l’hebdomadaire
de traiter toujours
les mêmes sujets.
« Il est vrai que l’on parle beaucoup
Roi. »
du roi, mais ce terrain glissant a
« On nous compare parfois à Marianne, déclare
été délaissé pendant des décennies,
Youssef
Ziraoui. C’est très flatteur pour nous,
rétorque le jeune journaliste. Il faut
même
s’il
n’y a pas de volonté réelle d’imiter un
rattraper le temps perdu. »
autre magazine. » Seul bémol, comme le journal
A contrario, certains sujets, appaest francophone, il ne touche qu’une petite partie
remment peu susceptibles de faire
de la population. Celle-ci n’est qu’à 50 % alphades couvertures, sont fédérateurs.
bétisée et seule une minorité de personnes lettrées
« Notamment ceux en rapport avec
connaît suffisamment le français pour le lire.
l’histoire, raconte Youssef Ziraoui.
« Nous ne serons jamais le contre-pouvoir qu’est
Les Marocains ne connaissent pas
Marianne en France, concède Youssef Ziraoui.
leur histoire. Notre approche étant
Cependant, nous nous sommes engagés dans une
à contre-courant de l’approche offivoie et, tant qu’on n’a pas mis la clé sous la porte,
cielle, elle intéresse les gens. » Ainsi,
on continuera. » ¿
On
q Youssef Ziraoui de TelQuel
Si TelQuel parvient à tirer
son épingle du jeu, c’est grâce
à « son talent », justifie en rigolant Youssef Ziraoui. « Le
traitement que fait TelQuel des
sujets est un travail de qualité,
affirme le journaliste. Les résultats suivent. Ce n’est pas
donné à tout le monde d’avoir
un tirage de 25 000 exemplaires ! »
sérieux
travail
Thibault Coudray
Info, la conquête
27
Presse féminine
Un colon de la mode
Claude Vieillard fait partie de ces nombreux Français venus réaliser le rêve américain
sous le soleil de Marrakech. Ex-journaliste pour la presse nocturne de Paris,
il est désormais rédacteur en chef de deux magazines marocains.
T
out commence en 2000. « À cette époque, je travaillais pour la presse nocturne
de Paris [magazines gratuits distribués
dans les bars, les discothèques], raconte Claude
Vieillard, rédacteur en chef de Femmes de Prestige et de Maroc Prestige. Je ne profitais plus de
mes journées. Je me suis donc dit : quitte à tout
quitter, autant partir à l’étranger. » Le Maroc est
alors apparu comme une alternative alléchante :
un temps radieux, des perspectives économiques
intéressantes… De plus, le pays appartient à la
francophonie. « Marrakech est une ville agréable,
déclare Claude Vieillard avec enthousiasme. Elle
n’est pas très grande, il est facile de se repérer, de
se nourrir, de se loger. »
Une fois installé, Claude Vieillard écrit un guide
sur Marrakech. « Je me suis tourné vers l’aspect
q Femme de Prestige est tiré à 25 000 exemplaires
le plus facile, explique-t-il. La ville est extrêmement touristique. » Cinq ans plus tard, il
fonde Maroc Prestige, un bimestriel consacré
à la décoration. « Nous avions des périodes
assez creuses entre chaque parution, avoue
le Marrakchi français. L’idée nous est venue
de lancer à contretemps un autre bimestriel
qui n’entrerait pas en concurrence avec Maroc Prestige. » Ainsi est née la revue féminine Femmes de Prestige.
Importer la mode
internationale
Maroc Prestige et Femmes de Prestige
sont respectivement tirés à 35 000 et 25 000
exemplaires. « La décoration est un gros
marché au Maroc », fait remarquer Claude
Vieillard. Maroc Prestige se heurte donc à
une sévère concurrence. « Pour nous démarquer, nous avons orienté notre
magazine plutôt sur le luxe, décrit
le rédacteur en chef. Nous nous
adressons à des catégories socioprofessionnelles assez aisées. »
Cependant, le public est plus
large. « En nous lisant, les gens
cherchent surtout des idées qu’ils
font imiter par de petits artisans. »
La ligne éditoriale de Femmes de
Prestige est la même que celle de son
prédécesseur. « La seule véritable différence réside dans l’approche des sujets, souligne Claude Vieillard. Avec ce
magazine, nous avons voulu importer
la mode européenne. Nous nous distinguons ainsi des magazines féminins
traditionnels qui présentent les défilés de caftans. » Cette exportation de
l’Occident est permise par l’existence
de deux modes au Maroc : la mode
internationale extrêmement présente
dans les grandes de villes et la mode
traditionnelle basée dans les zones plus
reculées.
Du luxe,
mais à petits prix
Si les deux magazines traitent de
produits luxueux, leur prix ne s’en
ressent pas pour autant. Femmes de
Prestige ne coûte que 15 dirhams (soit
moins de 1,50 €). « Notre magazine est
financé à 80 % par les annonceurs publicitaires,
informe l’expatrié français. Une partie de la revue
est d’ailleurs gratuite afin qu’elle attire le lectorat
exigé par les annonceurs. Les ventes ne sont qu’un
petit plus. » Mais c’est là que le bât blesse : « Au
départ, je désirais lancer un magazine pour homme, avoue, rêveur, Claude Vieillard. Mais aucun
annonceur n’est prêt à se lancer dans cette aventure, car les hommes marocains s’intéressent peu
à la mode. Mais je ne désespère pas de réaliser un
jour ce projet. Il faut juste attendre que les mentalités changent. » ¿
Thibault Coudray
Sans oublier sur le
Web
www.typomag.net
¿ Pensées de journalistes
u Pluralisme : « Une culture en cours
d’acquisition » (T.C.)
u Rachid Sebbahi : « Je suis un homme
de radio ! » (F.P.)
u La victoire des communicants (T.C.)
Info, la conquête
28
Audiovisuel
Vers la libéralisation
« Nous n’exerçons pas une activité
de censure », déclare Talaa Assoud Alatlassi,
directeur du Département Suivi des
Programmes de la Haute Autorité de la
Communication Audiovisuelle.
Cette institution est le fruit d’un décret du roi
exigeant la création d’une autorité neutre
et impartiale pour accompagner
le développement des radios et télévisions
privées et garantir la pluralité.
Portrait d’un paysage audiovisuel
en pleine mutation.
«
Nous agissons toujours en amont », affirme
Talaa Assoud Atlassi, directeur du Département Suivi des Programmes de la HACA
(Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle). Son institution fixe les règles à respecter
en matière de protection de l’enfance, d’image de
la femme et de pluralisme. « Si un support enfreint
les décisions, nous lui adressons une recommandation, décrit l’ancien journaliste. Mais en aucun
cas nous ne censurons le programme avant sa diffusion. » L’attribution des licences est la seconde
fonction de la HACA. Pour espérer décrocher une
licence, les particuliers doivent présenter la preuve
que leur projet est économiquement viable, mais
aussi faire preuve d’originalité et avoir une ligne
éditoriale qui ne fasse pas doublon avec un autre
support.
La fin d’un monopole étatique
Avec le Dahir nº 1-02-212, Le Roi a mis fin
en 2004 au monopole étatique dans le secteur de
l’audiovisuel ouvrant les ondes hertziennes aux radios et télévisions privées. « Il reste encore un pôle
public regroupant deux chaînes de télévision (TVM
et 2M) et trois radios (la radio nationale en arabe,
radio inter en français et radio amazir en langue
berbère), informe Chafik Laabi, responsable de
l’Unité Pluralisme du Département Suivi des Programmes. Actuellement, il dépend du ministère des
Finances, mais nous espérons que, d’ici dix ans, il
soit autonome grâce à la publicité. »
Financées par l’argent du contribuable, les
chaînes de ce pôle ont l’obligation de diffuser les
messages d’intérêt public, mais aussi de couvrir
les actions menées par le Roi et le gouvernement.
Du côté du privé, nombreux sont les prétendants
à la conquête d’un paysage audiovisuel pratiquement vierge. « Il y a eu une première vague d’acquisition de licences, raconte Chafik Laabi. Une
deuxième devrait bientôt suivre. »
Ce sont principalement des licences pour
de grosses radios locales presque régionales.
p Chafik Laabi et Talaa Assoud Atlassi de la HACA
Deux nouvelles chaînes télévisées ont également
vu le jour : Araber, à but éducatif, et une télévision
satellitaire généraliste. « Les gens se sentent plus
aptes à témoigner auprès de ces radios de proximité, décrit Chafik Laabi. Les tabous ont ainsi été
repoussés. On parle de sexe, d’homosexualité,
etc. Parfois, nous avons été obligés d’intervenir
parce qu’il y a eu des dérapages, mais jamais à
cause du sujet. » Le secteur télévisé, lui, est encore
assez « jeune ». Peu de téléfilms sont réalisés au
Maroc ; la plupart sont importés d’Égypte. Il en
est de même pour les séries qui viennent toutes de
l’étranger. Cependant, la télévision marocaine se
démarque par une émission où un concours a lieu
entre plusieurs mariages, le plus réussi étant payé
par la chaîne. « Nous n’avons pas encore d’émissions de téléréalité, rigole Chafik Laabi. Mais qui
sait ? Un jour peut-être… » ¿
Thibault Coudray
Moins de censure, plus de procès
L
e Maroc a connu une libéralisation au
niveau de la presse avec l’arrivée de Mohammed VI sur le trône. Cependant, la vie
est loin d’être rose pour les journalistes de l’ancien protectorat français qui reste classé par Reporters Sans Frontières comme une zone difficile
pour la liberté de la presse.
« Certaines personnes prétendent que la situation de la presse ne s’est pas améliorée quand
Mohammed VI a succédé à son père, remarque
Youssef Ziraoui, journaliste à TelQuel. Ils pensent même qu’elle a empiré, car les journaux
sont la cible de procès de plus en plus nombreux.
Leur raisonnement est totalement faussé. Si la
presse essuie tant de condamnation, c’est avant
tout parce qu’elle traite de sujets qui n’étaient jamais abordés sous Hassan II tellement la censure
était forte. » Ce contrôle permanent se reflétait
d’ailleurs dans le comportement général de la
population. « Les personnes avaient peur durant
le règne de Hassan II, confirme Tarik journaliste
à emarrakech.info. On parlait tout bas pour ne
pas être entendu. » « En fait, il y a trois sujets
véritablement tabous au Maroc : le roi, l’armée
et le Sahara occidental, énumère Sammy Ketz,
directeur de l’AFP Maroc. Les deux premiers sont
tellement opaques qu’il n’est pas vraiment utile
de les traiter. C’est souvent de la troisième voire
quatrième main. Quant au Sahara occidental, on
peut le couvrir, mais il faut être extrêmement précautionneux. Chaque mot est explosif. »
« La liberté de parole a incontestablement progressé, cependant les acquis restent précaires,
avertit Youssef Ziraoui. L’été dernier, par exemple, la police a investi l’imprimerie pour se saisir
du numéro de TelQuel qui allait sortir. Il contenait
un édito de notre directeur de publication, Ahmed
Réda Benchemsi, critiquant le roi. Ce genre de
perte sèche est difficile à surmonter. Parfois également, les journaux doivent payer des amendes
exorbitantes qui peuvent induire la faillite de
la société. C’est le cas pour nos confrères d’El
massa qui doivent régler 600 000 € pour avoir
divulgué une information fausse, selon les autorités, dans l’affaire Ksar el Kebir [Une chasse à
l’homosexuel s’est organisée dans cette ville de
100 00 habitants le 21 novembre 2007 suite à une
fête privée où certains suspectaient des mariages
homosexuels]. Nous ne sommes donc pas à l’abri
d’une poussée de fièvre. » ¿
T.C.
Info, la conquête
Radio
Une émission pour les jeunes
et par les jeunes
Tous les dimanches matin, la radio régionale de Marrakech est le siège d’un étrange spectacle : ses
locaux sont envahis par une horde de jeunes à la conquête de l’émission 10-20, animée par Hassan
Benmansour, célèbre poète et animateur marrakchi surnommé « la voix de Marrakech »
L
’émission 10-20,
émise par la radio
régionale de Marrakech, tire son titre de son
public : elle est destinée à
une tranche d’âge allant de
10 à 20 ans. Mais son créateur et principal animateur,
Hassan Benmansour, poursuit un objectif bien plus
ambitieux qu’une simple émission s’adressant
aux jeunes : il désire leur
donner la parole dans une
émission qu’ils construisent eux-mêmes.
Le fonctionnement est
simple : un thème est défini
une semaine avant l’enregistrement. Tous les jeunes
peuvent ensuite intervenir
dans l’émission comme ils
le souhaitent et les animateurs sont eux-mêmes des
étudiants. « Hassan Benmansour est quelqu’un de
très sociable, décrit Aznail
Mounir, étudiant en droit p Avec l’émission 10-20, « les jeunes ont trouvé un moyen de s’exprimer »
et animateur des premièest vraiment extraordinaire, s’exclame avec enres heures. Il sait parler aux gens et les mettre en
thousiasme une jeune animatrice. Tout le monde
confiance pour qu’ils parlent à leur tour. Grâce
est jovial. On peut piquer un fou rire à l’antenne
à lui, les jeunes ont trouvé un moyen de s’exprisans que cela ait d’impormer. »
tance ! » Cette atmosphère
Et quand le public ne peut veinimitable est une des rainir à la radio, la radio vient à lui.
«
peut piquer sons du succès de l’émis« Des correspondants se sont, par
sion. « On peut le voir avec
à
un fou
exemple, rendus à l’orphelinat afin
les « anciens », informe la
que les enfants puissent participer
dynamique présentatrice.
l’
à une émission, raconte l’étudiant.
Ils sont désormais sur le
C’était très poignant ! »
marché du travail, mais resans que cela ait
viennent de temps en temps
Dès l’entrée dans le studio,
» nous dire bonjour. » Cerl’atmosphère a quelque chose d’
tains doivent d’ailleurs leur
d’unique. Le public, hétéroclite,
réussite à l’émission qui les
est réparti de manière anarchique
a fait connaître. « Ici on rencontre beaucoup de
sur une cinquantaine de chaises et quelques capersonnes, explique Aznail Mounir. C’est très utinapés poussiéreux. Malgré le désordre apparent,
le pour ses études. » La jeune présentatrice conclut
l’émission se déroule de manière fluide. Les interen souriant : « Désormais, je ne bronche plus
venants, dont la moyenne d’âge doit avoisiner 12
lorsqu’il s’agit de se lever tôt le dimanche. » ¿
ans, se succèdent sur le plateau. Des sketches en
arabe succèdent à des poèmes en français, avant
Thibault Coudray
de laisser place à des musiciens… « L’ambiance
On
rire
antenne
importance
p Au micro, prises de position comme poèmes
29
30
Info, la conquête
Information et Internet
Blogosphère
Tarik Essaadi,
roi de l’e-Maroc
Un espace
de liberté
à surveiller ?
Tarik Essaadi est un pionnier du web au Maroc. Journaliste,
il a fondé « emarrakech.info », le premier portail d’actualité de la
ville ocre. Enthousiasmé par les possibilités de communication
offertes par internet, il n’a pas fait fortune mais est devenu
un acteur incontournable du développement
de l’information en ligne au Maroc.
A
ujourd’hui à la tête du premier magazine
électronique d’actualité
de la ville de Marrakech,
« emarrakech.info », Tarik Essaadi est passionné par Internet depuis son enfance : « À l’époque,
l’accès était limité mais c’était
une sorte d’eldorado. On pouvait contacter des gens, communiquer… » Autodidacte, il crée
la première liste de diffusion au
Maroc et conçoit la première page
consacrée aux nouvelles technologies dans le journal arabophone
« Al Ahdath al maghribya » (Les
évènements marocains).
p Tarik Esaadi
uniques par jour : « Au début, la plupart venaient
de l’étranger mais maintenant
c’est le Maroc qui, avec 40%
des visites, est la première
source. » Les possibilités offertes aux lecteurs de réagir et de
participer dans les forums de
discussions ont fini par faire le
succès d’« emarrakech.info ».
Fort de ce succès et en s’appuyant sur la diffusion des
connexions internet à haut débit dans le pays, le couple marrakchi lance de nouveaux sites.
Parmi tant d’autres, « Marrakech news » se consacre exclusivement à Marrakech, « li« Nous avons été le
Le bonheur
mage.info » traite des médias et
premier couple de la liberté de la presse et « Viau cybercafé
vre Femme » est dédié à la gent
marocain à adopter
Signe du destin, c’est dans
féminine. Tarik se retrouve à la
le télétravail . »
un cybercafé, que Tarik Essaadi
tête de « Point Info », le premier
rencontre Itimat Douitassane,
groupe de presse électronique
son épouse : « En 1996, le prix
au Maroc et réalise à l’occasion
de l’heure de connexion était élevé. Comme nous
les versions électroniques de journaux existant
nous y croisions souvent, ma future femme et moi
comme « Jardins du Maroc ».
avions décidé de partager la facture. » Ensemble,
par passion, ils fondent le site d’information locale
Pour la liberté d’expression
« Prana News », en 2000 : « Nous avons constaté
que les gens nous prenaient au sérieux, qu’il y a
Adepte des blogs, Tarik reçoit en 2005 le prix
avait une grande soif d’information, surtout en
du « Meilleur blog africain pour la liberté d’exprovenance des Marocains de l’étranger. » Tarik
pression », décerné par Reporters sans Frontières.
et Itimat, encore étudiants, décident l’année suiSon blog en arabe, « e-mouaten.com » (e-citoyen)
vante de lancer un portail plus professionnel qui
a reçu également des prix nationaux.
sera « emarrakech.info ».
Journaliste, il arbore fièrement sa carte de presLes trois premières années, le site ne rapporte
se : « 4 ou 5 médias électroniques en sont dotés.
rien : « Pour vivre nous faisions des piges. C’est
C’est un cas unique au Maghreb. » Par contre, les
ainsi que nous avons été le premier couple maromêmes médias ne bénéficient d’aucune aide financain à adopter le télétravail. » Après trois ans de
cière car la loi qui finance la presse s’intitule « cotraitement de l’information locale, la fréquentamité de soutien de la presse écrite ». Cela ne l’a
tion du site stagne : « L’accès internet était encore
pas empêché de lancer fin 2007, le petit dernier de
cher dans les cybercafés : 100 dirhams de l’heure.
la famille, « Al-khabar.info », un portail d’inforPuis il a baissé à 60 puis à 30 pour être maintemation en arabe. ¿
nant à 4 dirhams de l’heure. »
Eddy Spann
www.emarrakech.info
En 2006, nouvelle étape, le site passe à une couwww.marrakechnews.net/
verture nationale et atteint environ 20 000 visites
Contraction de blogosphère
marocaine, le terme
« blogoma » désigne, depuis
2004, le groupe naissant des
blogueurs. En 2008, les
« Maroc Blog Awards’08 »,
première consécration
nationale, récompensent la
communauté considérée
comme une des plus
dynamiques du Maghreb.
I
nternet et les blogs ont-ils ouvert au Maroc des
espaces de liberté ? Oui, affirme le blog vétéran
Larbi.org, lauréat des Maroc Blog Awards’08 :
« C’est une vraie révolution, car chacun y va librement de son commentaire sur des sujets aussi
sensibles que la monarchie, l’islam, le Sahara. »
Tarik Essaadi, fondateur de « blog.ma », la
première plateforme de blog gratuite du pays
relativise : « L’importance des blogs au Maroc est un phénomène statistique. Il y a eu
un mouvement, mais pas de continuité. »
Les blogs critiques vis-à-vis des autorités seraient
surtout le fait des expatriés : « Au Maroc, les gens
ont du mal à exprimer leur individualité. Il n’y a
pas de parole engagée. »
q Des blogueurs se retrouvent au cyberparc
de Marrakech
Info, la conquête
Tarik Essaadi regrette qu’on ne saisisse pas
mieux les opportunités du web au Maroc : « Il y a
un accès de plus en plus répandu à internet, mais
l’utilisation se réduit au chat et au téléchargement.
70 % des internautes marocains n’ont jamais utilisé le navigateur web. » Selon lui, il existe un vrai
défaut de formation qui arrange bien les autorités : « On donne l’illusion de la liberté en donnant accès à internet, mais vous trouvez des gens
qui ne touchent pas au clavier avant la licence. »
Confiant, il compte néanmoins sur la pression de
la mondialisation qui devrait pousser la nouvelle
génération à s’y mettre : « Cela va être excitant de
surveiller l’évolution. »
Mais les autorités évoluent également. Si au
début, elles ne prêtaient pas attention à Internet,
selon Tarik Essaadi, les choses ont changé à cause
de la forte présence de sites islamistes. Internet
serait devenu un territoire à surveiller. Le journaliste, jamais inquiété sur « emarrakech.info »,
constate une plus grande liberté de parole sur internet : « Sur mon site, je peux laisser des commentaires d’islamistes ou du front Polisario. »
Mais il nuance immédiatement en expliquant qu’il
veille à maintenir la liberté d’expression au plus
haut tout en évitant de toucher au pouvoir. Certaines affaires rappellent en effet que ce dernier reste
chatouilleux. Rabat n’a pas hésité à bloquer pendant six jours l’accès à « Youtube » où circulaient
des vidéos insultant le roi. Même traitement pour
« Live Journal », une plate-forme étrangère qui hébergeait des blogs pro-Polisario. En février 2008,
Fouad Mourtada, accusé d’usurpation d’identité
après avoir créé un faux profil sur le réseau social
Facebook, au nom du frère du roi Mohammed VI,
a été condamné à trois ans de prison ferme. Après
43 jours d’incarcération, il a finalement bénéficié
d’une grâce royale, mais le fait que sa libération
ne soit pas due à un verdict équitable rendu par
un tribunal restera, c’est certain, dans l’esprit des
internautes marocains.
E.S.
31
Nouvelles technologies
Le web tisse sa toile
jusque dans les parcs
Unique dans le monde arabe, le cyberparc Arsat Moulay
Abdessalam propose le wi-fi et des bornes internet pour…
zéro dirham. Ce parc marrakchi, géré par un organisme privé,
Maroc Telecom, risque bien de faire des envieux et des petits !
q Un concept unique dans le monde arabe, Internet en plein air
L
e parc de l’avenue Mohammed V, entre la
Koutoubia et le Guéliz, ressemble au premier coup d’œil à tout autre jardin de Marrakech : arbres fleuris, pelouses impeccablement
tondues, herbe verte, allées propres et fréquentées
par de nombreuses familles marocaines… Sauf
qu’à y regarder de plus près, des bornes internet
fleurissent aux carrefours des allées, le wi-fi accompagne chaque banc, un cyberpoint fait office
de lieu de rencontre et les allées portent le nom
de multinationales. Le parc Arsat Moulay Abdessalam est bien unique en son genre.
Créé en 2005 sur les cendres d’un jardin du
XIXe siècle délabré malgré le succès populaire, ce
cyberparc est la propriété, et c’est une exception
à Marrakech, d’un organisme privé : l’opérateur
Maroc Telecom, privatisé en 2004 et leader marocain des télécommunications. « C’est Maroc Telecom qui prend en charge toutes les dépenses pour
Internet et même le jardinage », explique Lassi
Nourredine, 45 ans, directeur du parc.
« Une stratégie citoyenne »
« L’idée est née dans le cadre d’une stratégie
citoyenne. Maroc Telecom est une entreprise qui
se veut proche des gens, poursuit-il. Le côté Inter-
net correspond aux domaines d’activité de Maroc
Telecom et le côté environnemental vient du fait
que l’entreprise appartient à Vivendi (NDLR Multinationale spécialisée dans les collectivités territoriales). » Ce concept, unique dans le monde
arabe, crée un véritable engouement. Un libre
accès à Internet, agrémenté d’une gratuité totale,
c’est la recette magique qui attire tant de Marocains : « C’est une initiative extraordinaire »,
continue Lassi Nourredine, entre deux coups de fil
manqués. Même quelques Européens en pâlissent d’envie.
« Il y a beaucoup de Français qui me disent « on
n’a pas cela chez nous !» », rigole Abdelhakim,
contrôleur au parc, avant d’ajouter que « grâce à
son succès, il n’y a presque plus de détérioration
de matériel. Les gens ont pris conscience que le
parc est vraiment quelque chose d’important ».
Le maire de Marrakech, Omar El Jazouli, qui
possède une vue imprenable sur le cyberparc de
son bureau, devant ce succès, veut désormais « que
tous les parcs de la ville soient dotés de wi-fi. Tous
les étudiants pourront s’asseoir sur un banc et se
connecter à Internet de leur ordinateur. Et c’est la
ville qui paye ! » ¿
Alexis Hontang
32
États d’art
De la littérature à la
musique en passant
par les arts picturaux et
le cinéma, le Maroc
est une véritable ruche
fourmillant de mots, de
couleurs et de sons où les
arts traditionnels
et contemporains
se côtoient en parfaite
harmonie pour donner
naissance à des saveurs
uniques.
Sans oublier sur le
Web
www.typomag.net
u Yassin Adran, poète avant tout (C.G.)
u Ahmed Tandjaoui, bouillon de culture (F.P.)
u Groupe rock Hoba Spirit (T.C.)
u Heureux qui comme Nabil (A.H.)
u Portrait sur toile (A.M.)
u Le revers du CD (A.H)
u Le fabuleux destin de Mohamed (C.P.)
u Calligraphe contemporain (E.S.)
Poésie
Rachid Mansoum :
fils de Marrakech !
Auteur et traducteur, Rachid Mansoum a deux passions : la poésie
et Marrakech. Des amours qui sont le fruit d’une intense réflexion
sur la vie. Portrait.
«
Marrakech n’est pas simplement une ville.
C’est un poème, un magnifique poème, traduit en plusieurs langues : ses odeurs, son
architecture, son mystère, son côté insaisissable,
son ombre. Je suis né à l’intérieur d’un poème. »
Poète, traducteur, Rachid Mansoum ne s’est que
laissé emporter par les flots lyriques de sa ville,
en toute modestie. « Il est impossible de ne pas
être poète quand on vit à Marrakech ! C’est ma
demeure poétique. »
« Ce Marrakech-là est en moi »
À 33 ans, le poète compte trois recueils à son nom.
« Le premier est en arabe, ma langue maternelle,
et les deux autres sont en français, la langue que
j’aime. »
La recherche poétique et intellectuelle est perpétuelle chez Rachid Mansoum. Dans son premier
recueil, intitulé « Que la paix soit sur vous, ô sommeilleurs ! », publié en 2005, il compare la poésie
Entre deux réflexions, l’auteur aime partir en
éclats de rire et son sourire est en permanence
sur ses lèvres. Heureux de vivre, heureux d’habiter à Marrakech. « Ma ville est mystérieuse. Elle
est comme un papillon incapturable que tu veux
t’approprier. Marrakech, c’est mon âme, une âme
qui ressemble à un oiseau multicolore que je veux
capturer un jour ».
au papillon. « Le papillon est une métamorphose
Et quand, les bétonnières menacent au loin de
défigurer la ville millénaire, il lance convaincu :
« Le Marrakech de ma jeunesse, je le garde dans
les petites ruelles où j’ai grandi, dans l’odeur
du pain qui cuit dans le four, dans les hammams
et les jeux quand on courait dans les cimetières
pour jeter des pierres. Ce Marrakech-là est en
moi, je me déplace avec. Il est dans mon esprit,
dans mon imaginaire, il se glisse même dans mes
poèmes. Marrakech est partout : dans les formes
de la nature, les papillons, les poissons, les virgules, les points, les espaces vides. Un jour, ma ville
me conduira à la folie, comme la poésie. »
me le papillon. Un deuil pour se régénérer. » Il se
Si la cité marrakchie l’a poussé vers la plume,
c’était à lui, détenteur d’une licence en littérature
et en langue française, de franchir le pas. « La
poésie est pour moi un paon de dialogue entre les
cultures. À l’époque de Babel, les hommes voulaient se révolter contre Dieu. Ils avaient décidé
de bâtir une tour, pour voler la lumière, dans le
sens du savoir. En colère, Dieu décida de châtier
l’homme en diversifiant les langues. Moi, je pense
qu’avant cela, la langue parlée par tous était la
Poésie, avec un P majuscule », s’emporte l’écrivain aux yeux noirs éclairés et à la barbe de trois
jours.
p De grands gestes accompagnent chaque palabre du poète
grain de voix, de la passion et de l’emportement.
