Marrakech - Typo le mag
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Marrakech - Typo le mag
2 Typo se découvre Typo Extra Muros Maroc Directeur de publication : Dominique Gaye (coordonnateur du Clemi Dijon - rectorat) Coordonnateur général : Eddy Spann Directeur de l’information : Alexandre Mathis Rédacteur en chef : Thibault Coudray Conseiller journalistique et correcteur : Aurélie Juillard, journaliste professionnelle. Rédacteurs Typo : Alexis Hontang, Anabelle Bourotte, Camille Gros, Cécile Pasquet, Charline Poisson, Elsa Marchand, François Perez, Juliette Bourrigan, Sonia Barge, Thibault Coudray, Eddy Spann*, Alexandre Mathis*. Avec l’aide précieuse, efficace et motivée de Lucie Postel du lycée français Victor Hugo de Marrakech. Dessins : Thibault Roy, sauf mention contraire La mission a été encadrée par : Dominique Gaye et Aurélie Juillard. * Post-Bac, typoïstes de générations antérieures. Mission au Maroc du 4 au 20 avril 2008 : La rédaction a été installée au riad itrane de Marrakech pendant 10 jours. Quatre micromissions ont été organisées pour le reste du temps : Rabat - Casablanca / Azrou / Atlas/ Oaerzazate. 3 week-ends de formation et de travail en France Mise en pages : Aurélie Juillard assistée de Dominique Gaye. Autres Membres : Eddy Petit et Alexis Hontang, après discussions collectives. La Une a été réalisée avec l’aide amicale de Patrick Perrot du service jour du Journal de Saône-et-Loire. Les photos sont de Typo, sauf mention contraire. Magazine tiré à 2 000 exemplaires (imprimerie Mordacq). Diffusion dans les établissements de l’académie de Dijon, dans une centaine de lycées français et dans les rédactions francophones de Typo. Typo - Lycée Niepce - 141 avenue Boucicaut 71100 Chalon-sur-Saône (France) Tél : (+33) (0)3.85.43.40.40 (+33) (0)6.21.04.83.36 Fax : (+33) (0)3.85.43.34.34 Mail : [email protected] Web : www.typomag.net Ce magazine a été financé, pour une très grande partie par le Conseil Régional de Bourgogne et par le Crédit Mutuel Enseignant et Solidarité Laïque et son programme Demain le Monde. Typo est aussi financé par le rectorat de l’Académie de Dijon qui salarie notamment tout le personnel d’encadrement. Solidarité Laïque, association humanitaire de solidarité internationale, appuie ses actions sur les valeurs universelles de la laïcité. Elle coordonne le programme Demain le Monde... Le site de Typo a été créé et est hébergé, maintenu, référencé par www.LaRouteDuNet.fr Typo : un Monde ouvert, un média ouvert sur le Monde T ypo, c’est au départ une action de presse lycéenne à l’initiative du CLEMI (Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information) de l’Académie de Dijon, le service d’éducation aux médias du rectorat. Typo a été fondé en septembre 1998. Cette expérience donne aux lycéens des quatre départements bourguignons un espace d’expression libre et responsable. Ainsi, ils conçoivent des articles, des dessins de presse, des séquences télévisuelles visibles sur le site www.typomag.net et une page mensuelle dans les titres de la presse quotidienne départementale - Le Journal de Saône-etLoire (Saône-et-Loire), le Bien Public (Côte d’Or),et l’Yonne Républicaine (Yonne) et jusqu’en 2007 le Journal du Centre (Nièvre) - partenaire à part entière de cette initiative unique en France. En soutenant fortement cette action, l’école joue pleinement son rôle d’écoute, d’initiatrice, d’accompagnatrice. Soutenue par les collectivités locales ou régionale, elle participe activement à la formation des jeunes citoyens. débouche sur le premier Typo Extra Muros et la création de Typo Roumanie. 2002 c’est le Vietnam, 2003 le Québec, 2004 le Mali et le Festival de Hué (Vietnam). En octobre 2004, Typo Québec débarque en Bourgogne ème étudier les cousins français et réaliser le 6 Extra Muros. Typo Roumanie sera aussi venu deux fois porter son regard sur la Bourgogne (articles en ligne). 2005 voit les typoïstes sortir de l’espace francophone pour se rendre à Auschwitz et réaliser ainsi le 7ème Typo Extra Muros, « Déportation : histoires de ne pas oublier ». 2006, c’est Bombay et la sortie du 8ème TEM, numéro réalisé avec Typo Bombay, rédaction qui produit encore actuellement de nombreux articles, à ne pas manquer sur notre site. Une «parole» écoutée Grâce à ce partenariat avec les professionnels de la presse quotidienne départementale, les écrits journalistiques de ces jeunes sortent de l’anonymat du journal de lycée. Lus potentiellement par 420 000 personnes, jeunes ou moins jeunes, leurs mots, photos ou illustrations trouvent là un lectorat, un sens, un poids et une reconnaissance. De par cette large audience, l’acte d’écrire n’est plus anodin : les jeunes sont vite amenés à comprendre qu’ils doivent être responsables de leurs écrits et de leur média. En 2001, Typo décide d’aller à la rencontre d’autres jeunes francophones pour ouvrir ses horizons et ses champs de découvertes, de compréhension. Premier pays de destination : la Roumanie et le lycée Jean Louis Calderon de Timisoara. Cette « expédition » journalistique Mais au-delà de cette aventure journalistique et humaine, de ces moments de travail commun, de découverte, d’amitié, d’écriture, de reportage écrit ou visuel, de vie, la vocation de Typo est de former nos jeunes à être les hommes et femmes de demain. D’un demain où Liberté, Égalité, Fraternité auront enfin trouvé toute leur place et tout leur sens, partout et pour tous, en Francophonie et ailleurs. ¿ Un Typo de Mercis Par contre, nous remercions vivement Laura Abou Haidar de l’Institut français de Marrakech, pour son professionnalisme et son amical soutien, Françoise Leroy, Véronique Bruez d’ESAV, Évelyne Bevort du Clemi national, Roland Biache de Solidarité Laïque, Pierre Giezek, M. Revol, proviseur adjoint du lycée Victor Hugo de Marrakech, Bénédicte Bonnard pour son autre Maroc à travers Azrou et sa région, Bernard Paquelier directeur du service des anciens combattants, Abdelouahab Benajiba, Directeur de l’académie de Marrakech, Benjeddi Touhami, Jamila Hassoune, libraire à Marrakech, Karima Mkika de l’association Al Karam, Tarik Essaadi journaliste, Youssef Nait Belaid, chargé des relations internationales au rectorat de Marrakech, Khouloud Kebali journaliste à Osra magazine, Youssef Ziraoui journaliste à TelQuel, Noureddine Daïfi et sa famille de Ait Omghar, guide exemplaire, Aziz Leflahi, pour ses contacts et sa présence, Aziz et Souad Aboulama, pour leur gentillesse et leur hospitalité, Mohamed Mohache et Mohamed Ezzine pour leurs précieux renseignements, Ouahid Belhad notre guide à Meknès, Rachid El Ghalloussi qui a veillé sur nous depuis la France, Zoubir Bouhoute, entrepreneur à Ouarzazate qui nous a permis de découvrir la région, Mohamed Abouissaba et Mohamed El Houkari, professeurs à Skoura pour leur disponibilité et leur hospitalité. Enfin, merci à toute l’équipe du riad Itrane et à son gérant Othmane Bellout pour sa gentillesse et son aide. Merci aussi à Marie Françoise Muller, vice-présidente de la région Bourgogne, chargée à l’époque des relations internationales, qui nous a permis de mener à bien cette mission. Et, enfin, merci à tous nos partenaires qui nous font confiance depuis longtemps avec un hommage appuyé à Philippe Baumel, vice-président de la région Bourgogne, service des lycées, qui est le soutien permanent, engagé de Typo depuis 2004. ¿ t Photo de Une : porte dans la Kasbah de Rabat Sommaire 1 - Itinéraire marocain 5 - 1 001 facettes 6 Marrakech : Bienvenue chez les Marrakchis 42 Soins du corps : Parce que le hammam, c’est bon pour la santé 7 Rencontre avec le maire : « Marrakech n’est pas dénaturée » 8 Atlas : Sourires de femmes 9 Maroc des champs : Claire comme de l’eau d’Ouzoud 10 Rabat : Rabat, entre province et capitale 12 Sauvegarde du patrimoine : Casa, SOS patrimoine en danger 13 Casablanca : Casa l’incontournable 52 Patrimoine : Riads en mosaïque 16 Royauté : Touche pas à mon roi ! 53 Une journée au Riad : Une danse bien réglée 17 Le roi dans le Moyen-Atlas : 21 22 22 23 23 24 25 25 48 Berbères : La lutte des hommes libres et collation berbère 6 - Priorité tourisme 2 - Les défis du royaume 20 47 Le narguilé : Et toi, tu fumes la chicha ? 50 Saveurs : Ça, c’est du couscous ! / Cuiseur du quotidien 14 D’Essaouira à El Jadida : Road-trip marrakchi 19 bonhomme de chemin 49 Thé à la menthe : Thé prêt ? 13 Meknès : Meknès, aux belles portes 19 47 Herboristerie : Sésame, ouvre-toi 11 Sur les routes : Les fous du volant 18 Jamila, tatoueuse : une tradition « gagne-pain » 44 Tanneries : De la bête à la babouche, les peaux font leur petit 46 Poterie : Cette terre appelée argile… / La face cachée du pot 11 Clichés rabatis : La fine fleur de Rabat 18 43 Tradition du henné : « Quand tu es heureux, tu fais du henné ! » 45 Artisan : Mohamed, babouche à votre pied ! 10 Clichés rabatis : Souriez, vous êtes pris à Rabat 17 Quand Mohammed VI passe, la ville se surpasse… Régime politique : Des sacrés pouvoirs ! Règne d’Hassan II : Un royaume plombé Droits de l’Homme : Avec humanité… Enfants des rues : Karima Mkika : « Aider, ce n’est pas assister » Pauvreté extrême : Une lumière dans les ténèbres Immigration clandestine : AFVIC : soigner les migraines de l’immigration Mariage : Le plus beau jour de leur vie… Dentiste : Souriez, vous êtes cariés ! Hôpital : la santé marocaine n’a pas bonne mine Santé : Sida, touche pas à mon Maroc Santé : Le Croissant a du pain sur la planche Islam : Abdelhay, imam à 23 ans Rencontre : Ita Abdellaoui, une femme ouléma Sunnisme : Ali ou Abou Bakr ? 3 - Info, la conquête 54 Tourisme extrême : Ouarzazate, perle du grand Sud 55 Réhabilitation : La kasbah de Taourirt, mémoire de leurs pères 56 Un guide pas comme les autres : Noureddine, la force tranquille 57 Tourisme dans l’Atlas : Ouzoud sort de l’ombre 57 Ouarzazate : Guide touristique, « ça va, ça vient » 58 Micro-trottoir : Des vacances destination Maroc 7 - Vertes inquiétudes 60 Problème de l’eau : Vers une crise de l’or bleu… 61 L’eau dans l’Atlas : À la claire fontaine 62 Agriculture : L’argent ne pousse pas dans les champs 63 Oviculture dans le Moyen-Atlas : Hadou et ses moutons 63 Souk d’Azrou : Au bazar des sens 64 Haras de Meknès : Le berceau des équidés 65 Serpents : Les anti-charmeurs montrent les crochets 66 Parc d’Ifrane : Tout pour le cèdre 67 Tradition renouvelée : en route pour la transhumance 68 Portrait : Abderrazzak Benchaâbane : côté cour, côté jardin 8 - Comment savoir ? 26 Tel Quel : Vouloir être honnête peut défrayer la chronique 27 Presse féminine : Un colon de la mode 70 Association : El Amane touche le cœur des femmes 28 Audiovisuel : Vers la libéralisation 72 Portrait : Jamila Hassoune, libraire en liberté 29 Radio : Une émission pour les jeunes et par les jeunes 73 Initiative : La Caravane du livre 30 Internet : Tarik Essaadi, roi de l’e-Maroc 73 Éducation rurale : Paroles de profs de Skoura 30 Blogosphère : Un espace de liberté à surveiller ? 74 École coranique atlassi : L’imam et les 160 enfants 31 Nouvelles technologies : Le web tisse sa toile jusque dans les parcs 75 Rencontre avec une institutrice : 4 - États d’art Souad Aboulama, une femme volontaire au tableau 76 Académie de Marrakech : Système scolaire en construction 32 Poésie : Rachid Mansoum : fils de Marrakech ! 77 Éducation : Faites confiance à nos profs ! 34 Courants musicaux : Quand la musique sonne… 9 - Chers amis 35 Rencontre : La musique, c’est Magic avec Larbi 78 Coup de cœur : Le Maroc, « entre ses mains » 35 Concert franco-marocain : Sans frontières 36 Rap traditionnel : Fnaïre et la main de henné 36 Téléchargements : « Le piratage n’a pas tué la musique » 37 Studio de musique : D-Cibel ne joue pas en sourdine 38 En studios : Ouarzazate, cité du cinéma 39 Cinéma marocain : Un cinquantenaire plein d’avenir 40 Youssef Aït Hamou : À la poursuite du cinématographe 40 École des Arts visuels : Pour un regard neuf 3 80 Anciens combattants : Une mémoire apaisée, mais productive 81 Anciens combattants : Fier d’avoir combattu pour la France 81 Expatriés : La Bretagne en plein Guéliz 82 Collaboration : Programme de communion mutuelle 83 Nouvelle vie : « Les Marocains m’attendaient au tournant » 83 Nouvelle vie : Coup de foudre à Marrakech 84 Tradition : L’hospitalité made in Maroc Sur www.typomag.net : 55 autres articles à lire... 4 Repères marocains Histoire du 20ème siècle Royaume du Maroc Devise nationale : « Allah, Al Watan, Al Malik », soit « Dieu, la Patrie, le Roi » Hymne national : L’hymne chérifien. Initialement simple air composé par le français Léo Morgan, on lui donna des paroles qu’en 1970, à l’occasion de la coupe du monde de football. Fête nationale : 30 juillet (Fête du trône). Elle coïncide avec l’intronisation officielle du roi Mohammed VI. Drapeau : fond rouge, avec, au centre, une étoile de Salomon verte. Il date de 1912. Capitale : Rabat (1 610 000 habitants) Villes principales : Casablanca (3 000 000 hab. intramuros), Marrakech (1 030 000), Fès (1 008 000), Tanger (670 000). Découpage administratif : 15 régions p Manifestation de cadres au chômage à Rabat Régime : Monarchie constitutionnelle (depuis décembre 1962) Roi : Mohammed VI (depuis le 30 juillet 1999) Premier ministre : Abbas El Fassi (depuis le 19 septembre 2007) Parti politique au pouvoir : Parti de l’Istiqlal Superficie : 446 500 km² (710 000 avec le Sahara occidental). Point culminant : Jbel Toubkal (4 167 mètres) Plus grand fleuve : L’oued Drâa (1 100 kilomètres) Population : 34 343 219 (estimation juillet 2008). La croissance démographique est estimée à + 1,57 %. Densité : 48,3 habitants/km² 1912 : Le 30 mars, le Traité de Fès inaugure l’ère du protectorat français et espagnol. Le nord, excepté Tanger qui devient zone internationale, et le Sahara occidental sont placés sous la tutelle ibère, tandis que la France hérite du reste du pays. 1912 - 1925 : Le maréchal Hubert Lyautey, le résident général, tente d’insuffler l’air de la modernité au Maroc, tout en respectant les valeurs ancestrales et la religion. Il dira même que « la France se doit être une grande puissance musulmane ». Le développement éclair de villes comme Casablanca, l’affirmation de Rabat comme capitale et la naissance d’infrastructures routières sont autant de choix politiques œuvrés vers le progrès, orchestrés par le maréchal lorrain, qui démissionnera en 1925. 1947 : La promulgation d’un dahir (loi) offrant aux Berbères un statut juridique particulier en détriment du droit coranique et l’affaiblissement de l’aura française suite à la guerre mondiale vont entraîner le sultan Mohammed Ben Youssef à une grève du sceau - il refuse de signer les dahirs - très populaire. Le patriotisme commence à se répandre. Espérance de vie moyenne : 71,2 ans (en 2007) Âge moyen de la population : 24,7 ans (2008) Langues : La langue officielle, et parlée de tous les jours est l’Arabe. L’Amazigh (ou Berbère) est compris par 40 % de la population totale, principalement dans l’Atlas, le Rif et le Sud. Quant au Français, il est compris principalement dans les villes et dans les milieux instruits. Religions : Islam sunnite (98,7 %), Christianisme (1,1 %), Judaïsme (0,2 %) Monnaie : Le dirham marocain (MAD), qui a remplacé le Franc marocain en 1956. Il est divisé en 100 centimes. Taux de change au 1er août 2008 : 1 € = 11,4799 MAD PIB : 53,6 milliards d’euros. Le PIB/habitant se situe lui à 1 725 €. Ressources principales : Agriculture, tourisme, phosphate (3e producteur mondial), textiles, construction. Population vivant sous le seuil de pauvreté : 15 % Taux de chômage : 10,2 % Taux d’alphabétisation : 52 % Alexis Hontang * Sources : CIA The World Factbook, ministère des Affaires étrangères, Wikipédia 1953 : Le sultan est exilé à Madagascar. Le peuple marocain se serre les coudes contre les colonisateurs : les produits français sont boycottés, les institutions étatiques sont la cible d’attentats réguliers. Cela sent la fin du protectorat, surtout que la déconfiture en Indochine et les troubles en Algérie ne prêtent guère la France à employer la force. 1956 : La France jette l’éponge : le sultan fait un retour triomphal et va déclarer, le 2 mars, l’indépendance du Maroc. Il devient roi sous le nom de Mohammed V. Cependant, les enclaves de Ceuta et Melilla, ainsi que le Sahara occidental reste espagnols. 1961 : Une banale opération chirurgicale tourne au L drame : Mohammed V décède, à l’âge de 52 ans. Son fils, Hassan II, lui succède. Dès le début de son règne, le jeune souverain (32 ans) fait adopter une constitution, mal acceptée du monde politique, où le roi devient une personne « inviolable et sacrée ». Le début des « Années de plomb ». Cette période trouble se caractérisera par une forte répression des opposants politiques... 1975 : En novembre, Hassan II lance la Marche verte, attaque pacifique visant à mettre le Sahara occidental sous le giron marocain. Les armées espagnoles se retirent et les accords de Madrid lèguent cette immense région au Royaume. En février de l’année suivante, la République arabe sahraouie démocratique est proclamée par le Front Polisario, un parti indépendantiste. De grosses tensions naissent. Aujourd’hui encore, ce conflit perdure. 1999 : Le 23 juillet, à 70 ans, après 38 ans de règne, Hassan II s’éteint. Son fils, Mohammed, hérite du trône. Un virage vers plus de libertés et de modernité est alors amorcé : très populaire, Mohammed VI débute son règne par la libération de 46 000 prisonniers, pour la plupart politiques. Le retour d’exil d’Abraham Serfaty, torturé pour ses actions contre l’absolutisme sous Hassan II, est aussi un autre grand symbole de ce changement d’ère. 2003 : Huit jours après la naissance de Moulay El Hassan, l’héritier au trône, les attentats de Casablanca, prémédités par un groupe terroriste islamiste, font plus de quarante-cinq morts. Alexis Hontang Une histoire plus complète sur notre site typomag Des partis politiques secondaires e roi est la politique. Au Maroc, le rôle des partis politiques est secondaire. Le pays est doté d’un parlement élu, et selon la majorité qui y siège, le roi nomme son premier ministre. Deux courants majeurs dominent depuis l’indépendance de 1956. Tout d’abord le parti de l’Istiqlal (en français l’indépendance), fondé durant la lutte pour l’indépendance du Maroc vis-à-vis de la France, et de l’ Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), le parti d’opposition par excellence durant le règne de Hassan II. Mais dans cet équilibre bipolaire, une troisième formation politique, le Parti de la Justice et du Développement (PJD) prend de l’importance. Mouvement à idéologie islamique, le PJD devient une force majeure du pays en gagnant de plus en plus de suffrages à chaque élection. Pour preuve, aux élections législatives de septembre 2007, il a obtenu 13,57 % des suffrages, c’est-à-dire le deuxième plus gros score après le parti Istiqlal. Cette montée du PJD inquiète ses opposants, craignant, à tort ou à raison, que le Maroc ne devienne un pays islamique. Alexandre Mathis Frappez et puis entrez - Vous êtes accueillis... - porte de Meknès u 5 6 Itinéraire marocain À vos marques… Marrakech prêt… partez pour un tour Bienvenue chez les du Maroc ! Des portes millénaires de Meknès aux maisons de bric et de broc de l’Atlas, du folklore de la place Jemaâ-al-Fna au modernisme de Casablanca, le Royaume chérifien est passé sous toutes les coutures. Au risque certains stéréotypes … de casser Marrakchis ! Première ville touristique du pays, Marrakech s’emploie à concilier tradition et modernité. Face au pittoresque de la médina historique, le quartier du Guéliz est un pas de plus vers le XXIe siècle. Une avancée rendue obligatoire par l’énorme contingent de touristes, véritable poumon économique de l’ancienne capitale de l’empire almoravide. J amais le folklore marrakchi, pareil à un spectacle d’un autre temps, n’aura trouvé plus belle scène que la place Jamaâ-El-Fna. Située en plein cœur de la médina, cette place, où l’on exécutait autrefois les criminels, est la fierté de toute une ville, de tout un pays même : devant une foule de touristes et de Marrakchis en quête de chaleur humaine se mélangent joyeusement charmeurs de serpents, conteurs, arracheurs de dents, vendeurs de pacotille ou autres tatoueuses de henné. Et dès que la nuit tombe, les vapeurs de l’huile chaude, combinées à la lueur des ampoules de ces cabanons, offrent un tableau unique, avec le minaret de la Koutoubia en arrière-plan. Si les très nombreux kiosques vendent ces images magiques sur papier glacé, c’est aussi pour rappeler que Marrakech a toujours su garder son âme authentique, digne des contes des 1 001 nuits. Saviez-vous que le Maroc lui-même tire son nom d’une lointaine déformation du mot Marrakech ? Mais, derrière la carte postale, les apparences peuvent parfois prendre une autre forme. Au-delà des murailles ocre de la médina, le Guéliz est le symbole du Marrakech moderne. q En 2001, la place Jamaâ-El-Fna a été classée patrimoine mondial oral par l’UNESCO q Les murailles ocre séparent la Médina du Guéliz Dans ses longues avenues, les sièges de PME, les banques et les boutiques à la mode forment une harmonie voulue par le Protectorat du maréchal Lyautey. À l’angle du boulevard Mohammed VI et de l’avenue Hassan II, la gare est touchée de plein fouet par la vague de modernité insufflée dans le Guéliz : les échafaudages et les pelleteuses donneront naissance à une énorme verrière, d’où arriveront les trains en provenance de Casablanca ou de Fès. Des grues à perte de vue À une poignée de kilomètres de là, l’aéroport de Marrakech-Menara s’est, lui aussi, doté d’un hall flambant neuf. Dans ce cadre ultramoderne, la masse agitée de conducteurs, de personnels des hôtels ou des riads, un papier annonçant le nom de l’hôte à la main, donne l’impression surréaliste au touriste désorienté d’être sur les marches du Festival de Cannes. Cette première sensation n’est pas anodine : en effet, Marrakech est la première ville touristique du pays, avec plus d’un million et demi de touristes par an. Cependant, la très haute concentration de grues autour de la ville peut vite semer le trouble : face aux exigences du plan Azur – ce plan prévoit l’accueil de 10 millions de touristes au Maroc pour 2010 -, les hôtels poussent comme des champignons. Si ce phénomène a tendance à défigurer l’âme de la cité marrakchi, la Koutoubia et ses 77 mètres de hauteur garderont toujours un œil bienveillant sur la ville. Et tant que battra le cœur de Jamaâ-ElFna, rien n’altérera la magie de Marrakech... ¿ Alexis Hontang Itinéraire marocain Omar El Jazouli, maire de la cité ocre « Marrakech n’est pas dénaturée » Omar El Jazouli est maire de Marrakech. Une ville qu’il appelle « elle », comme un enfant chérit sa mère, et pour qui il nourrit de grandes ambitions touristiques. Typo : Quels sont vos grands axes de politique, vos grands défis pour Marrakech ? Omar El Jazouli : Marrakech est une ville touristique. L’économie est basée dessus ainsi que sur l’artisanat. Qui dit tourisme, dit environnement. Il faut de la propreté, de l’hygiène pour que les gens qui viennent ne soient pas malades. Nous devons éviter la pollution, car si notre ville est polluée, les touristes ne viendront plus. T. : Il y a justement une augmentation de la pollution… O.E.J. : Oui effectivement ! Nous allons insp Omar El-Jazouli, Marrakchi de toujours, est à la tête de la mairie depuis 1996 taller des machines qui mesurent la pollution. Je peux vous assurer que nous n’avons pas atteint la limite maximale, mais nous le craignons fort avec T. : Dans le Guéliz, les constructions poussent voyageurs qui amènent des clients ici. Ajoutez les le développement des voitures. Nous sommes très comme des champignons. Comment allez-vous festivals du cinéma à cela et Marrakech est vraià cheval là-dessus, pour que les touristes ne parcontrôler cette expansion pour qu’elle ne dement une destination intéressante. tent pas. On plante beaucoup pour transformer le vienne pas anarchique ? gaz carbonique en oxygène. On demande aux bus T. : Vous parlez du festival du cinéma, vous d’utiliser du gasoil propre. On évite que les moO.E.J. : La ville est en pleine expansion, mais voudriez que Marrakech devienne une capitale tos soient à deux temps, c’est-à-dire à l’essence Marrakech n’est pas dénaturée. Nous arrivons culturelle ? mélangée avec de l’huile, car c’est très polluant. toujours à contrôler toutes les Les motos sont un moyen de O.E.J. : J’aimerais bien. J’ai veillé à installer des constructions. Il y a un plan d’améMarrakech a transport très utilisé, alors infrastructures, maintenant on s’occupe de donner nagement. Les chartes communales nous essayons de transforune dimension culturelle. Nous allons créer des marocaines sont des copies conforété autrefois capitale mer ces vélomoteurs essence mes des chartes françaises. musées. Marrakech a été autrefois capitale d’un en vélomoteurs électriques. d’un empire empire qui s’étendait du Sénégal aux portes de T. : Et le fait que beaucoup Madrid et l’Algérie. C’était donc immense. Nous T. : Mais comment ald’étrangers achètent ici, c’est qui s’étendait du lier tourisme et environvoulons faire connaître le rôle qu’elle a joué. bien ? Sénégal aux portes nement ? Les touristes géT. : Quelles mesures pour tous les problèmes O.E.J. : C’est moi qui ai initié nèrent des déchets, ils font de Madrid de handicap ? On voit beaucoup de personnes cette démarche, donc j’en suis fordonc partie de ce processus en fauteuil roulant… cément fier. Ma famille est implanpolluant ! tée depuis cinq siècles à Marrakech. O.E.J. : On a mis des passages pour handicaO.E.J. : Nous sommes équipés, pas de soucis. C’est la ville qui brasse le plus de civilisations. Le pés sur les voies principales. Il n’y a pas que les Le touriste, il arrive avec ses qualités : de l’emploi type arabo-andalou a influencé l’architecture locahandicapés moteurs, il y a aussi les aveugles, les est généré, qui profite à l’activité économique, et le. Les riads ont ce style. C’étaient de grands boursourds… Il y a un budget pour que, d’ici un ou aide à la prospérité de la ville. Mais il arrive aussi geois qui avaient ces maisons, mais après, faute avec ses défauts. Il a envie de s’amuser, cela aboudeux ans, des aides soient débloquées pour eux. d’héritiers, elles sont tombées en ruine. tit parfois à certaines choses répréhensibles… Des cinémas accessibles par exemple. Je vais exiJ’ai permis à des étrangers de les racheter et de ger des couloirs pour qu’ils circulent. T : Quelles choses répréhensibles ? les transformer en maisons d’hôtes. Je suis très T. : Votre plus grande fierté en tant que maicontent que ça marche bien. Ça a sauvé l’archiO.E.J. : Un touriste dans un riad, sur la terrasse, re ? tecture ! La plupart des acheteurs sont des Franil bronze tout nu, ça ne choque pas l’Européen, çais plus quelques Anglais. Ils ont fait appel à des mais ça choque le Marocain. Au Maroc, les terO.E.J. : Je suis fier d’être aux commandes de artisans d’ici. Chacun déploie son savoir-faire et rasses sont un lieu de communication pour les la ville que j’aime et de pouvoir faire ce que je fait appel aux jeunes. Puis l’entrepreneur meuble femmes. Si quelqu’un bronze tout nu, ça gêne. Les souhaite pour elle. ¿ le lieu à l’ancienne. Et, quand il a fini, il embautouristes sont dans un pays qui a des mœurs difféche 4, 5, 6 personnes. Il y a environ 1 000 commis rentes, il faut les respecter. Alexandre Mathis 7 Itinéraire marocain 8 Atlas Sourires de femmes... Dans les villages berbères de l’Atlas, les femmes ont toujours été les garantes de leur foyer et des traditions qui rythment le Maroc. Aujourd’hui, avec de maigres ressources et installées à des lieux de la première ville, elles doivent mêler la vie familiale à la vie champêtre pour apporter à leur famille ce dont elle a besoin. Je voulais rester, mais je n’ai pas pu, car la vie est trop chère », livret-elle. « De toute façon, je n’ai pas le choix. » Néanmoins, Abiba ne se plaint pas de sa condition et son seul rêve est d’exaucer la volonté d’Allah. Et une autre femme de raconter comment une petite fille est morte après s’être fait piquer par un scorpion. « L’hôpital est trop loin », lâche-t-elle seulement. Le plus proche est à Demnate à 1 h 30 du village. Les transports se font uniquement le matin et difficilement. Compagnons masculins Dans le village, les hommes et les femmes ne se Le rêve d’Hada, 42 ans, est tout mélangent pas. Certains hommes refusent même autre : « apprendre à lire et à écrique leur femme aille chercher de l’eau de peur re ». Mais, avec onze enfants et les qu’elle soit vue par d’autres hommes. Hada, tout en travaux domestiques, elle ne pourra p « Parfois, avec les hommes, cela se passe bien, d’autres fois mal.» restant quelque peu évasive sur le sujet devant ses sans doute jamais, « faute de temps », compagnons masculins, dit des relations entre les confie-t-elle, un sourire malgré tout encore accroe village d’Ait Bllal, perché sur l’un des femmes et les hommes qu’elles ne sont pas mauché aux lèvres. sommets du Moyen Atlas, situé à 1 h 30 de vaises. Elle raconte Demnate est surtout connu pour son école dans un grand éclat « Il vivra si coranique. Mais, même si on ne l’évoque pas, le de rire : « Parfois rôle tenu par les femmes est tout aussi important. Dieu le veut » cela se passe bien, Ce sont elles qui donnent vie à leur village, qui Les souhaits, les rêves d’autres fois mal. entretiennent leur foyer avec des revenus variant sont nombreux à être rede 10 à 100 dirhams (1 à 10 euros) par jour et par Quand la femme mis entre les mains d’Alfamille. fait mal son travail, lah. « Ici, les médicaments son mari la punit et « Pendant la journée, je vais chercher du bois, sont rares, explique une lorsque c’est l’homje cuisine, je fais la lessive, m’occupe des travaux vieille femme. Nos princime qui ne travaille des champs et j’élève mes enfants », explique une pas bien, sa femme paux remèdes sont le miel femme, à demi cachée derrière la porte de sa maile punit pareilleet le beurre rance qui ont son. Ce ne sont peut-être pas elles qui ramènent ment… » la totalité du salaire familial, mais tout ce qu’elles de nombreuses vertus méfont est pour l’intérêt de leur foyer. Même leur unidicales. Après, nous nous Malgré cette vie que distraction, le tissage des tapis et des djellabas, en remettons à la volonté difficile, pleine de sert à leurs familles. « Les pièces que je confecd’Allah... » De plus, les labeur, ce qui rastionne seront vendues sur les souks si nous avons semble ces femmes femmes ne croient pas besoin d’argent », confie ainsi Abiba, 32 ans, trois c’est cette capacité à totalement en la médecine enfants. ne jamais s’apitoyer et certains médicaments sur leur sort et à rane sont pas utilisés. On «Je n’ai pas le choix» conter simplement compte beaucoup sur la leur quotidien, touMariée à un ouvrier depuis qu’elle a 15 ans, elle chance. Ainsi, une jeune jours le sourire aux passe son temps à s’occuper de sa famille ou à tramère de 19 ans explique : lèvres. ¿ vailler sur les souks. « Je ne suis partie qu’une « Mon nourrisson tousse, seule fois de mon village, pour rendre visite à ma il a 15 jours. Si Dieu le p « Pendant la journée, je vais chercher du bois, veut, il vivra. » sœur à Casablanca. La vie est très belle là-bas. Camille Gros je cuisine, je fais la lessive, m’occupe des travaux agricoles et j’élève mes enfants. » L Itinéraire marocain Maroc des champs Claire comme de l’eau d’Ouzoud À la surface des rochers, coule une eau claire et fraîche. Bienvenue à Ouzoud, à 2 heures de Demnate, par la route. Ici se niche une superbe cascade, dissimulée aux confins du Moyen-Atlas comme un trésor que garde jalousement le Maroc. La vue donne le vertige d’en haut, émerveille une fois en bas. Des trombes d’eau s’abattent sur la roche et le touriste se retrouve spectateur de cette immensité. Pour atteindre le bas de la cascade, des centaines de marches d’escalier sont à dévaler. La descente est longue ; restaurants et boutiques se multiplient le long du trajet. « Vous voulez des souvenirs, les gazelles, demandent les marchands postés, profitant des touristes qui passent. Une petite pause, allez, c’est fatigant le trajet. » Peu de touristes semblent s’y arrêter. La plupart préfèrent explorer les lieux, traverser la rivière avec l’aide d’un passeur. Pour quelques dirhams, ces bonshommes enjoués vous font faire un petit tour de barque, histoire d’admirer de près la chute d’eau et de la mitrailler de photos. Un décor, mais aussi de la vie « Vous n’avez pas vu des singes magots par hasard ? demande un jeune couple d’Italiens. Parce qu’on nous a dit qu’il y en avait, mais ils se cachent, je pense. » Effectivement, ces petites bestioles malicieuses ne jaillissent des fourrés que lorsqu’un visiteur bienveillant sort les cacahuètes. Bien que ce soit mauvais pour leur santé, comme l’explique une pancarte d’avertissement, les magots en raffolent. Ils se jettent sur la nourriture, et se battent parfois entre eux. Ce spectacle a le don q Des centaines de marches sont à dévaler pour atteindre le haut de la cascade d’Ouzoud d’amuser grandement leurs cousins humanoïdes qui pouffent de rire devant leurs pitreries. Mais les lieux révèlent d’autres trésors. Au hasard d’une table, une vieille Berbère de 72 ans discute avec les gens. Elle s’appelle Fatma et a à peu près autant de rides que de tatouages traditionnels. « Je vis depuis toujours dans l’Atlas profond, mais je viens parfois jusqu’aux cascades pour récupérer de l’argent », raconte-t-elle. Très en forme pour son âge, elle cause en fumant du haschisch. « Avec l’argent que je récupère, j’achète du hachisch », précise-t-elle alors. Voilà tout le contraste de ce lieu de rêve : une expédition touristique dans un lieu où la tradition se mêle au présent. ¿ Alexandre Mathis 9 10 Itinéraire marocain Maroc des villes Rabat, entre province et capitale Métropole d’un peu moins de 2 millions d’habitants, Rabat aime cultiver les paradoxes. C alme et excitée, somnolente et pourtant en perpétuel mouvement : Rabat est tout cela à la fois. Quand on se promène dans la kasbah des oudaïas (tribu venue du Sahara, qui s’installa dans la kasbah, alors à l’abandon, en 1844), enclave fortifiée du XIIe siècle, le temps semble être comme arrêté : le blanc et le bleu des ruelles transportent le passant dans une autre époque. Pourtant, à quelques hectomètres de là, la vie bat son plein : à l’embouchure de l’oued Bou Regreg, frontière naturelle des deux ennemis Rabat et Salé, les 2x2 voies grouillent de voitures, les premières marchandises attendent sur le quai d’un port en plein essor, les pelleteuses font un vacarme assourdissant dans le but de doter Rabat d’un tramway, disponible en 2010. Seuls les petits taxis conservent le souvenir du bleu des murs de la kasbah. Cocktail détonnant Dans l’ombre de sa sœur Casablanca, à seulement une heure de train, Rabat est le centre politique du royaume chérifien. Le Parlement, sur l’artère principale, l’avenue Mohammed V, est le théâtre quotidien de manifestations en tous genres. Les ministères, éparpillés aux quatre coins du même quartier façon puzzle, ont été délaissés par les manifestants, faute de résultats. Loin de là, sur l’interminable avenue du Mechouar, le palais royal semble intouchable : déserté par les touristes, les Rabatis mais aussi par le roi, préférant sa résidence privée aux abords de la capitale, le Dâr-al-Makhzen n’est plus peuplé que par une armée de policiers. Enfin, au-delà des forteresses, l’ambassade de France est surveillée tel un chef d’État, dans un quartier, l’Agdal, des plus tranquilles… Rabat est un cocktail détonnant, entre capitale et province : des mondes diamétralement opposés peuvent s’y côtoyer à chaque coin de rue. Une balade à Rabat, c’est un tour du Maroc en quelques kilomètres à peine. ¿ Alexis Hontang p L’avenue Mohammed V, les « Champs-Elysées » de Rabat Souriez, vous êtes pris à Rabat Se faire prendre en photo devant l’une des fon- mais de l’instantané. Avec l’ère du numérique, tout taines de l’avenue Mohammed V, c’est juste- le monde a un appareil numérique, un portable ou ment l’un des clichés phare de Rabat. Ahmed est même rien qu’un jetable. » Ahmed avoue avoir dél’un des nombreux photographes professionnels sormais moins de travail : les personnes désirant se qui flânent autour de ces lieux, faire prendre en photo sont plus q Un photographe de Rabat en attente d’un nouveau client. rares qu’à la « bonne époque ». S es appareils polaroïd et numérique au cou, Ahmed Amzaoui a le regard qui se perd. Devant lui, une meute de pigeons affamés est à la recherche de la moindre miette perdue par la foule de passants de l’avenue Mohammed V, l’artère principale de la capitale, joignant la médina historique au centre moderne. Qu’il est loin le temps où il était demandé à chaque mariage, fête ou réunion ! « Il n’existait alors que peu d’appareils. On gagnait bien notre vie, se remémore Ahmed. À l’époque, il n’y avait qu’un laboratoire photo au Maroc, à Tétouan. Les gens devaient attendre une semaine, dix jours, pour le développement. Puis les laboratoires se sont multipliés et le temps d’attente a rétréci. » La modernisation est passée par là : « Les personnes veulent désor- D’autres photographes de l’avenue, des sexagénaires pour la plupart, sont dans une situation similaire. Faute de moyens, ils restent néanmoins postés là, tentant de grappiller quelques dirhams pour vivre. Cette baisse d’activité, Ahmed fait avec : « Je photographie des gens de passage pour un souvenir, mais aussi, et beaucoup, de personnes de Rabat avec leur mère, petite amie, membres de la famille… Je touche à beaucoup de catégories. » Le capteur d’images, qui n’hésite pas non plus à flâner autour du mausolée Hassan II à la recherche d’un nouveau client, facture ses photographies 10 dirhams. Une bonne façon d’immortaliser son passage à Rabat. ¿ Alexis Hontang Itinéraire marocain 11 La fine fleur de Rabat Mohammed est fleuriste dans une rue de Rabat uniquement occupée par des… fleuristes. Aux Marocains friands de fleurs, Mohammed conseille la rose de Marrakech. I l est une rue dans Rabat où les fleurs dominent l’asphalte, où les émanations de bouquets multicolores parviennent à supplanter les odeurs discrètes de la pollution. Niché à l’entrée du parc dit du « Triangle de vue », très fréquenté par les Rabatis en quête de tranquillité, devant les murailles multicentenaires de la médina, ce marché aux fleurs permanent est un point incontournable pour les couples flâneurs en quête de romantisme… Ce cadre peut sembler sorti tout droit d’une aquarelle : à l’entrée de chaque kiosque – il y en a une bonne quinzaine -, les couleurs de chaque bouquet se mêlent, s’unissent dans une charmante palette. Mohammed, 50 ans, est l’un de ces commerçants qui ont pignon sur rue, avec sa boutique, « les Fleurs de Marrakech ». Sa spécialité, ce sont les roses. De Marrakech ou d’Agadir. « Les roses de Marrakech sont plus consistantes en leur base. C’est cela la grande différence », explique le fleuriste, aux cheveux grisonnants, démonstration à l’appui. « J’achète les roses à un producteur marrakchi. Un bon nombre de ces roses sont aussi exportées en Italie ou même en France. » Mais est-ce que cela marche dans le Royaume chérifien ? « Les Marocains aiment beau- coup les roses : pour les mariages, fêtes de famille, ou en cadeau. J’en vends pas mal. » À des prix très variables selon la saison : des 5 dirhams de cet après-midi d’avril aux 20 dirhams des soirées amoureuses de la Saint-Valentin… ¿ Alexis Hontang Les fous du volant P Les apparences peuvent être parfois trompeuses : si la circulation au Maroc s’apparente à un souk, on y trouve de nombreuses règles que le Code de la route ne dit pas forcément… our le touriste français fraîchement débarqué à Marrakech, rien qu’une vue sur la circulation d’un rond-point au loin lui fait resserrer un peu plus sa ceinture de sécurité (sauf qu’au Maroc, on ne l’utilise pas toujours) : macédoine de toutes sortes de véhicules - du 4x4 à la charrette tirée par un âne essoufflé -, symphonie de klaxons, feux tricolores et priorités non respectées, des voitures dans tous les sens, quelques piétons égarés en plein milieu de la route… « Et pourtant, il y a peu d’accidents sur nos routes, assure Othmane Bellout, un jeune Marrakchi, habitué des routes du royaume. La seule grande période d’accidents, c’est en juillet-août. Et encore, ce sont souvent des Marocains venus de France… » Beaucoup d’infractions, peu d’amendes Le sens bien marocain de relativiser… Les routes marocaines font des milliers de victimes chaque année : 3 622 en 2006, soit une hausse de 5 % par rapport à 2005. Ces chiffres du ministère de l’Équipement et du Transport font aussi état d’une hausse 8 % des blessés légers et de 3 % des blessés graves. La situation risque donc d’empirer encore plus dans un pays où l’on recense plus de 50 000 accidents par an (en 2006, on a compté un peu plus de 80 000 accidents en France). À y voir de plus près, la circulation au royaume n’est pourtant pas qu’un joyeux souk. « Il y a une grande règle à respecter : les rapports de force. Si un piéton veut traverser, il doit faire peur à l’automobiliste et réciproquement », poursuit Othmane, 25 ans, qui a obtenu son permis, comme bon nombre de Marocains, « en deux semaines ». « D’abord, nous payons une somme à l’auto-école puis nous passons deux tests : un oral et un autre sur la route. C’est très facile », affirme le jeune homme. Une sensation renforcée par le fait qu’une grande majorité d’entre eux avaient déjà une expérience au volant auparavant… Outre la règle d’or des rapports de force, il règne aussi du respect sur la route : « On ne voit jamais quelqu’un sortir de sa voiture pour aller se frotter à un autre automobiliste. Les gens sont plutôt tranquilles au volant. » Pour les klaxons, « ce n’est pas par agressivité, c’est pour prévenir. De plus, on se klaxonne mutuellement ». Mais, lorsqu’il s’agit d’éviter au dernier moment un cyclomotoriste lent q Une façade d’auto-école, à Azrou ou un piéton perdu, il faut toujours faire appel « aux bons vieux réflexes marocains ». Attention, tout de même ! Même s’il adore rouler sur les interminables lignes droites dont les côtes recèlent, le Marocain sait que la gendarmerie veille au grain. « On retrouve beaucoup de radars mobiles. Quant aux fixes, il n’y en a que dans la région de Casablanca – Rabat, où de la prévention se met aussi en place. » Malgré cela, les amendes infligées aux sujets de Mohammed VI restent rares : le bakchich passe souvent par là… ¿ Alexis Hontang 12 Itinéraire marocain Architecture Casa : SOS patrimoine en danger Casablanca est une mine d’or qui s’ignore : les témoignages architecturaux du XXe siècle y pullulent. Un patrimoine exceptionnel qu’essaie de préserver l’association Casamémoire, face à l’inévitable spéculation foncière casablancaise. A lors qu’ils faisaient détruire une de ces villas lambda si fréquentes à Casablanca, les promoteurs ont vu défiler, devant leurs pelleteuses, une dizaine de manifestants soucieux de préserver cet habitat si précieux à leurs yeux. « C’était une villa datant du XXe siècle, d’un fameux architecte français, Marius Boyer », indique Laure Augereau, architecte nantaise de 33 ans. « L’opération n’a pas marché… Mais Casamémoire a pu naître ensuite, en 1994. » Cette association a pour but de conserver l’âme historique casablancaise, en listant les immeubles historiques et en tentant de les inscrire au patrimoine marocain des monuments. Parce que Casablanca est en proie à de perpétuelles spéculations foncières, ces témoignages du XXe siècle uniques en leurs genres sont menacés. « On veut détruire ce patrimoine qui a pourtant façonné cette ville », interpelle Luc Brochard, 33 q L’architecte française Laure Augereau p L’ancien comptoir des fers, érigé en 1929, est l’un des nombreux exemples de cette étonnante architecture ans, lui aussi architecte. Mais, face à ces nobles intentions, s’est dressé un mur de mécontents : « C’est avant tout un héritage étranger ! Jamais le roi n’ira le défendre ! Quant au maire, il est entre deux eaux. Les énormes enjeux immobiliers qui sont derrière pèsent lourd », dit le professionnel. « Un musée à ciel ouvert ! » L’action de Casamémoire peut paraître insensée pour le touriste ignorant. Une balade dans le centre de la première ville du Maroc n’est pas un émerveillement pour les yeux : les tour-opérateurs rechignent même à envoyer leurs clients en quête de souks colorés et de ruelles étroites dans l’immense capitale économique du Maroc. « C’est très différent du reste du Maroc, admet Luc Brochard. Mais si l’on a un œil averti, Casablanca est un musée à ciel ouvert ! » Petite leçon d’histoire : « En 1900, Casa, ce n’était que la médina. Il y avait alors 20 000 habitants, explique Laure Augereau, le doigt sur une carte écornée. À son arrivée au Maroc, le maréchal Lyautey voulait que Casa devienne la capitale économique du pays, car l’océan Atlantique n’était pas aussi houleux que dans le reste du Maroc, ce qui favorisait le commerce maritime. Il a donc dû doter la ville de nouveaux bâtiments. Pour les architectes, c’était un réel bonheur, car le terrain était vierge et les contraintes moindres ! » La métropole fut donc le théâtre d’inspirations avantgardistes d’architectes européens. « Il y avait des projets de parkings souterrains, d’ascenseurs, de boîtes aux lettres ! », raconte Laure Augereau. Pour le colonisateur français, Casa était aussi un gigantesque champ d’expérimentation : « Le permis de construire a été testé à Casablanca en 1915. En France, la loi ne l’a rendu obligatoire que quatre ans plus tard. » Le permis de construire avant la France Un patrimoine abondant, mais pourtant quasi invisible : repérer du premier coup d’œil des chefsd’œuvre de Marius Boyer ou d’Auguste Perret n’est pas accessible à M. Tout le Monde, tant ces bâtiments se fondent dans le décor. Alors parfois, entre promoteurs aveugles et défenseurs acharnés, la situation peut s’envenimer. Un exemple parmi tant d’autres : l’hôtel Lincoln, racheté par des spéculateurs, mais protégé, tombe aujourd’hui en ruines, laissé à l’abandon. Les investisseurs pourraient même demander à la mairie un permis de détruire, l’hôtel étant devenu insalubre. La guerre ne fait que commencer… ¿ Alexis Hontang Itinéraire marocain Capitale Découverte Casa, l’incontournable Meknès, aux belles portes Casablanca est le cœur du Maroc économique et culturel. Impossible de l’éviter ! Q u’il est loin le temps où Anfa était reconnue par le blanc vif d’une des rares maisons bordant les quais, une teinte qui marquera les marins portugais puisque ces derniers surnommèrent Anfa, « Casablanca ». Aujourd’hui, dès que l’on pose le pied dans cette métropole de plus de 4 millions d’habitants, on se sent envahi par mille démons inconnus. 13 Meknès fait partie des quatre villes impériales du royaume marocain. Située à tout juste 60 km de Fès, cette capitale aux nombreuses portes est une merveille architecturale. Les avenues larges et très denses en circulation rappellent volontiers une capitale européenne, le quartier Maârif avec les modernes Twin Centers (deux tours jumelles culminant à 115 m) et ses « jeunes cadres dynamiques » donnent des impressions de City à Londres, les grandes enseignes chics y ont pris leur quartier comme à Milan ou Paris… Comme le confie un couple d’architectes français : « à Casa, on a tout sur place. On peut tout négocier sans avoir à trop bouger. En plus, le business se fait en français ». Voici Casablanca l’européenne, celle que les Marocains préfèrent appeler « Casa », délaissant son nom arabe de « Dar-el-Beida ». Mais à Casa, troisième bourse d’Afrique, la médaille a son revers : les attentats du 16 mai 2003, faisant 45 morts et plus d’une centaine de victimes, ont montré la face cachée de la ville. Ses nombreux bidonvilles sont des poudrières invisibles, cachés par d’épais murs. C’est d’ici que les terroristes présumés proviennent, amadoués par des groupes profitant de la grande misère ambiante. Casablanca, exemple phare d’une métropole du Tiers-Monde, entre profusion et pénurie. Hassan II l’a bien compris, à Casa, on voit tout en grand. Sa mosquée, bâtie sur les cendres d’une piscine de 500 mètres de long et 50 de large (!), est la troisième plus grande au monde. Elle peut accueillir plus de 25 000 fidèles. Devant la mosquée s’étend la corniche, lieu très fréquenté des jeunes Casablancais en quête de romantisme face aux vagues incessantes de l’Atlantique. Et, en arrière-plan, une forêt d’immeubles blancs redonne à Casablanca des faux airs d’Anfa… ¿ p Près du palais royal de Meknès A ncienne capitale du Maroc sous le règne de Moulay Ismaïl, Meknès est aujourd’hui l’une des quatre villes impériales du Maroc. Considérée comme la petite sœur de Fès, située à tout juste 60 km au nord, elle a été fondée au cinquième siècle par la tribu Zénète Meknassa, attirée par la fertilité du sol et l’abondance des eaux. Meknès est séparée en trois quartiers. D’un côté se trouve le cœur historique, la médina. De l’autre, côté vallon de l’oued Boufekrane, se trouve la nouvelle ville, le centre économique meknessi. La nouvelle ville offre une vue imparable d’ensemble sur la médina et ses nombreux minarets et remparts. Son surnom de Meknès, capitale aux belles portes, prend tout son sens lorsque l’on se promène de part et d’autre de la vieille ville. Les chefs d’œuvres de l’architecture marocaine semblent en effet pousser à chaque coin et recoin de la cité impériale. Ville de portes, mais aussi de places, Meknès n’a rien à envier à Marrakech et sa célèbre place Jamaâ-El-Fna. La grande place historique el-Hedime, qui sépare la médina de la ville impériale, n’est en effet pas moins attrayante pour les touristes que le cœur de ville marrakchi. Calme la journée, animée le soir, c’est désormais un lieu incontournable lorsque l’on s’aventure au cœur de la ville. Meknès a été classée en décembre 1996 au Patrimoine Universel de l’Humanité par la commission de l’UNESCO. Cela lui a permis de sauvegarder son magnifique patrimoine culturel et architectural, si longtemps délaissé et si prisé des touristes aujourd’hui. ¿ Cécile Pasquet p On compte une vingtaine de portes à Meknès Itinéraire marocain 14 Côte marocaine Road-trip marrakchi Les Marocains aiment partir à la découverte de leur pays. Ceux qui possèdent la voiture et les finances profitent des fins de semaine et des vacances pour parcourir les routes du pays. Les Marrakchis Othmane, Moussaab et Khalil ne font pas exception. Essaouira, citadelle posée sur les rochers S amedi, 16 heures, direction Essaouira, à 176 km à l’ouest de Marrakech. Othmane, 25 ans, Moussaab, 26, et Khalil, 16 ans, aiment s’évader de Marrakech pour jouer les touristes dans leur pays. Sur la route, on croise des ânes et des gendarmes. Le contrôle de routine coûte 200 dirhams au touriste, moins pour les Marocains et rien en échange d’un service. « Le mieux, c’est d’avoir des connaissances », confie Othmane. Essaouira, liberté et tolérance Arrivés juste à temps pour le coucher du soleil, nous nous arrêtons un instant sur les hauteurs d’Essaouira, l’ancienne Mogador, citadelle posée sur les rochers. On aperçoit toujours les batteries de canons qui servaient à protéger le port des pirates. Dans ce qui reste un des plus grands ports de la côte atlantique, les pêcheurs déchargent leurs dernières marchandises. Essaouira, la ville du vent et des mouettes, est dorénavant la cité de la liberté, « Horrya » en arabe. Les stands de grillades de poissons et crustacés sur la ballade du port, les nombreux restaurants dans la Médina, les galops à cheval sur la plage, les concerts de jazz… Cité d’artistes et d’artisans, Essaouira abrite chaque année le festival « Gnaoua et musique du monde ». Descendantes d’anciens esclaves originaires d’Afrique Noire, les confréries gnaouas sont réputées pour leur musique de transe. La cité a eu son époque débridée mais s’est beaucoup assagie. Essaouira n’est plus la ville hippie où l’on venait marcher pieds nus et fumer des joints à longueur de journée. « André Azoulay, natif de la ville et conseiller des rois Hassan II et Mohammed VI, a mis en ordre la ville en tentant d’enrayer le tourisme sexuel qui concernait aussi bien les touristes nationaux qu’internationaux », explique Moussab. Mais Essaouira reste « discrète » pour les Marrakchis qui y échappent au qu’en-dira-t-on : « On vient à Essaouira parce qu’ici personne ne nous connaît. On est plus libre de nos mouvements », renchérit Othmane, un peu mystérieux. Mogador, avec 40 % de Juifs au début du XIXe siècle, a toujours été tolérante. « Les Juifs se promènent avec la kippa sans problème ici », illustre Moussaab. Ainsi, de nombreuses familles juives expatriées du Maroc viennent pour retrouver l’héritage ou les maisons de leurs grands-parents. pratique n’a plus court dans les grandes villes du Maroc », explique Othmane. Arrivés à l’entrée de la médina, nous laissons la voiture sous la surveillance d’un gardien avant de prendre un taxi pour rejoindre l’appartement loué pour passer la nuit. Tout le monde passe à la douche, se fait beau et se parfume pour la virée nocturne. Dans la Médina, le dîner se compose d’une harira, la soupe traditionnelle marocaine, d’un tagine de crevettes, de pain et évidemment de « whisky berbère », le thé à a menthe. Un petit verre dans un des rares bars de la ville, un deuxième à l’appartement et la soirée se termine tranquillement. Khalil, apprécie particulièrement la prochaine destination. En été, Oualida avec son joli petit port se transforme en station balnéaire pour les Marocains. Des petits bateaux de pêche peuvent être loués pour traverser la lagune et ses parcs à huîtres. Sur un des côtés du lac, un garde veille sur une des résidences royales. « Le roi aime se rendre dans cette région, car c’est un site privilégié pour les adeptes du jet-ski », explique Othmane. Après une baignade un peu fraîche et un bain de soleil, nous voici à nouveau sur la route. Safi, envoûtements et sardines El Jadida, la portugaise Le dimanche matin, nous prenons la route pour la deuxième étape : Safi. La cité est réputée pour la finesse de ses poteries. Un important complexe industriel de transformation de phosphate, précieuse marchandise dont les trois quarts des réserves mondiales sont au Maroc, est situé à l’entrée de la ville. « Dans cette région, il y a des endroits où il n’y a qu’à se baisser. À cause des quantités produites, on a dédié une ligne de chemin de fer à leur transport. Les ingénieurs d’ici sont les mieux payés du Maroc », assure Moussaab. Avant le retour à Marrakech, l’itinéraire prévoit une pause à El Jadida, la ville portugaise. El Jadida (la nouvelle) est située à 100 km de Casa : « C’est la résidence de ceux qui travaillent à Casablanca mais préfèrent vivre au calme à une petite heure par l’autoroute », explique Moussaab. Les maisons cossues avec jardin défilent le long de la route. Après la visite de la citerne portugaise, une grande salle voûtée et souterraine datant de 1514, et une dernière collation, fin de l’escapade. Nous quittons la ville fortifiée pour retrouver aux alentours de 21 heures la place Jamaâ-El-Fna et la foule mêlant les touristes aux Marrakchis. ¿ La ville est également connue pour les sorcières qui envoûteraient les hommes avec des potions. Cette croyance est bien ancrée, à tel point que feu le roi Hassan II n’a jamais souhaité prendre le risque de se rendre dans la ville. Moussaab et Othmane commentent : « Dans cette ville, il faut se méfier des femmes. Quand les histoires d’amour finissent mal, elles ont recourt à des potions pour se venger. » Mais, l’odeur des sardines, « les meilleures du monde » selon Moussaab, rappelle qu’il est l’heure de déjeuner. Dans le restaurant de poisson, chacun pioche dans d’immenses plats, du poisson grillé tout juste débarqué d’un des plus vieux ports du Maroc. Nous voilà déjà repartis. Des hommes traversent la route en se donnant la main : « Il s’agit de cousins ou alors d’amis de longue date. Cette Oualida, lagune et baignade Eddy Spann Sans oublier sur le Web www.typomag.net ¿ Portraits de cités u Azrou, générosité dans l'Atlas (E.M.) ¿ Reportages photos u Marrakech u Rabat u Casablanca u Casamémoire u Meknès L’homme de la Kasbah - Rabat u 15 16 Les défis du royaume L’islam reste le pilier d’une société dont les repères évoluent. Le Maroc change, mais au rythme consenti par l’omniprésent souverain qui est à la fois chef temporel et spirituel. Tout le monde s’accorde à dire que les Droits de l’Homme ont progressé dans le Royaume, sans pour autant atteindre encore un niveau de référence. Pour affronter son destin, le Maroc peut s’appuyer sur une société civile très dynamique. De nombreuses associations suppléent en effet aux besoins dans le secteur de la santé, de l’éducation ou encore de l’émigration. Sans oublier sur le Web www.typomag.net ¿ Solidarité u Un tuteur pour le Tensift (S.B.) u L’Entraide porte bien son nom (A.H.) u Avec Skara, Mohamed Mohache fait revivre un quartier d’Azrou (S.B.) u Aide-moi à Azrou, je t’aiderai à Poitiers (S.B.) ¿ Homosexualité u La chasse aux « pervertis sexuels » (A.M.) Royauté Touche pas à mon roi ! Mohammed VI, jeune roi au pouvoir depuis 1999, est omniprésent dans la vie marocaine. S’il fait en apparence l’unanimité chez ses sujets, c’est aussi parce que certaines personnes plus contestataires ont été invitées à ranger leur plume. V ous voulez acheter un timbre au Maroc. Sur les nombreux journaux que le kiosque compte, Mohammed VI s’affiche en une, inaugurant un nouveau bâtiment. Derrière le kiosquier, un énorme portrait du jeune monarque marocain est affiché, un sourire aux lèvres et vous fixant attentivement. Pour payer votre timbre, le billet de 20 dirhams que vous présentiez montre le souverain de 44 ans au premier plan, devant son père Hassan II et sa mosquée, à Casablanca. Pour couronner le tout, sur le timbre, une photo de l’héritier de la dynastie alaouite, descendant directement de la fille du prophète Mahomet. Où que vous soyez au Royaume, l’ombre de Mohammed VI vous suivra. Mais que pensent réellement les Marocains de leur « malik » ? « Un roi qui fait bouger notre pays » photo de lui en une. « On le voit tout le temps à la télévision, c’est vrai », acquiesce Abdellatif. « Ses discours, lors des fêtes, sont aussi très suivis », avoue Abdellah. Une presse qui savoure une liberté d’expression retrouvée, après les années de plomb du règne d’Hassan II (1961-1999) : « Parler en mal du roi dans la rue sous Hassan, c’était un suicide », se remémore Sophia. Des journaux détruits Il existe quelques nostalgiques du père de Mohammed VI, qui trouvent aujourd’hui le Maroc trop libéré, sans ordre ni loi, trop occidentalisé. « Avoir des étrangers dans nos rues, c’est bien, mais désormais, il y a beaucoup de trafic de drogues qui n’existait pas avant », regrette Abdellatif. « La vie est aussi plus chère, les prix montent tous les jours… » « C’est un bon roi », reviendra dans toutes les bouches. Pour Abdellatif, 48 ans, À en croire les Mar«c’est un roi qui fait bourakchis, personne ger notre pays et qui fait des n’est meilleur que gestes envers les pauvres. Il le roi. En 2007, va dans les grandes et petipourtant, le jourtes villes, dans la campagne. naliste MoustaIl peut faire le tour du Mapha Hurmatallah roc en une semaine ! » Braa été condamné à him, 64 ans, qui l’a déjà vu 56 jours de prison plusieurs fois à Marrakech pour un article sur pense qu’« il est conscient l’armée, le quotide ses responsabilités et dien le plus lu du profondément démocrate et Royaume, Al-Mashonnête ». Enfin, pour Absae, a été condamdellah, 28 ans, qui n’hésite né à une amende pas à orner sa boutique d’un record de 6 milcadre doré de Sa Majesté : lions de dirhams « C’est un roi citoyen. » À p Le roi Mohamed VI (550 000 euros) pour avoir publié un article Marrakech, on est d’autant sur le sujet tabou de l’homosexualité (« diffamaplus séduit que le roi passe trois ou quatre fois par tion et injures publiques ») et 92 000 numéros des an dans la cité millénaire pour ses loisirs. magazines TelQuel et Nichane ont été saisis puis Aucun Marrakchi ne peut l’éviter. Au pouvoir détruits pour des éditos jugés trop irrespectueux depuis le décès de son père en 1999, Mohammed envers la personne de Mohammed VI.