Quand on évoque ses œuvres, son verbe reste
réfléchi, posé mais on décèle à présent dans son
continuelle de la vie. C’est comme le cycle de la
vie : la naissance puis la mort, puis la naissance
et la mort. La poésie, c’est l’espoir, la renaissance
éternelle, la passion de la vie, la fête, l’amour
charnel des choses qui nous entourent. Tout comdit aussi que le poète est un éternel insatisfait. « Je
n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi les
ailes du papillon brûlent quand il s’approche trop
de la lumière… »
Un travail sur la vie
En quête de réponses, le Marrakchi pur-sang
poursuit ses travaux. Ses deux autres écrits dans la
langue de Molière sont des métaphores d’une vie
qu’il se plaît à croquer de pleines dents. « Dans
« Appâts pour poissons-volants », mon papillon
s’est transformé en un poisson-volant. Et dans
« Les ailes du silence », la poésie est comme le
cheval aveugle, qui malgré ses yeux clos, voit.
Dans ce recueil, j’essaie de retranscrire le silence
sur papier, le silence de la mort, une expérience
intrigante. » Rachid Mansoum est un rêveur, c’est
sûr. « Tous les objets ont des ailes. Ma chambre
aussi parfois vole ! » ¿
Alexis Hontang
En hommage à Ali Baba - souk de Marrakech u
États d’art
33
34
États d’art
q Larbi Amhir, un musicien touche-à-tout de 23 ans, gérant d’une boutique
Courants
Quand la musique
sonne...
Pendant les fêtes, dans les maisons, au coin d’une rue ou sur une
place publique… Au Maroc, la musique se partage avec plaisir.
Larbi Amhir, gérant d’un magasin de musique et musicien, évoque
les courants musicaux au Maroc, des plus anciens aux plus
récents.
C
Musique gnaoua
’est la spécialité de Larbi qui explique
son histoire : héritage des anciennes
colonies d’Afrique noire, la musique
gnaoua est arrivée au Maroc au XIIe siècle et
s’est intégrée à la culture marocaine pour en
devenir une partie indispensable. « Le gnaoua,
c’est l’histoire et les légendes de mon pays »,
commente Larbi. Une musique spirituelle servie
par des percussions telles que les qraqech (sorte
de castagnettes), les tamanis (djembé en céramique ou en métal) et des instruments à cordes
comme l’aoud. Joué pour toutes les occasions,
le gnaoua est chaque année à la fête en juin, lors
du grand festival de la ville d’Essaouira.
Musique berbère
« Assez complexe », d’après Larbi, car très
variable selon les régions, la musique berbère
se différencie des autres par son association
de danse et de musique. Les orchestres jouent
du lotar, du rehab (instruments à cordes), de la
kamanja (violon), du bendir (tambour recouvert
d’une peau de chèvre), des percussions métalliques… Dans la région du Sous, les danses sont de
petits trépignements de pieds tandis que, dans la
région du Guelmim, l’art réside dans les mouvements de bras et de mains.
Les charmeurs de serpents pratiquent, eux aussi,
une musique issue de la culture berbère : avec une
nira (flûte de six à huit trous) et un bendir, ils perpétuent la tradition des bergers en jouant une musique censée hypnotiser les reptiles.
Spécialité 100 % marrakchi : pendant un mariage au moment où le mari offre les cadeaux à sa
femme, on joue la « daka lmarachia », autrement
dit la musique des charmeurs de serpents.
Musique chaabi
Le châabi, est un courant populaire, « un souffle
nouveau pour la musique marocaine », comme le
qualifie Larbi. Depuis les années 70, il est le symbole d’une jeunesse en pleine effervescence grâce
p De haut en bas, tamanis, xylophone et qraqechs
à des groupes connus comme Nas el Ghiwane ou
Jil Jilala. Le principe : reprendre les rythmes et
instruments traditionnels en s’inspirant de la musique d’autres pays arabes, du folklore marocain
et des variétés occidentales. Mais c’est surtout,
comme le rappelle Larbi, « mettre en chanson la
vie de tous les jours » sur des airs de banjos et
de darbuqqa (percussion en terre cuite recouverte
d’une peau de mouton).
Le melhoun
La musique andalouse a été importée au Maroc
au XIe siècle par les Arabes expulsés d’Espagne.
États d’art
Elle est devenue une tradition musicale appelée « al-âla » à Fès, Tétouan mais aussi Rabat et
Oujda. « Le melhoun, c’est un style musical où la
poésie, très complexe, est chantée en dialecte arabe et domine sur les instruments », explique Larbi
qui pratique cette musique. Le chanteur soliste est
accompagné d’un orchestre composé d’un aoud,
d’une darbuqqa et de petites cymbales digitales
appelées nouiqsat.
Autres courants
Depuis une dizaine d’années, de nouveaux courants musicaux se créent à partir de musique traditionnelle. « Le rap marocain utilise le gnaoua
et puis il y a aussi les jeunes avec des instruments
électriques comme la guitare, la batterie qui font
une sorte de gnaoua moderne qui ne plaît pas à
tout le monde », détaille Larbi.
Le raï, venu d’Algérie, rencontre un franc succès dans l’Est du Maroc. Il est inspiré de la tradition melhoun : le mot « raï » signifie « opinion »,
« point de vue ». « Les chanteurs racontent leurs
malheurs et prodiguent des conseils dans leurs
chansons pour ne pas que ceux qui les écoutent
fassent les mêmes erreurs », commente Larbi, en
connaisseur.
35
Rencontre
Sans frontières
À la suite d’une rencontre entre un musicien
français et un marocain, l’ensemble « Al
âla » du conservatoire
de Dijon s’est rendu au
Maroc, au mois d’avril
dernier, afin de se
produire à l’Institut
français de Marrakech.
L
’ensemble « Al âla » du conservatoire de Dijon est avant tout
composé d’élèves ayant suivi
p Une choriste lors du concert donné à l’Institut français de Marrakech
des cours de musique arabo-andalouLes instruments qui accompagnent le raï sont
se. Seize étudiants ont eu la chance
âla » du conservatoire de Dijon, deux musiciens :
l’oud, l’accordéon, le banjo et, depuis une quarande partir une semaine au mois d’avril dernier, dans
Emmanuel Kirkal et Youssef Kassimi Jamal.
taine d’années, des instruments modernes tels que
le but de donner un concert à l’institut français
le synthétiseur ou la boîte à rythmes. ¿
« L’idée était de rassembler deux pays, deux
de Marrakech. À l’origine de la rencontre, entre
cultures différentes à travers la musique de sorte
la
chorale
marocaine
Jossour
et
l’ensemble
« Al
Anabelle Bourotte
qu’il n’y ait plus de frontières entre eux », explique Emmanuel, le chef d’orchestre de l’ensemble.
Mais avant le « jour J », il a fallu beaucoup de
temps pour mettre en place le projet. L’ensemble a
en effet dû faire beaucoup de concerts en France,
en plus de la participation financière des parents
d’élèves, afin de réunir la somme nécessaire pour
pouvoir venir jouer au Maroc. « La ville de Dijon
a également participé au financement », ajoute le
chef d’orchestre.
u détour d’une rue du souk retentit le son d’une musique rythmée, envoûtante, venant d’un petit magasin coincé entre deux murs, ornés de plusieurs dizaines d’instruUne fois la somme nécessaire réunie, les jeunes
ments. On y découvre un homme affairé à jouer avec ardeur des airs traditionnels : c’est
Dijonnais ont commencé à préparer le programme
Larbi Amhir, jeune musicien touche-à-tout de 23 ans et gérant d’une boutique de musique.
du concert dès le mois de novembre. Avec applicaLe virus de la musique, il l’a attrapé très vite, initié à la pratique de l’aoud (sorte de guitare), du banjo et
tion, ils ont répété jusqu’à être fin prêts au moment
de certains instruments à percussion tout jeune. « La musique c’est une histoire de famille ! » dit Larbi,
de poser le pied dans le royaume.
le sourire aux lèvres, en regardant son jeune frère de 17 ans Mohammed. L’aîné lui a d’ailleurs trans« Sur place, nous avons tous été hébergés dans
mis sa passion et le jeune garçon s’est spécialisé dans le maniement de toutes sortes de percussions :
le même riad, c’était très convivial », confie Emdjembé, tamaris, qaraqebs (castagnettes métalliques). manuel. Mais pas le temps de profiter pleinement
du soleil marocain et de jouer les touristes. Arrivés
Plus qu’une passion, une vie
samedi, les jeunes musiciens ont dû répéter dimanÀ 19 ans, Larbi a repris la petite boutique d’instruments de son père dans les souks qui bordent la
che et lundi avec la chorale Jossour afin d’effecplace Jamaâ-El-Fnâ. « Ca me permet de vivre en permanence avec la musique : travailler musique,
tuer les dernières modifications pour être fin prêts
parler musique… », déclare-t-il, très enjoué. « En ce moment, il y a un retour de la musique traditionle « Jour J » venu.
nelle chez les jeunes, une sorte de recherche des origines », ajoute-t-il, rappelant que cela permet à sa
Après cette expérience marocaine, Emmanuel
boutique de tourner de plus belle. Il décide en 2005 de monter un groupe : Magic Music où il joue de
Kirkal a d’ores et déjà d’autres idées en tête.
l’aoud, son frère du darbuqqa et quatre autres musiciens des percussions. « Magic Music c’est mon
« J’aimerais pouvoir faire rayonner ce type de
rêve enfin réalisé ! », lance-t-il en montrant fièrement un portrait de son groupe en plein concert. Très
projet et pourquoi pas le poursuivre dans tout le
hétéroclite, le groupe s’ouvre à tous les styles de musiques traditionnelles : de la musique gnaoua - leur
Maghreb, il y a beaucoup de choses à faire avec
spécialité - à la musique berbère. « Comme ça, on peut plaire à tout le monde ! », aime-t-il à affirmer.
ces pays francophones ! Mais pour l’instant, je
Les musiciens jouent ensemble régulièrement pour le plaisir, mais également lors de mariages, dans
souhaite avant tout faire durer les liens avec le
des hôtels et des bars. Larbi a dédié sa vie à sa passion dans un but simple, mais précis : « J’ai fait de
Maroc et surtout avec la chorale Jossour. De plus,
la musique mon métier, mais je ne cherche pas la gloire. Je veux juste faire découvrir à tout le monde
nous avons été retenus par la fondation Hassan II
le plaisir que l’on peut prendre à écouter ou à faire de la musique. » ¿
pour revenir jouer au Maroc… » ¿
A. B.
Cécile Pasquet
La musique,
c’est Magic avec Larbi
A
36
États d’art
Rap traditionnel
Fnaïre
et la main de henné
Originaire de Marrakech, le groupe de rap
traditionnel Fnaïre brasse des rythmes puisés dans le
patrimoine marocain. Les rappeurs, qui revendiquent
leur identité marocaine, ont séduit un large public
avec un message positif et engagé, illustré par le
concept de la main de henné.
F
ormé en 2002, le groupe de rap Fnaïre est
devenu un phénomène au Maroc. Le message véhiculé par les rappeurs marrakchis a
su rassembler au-delà du traditionnel public amateur de rap. Élu meilleur groupe du Boulevard des
Jeunes Musiciens en 2004, Fnaïre allie mélodies
traditionnelles marocaines et beat-rap dans un mélange baptisé « rap teklidi (traditionnel) ».
Après un premier album en 2003, trois des
morceaux de leur dernier opus, Yad El Hanna (La
main de henné) sont devenus des tubes à la radio.
Mohcine Tizaf, MC Achraf, MC Khralifa et DJ
Belqas ont trouvé leur propre style. Pas de grosses
voitures, de bimbos ou d’insultes dans les clips de
Fnaïre : « Dans le clip de Yad El Hanna qui a été
tourné dans le désert, nous avons voulu montrer
les Marocains de tous les jours », explique Mohcine Tizaf, le chanteur du groupe. On y aperçoit
également tambourins et instruments de la musique populaire gnawa. « Nous voulons vraiment
contribuer à la culture marocaine et ne pas tomber
dans le copier-coller », affirme Mohcine Tizaf.
Bahjaoui attitude et main de henné
Les paroles en darija, le dialecte arabe marocain,
abordent des sujets diversifiés, chargés de messages d’amour et de paix. « Dans nos albums, nous
parlons des trésors laissés par nos grands-parents,
de la conscience, des accidents de la route… Nous
voulons faire du rap qui dit des choses sérieuses et
que l’on peut écouter en famille. » Dans une chanson sur le sida, Fnaïre demande ainsi aux familles
d’enlever le tabou sur la maladie pour mieux en
parler aux enfants.
tous les jours, dans une perspective optimiste. » Mohcine
dénonce ceux qui critiquent le
pays sans jamais rien faire pour
lui : « Si j’aime vraiment mon
pays, alors je dois m’impliquer
pour le changer ! »
Épris de tradition, patriotique, il ne boit pas, ne fume
pas. Voici donc venu le temps
du rappeur gendre idéal… ¿
Eddy Spann
* En juin dernier, Hicham
Belkacem, membre du groupe
Fnaïre est mort dans un accident de la circulation, après
avoir participé au festival des
musiques sacrées de Fès. Hicham Belkacem, alias DJ Belqas, était âgé de 23 ans.
Site officiel de Fnaïre :
www.myspace.com/fnairep Fnaïre signifie « Lanternes» en français » (photo fournie par le groupe)
maroc
« Le piratage
n’a pas tué la musique »
B
Mohcine Tizaf prône la « bahjaoui attitude »,
une « positive attitude » locale. Fnaïre, qui signifie
« lanternes » a trouvé la lumière avec la philosophie de la main de henné : « La main de henné,
c’est la main de l’amour. Pour construire un Maroc propre, il faut que chacun tende la main de
l’amour », explique Mohcine. Et d’insister sur
l’authenticité, l’exemple que chacun doit donner.
ête noire des maisons de disques, le
peer to peer (littéralement le « poste à
poste ») a connu une véritable explosion avec l’arrivée du haut débit. Ce mode de
partage de fichiers est une véritable mine de
piratage, activité particulièrement développée
au Maroc. Redda Allali, membre du groupe
Hoba Hoba Spirit, en dresse un portrait en demi-teinte.
« Quand on parle de quelque chose, on commence toujours par le positif », explique Mohcine
Tizaf qui renchérit : « Les jeunes se retrouvent dans
cette musique parce qu’elle parle des problèmes de
« Dans un monde idéal, le piratage ne devrait pas exister, pose-t-il. Mais c’est grâce
à lui, que les groupes qui jouaient dans leur
quartier ont pu se faire connaître au Maroc et
même à l’étranger. Nous sommes une dizaine
de groupes à être le fruit de cette expérience.
Le piratage n’a pas tué la musique, il a participé au développement de musiques auxquelles
les maisons de disques ne s’intéressaient pas.
Pour pérenniser ces acquis, il est absolument
urgent que les fonctionnaires et les politiciens
mettent de l’ordre dans le système.
Qu’a-t-on fait pour encourager la musique
légale ? Pas grand-chose. Maintenant que les
artistes sont sortis de l’ombre, il faut leur permettre de vivre décemment. Notre groupe n’a
vendu que 4 000 exemplaires de son premier
États d’art
37
Industrie du disque
D-Cibel ne joue pas
en sourdine
D-Cibel studios est un prestataire de services pas comme les
autres : en plus de garantir à
l’artiste un environnement de
qualité, ce studio de musique se
démarque par ses chansons
caritatives, une initiative
unique au Maroc.
«
liant l’agréable à l’utile, c’est un véritable appel à
la mobilisation en faveur des personnes atteintes
de trisomie 21. Cette mélodie est associée à un
clip où les gros plans des visages des trisomiques
se mêlent à merveille aux sourires échangés entre
artistes et handicapés.
En se lançant dans la chanson caritative, D-Cibel studios a réussi à faire grand bruit dans l’incessant concert de l’industrie du disque marocain.
Pourtant, ce jeune studio de Casablanca n’en était
pas à son coup d’essai dans le domaine. « On a
commencé avec l’association de lutte contre le
cancer du sein, présidée par la femme du roi, Lalla
Salma », explique Mohammed-Kamal Toufik, directeur général de D-Cibel, avec ses faux airs de
Gérard Darmon. Face au succès médiatique de son
dernier opus, le directeur assure pourtant que « DCibel ne cherche pas le gros
coup ». On le croit.
Le clip est passé au moins dix fois à la télévision dès le premier jour ! On avait aussi
réussi à mettre les radios sur une même longueur d’onde pour pouvoir diffuser notre chanson
à 8 heures la même journée !
Imaginez quelqu’un qui se réveille et qui, en allumant sa raLes
dio, retrouve la même chanson
sur toutes les chaînes ! » Dans marocaines
les locaux du studio D-Cibel,
Nabil Khalidi, 49 ans, ne cache
pas sa satisfaction.
stars
Cette action, forte de son
petit air de famille avec les
Enfoirés français, s’est facilement concrétisée : les stars
marocaines se sont succédé au
palier du studio casablancais,
niché incognito dans un quartier résidentiel de la métropole, pour venir clamer leur soutien pour les trisomiques 21 :
« On a réussi à faire venir 30 chanteurs, de la plus
grande diva au rappeur pur et dur, Bigg. Tous venus spontanément », se réjouit Mohammed-Kamal
se sont
succédé au
palier du studio
casablancais
La chanson dont il parle,
c’est celle qu’il a composée
avec Malek, en faveur de l’association ANAIS (Association
Nationale pour l’Avenir des Inadaptés Scolaires).
Un succès retentissant pour leur studio D-Cibel
qui dépasse le simple cadre de la musique : en al-
q Sur les enceintes trône un trophée : la récompense offerte à chaque artiste pour l’opération ANAIS
p Nabil Khalidi, directeur de D-Cibel
Toufik, une silhouette frêle qui gesticule dans tous
les sens quand il s’agit d’évoquer sa passion pour
la musique. Face à ce handicap qui ne commence
à faire parler de lui que depuis peu au Maroc, la
pression sur leurs épaules devait être énorme.
Pourtant, le poignet de Malek et Nabil Khalidi n’a
pas flanché, loin de là. « L’inspiration est venue
toute seule », raconte le second, qui, casque aux
oreilles et luth à la main, apparaît dès la première
image du clip, en compagnie de son acolyte. « Le
plus difficile était de trouver les mots justes. Il fallait toucher les gens. »
En trois jours, l’affaire était bouclée. Au final,
une chanson, savante symphonie mélangeant des
timbres opposés, est un hymne envoûtant en trois
langues : l’arabe, le berbère et le français.
Dans la bouche de ces deux membres, le côté
bienfaiteur de D-Cibel arrive même à éclipser le
but premier du studio. Mohammed-Kamal Toufik,
une liste de contacts aussi longue qu’un jour sans
pain sous le bras, a pourtant réussi à faire de DCibel la plaque tournante des artistes marocains :
« Nous sommes des prestataires de services, nous
apportons à l’artiste un savoir-faire. Nous pouvons être auteur, compositeur, arrangeur, coach
pour l’artiste, rappelle-t-il. Désormais, on choisit
D-Cibel. Au sein du studio, nous avons des atomes
crochus et quand on travaille, c’est souvent avec
des amis. » Dans le concert des studios de musiques marocains, D-Cibel a trouvé sa place. Jouez
maestro ! ¿
Alexis Hontang
38
États d’art
En studios
q Depuis1984, des films à la renommée internationale ont vu le jour dans l’Atlas Corporation Studio
Ouarzazate, cité du cinéma
Un espace qui s’étend à perte de
vue, une luminosité idéale, une
main-d’œuvre locale abondante
et peu chère…
Ouarzazate a tout d’un paradis
pour les cinéastes
internationaux.
O
uarzazate est le théâtre des réalisations de
blockbusters étrangers, depuis les années
50. En 1961, Peter O’toole y joue Lawrence d’Arabie de David Lean. En 2000 y sont réalisés Astérix Mission Cléopâtre et le film Gladiator
de Ridley Scott. Cette étendue désertique ponctuée
de masses rocheuses séduit aussi nombreux documentaristes de la BBC et du National Geographic,
sans oublier les publicitaires marocains.
Une Commission du film vient d’être créée pour
faire de Ouarzazate un pôle de l’industrie cinématographique d’Afrique. Elle vise la création d’un
label Ouarzazate, signalant son expérience et sa légitimité cinématographiques à l’instar de Warner
Bros Studios ou Dreamworld City Film.
Le complexe des studios de Ouarzazate se divise en trois : les studios CLA, Kanzaman et les
studios Atlas construits en 1986 qui sont les seuls
ouverts aux visiteurs. Ces derniers se composent
de sept plateaux de tournage, de menuiseries, ferronneries, plâtreries pour les besoins en décors.
Les studios se louent pour deux semaines voire
jusqu’à deux mois. Bernard Rose est le directeur
des lieux depuis huit ans. Cet homme d’une cinquantaine d’années, ex-businessman en France,
« gère les locations, le matériel, le personnel et la
restauration des décors qui est très coûteuse ».
Cette industrie cinématographique a accéléré la
création d’emplois directs et indirects, des unités
d’hébergements touristiques et de restauration aux
agences de locations de transports.
La majorité des techniciens et des décorateurs
employés sont par ailleurs des artisans locaux ou
venus d’autres villes du royaume. Mais les architectes qui dessinent les décors sont étrangers.
« Les techniciens sont en moyenne rémunérés 300
à 350 dirhams par jour, un figurant marocain 150
dirhams par jour », livre M. Rose. C’est 700 dirhams de moins qu’un figurant étranger pour le
même temps de travail. Pendant les périodes de
tournages, les responsables de casting emploient
les habitants pour de la figuration. Monaïm Idriss,
guide à la Kasbah de Taourirt livre ses expériences : « J’ai commencé la figuration à 13 ans et
j’étais rémunéré 30 dirhams par jour puis j’ai
joué un prêtre dans Astérix où j’étais rémunéré
120 dirhams pendant 20 jours. J’ai été machiniste, gardien, j’apportais aussi le café…» A ses
côtés, cinq autres guides de la Kasbah ne partagent
pas son enthousiasme : « On est exploités par ces
grosses prod’, on est mal rémunérés et parfois pas
du tout ! » « Ouarzazate est une place privilégiée
et très convoitée par les cinéastes internationaux
parce que la main-d’œuvre et la location des studios sont moins chères qu’ailleurs », confirme M.
Rose. ¿
Charline Poisson
En bref
Festival International du Film de Marrakech
La huitième édition du Festival International
du Film de Marrakech (FIFM) se tiendra cette
année du 14 au 22 novembre 2008. Les plus
grands cinéastes, à l’image de Martin Scorsese en
2007, honorent désormais ce grand rendez-vous
international du cinéma.
www.festivalmarrakech.info
Sauvons le cinéma au Maroc
« Sauvons le cinéma au Maroc » a pour objectif de
mettre en place des campagnes de sensibilisation
autour de la survie des salles de cinéma au
Maroc, menacées par le piratage des films. Tarik
Mounim, président de l’association, écrit : « Le
cinéma marocain a façonné notre histoire. Ces
images qui maintenant nous font sourire, pleurer,
réfléchir et nous font souvent évoluer. Ces écrans
ne doivent pas disparaître et connaître l’oubli ! Au
nom de tous les Marocains, ne privons pas notre
génération et celles de demain de la diversité
culturelle et de la proximité de ce spectacle
p Collection du musée du cinéma
magique dans ces lieux mythiques. »
www.savecinemainmarocco.com
Seize neuvième
Depuis décembre 2007, le magazine de cinéma
16/9ème, entièrement fabriqué au Maroc, est
distribué dans le royaume ainsi qu’en France.
16/9ème est l’œuvre du photographe de mode
Karim Ramzi et de sa sœur Nadia en charge de
la rédaction. En faisant appel à des collaborateurs
journalistiques et académiques du pays, le
magazine permet de donner une voix marocaine à
la critique de cinéma.
www.seizeneuvième.com
Mme le ministre
Touria Jabrane Kryatif est la première comédienne
dans le monde arabe à occuper le portefeuille
de ministre de la Culture. Nommée ministre
de la Culture le 15 octobre 2007, elle est née à
Casablanca en 1952.
www.minculture.gov.ma/
États d’art
39
Cinéma marocain
Un cinquantenaire
plein d’avenir
Le cinéma marocain, qui célèbre cette année son cinquantenaire,
est dans une situation paradoxale. Depuis « Le fils maudit » de Mohamed Ousfour en 1958, il a parcouru bien du chemin, a conquis
les festivals internationaux mais peine à toucher les cœurs et les
guichets marocains.
D
e Canne à Venise, les artistes marocains
ont su se faire une place dans les festivals
de cinéma. Le nombre de films produits
par le Maroc ne cesse d’augmenter mais simultanément, l’industrie cinématographique du pays
doit gérer la fermeture de nombreuses salles. Alors
qu’en 1990, l’Unesco recommandait 800 salles
pour 25 millions d’habitants, en 2008, le Maroc
n’en compte qu’une soixantaine pour 30 millions
d’habitants. Des quatorze salles à Marrakech, seules sept ont survécu. Pire, Ouarzazate, la ville du
cinéma, est sans écrans ; les deux salles ont fermé.
Des salles obscures et désertées
Selon une étude du centre cinématographique
marocain (CCM) qui révèle que 60 % des Marocains ne vont au cinéma qu’une fois par an, voire
jamais, le cinéma ne ferait pas partie des habitudes
de loisirs du pays. Les causes ne manquent pas.
Les autorités ne semblent pas pressées de combattre les revendeurs de DVD dont les boutiques ont
pignon sur rue. À l’exception des films marocains,
plus difficiles à dénicher, l’acheteur y trouve toutes les dernières nouveautés.
La désaffection du public s’explique également
par l’équipement en paraboles, la vétusté des salles, les projections médiocres, le fait qu’il est encore mal vu par la société d’aller au cinéma et que
des films à 15 ou 20 dirhams restent inaccessibles
pour un étudiant. Enfin, il y a les comportements
incivils : « Dans une salle populaire, on ne peut
pas aller en famille. Les cinémas sont devenus des
espaces de débauche ; on y trouve prostitution et
drogue», déplore Youssef Aït Hamou, professeur à
l’école supérieure des arts visuels de Marrakech.
Selon lui, il faut également réconcilier les artistes
qui ont opté pour le cinéma d’auteur et le public qui
lui a fait le choix d’un cinéma « commercial ».
Ouarzazate, l’Hollywood du Maroc
L’avenir paraît plus serein du côté des productions étrangères au Maroc. « Le Chevrier marocain » de Louis Lumière, inaugure en 1897 une
tradition de tournages étrangers au Maroc. Dans
les années cinquante, le pays devient une terre
d’accueil pour le cinéma et l’industrie cinéma-
tographique prend son essor en l’an 2000 avec
l’ouverture de studios de tournage aux normes
internationales : Aux confins nord du Sahara, la
ville de Ouarzazate devient alors l’Hollywood du
Maroc. La région doit son succès à la variété des
paysages, de l’architecture, à la luminosité et à la
diversité des populations disponibles pour la figuration.
Les cinéastes de demain
Le Maroc, qui ambitionne de devenir la première puissance cinématographique du continent,
manquait de cadres et de techniciens. Pour éviter
le recours systématique aux étrangers à chaque
fois qu’il y a besoin d’un script ou d’un ingénieur
du son, le Maroc a investi dans la formation. Une
école de cinéma, construite dans ses studios Kanzamane à Ouarzazate est opérationnelle depuis
février 2004 et un institut des métiers du cinéma
a également ouvert en 2006 dans la même ville.
Quant à l’école supérieure des arts visuels de
Marrakech, elle veut former des techniciens, mais
aussi contribuer à faire naître la prochaine génération d’artiste.
D’après George Lucas, « les cinéastes sont les
conteurs d’aujourd’hui ». Avec une culture et
une tradition millénaire dont le fleuron est l’art
du conte, les Arabes et des Berbères du Maroc
ont bien raison de vouloir être les cinéastes de
demain.¿
Eddy Spann
Le musée
du cinéma,
toute une histoire
O
uvert en juillet 2007 au cœur de la ville de Ouarzazate, le musée du cinéma
expose les décors de multiples films
tournés dans cette région du Maroc. Ces décors
sont uniquement réalisés en plâtre, bois et résine, ce qui est loin d’empêcher l’illusion d’avoir
affaire à de vrais lieux, parfois plus réels que
des vrais.
Ce musée laisse également voir, dès votre arrivée, trois monuments reflétant les trois principales religions : une église pour les chrétiens,
un minaret pour les musulmans et le fameux
chandelier juif.
Toutes ces créations sont le fruit du labeur des
artisans du cinéma ouarzazi. Ils sont conservés
et exposés pour démontrer leur grand talent,
mais aussi dans une optique de réutilisation,
qui sait pour une prochaine production…
En plus de tous ces décors plus que réalistes,
sont exposés et conservés les costumes ayant
servi dans divers films.
Ainsi dans ce temple du cinéma, vous pourrez
observer et reconnaître les lieux et costumes de
nombreuses productions telles que « Kingdom
of Heaven », « Gladiator », « Indigènes », ou
encore « Babel » : des reproductions de salle
du trône, de petits villages de la Rome antique,
ou encore des chars de bataille… Un musée qui
sait mettre en avant le talent de ses ouvriers locaux et le faire partager… ¿
q Le musée du cinéma, installé dans un ancien studio italien, joue la carte de l’illusion
François Perez
40
États d’art
Youssef Aït Hamou
Ecole des Arts visuels
À la poursuite du
Pour un
cinématographe regard
neuf
Youssef Aït Hamou, 48 ans, est dingue de cinéma. Enseignant,
conférencier, auteur et critique, ce géant sympathique est une
encyclopédie vivante du cinéma marocain.
Y
oussef Aït Hamou, grand gaillard toujours
souriant aime parler de cinéma. Les titres
des films marocains « qu’il faut absolument voir » fusent. Enseignant à l’école supérieure
des arts visuels de Marrakech, il est tombé dedans
quand il était petit. À l’âge de six ans, il traînait
dans les cinémas de quartier : « Mon père était
agent de sécurité et on lui confiait toujours les salles de ciné. » Plus tard, au centre culturel de français, il échange des résumés de livre contre des
chocolats et des tickets de cinéma. Il se souvient
des projections de courts métrages qui coûtaient 20
centimes d’euros dans les années
soixante et du cinéma en plein air,
où, depuis les toits du quartier, il
pouvait regarder gratuitement les
péplums et les westerns.
ont besoin de se voir dans des films. Et puis en
cinquante ans, le cinéma marocain a évolué d’un
cinéma nombriliste vers un cinéma plus proche
du public. » Il regrette cependant que l’accès aux
films marocain soit encore sporadique.
Sur le continent, le cinéma marocain est principalement en concurrence avec l’Égypte, le Burkina Faso et l’Afrique du Sud : « Les autres pays ont
pris le départ avant nous. » Le cinématographe a
été introduit il y a 100 ans au Maroc, mais ce n’est
que depuis 50 ans que le cinéma spécifiquement
marocain a vu le jour : « La résistance au colonialisme a inclus la résistance au
cinéma. La religion, qui interdisait l’image, a également été un
frein. »
Une quarantaine d’années plus
tard, ses recherches portent sur
la « réception filmique » du public marrakchi : « Les habitudes
de consommation en salle sont
très spécifiques. On reconstitue Jamaâ-El-Fna dans la salle
de ciné : On y va en groupe, on
réagit très fort, on s’adresse au
projectionniste… Et puis on ne pYoussef Aït Hamou
connaît pas les noms des acteurs
alors, avec une culture orale très
« Avant, les
imagée, cela donne « l’homme
conteurs
avaient
au tapis » pour Clint Eastwood
des tam-tams ;
ou encore « tête chauve » pour
Kojak. »
maintenant, ils ont
Youssef constate que l’Égypte domine culturellement le
monde arabe, que ce soit pour
le cinéma ou la littérature, mais
« c’est toujours les mêmes poncifs et c’est peut-être la chance
du cinéma marocain ». Youssef
est convaincu que le cinéma
marocain possède de nombreux atouts : « En puisant dans
l’amazirité (origine berbère), on
trouve des choses qu’il n’y a pas
dans l’arabité. Et puis, contrairement au cinéma égyptien qui
est basé sur les stars, au Maroc,
on joue sur les réalisateurs et le
récit. »
des caméras ... »
Le public marocain est friand
En plus, les Marocains sedu cinéma de Bollywood :
raient narratifs de naissance :
« Avant 1961, au Maroc on pou« Le Maroc a une tradition du récit. Avant les
vait voir beaucoup de films égyptiens. Mais pencompteurs avaient des tam-tams, maintenant ils ont
dant la guerre des sables entre le Maroc et l’Aldes caméras. » Tout se jouerait dans la formation :
gérie, l’Égypte s’est rangée du côté de l’Algérie,
« Avant, les cinéastes étaient formés à l’étranger
et du coup un embargo a été décrété sur toute la
ou bien sur le tas. Mais avec des réalisateurs, viculture égyptienne. » C’est le cinéma hindou qui
vant pour la plupart à l’étranger, le cinéma n’ara alors pris la succession, comme en témoignent
rive pas à s’approprier l’accent marocain. » La
aujourd’hui à Marrakech, les trois salles dédiées
mise en place de formations au Maroc devrait
au cinéma de Bollywood. Dans un de ses cours,
changer les choses : « Nous sommes à un tournant
Youssef effectue un rapide sondage : la moitié des
de l’histoire du cinéma marocain. Nous allons
douze élèves a plus de facilité à citer des noms
former des cinéastes de qualité dans le pays. Une
d’acteurs indiens plutôt que marocains.
génération à l’écoute du Maroc et du monde. » ¿
Mais ces derniers temps il constate un engouement pour le cinéma marocain : « Les Marocains
Eddy Spann
L
’école supérieure des arts visuels
(ESAV) de Marrakech souhaite « faire
naître une nouvelle génération d’artistes et de professionnels du cinéma, de la télévision et du multimédia au Maroc ». Ouverte en
2006 et financée par la fondation Susanna Biedermann, en partenariat avec l’Université Cadi
Ayyad de Marrakech, la jeune école répond
aux besoins pressants de ressources humaines
qualifiées dans l’industrie cinématographique
locale.
Avec les 6 millions d’euros de la fondation
Susanna Biedermann, le directeur de l’école,
Vincent Melilli, ancien directeur de l’institut français de Marrakech, a vu les choses en
grand. L’ESAV abrite près de 9 000 mètres
carrés de plateaux de tournage, de studios de
montage ou d’enregistrement, de salles de
projection… Noura Mouttata, 19 ans veut devenir ingénieur du son. Étudiante depuis un an
dans la section cinéma, elle est consciente des
conditions de rêve qu’offre l’école. Parmi les
parrains prestigieux de l’école on compte Jean
Pierre Jeunet et Wim Wenders et dans la liste
des intervenants on trouve Faouzi Bensaïdi,
l’étoile montante du cinéma marocain, réalisateur de « What a Wonderful World ».
Avec la crise des cinémas au Maroc, fermetures et délabrement des salles, l’ESAV est
devenue un véritable opérateur culturel à Marrakech. Ses deux salles de cinéma, l’une d’une
capacité de 210 places et l’autre en plein air,
sont ouvertes gratuitement au public et projettent régulièrement des films : « L’ESAV est le
seul espace pour regarder un film dans de bonnes conditions et offre en plus la possibilité de
discuter du film après la projection. Quand il y
a un film marocain, la salle est comble », assure
Youssef Aït Hamou, enseignant de l’école.
« L’ESAV veut développer la maîtrise technique nécessaire aux différents métiers du
cinéma tout en mettant l’accent sur la formation du regard d’artiste des étudiants », assure
Véronique Bruez, directrice des partenariats.
Rendez-vous est pris avec les deux premières
promotions de l’école, qui, espérons-le, feront
rapidement le bonheur des spectateurs. ¿
www.esavmarrakech.com
E.S.
La femme et l’enfant - Souk de Casablanca
États d’art
41
42
1001 facettes
Pérénisant ses
traditions, balayant
des secteurs aussi vastes
que l’architecture,
l’artisanat
ou la gastronomie,
les Marocains expriment un
savoir-faire unique
et réputé. Un univers
à découvrir quartier des
tanneries à Marrakech
comme au coeur d’une
maison de Meknès ou au
coin d’une rue de l’Atlas.
Sans oublier sur le
Web
www.typomag.net
¿ Judaïsme
u Quand les portes d’une synagogue
se referment (J.B.)
u Une brève histoire des juifs marocains (J.B.)
u Juifs et Marrakchis ? Sans problèmes ! (J.B.)
¿ Mais aussi...
u Doigts de fée et cœur en or (C.P.)
u La passion du bois partagée (E.M.)
u Saïd, un savoir fer de longue date (S.B.)
u L’eau de vie entre permission et ... (J.B.)
u On occidentalise le Caftan (T.C.)
u Boire en liberté provisoire (E.S.)
u Cuisine marocaine : épices et tout (F.P.)
q La salle de relaxation, dans une ambiance feutrée
Soins du corps
Parce que le hammam,
c’est bon pour la santé
Lieu de détente et d’échange, le hammam est entré dans la
tradition marocaine avec l’islam, un musulman devant être en
état de pureté rituelle pour ses cinq prières quotidiennes.
Venant des pays chauds et secs tels que le Maroc, la Tunisie ou
encore la Turquie, les hammams sont réputés pour leurs bienfaits
sur notre corps. Tour d’horizon des différents hammams
marrakchis, du plus traditionnel au plus moderne.
«
Le hammam est un moment de calme, de
détente, de sérénité et c’est très bon pour la
santé », insiste une employée dans un hammam traditionnel situé au cœur du Guéliz. Le principe d’un hammam est d’éliminer les toxines et
impuretés du corps par le biais de la sueur. « C’est
bon pour la respiration. Mais il ne faut pas faire
de gommage trop souvent, une fois par semaine
suffit. Sinon, ça irrite la peau », rajoute-t-elle.
Ces « bains à vapeurs » sont issus des pays
chauds tels que le Maroc, mais également la Tunisie ou encore la Turquie. Traditionnellement, un
hammam est chauffé au bois et se compose de quatre salles différentes : le vestiaire, la salle froide,
où il fait quand même plus de 30°, la salle tiède et
la salle chaude. « Les gens arrivent dans le vestiaire puis viennent chercher le matériel nécessaire
s’ils ne l’ont pas déjà. Ensuite, ils passent dans la
salle froide où ils appliquent le savon noir sur leur
corps et le rassoul pour le visage et les cheveux.
Puis ils passent petit à petit dans les autres salles plus chaudes et finissent par se rincer dans la
salle à vapeur avec un gant de crin ou une pierre
ponce », expliquent les membres du personnel du
hammam Semlalia.
Demain,
on se fait
un hammam ?
C o m m e
l’Islam recommande la pureté des corps
pour les cinq
prières
quotidiennes, les
musulmans
vont au hammam au moins
une fois par semaine. « Mais
maintenant,
surtout dans
les campagnes, beaucoup de familles font leur
hammam eux-mêmes », déclare Sofia, une jeune
marocaine de 18 ans. « Ils se lavent et se font
les gommages eux-mêmes, en famille. C’est plus
convivial », précise-t-elle.
Pour tous ceux qui continuent à aller dans les
hammams régulièrement, les hommes et les femmes sont séparés. « Pour qu’il soit efficace, un
hammam doit durer au moins une heure, mais la
plupart des femmes qui viennent en petit groupe
restent au minimum deux heures, car elles en profitent pour discuter », raconte une employée d’un
hammam traditionnel en riant.
Les hammams sont donc des lieux de détente,
mais aussi d’échange. Tel un salon de coiffure en
Occident, il permet aux femmes de se raconter les
derniers potins de la semaine entre amies, tout en
prenant soin de leur corps. Seulement, voilà, ces
hammams dits « populaires », où tous les Marocains se retrouvent, sont peu entretenus et les
conditions d’hygiène ne sont pas toujours au top.
« Le mieux c’est d’emmener son propre matériel,
si on ne veut pas risquer d’attraper des maladies », confie Sofia.
Quand le tourisme s’en mêle
Depuis l’émergence du tourisme au Maroc, une
nouvelle forme de hammam a vu le jour, principalement destiné à la clientèle européenne. Et elle ne
cesse de se multiplier à Marrakech, par exemple le
spa « Isis », situé au cœur de la Médina, non loin
de la place Jamaâ El Fna. Dans ce centre de détente, le cadre n’a plus rien à voir avec les hammams
traditionnels. Ici, plus de salles communes pour
les hammams, mais des salles privées « pour que
les clients puissent avoir une certaine intimité »,
expose Leila, la gérante du spa.
Ce spa propose un large éventail de soins, allant du massage et rituels traditionnels aux soins
à tendance plus « occidentale » comme les soins
du visage. « Ce que les clients préfèrent, ce sont
surtout les rituels traditionnels et les massages relaxants », avoue Leila.
1001 facettes
Symboles
43
q Jamila, tatoueuse
« Quand
tu es heureux,
tu fais du henné ! »
p Une bonne odeur d'huiles essentielles
Dix-huit masseurs et masseuse sont à la disposition des clients. Contrairement aux hammams
traditionnels marocains, ils sont formés dans des
écoles de Marrakech. « J’ai fait une formation de
deux ans dans une école d’esthétique pour avoir
mon diplôme de masseur », explique ainsi Souhail,
jeune masseur de 26 ans au spa.
Ils sont aussi beaucoup mieux payés. Les hammams ont, en quelques années, conquis les touristes européens. Ironie du sort, cette tradition avait
été stoppée aux portes de l’Occident par les chrétiens qui jugeaient cette pratique immorale… ¿
Cécile Pasquet
Sur la plus grande place
de Marrakech, Jamaâ-El-Fna,
nombreux sont les Marocains
qui tentent de gagner leur vie.
Parmi eux, les tatoueuses
au henné comme Jamila, qui,
avec leurs doigts de fées,
dessinent sur la peau des
touristes, mais aussi de leurs
compatriotes marocains,
des symboles porte-bonheur.
«
C’est 100 % naturel, pas d’allergies, pas
de problèmes ! » C’est ainsi que Jamila, tatoueuse de 26 ans, décrit le henné. Sur la place Jamaâ El Fna, la jeune femme utilise cette pâte
brune pour réaliser des tatouages sur la peau pouvant durer jusqu’à trente jours. À base de plantes
venant du Sahara, le henné est issu d’un mélange
de différents éléments naturels. « On mélange la
plante avec un peu de citron, de clou de girofle,
d’ail et de l’eau chaude, pas froide », détaille Jamila. « Après on agite pour que ce soit bien liquide
et c’est bon. On le prépare au fur et à mesure pour
éviter qu’il sèche et que la couleur ne soit plus
bonne », ajoute-t-elle.
Un porte-bonheur marocain
Outre le henné brun, naturel et « sans problèmes », Jamila propose des tatouages au henné noir.
Un produit controversé dont Jamila avoue ne pas
connaître la composition. « J’achète les boîtes tou-
tes faites, ça vient de Chine, je ne sais pas ce qu’il
y a dedans et si le client sera allergique ou pas.
Après, c’est lui qui voit... »
Le henné n’est pas qu’une technique artistique,
les symboles réalisés ont tous une signification. Il
y a les « Marrakchi », formes traditionnelles marocaines, mais aussi les fleurs qui, elles, symbolisent
l’amour et la chance. « Mais tous les hennés portent bonheur ! », insiste Jamila. C’est pour cette
raison qu’ils sont utilisés lors de grandes occasions
comme les mariages. Chaque future mariée se fait
par exemple tatouer bras, mains et pieds, espérant
ainsi attirer la chance.
Le henné est aussi censé apaiser la tristesse
causée par la perte d’un proche. « Quand une personne meurt, au bout de quarante jours sa famille
se fait tatouer au henné comme ça, la tristesse disparaît », explique la jeune tatoueuse. « Mais aussi,
comme on dit chez nous, quand tu es heureux, tu
fais du henné ! »
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le
henné n’est pas réservé aux femmes. Il existe en
effet des tatouages pour les hommes, avec serpents, dragons ou encore scorpions. Seulement,
pour eux, le tatouage se fait uniquement sur les
mains. « Pour les enfants, ce sont des petites mouches. » Bien évidemment, ils portent chance eux
aussi…¿
Cécile Pasquet
Jamila, tatoueuse :
une tradition « gagne-pain »
L
es femmes tatouant au henné sont très nombreuses à Marrakech, en particulier sur la célèbre
place Jamaâ El Fna. Jamila est l’une d’entre elles. Elle habite à quelques kilomètres de la Médina, un peu après le Guéliz. Tous les matins dès 11 heures, elle se rend à son emplacement
sur la place. Assise par terre sous son parasol, en compagnie d’une amie tatoueuse elle aussi, elle
propose ses services artistiques aux passants. « Je fais ça pour vivre, c’est mon seul travail, précise la
tatoueuse. J’ai appris ce métier quand j’étais petite, depuis que j’ai quatorze ans environ, c’est facile.
Et puis, moi je dessine bien ! »
Parmi ses clients, on trouve beaucoup de touristes. Mais malgré l’engouement de ces derniers, Jamila travaille également pour des Marocains. De quoi prouver, selon elle, que le henné n’a rien perdu
de son rôle initial. « Ce n’est pas parce qu’on utilise une de nos coutumes pour gagner notre vie qu’elle
perd sa signification », insiste-t-elle. Reste que, malgré ses dix heures de travail quotidien, Jamila réussit difficilement à gagner plus de 100 dirhams chaque jour. ¿
p Une baignoire pour se rafraîchir après la vapeur
C.P.
44
1001 facettes
Tanneries
De la bête à la babouche, les peaux
font leur petit bonhomme de chemin
La première sert à faire disparaître la pilosité naturelle des peaux. Elles sont plongées dans un
mélange chimique, « le poisau » qui fait se décoller les poils. Ensuite, lorsque l’on peut les enlever
facilement, un homme frotte les peaux pour tout
faire disparaître. « Tout est gardé, explique le guide. Même les poils sont mis de côté pour que les
femmes confectionnent des tapis, des djellabas. »
Le second bassin est à base de chaux. Elle fait
Marrakech savent les reboucher. À Fès non », exgonfler la peau et permet d’enlever ce qu’il y a en
plique l’un des hommes préparant les peaux sur le
trop afin de la rendre la plus fine possible, pour la
souk. Chaque peau coûte entre 15 et 20 dirhams
fabrication des sacs à main par exemple. Pour que
sauf pour celles de chèvre qui sont vendues par
les peaux soient suffisamment imbibées de chaux,
lots de six pièces et dont le prix varie entre 150 et
elles sont totalement immergées et les hommes
200 dirhams.
vont dans les bassins pour les battre avec les pieds.
« Les hommes que vous voyez portent des protecPour une peau : 5 étapes
tions, des grandes bottes, précise le guide. Elles ne
À Marrakech, les peaux sont réparties dans 17
sont obligatoires que depuis un ou deux ans. Avant
tanneries. « Il existe différents
cela, ils plongeaient jambes
tanneurs : les Arabes et les
nues dans un liquide brûlant
Berbères », explique l’un des
la peau ! »
Le
guides qui dévoile les secrets
Lorsque les pièces sont sorde la tannerie aux touristes.
ties
des bassins et séchées, des
d’une peau
hommes, installés dans des
Les petites peaux, comme
ateliers, passent sur la peau
la chèvre et le mouton, sont
peut
une grande râpe pour enlever
envoyées dans les tanneries
tout le résidu, ce qui rend la
jusqu’à
arabes tandis que les granpeau fine et douce.
des peaux, celles de vache et
mois
d’agneau, partent côté berbère.
Ensuite, les peaux trempent
Le traitement, effectué unipendant un ou deux jours dans
quement par des hommes, se
de la fiente de pigeon qui rédéroule sur une vingtaine de jours et se divise en
pand une odeur très forte, mais à qui on donne
cinq étapes identiques, quelle que soit la taille de
la propriété de l’ammoniaque qui assouplit ce qui
la peau.
deviendra du cuir.
Depuis le Moyen âge, dit-on, le quartier de Daoudiate,
à Marrakech, abrite les tanneries, étape incontournable pour
le traitement des peaux de bêtes. De l’abattoir à l’atelier
qui leur donnera leur utilité, les peaux suivent un cursus
très particulier.
P
assées les portes du quartier de « Daoudiate », où se trouvent les tanneries, une
forte odeur submerge chaque passant. Les
plus avisés auront d’ailleurs prévu quelques brins
de menthe parfumée pour camoufler les effluves. Mais, avant de pénétrer dans le monde de la
tannerie, les peaux de chèvre, mouton, vache et
chameau sont passées par les abattoirs où les animaux ont été dépecés. Les équarrisseurs, pour qui
les peaux sont un salaire, les entreposent au souk
des tanneurs lorsqu’elles sortent de l’abattoir de
Marrakech ou d’ailleurs. Les peaux proviennent le
plus fréquemment de la région de Marrakech, mais
aussi d’Essaouira ou des montagnes où vivent les
Berbères, c’est-à-dire l’Atlas.
Marrakech ou Fès
Pendant, deux mois environ, elles restent entreposées dans le souk avec comme traitement l’eau,
le séchage et le sel, qui évite les moisissures et fait
office de solidifiant lorsqu’elles devront être transportées. En effet, au bout de ce laps de temps, elles
partent pour Marrakech ou pour Fès, cette dernière ne traitant que les plus belles pièces. « Même
s’il y a des trous dans la peau, les tanneurs de
p
traitement
prendre
quatre
De gauche à droite : tout part du mouton (1ère photo).
Après la case « abattoir », les peaux sont traitées avec du sel et de l’eau dans le souk, deux mois durant (2ème photo)
1001 facettes
45
Artisanat
Mohamed,
babouche à votre pied !
Suite à ce bassin très odorant, c’est au tour du
bassin de son de blé de recevoir pendant quatre
ou cinq jours les peaux de bêtes. Son unique but
est d’enlever les odeurs laissées par les fientes de
pigeon.
La dernière étape est le bassin de mimosa qui
« donne la teinte naturelle marron aux peaux »,
explique encore le guide. « Ce n’est qu’ensuite
qu’on donne les autres couleurs aux peaux en les
trempant dans du safran par exemple pour obtenir
du jaune. » Un marchand du quartier explique :
« Tous les colorants sont naturels. On utilise le
coquelicot pour le rouge, les racines de safran et
l’écorce de grenadine pour le jaune, l’indigo bleu
pour le bleu, la cannelle pour le marron, le henné
pour l’orange, le basilic pour le vert. Mais on peut
aussi mélanger les couleurs… »
Tout au naturel
Suivant leur taille et leur provenance, les peaux
seront vendues à des prix différents. Ainsi, la peau
de chameau se vendra plus chère que la peau de
chèvre ou de mouton, car elle est plus rare et que le
prix d’un chameau vivant est beaucoup plus élevé
que celui d’un mouton ou d’une chèvre.
Le traitement d’une peau depuis son passage
au souk jusqu’à son exposition sur l’étalage des
marchands peut prendre jusqu’à quatre mois. Quatre mois au cours desquels elle sera passée par les
mains de dizaine d’artisans pour finir en pouf dans
le salon, en babouches ou en sac à main. ¿
Camille Gros
Mohamed Lafssysse a 24 ans. 24 ans de babouches.
Avec sa famille, il produit et vend les célèbres chaussures
marocaines, à l’intérieur de sa boutique ou à l’exportation.
Les touristes sont attirés par sa sympathie et de nombreux
Marocains viennent également se chausser chez lui.
«
Les babouches, c’est une de nos particularités au Maroc. » Personne ne contredira
Mohamed Lafssysse, fabricant des fameuses
chausses sur mesure à Marrakech depuis 24 ans.
Comme il le précise avec une certaine fierté, sa
« caravane de babouches » est une « entreprise familiale ». Avec son frère, il s’occupe de la vente :
il monnaye et marchande avec les touristes comme
avec les Marocains. Mais, derrière cette échoppe
pleine de couleurs, que Mohamed égaie encore un
peu plus avec son sourire attachant, c’est dans une
petite pièce sombre que l’équipe familiale fabrique
différents types de pantoufles marocaines. « Il y a
trois manières de faire, explique le spécialiste. La
machine, la colle, ou à la main. » Chez Mohamed,
on se sert des trois confections. Ce qui change,
c’est le temps de fabrication. Si les babouches sont
confectionnées à la machine ou à la colle, « c’est
pour tout de suite ». Mais si la réalisation est rapide, le résultat ne sera pas à la hauteur pour faire
office de soulier d’extérieur. « C’est seulement
pour la maison », confie Mohamed en souriant.
À la main, il faut deux jours complets pour réaliser une paire de babouches. La solidité est garantie,
mais le temps de travail a un coût : il faudra alors
débourser 80 dirhams, « prix Marrakchi ».… La
gamme des célèbres chaussons marocains est complète et c’est avec plaisir que Mohamed la présente.
Ce commerçant enjoué vend « pour tous les
clients », Marocains ou touristes.
« Des commerçants du monde entier » viennent
lui demander de produire des babouches, pour les
« expédier » à l’étranger. « Si tu amènes le tissu,
je te fais des babouches personnelles ! », ajoute
Mohamed avec enthousiasme. La photographie
accrochée à l’intérieur de sa boutique, d’une de ses
clientes située à Marseille qui lui apporte régulièrement des tissus pour confectionner des souliers
originaux, illustre son propos. Mohamed produit à
la demande, une demande qui dépend « du souk,
des gens, de la température aussi ». Mais s’il vend
pour tout le monde, ce n’est pas pour autant qu’il
oublie la « tradition de la babouche ». Le port de
ces chaussures est une coutume primordiale au
Maroc. On en distingue deux principaux modèles :
les arabes à bout pointu, les plus connues, et les
berbères à bout rond. Lors des fêtes religieuses,
« le port du costume traditionnel est obligatoire »,
et à la djellaba s’ajoutent les indispensables souliers. Marrakech est « la ville de production des
babouches ». « On en vend à Casa, mais c’est ici
qu’on les produit. On fait toute la distribution ! »,
exagère Mohamed. Sa petite entreprise familiale
semble alors prendre des allures de firme internationale. ¿
Juliette Bourrigan
p Elles sont ensuite plongées dans le « poiseau », pour pouvoir décoller les poils (3ème photo). Après les tanneurs râpent la peau pour la rendre plus lisse
et fine (4ème photo). Enfin, plusieurs nouveaux traitements, dont un à la base de fiente de pigeon, permettent au cuir de devenir babouche (dernière photo)
46
1001 facettes
Cette terre
q Après la cuisson, les tajines sont décorées
appelée argile…
p Des tajines présentés dans le souk, à Marrakech
La poterie, artisanat très
présent au Maroc, se pratique
dans toutes les régions, selon
des procédés de fabrication
millénaires.
À
l’origine de la poterie : l’argile, terre élastique qui, humidifiée, permet de créer pots
et récipients. Cette terre est mise dans un
bassin relié à une cuve remplie d’eau, pour qu’elle
devienne plus souple. Elle est ensuite filtrée et travaillée par des artisans à même le sol pour donner
une pâte prête à l’utilisation. Découpées en bloc,
des mottes d’argile sont distribuées aux potiers et
le travail peut commencer.
« Ce métier, c’est un travail et un sport ! »,
confie Abdelatif, 45 ans et potier depuis sept ans
dans un petit atelier en pleine montagne, tandis
qu’il saute dans un trou où il peut tout juste passer son corps. Face à lui, une plaque ronde qui lui
servira à modeler l’argile ; sous la table, un cercle qu’il fait tourner avec ses pieds pour activer la
plaque. Jetant un gros morceau de terre bien lisse
sur la plaque, le potier s’affaire et pots, assiettes,
tasses prennent formes comme par magie.
Une fois le modelage terminé, il effectue des retouches : coller des anses, vérifier que tous les éléments de la poterie s’encastrent bien les uns dans
les autres, dessiner des décors à l’aide de petits
instruments comme des couteaux ou des baguettes
de bois… Exposées au soleil, les poteries sèchent
ensuite pendant au moins deux heures.
La première cuisson dure quatre heures à 800
degrés. Les fours sont faits en pierres et peuvent
contenir plus de 500 pièces, protégées dans des
caissettes pour qu’elles ne brûlent pas. Les poteries sont maintenant prêtes pour la peinture. Les
motifs sont le plus souvent des dessins géométri-
ques : traits, ondulations, cercles. Ils sont réalisés
sur commande ou laissés à l’imagination du peintre. Les poteries repartent ensuite une dernière fois
faire un séjour dans le four pendant six heures à
1 000 degrés pour que la peinture se fixe sur l’argile. À la sortie, elles sont triées et leurs couleurs
ternes ravivées avec l’application d’une couche de
vernis, ultime étape de fabrication. Elles sont maintenant prêtes à être vendues dans les souks.¿
Anabelle Bourotte
q Les mains de l’artisan façonnent l’argile
La face
cachée du pot
L
es poteries au Maroc ne sont pas réalisées de manière industrielle, elles sont
l’œuvre d’artisans expérimentés qui
s’activent dans des ateliers aux tailles variables. Un rythme de travail éreintant, comme le
confirme Khadir, « Speedy Gonzalez » de 50
ans qui, depuis huit ans, trie les poteries dans un
petit atelier : « Le travail ici est dur, très dur »,
assure-t-il en mimant les gestes qu’il effectue
toute la journée. La cadence est dure à suivre :
« Moi, par exemple, je peux faire jusqu’à 200
pièces par jour et plus encore quand on a des
commandes », annonce fièrement Adbelatif, 45
ans, potier depuis sept ans dans un petit atelier
en pleine montagne.