¿ VI, marié, deux enfants, est omniprésent dans les médias. Pas un journal télévisé sans inauguration royale à l’ouverture, pas un quotidien sans une Alexis Hontang Les défis du royaume Quand Mohamed VI passe, la ville se surpasse... 17 Des sacrés pouvoirs ! O fficiellement, le Maroc est une monarchie constitutionnelle. Mais, d’après Driss Ksikes, journaliste à TelQuel, elle serait « constitutionnelle dans les papiers, exécutive dans les actes et souvent absolue dans les esprits ». Comme le roi conserve le contrôle des principales décisions politiques en matière de sécurité, d’affaires islamiques, de défense et de politique extérieure, le gouvernement ne joue souvent que le rôle d’une figuration démocratique pour le régime. Le Roi possède en outre divers moyens d’action sur le Parlement. Il peut ainsi, selon l’article 27 de la constitution, dissoudre l’une ou les deux Chambres. L’article 28 l’autorise également à adresser des messages au Parlement qui ne peuvent faire l’objet d’aucun débat. Impertinents p Coucher de soleil sur la ville d’Azrou, à quelques heures d’une visite du roi Azrou, Ifrane, Meknès, Moyen-Atlas, avril 2008. Dans quelques jours, ces villes seront les hôtes du Roi en visite. À l’intérieur des communes, Mohamed VI, du haut de ses panneaux, guette l’avancée des travaux : on refait les peintures des signalisations au sol, on installe des banderoles de bienvenue et on dresse des drapeaux tous les quinze mètres à l’intérieur de la ville et le long des routes y menant. Azrou, un journaliste local confie : « Il préférable de se rendre au coeur de la ville pour fêter la venue du Roi. » Il ira donc, mais sans grande envie apparente. D’autres voient son arrivée comme quelque chose qui mobilise la population et crée des emplois, même ponctuels. Et si d’ordinaire, le Roi est un sujet presque tabou, lorsqu’il se déplace, c’est tout le pays qui le suit et on ne parle que de ça dans les rues. ¿ Elsa Marchand photo web non sourcée A u Maroc, l’arrivée du Roi dans une ville est haute en couleurs. La préparation inclut la plupart des quartiers de la ville hôte. Cependant, les avis sont partagés concernant tous ces préparatifs. À Meknès, un jeune habitant raconte : « Ils ramassent les sans-abri et balancent de l’insecticide partout : même une mouche n’a pas le droit de voler quand le Roi est là. » Le plus impressionnant reste quand même la veille de son arrivée : les forces de l’ordre de la région sont mobilisées. Les hôtels sont remplis de gendarmes en uniforme, l’armée sécurise les routes sur lesquelles le Roi va passer et semble même surveiller les derniers préparatifs comme la tonte des gazons ou le fonctionnement des fontaines. L’article 23 de la Constitution proclame que « la personne du Roi est inviolable et sacrée ». « Le problème avec cette sacralité, c’est le flou qui accompagne son interprétation », explique Mohamed El Ghazzi, journaliste au quotidien arabophone Alahdat Almaghribia. Sous le règne de feu Hassan II, la sacralité de la personne du Roi était identifiée à la stabilité du Maroc et toute atteinte était punie très sévèrement par de l’emprisonnement. L’idée subsiste que critiquer le roi équivaut à saper son autorité. La constitution n’a pas changé, mais Mohamed VI semble vouloir l’appliquer moins brutalement. On peut lire des articles pour le moins impertinents vis-à-vis du pouvoir, mais, de temps à autre, des médias sont rappelés à l’ordre. Une parole de trop et c’est l’amende, la suspension voire le tribunal. La limite entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas n’est pas claire. Les sacralités sont suspendues, comme l’épée de Damoclès, au-dessus de la tête de chaque journaliste. De temps à autre, le couperet, qui ne concerne pas que les journalistes, tombe. Des militants des droits de l’homme ont par exemple été inculpés d’atteinte aux sacralités à la suite de leur participation aux défilés du 1er mai 2007 et, en juin de la même année, la cour de Béni Mellal a condamné l’opposant Mohamed Bougrine, 72 ans, à un an de prison ferme pour « atteinte aux valeurs sacrées du Royaume ». Comme toujours avec le sacré, la question est bien de savoir jusqu’où on peut aller… ¿ Des voitures de patrouille transportent les troupes de sécurité d’un point à un autre, se fondant dans la masse des habitants, visiblement habitués, voire même indifférents à cette excitation. À p Mohamed VI saluant la foule Eddy Spann Les défis du royaume 18 Un royaume plombé ! Q uelques années après l’arrivée au pouvoir du roi Hassan II en 1962, le Maroc connaît un virage politique. Le souverain fait en effet passer une nouvelle constitution qui lui donne un pouvoir absolu. Ces nouvelles lois sont mal acceptées par l’opposition de gauche. Des contestations éclatent avec notamment la révolte de Casablanca en 1965. Le 29 octobre de cette même année, Mehdi Ben Barka, chef charismatique de la gauche, est enlevé boulevard Saint-Germain à Paris, puis secrètement assassiné. Au nom de l’unification du pays, Hassan II réprime. En 1971, l’armée tente un coup d’État qui fait plus de cent morts au palais royal d’été de Skhirat (20 km de Rabat). Le 16 août 1972, le général Mohamed Oufkir monte une attaque aérienne contre l’avion du souverain alors que celui-ci rentre d’un voyage en France. Oufkir, selon la thèse officielle, se suicide. Hassan II, lui, échappe à l’attentat. Au bout de trois ans, il trouve enfin un terrain d’entente politique avec son opposition et son armée. Néanmoins, toutes les tentatives de dissidence sont durement sanctionnées. Ce règne de fer, qui durera jusqu’au début des années 90, conservera le titre « d’années de plomb ». En 2004, Mohammed VI, au pouvoir depuis la mort de son père en 1999, crée l’Instance Équité et Réconciliation (IER) pour faire la lumière sur les exactions commises depuis l’indépendance et indemniser les victimes. Pendant près d’une année, l’IER examine plus de 16 800 dossiers et entend 200 victimes de la répression des « années de plomb », réalisant du même coup une première dans le monde arabo-musulman : retransmettre en direct à la télévision nationale les témoignages d’anciens torturés. On y apprend les enlèvements, les sévices sexuels, l’atrocité des conditions de détention… Abdallah Agaou est de ces victimes. Il témoignait dans une audition retransmise à la télévision le 22 décembre 2004 : « Nos cellules étaient des tombeaux. Nous étions en permanence dans l’obscurité. Nous n’avions qu’une dalle de ciment en guise de lit, un trou creusé dans le sol pour faire nos besoins, un seau d’eau. » Malgré le travail de mémoire engagé par Mohamed VI, les débats restent aujourd’hui encore vifs sur le nombre exact de victimes du règne d’Hassan II. Et, si les réformes constitutionnelles de 1992 et 1996 ont assoupli le caractère absolutiste du régime, la menace islamiste hypothèque aujourd’hui la libéralisation totale du royaume. ¿ Alexandre Mathis Droits de l’Homme Avec humanité... Khadija Ryadi est présidente de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH) depuis 2007. Depuis Rabat, elle établit un état des lieux des droits humains au Maroc. D epuis cinq ans qu’elle est instituée, la Moudawana, nouveau code la famille, est-elle appliquée et améliore-t-elle vraiment la condition des femmes ? Non, parce que la mentalité des juges n’a pas changé, ils ne dépassent pas ces traditions triviales. C’est surtout dans les régions isolées que la Moudawana est bafouée, car le mariage avec mineure est encouragé par les parents qui considèrent que ce sera une bouche de moins à nourrir. La condition des femmes divorcées est aussi un frein à cette application. En divorçant, les femmes perdent leur couverture sociale et n’ont pour la plupart pas de travail donc plus les moyens de subvenir aux besoins de leurs enfants. Il ne suffit pas d’avoir institué le Code de la famille, car tant que les femmes ne seront pas indépendantes financièrement, el- p Khadija Ryadi les ne pourront pas divorcer. Qu’en est-il de la condition des enfants au Maroc ? Des organes de presse sont condamnés à des amendes exorbitantes pour des faits mineurs. Par exemple, à Ksar El Kebir, la rumeur d’un faux mariage homosexuel a fait scandale et les journaux ayant publié cette rumeur ont été condamnés à verser des sommes injustes. Il y a aussi beaucoup de condamnations pour atteintes aux sacralités, à la personne du roi et à l’armée. La religion interfère donc toujours dans la législation marocaine ? Oui. Nous voudrions pourtant séparer le pouvoir politique du pouvoir religieux, car la religion s’immisce trop dans la justice. L’homosexualité par exemple, bête noire de la religion, devrait être soustraite au pénal parce que c’est une liberté qui relève de la vie privée. C’est un droit de disposer de son corps. « Nous voudrions séparer le pouvoir politique du pouvoir religieux car la religion s’immisce trop dans Un bien triste constat, les mariages avec mineures et le tourisme sexuel, précisément à Marrakech, sont des fléaux. De par leur condition économique, les parents poussent leurs enfants à se prostituer. On travaille alors en collaboration avec des associations de défense des enfants comme « Ne touche pas à mes fils » pour juguler ces atrocités. Il y a aussi l’esclavagisme moderne dans les grandes villes. On a vu des enfants de 7 à 15 ans travaillant de 15 à 16 heures par jour, sans éducation ni couverture sociale ! La pauvreté augmente au Maroc et les premières victimes en sont les femmes. Comment analysez-vous cette pauvreté persistante ? Dans une république, le peuple est souverain et les décisions politiques sont aux mains du peuple alors qu’au Maroc le pouvoir est centralisé dans les mains du roi. Le peuple n’a pas alors les moyens de s’autodéterminer. Pour nous, la mise en place d’une démocratie est un pilier essentiel pour le développement. Le développement des libertés notamment. Depuis la fin des années de plomb, où en est-on en matière de liberté d’expression ? Que pense l’AMDH des mesures prises par les gouvernements sur l’immigration ? Ces mesures sont trop dures. Le Maroc est un point de transit des immigrés subsahariens, algériens et maliens. Dans les villes du Nord qui bordent le littoral méditerranéen, Tanger ou Tétouan, les clandestins vivent dans des conditions critiques. C’est le même constat sur le sol espagnol. Les autorités font des rafles arbitraires en ramenant les immigrés, par exemple, à la frontière algérienne dans des conditions là aussi très critiques. On demande aux autorités européennes de respecter la Convention sur le droit des immigrants. Comment sensibiliser la jeunesse à ses droits ? Nous expliquons leurs droits aux jeunes marocains grâce à des programmes financés par des ONG, dans les colonies de vacances, les événements culturels et les lycées. On a créé 300 clubs de lycées pour les droits humains, soutenus par le Ministère de l’Éducation, surtout dans des zones rurales et marginalisées où la jeunesse est plus touchée par le fléau de l’extrémisme et l’analphabétisme. ¿ Charline Poisson www.amdh.org.ma Les défis du royaume 19 Enfants des rues Karima Mkika :« Aider, ce n’est pas assister » À 39 ans, la présidente de l’association Al Karam, Karima Mkika, a le dynamisme d’une jeune fille. Le sourire aux lèvres, cette mère de quatre enfants explique son combat pour cette association vieille de 17 ans. « Depuis que je suis toute petite, je voulais aider les gens », raconte Karima Mkika, présidente de l’association Al Karam - la générosité en arabe. Chaque été, elle habitait un mois chez sa grand-mère à Casablanca. Celle-ci logeait dans un quartier populaire où Karima était confrontée à la pauvreté. « Ma grand-mère était très religieuse, décrit cette femme énergique de 39 ans. Elle considérait qu’au cours du ramadan on devait inviter à dîner des gens dans le besoin. Leur état me choquait. » Les premiers actes sociaux de la jeune Karima seront des démarches charitables. « Quand mon grand-père allait prier, je tenais son magasin, rigole la présidente d’Al Karam. À son retour il manquait souvent 10 dirhams. Je lui disais : « la dame qui est venue, elle était pauvre… » » Mais même si elle souhaite venir en aide aux plus démunis, Karima Mkika ne veut pas en faire son métier. Une fois son bac en poche, elle désire devenir médecin, mais son père refuse qu’elle parte en France. Elle s’inscrit alors dans une école de commerce avant de se rendre à Rabat pour suivre des études de droit en français. Là, elle rencontre son futur époux avec lequel elle se marie rapidement. Les débuts à Safi Le couple s’installe dans la ville côtière de Safi. En allant, faire son marché sur le port tous les jours, Karima croise des enfants des rues. « Un jour, je me suis dit que ça ne pouvait plus durer, raconte-t-elle. J’ai alors fondé Al Karam, une association destinée à aider les enfants en difficultés. Au bout des trois premiers mois, j’ai réalisé que la charité telle que la pratiquaient mes grands-parents ne servait à rien. » Il fallait permettre aux enfants de voler de leurs propres ailes. « Même si je suis pratiquante, mon action est purement humaine contrairement aux autres membres de ma famille qui le font car le Coran l’exige », spécifie Karima Mkika. Dix-sept ans plus tard, l’associa- tion se porte bien et comprend plusieurs antennes, dont une à Marrakech. Karima Mkika aimerait désormais pouvoir confier la présidence à quelqu’un d’autre. « Mon mari m’a beaucoup aidé dans mon entreprise, affirme-t-elle. C’est lui qui a assuré les apports financiers, qui s’est occupé des enfants lorsque j’étais en voyage de formation, etc. » Ce qu’elle souhaiterait aujourd’hui, c’est léguer une partie de ses pouvoirs tout en gardant des fonctions dans l’association. Cela lui permettrait de consacrer plus de temps à sa famille. Dans un petit sourire, elle conclut : « C’est à mon tour de m’occuper de mon mari… » ¿ Thibault Coudray p Karima Mkika, une femme d’action et de solidarité. Pauvreté extrême Une lumière dans les ténèbres Être plus pauvre que pauvre ? C’est malheureusement possible comme le prouve tristement la situation de trois habitants des montagnes de l’Atlas. L es milieux ruraux sont particulièrement touchés par ce type de pauvreté que l’on appellera pauvreté extrême. Certains endroits sont reclus, isolés et coupés de tout. Vivre sans eau, sans électricité, sans matériel de santé, c’est une vie très dure, mais elle peut l’être encore plus : la situation de Mohammed et Fatima, habitants d’un petit village de montagne, le prouve à leurs dépens. Comme beaucoup de personnes dans les milieux ruraux, leur âge leur est inconnu, mais leurs dos courbés prouvent qu’ils ne sont pas de prime jeunesse. Mohammed est handicapé de naissance, il ne peut donc pas travailler comme les autres. Son travail est de s’occuper des corvées des champs et d’élever les moutons des autres, mais cela ne rapporte que très peu d’argent. Sa femme, Fatima, est handicapée à cause d’une piqûre d’insecte qui l’a rendue complètement invalide il y a cinq ans. Elle commence à remarcher depuis peu, mais a toujours du mal à se déplacer. « Je voudrais que ma main et mon pied puissent bouger », confiet-elle. La fatalité s’est de nouveau abattue sur ce couple aimant il y a deux ans : de fortes averses de pluie ont fait s’effondrer leur maison. Ils ont alors tenté de chercher de l’aide auprès de la commune qui, pour seul dédommagement, leur a donné… un sac de ciment ! « Ils se fichent de nous, on n’en a pas voulu de leur sac ! » lâche Mohammed, encore dépité. Les habitants du village se sont alors cotisés pour reconstruire la maison et secrètement - « pour ne pas blesser leur fierté », explique un voisin -, ils leur apportent de l’argent pour qu’ils puissent vivre. Dans ce même village, Fatouma raconte son histoire, tout aussi poignante. Âgée de plus de 70 ans, elle a été gravement blessée lors d’une chute, il y a quatre ans, ce qui lui a laissé de sévères séquelles dans le dos. « Ce n’était pas facile de m’emmener à l’hôpital, mes blessures ont eu le temps de s’aggraver », explique-t-elle. Les malheurs s’enchaînent quand, un an plus tard, son mari décède et la laisse seule, la vieille femme n’ayant jamais eu d’enfants. L’année suivante, elle perd la vue. La vieille femme est amère : « Avant, j’étais fière… » Elle peut cependant compter sur l’aide de ses voisins qui lui apportent chaque jour de la nourriture et lui tiennent compagnie. La situation de ces deux familles est misérable et leurs cas ne sont malheureusement pas isolés. Ce quotidien est le lot de milliers d’autres personnes au Maroc. Mais, une chose est sûre, elles peuvent faire confiance à leurs voisins, leurs amis, leurs familles pour qu’ils les soutiennent et prennent soin d’eux, tout en leur laissant fierté et dignité. Telle est la solidarité au Maroc. ¿ Anabelle Bourotte 20 Les défis du royaume Clandestins AFVIC : soigner les migraines de l’immigration Nombreux sont les candidats marocains à affronter la mort chaque année dans le but d’une vie plus facile en Europe. Devant la détresse des familles ayant perdu leurs proches au cours de ces traversées périlleuses, l’AFVIC l’association des Amis et Familles des Victimes de l’Immigration Clandestine s’est créée en 2001. Sensibiliser les Marocains aux risques de l’immigration clandestine et intégrer à la vie économique les refoulés : tel est son leitmotiv. « L’obligation d’avoir à forcer quelque frontière que ce pourra être, sous la poussée de la misère, est aussi scandaleuse que les fondements de cette misère. » En empruntant les mots de l’écrivain Édouard Glissant dans son dépliant, l’AFVIC met d’entrée le lecteur innocent au cœur des débats sur l’immigration. Car « franchir la frontière est un privilège dont nul ne devrait être privé, sous quelque raison de ce soit », toujours selon les mots de l’auteur martiniquais. « Nous ne disons pas aux jeunes : « Ne partez pas ! ». Nous préférons leur dire que s’ils partent, voici les risques auxquels ils s’exposent », explique Lætitia Graux, coordonnatrice du projet des droits de l’Homme à l’AFVIC, bureau de Casablanca. Sur son ordinateur, les images des pateras, ces embarcations de fortune pour clandestins en quête d’un eldorado européen, pullulent, témoignages colorés d’une situation en alerte rouge. Le triangle de la mort De par sa position particulière, le Maroc est touché de plein fouet par les vagues de l’immigration clandestine : au nord, l’Europe est à portée de rames ; au sud, quelques milliers de kilomètres n’effraient pas les candidats d’Afrique subsaharienne. Chez les Marocains aussi, la tentation d’un avenir meilleur est présente. « Notre ONG a son siège à Khouribga (à 150 km au sud de Casablanca, dans les terres). Cette ville, associée à Beni Mellal et Fqih Ben Salah, forme le triangle de mort. C’est une région très portée sur l’immigration, spé- p L’AFVIC effectue de la prévention dans les salles de classe (photo AFVIC) cialement en Italie. D’ailleurs au Maroc, chaque région a une destination de prédilection : le nord préfère l’Espagne ; la zone de Kenitra apprécie, elle, l’Amérique ». Pourtant, depuis 2005, le rêve de réussite sur le vieux continent devient un parcours… mortel : depuis que des caméras de surveillance ont filmé une « attaque en force » de désespérés à Ceuta, l’Europe a mis des barbelés à ses « Nous frontières. Royaume chérifien. « Le chiffre d’immigrants clandestins qui n’ont pu partir ou en attente de départ augmente chaque année. Le séjour de ces migrants devient aussi plus long. C’est pour cela qu’il faut dès à présent tisser des liens entre les Marocains et les Subsahariens mais aussi assurer des papiers à ces derniers. » Une initiative qui ne plaît pas à tous : « Certains nous disent bravo, mais beaucoup de Marocains préfèrent devons que l’on s’occupe d’eux ! » sensibiliser les jeunes Loin du cliché du Marocain Ils sont déjà plus de 2 000 à revenant au bled les poches avoir perdu la vie en essayant remplies d’argent, les refoulés de traverser ce petit bout de mer d’Europe ont aussi droit à toules séparant de Gibraltar ou des dès maintenant te l’attention de l’ONG : « On Canaries… « Il faut prendre le essaie des les réintégrer dans pour éviter problème à sa source. Les Marola vie socio-économique en cains ne s’intéressent à la quesleur proposant des formations tion de l’immigration clandesde six mois dans des domaines tine que depuis quelques années. où ils avaient déjà des compéd’aujourd’hui » C’est pour cela que nous devons tences avant. Puis, nous nous sensibiliser les jeunes dès mainengageons à leur trouver un tenant, pour éviter les dérives stage en entreprise. » d’aujourd’hui. L’AFVIC va dans les écoles et fait aussi le tour des médiathèques Travailler, gagner de l’argent sans avoir à jouer pendant un mois dans ce but-là. » sa vie dans un embarquement de fortune : c’est possible. Grâce à l’AFVIC, certains l’ont compris. Réintégrer les refoulés Les plages espagnoles n’auront peut-être bientôt plus à être nettoyées de corps gisants venus d’AfriL’AFVIC s’intéresse aussi à un fléau méconnu, que… ¿ conséquent à la fermeture des frontières européen- les dérives nes : l’accueil des migrants subsahariens dans le Alexis Hontang Les défis du royaume 21 Mariage Le plus beau jour de leur vie... Passage indispensable dans la vie de chaque homme et femme, au Maroc le mariage suppose des règles particulières et des coutumes controversées. Mais, depuis une vingtaine d’années, son statut évolue. « La famille, ici, c’est sacré ! » affirme Abdou, jeune Marocain habitué des mariages, expliquant ainsi l’importance de cet engagement qui constitue, à travers l’union de deux personnes, celle de deux familles. Le mariage est donc avant tout une fête familiale, où le père de la mariée va laisser passer sa fille sous la responsabilité de son futur mari, mais aussi une fête pour que l’engagement soit reconnu par tout le monde. Le respect du mariage est grand au Maroc : la virginité avant le mariage reste ainsi une condition fortement ancrée dans les mœurs. Auparavant, le mariage durait sept jours ; maintenant, il se fait le plus souvent en trois. Mariage arrangé, mariage forcé La première journée est celle du henné : « Les symboles dessinés sur la peau des femmes comme des hommes sont censés porter chance aux futurs mariés. Le henné sert également à éloigner les mauvais esprits qui voudraient empêcher le bonheur du couple », explique Abdou. Le deuxième jour se déroule chez la mariée, c’est le plus important. La journée et la nuit sont rythmées par les repas, les louanges aux jeunes mariés, les changements de costumes, les danses et les chants. Le troisième jour se passe chez le marié, dans un faste un peu moins marqué. p Le mariage n’est pas un acte religieux. Deux notaires vérifiant les cartes d’identité et la dot suffisent. n’est ainsi pas consacré par un imam, mais par deux notaires, appelés laâdoul, qui vérifient les cartes nationales des futurs époux et contrôlent la dot que le père de la fiancée verse au mari. Le système de dot est très ancien, mais toujours obligatoire. Son minimum est de 25 centimes. « Parfois, les familles donnent des dots énormes comme ça les époux sont obligés de rester ensemble pour ne pas avoir à restituer la dot en cas de divorce », confie Abdou. Le mariage arrangé est chose fréquente au Maroc, mais il n’est pas perçu comme un problème par la plupart des Marocains. « Le mariage ne se fait pas forcément par amour, remarque Abdou. C’est surtout pour la protection de la femme. » Que celle-ci l’ait choisi ou non ! Si la jeune femme n’est pas cultivée, c’est sa famille qui fera le choix qu’elle Le soir venu, le majuge le plus profitable riage sera consommé pour elle. Il lui est donc et les draps souillés impossible de choisir elexposés aux invi- p Des amoureux dans les rues publiques de Casa le-même l’homme avec tés sous un tonlequel elle passera sa vie. Ce cas de figure est très nerre de cris et de manifestations de joie : la présent dans les milieux ruraux, mais il est fort jeune fille était pure, elle a honoré sa famille. bien accepté. Abdou n’hésite d’ailleurs pas à dé« Le mariage est plus une tradition qu’un acte clarer que « mariage arrangé ne signifie pas forcéreligieux », déclare Abdou. Le contrat de mariage ment mariage forcé ». Et les jeunes filles, élevées dans le culte de l’honneur de la famille, n’osent pas forcément réfuter le choix de leurs parents. On retrouve aussi cette pratique du mariage arrangé chez les gens riches qui, eux, choisissent les alliances en fonction de leurs intérêts économiques ou pour ne pas perdre leur patrimoine. Depuis une vingtaine d’années, une classe moyenne s’est néanmoins créée au Maroc amenant un certain assouplissement : les gens de cette classe moyenne choisissent eux-mêmes leurs partenaires et les soumettent ensuite à l’approbation de la famille. Les unions à la hausse La Moudawana - ou code de la famille - a par ailleurs apporté, depuis son instauration en 2001, des changements