130 dirhams de plus au souk
« Et puis, être potier ne rapporte pas tant
que ça : 50 dirhams par jour, ajoute Khadir,
l’artisan hyperactif. Pourtant, je me lève de
bonne heure comme les coqs ! » D’un ton toujours teinté d’ironie, il explique que le salaire
de potier n’est pas très élevé si on le compare
à la dépense d’énergie et au temps que prend
cette activité. « Vous voyez, cette soupière qui,
ici, coûte 70 dirhams atteint 200 dirhams sur
les souks », raconte Khadir, mettant des mots
sur le mécontentement silencieux commun à
beaucoup de potiers. Ce ne sont pas eux qui se
font une marge sur leurs produits, mais bien les
marchands qui achètent à des sommes modiques les poteries et les revendent en multipliant
leurs prix. ¿
A.B.
1001 facettes
47
Herboristerie
Sésame, ouvre-toi
Safran, henné, cumin, musc, thé… L’herboristerie du Paradis
propose des dizaines de produits différents à ses clients.
L’actuel directeur, Mohamed Abderrahim, est le fils
d’un « thérapeute traditionnel » et guérisseur respecté.
Il est parvenu à faire de cette herboristerie, créée il y a 40 ans,
l’une des plus réputées de Marrakech.
L
es grains de Nigelle guérissent des rhumes
et des migraines, l’huile d’Argane est utilisée contre les rhumatismes et l’arthrose.
Quant à la mandragore, elle soigne la mauvaise
circulation du sang. Dans l’herboristerie du Paradis chaque mal a son remède, mais un remède
100 % naturel, très loin des gélules et autres cachets pharmaceutiques.
Contenus dans des bocaux posés sur des étagères qui recouvrent les murs du magasin jusqu’au
plafond, les médicaments ont ici mille couleurs
et autant parfums et de goûts différents. « Le plus
important, c’est le dosage, confie M. Meknassi,
un employé de 42 ans. C’est vraiment ce qui fait
la différence dans une bonne préparation. » Le
docteur Jean-Pierre Muyard, médecin canadien, a
d’ailleurs confirmé les bienfaits de cette médecine
par les plantes à la suite sa collaboration avec l’actuel directeur de l’herboristerie, M. Abderrahim.
Le docteur Muyard n’est pas le seul à dire du
bien de l’herboristerie du Paradis. Les nombreux
touristes qui entrent dans la boutique ne manquent
pas de la recommander dès leur retour. Le boucheà-oreille fonctionne si bien qu’ils reçoivent continuellement des commandes du monde entier, grâ-
ce notamment à leur site internet. Cette réputation
internationale est fondée sur plusieurs critères : la
boutique propose une très grande diversité. « Je
ne saurais pas vous dire exactement combien de
produits on a », confie Mostafa Meknassi. Entre
graines, épices, huiles…, on trouve véritablement
de tout. C’est aussi la qualité des produits qui est
appréciée, notamment grâce à de bons emballages.
Le henné est ainsi vendu dans sachets en plastiques afin que « ça ne prenne pas la poussière, pas
comme dans les souks ».
p Safran, musc, cumin, thé...
Des herboristes voilées
Cette augmentation de la clientèle et des commandes a pu donner une autre envergure à l’herboristerie du Paradis. « Avant, on était sur la place
aux épices, mais on est venu ici, sur la place Ben
Youssef, et on a pu agrandir », indique l’herboriste. La boutique compte désormais onze salles,
dans lesquelles travaillent une vingtaine d’employés. Des employés qui pour la plupart, comme
Mostafa Meknassi, ont découvert le métier en famille. « Ce travail, c’est mon père qui me l’a appris », déclare ainsi celui-ci fièrement. L’homme
a eu son baccalauréat, mais n’a poursuivi aucunes études de biologie. « Le métier commence à
Et toi, tu fumes la
P
our
les
touristes,
le narguilé
ou chicha semble
faire partie intégrante de la tradition orientale. On
imagine le salon
typique, tapi de
coussins moelleux
et colorés sur lesp Fumeur de narguilé
quels on s’assoit
entre amis pour déguster du thé et partager des bouffées de narguilé.
C’est en effet ce que l’on peut observer dans les
riads, bars à chicha ou dans certains restaurants.
s’ouvrir aux femmes », indique Mostafa Meknassi
avec un sourire envers la jeune femme qui l’assiste discrètement. « Avant, elles ne pouvaient pas
du tout faire ce métier, parce que les gens étaient
gênés dans certaines situations, comme dans des
cas d’hémorroïdes. Maintenant, elles commencent
à arriver parmi nous », ajoute-t-il avec un sourire.
Ces femmes herboristes existent aujourd’hui, mais
restent une minorité. Les femmes sont parvenues
à exercer la médecine en Europe, jusqu’à devenir
majoritaire dans les facultés. Peut-être verra-t-on
bientôt, de la même façon, de nombreuses herboristes voilées… ¿
Sonia Barge
chicha ?
À la carte du restaurant où travaille Tarik Ali,
jeune serveur de 21 ans, il est écrit « narguilé : 20
dirhams » parmi toutes les spécialités culinaires.
Mais « rien à voir avec une quelconque tradition,
s’exclame Tarik Ali. C’est du folklore imaginaire !
Ca plaît aux touristes alors on fait comme si ! »
personnes majeures peuvent fumer. La police vérifie aussi régulièrement le contenu des narguilés :
« À la place du tabac certains mettent de la drogue », explique le serveur. Et aujourd’hui, les touristes ne sont plus les seuls à se laisser tenter par le
narguilé. Les jeunes Marocains s’y mettent aussi.
Le narguilé vient en réalité d’Égypte et il s’est
d’abord implanté au Maroc pour nourrir les rêves
d’Orient des touristes. Il y est resté et y est même
de plus en plus à la mode. « Depuis deux, trois
ans, ça n’arrête pas. On fume la chicha partout et
des bars spécialisés se construisent sans arrêt »,
remarque le jeune serveur. Ces bars sont surtout
situés dans les endroits touristiques comme Casa
ou Marrakech. « Il y a parfois huit, neuf bars à
chicha dans un seul boulevard », ajoute Tarik Ali.
Mais pour pouvoir proposer le narguilé, il faut une
autorisation délivrée par les autorités et seules les
Pourtant, fumer est interdit par la religion musulmane : « Allah nous a offert la vie, on doit
donc la respecter et ne pas faire des choses qui
pourraient nuire à notre santé », précise le jeune
homme avant d’ajouter : « Mais fumer de temps en
temps ne fait pas de mal ! » Reste que cet avis n’est
pas partagé par tous les Marocains : « Si jamais ma
mère savait qu’il m’arrive de fumer le narguilé, je
passerais un sale quart d’heure ! », s’exclame Tarik Ali en agitant nerveusement la main. Les effets
de mode seraient-ils enclins à prendre le pas sur
les interdits religieux ? ¿
A.B.
1001 facettes
48
Populations berbères
La lutte
des hommes libres
Le Maroc abrite la population berbère la plus importante d’Afrique
du Nord. En langue berbère, on les nomme « Imazighen »,
pluriel de « Amazigh », signifiant « homme libre ».
Composant l’essentiel de la population marocaine, les Berbères
doivent néanmoins lutter pour que leur culture, millénaire, survive.
E
nsemble d’ethnies autochtones d’Afrique
« Depuis 5 à 6 ans, beaucoup de choses positidu Nord, les Berbères sont liés selon les
ves ont été réalisées. La langue amazighe a été
régions par la langue, l’habillement, les
introduite dans le programme scolaire », raconte
coutumes, la musique ou encore
Ahmed Choukri. Avant cette
par l’organisation sociale. « La
situation,
il restait une culture
q Ahmed Choukri
population marocaine est Berorale, mais l’écrit, qui permet
bère pour l’essentiel. L’apport de
la conservation du patrimoine,
population arabe est resté numéfaisait défaut : « L’idée ne peut
riquement limité, mais culturelvivre que si on la partage. C’est
lement important par le biais de
la même chose pour le patril’islam qui a peu à peu imposé
moine », lance Ahmed Choukri
la langue arabe au point de requi déplore que beaucoup de
léguer les langues berbères au
poèmes se soient perdus, faute
second plan », explique Ahmed
de transmission orale.
Choukri, doctorant et spécialiste
de la culture berbère.
Patrimoine en danger
Mohamed Mellal, à la fois
poète, chanteur, artiste peintre et
Ainsi, les Berbères, qu’on apcaricaturiste partage ces regrets.
pelle Amazighs (« hommes liNé au village du Tamlalte au
bres »), ont dû lutter pour faire
Sud-est dans la vallée du Dadès,
« La population
reconnaître leur culture. L’époil travaille à la sauvegarde d’un
que où les noms Berbères étaient
patrimoine qu’il considère « en
marocaine est
interdits est révolue et, en 2001,
danger ». Pour arriver à ses fins,
Berbère pour
Mohamed VI a créé l’institut
il a monté un studio d’enregisl’essentiel. L’apport
royal de la culture amazighe.
trement et s’emploie méthodiMême si certaines associations
quement à sauvegarder ainsi un
de la population
comme le « Réseau Amazigh
maximum de chants traditionarabe est resté
pour la citoyenneté » dénoncent
nels amazighs. Lui-même comnumériquement
une récupération de la cause
pose des poèmes qu’il interprète
Amazigh par le pouvoir, pour la
avec son groupe Mallal : « J’y
limité. »
majorité des sympathisants de la
parle de ma région natale, de
cause berbère, c’est une victoire.
mes origines, de ma langue qui
Alors qu’une radio émet déjà en berbère, une chaîest souvent brimée… ». Pour préserver une culture
ne de télévision va faire son apparition prochainemillénaire, il a fait le choix d’Internet pour diffuser
ment. Ahmed Choukri pense que la situation des
musiques et paroles Berbères. Un nouvel outil de
Berbères au Maroc est plus avancée qu’en Algérie
sauvegarde ? ¿
ou en Tunisie : « Les Marocains ont déjà théorisé
Eddy Spann
les choses, ressuscité la culture… »
Institut royal de la culture amazighe :
La culture amazighe est véhiculée par la langue,
www.ircam.ma
la littérature et les arts. L’amazigh est une langue
Réseau Amazigh pour la citoyenneté :
avec un alphabet, une grammaire et une littérature.
www.forumalternative.org
À travers le pays, on distingue trois dialectes : le
www.mondeberbere.com
tarifit, parlé dans le nord, le tamazight, utilisé au
www.mallal.net : possibilité de télécharger
centre du pays et le tachelhit, parlé dans le sud.
d’anciens albums du groupe Mallal
p Village typique du Sud marocain
Récupération ?
q Mohamed Mellal
« Dans mes
poèmes , je parle
de ma région natale,
de mes origines ,
de ma langue qui
est souvent brimée... »
1001 facettes
49
Thé prêt ?
C
omment parler de tradition et de coutumes au Maroc, sans parler du thé à
la menthe ? Plus célèbre qu’une babouche, plus en vogue que le couscous, le thé à la
menthe est indispensable au Maroc. de Marrakech à Meknès, en passant par l’Atlas et Ouarzazate, personne ne peut y échapper.
« Le whisky marocain », comme beaucoup
se plaisent à l’appeler, est un petit bijou au petit-déjeuner, une faveur en fin de déjeuner, un
plaisir durant l’après-midi, une satisfaction en
fin de journée.
Mais pour apprécier le thé à la menthe, encore faut-il réussir sa préparation. Dans un
village berbère au sommet d’une montagne
dans l’Atlas, ou dans un Riad à Marrakech, les
gestes sont les mêmes, précis, agiles et irréprochables.
Gastronomie
Collation berbère
L
a cuisine berbère, ancestrale, diffère selon
les régions. D’une simplicité extraordinaire, elle est savoureuse et généreuse : « Chez
les Berbères du sud il faut montrer l’abondance »,
affirme Zoubir Bouhoute, un entrepreneur de la région de Ouarzazate.
Il se trouve que sa belle famille, installée dans
une maison à quelques kilomètres du ksar Aït Ben
Haddou, non contente d’être Berbère, est également originaire du sud. L’invitation pour une petite collation ne se refuse pas. D’autant plus, qu’à
Marrakech, à moins d’y mettre le prix, les menus
pour touristes ne sont pas très variés. Rien ne vaut
la cuisine familiale. L’hospitalité berbère y prend
tout son sens.
L’aliment principal est le pain tafarnout ou afarnou en berbère (« pain du four »), réalisé avec de
la levure traditionnelle. La belle-mère vient de le
cuire dans le four qui jouxte la maison. C’est un
exercice délicat, où l’on colle la pâte mouillée sur
les parois du four en terre cuite. Il semblerait que
les brûlures fassent inévitablement partie du processus. Le pain est servi chaud, avec du beurre, du
miel et de l’huile d’olive afin de le tremper.
Sur la table on trouve également des amandes et
une omelette berbère, omelette sur un lit d’oignons
et de tomates avec quelques olives. On arrose le
tout avec du thé et du café. « Cela dépend des
régions, mais dans le sud on prend les deux, pas
besoin de choisir », explique Zoubir. Le café, noir,
est servi avec beaucoup d’épices, gingembre, cannelle… Le thé est à la verveine.
« Il faut déjà faire chauffer l’eau », explique Abdou, gardien du riad Itrane à Marrakech.
« Ensuite, on met le thé dans la théière, ajoutet-il. Du thé vert ! » Après, il faut ajouter un peu
d’eau chaude sur le thé, pour le rincer, « enlever son amertume ».
« Il faut jeter cette eau après », commente
Abdou. C’est alors que les feuilles de menthe,
prélavées, entrent en scène. « On les met dans
la théière, avec le sucre », précise Abdou. La
dose de sucre dépend des envies, mais il serait
dommage de l’oublier !
Ensuite on remplit la théière d’eau bouillante. « Il faut bien remuer les feuilles de menthe
pour ne pas qu’elles atteignent la surface et
qu’elles noircissent », déclare Abdou, tout en
surveillant la préparation. Une fois chaud, on
transvase « deux ou trois fois » le thé de la
théière au verre et inversement.
Chez les Berbères du sud, la multiplication des
pains est un miracle permanent ; on a beau se servir largement, le panier tressé se remplit perpétuellement. Toute la famille observe, guette les réactions de l’hôte avec une grande attention. « Quand
tu manges beaucoup, ils sont contents », s’amuse
Zoubir. Tout le monde avait l’air bien satisfait.¿
Enfin arrive, au grand plaisir des convives, le
service ! Le concours de celui qui verse le plus
haut n’est pas superficiel. L’enjeu est de taille :
faire mousser le thé, pour obtenir un résultat le
plus proche possible de la perfection !Une préparation simple, rapide, accessible à tous, pour
un thé à la menthe qui respire le Maroc.¿
Eddy Spann
Juliette Bourrigan
1001 facettes
50
Saveurs
Ça,c’est
du couscous !
Tunisien ? Algérien ? Eh bien non, d’après les Marocains,
la recette est uniquement originaire de leur pays.
Aussi célèbre que les babouches et le thé à la menthe,
un couscous, un vrai, demande beaucoup plus de travail
qu’on peut l’imaginer.
P
ersonnes pressées et impatientes s’abstenir ! Pour préparer un couscous, il faut
avant tout ne pas avoir peur de passer sa
matinée devant les fourneaux. Une fois cette
crainte dépassée, inutile de chercher les proportions à utiliser pour chaque ingrédient : un vrai
couscous se doit d’être proportionné à l’instinct. Mieux vaut donc avoir l’œil, si on espère
obtenir un résultat un tant soit peu mangeable.
Et la semoule alors ?
On commence par le plus long à cuire, la
viande. Bien sûr, on peut utiliser toutes sortes
de viande, mais un couscous marocain - berbère précisément - se prépare avec du bœuf.
Pour avoir plus de goût, la viande se cuit avec
les légumes et les épices. Un peu de safran,
une pincée de sel, le tout associé aux carottes,
citrouille, genzittes - sorte de courgettes marocaines - oignon et jus de tomates pour la sauce.
Mais attention, on ne coupe pas les légumes
n’importe comment, et surtout pas en rondelles ! Non, pour faire les choses correctement, il
faut les couper en longueur. Les rondelles, c’est
Cuiseur du
pour les salades ! Après avoir brillamment accompli cette tâche, il faut compter environ 1 h 30 pour
la cuisson.
quotidien
Après le plus long à cuire, reste le plus difficile à
bien préparer : la semoule. Et là, ça se complique.
Elle ne doit être ni trop sèche, ni trop mouillée,
mais lisse et pas trop grosse. Pour espérer obtenir
la semoule parfaite, les Marocaines la font bouillir
30 minutes puis la transvasent dans un grand plat.
Ici, elles ajoutent de l’eau et mélangent à la main
pendant près de cinq minutes. Mais ce serait trop
facile s’il suffisait d’effectuer la tâche une seule
fois. Pour bien faire, il faut répéter l’opération cinq
fois. Rassurez-vous, après ces quelques étapes,
vous avez fini !
Et si vous voulez vous rapprocher encore plus
du Maroc, servez votre couscous dans un plat unique et dégustez-le directement dedans. Et là, il est
impossible de regretter d’avoir sacrifié sa matinée
en cuisine. À moins peut-être que vous n’ayez
oublié la viande pendant la préparation de la semoule… ¿
Cécile Pasquet
q La semoule ne doit être ni trop sèche ni trop mouillée, mais lisse et pas trop volumineuse
p Le cuiseur en action...
D
ans les rues de Marrakech, il n’est pas
rare de croiser des femmes ou des jeunes filles portant une planche de bois
recouverte d’un linge. Sous la toile, une pâte
soigneusement pétrie. Tous ces petits cortèges
finissent au même endroit : chez le cuiseur de
pain.
Au Maroc, chaque famille fait en effet son
propre pain, mais, en général, elle ne possède
pas son propre four. Ainsi, dans chaque village
ou quartier un cuiseur met à disposition, contre
quelques dirhams, son four à bois.
Pour le trouver, il suffit de suivre la bonne
odeur de pain cuit ou alors ces femmes menant
la pâte prête à dorer. On arrive alors rapidement
devant une grande porte ouvrant sur une pièce
noire dans laquelle sont entreposés des pains
cuits ou non. Le four se trouve au fond de la
pièce dans une sorte de fosse. Le cuiseur, lui,
est devant, enfournant les pièces que lui ont apportées les femmes.
Le pain marocain, que l’on trouve sous forme de galettes épaisses, est la base de l’alimentation marocaine. Tous les plats se mangent
traditionnellement avec les doigts et le pain en
est le support. Sa confection et sa cuisson sont
donc indispensables à la vie quotidienne. ¿
Camille Gros
L’homme aux pommes et aux cartes postales - souk de Marrakech u
1001 facettes
51
52
Priorité tourisme
10 millions de
touristes avant 2010 :
voici la priorité
économique
du Maroc.
Tous les moyens sont mis en
œuvres pour
attirer l’étranger.
Un acharnement qui risque
de se faire au
détriment des autres
secteurs économiques :
industrie, agriculture,
bâtiment.
q La terrasse du riad Itrane
q Le riad Charlotte au coeur de la Médina de Marrakech
Patrimoine
Riads en mosaïque
Immenses maisons familiales hier, chambres d’hôtes aujourd’hui,
les riads de Marrakech et du Maroc, ont connu, entre destructions
ou rénovations, bien des aventures pour devenir ceux que nous
connaissons. Histoire d’une évolution…
G
randes constructions de plus de 1 000 m2,
dans lesquelles cohabitaient jusqu’à
trois générations, les riads s’organisaient
autour d’une fontaine dans un patio à ciel ouvert
agrémenté de quatre petits jardins.
Autrefois, ces demeures permettaient aux pères
de famille de garder auprès d’eux leurs enfants, en
leur offrant une chambre et une cuisine sous leur
toit lorsqu’ils se mariaient. Mais, face à des problèmes économiques importants, les familles ont
vendu morceau par morceau leur patrimoine pour
subvenir à leurs besoins.
La sauvegarde
d’un patrimoine précieux
La tradition a donc cédé le pas, favorisant la
multiplication de petites habitations. « Depuis
une cinquantaine d’années, la population dans la
Medina a beaucoup augmenté, explique Othmane
Bellout, gérant d’un
riad pour touristes à
Marrakech. De plus,
les familles recherchent plus d’indépendance les unes par
rapport aux autres. »
Autre grande cause
de la dislocation des
riads, les problèmes
d’héritage. Bien souvent, à la mort du
père, les familles se
sont partagé les riads
pour y créer plusieurs
appartements indépendants.
Ces demeures n’ont
pour autant pas totalement disparu. Elles
se sont tout simplement transformées. Sous l’impulsion du maire de Marrakech, Omar El Jazouli,
des étrangers ont racheté des appartements afin
de faire revivre les riads d’antan. Dans la Medina
de Marrakech, on dénombre aujourd’hui environ
1 000 riads, désormais essentiellement dédiés au
tourisme.
« L’achat d’un petit riad de 100 m2, coûte environ 120 000 euros et il faut compter autant pour
la rénovation et l’ameublement, précise Othmane
Bellout dont le riad appartient à un Français, originaire de Saône-et-Loire. Les Marocains ne peuvent pas se permettre d’acheter, car ils n’ont pas
les moyens alors que les étrangers viennent avec
un pouvoir d’achat fort et font parfois des crédits
dans leur pays d’origine pour pouvoir acheter des
bâtiments. »
De son côté, le premier magistrat marrakchi
justifie cette politique en invoquant la sauvegarde
du patrimoine marocain. « Je préfère que les riads
soient entre les mains de touristes plutôt que voir
mon patrimoine se transformer en ruines, confiet-il. Par ailleurs, chaque fois qu’un étranger ouvre
un riad, il emploie des Marocains ! »
Les propriétaires étrangers ont de fait besoin de
personnels pour gérer leurs biens pendant toute
l’année. Ils emploient donc des gérants, qui deviennent leurs doigts et leurs yeux lorsqu’ils sont
absents. Des femmes de ménage, cuisinières, hommes d’entretien et gardiens de nuit sont également
recrutés. Un riad comptant sept chambres permet
ainsi d’employer un gérant, deux femmes de ménage et un gardien de nuit.
Les riads traditionnels renfermaient véritablement la culture marocaine. Délaissés, ils ont retrouvé un second souffle grâce au tourisme. Même
si ce patrimoine sauvegardé ne profite plus aux
Marocains qu’en terme économique…¿
Camille Gros
Priorité tourisme
53
Une journée au riad
Une danse bien réglée...
Depuis 2006, Patrice Lebobe est propriétaire du Riad Itrane qui accueille des touristes de toutes
nationalités à Marrakech. Depuis le mois de janvier 2008, ce riad a été rénové pour accueillir une
clientèle plus aisée. Pendant une journée, nous avons suivi les quatre membres du personnel.
7
h 00 : Pour Abdelghafouv Laaraj, dit
Abdou, la nuit de veille arrive à sa fin. Il est
le gardien de nuit du Riad et prend son service à 19 heures. Pendant tout son temps de travail,
il reste à la disposition des clients et veille jusqu’à
ce que tous soient rentrés, qu’il soit 22 heures ou
4 heures du matin. C’est lui qui ouvre le bal des
allées et venues en préparant la table du petit-déjeuner pour les hôtes logeant dans le riad, simplifiant ainsi le travail des femmes de ménage qui
arriveront plus tard.
7 h 30 : Arrivée de Sanae, l’une des deux
femmes de chambre, qui commence par se mettre
aux fourneaux pour que le repas soit servi aux dormeurs dès leur réveil.
à table. Commence alors le service du thé, café,
lait ainsi que des spécialités marocaines faites sur
place. Chaque matin, elles sont différentes : crêpes
à l’huile d’olive, quatre quarts à la fleur d’oranger
ou aux amandes…
8 h 45 : Les convives ont terminé leur repas matinal. C’est donc au tour d’Abdou, Sanae
et Houria de s’affairer pour tout débarrasser puis
faire la vaisselle.
Agrandissement en vue
9 h 25 : Abdou nettoie la piscine. Il consacre quotidiennement 15 à 20 minutes à vérifier
que tout fonctionne correctement et à nettoyer le
bassin. Il ne passe l’aspirateur que tous les deux
Au même moment, Abdou part faire les achats
de dernière minute pour le petit-déjeuner. Au milieu des enfants en uniformes qui partent pour
l’école et des adultes qui commencent leur journée
de travail, il se dirige vers la place Jemaa-El-Fna
pour acheter le jus d’orange fraîchement pressé.
Il a téléphoné préalablement au marchand pour le
prévenir de son arrivée et ainsi ne pas attendre.
clients pourront y découvrir un hammam, une nouvelle salle à manger, un autre solarium, deux suites supplémentaires, un jardin ainsi que plusieurs
petits salons marocains. L’établissement fera alors
340 m² au lieu de 226 actuellement et comptera
deux femmes de ménage en plus, ainsi qu’une cuisinière à temps complet.
Ensuite, il achète auprès d’un boulanger du pain
encore tout chaud et, chez un épicier, de la menthe
fraîche pour le thé. Il est de retour au riad après
une courte absence de quinze minutes durant laquelle Houria, la seconde femme de chambre, est
arrivée.
8 h 00 : Les occupants du riad, s’installent
15 h 00 : Une tempête souffle dans tout
Marrakech et, sous le coup d’une rafale, l’une des
bâches protégeant le riad du vent et du froid vient à
craquer. Cela ne s’était jamais produit auparavant.
Le gérant décide donc de contacter une entreprise
pour assurer une réparation immédiate.
p Sanae nettoie l’une des 7 chambres du riad
ou trois jours, car cela consomme beaucoup d’eau.
Une bâche est heureusement tendue au-dessus de
la piscine, ce qui empêche une grande partie des
poussières de la ville de tomber dedans.
9 h 30/10 h 00 : Abdou termine sa jour-
née.
10 heures : Sanae commence le ménage
des sept chambres et suites.
10 h 15 : Othmane Belloute, le gérant du
riad arrive, après avoir réglé des affaires à l’extérieur. Il repart aussitôt pour suivre l’avancée du
chantier d’agrandissement du riad qui offrira en
plus des chambres, une table d’hôtes. Bientôt, les
p Abdou installant la table du petit-déjeuner
p Houria s’affaire pour débarrasser la table
16 h 30 : Sanae s’en va, bientôt suivie
par Houria. Elles sont restées toute la journée au
service des clients, aussi bien pour distribuer des
bouteilles d’eau que pour donner des conseils pour
la visite de la ville. Elles préparent même, si c’est
nécessaire, des assiettes de riz pour les clients malades !
19 heures : Abdou réapparaît pour prendre son tour de garde du riad et boucler la journée.
La vie des employés du riad s’organise totalement autour des clients. En plus de remplir leur
rôle de femmes de chambre, gardien de nuit ou
gérant, tous les quatre sont prêts à répondre aux
questions des clients et à leur rendre service, même
si ce n’est pas compris dans leur contrat. ¿
Camille Gros
54
Priorité tourisme
Tourisme extrême
Ouarzazate, perle du grand Sud
L’industrie du cinéma est devenue vitale
pour la région de Ouarzazate.
Elle favorise et suscite les investissements
touristiques comme l’hôtellerie et permet
à la population de vivoter grâce
aux figurations dans les blockbusters
tournés dans les studios de la ville.
Ouarzazate a décidé de parier sur le cinéma
et le tourisme pour son avenir.
O
uarzazate est en tête du box-office des
lieux de tournage mais l’industrie cinématographique ne suffit pas pour faire vivre
la région. Entre les tournages, c’est le chômage,
sans indemnités bien sûr. Les autorités veulent
donc jouer la carte du tourisme à fond.
Au sud-est du Maroc, Ouarzazate ne manque
pas d’atouts. La province possède de nombreuses
richesses naturelles et culturelles : découverte du
monde présaharien, immensité des dunes, montagnes, palmeraies et oasis, les grandes vallées…
Ouarzazate est également le lieu par excellence du
mode d’habitat en terre. Ce sont les ksours et les
kasbahs comme Aït Benhaddou et Taourirt.
À la croisée des chemins de l’Atlas et du désert, Ouarzazate est idéale pour des séjours de
découverte de la région. C’est bien le problème,
Ouarzazate reste un lieu de passage qui ne totalise
qu’environ 3 % du total des nuitées au Maroc avec
une durée moyenne du séjour qui ne dépasse pas
deux jours. La délégation provinciale du Tourisme
Ouarzazate / Zagora est sur le pied de guerre pour
tenter de changer la donne. Parmi les nombreux
plans et études, rédigés, se trouve « Le Projet de
Programme de Développement Régional Touristique (PDRT) Ouarzazate / Zagora 2007-2016 ».
Il s’agit d’un inventaire des points faibles, des
contraintes et des solutions envisagées.
La mesure phare est l’amélioration de la qualité
et l’augmentation de la capacité d’hébergement :
« Avec la signature d’une convention de 5,4 milliards de dirhams, nous allons tripler la capacité
hôtelière », se réjouit Abdessadek El Alem, directeur de l’annexe du Centre régional d’investissement à Ouarzazate. Avec toujours plus d’hôtels de
luxe, de casinos et de golfs, Mansour Lake City,
une immense station touristique va ainsi voir le
jour à 18 km de la ville.