flagrants dans le domaine du mariage. L’âge légal du mariage a été fixé à 18 ans et la polygamie interdite, sauf dans le cas particulier où la femme est stérile et accepte le « ménage à trois ». La polygamie et les unions de mineurs étaient deux sources de refus du mariage qui maintenant sont peu à peu repoussées, rassérénant ainsi les jeunes femmes. Ce genre de réformes, initiées par Mohammed VI, sont pourtant fortement critiquées et contestées par certains fondamentalistes. Malgré ces critiques, les bienfaits de la Moudawana sont indéniables comme en témoignent les chiffres du Ministère de la Justice : la nouvelle législation a entraîné une augmentation de 11,6 % des mariages entre 2006 et 2007. Le respect des droits et des choix semble faire souffler un vent d’amour sur le Maroc… ¿ Anabelle Bourotte Les défis du royaume 22 Santé Souriez, vous êtes cariés ! « Fais attention à tes dents » : c’est ce que l’on nous répète depuis notre tendre enfance. Cette phrase ne semble pourtant pas de mise au Maroc. Entre prestations trop onéreuses, faible nombre de dentistes et charlatans, la santé dentaire n’est pas au beau fixe. A u Maroc, la santé dentaire n’est pas une préoccupation majeure pour les personnes modestes comme le confirme le docteur Abou Ankira, chirurgien-dentiste à Marrakech : « 80 % des gens qui viennent nous voir, c’est parce qu’ils n’en peuvent plus. » La salle d’attente concrétise ses propos : tous les clients se tiennent la mâchoire avec une expression de douleur sur le visage qui ferait presque regretter d’avoir des dents. Mais les soins coûtent cher et ne sont pas remboursés. Pour cela, il faudrait une assurance et seulement 10 % des Marocains en ont une. Même si les soins sont moins chers qu’en France, ils représentent un coût non négligeable par rapport au niveau de vie des Marocains. « Eh oui, ici pas de sécurité sociale ! », commente le docteur. Mécaniciens dentistes Les Marocains se tournent donc vers une solution moins coûteuse, mais risquée : les « mécaniciens dentistes », comme les appelle le docteur Abou Ankira, ou « charlatans ». Ils seraient ainsi plus de 10 000 à travers le Maroc. « Ces faux dentistes n’ont pas de formation, ils exercent donc leur activité illégalement, et cela, sans avoir le moindre ennui puisque l’État ne les contrôle pas, L p L’impressionnante collection de « trophées » d’un arracheur de dents sur la place Jamaâ-El-Fna s’exclame le chirurgien professionnel. Ils ne soignent rien ! Ils ne savent qu’arracher des dents, même quand il n’y en a pas besoin. » La prévention, la sensibilisation et l’information sur la santé dentaire sont quasi inexistantes dans le pays. Le chirurgien ne peut d’ailleurs citer qu’une seule action : « Il y a un programme de sensibilisation dans une école à Casa… » Mais il ajoute : « Peut-être parce qu’une faculté de médecine dentaire se situe juste à côté… » Un peu léger pour un pays de 33 millions d’habitants ! Il y a deux facultés de médecine dentaire au Maroc : l’une à Casa, l’autre à Rabat. Chaque année, 170 nouveaux dentistes sortent de ces facultés, le diplôme en poche et prêts à exercer. « Les dentistes étrangers n’ont pas le droit d’ouvrir de cabinet au Maroc », indique le docteur Abou Ankira, contredisant ainsi son propre cas. Pour pouvoir exercer, « il faut être nationalisé et obtenir l’équivalence de diplômes étrangers, de plus en plus difficiles à décrocher ». D’origine palestinienne, lui-même a attendu pendant des années de recevoir son autorisation d’exercer, ce précieux sésame n’étant délivré qu’au compte-gouttes par le gouvernement. Une vingtaine de professionnels sont dans la même situation sur le territoire marocain. Mais ce ne sont pas ces quelques paires de mains gantées en plus qui soigneront les caries et les rages de dents de tout un territoire ! ¿ Anabelle Bourotte La santé marocaine n’a pas bonne mine ’Hôpital Ibn Tofail de Marrakech est un grand complexe comprenant les services de chirurgie, radiologie, gynécologies, qui forment le futur personnel médical et soignant. Il compte 409 lits, répartis dans des chambres de 4 ou 6 lits le plus généralement, les chambres individuelles ou doubles étant très peu nombreuses. En 2007, l’hôpital a accueilli 185 557 personnes pour des soins, dont 49 % étaient des urgences. Pour cela, 67 médecins, 576 personnels soignants, dont 423 infirmiers et assistants, et 13 spécialistes sont mobilisés, à une cadence phénoménale, sans pour autant réussir à répondre à toutes les demandes. « Nous manquons cruellement de moyens, de personnel et travaillons dans de très mauvaises conditions », confie un cardiologue, désolé par l’état de l’hôpital. De fait, les bâtiments sont vétustes, les murs se fissurent et des débris s’amoncellent le long d’un mur du bâtiment de radiologie. Pourtant, des entreprises sont mandatées pour gérer tout ce qui a trait à l’hygiène, aux déchets, à l’entretien, au gardiennage et à la restauration. Pas moins de 112 personnes extérieures exécutent ces tâches. « Pour répondre aux demandes, un nouvel hôpital de la Femme et de l’Enfant va être inauguré en 2010, il ajoutera 200 lits en plus sur le secteur de Marrakech », annonce le Dr Mouhouch. En attendant, le nombre de malades ne diminue pas. Tant et si bien que les entrées sont contrôlées. « Il faut l’autorisation d’un médecin ou autre personnel pour pouvoir entrer et les visiteurs n’ont le droit de venir qu’à partir de 12 h 30 », décrit le directeur. Même si petit à petit un système d’assurance-maladie obligatoire se met en place, 77 % de la population n’en profitent pas. Les hôpitaux ne peuvent faire autrement que de donner l’accès à la santé à tout le monde. Il reste, à la santé marocaine un grand chemin, rempli d’obstacles, à parcourir pour atteindre un niveau que l’on pourrait qualifier de convenable. ¿ Camille Gros Les défis du royaume Santé Sida, « le combat est encore lent » L’Association de Lutte Contre le Sida au Maroc se bat depuis des années pour venir à bout du VIH. Le combat est difficile, comme partout, et le manque de moyens ajoute des barrières à l’engagement des bénévoles. Une première victoire sur les mentalités a tout de même eu lieu durant le Sidaction. 2 548 cas de Sida ont été notifiés fin décembre 2007 au Maroc, sans compter les cas non déclarés. « Le combat est encore lent », déclare Othman Mellouk, jeune chirurgien-dentiste et président de l’Association de Lutte Contre le Sida (ALCS) de Marrakech. « On agit sur trois axes : la prévention, le soutien et la défense des droits », explique-t-il. Au niveau de la prévention, il existe des actions « grand public », telles que des journées nationales ou les campagnes de presse qui les précèdent. « Le sida est de moins en moins tabou au Maroc. On peut coller nos affiches sans problème, mais on ne peut pas rentrer dans les détails », nuance le jeune président. p Un calendrier pour collecter des fonds. lancée en décembre 2007. Durant un week-end, des jeunes se sont investis en créant une sorte de kermesse sur le thème du sida, pour sensibiliser les Marocains. C’est au Cyber Park que s’est installé ce circuit de jeu particulier, fait pour « transmettre des messages ». « Les jeunes font évoluer le combat », ajoute le président, fier de cette action. L’ALCS est financée par la mairie de Paris. Elle ne reçoit qu’une maigre subvention du Ministère de la Santé marocain qui mène un combat parallèle, « beaucoup plus consensuel », selon le docteur Mellouk. « Finalement, c’est une force de n’avoir pas beaucoup d’argent. Nous sommes indépendants », commente le jeune président. Il Un impact énorme parle également de « partenariat compliqué » avec L’ALCS travaille beaucoup avec la France. Il les autres associations marocaines. « Nous, on ne existe un partenariat avec moralise pas les gens, on se base Aide, Sida Info Service et sur la science », affirme le préle Sidaction. Un Sidaction sident marrakchi avant d’ajouter, a d’ailleurs été organisé en « Les dépité : « Il y a des moments de 2005 au Maroc. Gad Elmatension via la presse et il existe leh, humoriste français d’orifont évoluer une théorie du complot, qui dit gine marocaine, en a été le que nous sommes manipulés par » le parrain. l’Occident. » Au Maroc, le pays le plus avancé par rapport à ce « C’était historiquement fléau sur le continent africain, important », avoue le jeune les traitements sont gratuits. Cependant, il reste médecin. Pour la première fois au Maroc, une perde nombreuses personnes séropositives non désonne séropositive témoignait à visage découvert. tectées, faute de moyens. « Avant, tout le monde « L’impact a été énorme puisque tout le monde en était égal face à la maladie. Aujourd’hui, ceux qui a parlé après. » Les changements de mentalité qui meurent du sida, c’est pour des raisons économien ont découlé et les fonds récoltés par le Sidacques », soupire le président marrakchi. tion ont permis de nombreuses avancées : un bus jeunes combat de dépistage parcourant le Maroc, des centres de dépistage anonyme et gratuit, le centre d’écoute « Allô info Sida » et le site internet de l’ALCS, autant d’armes contre la maladie. Un deuxième Sidaction serait même envisageable, mais « Sidaction France ne fait que ça ; nous, nous sommes sur le terrain aussi », explique Othman Mellouk. Une action pilote a également été Santé Le Croissant a du pain sur la planche « Les principes fondamentaux du Croissant rouge sont et ont toujours été : humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, désintéressement, unité et universalité », pose Moulay Hafid Alaoui, président du comité marrakchi de cette association de secours volontaire qui coopère avec les pouvoirs civils, sanitaires et humanitaires marocains. Il entretient d’étroites relations avec les différents services du gouvernement et a même signé des accords de coopération avec plusieurs ministères, preuve d’une action reconnue au plus haut niveau. « La société est propriétaire de quinze bâtiments, douze complexes et centres de formation, huit entrepôts, sept cliniques et services de maternité », détaille M. Alaoui. Seul bémol, le financement. Les principales ressources financières du CRM sont les taxes spéciales qui représentent plus de 50 % de l’ensemble. Les contributions de partenaires externes, les subventions du gouvernement, les recettes des cliniques, des centres de formation et les dons privés correspondent, tous réunis, à moins de 5 % des ressources. « Même si on est conscient des buts à atteindre, on n’a pas toujours les moyens. C’est pourquoi les bénévoles sont nos vrais piliers », confie M. Alaoui. Tolérance et assistance mutuelle La formation aux premiers secours est l’une des principales activités du CRM qui recrute par ailleurs régulièrement des donneurs de sang parmi les volontaires du CRM et aide les centres de transfusion sanguine lors de pénuries de sang. « Les transfusions sont gratis, mais, parfois, on demande à un membre de la même famille que le transfusé de donner du sang lui aussi », avoue M. Alaoui. « Les activités du CRM concernent également la prévention (drogues, conduites à risques…) et la société participe aux campagnes nationales organisées par le Ministère de la Santé publique, comme celles de prévention routière… », ajoute le président du comité. Et de nombreuses personnes restent mal informées. « La sexualité des jeunes est assez clandestine. Pour les parents, leurs enfants n’ont pas de relations sexuelles », déclare le jeune docteur. Le risque se multiplie donc, le préservatif n’étant « pas dans les mœurs ». De quoi confirmer la nécessité de l’action de l’ALCS ! ¿ « Le Croissant cherche à transmettre des concepts de tolérance, d’assistance mutuelle et désintéressée, mais aussi à promouvoir la diffusion du droit international humanitaire et des droits de l’Homme », affirme M. Alaoui. Le Croissant projette même de développer ces activités, en coopération avec les organes des Nations Unies et le gouvernement marocain.¿ Juliette Bourrigan François Perez 23 24 Les défis du royaume Islam Abdelhay, imam à 23 ans Abdelhay est imam dans une mosquée près de la place Jamâa-El-Fna à Marrakech. Son parcours ne ressemble pas à celui de la majorité des imams marocains : alors que la plupart d’entre eux ne deviennent meneur de la prière qu’après 30 ans, lui a commencé à 20 ans. Il en a aujourd’hui 23 et est toujours étudiant. A bdelhay a commencé à étudier le Livre Saint à l’âge de 14 ans dans une école coranique et, en même temps, à la mosquée de son quartier. Il n’avait alors pas en tête de devenir imam. « Ce sont les gens qui m’ont choisi, explique-t-il. Alors que je récitais le Coran pour m’entraîner, à la fin de mon enseignement, devant des musulmans, ils m’ont dit qu’ils voudraient que je sois leur imam. » Il a accepté et s’est installé dans la mosquée du quartier Derb Jamaâ Derb Dabachi de Marrakech. Contrairement à certains imams, ce jeune homme n’habite pas dans la mosquée, mais reste entièrement disponible pour écouter les fidèles. Son rôle ne se résume pas simplement à diriger la prière cinq fois par jour, il est présent pour répondre aux questions concernant la religion et peut aussi aider à résoudre des problèmes plus personnels. Il se définit ainsi comme un confident et un conseiller. « Mais l’imam n’entretient en aucun cas un lien privilégié avec Dieu, indique-t-il. Il n’est qu’un modèle pour la prière, car il connaît mieux le Coran que les autres croyants. » Grâce à son savoir important de la religion musulmane, Abdelhay reçoit des garçons et des filles à la mosquée pendant leur temps libre et leur enseigne la morale, le devoir, le respect et tous les préceptes du Coran. Exerçant dans un pays où l’islam est la religion d’État, il touche un salaire de 1 750 dirhams, le smic marocain, payé par le gouvernement, tel un fonctionnaire. Ce jeune imam n’est pas encore marié. Mais selon des amis, il a pour projet de le faire, quand il aura trouvé la femme idéale. « À l’inverse des prêtres catholiques, pour un imam, se marier, c’est préférable », affirme-t-il. Abdelhay n’a que 23 ans et constate le modernisme occidental qui, actuellement, touche les Marocains de sa génération. « Étant encore étudiant, je côtoie ces jeunes croyants qui évoluent, je ne pense pas que ce soit mal », confie-t-il avant d’ajouter : « Enlever les apparences, soit ne plus porter l’habit traditionnel et avoir un mode de vie plus occidental, ça ne dérange pas, mais il ne faut pas changer les principes de la religion. » Lui porte la barbe et est vêtu d’une djellaba… ¿ q Musulman pratiquant la prière du midi, devant un bus scolaire à Casablanca Elsa Marchand Touchée par un miracle, Ita femme pieuse, d’une quarantaine d’années, cheveux cendrés tirés en arrière, vêtue d’une djellaba grise est devenue une savante de l’Islam. Elle peut, ainsi, rendre avec le Conseil des Oulémas des « fatwas ». L es oulémas sont des hommes et femmes qui ont tous appris par cœur le Coran et ses traductions, l’hadith - rapport des actes et paroles du prophète considérés comme des exemples à suivre - et la sunna - recueil des faits et propos du prophète. Ce sont des savants de l’Islam qui, lorsqu’ils se réunissent en conseil, rendent la « fatwa », consultation juridique ou interprétation de la loi du Coran. Ita Abdellaoui, la quarantaine, est l’une d’entre eux. Elle a été choisie pour son « exemplarité » : elle agissait en bien, connaissait tous ses textes et les communiquait avec ferveur. Mais, avant de suivre le « chemin du bien », comme elle le nomme, Ita a travaillé dès l’âge de 16 ans dans le secteur du tourisme, en hôtellerie. Elle n’avait plus de temps pour sa fille. « Je me Les défis du royaume Histoire Ali ou Abou Bakr ? Dans chaque religion, on trouve des variantes et l’Islam ne fait pas exception. Au Maroc, c’est le sunnisme qui prédomine. M ahomet est le prophète de l’Islam. À sa mort en 632, l’Islam jusqu’alors unifié va se scinder en différentes branches à cause d’une divergence politique : qui va diriger la communauté des croyants en l’absence du prophète ? Pour les chiites, Ali, gendre de Mahomet, doit prendre le pouvoir suivi par ses descendants. Pour les sunnites, il faut que ce soit le plus sage et le plus méritant des croyants, Abou Bakr, marchand à La Mecque et beau-père du prophète. Ce dernier succède finalement à Mahomet grâce à la majorité sunnite et devient calife. S’efforcer d’imiter le prophète p La fameuse mosquée Hassan II à Casablanca, la plus grande du Maroc, peut réunir jusqu’à 25 000 fidèles Ita Abdellaoui, une femme ouléma « Le sunnisme est le courant majeur de l’Islam, environ 85 % des musulmans sont sunnites », déclare Mohammed, ancien Professeur d’université, élevé dans une école coranique de l’Atlas. Ce courant se base sur deux piliers : « le Coran bien entendu », comme le rappelle Mohammed, et la Sunna, ensemble des paroles et des actions du prophète que les croyants doivent s’efforcer d’imiter. « On appelle les sunnites les gens de la sunna », explique-t-il. Ces piliers sont les deux sources principales de la loi islamique ou charia. Place aux coutumes sentais de plus en plus égoïste », commente-t-elle sans regret pour cette période. Sa vocation religieuse lui est venue après « un miracle », affirme-t-elle. « J’étais enragée contre Dieu parce que ma fille était handicapée, racontet-elle. On m’avait dit qu’elle aurait des difficultés à marcher. Je priais toujours, espérant que son mal s’amenuise et, un matin, elle a marché normalement. Le médecin n’en est pas revenu ! » Et elle n’est jamais retournée voir un professionnel de santé : « Leurs pronostics sont des mensonges, ils vous donnent des produits chimiques, ne voient que l’appât du gain et ne vous tendent jamais la main… », lâche-t-elle avec mépris. Depuis ce « signe », elle a en revanche créé une association pour le handicap, mais « c’est pénible, car au Maroc personne ne s’y intéresse », déplore cette maman. En tant qu’ouléma, Ita donne régulièrement des cours de religion dans des organismes qui accueillent des jeunes en difficultés. Toxicomanes, analphabètes, sans abris… Autant d’individus auxquels « il faut rappeler que Dieu existe, qu’il faut oublier son malheur pour ne pas plonger », soutient Mme Abdellaoui qui ajoute avec une ferveur non dissimulée : « On oublie Dieu dans notre quotidien. Le jour, c’est l’enfer à cause du stress qui engendre égoïsme et narcissisme. Fanées sont les valeurs et l’Être est mort. Mais la nuit peut devenir un paradis, un temps de la transcendance et de la relation verticale avec l’Être éternel. » ¿ Charline Poisson Le sunnisme se découpe lui-même en quatre grandes écoles : le hanafisme, le malékisme, le chaféisme, et le hanbalisme. « Ces écoles sont unanimes sur le fondement des croyances, elles diffèrent juste sur des questions de jurisprudence », précise Mohammed. Au Maroc, le rite malékite est prépondérant. « C’est le plus modéré », affirme l’ancien enseignant. Cette école a été fondée par l’imam Mâlik. Elle donne une place importante aux coutumes, au consensus ainsi qu’aux savants. Il ne faut cependant pas oublier que, même si la religion musulmane est largement majoritaire au Maroc, elle tolère et laisse la place aux autres religions telles que le christianisme et la religion juive. ¿ Anabelle Bourotte 25 26 Info, la conquête L’information n’a jamais été aussi facile d’accès au Maroc. Avec l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI et le développement progressif des nouvelles technologies, les Marocains ont accès à une information de moins en moins contrôlée. Seuls trois tabous n’ont pas été repoussés : le Roi, l’armée et le Sahara occidental, obligeant les journaux indépendants à faire les funambules sur cette ligne rouge. Tel Quel Vouloir être honnête peut défrayer la chronique Lancé en 2001 par son directeur de publication, Ahmed Réda Benchemsi, TelQuel est l’hebdomadaire francophone le plus lu au Maroc. Tiré à environ 25 000 exemplaires par semaine, il est distribué dans l’intégralité du pays. Son objectif est clair : peindre le Maroc tel qu’il est. Une tâche non sans danger. L a ligne éditoriale de TelQuel fait de ce journal un ovni de la presse marocaine. Sa volonté de représenter un Maroc « sans complaisance » l’a poussé à aborder des sujets jusque-là tabous : la monarchie, le Sahara occidental, la religion, le sexe, etc. « Ces thèmes sont sensibles, explique Youssef Ziraoui, un journaliste de la rédaction. Il serait suicidaire d’aborder certains sujets de front. Mais il y a l’art et la manière. On peut être suggestif… » Tel Quel est un projet audacieux. Il est la cible de nombreux procès. « Notre seule véritable ligne rouge, c’est l’éthique », résume le reporter marocain. un lectorat fidèle, composé de Marocains, mais également de MRE (Marocains expatriés), s’est formé autour du journal. On le voit notamment lors des procès qu’essuie l’hebdomadaire. « Il y a souvent une forte mobilisation », informe le journaliste. Un public assidu A contre-courant de l’approche officielle Pour chacun de leurs articles, les journalistes recoupent leurs sources, donnant la parole aux deux camps quand il y a polémique. Ils ne veulent en aucun cas dénigrer ou diffamer qui que ce soit. « On n’est pas là pour lyncher, insiste Youssef Ziraoui. Globalement, les personnes acceptent d’être interviewées. On arrive à parler avec à peu près tout le monde, sauf le « TelQuel, les gens aiment et détestent », décrit Youssef « ne se prend Ziraoui. En effet, nombreux sont les pas au articles qui dérangent la bienséanmais on fait un ce. Parfois les lecteurs reprochent sérieux » à l’hebdomadaire de traiter toujours les mêmes sujets. « Il est vrai que l’on parle beaucoup Roi. » du roi, mais ce terrain glissant a « On nous compare parfois à Marianne, déclare été délaissé pendant des décennies, Youssef Ziraoui. C’est très flatteur pour nous, rétorque le jeune journaliste. Il faut même s’il n’y a pas de volonté réelle d’imiter un rattraper le temps perdu. » autre magazine. » Seul bémol, comme le journal A contrario, certains sujets, appaest francophone, il ne touche qu’une petite partie remment peu susceptibles de faire de la population. Celle-ci n’est qu’à 50 % alphades couvertures, sont fédérateurs. bétisée et seule une minorité de personnes lettrées « Notamment ceux en rapport avec connaît suffisamment le français pour le lire. l’histoire, raconte Youssef Ziraoui. « Nous ne serons jamais le contre-pouvoir qu’est Les Marocains ne connaissent pas Marianne en France, concède Youssef Ziraoui. leur histoire. Notre approche étant Cependant, nous nous sommes engagés dans une à contre-courant de l’approche offivoie et, tant qu’on n’a pas mis la clé sous la porte, cielle, elle intéresse les gens. » Ainsi, on continuera. » ¿ On q Youssef Ziraoui de TelQuel Si TelQuel parvient à tirer son épingle du jeu, c’est grâce à « son talent », justifie en rigolant Youssef Ziraoui. « Le traitement que fait TelQuel des sujets est un travail de qualité, affirme le journaliste. Les résultats suivent. Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir un tirage de 25 000 exemplaires ! » sérieux travail Thibault Coudray Info, la conquête 27 Presse féminine Un colon de la mode Claude Vieillard fait partie de ces nombreux Français venus réaliser le rêve américain sous le soleil de Marrakech. Ex-journaliste pour la presse nocturne de Paris, il est désormais rédacteur en chef de deux magazines marocains. T out commence en 2000. « À cette époque, je travaillais pour la presse nocturne de Paris [magazines gratuits distribués dans les bars, les discothèques], raconte Claude Vieillard, rédacteur en chef de Femmes de Prestige et de Maroc Prestige. Je ne profitais plus de mes journées. Je me suis donc dit : quitte à tout quitter, autant partir à l’étranger. » Le Maroc est alors apparu comme une alternative alléchante : un temps radieux, des perspectives économiques intéressantes… De plus, le pays appartient à la francophonie. « Marrakech est une ville agréable, déclare Claude Vieillard avec enthousiasme. Elle n’est pas très grande, il est facile de se repérer, de se nourrir, de se loger. » Une fois installé, Claude Vieillard écrit un guide sur Marrakech. « Je me suis tourné vers l’aspect q Femme de Prestige est tiré à 25 000 exemplaires le plus facile, explique-t-il. La ville est extrêmement touristique. » Cinq ans plus tard, il fonde Maroc Prestige, un bimestriel consacré à la décoration. « Nous avions des périodes assez creuses entre chaque parution, avoue le Marrakchi français. L’idée nous est venue de lancer à contretemps un autre bimestriel qui n’entrerait pas en concurrence avec Maroc Prestige. » Ainsi est née la revue féminine Femmes de Prestige. Importer la mode internationale Maroc Prestige et Femmes de Prestige sont respectivement tirés à 35 000 et 25 000 exemplaires. « La décoration est un gros marché au Maroc », fait remarquer Claude Vieillard. Maroc Prestige se heurte donc à une sévère concurrence. « Pour nous démarquer, nous avons orienté notre magazine plutôt sur le luxe, décrit le rédacteur en chef. Nous nous adressons à des catégories socioprofessionnelles assez aisées. » Cependant, le public est plus large. « En nous lisant, les gens cherchent surtout des idées qu’ils font imiter par de petits artisans. » La ligne éditoriale de Femmes de Prestige est la même que celle de son prédécesseur. « La seule véritable différence réside dans l’approche des sujets, souligne Claude Vieillard. Avec ce magazine, nous avons voulu importer la mode européenne. Nous nous distinguons ainsi des magazines féminins traditionnels qui présentent les défilés de caftans. » Cette exportation de l’Occident est permise par l’existence de deux modes au Maroc : la mode internationale extrêmement présente dans les grandes de villes et la mode traditionnelle basée dans les zones plus reculées. Du luxe, mais à petits prix Si les deux magazines traitent de produits luxueux, leur prix ne s’en ressent pas pour autant. Femmes de Prestige ne coûte que 15 dirhams (soit moins de 1,50 €). « Notre magazine est financé à 80 % par les annonceurs publicitaires, informe l’expatrié français. Une partie de la revue est d’ailleurs gratuite afin qu’elle attire le lectorat exigé par les annonceurs. Les ventes ne sont qu’un petit plus. » Mais c’est là que le bât blesse : « Au départ, je désirais lancer un magazine pour homme, avoue, rêveur, Claude Vieillard. Mais aucun annonceur n’est prêt à se lancer dans cette aventure, car les hommes marocains s’intéressent peu à la mode. Mais je ne désespère pas de réaliser un jour ce projet. Il faut juste attendre que les mentalités changent. » ¿ Thibault Coudray Sans oublier sur le Web www.typomag.net ¿ Pensées de journalistes u Pluralisme : « Une culture en cours d’acquisition » (T.C.) u Rachid Sebbahi : « Je suis un homme de radio ! » (F.P.) u La victoire des communicants (T.C.) Info, la conquête 28 Audiovisuel Vers la libéralisation « Nous n’exerçons pas une activité de censure », déclare Talaa Assoud Alatlassi, directeur du Département Suivi des Programmes de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle. Cette institution est le fruit d’un décret du roi exigeant la création d’une autorité neutre et impartiale pour accompagner le développement des radios et télévisions privées et garantir la pluralité. Portrait d’un paysage audiovisuel en pleine mutation. « Nous agissons toujours en amont », affirme Talaa Assoud Atlassi, directeur du Département Suivi des Programmes de la HACA (Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle). Son institution fixe les règles à respecter en matière de protection de l’enfance, d’image de la femme et de pluralisme. « Si un support enfreint les décisions, nous lui adressons une recommandation, décrit l’ancien journaliste. Mais en aucun cas nous ne censurons le programme avant sa diffusion. » L’attribution des licences est la seconde fonction de la HACA. Pour espérer décrocher une licence, les particuliers doivent présenter la preuve que leur projet est économiquement viable, mais aussi faire preuve d’originalité et avoir une ligne éditoriale qui ne fasse pas doublon avec un autre support. La fin d’un monopole étatique Avec le Dahir nº 1-02-212, Le Roi a mis fin en 2004 au monopole étatique dans le secteur de l’audiovisuel ouvrant les ondes hertziennes aux radios et télévisions privées. « Il reste encore un pôle public regroupant deux chaînes de télévision (TVM et 2M) et trois radios (la radio nationale en arabe, radio inter en français et radio amazir en langue berbère), informe Chafik Laabi, responsable de l’Unité Pluralisme du Département Suivi des Programmes. Actuellement, il dépend du ministère des Finances, mais nous espérons que, d’ici dix ans, il soit autonome grâce à la publicité. » Financées par l’argent du contribuable, les chaînes de ce pôle ont l’obligation de diffuser les messages d’intérêt public, mais aussi de couvrir les actions menées par le Roi et le gouvernement. Du côté du privé, nombreux sont les prétendants à la conquête d’un paysage audiovisuel pratiquement vierge. « Il y a eu une première vague d’acquisition de licences, raconte Chafik Laabi. Une deuxième devrait bientôt suivre. » Ce sont principalement des licences pour de grosses radios locales presque régionales. p Chafik Laabi et Talaa Assoud Atlassi de la HACA Deux nouvelles chaînes télévisées ont également vu le jour : Araber, à but éducatif, et une télévision satellitaire généraliste. « Les gens se sentent plus aptes à témoigner auprès de ces radios de proximité, décrit Chafik Laabi. Les tabous ont ainsi été repoussés. On parle de sexe, d’homosexualité, etc. Parfois, nous avons été obligés d’intervenir parce qu’il y a eu des dérapages, mais jamais à cause du sujet. » Le secteur télévisé, lui, est encore assez « jeune ». Peu de téléfilms sont réalisés au Maroc ; la plupart sont importés d’Égypte. Il en est de même pour les séries qui viennent toutes de l’étranger. Cependant, la télévision marocaine se démarque par une émission où un concours a lieu entre plusieurs mariages, le plus réussi étant payé par la chaîne. « Nous n’avons pas encore d’émissions de téléréalité, rigole Chafik Laabi. Mais qui sait ? Un jour peut-être… » ¿ Thibault Coudray Moins de censure, plus de procès L e Maroc a connu une libéralisation au niveau de la presse avec l’arrivée de Mohammed VI sur le trône. Cependant, la vie est loin d’être rose pour les journalistes de l’ancien protectorat français qui reste classé par Reporters Sans Frontières comme une zone difficile pour la liberté de la presse. « Certaines personnes prétendent que la situation de la presse ne s’est pas améliorée quand Mohammed VI a succédé à son père, remarque Youssef Ziraoui, journaliste à TelQuel. Ils pensent même qu’elle a empiré, car les journaux sont la cible de procès de plus en plus nombreux. Leur raisonnement est totalement faussé. Si la presse essuie tant de condamnation, c’est avant tout parce qu’elle traite de sujets qui n’étaient jamais abordés sous Hassan II tellement la censure était forte. » Ce contrôle permanent se reflétait d’ailleurs dans le comportement général de la population. « Les personnes avaient peur durant le règne de Hassan II, confirme Tarik journaliste à emarrakech.info. On parlait tout bas pour ne pas être entendu. » « En fait, il y a trois sujets véritablement tabous au Maroc : le roi, l’armée et le Sahara occidental, énumère Sammy Ketz, directeur de l’AFP Maroc. Les deux premiers sont tellement opaques qu’il n’est pas vraiment utile de les traiter. C’est souvent de la troisième voire quatrième main. Quant au Sahara occidental, on peut le couvrir, mais il faut être extrêmement précautionneux. Chaque mot est explosif. » « La liberté de parole a incontestablement progressé, cependant les acquis restent précaires, avertit Youssef Ziraoui. L’été dernier, par exemple, la police a investi l’imprimerie pour se saisir du numéro de TelQuel qui allait sortir. Il contenait un édito de notre directeur de publication, Ahmed Réda Benchemsi, critiquant le roi. Ce genre de perte sèche est difficile à surmonter. Parfois également, les journaux doivent payer des amendes exorbitantes qui peuvent induire la faillite de la société. C’est le cas pour nos confrères d’El massa qui doivent régler 600 000 € pour avoir divulgué une information fausse, selon les autorités, dans l’affaire Ksar el Kebir [Une chasse à l’homosexuel s’est organisée dans cette ville de 100 00 habitants le 21 novembre 2007 suite à une fête privée où certains suspectaient des mariages homosexuels]. Nous ne sommes donc pas à l’abri d’une poussée de fièvre. » ¿ T.C. Info, la conquête Radio Une émission pour les jeunes et par les jeunes Tous les dimanches matin, la radio régionale de Marrakech est le siège d’un étrange spectacle : ses locaux sont envahis par une horde de jeunes à la conquête de l’émission 10-20, animée par Hassan Benmansour, célèbre poète et animateur marrakchi surnommé « la voix de Marrakech » L ’émission 10-20, émise par la radio régionale de Marrakech, tire son titre de son public : elle est destinée à une tranche d’âge allant de 10 à 20 ans. Mais son créateur et principal animateur, Hassan Benmansour, poursuit un objectif bien plus ambitieux qu’une simple émission s’adressant aux jeunes : il désire leur donner la parole dans une émission qu’ils construisent eux-mêmes. Le fonctionnement est simple : un thème est défini une semaine avant l’enregistrement. Tous les jeunes peuvent ensuite intervenir dans l’émission comme ils le souhaitent et les animateurs sont eux-mêmes des étudiants. « Hassan Benmansour est quelqu’un de très sociable, décrit Aznail Mounir, étudiant en droit p Avec l’émission 10-20, « les jeunes ont trouvé un moyen de s’exprimer » et animateur des premièest vraiment extraordinaire, s’exclame avec enres heures. Il sait parler aux gens et les mettre en thousiasme une jeune animatrice. Tout le monde confiance pour qu’ils parlent à leur tour. Grâce est jovial. On peut piquer un fou rire à l’antenne à lui, les jeunes ont trouvé un moyen de s’exprisans que cela ait d’impormer. » tance ! » Cette atmosphère Et quand le public ne peut veinimitable est une des rainir à la radio, la radio vient à lui. « peut piquer sons du succès de l’émis« Des correspondants se sont, par sion. « On peut le voir avec à un fou exemple, rendus à l’orphelinat afin les « anciens », informe la que les enfants puissent participer dynamique présentatrice. l’ à une émission, raconte l’étudiant. Ils sont désormais sur le C’était très poignant ! » marché du travail, mais resans que cela ait viennent de temps en temps Dès l’entrée dans le studio, » nous dire bonjour. » Cerl’atmosphère a quelque chose d’ tains doivent d’ailleurs leur d’unique. Le public, hétéroclite, réussite à l’émission qui les est réparti de manière anarchique a fait connaître. « Ici on rencontre beaucoup de sur une cinquantaine de chaises et quelques capersonnes, explique Aznail Mounir. C’est très utinapés poussiéreux. Malgré le désordre apparent, le pour ses études. » La jeune présentatrice conclut l’émission se déroule de manière fluide. Les interen souriant : « Désormais, je ne bronche plus venants, dont la moyenne d’âge doit avoisiner 12 lorsqu’il s’agit de se lever tôt le dimanche. » ¿ ans, se succèdent sur le plateau. Des sketches en arabe succèdent à des poèmes en français, avant Thibault Coudray de laisser place à des musiciens… « L’ambiance On rire antenne importance p Au micro, prises de position comme poèmes 29 30 Info, la conquête Information et Internet Blogosphère Tarik Essaadi, roi de l’e-Maroc Un espace de liberté à surveiller ? Tarik Essaadi est un pionnier du web au Maroc. Journaliste, il a fondé « emarrakech.info », le premier portail d’actualité de la ville ocre. Enthousiasmé par les possibilités de communication offertes par internet, il n’a pas fait fortune mais est devenu un acteur incontournable du développement de l’information en ligne au Maroc. A ujourd’hui à la tête du premier magazine électronique d’actualité de la ville de Marrakech, « emarrakech.info », Tarik Essaadi est passionné par Internet depuis son enfance : « À l’époque, l’accès était limité mais c’était une sorte d’eldorado. On pouvait contacter des gens, communiquer… » Autodidacte, il crée la première liste de diffusion au Maroc et conçoit la première page consacrée aux nouvelles technologies dans le journal arabophone « Al Ahdath al maghribya » (Les évènements marocains). p Tarik Esaadi uniques par jour : « Au début, la plupart venaient de l’étranger mais maintenant c’est le Maroc qui, avec 40% des visites, est la première source. » Les possibilités offertes aux lecteurs de réagir et de participer dans les forums de discussions ont fini par faire le succès d’« emarrakech.info ». Fort de ce succès et en s’appuyant sur la diffusion des connexions internet à haut débit dans le pays, le couple marrakchi lance de nouveaux sites. Parmi tant d’autres, « Marrakech news » se consacre exclusivement à Marrakech, « li« Nous avons été le Le bonheur mage.info » traite des médias et premier couple de la liberté de la presse et « Viau cybercafé vre Femme » est dédié à la gent marocain à adopter Signe du destin, c’est dans féminine. Tarik se retrouve à la le télétravail . » un cybercafé, que Tarik Essaadi tête de « Point Info », le premier rencontre Itimat Douitassane, groupe de presse électronique son épouse : « En 1996, le prix au Maroc et réalise à l’occasion de l’heure de connexion était élevé. Comme nous les versions électroniques de journaux existant nous y croisions souvent, ma future femme et moi comme « Jardins du Maroc ». avions décidé de partager la facture. » Ensemble, par passion, ils fondent le site d’information locale Pour la liberté d’expression « Prana News », en 2000 : « Nous avons constaté que les gens nous prenaient au sérieux, qu’il y a Adepte des blogs, Tarik reçoit en 2005 le prix avait une grande soif d’information, surtout en du « Meilleur blog africain pour la liberté d’exprovenance des Marocains de l’étranger. » Tarik pression », décerné par Reporters sans Frontières. et Itimat, encore étudiants, décident l’année suiSon blog en arabe, « e-mouaten.com » (e-citoyen) vante de lancer un portail plus professionnel qui a reçu également des prix nationaux. sera « emarrakech.info ». Journaliste, il arbore fièrement sa carte de presLes trois premières années, le site ne rapporte se : « 4 ou 5 médias électroniques en sont dotés. rien : « Pour vivre nous faisions des piges. C’est C’est un cas unique au Maghreb. » Par contre, les ainsi que nous avons été le premier couple maromêmes médias ne bénéficient d’aucune aide financain à adopter le télétravail. » Après trois ans de cière car la loi qui finance la presse s’intitule « cotraitement de l’information locale, la fréquentamité de soutien de la presse écrite ». Cela ne l’a tion du site stagne : « L’accès internet était encore pas empêché de lancer fin 2007, le petit dernier de cher dans les cybercafés : 100 dirhams de l’heure. la famille, « Al-khabar.info », un portail d’inforPuis il a baissé à 60 puis à 30 pour être maintemation en arabe. ¿ nant à 4 dirhams de l’heure. » Eddy Spann www.emarrakech.info En 2006, nouvelle étape, le site passe à une couwww.marrakechnews.net/ verture nationale et atteint environ 20 000 visites Contraction de blogosphère marocaine, le terme « blogoma » désigne, depuis 2004, le groupe naissant des blogueurs. En 2008, les « Maroc Blog Awards’08 », première consécration nationale, récompensent la communauté considérée comme une des plus dynamiques du Maghreb. I nternet et les blogs ont-ils ouvert au Maroc des espaces de liberté ? Oui, affirme le blog vétéran Larbi.org, lauréat des Maroc Blog Awards’08 : « C’est une vraie révolution, car chacun y va librement de son commentaire sur des sujets aussi sensibles que la monarchie, l’islam, le Sahara. » Tarik Essaadi, fondateur de « blog.ma », la première plateforme de blog gratuite du pays relativise : « L’importance des blogs au Maroc est un phénomène statistique. Il y a eu un mouvement, mais pas de continuité. » Les blogs critiques vis-à-vis des autorités seraient surtout le fait des expatriés : « Au Maroc, les gens ont du mal à exprimer leur individualité. Il n’y a pas de parole engagée. » q Des blogueurs se retrouvent au cyberparc de Marrakech Info, la conquête Tarik Essaadi regrette qu’on ne saisisse pas mieux les opportunités du web au Maroc : « Il y a un accès de plus en plus répandu à internet, mais l’utilisation se réduit au chat et au téléchargement. 70 % des internautes marocains n’ont jamais utilisé le navigateur web. » Selon lui, il existe un vrai défaut de formation qui arrange bien les autorités : « On donne l’illusion de la liberté en donnant accès à internet, mais vous trouvez des gens qui ne touchent pas au clavier avant la licence. » Confiant, il compte néanmoins sur la pression de la mondialisation qui devrait pousser la nouvelle génération à s’y mettre : « Cela va être excitant de surveiller l’évolution. » Mais les autorités évoluent également. Si au début, elles ne prêtaient pas attention à Internet, selon Tarik Essaadi, les choses ont changé à cause de la forte présence de sites islamistes. Internet serait devenu un territoire à surveiller. Le journaliste, jamais inquiété sur « emarrakech.info », constate une plus grande liberté de parole sur internet : « Sur mon site, je peux laisser des commentaires d’islamistes ou du front Polisario. » Mais il nuance immédiatement en expliquant qu’il veille à maintenir la liberté d’expression au plus haut tout en évitant de toucher au pouvoir. Certaines affaires rappellent en effet que ce dernier reste chatouilleux. Rabat n’a pas hésité à bloquer pendant six jours l’accès à « Youtube » où circulaient des vidéos insultant le roi. Même traitement pour « Live Journal », une plate-forme étrangère qui hébergeait des blogs pro-Polisario. En février 2008, Fouad Mourtada, accusé d’usurpation d’identité après avoir créé un faux profil sur le réseau social Facebook, au nom du frère du roi Mohammed VI, a été condamné à trois ans de prison ferme. Après 43 jours d’incarcération, il a finalement bénéficié d’une grâce royale, mais le fait que sa libération ne soit pas due à un verdict équitable rendu par un tribunal restera, c’est certain, dans l’esprit des internautes marocains. E.S. 31 Nouvelles technologies Le web tisse sa toile jusque dans les parcs Unique dans le monde arabe, le cyberparc Arsat Moulay Abdessalam propose le wi-fi et des bornes internet pour… zéro dirham. Ce parc marrakchi, géré par un organisme privé, Maroc Telecom, risque bien de faire des envieux et des petits ! q Un concept unique dans le monde arabe, Internet en plein air L e parc de l’avenue Mohammed V, entre la Koutoubia et le Guéliz, ressemble au premier coup d’œil à tout autre jardin de Marrakech : arbres fleuris, pelouses impeccablement tondues, herbe verte, allées propres et fréquentées par de nombreuses familles marocaines… Sauf qu’à y regarder de plus près, des bornes internet fleurissent aux carrefours des allées, le wi-fi accompagne chaque banc, un cyberpoint fait office de lieu de rencontre et les allées portent le nom de multinationales. Le parc Arsat Moulay Abdessalam est bien unique en son genre. Créé en 2005 sur les cendres d’un jardin du XIXe siècle délabré malgré le succès populaire, ce cyberparc est la propriété, et c’est une exception à Marrakech, d’un organisme privé : l’opérateur Maroc Telecom, privatisé en 2004 et leader marocain des télécommunications. « C’est Maroc Telecom qui prend en charge toutes les dépenses pour Internet et même le jardinage », explique Lassi Nourredine, 45 ans, directeur du parc. « Une stratégie citoyenne » « L’idée est née dans le cadre d’une stratégie citoyenne. Maroc Telecom est une entreprise qui se veut proche des gens, poursuit-il. Le côté Inter- net correspond aux domaines d’activité de Maroc Telecom et le côté environnemental vient du fait que l’entreprise appartient à Vivendi (NDLR Multinationale spécialisée dans les collectivités territoriales). » Ce concept, unique dans le monde arabe, crée un véritable engouement. Un libre accès à Internet, agrémenté d’une gratuité totale, c’est la recette magique qui attire tant de Marocains : « C’est une initiative extraordinaire », continue Lassi Nourredine, entre deux coups de fil manqués. Même quelques Européens en pâlissent d’envie. « Il y a beaucoup de Français qui me disent « on n’a pas cela chez nous !» », rigole Abdelhakim, contrôleur au parc, avant d’ajouter que « grâce à son succès, il n’y a presque plus de détérioration de matériel. Les gens ont pris conscience que le parc est vraiment quelque chose d’important ». Le maire de Marrakech, Omar El Jazouli, qui possède une vue imprenable sur le cyberparc de son bureau, devant ce succès, veut désormais « que tous les parcs de la ville soient dotés de wi-fi. Tous les étudiants pourront s’asseoir sur un banc et se connecter à Internet de leur ordinateur. Et c’est la ville qui paye ! » ¿ Alexis Hontang 32 États d’art De la littérature à la musique en passant par les arts picturaux et le cinéma, le Maroc est une véritable ruche fourmillant de mots, de couleurs et de sons où les arts traditionnels et contemporains se côtoient en parfaite harmonie pour donner naissance à des saveurs uniques. Sans oublier sur le Web www.typomag.net u Yassin Adran, poète avant tout (C.G.) u Ahmed Tandjaoui, bouillon de culture (F.P.) u Groupe rock Hoba Spirit (T.C.) u Heureux qui comme Nabil (A.H.) u Portrait sur toile (A.M.) u Le revers du CD (A.H) u Le fabuleux destin de Mohamed (C.P.) u Calligraphe contemporain (E.S.) Poésie Rachid Mansoum : fils de Marrakech ! Auteur et traducteur, Rachid Mansoum a deux passions : la poésie et Marrakech. Des amours qui sont le fruit d’une intense réflexion sur la vie. Portrait. « Marrakech n’est pas simplement une ville. C’est un poème, un magnifique poème, traduit en plusieurs langues : ses odeurs, son architecture, son mystère, son côté insaisissable, son ombre. Je suis né à l’intérieur d’un poème. » Poète, traducteur, Rachid Mansoum ne s’est que laissé emporter par les flots lyriques de sa ville, en toute modestie. « Il est impossible de ne pas être poète quand on vit à Marrakech ! C’est ma demeure poétique. » « Ce Marrakech-là est en moi » À 33 ans, le poète compte trois recueils à son nom. « Le premier est en arabe, ma langue maternelle, et les deux autres sont en français, la langue que j’aime. » La recherche poétique et intellectuelle est perpétuelle chez Rachid Mansoum. Dans son premier recueil, intitulé « Que la paix soit sur vous, ô sommeilleurs ! », publié en 2005, il compare la poésie Entre deux réflexions, l’auteur aime partir en éclats de rire et son sourire est en permanence sur ses lèvres. Heureux de vivre, heureux d’habiter à Marrakech. « Ma ville est mystérieuse. Elle est comme un papillon incapturable que tu veux t’approprier. Marrakech, c’est mon âme, une âme qui ressemble à un oiseau multicolore que je veux capturer un jour ». au papillon. « Le papillon est une métamorphose Et quand, les bétonnières menacent au loin de défigurer la ville millénaire, il lance convaincu : « Le Marrakech de ma jeunesse, je le garde dans les petites ruelles où j’ai grandi, dans l’odeur du pain qui cuit dans le four, dans les hammams et les jeux quand on courait dans les cimetières pour jeter des pierres. Ce Marrakech-là est en moi, je me déplace avec. Il est dans mon esprit, dans mon imaginaire, il se glisse même dans mes poèmes. Marrakech est partout : dans les formes de la nature, les papillons, les poissons, les virgules, les points, les espaces vides. Un jour, ma ville me conduira à la folie, comme la poésie. » me le papillon. Un deuil pour se régénérer. » Il se Si la cité marrakchie l’a poussé vers la plume, c’était à lui, détenteur d’une licence en littérature et en langue française, de franchir le pas. « La poésie est pour moi un paon de dialogue entre les cultures. À l’époque de Babel, les hommes voulaient se révolter contre Dieu. Ils avaient décidé de bâtir une tour, pour voler la lumière, dans le sens du savoir. En colère, Dieu décida de châtier l’homme en diversifiant les langues. Moi, je pense qu’avant cela, la langue parlée par tous était la Poésie, avec un P majuscule », s’emporte l’écrivain aux yeux noirs éclairés et à la barbe de trois jours. p De grands gestes accompagnent chaque palabre du poète grain de voix, de la passion et de l’emportement. Quand on évoque ses œuvres, son verbe reste réfléchi, posé mais on décèle à présent dans son continuelle de la vie. C’est comme le cycle de la vie : la naissance puis la mort, puis la naissance et la mort. La poésie, c’est l’espoir, la renaissance éternelle, la passion de la vie, la fête, l’amour charnel des choses qui nous entourent. Tout comdit aussi que le poète est un éternel insatisfait. « Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi les ailes du papillon brûlent quand il s’approche trop de la lumière… » Un travail sur la vie En quête de réponses, le Marrakchi pur-sang poursuit ses travaux. Ses deux autres écrits dans la langue de Molière sont des métaphores d’une vie qu’il se plaît à croquer de pleines dents. « Dans « Appâts pour poissons-volants », mon papillon s’est transformé en un poisson-volant. Et dans « Les ailes du silence », la poésie est comme le cheval aveugle, qui malgré ses yeux clos, voit. Dans ce recueil, j’essaie de retranscrire le silence sur papier, le silence de la mort, une expérience intrigante. » Rachid Mansoum est un rêveur, c’est sûr. « Tous les objets ont des ailes. Ma chambre aussi parfois vole ! » ¿ Alexis Hontang En hommage à Ali Baba - souk de Marrakech u États d’art 33 34 États d’art q Larbi Amhir, un musicien touche-à-tout de 23 ans, gérant d’une boutique Courants Quand la musique sonne... Pendant les fêtes, dans les maisons, au coin d’une rue ou sur une place publique… Au Maroc, la musique se partage avec plaisir. Larbi Amhir, gérant d’un magasin de musique et musicien, évoque les courants musicaux au Maroc, des plus anciens aux plus récents. C Musique gnaoua ’est la spécialité de Larbi qui explique son histoire : héritage des anciennes colonies d’Afrique noire, la musique gnaoua est arrivée au Maroc au XIIe siècle et s’est intégrée à la culture marocaine pour en devenir une partie indispensable. « Le gnaoua, c’est l’histoire et les légendes de mon pays », commente Larbi. Une musique spirituelle servie par des percussions telles que les qraqech (sorte de castagnettes), les tamanis (djembé en céramique ou en métal) et des instruments à cordes comme l’aoud. Joué pour toutes les occasions, le gnaoua est chaque année à la fête en juin, lors du grand festival de la ville d’Essaouira. Musique berbère « Assez complexe », d’après Larbi, car très variable selon les régions, la musique berbère se différencie des autres par son association de danse et de musique. Les orchestres jouent du lotar, du rehab (instruments à cordes), de la kamanja (violon), du bendir (tambour recouvert d’une peau de chèvre), des percussions métalliques… Dans la région du Sous, les danses sont de petits trépignements de pieds tandis que, dans la région du Guelmim, l’art réside dans les mouvements de bras et de mains. Les charmeurs de serpents pratiquent, eux aussi, une musique issue de la culture berbère : avec une nira (flûte de six à huit trous) et un bendir, ils perpétuent la tradition des bergers en jouant une musique censée hypnotiser les reptiles. Spécialité 100 % marrakchi : pendant un mariage au moment où le mari offre les cadeaux à sa femme, on joue la « daka lmarachia », autrement dit la musique des charmeurs de serpents. Musique chaabi Le châabi, est un courant populaire, « un souffle nouveau pour la musique marocaine », comme le qualifie Larbi. Depuis les années 70, il est le symbole d’une jeunesse en pleine effervescence grâce p De haut en bas, tamanis, xylophone et qraqechs à des groupes connus comme Nas el Ghiwane ou Jil Jilala. Le principe : reprendre les rythmes et instruments traditionnels en s’inspirant de la musique d’autres pays arabes, du folklore marocain et des variétés occidentales. Mais c’est surtout, comme le rappelle Larbi, « mettre en chanson la vie de tous les jours » sur des airs de banjos et de darbuqqa (percussion en terre cuite recouverte d’une peau de mouton). Le melhoun La musique andalouse a été importée au Maroc au XIe siècle par les Arabes expulsés d’Espagne. États d’art Elle est devenue une tradition musicale appelée « al-âla » à Fès, Tétouan mais aussi Rabat et Oujda. « Le melhoun, c’est un style musical où la poésie, très complexe, est chantée en dialecte arabe et domine sur les instruments », explique Larbi qui pratique cette musique. Le chanteur soliste est accompagné d’un orchestre composé d’un aoud, d’une darbuqqa et de petites cymbales digitales appelées nouiqsat. Autres courants Depuis une dizaine d’années, de nouveaux courants musicaux se créent à partir de musique traditionnelle. « Le rap marocain utilise le gnaoua et puis il y a aussi les jeunes avec des instruments électriques comme la guitare, la batterie qui font une sorte de gnaoua moderne qui ne plaît pas à tout le monde », détaille Larbi. Le raï, venu d’Algérie, rencontre un franc succès dans l’Est du Maroc. Il est inspiré de la tradition melhoun : le mot « raï » signifie « opinion », « point de vue ». « Les chanteurs racontent leurs malheurs et prodiguent des conseils dans leurs chansons pour ne pas que ceux qui les écoutent fassent les mêmes erreurs », commente Larbi, en connaisseur. 