Le deuxième axe vise au développement d’animations touristiques pour meubler les séjours.
« A Ouarzazate, le printemps s’étalera de mars à
août », scandent les professionnels du tourisme.
Le plan veut également faire de Ouarzazate, en
plus de la terre des 1001 kasbahs, en plus de l’Hollywood de l’Afrique, la ville des musées. Après le
musée du cinéma, quatre projets sont en cours de
p En avril 2008, course de serveurs avenue Mohamed V à Ouarzazate
réalisation : un musée des tapis et un musée de la
biodiversité à Ouarzazate, le musée des Dinosaures à Tazouda Iminoulaouen et le musée des palmiers à Skoura. Au total ce ne sont pas moins de
sept musées qui devraient être créés.
Mohamed Boussalh, directeur du CERKAS
(Centre de conservation et de réhabilitation du patrimoine architectural atlasique et subatlasique) est
sceptique : « Il y a bien une politique de musées,
mais développée pour le tourisme sans réelle vision scientifique. Est-ce durable de bâtir toute la
ville autour du tourisme alors que c’est un revenu
saisonnier ? »
Développement de l’écotourisme
Mohamed Abouissaba, professeur de français à
Skoura, partage cette méfiance : « Nous n’avons
pas besoin de musées, ce sont des façades qui ne
vont pas aider les démunis. Il nous faudrait plutôt
une vraie politique agricole. »
Le dernier axe vise à doter tous les hôtels de la
région en personnel qualifié en ouvrant des écoles d’hôtellerie. Dimanche 13 avril 2008, l’avenue
Mohamed V de Ouarzazate est fermée à la circulation devant l’Institut de technologie hôtelière et
touristique. L’institut a organisé une course. En
rang d’oignon, le plateau à la main, chemise blanche et veston, les serveurs s’apprêtent à parcourir
900 mètres. Tout est bon pour obtenir un article
dans la presse.
Face à cette démesure, un autre tourisme essaye
de voir le jour. La première édition du festival
international du tourisme rural s’est tenue dans
la ville en juin 2008 : « C’est l’occasion de promouvoir un nouveau créneau porteur de retombées économiques et sociales », explique Fatima
Hillion, chargée de communication. Les participants, professionnels du tourisme, associations et
décideurs ont réfléchi ensemble à l’impact que le
tourisme rural pourrait avoir sur l’économie locale
et sur le développement durable des populations
concernées. Zoubir Bouhoute, un entrepreneur de
la région est, quant à lui, persuadé de l’avenir de ce
type de tourisme. À quelques kilomètres du ksour
Aït Benhaddou, il restaure une maison familiale
pour en faire une maison d’hôte. Tout est restauré
et construit selon la tradition locale : « L’idée,
c’est que les touristes puissent ramener du goût et
des souvenirs. » ¿
Sans oublier sur le
Web
www.typomag.net
¿ Économie
u Allo, j’écoute ! (A.M.)
u L’AMAPPE, pour l’économie de demain
(A.H.)
u Gaëlle Archaimbault : « Le travail ici,
c’est assez compliqué ! » (J.B.)
u Taxis dans la tourmente (A.M.)
u Cirage noir et cœur en or (S.B.)
u Les problèmes d’emploi à Ouarzazate :
du cinéma ? (F.P.) ¿ Humeurs
u Des ternes animaux pas si sauvages !
(F.P.)
u Rouge comme une écrevisse (A.M.)
u Les cadres au chômage manifestent
(T.C.)
Priorité tourisme
55
Réhabilitation
La kasbah de Taourirt,
mémoire de leurs pères
Classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis
1987, la kasbah de Taourirt est devenue un atout
touristique majeur pour la région de Ouarzazate. Mais
le patrimoine est souvent le grand oublié de la culture
marocaine et ce sont des passionnés comme l’archéologue Mohamed Boussalh qui permettent les
réhabilitations nécessaires pour protéger ce site
exceptionnel et en faire profiter les habitants.
p Détail de la kasbah, une fontaine en mosaïque
L
gardiennes de la mémoire des ancêtres berbères,
auxquels des associations culturelles et artistiques
s’intéressent depuis les années 90 », ajoute ce spécialiste.
a kasbah est un genre de fort qui se compose d’un palais et d’un ksar, village communautaire de terre. Nichée dans la région
de Ouarzazate, celle de Taourirt date du XVIIe siècle. Elle a été construite par la dynastie Alaouite
avant de passer aux mains du pacha de Marrakech,
El Glaoui, au XXe siècle pour services rendus
aux forces coloniales françaises. Une possession
de courte durée puisque, dès l’indépendance du
Maroc en 1956, l’État reprend possession du site
avant de décider dans les années 70 de l’exploiter
à des fins touristiques. D’abord classée « patrimoine national » en 1954, la kasbah Taourirt rejoint le
patrimoine mondial de l’Unesco dès 1987.
Au niveau archéologique, les kasbahs représentent « un patrimoine important dû à la synthèse
de l’architecture avec des greniers, des terrasses,
des ruelles », souligne Mohamed Boussalh, responsable du centre de restauration et de réhabilitation du patrimoine architectural atlasique et
sub-atlasique, le CERKAS. « Elles sont aussi des
La kasbah de Taourirt est de plus un patrimoine
architectural vivant car six familles résident encore dans son ksar. Des terrasses de ce village de
terre pendent des tapis. Au-dessus de chacune des
entrées est peinte une main de Fatma pour protéger du mauvais sort. Les femmes éclaboussent
les murs d’eau pour les humidifier, tandis que des
vieillards jouent aux cartes, attendant patiemment
qu’un touriste leur achète une babiole.
Plus qu’un patrimoine,
une culture à préserver
p Mohamed Boussalh
q La kasbah de Taourirt est classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1987
Cette kasbah est un exemple de synergie qui a
permis la sauvegarde du patrimoine et la promotion des activités du tourisme. Des infrastructures
touristiques ont été mises en place type guichet,
réaménagement de passages et création d’une
coopérative de tapis avec son propre label. Des
commerçants s’agencent dans les rues et une Espagnole y a même ouvert un gîte luxueux.
« L’intégration sociale des habitants du ksar est
la voie vers une sauvegarde durable de ce patrimoine », explique Mohamed Boussalh, émettant
toutefois un bémol : « Mais bien souvent, les gens
ne veulent pas travailler en synergie. »
En outre, le patrimoine reste souvent le parent
pauvre de la culture marocaine. « La kasbah génère 1 500 000 dh de recette pour la municipalité et
ils n’achètent pas une ampoule ! », s’indigne ainsi
M. Boussalh. Il existe néanmoins une brochure,
« Patrimoine mondial », pour faire connaître et
protéger ces richesses. Quelques articles paraissent également dans les magazines. Mais l’impression d’ouvrages, trop onéreuse, et un lectorat
limité rognent les ambitions de ces chercheurs et
gardiens des civilisations qui s’escriment à garder
en vie ces richesses architecturales. ¿
Charline Poisson
Priorité tourisme
56
Portrait
Noureddine,
la force tranquille
Noureddine Daifi est un
véritable aventurier qui a
parcouru le monde avant de se
poser dans la région
montagneuse de Demnate,
emmenant au passage Hanna,
sa femme, rencontrée en
Suède.
Polyglotte et fin connaisseur de
sa région, ce guide attachant a
toutes les qualités pour plaire
aux touristes comme aux
Marocains.
«
Ici, j’aime la marche, la nature, la montagne, la tranquillité. » Ici, c’est l’Atlas. Lui,
c’est Noureddine Daifi. En qualité de guide,
il connaît la région de Demnate comme sa poche.
Pourtant, cette tranquillité que lui apporte son nouveau métier, voilà peu de temps qu’il la connaît.
Véritable globe-trotter, il a découvert de nombreuses régions du monde. Français, arabe, berbère,
anglais, grec et suédois… Autant de langues qu’il
parle couramment, même si l’arabe reste sa langue
natale.
En 1991, Noureddine débarque en Suède « pour
le travail ». « Et puis j’ai rencontré Hanna dans le
métro à Stockholm », confie-t-il. Cette Finlandaise
un peu bourrue est depuis devenue sa femme et l’a
accompagné jusqu’au Maroc. Elle se débrouille
avec le français et l’arabe, mais entre eux, c’est
toujours en suédois qu’ils s’expriment. « L’hiver
en Suède, il n’y pas de soleil », s’indigne Noureddine. Pourtant, il y sera resté dix ans en compagnie
d’Hanna. Malgré l’obtention d’une double nationalité, Noureddine a finalement souhaité retourner
au Maroc.
Le début de la concurrence
C’est en 2001 que ce couple improbable a posé
ses valises à quelques kilomètres de Demnate,
pour ne plus repartir. « C’est bien ici », lâche
Hanna, au fil de la conversation. « Mais la neige,
c’est meilleur », nuance-t-elle toutefois, nostalgique de son pays. « Dans les années 75, il neigeait aussi beaucoup ici », rétorque Noureddine
avec humour. « On voyage une fois par an dans
p Nourredine Daifi, à droite, avec sa femme Hanna, rencontrée dans un métro de Stockholm
la famille d’Hanna et on reçoit des amis, de la famille », explique ce berbère dynamique. Un retour
aux sources indispensable pour sa femme.
visiteurs. « Ils découvrent un mode de vie, ils dorment chez l’habitant, ils ont des relations avec la
famille », explique le Berbère.
Plongés au cœur de la vie dans l’Atlas, ces visiDès leur retour, ce dernier a décidé de deveteurs semblent apprécier le contact qu’établissent
nir guide. « J’ai l’habitude avec les touristes. Je
Noureddine et sa famille avec eux puisque « beauconnais la région, et j’aime la nature. Alors, il
coup reviennent ». Sa sœur
n’y a pas de problème », résuet sa mère, vivant sous son
me-t-il. Ensuite, ils ont mis en
toit, contribuent largement
route un nouveau projet : créer
à l’attachement créé pour la
le café-restaurant Imi Nifri, situé
Ils découvrent
famille de Noureddine.
à proximité du fameux pont naturel. « Nous avons été les preun
« À Demnate, je connais
miers », affirme Hanna, avec une
tout
le monde, et les gens me
, ils dorment
pointe de fierté. Le prochain proconnaissent », souligne-t-il.
jet d’Hanna et de Noureddine est
, Pour sûr, « Noureddine le
simple : « développer la publicité chez l’
Berbère » est une célébrité.
par Internet ».
ils ont des
Il ne peut faire un pas dans
Ce couple atypique souhaite
la
rue sans qu’on ne le salue,
avec
profiter du développement tourissans perdre une once de simtique de la région. « Il faut suivre
plicité.
la
la mode, ajoute Hanna. C’est le
début de la concurrence ! On va
« Pour le moment, on est
faire du business. » « Les tourisbien ici », promet le précieux
tes, souvent des Français, nous
accompagnateur. Son côté
encouragent », ajoute son époux.
aventurier semble à présent se limiter à ses frontières. Un joli cadeau pour sa région ! ¿
Ces touristes, il les connaît bien. Ce guide ne se
contente pas de faire découvrir une région à ses
Juliette Bourrigan
mode de
vie
habitant
relations
famille
Priorité tourisme
57
Atlas
Ouzoud sort
de l’ombre
Abritant de magnifiques cascades attirant de plus
en plus de touristes, le village berbère d’Ouzoud
connaît une évolution considérable. Des
commerces se sont installés petit à petit, rendant
plus attrayante cette modeste bourgade.
L
e village berbère d’Ouzoud s’est développé
au fur et à mesure que les touristes ont afflué vers ses magnifiques cascades. Mohamad, 55 ans, fait partie de ces gens qui ont tenté de
suivre cette dynamique.
« Avant je vivais de l’agriculture, en pleine montagne », explique-t-il. Trente-deux ans d’agriculture qui ont pris fin pour une raison très simple : « Il
n’y a plus d’eau, je n’avais plus assez pour vivre.
Alors, je suis venu ici et, doucement, j’ai construit
ce café », soupire ce quinquagénaire, installé sur
une des chaises en plastique de l’établissement,
ressemblant plus à une hutte qu’à un café.
« C’est au mois d’août que
je gagne le plus », commente
ce patron tranquille, conscient
de l’impact du tourisme.
« Beaucoup d’Allemands et
de Français ont acheté des
terrains, ici », ajoute-t-il.
Mohamad profite donc de
leur venue.
Mais même s’il aime cette
toute nouvelle attractivité, ce
père de dix enfants, logeant
chez lui « des chèvres, des
p Ouzoud se développe autour de sa superbe cascade
moutons, et même un singe », tient à sa sérénité.
« Ce qui me plaît le plus ici, c’est le calme, la tranquillité », confie Mohamad.
Ouarzazate
Guide touristique,
« ça va, ça vient »
P
armi les habitants de la Kasbah de
Taourirt, des guides qui proposent une visite des lieux aux touristes. Comme dans
beaucoup de régions marocaines, le tourisme à
Ouarzazate constitue un point névralgique pour le
développement économique de la région. « Pour
être guide, il faut normalement se former quatre
ans à l’institut de Tanger », explique Mohamed
Boussalh, ethnologue travaillant à la casbah de
Taourirt.
Compétences disparates
Mais, bien souvent, les guides rencontrés à la
casbah n’ont reçu aucune formation et s’improvisent accompagnateur pour avoir un petit boulot.
D’autres sont toutefois passés par l’ANAPEC -
Difficile de quitter
la montagne
Agence Nationale pour la Promotion de l’Emploi
et des Compétences - qui recrute tout le monde et
assure une solide formation.
Résultat de ces compétences quelque peu disparates : les informations données au visiteur
varient de guide en guide. Certains vous diront
ainsi que le pacha El Glaoui s’est installé en 1754
à la Kasbah de Taourirt quand tous les manuels
certifieront que ledit pacha a pris le pouvoir…
au XXe siècle ! Une situation frustrante pour les
quelque 70 touristes qui découvrent chaque jour
cette cité gardienne de mémoire durant la haute
saison. Mais une ressource vitale pour nombre
de jeunes – et moins jeunes – Marocains en mal
d’emploi… ¿
Charline Poisson
Plutôt flegmatique, il semble content de son sort.
« Vous savez, il est difficile pour quelqu’un de quitter la montagne, s’excuse-t-il. Je n’ai jamais eu
envie de partir. » Mohamad se contente de ce qu’il
a, de son petit café qu’il loue « 2 500 dirhams par
an », soit environ 250 euros. « J’espère construire
mon propre café, faire un beau restaurant », déclare-t-il, contraint pour l’instant de garder un établissement plutôt rudimentaire.
En sortant du café de Mohamad, on peut tomber
sur une affiche désignant « le coiffeur », à quelques mètres de là. Un épicier est également posté
au cœur du village, vendant aux touristes, comme
aux Marocains, un peu de tout.
Les touristes souhaitant découvrir à Ouzoud un
village berbère traditionnel seront peut-être déçus. Car Ouzoud se développe, à son rythme, et
prend de plus en plus des allures de village touristique. ¿
Juliette Bourrigan
58
Priorité tourisme
Microtrottoir
Des vacances
destination Maroc
Du centre-ville de Marrakech au souk d’Azrou, les touristes sont
partout au Maroc. Beaucoup repartent satisfaits de ces vacances
au soleil.
p Faire le tour de Marrakech en bus touristique attire de nombreux touristes
M
arrakech est l’une des villes les plus
touristiques du Maroc, après Agadir.
«La ville a 40 000 lits, ce n’est pas
énorme ! En 2010, on compte sur 60 000 », indique Omar El Jazouli, actuel maire de Marrakech.
La ville ocre a en effet de quoi attirer. « Il y a la
mer à 150 km d’ici, la neige à 60 km, où on peut
skier. On peut faire marche à pied, randonnée. Et
Marrakech est au centre. » Mais ce ne sont pourtant pas pour les paysages que viennent en priorité les Européens. « On est venu pour le soleil,
on en avait marre de la pluie », expliquent M. et
Mme Rondant sur la place Jamaâ-El-Fna. Arrivé
une semaine auparavant à Marrakech, ce couple de
Toulousains à la retraite avait encore deux semaines pour profiter du soleil. « Il y fait chaud dès le
mois d’avril, pensent Mary et Cynthia, deux amies
anglaises tout justes revenues de l’aéroport. Sans
que les rues ne soient noires de monde comme en
Espagne ou en Grèce. »
Même loin du confort
de la ville rouge
Dans plusieurs cas, c’est aussi le porte-monnaie
qui a incité les Européens à voyager. « Pour nous,
c’était l’occasion d’être dépaysés sans trop se ruiner, indique M. Patinot, accompagné de son épouse et leur jeune fils. Et puis, c’est un pays francophone. » Dès leur arrivée, de nombreux touristes
ont tous eu de très bonnes premières impressions.
« L’accueil est très chaleureux et le dépaysement
est total », s’exclame Mme Anistat, professeur
de lettres en Lorraine, alors qu’elle effectue des
achats au souk de la ville. « Les guides qu’on a eu
étaient bien, quant au riad, il est magnifique », indiquent également M. et Mme Autillon, en balade
sur la place Jamaâ-El-Fna avec leurs enfants.
Plusieurs centaines de kilomètres plus loin,
dans les montagnes du Moyen-Atlas, à Azrou, on
retrouve encore plusieurs Européens dans un souk
qui n’a pourtant rien de touristique, contrairement
à celui de Marrakech. Jean Athé est venu se changer les idées loin de la métropole avec quelques
amis retraités. « On reçoit un très bon accueil, pas
si chiant qu’on le dit. On a bien quelques petits
problèmes mais on représente de l’argent pour
des gens qui n’en ont pas, c’est de bonne guerre », affirme-t-il. Certains regrettent ainsi la vue
des mendiants et de tous ces petits vendeurs prêts
à tout contre un peu d’argent. « Il y a constamment des gens qui vous harcèlent pour quelques
dirhams, mais il faut faire avec. Il faut gérer parce
que sinon on se retrouve tout nu », plaisante M.
Rondant.
Petits villages comme grandes villes semblent
ainsi dans l’ensemble plaire à la majorité des nombreux touristes qui les visitent chaque année, avant
de reprendre quelques jours plus tard l’avion en
direction du travail et du froid. ¿
Sonia Barge
L’homme de la soif - Place Jamaâ-El-Fna - Marrakech u
Priorité tourisme
59
60
Vertes inquiétudes
À l’heure
de l’explosion
économique, le Maroc
s’inquiète de ses défis
écologiques.
Comment s’alimenter en
eau, comment
sauvegarder les espaces
verts et comment bien
traiter ses animaux ?
Autant de questions
auxquelles
les Marocains
apportent
leurs réponses.
Sans oublier sur le
Web
www.typomag.net
¿ En danger
u Protéger les palmiers (A.M.)
u Les khettaras, grandeurs passées en péril
(A.H.))
¿ Mais aussi
u Sortez les poubelles (C.G.)
u Penser global, agir local (A.M.)
u Sauver la palmeraie de Skouria
u SPANA... pour les animaux (C.G.)
Ressources en eau
Vers une crise de...
À Marrakech plus qu’ailleurs,
le problème de l’or bleu est une
équation à plusieurs
inconnues. Face à d’énormes
enjeux économiques et
écologiques, comment gérer
une ressource si rare dans la
région ?
À
en croire le maire de Marrakech, Omar El
Jazouli, la problématique de l’eau ne se
pose pas dans sa ville : « Nous n’avons
aucun problème d’eau ! À côté de Marrakech,
les montagnes de l’Atlas, qui culminent à plus
de 4 000 m, sont un réservoir de neige et d’eau.
Nous avons aussi des barrages tout autour de la
ville. » Un discours des plus rassurants… « C’est
scandaleux, on nous prend vraiment pour des imbéciles ! », s’insurge Sammy Ketz, directeur de
l’agence AFP au Maroc, le dernier rapport de la
Banque Mondiale sur l’eau sous le coude dont la
première phase est sans équivoque : « Point n’est
besoin d’être un spécialiste de la région du MoyenOrient et de l’Afrique du Nord pour savoir que les
pays de cette région connaissent un problème de
pénurie d’eau. »
« La diminution des eaux
exacerbera les tensions sociales »
p Personnes cherchant de l’eau dans une
fontaine de la médina de Casablanca et cours
d’eau dans l’Atlas.
souterraines et les réseaux hydrographiques naturels déjà assez limités de la région. De plus, on estime que le régime des précipitations se modifiera
en raison des changements climatiques. »
Pour Mohammed Ghamizi, professeur de biologie à la faculté des sciences de Marrakech, « la situation tend à devenir critique ». « Marrakech est
Si les contours d’une future pénurie d’eau comune ville située dans une zone
mencent à se dessiner dangesemi-aride avec peu de précireusement, la pollution et ses
pitations, seulement 250 mm
conséquences
désastreuses
par an*. La croissance est
pointent aussi le bout de leur
telle que les besoins devienMême dans
nez. « Dans les grandes villes,
nent très importants. Le boom
est totalement polluée,
de l’urbanisme a fait tripler la
, où l’eau l’eau
poursuit
le professeur. Prenez
superficie totale d’habitations
, l’exemple du Tensift (rivière du
dans la ville. La demande en est
centre du Maroc) à Marrakech.
eau va aussi exploser. Le touOn y trouve toutes sortes de
on
commence
à
risme de classe, avec ses golfs,
résidus solides, du plastique…
ses piscines, a aussi besoin de
constater de la
Même dans l’Atlas, où l’eau
plus en plus d’eau. Du coup,
est abondante, on commence à
il y a beaucoup de pompage
constater de la pollution, avec
dans la nappe. Mais jusqu’à
le développement de l’urbanisquand ? » Les récentes vagues
me et du tourisme. »
de sécheresse qui ont touché Marrakech amplifient ce
« Aujourd’hui, Marrakech
constat amer.
tire son salut de ses barrages. Ils apportent des
stocks d’eau considérables, qui sont ensuite transLe rapport de la Banque Mondiale va jusqu’à
mis à des centres de traitement. L’eau potable
sonner le tocsin : « La disponibilité de l’eau par
vient de là », rajoute-t-il. Quand on sait que « les
habitant baissera de moitié en 2050 et s’accomcoûts des problèmes environnementaux liés à l’eau
pagnera de graves conséquences pour les nappes
l’Atlas
abondante
pollution
Vertes inquiétudes
61
Environnement
l’or bleu
À la claire
fontaine
Se désaltérer dans l’Atlas n’est pas forcément chose aisée. L’eau
courante y est rare et la boire fortement déconseillé.
Côté politique, les choses bougent avec un projet de barrage censé
tout résoudre.
«
Nous sommes au milieu de l’eau, mais nous n’en avons pas ! » C’est sur cette contradiction que
Mohammed Oula Fssalt, membre du conseil municipal de Demnate ouvre le débat. La raison est
néanmoins simple. « Il y a deux soucis bien distincts : celui de l’eau courante et celui de l’eau
potable, c’est-à-dire buvable. Demnate a de l’eau courante, mais pas suffisamment d’eau potable »,
explique Mohammed Essbaa, Professeur de SVT et membre de l’AESVT (l’Association des Enseignants
de Science de la Vie et de la Terre).
« La région d’Azilal contient quatre gros barrages qui alimentent le pays en eau potable à hauteur de
50 % », souligne l’enseignant. Mais pour les riverains, le retard pris en matière d’approvisionnement est
considérable. Dans le petit village d’Ait Omghar, les habitants vont ainsi encore au puits pour pouvoir
récupérer de quoi s’abreuver. Cuisine, vaisselle et douches sont donc limitées à cet apport liquide. Pour
les toilettes comme pour la douche, c’est tout au seau !
Les gens pauvres, ne pouvant s’acheter de bouteilles, boivent aux robinets, ce qui occasionne des
maladies. « La meilleure recommandation que je peux donner aux touristes, c’est de boire de l’eau en
bouteille, histoire de ne pas prendre de risques, prévient le conseiller régional d’Azilal, Mohammed
Fssalt. Il y a trop de calcaire dans l’eau des puits. Elle n’est pas traitée. » La raison ? Le manque de
stations d’épuration.
Du système D au barrage
situent entre 0,5 et 2,5 % du PIB par an », selon
le rapport de la Banque Mondiale, la politique de
l’eau est-elle à revoir ? « Il faut corriger les priorités. L’histoire des golfs très étendus m’inquiète un
peu », répond Mohammed Ghamizi.
« Il y aura bientôt trois nouveaux golfs à Marrakech. A-t-on réellement besoin de douze golfs dans
cette région ? », s’interroge un Sammy Ketz des
plus remontés. « Les politiques veulent bien faire
quelque chose, mais les énormes enjeux qui pèsent
derrière les en empêchent », pense Abderrazzak
Benchâabane, président du festival Jardin’Art,
dont le thème en 2008 fut l’eau.
« Il faut avertir les gens »
Il faut pourtant agir, sous peine de conséquences
désastreuses : « La dislocation économique et physique liée à la diminution des eaux […] aura des
effets sur la croissance économique et la pauvreté,
exacerbera les tensions sociales au sein des communautés et entre elles, et exercera une pression
accrue sur les ressources financières publiques »,
précise ainsi le rapport.
Des solutions simples existent pourtant. Mohammed Ghamizi pense ainsi que les eaux usées
peuvent être une des clefs du problème : « C’est
une ressource très intéressante à mobiliser, après
La gestion globale laisse encore à désirer alors le système D est de mise. Mohammed Fssalt, outre ses
activités de conseiller, est avant tout gérant de l’hôtel Atlas à Demnate. « À 14 heures, il n’y a plus d’eau,
s’insurge-t-il. Entre 6 et 14 heures, ça va, mais après, les hôtels sont obligés d’avoir des ressources dans
des bidons de plusieurs tonnes. »
À Ait Omghar, une grande tranchée se creuse à la force des mains pour amener de l’or bleu. Nourredine Daifi, guide touristique à Demnate estime que les travaux seront finis en un an. « Il y a déjà une
pelleteuse qui vient d’arriver, cela permet d’aller plus vite », s’amuse-t-il à dire.
Mais le système D et les petits travaux ne suffisent plus. Depuis 1982, la région a un budget prévu
pour régler la question sans que des avancées concrètes soient visibles. « Le roi est venu pour lancer la
construction du barrage Hassan II, explique le conseiller régional. Un canal de 39 km de long doit déboucher sur le barrage qui aura un débit de 100 litres/seconde. Ce projet de 24 millions d’euros a débuté
en mai et doit s’achever dès 2009. » L’objectif est d’alimenter suffisamment la région en eau courante.
En attendant, les seaux sont toujours de sortie. ¿
Alexandre Mathis
traitement. » Pour Jean-François Egon, directeur
d’une entreprise de jardinerie en Ardèche et présent au festival Jardin’Art, le gâchis de l’eau est
dû à la mode actuelle : « Pourquoi Marrakech
veut-elle donner une image de luxuriance avec ses
jardins quand on sait que l’eau est une ressource
rare ici ? Économiser de l’eau avec des jardins
secs, à base de cactées, c’est possible. L’école
supérieure des arts visuels a, par exemple, utilisé
cette méthode pour ses jardins. Les jardins verts,
magnifiques, c’est un effet de mode. Il faut changer les mentalités. »
En matière de prévention aussi, beaucoup de
travail reste à effectuer… « Il y a bien des stratégies sur le long terme pour évaluer le besoin en
eau, mais il faut penser sur le moyen, voire court
terme », lance Mohammed Ghamizi. Certains
l’ont bien compris : lors du festival Jardin’Art, des
animations sur la préservation de l’eau ont touché
des classes d’école primaire. Si un sourire était
bien présent sur les lèvres des bambins, leurs cerveaux ont aussi bien cogité. Une lueur d’espoir,
pour demain. ¿
Alexis Hontang
* La moyenne des précipitations, en
France, est de 770 mm/an.
62
Vertes inquiétudes
Agriculture
L’argent ne pousse
pas dans les champs
Dans les milieux ruraux,
l’agriculture et l’élevage sont
les principales sources de
nourriture et de revenus.
Chaque famille cultive ses
propres terres et élève son
bétail pour sa subsistance.
C
’est à 200 km de la bouillante ville de
Marrakech que, perdus dans les montagnes
de l’Atlas, fourmillent de petites villes et
villages que la révolution agricole semble avoir
oubliés. Les images de fermiers avec chapeau de
paille et bœufs traînant des charrues pour labourer
les champs ne sont ici pas des images d’Épinal,
mais bel et bien la réalité.
L’agriculture rurale se distingue de l’agriculture
extensive par ses petites parcelles de culture de
tout au plus quelques centaines de mètres carrés.