35 Rencontre Sans frontières À la suite d’une rencontre entre un musicien français et un marocain, l’ensemble « Al âla » du conservatoire de Dijon s’est rendu au Maroc, au mois d’avril dernier, afin de se produire à l’Institut français de Marrakech. L ’ensemble « Al âla » du conservatoire de Dijon est avant tout composé d’élèves ayant suivi p Une choriste lors du concert donné à l’Institut français de Marrakech des cours de musique arabo-andalouLes instruments qui accompagnent le raï sont se. Seize étudiants ont eu la chance âla » du conservatoire de Dijon, deux musiciens : l’oud, l’accordéon, le banjo et, depuis une quarande partir une semaine au mois d’avril dernier, dans Emmanuel Kirkal et Youssef Kassimi Jamal. taine d’années, des instruments modernes tels que le but de donner un concert à l’institut français le synthétiseur ou la boîte à rythmes. ¿ « L’idée était de rassembler deux pays, deux de Marrakech. À l’origine de la rencontre, entre cultures différentes à travers la musique de sorte la chorale marocaine Jossour et l’ensemble « Al Anabelle Bourotte qu’il n’y ait plus de frontières entre eux », explique Emmanuel, le chef d’orchestre de l’ensemble. Mais avant le « jour J », il a fallu beaucoup de temps pour mettre en place le projet. L’ensemble a en effet dû faire beaucoup de concerts en France, en plus de la participation financière des parents d’élèves, afin de réunir la somme nécessaire pour pouvoir venir jouer au Maroc. « La ville de Dijon a également participé au financement », ajoute le chef d’orchestre. u détour d’une rue du souk retentit le son d’une musique rythmée, envoûtante, venant d’un petit magasin coincé entre deux murs, ornés de plusieurs dizaines d’instruUne fois la somme nécessaire réunie, les jeunes ments. On y découvre un homme affairé à jouer avec ardeur des airs traditionnels : c’est Dijonnais ont commencé à préparer le programme Larbi Amhir, jeune musicien touche-à-tout de 23 ans et gérant d’une boutique de musique. du concert dès le mois de novembre. Avec applicaLe virus de la musique, il l’a attrapé très vite, initié à la pratique de l’aoud (sorte de guitare), du banjo et tion, ils ont répété jusqu’à être fin prêts au moment de certains instruments à percussion tout jeune. « La musique c’est une histoire de famille ! » dit Larbi, de poser le pied dans le royaume. le sourire aux lèvres, en regardant son jeune frère de 17 ans Mohammed. L’aîné lui a d’ailleurs trans« Sur place, nous avons tous été hébergés dans mis sa passion et le jeune garçon s’est spécialisé dans le maniement de toutes sortes de percussions : le même riad, c’était très convivial », confie Emdjembé, tamaris, qaraqebs (castagnettes métalliques). manuel. Mais pas le temps de profiter pleinement du soleil marocain et de jouer les touristes. Arrivés Plus qu’une passion, une vie samedi, les jeunes musiciens ont dû répéter dimanÀ 19 ans, Larbi a repris la petite boutique d’instruments de son père dans les souks qui bordent la che et lundi avec la chorale Jossour afin d’effecplace Jamaâ-El-Fnâ. « Ca me permet de vivre en permanence avec la musique : travailler musique, tuer les dernières modifications pour être fin prêts parler musique », déclare-t-il, très enjoué. « En ce moment, il y a un retour de la musique traditionle « Jour J » venu. nelle chez les jeunes, une sorte de recherche des origines », ajoute-t-il, rappelant que cela permet à sa Après cette expérience marocaine, Emmanuel boutique de tourner de plus belle. Il décide en 2005 de monter un groupe : Magic Music où il joue de Kirkal a d’ores et déjà d’autres idées en tête. l’aoud, son frère du darbuqqa et quatre autres musiciens des percussions. « Magic Music c’est mon « J’aimerais pouvoir faire rayonner ce type de rêve enfin réalisé ! », lance-t-il en montrant fièrement un portrait de son groupe en plein concert. Très projet et pourquoi pas le poursuivre dans tout le hétéroclite, le groupe s’ouvre à tous les styles de musiques traditionnelles : de la musique gnaoua - leur Maghreb, il y a beaucoup de choses à faire avec spécialité - à la musique berbère. « Comme ça, on peut plaire à tout le monde ! », aime-t-il à affirmer. ces pays francophones ! Mais pour l’instant, je Les musiciens jouent ensemble régulièrement pour le plaisir, mais également lors de mariages, dans souhaite avant tout faire durer les liens avec le des hôtels et des bars. Larbi a dédié sa vie à sa passion dans un but simple, mais précis : « J’ai fait de Maroc et surtout avec la chorale Jossour. De plus, la musique mon métier, mais je ne cherche pas la gloire. Je veux juste faire découvrir à tout le monde nous avons été retenus par la fondation Hassan II le plaisir que l’on peut prendre à écouter ou à faire de la musique. » ¿ pour revenir jouer au Maroc… » ¿ A. B. Cécile Pasquet La musique, c’est Magic avec Larbi A 36 États d’art Rap traditionnel Fnaïre et la main de henné Originaire de Marrakech, le groupe de rap traditionnel Fnaïre brasse des rythmes puisés dans le patrimoine marocain. Les rappeurs, qui revendiquent leur identité marocaine, ont séduit un large public avec un message positif et engagé, illustré par le concept de la main de henné. F ormé en 2002, le groupe de rap Fnaïre est devenu un phénomène au Maroc. Le message véhiculé par les rappeurs marrakchis a su rassembler au-delà du traditionnel public amateur de rap. Élu meilleur groupe du Boulevard des Jeunes Musiciens en 2004, Fnaïre allie mélodies traditionnelles marocaines et beat-rap dans un mélange baptisé « rap teklidi (traditionnel) ». Après un premier album en 2003, trois des morceaux de leur dernier opus, Yad El Hanna (La main de henné) sont devenus des tubes à la radio. Mohcine Tizaf, MC Achraf, MC Khralifa et DJ Belqas ont trouvé leur propre style. Pas de grosses voitures, de bimbos ou d’insultes dans les clips de Fnaïre : « Dans le clip de Yad El Hanna qui a été tourné dans le désert, nous avons voulu montrer les Marocains de tous les jours », explique Mohcine Tizaf, le chanteur du groupe. On y aperçoit également tambourins et instruments de la musique populaire gnawa. « Nous voulons vraiment contribuer à la culture marocaine et ne pas tomber dans le copier-coller », affirme Mohcine Tizaf. Bahjaoui attitude et main de henné Les paroles en darija, le dialecte arabe marocain, abordent des sujets diversifiés, chargés de messages d’amour et de paix. « Dans nos albums, nous parlons des trésors laissés par nos grands-parents, de la conscience, des accidents de la route… Nous voulons faire du rap qui dit des choses sérieuses et que l’on peut écouter en famille. » Dans une chanson sur le sida, Fnaïre demande ainsi aux familles d’enlever le tabou sur la maladie pour mieux en parler aux enfants. tous les jours, dans une perspective optimiste. » Mohcine dénonce ceux qui critiquent le pays sans jamais rien faire pour lui : « Si j’aime vraiment mon pays, alors je dois m’impliquer pour le changer ! » Épris de tradition, patriotique, il ne boit pas, ne fume pas. Voici donc venu le temps du rappeur gendre idéal… ¿ Eddy Spann * En juin dernier, Hicham Belkacem, membre du groupe Fnaïre est mort dans un accident de la circulation, après avoir participé au festival des musiques sacrées de Fès. Hicham Belkacem, alias DJ Belqas, était âgé de 23 ans. Site officiel de Fnaïre : www.myspace.com/fnairep Fnaïre signifie « Lanternes» en français » (photo fournie par le groupe) maroc « Le piratage n’a pas tué la musique » B Mohcine Tizaf prône la « bahjaoui attitude », une « positive attitude » locale. Fnaïre, qui signifie « lanternes » a trouvé la lumière avec la philosophie de la main de henné : « La main de henné, c’est la main de l’amour. Pour construire un Maroc propre, il faut que chacun tende la main de l’amour », explique Mohcine. Et d’insister sur l’authenticité, l’exemple que chacun doit donner. ête noire des maisons de disques, le peer to peer (littéralement le « poste à poste ») a connu une véritable explosion avec l’arrivée du haut débit. Ce mode de partage de fichiers est une véritable mine de piratage, activité particulièrement développée au Maroc. Redda Allali, membre du groupe Hoba Hoba Spirit, en dresse un portrait en demi-teinte. « Quand on parle de quelque chose, on commence toujours par le positif », explique Mohcine Tizaf qui renchérit : « Les jeunes se retrouvent dans cette musique parce qu’elle parle des problèmes de « Dans un monde idéal, le piratage ne devrait pas exister, pose-t-il. Mais c’est grâce à lui, que les groupes qui jouaient dans leur quartier ont pu se faire connaître au Maroc et même à l’étranger. Nous sommes une dizaine de groupes à être le fruit de cette expérience. Le piratage n’a pas tué la musique, il a participé au développement de musiques auxquelles les maisons de disques ne s’intéressaient pas. Pour pérenniser ces acquis, il est absolument urgent que les fonctionnaires et les politiciens mettent de l’ordre dans le système. Qu’a-t-on fait pour encourager la musique légale ? Pas grand-chose. Maintenant que les artistes sont sortis de l’ombre, il faut leur permettre de vivre décemment. Notre groupe n’a vendu que 4 000 exemplaires de son premier États d’art 37 Industrie du disque D-Cibel ne joue pas en sourdine D-Cibel studios est un prestataire de services pas comme les autres : en plus de garantir à l’artiste un environnement de qualité, ce studio de musique se démarque par ses chansons caritatives, une initiative unique au Maroc. « liant l’agréable à l’utile, c’est un véritable appel à la mobilisation en faveur des personnes atteintes de trisomie 21. Cette mélodie est associée à un clip où les gros plans des visages des trisomiques se mêlent à merveille aux sourires échangés entre artistes et handicapés. En se lançant dans la chanson caritative, D-Cibel studios a réussi à faire grand bruit dans l’incessant concert de l’industrie du disque marocain. Pourtant, ce jeune studio de Casablanca n’en était pas à son coup d’essai dans le domaine. « On a commencé avec l’association de lutte contre le cancer du sein, présidée par la femme du roi, Lalla Salma », explique Mohammed-Kamal Toufik, directeur général de D-Cibel, avec ses faux airs de Gérard Darmon. Face au succès médiatique de son dernier opus, le directeur assure pourtant que « DCibel ne cherche pas le gros coup ». On le croit. Le clip est passé au moins dix fois à la télévision dès le premier jour ! On avait aussi réussi à mettre les radios sur une même longueur d’onde pour pouvoir diffuser notre chanson à 8 heures la même journée ! Imaginez quelqu’un qui se réveille et qui, en allumant sa raLes dio, retrouve la même chanson sur toutes les chaînes ! » Dans marocaines les locaux du studio D-Cibel, Nabil Khalidi, 49 ans, ne cache pas sa satisfaction. stars Cette action, forte de son petit air de famille avec les Enfoirés français, s’est facilement concrétisée : les stars marocaines se sont succédé au palier du studio casablancais, niché incognito dans un quartier résidentiel de la métropole, pour venir clamer leur soutien pour les trisomiques 21 : « On a réussi à faire venir 30 chanteurs, de la plus grande diva au rappeur pur et dur, Bigg. Tous venus spontanément », se réjouit Mohammed-Kamal se sont succédé au palier du studio casablancais La chanson dont il parle, c’est celle qu’il a composée avec Malek, en faveur de l’association ANAIS (Association Nationale pour l’Avenir des Inadaptés Scolaires). Un succès retentissant pour leur studio D-Cibel qui dépasse le simple cadre de la musique : en al- q Sur les enceintes trône un trophée : la récompense offerte à chaque artiste pour l’opération ANAIS p Nabil Khalidi, directeur de D-Cibel Toufik, une silhouette frêle qui gesticule dans tous les sens quand il s’agit d’évoquer sa passion pour la musique. Face à ce handicap qui ne commence à faire parler de lui que depuis peu au Maroc, la pression sur leurs épaules devait être énorme. Pourtant, le poignet de Malek et Nabil Khalidi n’a pas flanché, loin de là. « L’inspiration est venue toute seule », raconte le second, qui, casque aux oreilles et luth à la main, apparaît dès la première image du clip, en compagnie de son acolyte. « Le plus difficile était de trouver les mots justes. Il fallait toucher les gens. » En trois jours, l’affaire était bouclée. Au final, une chanson, savante symphonie mélangeant des timbres opposés, est un hymne envoûtant en trois langues : l’arabe, le berbère et le français. Dans la bouche de ces deux membres, le côté bienfaiteur de D-Cibel arrive même à éclipser le but premier du studio. Mohammed-Kamal Toufik, une liste de contacts aussi longue qu’un jour sans pain sous le bras, a pourtant réussi à faire de DCibel la plaque tournante des artistes marocains : « Nous sommes des prestataires de services, nous apportons à l’artiste un savoir-faire. Nous pouvons être auteur, compositeur, arrangeur, coach pour l’artiste, rappelle-t-il. Désormais, on choisit D-Cibel. Au sein du studio, nous avons des atomes crochus et quand on travaille, c’est souvent avec des amis. » Dans le concert des studios de musiques marocains, D-Cibel a trouvé sa place. Jouez maestro ! ¿ Alexis Hontang 38 États d’art En studios q Depuis1984, des films à la renommée internationale ont vu le jour dans l’Atlas Corporation Studio Ouarzazate, cité du cinéma Un espace qui s’étend à perte de vue, une luminosité idéale, une main-d’œuvre locale abondante et peu chère… Ouarzazate a tout d’un paradis pour les cinéastes internationaux. O uarzazate est le théâtre des réalisations de blockbusters étrangers, depuis les années 50. En 1961, Peter O’toole y joue Lawrence d’Arabie de David Lean. En 2000 y sont réalisés Astérix Mission Cléopâtre et le film Gladiator de Ridley Scott. Cette étendue désertique ponctuée de masses rocheuses séduit aussi nombreux documentaristes de la BBC et du National Geographic, sans oublier les publicitaires marocains. Une Commission du film vient d’être créée pour faire de Ouarzazate un pôle de l’industrie cinématographique d’Afrique. Elle vise la création d’un label Ouarzazate, signalant son expérience et sa légitimité cinématographiques à l’instar de Warner Bros Studios ou Dreamworld City Film. Le complexe des studios de Ouarzazate se divise en trois : les studios CLA, Kanzaman et les studios Atlas construits en 1986 qui sont les seuls ouverts aux visiteurs. Ces derniers se composent de sept plateaux de tournage, de menuiseries, ferronneries, plâtreries pour les besoins en décors. Les studios se louent pour deux semaines voire jusqu’à deux mois. Bernard Rose est le directeur des lieux depuis huit ans. Cet homme d’une cinquantaine d’années, ex-businessman en France, « gère les locations, le matériel, le personnel et la restauration des décors qui est très coûteuse ». Cette industrie cinématographique a accéléré la création d’emplois directs et indirects, des unités d’hébergements touristiques et de restauration aux agences de locations de transports. La majorité des techniciens et des décorateurs employés sont par ailleurs des artisans locaux ou venus d’autres villes du royaume. Mais les architectes qui dessinent les décors sont étrangers. « Les techniciens sont en moyenne rémunérés 300 à 350 dirhams par jour, un figurant marocain 150 dirhams par jour », livre M. Rose. C’est 700 dirhams de moins qu’un figurant étranger pour le même temps de travail. Pendant les périodes de tournages, les responsables de casting emploient les habitants pour de la figuration. Monaïm Idriss, guide à la Kasbah de Taourirt livre ses expériences : « J’ai commencé la figuration à 13 ans et j’étais rémunéré 30 dirhams par jour puis j’ai joué un prêtre dans Astérix où j’étais rémunéré 120 dirhams pendant 20 jours. J’ai été machiniste, gardien, j’apportais aussi le café…» A ses côtés, cinq autres guides de la Kasbah ne partagent pas son enthousiasme : « On est exploités par ces grosses prod’, on est mal rémunérés et parfois pas du tout ! » « Ouarzazate est une place privilégiée et très convoitée par les cinéastes internationaux parce que la main-d’œuvre et la location des studios sont moins chères qu’ailleurs », confirme M. Rose. ¿ Charline Poisson En bref Festival International du Film de Marrakech La huitième édition du Festival International du Film de Marrakech (FIFM) se tiendra cette année du 14 au 22 novembre 2008. Les plus grands cinéastes, à l’image de Martin Scorsese en 2007, honorent désormais ce grand rendez-vous international du cinéma. www.festivalmarrakech.info Sauvons le cinéma au Maroc « Sauvons le cinéma au Maroc » a pour objectif de mettre en place des campagnes de sensibilisation autour de la survie des salles de cinéma au Maroc, menacées par le piratage des films. Tarik Mounim, président de l’association, écrit : « Le cinéma marocain a façonné notre histoire. Ces images qui maintenant nous font sourire, pleurer, réfléchir et nous font souvent évoluer. Ces écrans ne doivent pas disparaître et connaître l’oubli ! Au nom de tous les Marocains, ne privons pas notre génération et celles de demain de la diversité culturelle et de la proximité de ce spectacle p Collection du musée du cinéma magique dans ces lieux mythiques. » www.savecinemainmarocco.com Seize neuvième Depuis décembre 2007, le magazine de cinéma 16/9ème, entièrement fabriqué au Maroc, est distribué dans le royaume ainsi qu’en France. 16/9ème est l’œuvre du photographe de mode Karim Ramzi et de sa sœur Nadia en charge de la rédaction. En faisant appel à des collaborateurs journalistiques et académiques du pays, le magazine permet de donner une voix marocaine à la critique de cinéma. www.seizeneuvième.com Mme le ministre Touria Jabrane Kryatif est la première comédienne dans le monde arabe à occuper le portefeuille de ministre de la Culture. Nommée ministre de la Culture le 15 octobre 2007, elle est née à Casablanca en 1952. www.minculture.gov.ma/ États d’art 39 Cinéma marocain Un cinquantenaire plein d’avenir Le cinéma marocain, qui célèbre cette année son cinquantenaire, est dans une situation paradoxale. Depuis « Le fils maudit » de Mohamed Ousfour en 1958, il a parcouru bien du chemin, a conquis les festivals internationaux mais peine à toucher les cœurs et les guichets marocains. D e Canne à Venise, les artistes marocains ont su se faire une place dans les festivals de cinéma. Le nombre de films produits par le Maroc ne cesse d’augmenter mais simultanément, l’industrie cinématographique du pays doit gérer la fermeture de nombreuses salles. Alors qu’en 1990, l’Unesco recommandait 800 salles pour 25 millions d’habitants, en 2008, le Maroc n’en compte qu’une soixantaine pour 30 millions d’habitants. Des quatorze salles à Marrakech, seules sept ont survécu. Pire, Ouarzazate, la ville du cinéma, est sans écrans ; les deux salles ont fermé. Des salles obscures et désertées Selon une étude du centre cinématographique marocain (CCM) qui révèle que 60 % des Marocains ne vont au cinéma qu’une fois par an, voire jamais, le cinéma ne ferait pas partie des habitudes de loisirs du pays. Les causes ne manquent pas. Les autorités ne semblent pas pressées de combattre les revendeurs de DVD dont les boutiques ont pignon sur rue. À l’exception des films marocains, plus difficiles à dénicher, l’acheteur y trouve toutes les dernières nouveautés. La désaffection du public s’explique également par l’équipement en paraboles, la vétusté des salles, les projections médiocres, le fait qu’il est encore mal vu par la société d’aller au cinéma et que des films à 15 ou 20 dirhams restent inaccessibles pour un étudiant. Enfin, il y a les comportements incivils : « Dans une salle populaire, on ne peut pas aller en famille. Les cinémas sont devenus des espaces de débauche ; on y trouve prostitution et drogue», déplore Youssef Aït Hamou, professeur à l’école supérieure des arts visuels de Marrakech. Selon lui, il faut également réconcilier les artistes qui ont opté pour le cinéma d’auteur et le public qui lui a fait le choix d’un cinéma « commercial ». Ouarzazate, l’Hollywood du Maroc L’avenir paraît plus serein du côté des productions étrangères au Maroc. « Le Chevrier marocain » de Louis Lumière, inaugure en 1897 une tradition de tournages étrangers au Maroc. Dans les années cinquante, le pays devient une terre d’accueil pour le cinéma et l’industrie cinéma- tographique prend son essor en l’an 2000 avec l’ouverture de studios de tournage aux normes internationales : Aux confins nord du Sahara, la ville de Ouarzazate devient alors l’Hollywood du Maroc. La région doit son succès à la variété des paysages, de l’architecture, à la luminosité et à la diversité des populations disponibles pour la figuration. Les cinéastes de demain Le Maroc, qui ambitionne de devenir la première puissance cinématographique du continent, manquait de cadres et de techniciens. Pour éviter le recours systématique aux étrangers à chaque fois qu’il y a besoin d’un script ou d’un ingénieur du son, le Maroc a investi dans la formation. Une école de cinéma, construite dans ses studios Kanzamane à Ouarzazate est opérationnelle depuis février 2004 et un institut des métiers du cinéma a également ouvert en 2006 dans la même ville. Quant à l’école supérieure des arts visuels de Marrakech, elle veut former des techniciens, mais aussi contribuer à faire naître la prochaine génération d’artiste. D’après George Lucas, « les cinéastes sont les conteurs d’aujourd’hui ». Avec une culture et une tradition millénaire dont le fleuron est l’art du conte, les Arabes et des Berbères du Maroc ont bien raison de vouloir être les cinéastes de demain.¿ Eddy Spann Le musée du cinéma, toute une histoire O uvert en juillet 2007 au cœur de la ville de Ouarzazate, le musée du cinéma expose les décors de multiples films tournés dans cette région du Maroc. Ces décors sont uniquement réalisés en plâtre, bois et résine, ce qui est loin d’empêcher l’illusion d’avoir affaire à de vrais lieux, parfois plus réels que des vrais. Ce musée laisse également voir, dès votre arrivée, trois monuments reflétant les trois principales religions : une église pour les chrétiens, un minaret pour les musulmans et le fameux chandelier juif. Toutes ces créations sont le fruit du labeur des artisans du cinéma ouarzazi. Ils sont conservés et exposés pour démontrer leur grand talent, mais aussi dans une optique de réutilisation, qui sait pour une prochaine production… En plus de tous ces décors plus que réalistes, sont exposés et conservés les costumes ayant servi dans divers films. Ainsi dans ce temple du cinéma, vous pourrez observer et reconnaître les lieux et costumes de nombreuses productions telles que « Kingdom of Heaven », « Gladiator », « Indigènes », ou encore « Babel » : des reproductions de salle du trône, de petits villages de la Rome antique, ou encore des chars de bataille… Un musée qui sait mettre en avant le talent de ses ouvriers locaux et le faire partager… ¿ q Le musée du cinéma, installé dans un ancien studio italien, joue la carte de l’illusion François Perez 40 États d’art Youssef Aït Hamou Ecole des Arts visuels À la poursuite du Pour un cinématographe regard neuf Youssef Aït Hamou, 48 ans, est dingue de cinéma. Enseignant, conférencier, auteur et critique, ce géant sympathique est une encyclopédie vivante du cinéma marocain. Y oussef Aït Hamou, grand gaillard toujours souriant aime parler de cinéma. Les titres des films marocains « qu’il faut absolument voir » fusent. Enseignant à l’école supérieure des arts visuels de Marrakech, il est tombé dedans quand il était petit. À l’âge de six ans, il traînait dans les cinémas de quartier : « Mon père était agent de sécurité et on lui confiait toujours les salles de ciné. » Plus tard, au centre culturel de français, il échange des résumés de livre contre des chocolats et des tickets de cinéma. Il se souvient des projections de courts métrages qui coûtaient 20 centimes d’euros dans les années soixante et du cinéma en plein air, où, depuis les toits du quartier, il pouvait regarder gratuitement les péplums et les westerns. ont besoin de se voir dans des films. Et puis en cinquante ans, le cinéma marocain a évolué d’un cinéma nombriliste vers un cinéma plus proche du public. » Il regrette cependant que l’accès aux films marocain soit encore sporadique. Sur le continent, le cinéma marocain est principalement en concurrence avec l’Égypte, le Burkina Faso et l’Afrique du Sud : « Les autres pays ont pris le départ avant nous. » Le cinématographe a été introduit il y a 100 ans au Maroc, mais ce n’est que depuis 50 ans que le cinéma spécifiquement marocain a vu le jour : « La résistance au colonialisme a inclus la résistance au cinéma. La religion, qui interdisait l’image, a également été un frein. » Une quarantaine d’années plus tard, ses recherches portent sur la « réception filmique » du public marrakchi : « Les habitudes de consommation en salle sont très spécifiques. On reconstitue Jamaâ-El-Fna dans la salle de ciné : On y va en groupe, on réagit très fort, on s’adresse au projectionniste… Et puis on ne pYoussef Aït Hamou connaît pas les noms des acteurs alors, avec une culture orale très « Avant, les imagée, cela donne « l’homme conteurs avaient au tapis » pour Clint Eastwood des tam-tams ; ou encore « tête chauve » pour Kojak. » maintenant, ils ont Youssef constate que l’Égypte domine culturellement le monde arabe, que ce soit pour le cinéma ou la littérature, mais « c’est toujours les mêmes poncifs et c’est peut-être la chance du cinéma marocain ». Youssef est convaincu que le cinéma marocain possède de nombreux atouts : « En puisant dans l’amazirité (origine berbère), on trouve des choses qu’il n’y a pas dans l’arabité. Et puis, contrairement au cinéma égyptien qui est basé sur les stars, au Maroc, on joue sur les réalisateurs et le récit. » des caméras ... » Le public marocain est friand En plus, les Marocains sedu cinéma de Bollywood : raient narratifs de naissance : « Avant 1961, au Maroc on pou« Le Maroc a une tradition du récit. Avant les vait voir beaucoup de films égyptiens. Mais pencompteurs avaient des tam-tams, maintenant ils ont dant la guerre des sables entre le Maroc et l’Aldes caméras. » Tout se jouerait dans la formation : gérie, l’Égypte s’est rangée du côté de l’Algérie, « Avant, les cinéastes étaient formés à l’étranger et du coup un embargo a été décrété sur toute la ou bien sur le tas. Mais avec des réalisateurs, viculture égyptienne. » C’est le cinéma hindou qui vant pour la plupart à l’étranger, le cinéma n’ara alors pris la succession, comme en témoignent rive pas à s’approprier l’accent marocain. » La aujourd’hui à Marrakech, les trois salles dédiées mise en place de formations au Maroc devrait au cinéma de Bollywood. Dans un de ses cours, changer les choses : « Nous sommes à un tournant Youssef effectue un rapide sondage : la moitié des de l’histoire du cinéma marocain. Nous allons douze élèves a plus de facilité à citer des noms former des cinéastes de qualité dans le pays. Une d’acteurs indiens plutôt que marocains. génération à l’écoute du Maroc et du monde. » ¿ Mais ces derniers temps il constate un engouement pour le cinéma marocain : « Les Marocains Eddy Spann L ’école supérieure des arts visuels (ESAV) de Marrakech souhaite « faire naître une nouvelle génération d’artistes et de professionnels du cinéma, de la télévision et du multimédia au Maroc ». Ouverte en 2006 et financée par la fondation Susanna Biedermann, en partenariat avec l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, la jeune école répond aux besoins pressants de ressources humaines qualifiées dans l’industrie cinématographique locale. Avec les 6 millions d’euros de la fondation Susanna Biedermann, le directeur de l’école, Vincent Melilli, ancien directeur de l’institut français de Marrakech, a vu les choses en grand. L’ESAV abrite près de 9 000 mètres carrés de plateaux de tournage, de studios de montage ou d’enregistrement, de salles de projection… Noura Mouttata, 19 ans veut devenir ingénieur du son. Étudiante depuis un an dans la section cinéma, elle est consciente des conditions de rêve qu’offre l’école. Parmi les parrains prestigieux de l’école on compte Jean Pierre Jeunet et Wim Wenders et dans la liste des intervenants on trouve Faouzi Bensaïdi, l’étoile montante du cinéma marocain, réalisateur de « What a Wonderful World ». Avec la crise des cinémas au Maroc, fermetures et délabrement des salles, l’ESAV est devenue un véritable opérateur culturel à Marrakech. Ses deux salles de cinéma, l’une d’une capacité de 210 places et l’autre en plein air, sont ouvertes gratuitement au public et projettent régulièrement des films : « L’ESAV est le seul espace pour regarder un film dans de bonnes conditions et offre en plus la possibilité de discuter du film après la projection. Quand il y a un film marocain, la salle est comble », assure Youssef Aït Hamou, enseignant de l’école. « L’ESAV veut développer la maîtrise technique nécessaire aux différents métiers du cinéma tout en mettant l’accent sur la formation du regard d’artiste des étudiants », assure Véronique Bruez, directrice des partenariats. Rendez-vous est pris avec les deux premières promotions de l’école, qui, espérons-le, feront rapidement le bonheur des spectateurs. ¿ www.esavmarrakech.com E.S. La femme et l’enfant - Souk de Casablanca États d’art 41 42 1001 facettes Pérénisant ses traditions, balayant des secteurs aussi vastes que l’architecture, l’artisanat ou la gastronomie, les Marocains expriment un savoir-faire unique et réputé. Un univers à découvrir quartier des tanneries à Marrakech comme au coeur d’une maison de Meknès ou au coin d’une rue de l’Atlas. Sans oublier sur le Web www.typomag.net ¿ Judaïsme u Quand les portes d’une synagogue se referment (J.B.) u Une brève histoire des juifs marocains (J.B.) u Juifs et Marrakchis ? Sans problèmes ! (J.B.) ¿ Mais aussi... u Doigts de fée et cœur en or (C.P.) u La passion du bois partagée (E.M.) u Saïd, un savoir fer de longue date (S.B.) u L’eau de vie entre permission et ... (J.B.) u On occidentalise le Caftan (T.C.) u Boire en liberté provisoire (E.S.) u Cuisine marocaine : épices et tout (F.P.) q La salle de relaxation, dans une ambiance feutrée Soins du corps Parce que le hammam, c’est bon pour la santé Lieu de détente et d’échange, le hammam est entré dans la tradition marocaine avec l’islam, un musulman devant être en état de pureté rituelle pour ses cinq prières quotidiennes. Venant des pays chauds et secs tels que le Maroc, la Tunisie ou encore la Turquie, les hammams sont réputés pour leurs bienfaits sur notre corps. Tour d’horizon des différents hammams marrakchis, du plus traditionnel au plus moderne. « Le hammam est un moment de calme, de détente, de sérénité et c’est très bon pour la santé », insiste une employée dans un hammam traditionnel situé au cœur du Guéliz. Le principe d’un hammam est d’éliminer les toxines et impuretés du corps par le biais de la sueur. « C’est bon pour la respiration. Mais il ne faut pas faire de gommage trop souvent, une fois par semaine suffit. Sinon, ça irrite la peau », rajoute-t-elle. Ces « bains à vapeurs » sont issus des pays chauds tels que le Maroc, mais également la Tunisie ou encore la Turquie. Traditionnellement, un hammam est chauffé au bois et se compose de quatre salles différentes : le vestiaire, la salle froide, où il fait quand même plus de 30°, la salle tiède et la salle chaude. « Les gens arrivent dans le vestiaire puis viennent chercher le matériel nécessaire s’ils ne l’ont pas déjà. Ensuite, ils passent dans la salle froide où ils appliquent le savon noir sur leur corps et le rassoul pour le visage et les cheveux. Puis ils passent petit à petit dans les autres salles plus chaudes et finissent par se rincer dans la salle à vapeur avec un gant de crin ou une pierre ponce », expliquent les membres du personnel du hammam Semlalia. Demain, on se fait un hammam ? C o m m e l’Islam recommande la pureté des corps pour les cinq prières quotidiennes, les musulmans vont au hammam au moins une fois par semaine. « Mais maintenant, surtout dans les campagnes, beaucoup de familles font leur hammam eux-mêmes », déclare Sofia, une jeune marocaine de 18 ans. « Ils se lavent et se font les gommages eux-mêmes, en famille. C’est plus convivial », précise-t-elle. Pour tous ceux qui continuent à aller dans les hammams régulièrement, les hommes et les femmes sont séparés. « Pour qu’il soit efficace, un hammam doit durer au moins une heure, mais la plupart des femmes qui viennent en petit groupe restent au minimum deux heures, car elles en profitent pour discuter », raconte une employée d’un hammam traditionnel en riant. Les hammams sont donc des lieux de détente, mais aussi d’échange. Tel un salon de coiffure en Occident, il permet aux femmes de se raconter les derniers potins de la semaine entre amies, tout en prenant soin de leur corps. Seulement, voilà, ces hammams dits « populaires », où tous les Marocains se retrouvent, sont peu entretenus et les conditions d’hygiène ne sont pas toujours au top. « Le mieux c’est d’emmener son propre matériel, si on ne veut pas risquer d’attraper des maladies », confie Sofia. Quand le tourisme s’en mêle Depuis l’émergence du tourisme au Maroc, une nouvelle forme de hammam a vu le jour, principalement destiné à la clientèle européenne. Et elle ne cesse de se multiplier à Marrakech, par exemple le spa « Isis », situé au cœur de la Médina, non loin de la place Jamaâ El Fna. Dans ce centre de détente, le cadre n’a plus rien à voir avec les hammams traditionnels. Ici, plus de salles communes pour les hammams, mais des salles privées « pour que les clients puissent avoir une certaine intimité », expose Leila, la gérante du spa. Ce spa propose un large éventail de soins, allant du massage et rituels traditionnels aux soins à tendance plus « occidentale » comme les soins du visage. « Ce que les clients préfèrent, ce sont surtout les rituels traditionnels et les massages relaxants », avoue Leila. 1001 facettes Symboles 43 q Jamila, tatoueuse « Quand tu es heureux, tu fais du henné ! » p Une bonne odeur d'huiles essentielles Dix-huit masseurs et masseuse sont à la disposition des clients. Contrairement aux hammams traditionnels marocains, ils sont formés dans des écoles de Marrakech. « J’ai fait une formation de deux ans dans une école d’esthétique pour avoir mon diplôme de masseur », explique ainsi Souhail, jeune masseur de 26 ans au spa. Ils sont aussi beaucoup mieux payés. Les hammams ont, en quelques années, conquis les touristes européens. Ironie du sort, cette tradition avait été stoppée aux portes de l’Occident par les chrétiens qui jugeaient cette pratique immorale… ¿ Cécile Pasquet Sur la plus grande place de Marrakech, Jamaâ-El-Fna, nombreux sont les Marocains qui tentent de gagner leur vie. Parmi eux, les tatoueuses au henné comme Jamila, qui, avec leurs doigts de fées, dessinent sur la peau des touristes, mais aussi de leurs compatriotes marocains, des symboles porte-bonheur. « C’est 100 % naturel, pas d’allergies, pas de problèmes ! » C’est ainsi que Jamila, tatoueuse de 26 ans, décrit le henné. Sur la place Jamaâ El Fna, la jeune femme utilise cette pâte brune pour réaliser des tatouages sur la peau pouvant durer jusqu’à trente jours. À base de plantes venant du Sahara, le henné est issu d’un mélange de différents éléments naturels. « On mélange la plante avec un peu de citron, de clou de girofle, d’ail et de l’eau chaude, pas froide », détaille Jamila. « Après on agite pour que ce soit bien liquide et c’est bon. On le prépare au fur et à mesure pour éviter qu’il sèche et que la couleur ne soit plus bonne », ajoute-t-elle. Un porte-bonheur marocain Outre le henné brun, naturel et « sans problèmes », Jamila propose des tatouages au henné noir. Un produit controversé dont Jamila avoue ne pas connaître la composition. « J’achète les boîtes tou- tes faites, ça vient de Chine, je ne sais pas ce qu’il y a dedans et si le client sera allergique ou pas. Après, c’est lui qui voit... » Le henné n’est pas qu’une technique artistique, les symboles réalisés ont tous une signification. Il y a les « Marrakchi », formes traditionnelles marocaines, mais aussi les fleurs qui, elles, symbolisent l’amour et la chance. « Mais tous les hennés portent bonheur ! », insiste Jamila. C’est pour cette raison qu’ils sont utilisés lors de grandes occasions comme les mariages. Chaque future mariée se fait par exemple tatouer bras, mains et pieds, espérant ainsi attirer la chance. Le henné est aussi censé apaiser la tristesse causée par la perte d’un proche. « Quand une personne meurt, au bout de quarante jours sa famille se fait tatouer au henné comme ça, la tristesse disparaît », explique la jeune tatoueuse. « Mais aussi, comme on dit chez nous, quand tu es heureux, tu fais du henné ! » Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le henné n’est pas réservé aux femmes. Il existe en effet des tatouages pour les hommes, avec serpents, dragons ou encore scorpions. Seulement, pour eux, le tatouage se fait uniquement sur les mains. « Pour les enfants, ce sont des petites mouches. » Bien évidemment, ils portent chance eux aussi…¿ Cécile Pasquet Jamila, tatoueuse : une tradition « gagne-pain » L es femmes tatouant au henné sont très nombreuses à Marrakech, en particulier sur la célèbre place Jamaâ El Fna. Jamila est l’une d’entre elles. Elle habite à quelques kilomètres de la Médina, un peu après le Guéliz. Tous les matins dès 11 heures, elle se rend à son emplacement sur la place. Assise par terre sous son parasol, en compagnie d’une amie tatoueuse elle aussi, elle propose ses services artistiques aux passants. « Je fais ça pour vivre, c’est mon seul travail, précise la tatoueuse. J’ai appris ce métier quand j’étais petite, depuis que j’ai quatorze ans environ, c’est facile. Et puis, moi je dessine bien ! » Parmi ses clients, on trouve beaucoup de touristes. Mais malgré l’engouement de ces derniers, Jamila travaille également pour des Marocains. De quoi prouver, selon elle, que le henné n’a rien perdu de son rôle initial. « Ce n’est pas parce qu’on utilise une de nos coutumes pour gagner notre vie qu’elle perd sa signification », insiste-t-elle. Reste que, malgré ses dix heures de travail quotidien, Jamila réussit difficilement à gagner plus de 100 dirhams chaque jour. ¿ p Une baignoire pour se rafraîchir après la vapeur C.P. 44 1001 facettes Tanneries De la bête à la babouche, les peaux font leur petit bonhomme de chemin La première sert à faire disparaître la pilosité naturelle des peaux. Elles sont plongées dans un mélange chimique, « le poisau » qui fait se décoller les poils. Ensuite, lorsque l’on peut les enlever facilement, un homme frotte les peaux pour tout faire disparaître. « Tout est gardé, explique le guide. Même les poils sont mis de côté pour que les femmes confectionnent des tapis, des djellabas. » Le second bassin est à base de chaux. Elle fait Marrakech savent les reboucher. À Fès non », exgonfler la peau et permet d’enlever ce qu’il y a en plique l’un des hommes préparant les peaux sur le trop afin de la rendre la plus fine possible, pour la souk. Chaque peau coûte entre 15 et 20 dirhams fabrication des sacs à main par exemple. Pour que sauf pour celles de chèvre qui sont vendues par les peaux soient suffisamment imbibées de chaux, lots de six pièces et dont le prix varie entre 150 et elles sont totalement immergées et les hommes 200 dirhams. vont dans les bassins pour les battre avec les pieds. « Les hommes que vous voyez portent des protecPour une peau : 5 étapes tions, des grandes bottes, précise le guide. Elles ne À Marrakech, les peaux sont réparties dans 17 sont obligatoires que depuis un ou deux ans. Avant tanneries. « Il existe différents cela, ils plongeaient jambes tanneurs : les Arabes et les nues dans un liquide brûlant Berbères », explique l’un des la peau ! » Le guides qui dévoile les secrets Lorsque les pièces sont sorde la tannerie aux touristes. ties des bassins et séchées, des d’une peau hommes, installés dans des Les petites peaux, comme ateliers, passent sur la peau la chèvre et le mouton, sont peut une grande râpe pour enlever envoyées dans les tanneries tout le résidu, ce qui rend la jusqu’à arabes tandis que les granpeau fine et douce. des peaux, celles de vache et mois d’agneau, partent côté berbère. Ensuite, les peaux trempent Le traitement, effectué unipendant un ou deux jours dans quement par des hommes, se de la fiente de pigeon qui rédéroule sur une vingtaine de jours et se divise en pand une odeur très forte, mais à qui on donne cinq étapes identiques, quelle que soit la taille de la propriété de l’ammoniaque qui assouplit ce qui la peau. deviendra du cuir. Depuis le Moyen âge, dit-on, le quartier de Daoudiate, à Marrakech, abrite les tanneries, étape incontournable pour le traitement des peaux de bêtes. De l’abattoir à l’atelier qui leur donnera leur utilité, les peaux suivent un cursus très particulier. P assées les portes du quartier de « Daoudiate », où se trouvent les tanneries, une forte odeur submerge chaque passant. Les plus avisés auront d’ailleurs prévu quelques brins de menthe parfumée pour camoufler les effluves. Mais, avant de pénétrer dans le monde de la tannerie, les peaux de chèvre, mouton, vache et chameau sont passées par les abattoirs où les animaux ont été dépecés. Les équarrisseurs, pour qui les peaux sont un salaire, les entreposent au souk des tanneurs lorsqu’elles sortent de l’abattoir de Marrakech ou d’ailleurs. Les peaux proviennent le plus fréquemment de la région de Marrakech, mais aussi d’Essaouira ou des montagnes où vivent les Berbères, c’est-à-dire l’Atlas. Marrakech ou Fès Pendant, deux mois environ, elles restent entreposées dans le souk avec comme traitement l’eau, le séchage et le sel, qui évite les moisissures et fait office de solidifiant lorsqu’elles devront être transportées. En effet, au bout de ce laps de temps, elles partent pour Marrakech ou pour Fès, cette dernière ne traitant que les plus belles pièces. « Même s’il y a des trous dans la peau, les tanneurs de p traitement prendre quatre De gauche à droite : tout part du mouton (1ère photo). Après la case « abattoir », les peaux sont traitées avec du sel et de l’eau dans le souk, deux mois durant (2ème photo) 1001 facettes 45 Artisanat Mohamed, babouche à votre pied ! Suite à ce bassin très odorant, c’est au tour du bassin de son de blé de recevoir pendant quatre ou cinq jours les peaux de bêtes. Son unique but est d’enlever les odeurs laissées par les fientes de pigeon. La dernière étape est le bassin de mimosa qui « donne la teinte naturelle marron aux peaux », explique encore le guide. « Ce n’est qu’ensuite qu’on donne les autres couleurs aux peaux en les trempant dans du safran par exemple pour obtenir du jaune. » Un marchand du quartier explique : « Tous les colorants sont naturels. On utilise le coquelicot pour le rouge, les racines de safran et l’écorce de grenadine pour le jaune, l’indigo bleu pour le bleu, la cannelle pour le marron, le henné pour l’orange, le basilic pour le vert. Mais on peut aussi mélanger les couleurs… » Tout au naturel Suivant leur taille et leur provenance, les peaux seront vendues à des prix différents. Ainsi, la peau de chameau se vendra plus chère que la peau de chèvre ou de mouton, car elle est plus rare et que le prix d’un chameau vivant est beaucoup plus élevé que celui d’un mouton ou d’une chèvre. Le traitement d’une peau depuis son passage au souk jusqu’à son exposition sur l’étalage des marchands peut prendre jusqu’à quatre mois. Quatre mois au cours desquels elle sera passée par les mains de dizaine d’artisans pour finir en pouf dans le salon, en babouches ou en sac à main. ¿ Camille Gros Mohamed Lafssysse a 24 ans. 24 ans de babouches. Avec sa famille, il produit et vend les célèbres chaussures marocaines, à l’intérieur de sa boutique ou à l’exportation. Les touristes sont attirés par sa sympathie et de nombreux Marocains viennent également se chausser chez lui. « Les babouches, c’est une de nos particularités au Maroc. » Personne ne contredira Mohamed Lafssysse, fabricant des fameuses chausses sur mesure à Marrakech depuis 24 ans. Comme il le précise avec une certaine fierté, sa « caravane de babouches » est une « entreprise familiale ». Avec son frère, il s’occupe de la vente : il monnaye et marchande avec les touristes comme avec les Marocains. Mais, derrière cette échoppe pleine de couleurs, que Mohamed égaie encore un peu plus avec son sourire attachant, c’est dans une petite pièce sombre que l’équipe familiale fabrique différents types de pantoufles marocaines. « Il y a trois manières de faire, explique le spécialiste. La machine, la colle, ou à la main. » Chez Mohamed, on se sert des trois confections. Ce qui change, c’est le temps de fabrication. Si les babouches sont confectionnées à la machine ou à la colle, « c’est pour tout de suite ». Mais si la réalisation est rapide, le résultat ne sera pas à la hauteur pour faire office de soulier d’extérieur. « C’est seulement pour la maison », confie Mohamed en souriant. À la main, il faut deux jours complets pour réaliser une paire de babouches. La solidité est garantie, mais le temps de travail a un coût : il faudra alors débourser 80 dirhams, « prix Marrakchi ». La gamme des célèbres chaussons marocains est complète et c’est avec plaisir que Mohamed la présente. Ce commerçant enjoué vend « pour tous les clients », Marocains ou touristes. « Des commerçants du monde entier » viennent lui demander de produire des babouches, pour les « expédier » à l’étranger. « Si tu amènes le tissu, je te fais des babouches personnelles ! », ajoute Mohamed avec enthousiasme. La photographie accrochée à l’intérieur de sa boutique, d’une de ses clientes située à Marseille qui lui apporte régulièrement des tissus pour confectionner des souliers originaux, illustre son propos. Mohamed produit à la demande, une demande qui dépend « du souk, des gens, de la température aussi ». Mais s’il vend pour tout le monde, ce n’est pas pour autant qu’il oublie la « tradition de la babouche ». Le port de ces chaussures est une coutume primordiale au Maroc. On en distingue deux principaux modèles : les arabes à bout pointu, les plus connues, et les berbères à bout rond. Lors des fêtes religieuses, « le port du costume traditionnel est obligatoire », et à la djellaba s’ajoutent les indispensables souliers. Marrakech est « la ville de production des babouches ». « On en vend à Casa, mais c’est ici qu’on les produit. On fait toute la distribution ! », exagère Mohamed. Sa petite entreprise familiale semble alors prendre des allures de firme internationale. ¿ Juliette Bourrigan p Elles sont ensuite plongées dans le « poiseau », pour pouvoir décoller les poils (3ème photo). Après les tanneurs râpent la peau pour la rendre plus lisse et fine (4ème photo). Enfin, plusieurs nouveaux traitements, dont un à la base de fiente de pigeon, permettent au cuir de devenir babouche (dernière photo) 46 1001 facettes Cette terre q Après la cuisson, les tajines sont décorées appelée argile… p Des tajines présentés dans le souk, à Marrakech La poterie, artisanat très présent au Maroc, se pratique dans toutes les régions, selon des procédés de fabrication millénaires. À l’origine de la poterie : l’argile, terre élastique qui, humidifiée, permet de créer pots et récipients. Cette terre est mise dans un bassin relié à une cuve remplie d’eau, pour qu’elle devienne plus souple. Elle est ensuite filtrée et travaillée par des artisans à même le sol pour donner une pâte prête à l’utilisation. Découpées en bloc, des mottes d’argile sont distribuées aux potiers et le travail peut commencer. « Ce métier, c’est un travail et un sport ! », confie Abdelatif, 45 ans et potier depuis sept ans dans un petit atelier en pleine montagne, tandis qu’il saute dans un trou où il peut tout juste passer son corps. Face à lui, une plaque ronde qui lui servira à modeler l’argile ; sous la table, un cercle qu’il fait tourner avec ses pieds pour activer la plaque. Jetant un gros morceau de terre bien lisse sur la plaque, le potier s’affaire et pots, assiettes, tasses prennent formes comme par magie. Une fois le modelage terminé, il effectue des retouches : coller des anses, vérifier que tous les éléments de la poterie s’encastrent bien les uns dans les autres, dessiner des décors à l’aide de petits instruments comme des couteaux ou des baguettes de bois… Exposées au soleil, les poteries sèchent ensuite pendant au moins deux heures. La première cuisson dure quatre heures à 800 degrés. Les fours sont faits en pierres et peuvent contenir plus de 500 pièces, protégées dans des caissettes pour qu’elles ne brûlent pas. Les poteries sont maintenant prêtes pour la peinture. Les motifs sont le plus souvent des dessins géométri- ques : traits, ondulations, cercles. Ils sont réalisés sur commande ou laissés à l’imagination du peintre. Les poteries repartent ensuite une dernière fois faire un séjour dans le four pendant six heures à 1 000 degrés pour que la peinture se fixe sur l’argile. À la sortie, elles sont triées et leurs couleurs ternes ravivées avec l’application d’une couche de vernis, ultime étape de fabrication. Elles sont maintenant prêtes à être vendues dans les souks.¿ Anabelle Bourotte q Les mains de l’artisan façonnent l’argile La face cachée du pot L es poteries au Maroc ne sont pas réalisées de manière industrielle, elles sont l’œuvre d’artisans expérimentés qui s’activent dans des ateliers aux tailles variables. Un rythme de travail éreintant, comme le confirme Khadir, « Speedy Gonzalez » de 50 ans qui, depuis huit ans, trie les poteries dans un petit atelier : « Le travail ici est dur, très dur », assure-t-il en mimant les gestes qu’il effectue toute la journée. La cadence est dure à suivre : « Moi, par exemple, je peux faire jusqu’à 200 pièces par jour et plus encore quand on a des commandes », annonce fièrement Adbelatif, 45 ans, potier depuis sept ans dans un petit atelier en pleine montagne. 130 dirhams de plus au souk « Et puis, être potier ne rapporte pas tant que ça : 50 dirhams par jour, ajoute Khadir, l’artisan hyperactif. Pourtant, je me lève de bonne heure comme les coqs ! » D’un ton toujours teinté d’ironie, il explique que le salaire de potier n’est pas très élevé si on le compare à la dépense d’énergie et au temps que prend cette activité. « Vous voyez, cette soupière qui, ici, coûte 70 dirhams atteint 200 dirhams sur les souks », raconte Khadir, mettant des mots sur le mécontentement silencieux commun à beaucoup de potiers. Ce ne sont pas eux qui se font une marge sur leurs produits, mais bien les marchands qui achètent à des sommes modiques les poteries et les revendent en multipliant leurs prix. ¿ A.B. 1001 facettes 47 Herboristerie Sésame, ouvre-toi Safran, henné, cumin, musc, thé… L’herboristerie du Paradis propose des dizaines de produits différents à ses clients. L’actuel directeur, Mohamed Abderrahim, est le fils d’un « thérapeute traditionnel » et guérisseur respecté. Il est parvenu à faire de cette herboristerie, créée il y a 40 ans, l’une des plus réputées de Marrakech. L es grains de Nigelle guérissent des rhumes et des migraines, l’huile d’Argane est utilisée contre les rhumatismes et l’arthrose. Quant à la mandragore, elle soigne la mauvaise circulation du sang. Dans l’herboristerie du Paradis chaque mal a son remède, mais un remède 100 % naturel, très loin des gélules et autres cachets pharmaceutiques. Contenus dans des bocaux posés sur des étagères qui recouvrent les murs du magasin jusqu’au plafond, les médicaments ont ici mille couleurs et autant parfums et de goûts différents. « Le plus important, c’est le dosage, confie M. Meknassi, un employé de 42 ans. C’est vraiment ce qui fait la différence dans une bonne préparation. » Le docteur Jean-Pierre Muyard, médecin canadien, a d’ailleurs confirmé les bienfaits de cette médecine par les plantes à la suite sa collaboration avec l’actuel directeur de l’herboristerie, M. Abderrahim. Le docteur Muyard n’est pas le seul à dire du bien de l’herboristerie du Paradis. Les nombreux touristes qui entrent dans la boutique ne manquent pas de la recommander dès leur retour. Le boucheà-oreille fonctionne si bien qu’ils reçoivent continuellement des commandes du monde entier, grâ- ce notamment à leur site internet. Cette réputation internationale est fondée sur plusieurs critères : la boutique propose une très grande diversité. « Je ne saurais pas vous dire exactement combien de produits on a », confie Mostafa Meknassi. Entre graines, épices, huiles…, on trouve véritablement de tout. C’est aussi la qualité des produits qui est appréciée, notamment grâce à de bons emballages. Le henné est ainsi vendu dans sachets en plastiques afin que « ça ne prenne pas la poussière, pas comme dans les souks ». p Safran, musc, cumin, thé... Des herboristes voilées Cette augmentation de la clientèle et des commandes a pu donner une autre envergure à l’herboristerie du Paradis. « Avant, on était sur la place aux épices, mais on est venu ici, sur la place Ben Youssef, et on a pu agrandir », indique l’herboriste. La boutique compte désormais onze salles, dans lesquelles travaillent une vingtaine d’employés. Des employés qui pour la plupart, comme Mostafa Meknassi, ont découvert le métier en famille. « Ce travail, c’est mon père qui me l’a appris », déclare ainsi celui-ci fièrement. L’homme a eu son baccalauréat, mais n’a poursuivi aucunes études de biologie. « Le métier commence à Et toi, tu fumes la P our les touristes, le narguilé ou chicha semble faire partie intégrante de la tradition orientale. On imagine le salon typique, tapi de coussins moelleux et colorés sur lesp Fumeur de narguilé quels on s’assoit entre amis pour déguster du thé et partager des bouffées de narguilé. C’est en effet ce que l’on peut observer dans les riads, bars à chicha ou dans certains restaurants. s’ouvrir aux femmes », indique Mostafa Meknassi avec un sourire envers la jeune femme qui l’assiste discrètement. « Avant, elles ne pouvaient pas du tout faire ce métier, parce que les gens étaient gênés dans certaines situations, comme dans des cas d’hémorroïdes. Maintenant, elles commencent à arriver parmi nous », ajoute-t-il avec un sourire. Ces femmes herboristes existent aujourd’hui, mais restent une minorité. Les femmes sont parvenues à exercer la médecine en Europe, jusqu’à devenir majoritaire dans les facultés. Peut-être verra-t-on bientôt, de la même façon, de nombreuses herboristes voilées… ¿ Sonia Barge chicha ? À la carte du restaurant où travaille Tarik Ali, jeune serveur de 21 ans, il est écrit « narguilé : 20 dirhams » parmi toutes les spécialités culinaires. Mais « rien à voir avec une quelconque tradition, s’exclame Tarik Ali. C’est du folklore imaginaire ! Ca plaît aux touristes alors on fait comme si ! » personnes majeures peuvent fumer. La police vérifie aussi régulièrement le contenu des narguilés : « À la place du tabac certains mettent de la drogue », explique le serveur. Et aujourd’hui, les touristes ne sont plus les seuls à se laisser tenter par le narguilé. Les jeunes Marocains s’y mettent aussi. Le narguilé vient en réalité d’Égypte et il s’est d’abord implanté au Maroc pour nourrir les rêves d’Orient des touristes. Il y est resté et y est même de plus en plus à la mode. « Depuis deux, trois ans, ça n’arrête pas. On fume la chicha partout et des bars spécialisés se construisent sans arrêt », remarque le jeune serveur. Ces bars sont surtout situés dans les endroits touristiques comme Casa ou Marrakech. « Il y a parfois huit, neuf bars à chicha dans un seul boulevard », ajoute Tarik Ali. Mais pour pouvoir proposer le narguilé, il faut une autorisation délivrée par les autorités et seules les Pourtant, fumer est interdit par la religion musulmane : « Allah nous a offert la vie, on doit donc la respecter et ne pas faire des choses qui pourraient nuire à notre santé », précise le jeune homme avant d’ajouter : « Mais fumer de temps en temps ne fait pas de mal ! » Reste que cet avis n’est pas partagé par tous les Marocains : « Si jamais ma mère savait qu’il m’arrive de fumer le narguilé, je passerais un sale quart d’heure ! », s’exclame Tarik Ali en agitant nerveusement la main. Les effets de mode seraient-ils enclins à prendre le pas sur les interdits religieux ? ¿ A.B. 1001 facettes 48 Populations berbères La lutte des hommes libres Le Maroc abrite la population berbère la plus importante d’Afrique du Nord. En langue berbère, on les nomme « Imazighen », pluriel de « Amazigh », signifiant « homme libre ». Composant l’essentiel de la population marocaine, les Berbères doivent néanmoins lutter pour que leur culture, millénaire, survive. E nsemble d’ethnies autochtones d’Afrique « Depuis 5 à 6 ans, beaucoup de choses positidu Nord, les Berbères sont liés selon les ves ont été réalisées. La langue amazighe a été régions par la langue, l’habillement, les introduite dans le programme scolaire », raconte coutumes, la musique ou encore Ahmed Choukri. Avant cette par l’organisation sociale. « La situation, il restait une culture q Ahmed Choukri population marocaine est Berorale, mais l’écrit, qui permet bère pour l’essentiel. L’apport de la conservation du patrimoine, population arabe est resté numéfaisait défaut : « L’idée ne peut riquement limité, mais culturelvivre que si on la partage. C’est lement important par le biais de la même chose pour le patril’islam qui a peu à peu imposé moine », lance Ahmed Choukri la langue arabe au point de requi déplore que beaucoup de léguer les langues berbères au poèmes se soient perdus, faute second plan », explique Ahmed de transmission orale. Choukri, doctorant et spécialiste de la culture berbère. Patrimoine en danger Mohamed Mellal, à la fois poète, chanteur, artiste peintre et Ainsi, les Berbères, qu’on apcaricaturiste partage ces regrets. pelle Amazighs (« hommes liNé au village du Tamlalte au bres »), ont dû lutter pour faire Sud-est dans la vallée du Dadès, « La population reconnaître leur culture. L’époil travaille à la sauvegarde d’un que où les noms Berbères étaient patrimoine qu’il considère « en marocaine est interdits est révolue et, en 2001, danger ». Pour arriver à ses fins, Berbère pour Mohamed VI a créé l’institut il a monté un studio d’enregisl’essentiel. L’apport royal de la culture amazighe. trement et s’emploie méthodiMême si certaines associations quement à sauvegarder ainsi un de la population comme le « Réseau Amazigh maximum de chants traditionarabe est resté pour la citoyenneté » dénoncent nels amazighs. Lui-même comnumériquement une récupération de la cause pose des poèmes qu’il interprète Amazigh par le pouvoir, pour la avec son groupe Mallal : « J’y limité. » majorité des sympathisants de la parle de ma région natale, de cause berbère, c’est une victoire. mes origines, de ma langue qui Alors qu’une radio émet déjà en berbère, une chaîest souvent brimée… ». Pour préserver une culture ne de télévision va faire son apparition prochainemillénaire, il a fait le choix d’Internet pour diffuser ment. Ahmed Choukri pense que la situation des musiques et paroles Berbères. Un nouvel outil de Berbères au Maroc est plus avancée qu’en Algérie sauvegarde ? ¿ ou en Tunisie : « Les Marocains ont déjà théorisé Eddy Spann les choses, ressuscité la culture… » Institut royal de la culture amazighe : La culture amazighe est véhiculée par la langue, www.ircam.ma la littérature et les arts. L’amazigh est une langue Réseau Amazigh pour la citoyenneté : avec un alphabet, une grammaire et une littérature. www.forumalternative.org À travers le pays, on distingue trois dialectes : le www.mondeberbere.com tarifit, parlé dans le nord, le tamazight, utilisé au www.mallal.net : possibilité de télécharger centre du pays et le tachelhit, parlé dans le sud. d’anciens albums du groupe Mallal p Village typique du Sud marocain Récupération ? q Mohamed Mellal « Dans mes poèmes , je parle de ma région natale, de mes origines , de ma langue qui est souvent brimée... » 1001 facettes 49 Thé prêt ? C omment parler de tradition et de coutumes au Maroc, sans parler du thé à la menthe ? Plus célèbre qu’une babouche, plus en vogue que le couscous, le thé à la menthe est indispensable au Maroc. de Marrakech à Meknès, en passant par l’Atlas et Ouarzazate, personne ne peut y échapper. « Le whisky marocain », comme beaucoup se plaisent à l’appeler, est un petit bijou au petit-déjeuner, une faveur en fin de déjeuner, un plaisir durant l’après-midi, une satisfaction en fin de journée. Mais pour apprécier le thé à la menthe, encore faut-il réussir sa préparation. Dans un village berbère au sommet d’une montagne dans l’Atlas, ou dans un Riad à Marrakech, les gestes sont les mêmes, précis, agiles et irréprochables. Gastronomie Collation berbère L a cuisine berbère, ancestrale, diffère selon les régions. D’une simplicité extraordinaire, elle est savoureuse et généreuse : « Chez les Berbères du sud il faut montrer l’abondance », affirme Zoubir Bouhoute, un entrepreneur de la région de Ouarzazate. Il se trouve que sa belle famille, installée dans une maison à quelques kilomètres du ksar Aït Ben Haddou, non contente d’être Berbère, est également originaire du sud. L’invitation pour une petite collation ne se refuse pas. D’autant plus, qu’à Marrakech, à moins d’y mettre le prix, les menus pour touristes ne sont pas très variés. Rien ne vaut la cuisine familiale. L’hospitalité berbère y prend tout son sens. L’aliment principal est le pain tafarnout ou afarnou en berbère (« pain du four »), réalisé avec de la levure traditionnelle. La belle-mère vient de le cuire dans le four qui jouxte la maison. C’est un exercice délicat, où l’on colle la pâte mouillée sur les parois du four en terre cuite. Il semblerait que les brûlures fassent inévitablement partie du processus. Le pain est servi chaud, avec du beurre, du miel et de l’huile d’olive afin de le tremper. Sur la table on trouve également des amandes et une omelette berbère, omelette sur un lit d’oignons et de tomates avec quelques olives. On arrose le tout avec du thé et du café. « Cela dépend des régions, mais dans le sud on prend les deux, pas besoin de choisir », explique Zoubir. Le café, noir, est servi avec beaucoup d’épices, gingembre, cannelle… Le thé est à la verveine. « Il faut déjà faire chauffer l’eau », explique Abdou, gardien du riad Itrane à Marrakech. « Ensuite, on met le thé dans la théière, ajoutet-il. Du thé vert ! » Après, il faut ajouter un peu d’eau chaude sur le thé, pour le rincer, « enlever son amertume ». « Il faut jeter cette eau après », commente Abdou. C’est alors que les feuilles de menthe, prélavées, entrent en scène. « On les met dans la théière, avec le sucre », précise Abdou. La dose de sucre dépend des envies, mais il serait dommage de l’oublier ! Ensuite on remplit la théière d’eau bouillante. « Il faut bien remuer les feuilles de menthe pour ne pas qu’elles atteignent la surface et qu’elles noircissent », déclare Abdou, tout en surveillant la préparation. Une fois chaud, on transvase « deux ou trois fois » le thé de la théière au verre et inversement. Chez les Berbères du sud, la multiplication des pains est un miracle permanent ; on a beau se servir largement, le panier tressé se remplit perpétuellement. Toute la famille observe, guette les réactions de l’hôte avec une grande attention. « Quand tu manges beaucoup, ils sont contents », s’amuse Zoubir. Tout le monde avait l’air bien satisfait.