Quasiment chaque famille possède une ou plusieurs terres, selon sa richesse. L’hiver, on plante
de l’orge, du blé et du fourrage pour les animaux ;
l’été, les champs deviennent des potagers fournissant tomates, courgettes et oignons. Dans certaines
régions, il y a des vergers et même des vignobles
qui promettent beaucoup, mais qui ne sont destinés qu’à la seule consommation, faute d’investisseurs.
« La récolte de l’été,
on la garde pour nous »
« On est beaucoup d’enfants à la maison, la
récolte de l’été, on la garde pour nous », confie
Latifa, 12 ans, qui a quitté l’école pour s’occuper
du champ de son père. L’entretien des terres prend
du temps : il faut vérifier l’irrigation, enlever les
mauvaises herbes, labourer, planter… C’est pour
cela que tout le monde s’y met. Dans les familles
modestes comme celle de Latifa, l’agriculture est
pratiquée pour se nourrir et non pour le commerce,
contrairement aux familles plus aisées comme celle d’Asma, 16 ans, qui clame fièrement : « Nous,
on ne garde que 20 % de la récolte, le reste on le
vend, on en a bien assez pour nous ! » Ces familles
aux moyens plus conséquents vendent leurs récoltes au souk qui se tient une fois par semaine dans
chaque ville.
Pour subsister dans ces endroits isolés, avoir
des terres ne suffit pas, il faut aussi des animaux.
Elhocein, 10 ans et pas plus grand que son bâton
p Le souk d’Azrou se tient une fois par semaine
de berger, emmène paître ses treize moutons tous
les jours : « Je fais ça pour aider ma famille, mais
ça ne sera pas mon métier, moi je veux être médecin. » L’élevage est au même titre que l’agriculture
indispensable au développement dans ces milieux
ruraux.
Treize têtes, c’est un assez gros troupeau par ici,
mais les gens ne les mangent pas, ils les gardent
pour leur laine et les vendent lors de la grande fête
de l’Aïd El-Kebir. Les chèvres sont, elles aussi,
vendues, mais les chevreaux sont mangés. Les
poules, peu chères, sont nombreuses et appréciées
pour leurs œufs, vendus au souk s’il y en a trop
pour la famille.
La vache, signe de richesse
Signe de richesse, la vache coûte très cher, et
en plus, « elle mange énormément », rigole Asma
avant d’ajouter : « Mais elle nous donne du bon
lait et du beurre. »
Dans les montagnes de l’Atlas, les paysans ne
se plaignent pas du manque d’eau, car le climat
n’est pas sec et l’eau coule convenablement. Les
récoltes et les pâturages sont donc toujours assurés, mais c’est leur faible niveau de vie qui préoc-
cupe les habitants. Sur les villages plane l’ombre
des grandes terres agricoles des villes, générant
de gros revenus et concurrençant les « petits » sur
leur propre marché. Elles sont le symbole d’une
réussite sociale qu’eux aussi espèrent secrètement
voir un jour s’installer dans leurs petits coins de
montagnes. ¿
Anabelle Bourotte
Vertes inquiétudes
63
Moyen-Atlas
Hadou
et ses moutons
Hadou vit avec sa femme Rkia
et son fils Aamit dans une
modeste « maison » au cœur
d’une prairie dans la
province d’Ifrane. Celle-ci leur
a été louée par le propriétaire
du troupeau dont Hadou a la
charge depuis deux ans…
D
ans une prairie de la province d’Ifrane,
à quelques pas d’une station de ski, on
distingue, au loin sur une colline, un troupeau de moutons. Si l’on s’approche encore, on
voit une silhouette, assise sur un rocher. Bonnet
violet sur la tête et manteau épais pour se protéger
du vent, cet homme âgé de 40 ans, qui en paraît
cinq de plus, surveille son troupeau. Il s’appelle
Hadou et est berger depuis plus de vingt ans maintenant. Mais les moutons dont il a la charge ne sont
majoritairement pas les siens. En effet, sur 200 bêtes, il n’en possède pour le moment que 50. La raison est simple : Hadou est payé en moutons. Pour
quatre ovins gardés, il en gagne un. Au moment de
la tonte, là aussi le berger obtient une partie de la
laine. « Nous ne tondons pas nous-mêmes les moutons, des gens viennent exprès le faire et nous obtenons le quart de laine », précise-t-il. Lorsqu’il a
besoin d’argent, Hadou peut espérer vendre un de
ses moutons entre 900 et 1 200 dirhams au souk.
Ou alors, il emprunte à son patron et le rembourse
en fin d’année.
q L’été, les champs fournissent oignons...
p Bonnet violet et manteau bleu, Hadou est berger depuis vingt ans maintenant
Et il est impossible de laisser les moutons sans
surveillance la nuit, la présence de loups étant fréquente. « Il m’est déjà arrivé de perdre des moutons à cause des loups », précise le berger. C’est
pour cela qu’avec Aamit, son fils, et un de leurs
voisins, ils se partagent la tâche à tour de rôle afin
que chacun puisse se reposer quelque temps et ne
pas laisser un instant le troupeau tout seul.
La petite maison dans la prairie
Après vingt ans de métier, Hadou est fier de dire
qu’il est capable de reconnaître tous les moutons
de son troupeau. Néanmoins, ils sont tous marqués.
Cela fait environ deux ans qu’Hadou et sa famille vivent dans la province d’Ifrane. Originaires
d’un petit village à 17 km de là, Hadou, Rkia et
Aamit sont contraints de déménager à chaque fois
qu’ils travaillent pour un nouveau propriétaire.
Bien loin des grandes villes, leur maison se trouve
au cœur d’une prairie, afin de pouvoir surveiller en
permanence le troupeau.
Murs en pierres, toit en bois recouvert de terre
et plastique… À première vue, rien de très confortable et pas de porte ! Mais lorsqu’on entre, on
s’aperçoit que la chaleur ne manque pas et que
l’endroit est un véritable nid douillet. Le sol est
recouvert de tapis, fabriqués des mains de Rkia,
avec la laine des moutons. Des coussins sont dispersés un peu partout dans l’unique pièce à vivre.
Rkia, prépare à manger pour toute la famille grâce
au poêle central. Pour les courses, la petite famille
ne descend qu’une fois par semaine à Azrou, au
moment du souk. Une vie simple, quasiment coupée du monde, où les seuls bruits audibles sont les
bêlements des moutons et le moteur des quelques
rares voitures passant par là. ¿
Cécile Pasquet
Au bazar des sens
C
haque mardi matin, le souk d’Azrou est le rendez-vous des habitants de la ville et des alentours.
Artisans, éleveurs, agriculteurs et commerçants en tout genre, se retrouvent pour vendre leurs
productions à une majorité de Marocains, mais aussi à quelques touristes, dans une ambiance
des plus typiques ponctuées de cris des animaux et rehaussées par les belles couleurs des épices et
des légumes frais. L’entrée du souk donne le ton de la matinée : bruits et senteurs au programme. Les
éleveurs sont rassemblés pour vendre leurs brebis, leurs moutons ou leurs vaches, qui rappellent, par
leurs émanations, la campagne de cette région montagneuse.
Le reste des stands est organisé de façon particulière: dans certaines allées sont étalés des produits
de même nature, d’autres concentrent des commerçants vendant en bazar toutes sortes de choses telles
que des couverts, des téléphones portables ou encore de la lessive. Côté textile, il y a de tout, du produit
fini - lingerie ou vêtement prêt-à-porter - à la laine, qui servira notamment pour fabriquer des tapis.
Au cœur du marché, il est bon de respirer les fragrances des épices colorées ou d’admirer les fruits
biens mûrs à l’aspect alléchant. Des jeunes enfants parcourent les allées en vendant des sacs en plastique tandis que les conducteurs des camions de marchandises boivent un thé, assis sur leurs remorques,
en bavardant avec leur voisin. Au bout du souk, des petits vendeurs semblent s’être ajoutés anarchiquement et tentent d’écouler leur maigre stock au peu de personnes qui se sont aventurées jusque là, sans
réel grand succès. Comme dans les grandes villes, les vendeurs d’eau sont au rendez-vous, participant
à l’ambiance au son de leurs petites cymbales. Une atmosphère unique ! ¿
Elsa Marchand
64
Vertes inquiétudes
Haras de Meknès
Le berceau des équidés
Le haras de Meknès produit des
chevaux d’élite pour la région
du Moyen-Atlas. Il est aussi le
protecteur d’une race oubliée et
peu répandue, le barbe.
À
la sortie de la ville, derrière des murailles,
se cache l’une fierté de Meknès, sinon
du royaume marocain : le haras royal et
la jumenterie nationale. Ils abritent plus de 250
chevaux, dont une centaine d’étalons, qui profitent
des 67 hectares de terrain.
M. Stail est l’actuel directeur de ces lieux aux
murs blancs immaculés, entourés d’allées fleuries.
L’homme a obtenu un baccalauréat scientifique,
sans avoir alors de réelles passions pour les équidés. « J’avais au fond une vocation d’enseignant
ou de chercheur. Et c’est vrai que j’ai parfois quelques regrets, confie-t-il. Mais les chevaux étaient
des êtres qui m’intriguaient et un jour je me suis
dit « et pourquoi pas vétérinaire ? » Cinq mois
après sa sortie de l’école, il commençait un tour
des haras du Maroc avant de s’installer à Meknès,
en septembre 2006.
La production d’une élite régionale
« Cet établissement est le plus vaste du royaume, affirme aujourd’hui avec fierté son directeur.
C’est celui qui regroupe le plus grand nombre de
chevaux, et de personnel. » Créé en 1923, sous
le Protectorat, pour servir de remonte militaire et
ainsi répondre aux besoins de l’armée royale en
chevaux, le haras de Meknès a aujourd’hui pour
mission de produire des chevaux d’élite pour toute
q Le docteur Satil, vétérinaire et directeur du Haras de Meknès
p Le Haras de Meknès bichonne une race oubliée, le barbe
la région du Moyen-Atlas. « Nous cherchons à
obtenir une production intensive et de qualité »,
indique M. Stail.
L’établissement travaille avec une trentaine de
stations de monte, éparpillées autour de Meknès,
dans un rayon de 30 km. Le haras met à leur disposition ses mâles reproducteurs gratuitement, à
l’exception de quelques étalons pour lesquels il
faut payer. L’équipe est également appelée à agréer
des chevaux privés, pour contrôler leur race. « On
pratique des tests de filiation puis on fournit des
papiers officiels qui leur ouvrent les portes des
concours, explique le directeur de l’établissement.
Cela leur donne un statut. Seuls les haras sont
habilités à le faire. » « Au Maroc, il y a 150 000
chevaux, et un million de bourricots ! » plaisante,
M. Stail. Au début des années 70, les fiers équidés
étaient 500 000. La chute d’effectif est principalement due à la mécanisation. On compte toutefois
encore une douzaine de races différentes dans le
royaume.
La protection des barbes
Au cours de la troisième édition du salon de
l’agriculture international au Maroc qui s’est
tenu à Meknès cette année, le haras a pu exposer
les différentes races de son élevage : le pur-sang
arabe, l’arabe-barbe et le barbe. Également appelés chevaux des Berbères, les barbes avaient été
quelque peu oubliés jusque dans les années 80,
car ils avaient été rayés du stud-book français en
1962 (registre contenant la généalogie et les performances de chaque cheval). Ils n’y ont repris
place qu’en 1988 grâce à l’Association Française
du Cheval Barbe.
Mais, encore aujourd’hui, le haras de Meknès
est l’un des seuls à en élever. « À chaque naissance, nous entretenons maintenant le stud-book
des chevaux barbes du haras », précise le docteur
Stail, à la fois directeur des lieux et vétérinaire.
L’une des particularités des haras marocains est en
effet que chaque responsable soit un vétérinaire.
« C’est une tradition que nous gardons depuis
des millénaires au Maroc », indique le Dr Stail.
C’est peut-être aussi pour cela que les chevaux de
Meknès sont si beaux et en pleine santé. ¿
Sonia Barge
Vertes inquiétudes
65
Maltraitance
Les anti-charmeurs
montrent les crochets
Sur la place Jamaâ-El-Fna, de nombreux touristes s’extasient devant le spectacle des charmeurs de
serpents. Ils ne savent pourtant pas les drames écologiques qui se cachent derrière les flûtes et les
photos. Accablés par le stress ou par la faim, les serpents sont victimes de maltraitance de la part de
leurs maîtres.
U
ils s’engagent à protéger les grands mammifères
en danger. Ces signataires, encore peu nombreux,
sont retraités, menuisiers ou étudiants. Ils sont
pour la plupart français.
Les touristes lambda raffolent pourtant des
spectacles offerts par les musiciens envoûtant l’invertébré et le faisant se tordre langoureusement.
Les charmeurs profitent de la cupidité des badauds
pour gagner 20 à 30 dirhams pour quelques photographies. Car ils ne charment pas littéralement les
serpents : « Ils sont sourds, avoue l’un d’eux. La
musique, c’est juste pour attirer le touriste. »
Et si, pour le bien des serpents, les charmeurs
doivent, pour l’association, arrêter leur travail actuel, il ne serait pas question de les laisser tomber.
L’association pense déjà à recycler leur activité.
Ils interviendraient dans des écoles ou entreprises pour « sensibiliser à la préservation des 25
espèces de serpents du Maroc », souhaite Michel
Aymerich. Sur le site, on peut notamment lire la
volonté de créer un vivarium place Jamaâ-El-Fna
pour sensibiliser à la cause des serpents. Quant aux
vendeurs de serpents, ils seraient gardes de Parcs
Nationaux ou guides naturalistes. Mais ceci n’est
qu’un souhait. GEOS ouvre d’ailleurs son site sur
cette citation de Théodore Monod qui résonne
comme un rêve utopique : « Le jour n’est, hélas !
pas venu où l’extinction d’une espèce vivante sera
tenue pour un délit aussi grave que la destruction
d’un chef-d’œuvre artistique. » ¿
n reptile immobile sur le bitume de la place Jamaâ-El Fna ? Ne cherchez pas, il est
mort. Ses propriétaires, des charmeurs de
serpents, donnent simplement l’illusion qu’il dort
ou qu’il mange. « Quand une vipère est morte, on
lui met un œuf dans la gueule pour faire croire
aux touristes qu’elle est en train de gober », s’offusque Michel Aymerich, de l’association GEOS
(Groupe d’Études et d’Observation pour la Sauvegarde des animaux sauvages et des écosystèmes).
Son message est clair : « Touristes, s’il vous plaît,
détournez-vous des spectacles indignes qui maltraitent les animaux, ou mieux, dénoncez-les ! »,
écrit-il sur le site officiel de l’organisme.
Mauvais traitements
À GEOS, on brandit le risque écologique qui se
cache derrière ces agissements folkloriques. Les
reptiles ont une durée de vie réduite. « Deux à trois
mois maximum », précise Michel Aymerich, qui
milite pour cette cause en se rendant souvent au
Maroc. Contacté par téléphone, l’écologiste prévient : « Certaines espèces utilisées sont en voie
d’extinction ! » C’est le cas des vipères hurlantes
ou des couleuvres de Montpellier, fréquemment
choisies. Les charmeurs vont s’approvisionner
auprès de vendeurs dont le travail est de capturer
les créatures dans la nature. « Ils mettent les invertébrés dans des cages infectées où ils meurent
de faim et de soif », rétorque-t-on sur le site de
GEOS.
Autre cause de leur faible espérance de vie, les
maltraitances que subissent ces pauvres bêtes. Devant le public, le spectacle se doit d’être impressionnant. Alors, pour pousser les reptiles à attaquer, leurs maîtres les frappent. Stressé et énervé,
l’animal adopte une position défensive naturelle en
essayant de mordre. Mais, pour ne prendre aucun
risque, les tortionnaires ont pris soin d’arracher
préalablement les crochets du reptile. « La bête
p Un charmeur de serpents de Marrakech.
devient alors incapable de se nourrir elle-même.
Elle est gavée de force par les charmeurs », précise Michel Aymerich. Pis, l’arrachage des crochets
« crée des abcès provoquant une mort lente et douAlexandre Mathis
loureuse ». Un vieux charmeur moustachu nie les
* www.geos-nature.org/charte.html
faits, mais refuse de nous le prouver en montrant
les crochets sur un serpent à lunettes. « Les cobras
sont dangereux, ils peuvent me piquer ! », s’emq Les touristes raffolent des serpents...
porte-t-il.
Sortir du folklore
L’annexe I de la convention de Washington
interdit les maltraitances. L’Espagne ou encore
l’Inde la respectent et ont déjà condamné des
charmeurs pour mauvais traitements. Mais au
Maroc, le déni persiste. Notre vieux moustachu
n’estime ainsi pas maltraiter ses serpents : « Ces
animaux sont contents d’être là, de participer au
folklore. Il y a des gens méchants comme Brigitte Bardot qui n’aiment pas les animaux. Nous,
on les aime ! »
L’action de GEOS, ONG (Organisation Non
Gouvernementale) française, ne consiste pas
seulement à dénoncer ces actes. L’association
cherche aussi des solutions. Dans sa charte du
14 juin 2005*, les signataires refusent « toute
forme de manipulation pouvant conduire à terme au décès d’un animal ». Plus généralement,
66
Vertes inquiétudes
Sauvegarde
Tout pour le cèdre !
La forêt de cèdres qui s’étend sur la province d’Ifrane est la plus
vaste du royaume. Sa sauvegarde est plus qu’importance
puisqu’elle abrite une faune et une flore uniques et joue un rôle de
barrière contre le désert. Pourtant, face à la surexploitation dont
elle fait l’objet, les membres d’un projet visant à protéger la
cédraie ont bien du mal à obtenir des résultats concluants.
L
p
Le cèdre Gouraud, non loin d’Azrou.
es forêts de cèdres représentent un tiers de
fert à chacune 50 000 dirhams (4 545 €). « Il faut
la superficie de la province d’Ifrane, dans
que les personnes qui se servaient de la forêt pour
le Moyen-Atlas. « C’est la région foresvivre puissent se lancer dans d’autres activités,
tière par excellence », affirme Mohamed Zbati,
comme le tissage ou la production de produits du
37 ans, ingénieur des eaux et foterroir comme le miel ou les cerets dans la ville voisine, Azrou.
rises, explique M. Zbati. Nous
Avec pas moins 116 000 hectares,
avons aménagé plusieurs plans
c’est la plus grande superficie
d’eau pour les ovins, et fait une
boisée du Maroc. « Le cèdre est
tentative de reboisement, mais
un patrimoine national et interça a été un échec total, car les
national, indique Aissa Ibrahimi,
arbres étaient de trop mauvaise
ancien officier de l’armée royale
qualité… »
de 41 ans qui a choisi de passer sa
retraite dans la cédraie, derrière
Le musée d’un arbre
un étalage de pierres précieuses. p Mohamed Zbati
C’est une barrière contre le cliLes membres du projet ont
« Actuellement,
mat désertique du Sud, et un réégalement voulu développer
servoir d’eau potable. » La forêt
l’écotourisme. Pour cela, rien
on exploite
d’Ifrane abrite de plus une flore
de tel qu’un joli musée, au
quatre fois plus
et une faune uniques avec plus
cœur de la forêt elle-même : la
la forêt que ce
de 250 espèces animales, dont la
Maison du Cèdre. Sa construcplus importante population montion devrait s’achever fin 2008.
qu’il faudrait »
diale de singes magots, actuelleIl s’agira alors d’un écomusée
ment menacés d’extinction. Avant
contenant un centre d’informaqu’il ne disparaisse, il y a de ça une cinquantaine
tion sur tout ce qui concerne la cédraie, utile aux
d’années, la cédraie était également peuplée par le
guides de montagne, ainsi qu’une cellule de senLion de l’Atlas.
sibilisation, notamment pour les élèves en sortie
scolaire.
Mais une lourde menace pèse depuis ces dernières décennies sur la cédraie d’Ifrane. La forêt
Le projet global de sauvegarde de la Cédraie
est soumise à des dégradations humaines croissandevait durer jusqu’en 2007 ; il a été prolongé de
tes dues notamment à la sédentarisation de plus
dix-huit mois. Cinq ans et 120 000 000 de dirhams
en plus de bergers dans la région (coupe illégale
(10 909 000 €) après, le bilan est bien décevant
du bois, surpâturage des troupeaux de moutons).
d’après Mohamed Zbati : « C’est un problème de
« Actuellement on exploite quatre fois plus la forêt
moyens, se justifie-t-il. Le projet n’est pas assez
que ce qu’il faudrait, ce qui entraîne une destrucsuivi par l’État. » Mohamed Mohache, président
tion de la flore ! », s’exclame M. Zbati.
d’une association locale qui a suivi le projet de
près depuis ses débuts, désigne quant à lui un tout
Pour sauvegarder ce havre de verdure, les autoautre coupable. « Les associations font mal le lien
rités marocaines ont décidé de réagir en lançant le
avec les riverains. La population ne sait rien de ce
Plan Forestier National du Maroc. Une collaboraprojet et c’est ce qui fait son échec », affirme-t-il.
tion est née entre le Haut-commissaire des eaux
et forêts, et l’Agence Française de Développement
Manque d’investissement budgétaire ou per(A.F.D.) pour monter à bien un projet lancé en
sonnel de la part des riverains, dans un cas comme
2003. Depuis lors, plusieurs actions ont été menées
dans l’autre, ce sont la forêt et ses petits habitants
dans différents secteurs. « On essaie de détourner
qui en pâtissent. Si les singes Magots viennent à
l’attention des populations riveraines (près de
disparaître ou si le désert vient remplacer la cé40 000 habitants) de l’exploitation forestière », indraie marocaine, il sera peut-être un peu tard pour
dique notamment l’ingénieur. Les partenaires ont
chercher à qui la faute. ¿
ainsi fait appel à 23 associations locales et ont of-
Vertes inquiétudes
67
Tradition renouvelée
En route
pour la transhumance !
La transhumance est une
technique ancestrale qui
consiste à se déplacer sur les
différents niveaux des
montagnes, plaines et haute
montagne, permettant ainsi de
préserver la biodiversité de la
région. Rencontre avec
M. Rahhou, coordinateur
national du projet « transhumance et biodiversité », visant
à primer l’écotourisme et la
protection de la biodiversité.
«
La transhumance est une technique ancestrale qui permet aux habitants du Haut-Atlas
de s’adapter aux différences
de climat liées aux saisons. Ainsi,
en été, ils quittent les montagnes
pour les plaines et inversement.
Cette tradition démontre son efficacité depuis toujours », déclare
M. Rahhou, coordinateur national
du projet « transhumance et biodiversité ».
p Le projet attend sa certification « clé verte » pour établir un label «produits de la transhumance ».
Mais la transhumance est également un moyen
de relancer l’écotourisme et de sensibiliser le
touriste sur la richesse naturelle de la région pour lui faire
comprendre ce qu’il peut ou
ne peut pas faire dans l’intérêt
de la nature. « Il n’y a pas de
mauvais touristes, justes des
touristes mal informés », déclare M. Rahhou.
Clé verte
Ce projet a une portée internationale : « Le Maroc est le deuxième pays à tenter cette expérience,
juste après la Mongolie, et nous
sommes en deuxième position au
niveau de la biodiversité, après la
Turquie », affirme avec vigueur cet
amoureux de la nature.
p M. Rahhou
« Nous sommes en
deuxième position
au niveau
Mais ce projet a aussi une dimension régionale puisque la de la biodiversité ,
relance de la transhumance peraprès la Turquie. »
La transhumance
relancera le tourisme
met de préserver le patrimoine et
la biodiversité de la province de
Ouarzazate : « Cette technique et ce mode de vie
offrent des produits de terroir exceptionnels puisque les animaux sont essentiellement nourris de
plantes médicinales et aromatiques se trouvant sur
place », continue-t-il avec conviction.
ver de ces espaces.
C’est dans cette optique que
le projet « transhumance et
biodiversité » a signé la charte
écotourisme. Celle-ci implique un diagnostic des potentiels et contraintes et permet
d’offrir un cadre plus propice
au tourisme durable. Ainsi, de
nouvelles normes d’utilisation
de l’espace et des ressources
naturelles (itinérance des troupeaux permettant le renouvellement naturel de certaines
ressources, respect de l’environnement…) sont mises en
place pour valoriser et conser-
Pour compléter cette charte, le projet attend sa
certification « clé verte » qui, à terme, permettra
d’établir un label spécifique « produits de la trans-
humance ». Mais le processus est assez complexe,
car de nombreuses conditions doivent êtres respectées pour obtenir cette certification…
Les prétendants doivent remplir un dossier, par
lequel on juge de leur gestion environnementale,
les principaux critères de sélection étant la gestion
de l’eau et des déchets, les aménagements touristiques respectant l’environnement et enfin l’éducation à l’environnement pour les employés des
infrastructures touristiques.
« Ce projet conséquent » est essentiellement
financé par le PNUD (programme des Nations
unies pour le développement), le FEM (fonds pour
l’environnement mondial) et le gouvernement marocain, plus précisément le ministère de la Pêche,
de l’Agriculture et de l’Environnement. Il profite
surtout aux tribus des versants du Haut Atlas. Elles
peuvent ainsi obtenir de nouveaux revenus, par la
vente de leurs productions, mais aussi en tant que
guides pour les excursions touristiques… ¿
François Perez
q
Les moutons quittent les montagnes pour les plaines.
68
Vertes inquiétudes
Portrait
Abderrazzak Benchaâbane
côté cour, côté jardin
La passion des plantes a poussé Abderrazzak Benchaâbane sur
des voies multiples : de professeur à parfumeur,
en passant par organisateur de festivals.
Tout ce qu’il touche devenant or, Benchâabane l’écolo s’est
transformé en un redoutable businessman…
B
enchaâbane se réclame de la nature. Élevé
dans une famille modeste, ce Marrakchi
a rencontré dame nature dès son enfance,
lorsqu’il goûtait aux joies des vacances à la campagne. « Tout a commencé par les plantes et tout
tournera autour des plantes, avoue cet homme de
49 ans, à la moustache poivre et sel. En tant que
Marrakchi, on ne peut être insensible aux jardins.
Je vais jusqu’à penser que l’âme de Marrakech réside en ses jardins : l’ombre des arbres procure de
la fraîcheur, l’ambiance est propice à la rencontre,
à la culture. »
Au fil du temps, Abderrazzak Benchaâbane a
su cultiver son CV comme un jardin : professeur
d’ethnobotanique, rédacteur en chef du magazine « Jardins du Maroc », directeur du festival
Jardin’Art, ancien gérant du jardin de Majorelle
(jardin marrakchi, créé par le peintre nancéien
Jacques Majorelle, en 1931) et parfumeur. Avec
comme point commun de ces années de travaux,
son chapeau. « Je le porte depuis 25 ans. Le chapeau apporte une certaine élégance. Une classe
que j’essaie d’ailleurs de retransmettre à mes produits. »
q Abderrazzak Benchaâbane est directeur du festival Jardin’Art de Marrakech
p Le jardin de Majorelle et son célèbre bleu...
C’est certainement la délicatesse de son chapeau qui a su attirer le fameux couturier français Yves Saint-Laurent lorsque celui-ci recherchait quelqu’un capable d’impulser un souffle
nouveau au jardin de Majorelle. « Ce fut une
superbe expérience. On a réussi à mettre des
plantes des cinq continents sur seulement cinq
hectares ! ».
Ambassadeurs olfactifs
Depuis 2001, Abderrazzak Benchaâbane s’est
lancé dans le parfum. Ses fragrances ont des
noms évocateurs : Soir de Marrakech, Mogador (l’ancien nom d’Essaouira), l’Agdal (l’Agdal est un jardin de Marrakech), Casablanca et
Festival (en allusion au festival du cinéma de
Marrakech). « Je considère mes parfums comme
des ambassadeurs olfactifs du Maroc ! »
Mais le côté écolo du Marrakchi au chapeau
est l’arbre qui cache la forêt. Dans son 4x4 dernier cri, le Marocain s’est mué en un redoutable homme d’affaires qui vit à cent à l’heure,
n’hésitant pas à couper son interlocuteur pour
vanter les mérites de ses parfums à un couple de
Français désarçonné par autant de belles paroles. Dame Nature peut attendre un peu… ¿
Alexis Hontang
Transport habituel - souk de Marrakech u
69
70
Comment savoir ?
La jeunesse marocaine
dynamise
de façon importante
son pays.
L’enjeu réside donc dans la
formation
de cette génération.
Que ce soit à travers le sport,
le système scolaire ou la
religion,
les écoles de vie
sont aussi nombreuses que
diversifiées.
Association
El Amane touche
le coeur des femmes
Régulièrement, Najat, membre de l’association marrakchie El
Amane, rend visite aux femmes d’un humble village pour parler
avec elles de leurs droits. Aujourd’hui, Malika, professeur de
lettres à l’université, l’accompagne pour animer l’atelier.
Q
goûter des enfants, la réunion commence. Malika
uand Najat et Malika arrivent au milieu de
se lève et toutes les femmes se rassemblent autour
l’après-midi, le village est désert. La seule
d’elle. L’enseignante leur cite
présence, ce sont les
des proverbes sur les femmes,
sacs plastiques qui volent dans
évoquant la tradition à grand
les chemins. Une grande pièce
renfort de gestes et de mimes.
est réservée pour les cours et la
«Le meilleur
Elle leur demande ce qu’elles en
tôle de fer utilisée en guise de
pensent, déclenchant ainsi des
toit vrombit violemment sous
discussions ponctuées d’éclats
le vent. « Les femmes seront
de rire. Malika cerne ainsi la
peu nombreuses aujourd’hui
dans le
vision plutôt négative que les
vu le temps qu’il fait », préfemmes ont d’elles-mêmes et
vient Najat. Pendant une ving,
de leur vie. La scène paraît surtaine de minutes, des femmes
c’est quand
réaliste : Malika, jean, t-shirt
arrivent néanmoins par interet cheveux courts, incarne la
mittence et font la bise à toutes
»,
on est au
femme libérée venant parler à
leurs amies sous le regard de
semblables, pour la plupart
la dizaine d’enfants assis cals’esclaffe l’une des ses
voilées de noir ou en couleurs,
mement sur de petits bancs en
de leur statut de femme.
bois.
.
moment
mariage
lit
Après la distribution des
deux citrons et barres chocolatés constituant le maigre
q Tandis que les mamans palabrent, les enfants attendent sagement le goûter
femmes
La femme est-elle
intelligente ?
Les femmes pour la plupart participent activement, pouffant de rire ou tapotant le bras de
leur voisine, sauf quelques-unes, timides, que
Malika exhorte à parler. De grands débats s’articulent autour de la gent féminine : est-elle intelligente ? Une jeune fille bondit de sa chaise, bien
convaincue que non : « Les femmes sont viles et
c’est pour cela qu’elles ont besoin des hommes ! »
lance-t-elle. Cette obstination de la jeune fille fait
réagir vivement les autres femmes qui tentent de
la convaincre du contraire. Malika à l’aide d’un
conte populaire lui explique que les femmes ont,
elles aussi, de l’esprit, calmant ainsi la verve de
la jeune fille qui bien qu’étant très jeune semble
néanmoins la plus traditionaliste des femmes présentes.
La confiance commence à s’installer et Malika
décide de parler de sujets plus sensibles, comme
la violence conjugale et le divorce. « Tout cela
est très mal vu ici », confie Najat, tout en suivant
attentivement les débats. Quand elles parlent des
violences, les femmes dédramatisent avec iro-
Comment savoir ?
p Hygiène, place de la femme ou divorce... Tous les sujets sont abordés lors de cette rencontre animée.
nie. « Le meilleur moment dans le mariage c’est
quand on est au lit ! », s’esclaffe l’une d’entre
elles. Mais elles ne cachent pas les violences
dont elles sont victimes. Ces violences ne sont
d’ailleurs pas que physiques, comme en témoigne une femme en plein divorce. « Cette situation
est une honte pour moi et ma famille », racontet-elle courageusement face aux autres femmes. La séance dure depuis deux heures maintenant et,
pour terminer, Malika et Najat évoquent l’hygiène.
La salubrité est un problème important dans des
villages pauvres comme celui-ci : la mauvaise
conservation des aliments, la saleté des lieux,
apportent des maladies. Bien que sans le sou, les
femmes invitent ensuite les deux animatrices à
partager un petit goûter.
Cela fait plus de six mois maintenant que Najat
vient dans ce petit village. Cela lui a permis au fur
et à mesure de tisser des liens avec les femmes :
« Au début, elles étaient très méfiantes », confiet-elle, avant d’ajouter : « Mais maintenant que
la confiance est là, je viendrai toujours pour les
aider. » ¿
Anabelle Bourotte
El Amane en bref
L’association El Amane pour le développement
de la femme existe depuis cinq ans. Formation,
sensibilisation, éducation sont ses trois mots clés.
Elle vient en aide aux femmes de la région de
Marrakech, de tous les milieux, citadins comme
ruraux.
« Depuis janvier, nous avons déjà 59 dossiers
de violences conjugales », affirme Najat, 30 ans,
standardiste au centre d’écoute des violences
conjugales de l’association depuis quatre ans.
La jeune femme présente son association et ses
projets : « Nous aidons les femmes à connaître leurs droits, on les accueille et on les suit
jusqu’au tribunal si besoin. » El Amane œuvre
pour « le développement de la femme », propose
une écoute pour les femmes victimes de violences
conjugales et un suivi psychologique. Les membres de l’association font aussi des programmes
de sensibilisation et d’information sur les maladies comme le sida ou bien sur la contraception.
Projets plus concrets, des cours d’alphabétisation
et d’informatique sont dispensés à des femmes et
des jeunes filles pour qu’elles puissent trouver un
travail ou se réintégrer à l’école.
Les actions se déroulent aussi à l’extérieur, dans
des villages, pour des cours d’alphabétisation et
des informations sur les droits de la femme. « Le
milieu rural est un endroit où les femmes ne savent pas qu’elles ont des droits, affirme Najat. On
les informe sur leurs droits, on les encourage à
parler et à casser le silence. » El Amane entretient également des liens avec des associations
dans tout le Maroc : à Rabat, Agadir, Meknès….
« Nous créons ensemble un important projet à
soumettre au parlement pour l’amélioration de la
protection de la femme face aux violences conjugales », explique ainsi Najat.
L’association est financée par des fonds internationaux tels que Global Rights, liés au lancement de divers projets, en général trois à quatre
chaque année. « Mais cet argent ne suffit pas, il
nous faudrait plus d’aides », déclare Najat. Des
projets privés comme des formations payantes ou
des ventes de stylos, t-shirts sont donc réalisés
pour financer les locaux, les fournitures et payer
les employés. ¿
Anabelle Bourotte
71
72
Comment savoir ?
Jamila Hassoune,
libraire en liberté
Sur son site internet, Jamila
Hassoune se présente comme
libraire marocaine, activiste
sociale et consultante
interculturelle. Convaincue que
la lecture favorise le
développement, elle a initié la
caravane du livre afin que les
villages du Haut Atlas et du sud
du pays puissent accéder à une
bibliothèque itinérante.
p Jamila Hassoune a réussi à transformer sa librairie en espace culturel
J
amila Hassoune, la quarantaine et les cheveux courts, est libraire marocaine. Aînée de
six enfants, elle est la fille d’un instituteur de
Marrakech. Dynamique, elle
cumule les activités, toutes
liées à sa passion, la lecture :
Je
« Je suis convaincue que la
lecture est à la base de tout
développement, aussi bien de
la personnalité que de toute la
du
société. »
bonheur des moineaux” de Mohamed Nedali… »
La librairie familiale est installée à Marrakech,
mais son rayon d’action est bien plus vaste. Tout
d’abord, ce sont les villages
ruraux du Haut Atlas environnant où Jamila Hassoune et la
suis
caravane du livre (voir encadré)
partent à la rencontre des élèves, afin qu’ils puissent découvrir la richesse de l’écrit et faire
,
connaissance avec les auteurs.
citoyenne
monde
Et pourtant, de son propre
aveu, la librairie Hassoune,
située dans le quartier de
l’Université de Marrakech, ne
marche pas fort. Avec seulement 50 % d’alphabétisation
au Maroc selon le Programme
des Nations Unies pour le Développement (PNUD), libraire
est un métier difficile.
marocaine mais pas
marrakchie.
Je suis libre dans
ma tête .
Un vaste rayon d’actions
Jamila a tout de même réussi à transformer la
librairie en espace culturel en organisant régulièrement depuis 1996 des rencontres avec des écrivains. Fondatrice du club du livre et de lecture de
la ville en 1995, elle est également membre du
jury des nouvelles noires à Marrakech. Elle ne
peut s’empêcher de faire découvrir ses dernières
trouvailles : « Je viens de terminer “Marrakech :
Secrets affichés”, écrit par les deux poètes Yassin
Adnan et Saad Sarhan. C’est super. Et aussi “Le
L’idée de la caravane du livre, qu’elle a initiée, a débuté
avec une question : « Comment
développer l’esprit critique de
cette jeune génération, son esprit d’analyse afin de les protéger contre toutes les formes de
manipulation ? » Les livres ont
soufflé la réponse à Jamila Hassoune. Depuis, la caravane touche deux ou trois
villages et plusieurs centaines d’élèves par an.
Quand on lui demande de décrire ce à quoi elle
est attachée à Marrakech, la réponse fuse : « Je
n’ai aucun attachement pour aucune ville. Je suis
citoyenne du monde, marocaine mais pas marrakchie. Je ne m’attarde pas, je suis libre dans
ma tête. » C’est heureux vu que Jamila Hassoune
voyage une bonne partie de l’année pour donner
des conférences. L’Italie en juillet, la Suisse en
septembre et bien d’autres destinations dans l’année. C’est une question d’organisation, assuret-elle : « Fin juillet, je fais le planning de toute
l’année. Et pour la librairie, on s’arrange. » Tou-
tes ses interventions touchent à la démocratisation
de l’accès au savoir, avec des thèmes comme les
jeunes et l’accès au savoir, l’internet et les jeunes
dans le monde arabe, les femmes et les livres…
Sa plus grande préoccupation pour l’avenir du
Maroc c’est l’alphabétisation, directement liée au
développement des milieux ruraux : « L’analphabétisme, important au Maroc, bloque l’avancement rapide de la société. De plus, la stratégie de
développement rural a été trop tardive. À cause
de l’absence d’école à proximité des villages,
beaucoup de filles n’y vont pas ou s’arrêtent en
primaire. »
Contre l’analphabétisme
Jamila regrette également que les gens scolarisés ne lisent pas plus. Elle y voit plusieurs raisons parmi lesquelles l’absence de bibliothèque et
l’école qui ne joue pas son rôle : « Dans les années
60, l’école encourageait la lecture, ce n’est plus le
cas. Nous avons besoin de redéfinir une politique
pour l’éducation. » La condition de la femme lui
tient aussi à cœur. Sur ce sujet, elle constate des
progrès, mais beaucoup à faire : « Le Maroc est
bien placé par rapport à la Tunisie, par exemple.
La femme va de plus en plus à l’école et commence
à avoir accès à certains postes intéressants. Mais
il y a encore besoin d’un changement des mentalités qui, comme partout dans le monde, restent
masculines. » Un paradoxe, affirme-t-elle, quand
« dans le pays, il y a beaucoup de femmes qui sont
cheftaines de famille ! » ¿
Eddy Spann
Comment savoir ?
Initiative
Éducation rurale
La caravane
du livre
Paroles de profs
de Skoura
Mohamed Abouissaba, professeur de
français au collège depuis 10 ans
C’est cette année-là, avec la naissance de la caravane civique, que pour la première fois elle fait
venir un intellectuel sur le terrain. Des concours
sont organisés avec la distribution de livres en
français et en arabe pour les prix.
En 2006, la caravane du livre prend réellement
forme, touchant chaque année deux ou trois villages et plusieurs centaines d’élèves. Cet espace
culturel mobile facilite le contact entre les auteurs,
les artistes, les journalistes et les jeunes gens.
« J’utilise comme outils les livres, mais aussi les
films, le théâtre et les nouvelles technologies »,
raconte Jamila Hassoune qui a organisé des projections de films dans le désert pour un total de
10 000 personnes. En 2007, la caravane s’est arrêtée du côté d’Amizmiz dans le Haut Atlas. En
avril 2008, ce fut Skoura dans le sud. « Au mois
de mai, j’ai recensé les besoins et rencontré les
associations féminines. La caravane mobilise de
10 à 15 personnes de l’international et un peu près
le même nombre au Maroc. »
« L’ennui des aides
de l’étranger, qui
partent toutefois
d’une louable intention, c’est que
les jeunes prennent
l’habitude de recevoir et ne font plus
rien. La plupart
pensent que l’Europe est un Eldorado
et ne forment pour
seul projet que de
partir pour l’Europe. Ils croient y
trouver facilement
du travail. »
Amal Chiti, professeur de français
au collège Azzeitoune
« Les filles veulent
sortir de leur situation de femmes en
milieu rural, une
condition difficile
lorsque l’on sait que
dans ces régions enclavées des mariages avec mineurs
sont encore arrangés et que les femmes sont les premières concernées par
l’analphabétisme et
le chômage.»
Quatorze ans après ses débuts, Jamila Hassoune
se réjouit que l’objectif - créer une dynamique
pour essayer de réfléchir à travers les livres - soit
atteint : « Les jeunes prennent le micro et débattent. Ils posent des questions, sur le sida par exemple. La caravane est devenue un véritable espace
d’expression. » ¿
E.S.
L
a caravane du livre est née du constat de
Jamila Hassoune, libraire à Marrakech :
« Avec la mondialisation et la masse d’informations toujours plus importante que les individus doivent traiter, il est vital de développer le
sens critique de la population afin d’éviter toute
forme de manipulation. » Convaincue que « tout
développement commence par la lecture », l’amoureuse des livres a mis en marche une bibliothèque
itinérante : « Mon objectif, grâce à la lecture, est
de développer la capacité analytique chez les lycéens. Savoir mieux filtrer la masse d’information
leur permettra de mieux réussir. »
Tout débute en 1994, lorsque, tout juste devenue
libraire, Jamila se rend dans les villages avec des
piles de livres. En 1999, elle va plus loin et conduit
une enquête dans six villages : « J’ai interrogé
1 000 jeunes ruraux sur ce qu’ils souhaiteraient
lire. Je me suis rendu compte de leur intérêt pour
les livres et aussi du fait qu’ils désiraient rencontrer les auteurs. »
Sans oublier sur le
Web
www.typomag.net
¿ Sport
u Jeunesse et sport : le duo gagnant !
(A.H.)
u Une association qui défie les handicaps
(S.B.)
u Le sport est-il hors-jeu à Marrakech ?
(A.H.)
u Le Maroc en pleine lucarne ! (A.H.)
¿ Sans oublier
u Bienfaisance pour les orphelins de
Marrakech (E.M.)
u L’école au Maroc (J.B.)
u Lycée : une vision de la jeunesse (J.B.)
u Rectorat et international (J.B.)
73
Abdallah Taibi,
professeur d’anglais au Lycée
« La plupart des collèges et lycées n’ont pas
suffisamment
de place ni les
moyens pour permettre aux élèves
un accès à l’enseignement informatique. La majorité
de mes élèves ne
savent même pas
comment utiliser
un logiciel comme
Word. »
Propos recueillis
par Charline
Poisson
74
Comment savoir ?
p q Le village Ait Blal, les enfants et l’imam (deux dernières photos du bas)
Atlas profond
L’imam
et les 160 enfants
Ait Blal est un village berbère perdu dans le Moyen Atlas.
Très pauvre, toute la vie s’organise autour d’une école coranique
où va l’ensemble des enfants. L’islam y est un constructeur du lien
social et une échappatoire à la misère.
À
la moindre voiture d’étranger qui entre dans Ait Blal, des dizaines d’enfants
se précipitent pour voir le spectacle. De
leurs yeux ébahis, ils scrutent l’allure de l’occidental riche. Normal, leur village isolé aux confins
du Moyen-Atlas est bien loin de la richesse pourtant relative d’une métropole comme Marrakech.
L’ombre d’un homme se dresse au-dessus des
bambins. « Laissez les visiteurs tranquilles », ordonne-t-il. Les petites têtes brunes obéissent au
doigt et à l’œil. Ismail S’addiki est un jeune imam
de 30 ans. C’est lui qui organise la vie de tout le
village. « Je suis imam ici depuis un an. Je suis
originaire d’ici et j’ai décidé de m’occuper de
tous ces enfants. Ils sont 140 garçons ainsi qu’une
vingtaine de filles que j’éduque. Je leur apprends
le Coran jusqu’à ce qu’ils sachent tout par cœur. »
Il avoue que son but est de former de futurs imams,
respectueux du bon islam, non extrémiste. Pour les
filles, l’éducation s’arrêtera à 13 ans. Après, elles
seront mariées.
Les journées se répètent telle une litanie de versets. « Nous commençons à 4 heures du matin pour
la première prière et nous finissons à 22 heures. Je
leur fais réciter et écrire des passages du coran
sur les ardoises », explique l’imam. Certains élèves habitent à 40 km. Ainsi, les enfants dorment
ensemble et ne rentrent dans leur famille que le
jeudi soir et pour les fêtes. Toute la vie se passe
en communauté : repas, douches, approvisionnement en eau. « Pour éviter les problèmes de poux,
on leur apprend aussi à se raser la tête », ajoute
Ismail.
Une question de respect
L’école coranique crée un certain dynamisme
à Ail Blal. L’imam semble être une sorte de gourou craint. L’hospitalité marocaine apparaît ici
comme une obligation « On accueille avec respect
les étrangers et on leur offre l’hospitalité. C’est
primordial », assure l’imam. L’autorité va même
plus loin : « Ici, personne ne fume ! Pas de drogue non plus ! Petits et grands compris. Sinon, on
punit ! » Nous n’en saurons pas plus sur les punitions, mais les résultats sont là. Dès qu’Ismail lève
la voix, les mômes lui obéissent. L’imam apparaît
comme le chef officieux du village. « Je connais le
prénom de chaque enfant ainsi que ceux de leurs
parents ! » En tant que chef religieux, il s’occupe
aussi des prières des adultes. Le soir, une grande
prière est ainsi organisée lorsque tout le monde
rentre des champs.
D’après lui, ici, « tout le monde est heureux ».
Les conditions de vie paraissent pourtant compliquées. Chaussures trouées, habits trop petits, visages sales… Les habitants ne s’en plaignent pas.
L’électricité est arrivée il y a environ deux ans et
l’eau courante est un rêve pour le moment inaccessible. Pour se laver, chacun profite de l’eau du
puits et utilise son petit seau.
En hiver, les routes sont coupées, et le ravitaillement au souk de Demnate est impossible. « Les
organismes se sont habitués », affirme un homme
qui suit à la trace l’imam. Pourtant, les visages font
plus vieux que leur âge. Sans médecin ni hôpital
à proximité, l’espérance de vie est d’autant plus
réduite. D’ailleurs, sans acte de naissance, aucun
d’entre eux ne connaît sa date de naissance exacte.
Lahcen est le doyen, mais c’est l’imam qui nous
donne un âge approximatif : « Il doit avoir 80 ans,
enfin environ. Mais le temps précis vécu importe
peu ici. » La vie dure et le temps peut sembler
long. Noureddine, guide dans l’Atlas, confie qu’il
y a un vrai manque de matériel. « Les habits qu’ils
ont viennent de la bienveillance des gens, mais
cela est largement insuffisant », confie-t-il. Cette
remarque sonne comme un appel à l’aide matérielle. Cela n’empêche pas cette vie de continuer
inlassablement, et ce, grâce à l’action de l’imam.
D’ailleurs, le village est désert : tous sont à la mosquée en train de prier. ¿
Alexandre Mathis
Comment savoir ?
75
Portrait
Souad Aboulama,
une femme volontaire au tableau
Souad Aboulama travaille
depuis 1993 comme
institutrice dans une école
publique d’Azrou. Malgré
toutes les difficultés de la vie
marocaine, elle obtient
toujours le meilleur de ses très
jeunes élèves.
D
ans l’une des écoles primaires publiques
d’Azrou, la maîtresse des touts petits
s’appelle Souad Aboulama. Un visage
rond à la peau noire, une voix agréable, un sourire
chaleureux constamment aux lèvres, l’institutrice
est née dans une grande famille où beaucoup ont
aussi choisi le métier d’enseignant. Trente-deux
heures par semaine, elle fait face à une classe de
vingt-huit enfants de 5 à 6 ans, l’équivalent français du CP.
Ce sont les plus jeunes puisque, comme l’indique Souad, « l’école est obligatoire à partir de 6
ans au Maroc ». « Certains jours, je ne travaille
que le matin ; d’autres, l’après-midi en plus. Ici
on travaille même le dimanche, à chaque fois 4 à
5 heures par jour », explique-t-elle, comme une
évidence.
Par amour pour les jeunes enfants
p Souad Aboulama chez elle, entourée de sa petite famille et toujours prête à accueillir le visiteur.
dique-t-elle. Souad est la maîtresse de vingt-huit
enfants, mais c’est aussi la maman de deux autres
bien à elle : Oussama, son fils aîné de huit ans, et
la petite Assia, à peine âgée
de cinq ans.
Les jeunes enfants qui entrent dans sa salle de
classe y apprennent écrire et à lire l’arabe, notamment avec des images. « C’est une vraie joie
pour moi de les voir terminer l’année en sachant
lire », confie Souad avec un grand sourire. « J’ai
toujours voulu faire ce métier, se souvient la jeune femme. Par amour pour les jeunes enfants. »
L’institutrice a eu son baccalauréat puis a suivi
pendant deux ans une formation au métier dans un
centre des instituteurs, dans une ville très éloignée
du Moyen-Atlas, Safi.
La petite famille est alors
au complet lorsque son
époux, Aziz, quitte son atelier de couture pour regagner
la petite maison nichée dans
une rue en pente du centreville.
Installée à Azrou depuis 1993, elle a su garder
cette même passion pour les plus petits, à qui elle
consacre beaucoup d’énergie. « Il y a quelques
heures dans l’emploi du temps que l’on laisse pour
faire en classe des activités extrascolaires. Cette
année, j’ai initié les élèves au théâtre et je dois dire
qu’ils s’en sortent bien, surtout les filles. » Elle
tient également à maintenir de bonnes relations
avec les familles des élèves. « Je rencontre souvent les parents des enfants. Et je fais également
partie d’une association de parents d’élèves », in-
En plus de son métier et de
son rôle de mère et d’épouse,
Souad trouve encore du temps
pour se faire plaisir. Elle se
rend d’ailleurs plusieurs fois
par semaine dans le club de gymnastique de sa
sœur cadette. « Le plus difficile pour moi, c’est de
trouver le temps à la fois pour mon travail et pour
ma famille, lâche-t-elle en haussant les épaules. La
mère de mon mari, Aziz, m’aide pour garder mes
Une double journée de travail
En plus
enfants lorsque je ne suis pas là, mais ça reste assez compliqué. »
Il est pourtant nécessaire dans les familles marocaines que les deux parents
aient un métier. Cela permet de
meilleures conditions de vie,
de son
comme la possibilité d’avoir des
vacances ou des loisirs. « Sans
et de son nos deux emplois, on ne pourrait
pas envoyer notre fils aîné dans
et une
école privée qui bénéficie de
plus
de moyens. »
, Souad
métier
rôle de mère
d’ épouse
trouve encore du
temps pour se faire
plaisir .
Le jeune garçon profite ainsi
de matériel informatique et
audiovisuel. « Notre fils étudie
l’anglais et il peut faire plusieurs
voyages scolaires dans des musées ! », s’exclame son père, qui
n’a pas eu cette chance.
Pourtant, le manque de moyens
dans son école publique, Souad le compense avec
beaucoup de volonté. « Même si c’est un quartier
difficile, j’obtiens de bons résultats avec mes élèves, conclut-elle. Et je suis fière d’eux. » ¿
Sonia Barge
76
Comment savoir ?
Académie de Marrakech
Système scolaire
en construction
Pour Abdelouahab Benajiba, directeur de l’Académie régionale
d’éducation et de formation de la région Marrakech – Tensift –
Al Haouz, « Le système éducatif marocain est un grand
chantier qui est devenu la première priorité nationale. »
Des projets d’amélioration et de mise à niveau éclosent, mais le
manque de finances reste une importante barrière.
L
’académie de Marrakech, la 3ème du Royaume avec un peu moins de 700 000 élèves
et plus de 32 000 fonctionnaires employés,
a placé la barre de ses ambitions à la hauteur de
ses dimensions. Son recteur depuis cinq années,
Abdelouahab Benajiba, bouillonne de projets. Un
vrai paradoxe quand on écoute la voix calme et
posée de ce professeur de biochimie âgé de 59 ans.
« Comme tous les systèmes, notamment dans les
pays en voie de développement, le système éducatif marocain a besoin d’être réformé, d’être amélioré à tous les niveaux », explique-t-il.
Une autonomie plus grande
L’académie régionale d’éducation et de formation de la région Marrakech – Tensift – Al Haouz,
c’est son nom officiel, ne déroge pas à la règle.
Son siège de la très passante avenue Allal-el-Fassi, dans le Guéliz marrakchi, risque donc d’être le
point de départ de sérieuses manœuvres éducatives dans cette zone à peine moins grande que
la Bourgogne.
À commencer par la décentralisation, un
« chantier très important et prometteur » tou- p « L’enseignement doit être généralisé »
jours selon les dires de ce natif de Tétouan. La
loi 07-00 libère en effet l’État de ses responsacruciaux qui ont retenu l’attention de ses membilités au niveau du système éducatif. Les seize
bres. Et d’Abdelouahab Benajiba. « En premier
AREF - Académie régionale d’éducation et de forlieu, l’enseignement doit être généralisé. Une loi
mation - du pays jouiront de facto d’une bien plus
existe déjà, stipulant l’école obligatoire pour les
grande autonomie, qu’elle soit morale, scolaire ou
enfants de 6 à 15 ans. Elle doit cependant être plus
financière. « Cette loi va permettre de concentrer
appliquée sur le terrain. L’objectif est que le taux
les gestions au niveau des régions, qui constituent
de scolarisation sur cette tranche d’âge atteigne,
l’avenir et la garantie du développement des naau minimum, 95 % ».
tions. »
En avril 2008, le Conseil Supérieur de l’Éducatif a rendu son premier rapport, montrant du doigt
les progrès généraux de l’école marocaine. Mais
quelques dysfonctionnements persistent, dont trois
q « Comme tous les systèmes, notamment dans les pays en voie de développement, le système
éducatif marocain a besoin d’être réformé, d’être amélioré à tous les niveaux »
Des moyens insuffisants
« La mise à niveau des établissements est un
autre chantier urgent. Surtout dans le milieu rural,
où les infrastructures, la qualité de l’instruction et
de la vie scolaire, l’assiduité et la stabilité des enseignants peuvent être corrigées et améliorées ».
Enfin, dernière affaire et non des moindres, une
autonomie des établissements est à l’ordre du jour.
Des pôles d’excellence, autour de matières bien
spécifiques comme les langues, les sciences ou
les sports, verront le jour. Objectif de cette innovation : proposer une plus grande palette de choix
pour l’étudiant et tracter les organisations moins
huppées vers l’avant.
Les desseins sont là, les dossiers s’entassent déjà
dans les meubles. Mais bien malheureusement, la
région ne signe pas de chèques en blanc et l’Académie doit faire face à des moyens trop limités.
« Nos ressources restent insuffisantes, compte tenu
de nos grands défis », concède le recteur, « Nos
dépenses et notre gestion des ressources humaines doivent être raisonnables ». L’horizon semble
pourtant se dégager. L’engagement de nombreux
partenaires, avec en-tête l’État, donnera naissance
à un fonds de soutien pour le développement de
l’enseignement. ¿
Alexis Hontang
Comment savoir ?
77
Éducation
Faites confiance à nos profs !
Qu’ils soient professeurs de
français ou de physique, ils ne
se contentent pas d’effectuer
leurs cours. Faire évoluer le
système marocain est une de
leurs priorités et ils savent
mettre le doigt sur les
problèmes.
«
Nos élèves ne lisent plus. » Le bilan d’Abdel Karim Al Khafiq, Karima Ouahbi et Milouda El Bount, trois professeurs de français,
enseignants dans différents lycées de Marrakech,
est le même. Que ce soit en français ou en arabe,
les trois enseignants parlent d’un « réel problème
de lecture, très présent dans le secteur public ».
Les facteurs de cette démobilisation ? « Des
programmes surchargés », pense M. Al Khafiq. En
effet, chaque année les élèves doivent « étudier des
œuvres intégrales », une aberration selon Milouda
El Bount. « Au lieu du programme obligatoire, on
aimerait leur faire étudier Harry Potter ! », commente-t-elle. « Les élèves aiment bien faire des
exposés. Et c’est bon pour les responsabiliser »,
affirme Karima Ouahbi.
Pas de réactions
devant les cours magistraux
En bref, ces professeurs aimeraient plus de liberté pour faire leurs cours et pensent que les œuvres proposées par le Ministère de l’Éducation ne
sont pas assez proches des goûts de leurs élèves.
« Allez faire lire Le Père Goriot à un élève de troisième année ! » ironise M. Al Khafiq. Les épreuves de baccalauréat en français ayant lieu au terme
de la seconde année (la Première en France), « on
se trouve face à des élèves complètement désintéressés en dernière année », ajoute le professeur.
Que faire pour que l’élève s’intéresse au français
et à sa littérature ? « L’organisation d’ateliers de
lecture, d’écriture ou de théâtre marche bien. Les
élèves réagissent », affirment-ils chacun leur tour.
« Il faut s’intéresser à l’élève pour qu’il puisse se
réconcilier avec l’école », garantit Mme Ouahbi,
du lycée Ibn Abbad.
Ces trois professeurs, très investis pour la réussite de leurs élèves, se relayent pour chercher la
faille, pour expliquer « l’échec » résidant dans leur
système éducatif. « Les élèves n’ont pas de réactions devant les cours magistraux », explique le
professeur Al Khafiq. « Mais certains professeurs
ne sont pas prêts à se détrôner, veulent être le centre de leur cours », renchérit Mme Ouahbi. Les
cours de français permettent aux jeunes Marocains
p Abdel Karim Al Khafiq, Karima Ouahbi et Milouda El Bount, trois professeurs de français, enseignants dans
différents lycées de Marrakech avec l’équipe Typo et Youssef Nait Belaid du rectorat
de découvrir la littérature française. En parallèle,
ils suivent les heures de traduction, pour posséder
tout le vocabulaire utile pour leurs études supérieures. Ce moyen de fonctionner existe depuis
l’arabisation des matières scientifiques en 1989.
« Cette arabisation est en quelque sorte un échec,
au niveau de l’apprentissage du français », explique le professeur du lycée Mohamed V. Les élèves
semblent donc se désintéresser peu à peu des cours
de français « sauf bien sûr quelques exceptions »,
ajoute Mme El Bount.
Mêler les enseignants
aux réformes
« Les programmes de français sont très proches
au Maroc et en France, alors que les élèves marocains maîtrisent de moins en moins la langue. Il
faudrait alléger ces programmes, et d’un point de
vue général, alléger les effectifs », expliquent-ils.
En effet, ils regrettent la surpopulation des classes,
notamment pour les troncs communs (classes de
première année), atteignant jusqu’à 50 élèves.
Pour remédier à tous ces problèmes, ces professeurs ont des idées bien précises à proposer au
Ministère : « Il faudrait d’abord écouter les enseignants, les mêler aux réformes », proposentils. « Être modeste surtout ! », rétorque Mme El
Bount. Les manuels du Ministère, « c’est du commerce » et des « analyses superficielles », s’accordent-ils à dire.
Les programmes ne sont donc pas les seuls à
être voisins entre les systèmes français et marocains. Les revendications des professeurs sont
également très proches. Programmes, effectifs,
fonds. Autant de revendications « pour faire avancer le système ». ¿
Juliette Bourrigan
Sans oublier sur le
Web
www.typomag.net
¿ Ecole
u L’école au Maroc (J.B.)
u Lycée : une vision de la jeunesse
marocaine (J.B.)
u Système scolaire en construction (A.H.)
78
Chers amis
La longue histoire
unissant le Maroc
et la France commence en
1912, quand le royaume
passe sous
protectorat français.
Ensemble, les deux nations
ont combattu durant
les deux guerres mondiales et
en Indochine, avant que
le Maroc ne prenne
son
indépendance
en 1954.
Aujourd’hui, plus de
30 000 expatriés
français habitent au Maroc.
Une histoire commune qui
a tissé un
lien unique
entre les deux pays.
q Bénédicte préparant le budget de son prochain projet.
Coup de coeur
Le Maroc
« entre ses mains »*
Bénédicte Bonnard, c’est l’histoire d’une femme de 58 ans très
occupée. À travers une pléthore de projets, elle cherche à sublimer
l’avenir du Maroc, « sa deuxième maison ».
T
qui dressent un état complet des lieux, dans un
out a commencé sur un sentier rocailleux
orphelinat à Essaouira, par exemple. Ces travaux
des cimes de l’Atlas. Nous sommes en 2000
lui ont permis d’ouvrir les yeux sur les nombreux
et Bénédicte Bonnard, alors simple pasfléaux qui touchent le pays, comme le bakchich
sionnée de marche, a comme une lumière. Sous ses
ou la corruption. « À l’occasion du Raid Évasion,
semelles dures de randonneuse, une terre, un pays
nous arrivons à Tanger les 4x4 remplis de fours’ouvre à elle : le Maroc. « Un vrai coup de founitures. Nous avons été bloqués quatre jours à la
dre !, explique cette femme de 58 ans aux cheveux
douane, car nous ne voulions ni payer, ni laisser
poivre et sel et aux yeux sombres. Mon attirance
les cargaisons », raconte cette femme énergique
pour ce pays est très forte et l’hospitalité des gens
qui se définit aisément comme
est extraordinaire. Aujourd’hui,
une « enquiquineuse ». « Il y
le Maroc est un deuxième pays
« C’est très
a aussi le cas d’un économe
pour moi ! » À tel point qu’elle
envisage de quitter Lugny, peet c’est qui blanchissait les comptes
de son association. Après mon
tit havre de paix verdoyant du
ce qui rend cette
diagnostic, il a été viré, heuHaut Mâconnais, pour s’insreusement ! »
taller au Royaume chérifien.
,
« Je ne vais pas m’installer au aventure si
Aujourd’hui,
Bénédicte
Maroc en tant que randonneuse,
Bonnard s’est lancée dans
»
si
bénévole associative ou consulses propres desseins, toujours
tante. J’irai pour m’engager et
avec l’aide d’amis marocains.
pour mener à terme mes projets. »
À Azrou, dans le centre du pays, l’idée d’un orphelinat, couplé à celui d’un centre de formation lié au
Pas les mêmes erreurs
tourisme solidaire, rôde.
tangent
belle
excitante
qu’en Occident
Ces projets, celle qui a longtemps travaillé dans
le social les porte comme ses enfants. Un engagement total dans divers domaines avec un seul point
en ligne de mire, l’avenir du Maroc. « Actuellement, on ne sait trop comment ce pays va évoluer :
vers plus de modernité, ou de traditions ? Vers plus
de libéralisme religieux ou de radicalisme ? C’est
très tangent et c’est ce qui rend cette aventure si
belle, si excitante. » Un défi titanesque qu’elle attaque après mûre réflexion : « Il ne faut pas faire
les mêmes erreurs qu’en Occident, comme l’agriculture intensive ou le béton à tout va. »
Consciente d’un patrimoine qu’elle veut préserver, la Parisienne d’origine s’est lancée depuis
le début du millénaire dans le petit monde de la
solidarité. D’abord en tant que bénévole, lors du
Raid Évasion où des jeunes en difficulté de Périgueux distribuaient des affaires en tous genres aux
populations les plus défavorisées. Puis elle a collaboré avec une association de Rabat pour défendre des éducateurs d’un projet de développement
à Imilchil, dans le Haut-Atlas, non payés depuis
de nombreux mois. Plus tard, riche en contacts,
elle a effectué des diagnostics, ces inventaires
« Nous sommes à l’état de recherche d’un local », indique-t-elle, photos à la main. « Mais
actuellement, ce qui prédomine, c’est mon projet moto. Cela tient plus au plaisir, car les gros
chantiers comme l’orphelinat ont besoin de ma
présence sur place. » Le but du projet moto est
double : offrir un lieu de validation de stage mécanique pour des jeunes Marocains passionnés et
parallèlement louer aux motards touristes ou non
des vieilles BMW à deux cylindres, idéales pour
les ballades.
De ces escapades marocaines – « J’y suis allée
au moins 20 ou 30 fois. » -, elle garde des carnets, noircis de croquis, de notes prises à l’issue de
rencontres toujours enrichissantes. La Lugnisoise
espère même réunir toutes ces remarques griffonnées dans un livre, qui s’axera sur les femmes et…
les grilles de fenêtre. « Dans l’Atlas, on remarque
beaucoup de très belles grilles aux fenêtres. L’idée
serait de connaître la vie des femmes derrière ces
grilles… » Encore un projet de plus. Le temps se
fait-il trop court ? Bénédicte Bonnard le regrette
dans un demi-sourire : « On n’a qu’une seule vie,
c’est bien dommage ! » ¿
Alexis Hontang
Les enfants aux pains - souk de Marrakech u
Chers amis
79
80
Chers amis
Anciens combattants
Une mémoire apaisée
mais productive
À l’appel du Sultan Sidi Mohammed ben Youssef, plus de 80 000
Marocains ont participé à la Libération de la France. À ce titre, les
vétérans marocains bénéficient aujourd’hui des actions menées
par le Service des Anciens Combattants français. Portrait d’un
devoir de reconnaissance.
«
La démarche de la France vis-à-vis de ses
anciennes colonies est assez atypique », remarque Bernard Paquelier directeur du service des anciens combattants de Casablanca. En
effet, lorsque les colonies ont acquis leur indépendance, les métropoles européennes ont fourni un
capital afin de se dédouaner de leurs responsabilités.
« A contrario, la France a souhaité continuer à
verser des prestations, explique le directeur. C’est
la raison de notre présence ici. » Les aides fournies
par ce service délégué de l’ambassade française
aux vétérans marocains sont de plusieurs ordres
et « très concrètes », d’où leur grande popularité.
Tous les matins, des consultations administratives
et sociales sont organisées pour les soutenir dans
la reconnaissance de leurs droits. Ainsi, 7 900 visiteurs ont été reçus en 2007.
Le public s’est élargi
Un important service d’orthopédie est également mis à disposition des anciens combattants
pour remplacer gratuitement les membres qu’ils
ont perdus pendant ou après la guerre. « Les Marocains qui se rendent dans nos locaux viennent
souvent du fin fond du bled, raconte le diplomate
français. C’est pourquoi nous organisons des caravanes d’appareillages à travers tout le Maroc.
Les vétérans qui ont peu de moyens peuvent, de
cette manière, bénéficier de nos prestations. »
Progressivement le public de ce service s’est
élargi aux soldats de l’armée royale, aux mutilés du travail, mais aussi aux blessés durant les
conflits pour l’indépendance, preuve d’une mémoire apaisée.
Grâce à la carte du combattant, les vétérans
marocains touchent la retraite du combattant et la
pension militaire d’invalidité dont le montant est
évalué en fonction de l’importance de l’infirmité.
« Auparavant, ces prestations étaient gelées au
montant de la valeur de la monnaie à l’époque
où le pays a accédé à l’indépendance, informe
Bernard Paquelier. Elles n’ont été décristallisées
qu’en avril 2007. » Les anciens combattants marocains sont désormais sur un pied d’égalité avec
les Français ce qui a multiplié leur revenu par huit.
« La reconnaissance nationale que représente la
retraite du combattant ne s’élève qu’à 495 euros,
précise le directeur du service. Cependant, au Maroc, cela représente environ 5 500DH, une somme
assez confortable. »
Des pages d’histoire commune
Le service des anciens combattants a aussi pour
rôle la sauvegarde de la mémoire. Cela passe par le
soutien de projets pédagogiques mené par les établissements français au Maroc, mais également le
recueil de témoignages de vétérans pour les rendre
utilisables par les historiens.
« Globalement, les anciens combattants sont
plutôt fiers de ce qu’ils ont accompli », affirme
Bernard Paquelier. Ils savent que leur action a
compté. Ils ont libéré le premier territoire français (la Corse) et permis au Maroc de faire son
apparition sur la scène internationale. « C’est une
véritable leçon de citoyenneté pour les jeunes Marocains, spécifie le diplomate français. Jusqu’au
XXe siècle, le royaume arabe reposait toujours sur
un système tribal. L’engagement massif des Marocains dans l’armée française marque l’entrée du
Maroc dans l’ère moderne. Ils ont agi comme des
membres appartenant à une même nation et non
plus seulement à une même famille. »
Contrairement à ce que peut montrer le film «
Indigènes » (2006) qui met l’accent notamment
sur les discriminations subies par les combattants
étrangers, il y a eu une véritable fraternité d’armes
entre les soldats français et marocains.
« Il y a sûrement eu des propos racistes de la
part des soldats français, mais un comportement
véritablement ségrégationniste aurait entravé la
marche de l’armée », assure ainsi Bernard Paquelier. Les goumiers marocains étaient toujours accompagnés des officiers français lors des assauts,
p Le service des anciens combattants, pour la
sinon ils auraient refusé de se battre. Comme le
conclut Bernard Paquelier dans un sourire : « Au
final on ne peut s’empêcher de tourner ensemble
de grandes pages d’histoire. » ¿
Thibault Coudray
Sans oublier sur le
Web
www.typomag.net
¿ Chez les expatriés
u Les amoureux de Casa (A.H.)
u Muriel et François : l’aventure
marocaine (F.P.)
¿ Du côté marocain
u Ouahid Belhad, entre deux cultures
(E.M.)
Chers amis
81
Expatrié
La
Bretagne en plein Guéliz
D
irecteur de restaurant pressé, Laurent
Godefroy raconte son histoire entre deux
livraisons. Si le débit est rapide, on sent
qu’il est fier de partager son aventure. « J’avais
envie de venir au Maroc, de changer de métier »,
confie ce quadragénaire dynamique, assis à une table de sa crêperie marocaine, entièrement décorée
à la mode bretonne. « Je faisais de l’informatique
à Paris, explique-t-il. Mais, arrivé à Marrakech,
je voulais ouvrir un restau, quel qu’il soit. Je suis
venu seul, j’ai tout quitté pour ça. »
Originaire de Concarneau en Bretagne, ses racines l’ont rattrapé. « L’idée d’ouvrir une crêperie,
comme ma mère, s’est vite imposée. C’était un vrai
défi. Il n’en existait encore aucune à Marrakech »,
pose fièrement l’heureux « reconverti ». « J’avais
peur que ça ne plaise pas au début. Mais je suis
installé dans un quartier résidentiel où se trouvent
des Français qui connaissent la cuisine bretonne.
C’était pour les Marocains que je n’étais pas certain », confie-t-il. Mais, progressivement, le challenge que s’est lancé Laurent Godefroy a conquis
la population marrakchie. « On a
souvent des enfants qui viennent manger », commente-t-il avec satisfaction.
L’Institut français étant installé à deux
pas, une jeune clientèle a en effet pris
ses habitudes à la crêperie.
« C’est même
de mieux en mieux »
Mais la réussite n’a pas de secret : p La crêperie de Laurent dans le Guéliz
« Il faut travailler dur. En deux-trois
originale : les produits aussi, « 100 % français ».
mois, il existe un tri entre les restau« Ça
fait partie du jeu ! » Et s’il existe des menus
rants qui restent et ceux qui ferment », avoue le
aux couleurs locales, certaines crêpes sont égaledirecteur de l’établissement.« Je n’ai finalement
ment accompagnées de porc !
pas rencontré de difficultés. Ça a toujours bien
marché. Et c’est même de mieux en mieux », ajouLaurent Godefroy travaille avec un personnel
te-t-il avec une pointe de fierté.
marocain, trois femmes. « Au départ, je faisais
Peu à peu, ce directeur actif a décoré sa crêperie.
« Tout est ramené de Bretagne. Ma famille, mes
amis, m’apportent des affiches, de la vaisselle… »
D’ailleurs, la décoration n’est pas la seule à être
les galettes. Maintenant, elles les font mieux que
moi ! », s’amuse le Breton marrakchi qui ne regrette qu’une chose de sa terre natale… « La
mer ! » ¿
Juliette Bourrigan
Souvenirs
Fier d’avoir combattu pour la France
Abdelkader Sahoueine est un de ces nombreux Marocains qui
ont combattu sous les drapeaux français durant le protectorat.
Goumier au cours de la Seconde Guerre mondiale puis tirailleur
en Indochine, il bénéficie actuellement des aides que fournit la
France à ses anciens combattants. Dans ses yeux, envahis peu à
peu par la cécité, s’allume encore une flamme lorsqu’il livre un
témoignage où se chevauchent français et arabe.
A
bdelkader Sahoueine s’engage en
juillet 1943. Étant trop jeune pour faire partie des tirailleurs, il devient goumier. Son régiment passe alors par la Tunisie
pour aller libérer la Corse, accompagné de la
3e section américaine. « Nous étions toujours
envoyés en premier lors des assauts, explique
le vieil homme aveugle. Mais les officiers français nous accompagnaient pour nous diriger et
nous encourager. » Une fois la Corse débarrassée de l’occupation allemande, le jeune soldat
combat quatre jours sur l’Île d’Elbe avant d’être
rappelé en Corse pour participer au débarquement de Provence. Son régiment traverse alors
la France à la poursuite de l’armée allemande.
Lorsque l’Armistice est signé, il se trouve en
Allemagne.
Abdelkader Sahoueine s’enrôle de nouveau
en 1946 pour aller combattre sur le front indochinois. Les combats sont nettement plus
intenses, car les Viêt-Cong pratiquent la guérilla. « Un jour, nous avons été encerclés par
les Indochinois, raconte Abdelkader Sahoueine
avec émoi. Seuls moi, mon commandant et trois
autres Marocains sommes parvenus à nous
enfuir. » À cette époque l’armée française est
majoritairement composée de Marocains. Mis
à part les officiers qui mangent à l’écart, les secondes classes (Français et Marocains) vivent
ensemble.
Retour dans le Maroc indépendant
Globalement tous les soldats sont mis sur
le même pied d’égalité. « Personnellement, je
n’ai jamais été promu, avoue le vétéran en souriant. On me trouvait un peu nerveux. » « Je
n’ai été démobilisé qu’un an après la déclaration d’indépendance du Maroc, se rappelle le
vieil homme. J’ignorais tout de ce qui se passait dans mon pays. »
p Abdelkader Sahoueine s’est engagé en 1943
Son engagement aux côtés de la France n’a
rien changé dans ses relations avec les autres
Marocains. « Travailler avec les Français
ou avec les Marocains, c’était du pareil au
même », affirme-t-il. Et lorsqu’on lui demande
son sentiment par rapport à son passé, il répond
sans hésiter : « Je me suis enrôlé volontairement. J’ai combattu sous les drapeaux de la
France comme si elle était ma patrie. J’en suis
extrêmement fier ! » ¿
Thibault Coudray
82
Chers amis
Collaboration
Programme
de communion mutuelle
Créé en 1999 après
les événements culturels
« Temps du Maroc » en France,
le PCM - Programme Concerté
Maroc - a pour vocation
de rapprocher les associations
françaises et marocaines.
Une collaboration main dans
la main avec pour cible,
la jeunesse.
A
utonomie, exemplarité, réciprocité, démocratie, parité, coresponsabilité, transparence : voici les sept piliers sur lesquels s’appuie le Programme Concerté Maroc, car
comme l’indique Driss Ajjouti, directeur exécutif,
« sans un minimum de principes, on ne peut pas
bien travailler ». Entre les bureaux bien rangés, les
dépliants et pochettes stylés, les documents triés
selon des critères bien précis et les notices très riches en informations, le PCM se donne aussi un
cadre idéal pour réussir.
Sur la carte, la très grande proximité du bureau
du PCM avec l’ambassade de France n’est pas une
coïncidence : si le bureau est bien à Rabat, les appels vers l’Hexagone vont bon train. En effet, le
ministère des Affaires Étrangères est le principal
bailleur de fonds du programme, de l’ordre de
75 %.
Des projets à cœur
Le PCM rapproche donc le Royaume chérifien
de l’Hexagone. En réunissant 60 associations
marocaines et 32 françaises, le programme s’est
donné trois axes en rapport avec la jeunesse, où
Français et Marocains marcheront main dans la
main. « Pour la période 2006-2010, lors du PCM
2, l’éducation et la formation professionnelle,
l’économie sociale et solidaire et la citoyenneté
seront nos thèmes », explique Driss Ajjouti, 56
ans, ancien professeur de mathématiques qui a su
monter tous les échelons de la vie associative par
passion de l’engagement.
Pour mieux réussir le PCM 2, les associations
membres ont su tirer les leçons du passé et du plan
PCM 1, qui, lors de la période 2002-2005, avait
p Driss Ajjouti, 56 ans, directeur exécutif de PCM, dans son bureau de Rabat
tes assurées par les Français. Grâce à leur plus
grande expérience et leur regard d’Européen, ils
apprennent à leurs homologues marocains comment mieux gérer leurs associations. Mais il ne
faut pas croire que les échanges ne vont que dans
Et aujourd’hui, sûres de leur fait, les associaun sens ! À Safi (ville marocaine de 300 000 habitions du PCM passent à l’action,
tants sur la côte Atlantique,
avec une multitude de projets
au sud du Casablanca), par
«
Si
les
Français
sous le bras ! « Treize », se félicite
exemple, il se crée un pôle
Ajjouti. Dans la région de Ouarde concertation des établispeuvent
montrer
zazate et de Zagora par exemple,
sements scolaires, où l’on
le PCM contribue à la création de
pourra parler librement de
que
aux
micro-entreprises durables dans le
la problématique des jeubut d’insérer de jeunes handicapés
leur pays n’est pas nes. Là-bas, si les Français
dans le domaine professionnel en
peuvent montrer aux jeunes
milieu rural.
, Marocains que leurs pays
un
pas un eldorado, les
Autre succès du programme
les Marocains, eux, n’est
Marocains feront connaître
franco-marocain : l’électrificaleur patrie aux jeunes Frantion et l’alimentation en eau poferont connaître
çais. Ce sera un lieu où les
table d’un petit village. Pour cela,
l’ONG française, Électriciens
aux échanges et les collaboraleur
tions pourront éclore ».
Sans Frontières, a collaboré avec
jeunes Français. »
des Marocains. L’idée de créer
En 2010, le programme
un BAFA (Brevet d’Aptitude aux
PCM prendra fin. CepenFonctions d’Animateur) marocain
dant, les restes du programme seront encore visibout aussi dans les cerveaux.
bles. Outre la naissance de programmes du même
type au Mali, en Roumanie et en Algérie, le PCM
Des échanges réciproques
aura grandement contribué à rendre meilleures les
relations franco-marocaines : « Si, actuellement,
La main sur son cahier d’écolier, noir de notes
on commence à capitaliser, nous voulons surtout
prises dans la langue de Molière, Driss Ajjouti
pérenniser notre action. » ¿
évoque les liaisons créées entre la France et le
Maroc par le PCM : « Les formations sont touAlexis Hontang
« centré son activité sur la pauvreté, un choix trop
flou, trop vaste ». « Le PCM 1 était plutôt une expérience pionnière, où nous avons fait beaucoup
d’essais. »
jeunes
eldorado
patrie
Chers amis
83
Nouvelle vie
« Les Marocains
m’attendaient au tournant »
« Je ne savais pas que j’avais
Michel Roussel est un
mordu de travail.
Après plus de 20 ans au
service de la télévision
française, ce journaliste
a fait ses valises il y a trois
ans, destination
Marrakech. Aujourd’hui,
il officie sur MFM Atlas
avec deux émissions
hebdomadaires.
autant d’énergie »
Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. « Les
Marocains m’attendaient au tournant, il fallait
vraiment que je montre de quoi j’étais capable.
En France, on savait qui j’étais et ce que je savais faire. Ici, personne ne me connaissait. Je ne
savais pas que j’avais autant d’énergie pour faire
tout cela. »
Son succès, il estime qu’il le doit aux concepts
de ses émissions « très européens », ce que les
Marrakchis semblent rechercher. « Et puis, il y
a une forte communauté française à satisfaire.
Aujourd’hui, je pense que je suis devenu incontournable, mais pas irremplaçable, car personne
ne l’est », précise-t-il, plein de lucidité. «
C’est comme une renaissance, une deuxième vie. » C’est ainsi que Michel Roussel,
journaliste, résume son nouvel élan. Avant,
il était en France, à la télévision, où il produisait
diverses émissions du PAF. Mais il préfère ne pas
trop remuer ce passé douloureux. Aux alentours
de 40 ans, ce passionné de journalisme a décidé
de venir recommencer une carrière à Marrakech.
« J’ai débuté par la presse écrite avec Maroc Soir
puis L’Économiste, raconte l’ancien producteur. Je
devais à nouveau faire mes preuves, comme à mes
débuts ! » Sa famille est restée en France, mais sa
fille vient souvent le voir. « Elle adore Marrakech,
j’en suis content. »
Ce grand brun fin comme une allumette se distingue par son langage raffiné. Il en fait désormais
profiter tous les Marocains depuis un an, en animant deux émissions radio : « Yallah les Marrak-
Coup de foudre
à Marrakech
Chantal est française, mais
elle ne vit plus dans
l’Hexagone depuis 30 ans.
Lors de sa première visite
dans le royaume marocain,
elle avait été conquise par
le charme et la beauté du
pays.
Au point de s’installer à
Marrakech il y a deux ans.
p «Je me sens adopté », affirme Michel Roussel
chis » et « Tout est Possible ». « La première émission consiste à inviter deux personnes de milieux
différents qui font bouger la ville de Marrakech.
« Tout est possible » permet de faire le tour du
monde juste avec des infos insolites. » Pour accrocher musicalement l’auditeur marocain, Michel
Roussel passe des vieux classiques de Dalida ou
Piaf. Il lui semble que le succès est au rendezvous. « La mesure de l’audience est en train de se
mettre en place. Mais, au vu des retours dans la
rue, je sens que les gens aiment ! »
«
J’ai choisi Marrakech pour sa proximité avec la montagne. J’adore faire des
randonnées ! » s’enthousiasme Chantal
Morgenbosser, une expatriée française. Cette
retraitée vit au Maroc depuis bientôt deux ans.
Mais avant de s’installer dans le royaume,
Chantal a vécu et travaillé en Angleterre et en
Allemagne. Cela fait donc maintenant presque
trente ans qu’elle ne vit plus en France, l’envie
de voyager et de découvrir d’autres pays ayant
pris le dessus. Cependant, elle y retourne « pour
les vacances et Noël. » Chantal était déjà venue
huit ans auparavant pour faire une randonnée
avec des amis. Séduite, elle a finalement décidé
que le royaume serait son pays d’adoption.
Pour se fondre encore un peu plus dans le
paysage, Chantal a décidé d’apprendre l’arabe.
« J’ai commencé peu de temps après mon arri-
Sur sa situation actuelle, il s’exprime simplement : « Je me sens adopté par ces gens, ici à la
radio, je sais que mes collègues marocains me
défendraient, enfin je suppose. » Michel Roussel
est fier du chemin accompli, il regorge d’envies
et de projets qu’il préfère toutefois garder secrets.
Par prudence. « Je préfère ne pas en parler pour
le moment, tant que je ne suis pas sûr que ça se
réalise… » ¿
Alexandre Mathis
vée et maintenant je continue à l’Institut français grâce à des cours particuliers », expliquet-elle. Cette passionnée d’art et de littérature a
également tenu à s’initier à la calligraphie.
Infatigable, Chantal profite pleinement de
sa retraite. Pour cette amoureuse de la nature,
les jardins et palmeraies de Marrakech sont
une mine d’or. « C’est vraiment très agréable !
J’adore aussi aller à la campagne et évidemment faire des randonnées ! »
Pour le moment, Chantal n’a pas de projets
bien déterminés. « Peut-être que je voudrais
partir dans quelque temps, je n’en sais rien.
Mais pour l’instant, je veux avant tout continuer à découvrir et apprendre à mieux connaître encore le Maroc. » ¿
Cécile Pasquet
84
L’hospitalité made in Maroc
Ç
a commence par le traditionnel et inévitable thé à la menthe qu’une
famille, fraîchement rencontrée, vous invite à venir boire chez elle.
Puis, de fil en aiguille, la conversation s’installe et les heures passent. Ils sont heureux de vous faire partager leur vie, vous montrent des
photos, vidéos…
Ils vous demandent de rester pour dîner ; vous refusez de peur d’abuser
de leur générosité. Ils insistent alors et vous voilà, le lendemain midi, assis
dans leur salon, aidant la maîtresse de maison à préparer le repas. Celle-ci
n’a pas beaucoup de temps, il est midi et elle doit retourner au travail à
13 h 45. Mais elle trouve tout de même le temps de mettre les petits plats
dans les grands, rien que pour vous. Elle a même préparé des assiettes séparées au lieu du « plat commun » où tout le monde mange selon son envie,
de peur que vous n’appréciiez pas.
13 h 30, cette dernière n’a toujours pas mangé et doit s’occuper de ses
enfants. Elle est convaincue qu’elle n’a pas fait ce qu’il fallait pour vous
recevoir, alors qu’elle en a fait trois fois trop ! Elle s’excuse de la rapidité
avec laquelle elle vous a reçu et promet que, si vous revenez manger le soir
chez eux, vous serez mieux accueilli. La famille en question sera même
prête à vous loger chez elle, même si la maison ne le permet pas…
Lorsqu’on le raconte comme ça, on pense que cette famille est particulière, pas comme les autres. Eh bien non ! Bien sûr, il y a toujours des
exceptions, le contraire serait étonnant, mais dans la majeure partie des cas,
les Marocains sont tous plus ouverts les uns que les autres. Ce sont leurs
« amis français » qui devraient en prendre de la graine… ¿
Cécile Pasquet