¿ Enfin arrive, au grand plaisir des convives, le service ! Le concours de celui qui verse le plus haut n’est pas superficiel. L’enjeu est de taille : faire mousser le thé, pour obtenir un résultat le plus proche possible de la perfection !Une préparation simple, rapide, accessible à tous, pour un thé à la menthe qui respire le Maroc.¿ Eddy Spann Juliette Bourrigan 1001 facettes 50 Saveurs Ça,c’est du couscous ! Tunisien ? Algérien ? Eh bien non, d’après les Marocains, la recette est uniquement originaire de leur pays. Aussi célèbre que les babouches et le thé à la menthe, un couscous, un vrai, demande beaucoup plus de travail qu’on peut l’imaginer. P ersonnes pressées et impatientes s’abstenir ! Pour préparer un couscous, il faut avant tout ne pas avoir peur de passer sa matinée devant les fourneaux. Une fois cette crainte dépassée, inutile de chercher les proportions à utiliser pour chaque ingrédient : un vrai couscous se doit d’être proportionné à l’instinct. Mieux vaut donc avoir l’œil, si on espère obtenir un résultat un tant soit peu mangeable. Et la semoule alors ? On commence par le plus long à cuire, la viande. Bien sûr, on peut utiliser toutes sortes de viande, mais un couscous marocain - berbère précisément - se prépare avec du bœuf. Pour avoir plus de goût, la viande se cuit avec les légumes et les épices. Un peu de safran, une pincée de sel, le tout associé aux carottes, citrouille, genzittes - sorte de courgettes marocaines - oignon et jus de tomates pour la sauce. Mais attention, on ne coupe pas les légumes n’importe comment, et surtout pas en rondelles ! Non, pour faire les choses correctement, il faut les couper en longueur. Les rondelles, c’est Cuiseur du pour les salades ! Après avoir brillamment accompli cette tâche, il faut compter environ 1 h 30 pour la cuisson. quotidien Après le plus long à cuire, reste le plus difficile à bien préparer : la semoule. Et là, ça se complique. Elle ne doit être ni trop sèche, ni trop mouillée, mais lisse et pas trop grosse. Pour espérer obtenir la semoule parfaite, les Marocaines la font bouillir 30 minutes puis la transvasent dans un grand plat. Ici, elles ajoutent de l’eau et mélangent à la main pendant près de cinq minutes. Mais ce serait trop facile s’il suffisait d’effectuer la tâche une seule fois. Pour bien faire, il faut répéter l’opération cinq fois. Rassurez-vous, après ces quelques étapes, vous avez fini ! Et si vous voulez vous rapprocher encore plus du Maroc, servez votre couscous dans un plat unique et dégustez-le directement dedans. Et là, il est impossible de regretter d’avoir sacrifié sa matinée en cuisine. À moins peut-être que vous n’ayez oublié la viande pendant la préparation de la semoule… ¿ Cécile Pasquet q La semoule ne doit être ni trop sèche ni trop mouillée, mais lisse et pas trop volumineuse p Le cuiseur en action... D ans les rues de Marrakech, il n’est pas rare de croiser des femmes ou des jeunes filles portant une planche de bois recouverte d’un linge. Sous la toile, une pâte soigneusement pétrie. Tous ces petits cortèges finissent au même endroit : chez le cuiseur de pain. Au Maroc, chaque famille fait en effet son propre pain, mais, en général, elle ne possède pas son propre four. Ainsi, dans chaque village ou quartier un cuiseur met à disposition, contre quelques dirhams, son four à bois. Pour le trouver, il suffit de suivre la bonne odeur de pain cuit ou alors ces femmes menant la pâte prête à dorer. On arrive alors rapidement devant une grande porte ouvrant sur une pièce noire dans laquelle sont entreposés des pains cuits ou non. Le four se trouve au fond de la pièce dans une sorte de fosse. Le cuiseur, lui, est devant, enfournant les pièces que lui ont apportées les femmes. Le pain marocain, que l’on trouve sous forme de galettes épaisses, est la base de l’alimentation marocaine. Tous les plats se mangent traditionnellement avec les doigts et le pain en est le support. Sa confection et sa cuisson sont donc indispensables à la vie quotidienne. ¿ Camille Gros L’homme aux pommes et aux cartes postales - souk de Marrakech u 1001 facettes 51 52 Priorité tourisme 10 millions de touristes avant 2010 : voici la priorité économique du Maroc. Tous les moyens sont mis en œuvres pour attirer l’étranger. Un acharnement qui risque de se faire au détriment des autres secteurs économiques : industrie, agriculture, bâtiment. q La terrasse du riad Itrane q Le riad Charlotte au coeur de la Médina de Marrakech Patrimoine Riads en mosaïque Immenses maisons familiales hier, chambres d’hôtes aujourd’hui, les riads de Marrakech et du Maroc, ont connu, entre destructions ou rénovations, bien des aventures pour devenir ceux que nous connaissons. Histoire d’une évolution… G randes constructions de plus de 1 000 m2, dans lesquelles cohabitaient jusqu’à trois générations, les riads s’organisaient autour d’une fontaine dans un patio à ciel ouvert agrémenté de quatre petits jardins. Autrefois, ces demeures permettaient aux pères de famille de garder auprès d’eux leurs enfants, en leur offrant une chambre et une cuisine sous leur toit lorsqu’ils se mariaient. Mais, face à des problèmes économiques importants, les familles ont vendu morceau par morceau leur patrimoine pour subvenir à leurs besoins. La sauvegarde d’un patrimoine précieux La tradition a donc cédé le pas, favorisant la multiplication de petites habitations. « Depuis une cinquantaine d’années, la population dans la Medina a beaucoup augmenté, explique Othmane Bellout, gérant d’un riad pour touristes à Marrakech. De plus, les familles recherchent plus d’indépendance les unes par rapport aux autres. » Autre grande cause de la dislocation des riads, les problèmes d’héritage. Bien souvent, à la mort du père, les familles se sont partagé les riads pour y créer plusieurs appartements indépendants. Ces demeures n’ont pour autant pas totalement disparu. Elles se sont tout simplement transformées. Sous l’impulsion du maire de Marrakech, Omar El Jazouli, des étrangers ont racheté des appartements afin de faire revivre les riads d’antan. Dans la Medina de Marrakech, on dénombre aujourd’hui environ 1 000 riads, désormais essentiellement dédiés au tourisme. « L’achat d’un petit riad de 100 m2, coûte environ 120 000 euros et il faut compter autant pour la rénovation et l’ameublement, précise Othmane Bellout dont le riad appartient à un Français, originaire de Saône-et-Loire. Les Marocains ne peuvent pas se permettre d’acheter, car ils n’ont pas les moyens alors que les étrangers viennent avec un pouvoir d’achat fort et font parfois des crédits dans leur pays d’origine pour pouvoir acheter des bâtiments. » De son côté, le premier magistrat marrakchi justifie cette politique en invoquant la sauvegarde du patrimoine marocain. « Je préfère que les riads soient entre les mains de touristes plutôt que voir mon patrimoine se transformer en ruines, confiet-il. Par ailleurs, chaque fois qu’un étranger ouvre un riad, il emploie des Marocains ! » Les propriétaires étrangers ont de fait besoin de personnels pour gérer leurs biens pendant toute l’année. Ils emploient donc des gérants, qui deviennent leurs doigts et leurs yeux lorsqu’ils sont absents. Des femmes de ménage, cuisinières, hommes d’entretien et gardiens de nuit sont également recrutés. Un riad comptant sept chambres permet ainsi d’employer un gérant, deux femmes de ménage et un gardien de nuit. Les riads traditionnels renfermaient véritablement la culture marocaine. Délaissés, ils ont retrouvé un second souffle grâce au tourisme. Même si ce patrimoine sauvegardé ne profite plus aux Marocains qu’en terme économique…¿ Camille Gros Priorité tourisme 53 Une journée au riad Une danse bien réglée... Depuis 2006, Patrice Lebobe est propriétaire du Riad Itrane qui accueille des touristes de toutes nationalités à Marrakech. Depuis le mois de janvier 2008, ce riad a été rénové pour accueillir une clientèle plus aisée. Pendant une journée, nous avons suivi les quatre membres du personnel. 7 h 00 : Pour Abdelghafouv Laaraj, dit Abdou, la nuit de veille arrive à sa fin. Il est le gardien de nuit du Riad et prend son service à 19 heures. Pendant tout son temps de travail, il reste à la disposition des clients et veille jusqu’à ce que tous soient rentrés, qu’il soit 22 heures ou 4 heures du matin. C’est lui qui ouvre le bal des allées et venues en préparant la table du petit-déjeuner pour les hôtes logeant dans le riad, simplifiant ainsi le travail des femmes de ménage qui arriveront plus tard. 7 h 30 : Arrivée de Sanae, l’une des deux femmes de chambre, qui commence par se mettre aux fourneaux pour que le repas soit servi aux dormeurs dès leur réveil. à table. Commence alors le service du thé, café, lait ainsi que des spécialités marocaines faites sur place. Chaque matin, elles sont différentes : crêpes à l’huile d’olive, quatre quarts à la fleur d’oranger ou aux amandes… 8 h 45 : Les convives ont terminé leur repas matinal. C’est donc au tour d’Abdou, Sanae et Houria de s’affairer pour tout débarrasser puis faire la vaisselle. Agrandissement en vue 9 h 25 : Abdou nettoie la piscine. Il consacre quotidiennement 15 à 20 minutes à vérifier que tout fonctionne correctement et à nettoyer le bassin. Il ne passe l’aspirateur que tous les deux Au même moment, Abdou part faire les achats de dernière minute pour le petit-déjeuner. Au milieu des enfants en uniformes qui partent pour l’école et des adultes qui commencent leur journée de travail, il se dirige vers la place Jemaa-El-Fna pour acheter le jus d’orange fraîchement pressé. Il a téléphoné préalablement au marchand pour le prévenir de son arrivée et ainsi ne pas attendre. clients pourront y découvrir un hammam, une nouvelle salle à manger, un autre solarium, deux suites supplémentaires, un jardin ainsi que plusieurs petits salons marocains. L’établissement fera alors 340 m² au lieu de 226 actuellement et comptera deux femmes de ménage en plus, ainsi qu’une cuisinière à temps complet. Ensuite, il achète auprès d’un boulanger du pain encore tout chaud et, chez un épicier, de la menthe fraîche pour le thé. Il est de retour au riad après une courte absence de quinze minutes durant laquelle Houria, la seconde femme de chambre, est arrivée. 8 h 00 : Les occupants du riad, s’installent 15 h 00 : Une tempête souffle dans tout Marrakech et, sous le coup d’une rafale, l’une des bâches protégeant le riad du vent et du froid vient à craquer. Cela ne s’était jamais produit auparavant. Le gérant décide donc de contacter une entreprise pour assurer une réparation immédiate. p Sanae nettoie l’une des 7 chambres du riad ou trois jours, car cela consomme beaucoup d’eau. Une bâche est heureusement tendue au-dessus de la piscine, ce qui empêche une grande partie des poussières de la ville de tomber dedans. 9 h 30/10 h 00 : Abdou termine sa jour- née. 10 heures : Sanae commence le ménage des sept chambres et suites. 10 h 15 : Othmane Belloute, le gérant du riad arrive, après avoir réglé des affaires à l’extérieur. Il repart aussitôt pour suivre l’avancée du chantier d’agrandissement du riad qui offrira en plus des chambres, une table d’hôtes. Bientôt, les p Abdou installant la table du petit-déjeuner p Houria s’affaire pour débarrasser la table 16 h 30 : Sanae s’en va, bientôt suivie par Houria. Elles sont restées toute la journée au service des clients, aussi bien pour distribuer des bouteilles d’eau que pour donner des conseils pour la visite de la ville. Elles préparent même, si c’est nécessaire, des assiettes de riz pour les clients malades ! 19 heures : Abdou réapparaît pour prendre son tour de garde du riad et boucler la journée. La vie des employés du riad s’organise totalement autour des clients. En plus de remplir leur rôle de femmes de chambre, gardien de nuit ou gérant, tous les quatre sont prêts à répondre aux questions des clients et à leur rendre service, même si ce n’est pas compris dans leur contrat. ¿ Camille Gros 54 Priorité tourisme Tourisme extrême Ouarzazate, perle du grand Sud L’industrie du cinéma est devenue vitale pour la région de Ouarzazate. Elle favorise et suscite les investissements touristiques comme l’hôtellerie et permet à la population de vivoter grâce aux figurations dans les blockbusters tournés dans les studios de la ville. Ouarzazate a décidé de parier sur le cinéma et le tourisme pour son avenir. O uarzazate est en tête du box-office des lieux de tournage mais l’industrie cinématographique ne suffit pas pour faire vivre la région. Entre les tournages, c’est le chômage, sans indemnités bien sûr. Les autorités veulent donc jouer la carte du tourisme à fond. Au sud-est du Maroc, Ouarzazate ne manque pas d’atouts. La province possède de nombreuses richesses naturelles et culturelles : découverte du monde présaharien, immensité des dunes, montagnes, palmeraies et oasis, les grandes vallées… Ouarzazate est également le lieu par excellence du mode d’habitat en terre. Ce sont les ksours et les kasbahs comme Aït Benhaddou et Taourirt. À la croisée des chemins de l’Atlas et du désert, Ouarzazate est idéale pour des séjours de découverte de la région. C’est bien le problème, Ouarzazate reste un lieu de passage qui ne totalise qu’environ 3 % du total des nuitées au Maroc avec une durée moyenne du séjour qui ne dépasse pas deux jours. La délégation provinciale du Tourisme Ouarzazate / Zagora est sur le pied de guerre pour tenter de changer la donne. Parmi les nombreux plans et études, rédigés, se trouve « Le Projet de Programme de Développement Régional Touristique (PDRT) Ouarzazate / Zagora 2007-2016 ». Il s’agit d’un inventaire des points faibles, des contraintes et des solutions envisagées. La mesure phare est l’amélioration de la qualité et l’augmentation de la capacité d’hébergement : « Avec la signature d’une convention de 5,4 milliards de dirhams, nous allons tripler la capacité hôtelière », se réjouit Abdessadek El Alem, directeur de l’annexe du Centre régional d’investissement à Ouarzazate. Avec toujours plus d’hôtels de luxe, de casinos et de golfs, Mansour Lake City, une immense station touristique va ainsi voir le jour à 18 km de la ville. Le deuxième axe vise au développement d’animations touristiques pour meubler les séjours. « A Ouarzazate, le printemps s’étalera de mars à août », scandent les professionnels du tourisme. Le plan veut également faire de Ouarzazate, en plus de la terre des 1001 kasbahs, en plus de l’Hollywood de l’Afrique, la ville des musées. Après le musée du cinéma, quatre projets sont en cours de p En avril 2008, course de serveurs avenue Mohamed V à Ouarzazate réalisation : un musée des tapis et un musée de la biodiversité à Ouarzazate, le musée des Dinosaures à Tazouda Iminoulaouen et le musée des palmiers à Skoura. Au total ce ne sont pas moins de sept musées qui devraient être créés. Mohamed Boussalh, directeur du CERKAS (Centre de conservation et de réhabilitation du patrimoine architectural atlasique et subatlasique) est sceptique : « Il y a bien une politique de musées, mais développée pour le tourisme sans réelle vision scientifique. Est-ce durable de bâtir toute la ville autour du tourisme alors que c’est un revenu saisonnier ? » Développement de l’écotourisme Mohamed Abouissaba, professeur de français à Skoura, partage cette méfiance : « Nous n’avons pas besoin de musées, ce sont des façades qui ne vont pas aider les démunis. Il nous faudrait plutôt une vraie politique agricole. » Le dernier axe vise à doter tous les hôtels de la région en personnel qualifié en ouvrant des écoles d’hôtellerie. Dimanche 13 avril 2008, l’avenue Mohamed V de Ouarzazate est fermée à la circulation devant l’Institut de technologie hôtelière et touristique. L’institut a organisé une course. En rang d’oignon, le plateau à la main, chemise blanche et veston, les serveurs s’apprêtent à parcourir 900 mètres. Tout est bon pour obtenir un article dans la presse. Face à cette démesure, un autre tourisme essaye de voir le jour. La première édition du festival international du tourisme rural s’est tenue dans la ville en juin 2008 : « C’est l’occasion de promouvoir un nouveau créneau porteur de retombées économiques et sociales », explique Fatima Hillion, chargée de communication. Les participants, professionnels du tourisme, associations et décideurs ont réfléchi ensemble à l’impact que le tourisme rural pourrait avoir sur l’économie locale et sur le développement durable des populations concernées. Zoubir Bouhoute, un entrepreneur de la région est, quant à lui, persuadé de l’avenir de ce type de tourisme. À quelques kilomètres du ksour Aït Benhaddou, il restaure une maison familiale pour en faire une maison d’hôte. Tout est restauré et construit selon la tradition locale : « L’idée, c’est que les touristes puissent ramener du goût et des souvenirs. » ¿ Sans oublier sur le Web www.typomag.net ¿ Économie u Allo, j’écoute ! (A.M.) u L’AMAPPE, pour l’économie de demain (A.H.) u Gaëlle Archaimbault : « Le travail ici, c’est assez compliqué ! » (J.B.) u Taxis dans la tourmente (A.M.) u Cirage noir et cœur en or (S.B.) u Les problèmes d’emploi à Ouarzazate : du cinéma ? (F.P.) ¿ Humeurs u Des ternes animaux pas si sauvages ! (F.P.) u Rouge comme une écrevisse (A.M.) u Les cadres au chômage manifestent (T.C.) Priorité tourisme 55 Réhabilitation La kasbah de Taourirt, mémoire de leurs pères Classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1987, la kasbah de Taourirt est devenue un atout touristique majeur pour la région de Ouarzazate. Mais le patrimoine est souvent le grand oublié de la culture marocaine et ce sont des passionnés comme l’archéologue Mohamed Boussalh qui permettent les réhabilitations nécessaires pour protéger ce site exceptionnel et en faire profiter les habitants. p Détail de la kasbah, une fontaine en mosaïque L gardiennes de la mémoire des ancêtres berbères, auxquels des associations culturelles et artistiques s’intéressent depuis les années 90 », ajoute ce spécialiste. a kasbah est un genre de fort qui se compose d’un palais et d’un ksar, village communautaire de terre. Nichée dans la région de Ouarzazate, celle de Taourirt date du XVIIe siècle. Elle a été construite par la dynastie Alaouite avant de passer aux mains du pacha de Marrakech, El Glaoui, au XXe siècle pour services rendus aux forces coloniales françaises. Une possession de courte durée puisque, dès l’indépendance du Maroc en 1956, l’État reprend possession du site avant de décider dans les années 70 de l’exploiter à des fins touristiques. D’abord classée « patrimoine national » en 1954, la kasbah Taourirt rejoint le patrimoine mondial de l’Unesco dès 1987. Au niveau archéologique, les kasbahs représentent « un patrimoine important dû à la synthèse de l’architecture avec des greniers, des terrasses, des ruelles », souligne Mohamed Boussalh, responsable du centre de restauration et de réhabilitation du patrimoine architectural atlasique et sub-atlasique, le CERKAS. « Elles sont aussi des La kasbah de Taourirt est de plus un patrimoine architectural vivant car six familles résident encore dans son ksar. Des terrasses de ce village de terre pendent des tapis. Au-dessus de chacune des entrées est peinte une main de Fatma pour protéger du mauvais sort. Les femmes éclaboussent les murs d’eau pour les humidifier, tandis que des vieillards jouent aux cartes, attendant patiemment qu’un touriste leur achète une babiole. Plus qu’un patrimoine, une culture à préserver p Mohamed Boussalh q La kasbah de Taourirt est classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1987 Cette kasbah est un exemple de synergie qui a permis la sauvegarde du patrimoine et la promotion des activités du tourisme. Des infrastructures touristiques ont été mises en place type guichet, réaménagement de passages et création d’une coopérative de tapis avec son propre label. Des commerçants s’agencent dans les rues et une Espagnole y a même ouvert un gîte luxueux. « L’intégration sociale des habitants du ksar est la voie vers une sauvegarde durable de ce patrimoine », explique Mohamed Boussalh, émettant toutefois un bémol : « Mais bien souvent, les gens ne veulent pas travailler en synergie. » En outre, le patrimoine reste souvent le parent pauvre de la culture marocaine. « La kasbah génère 1 500 000 dh de recette pour la municipalité et ils n’achètent pas une ampoule ! », s’indigne ainsi M. Boussalh. Il existe néanmoins une brochure, « Patrimoine mondial », pour faire connaître et protéger ces richesses. Quelques articles paraissent également dans les magazines. Mais l’impression d’ouvrages, trop onéreuse, et un lectorat limité rognent les ambitions de ces chercheurs et gardiens des civilisations qui s’escriment à garder en vie ces richesses architecturales. ¿ Charline Poisson Priorité tourisme 56 Portrait Noureddine, la force tranquille Noureddine Daifi est un véritable aventurier qui a parcouru le monde avant de se poser dans la région montagneuse de Demnate, emmenant au passage Hanna, sa femme, rencontrée en Suède. Polyglotte et fin connaisseur de sa région, ce guide attachant a toutes les qualités pour plaire aux touristes comme aux Marocains. « Ici, j’aime la marche, la nature, la montagne, la tranquillité. » Ici, c’est l’Atlas. Lui, c’est Noureddine Daifi. En qualité de guide, il connaît la région de Demnate comme sa poche. Pourtant, cette tranquillité que lui apporte son nouveau métier, voilà peu de temps qu’il la connaît. Véritable globe-trotter, il a découvert de nombreuses régions du monde. Français, arabe, berbère, anglais, grec et suédois… Autant de langues qu’il parle couramment, même si l’arabe reste sa langue natale. En 1991, Noureddine débarque en Suède « pour le travail ». « Et puis j’ai rencontré Hanna dans le métro à Stockholm », confie-t-il. Cette Finlandaise un peu bourrue est depuis devenue sa femme et l’a accompagné jusqu’au Maroc. Elle se débrouille avec le français et l’arabe, mais entre eux, c’est toujours en suédois qu’ils s’expriment. « L’hiver en Suède, il n’y pas de soleil », s’indigne Noureddine. Pourtant, il y sera resté dix ans en compagnie d’Hanna. Malgré l’obtention d’une double nationalité, Noureddine a finalement souhaité retourner au Maroc. Le début de la concurrence C’est en 2001 que ce couple improbable a posé ses valises à quelques kilomètres de Demnate, pour ne plus repartir. « C’est bien ici », lâche Hanna, au fil de la conversation. « Mais la neige, c’est meilleur », nuance-t-elle toutefois, nostalgique de son pays. « Dans les années 75, il neigeait aussi beaucoup ici », rétorque Noureddine avec humour. « On voyage une fois par an dans p Nourredine Daifi, à droite, avec sa femme Hanna, rencontrée dans un métro de Stockholm la famille d’Hanna et on reçoit des amis, de la famille », explique ce berbère dynamique. Un retour aux sources indispensable pour sa femme. visiteurs. « Ils découvrent un mode de vie, ils dorment chez l’habitant, ils ont des relations avec la famille », explique le Berbère. Plongés au cœur de la vie dans l’Atlas, ces visiDès leur retour, ce dernier a décidé de deveteurs semblent apprécier le contact qu’établissent nir guide. « J’ai l’habitude avec les touristes. Je Noureddine et sa famille avec eux puisque « beauconnais la région, et j’aime la nature. Alors, il coup reviennent ». Sa sœur n’y a pas de problème », résuet sa mère, vivant sous son me-t-il. Ensuite, ils ont mis en toit, contribuent largement route un nouveau projet : créer à l’attachement créé pour la le café-restaurant Imi Nifri, situé Ils découvrent famille de Noureddine. à proximité du fameux pont naturel. « Nous avons été les preun « À Demnate, je connais miers », affirme Hanna, avec une tout le monde, et les gens me , ils dorment pointe de fierté. Le prochain proconnaissent », souligne-t-il. jet d’Hanna et de Noureddine est , Pour sûr, « Noureddine le simple : « développer la publicité chez l’ Berbère » est une célébrité. par Internet ». ils ont des Il ne peut faire un pas dans Ce couple atypique souhaite la rue sans qu’on ne le salue, avec profiter du développement tourissans perdre une once de simtique de la région. « Il faut suivre plicité. la la mode, ajoute Hanna. C’est le début de la concurrence ! On va « Pour le moment, on est faire du business. » « Les tourisbien ici », promet le précieux tes, souvent des Français, nous accompagnateur. Son côté encouragent », ajoute son époux. aventurier semble à présent se limiter à ses frontières. Un joli cadeau pour sa région ! ¿ Ces touristes, il les connaît bien. Ce guide ne se contente pas de faire découvrir une région à ses Juliette Bourrigan mode de vie habitant relations famille Priorité tourisme 57 Atlas Ouzoud sort de l’ombre Abritant de magnifiques cascades attirant de plus en plus de touristes, le village berbère d’Ouzoud connaît une évolution considérable. Des commerces se sont installés petit à petit, rendant plus attrayante cette modeste bourgade. L e village berbère d’Ouzoud s’est développé au fur et à mesure que les touristes ont afflué vers ses magnifiques cascades. Mohamad, 55 ans, fait partie de ces gens qui ont tenté de suivre cette dynamique. « Avant je vivais de l’agriculture, en pleine montagne », explique-t-il. Trente-deux ans d’agriculture qui ont pris fin pour une raison très simple : « Il n’y a plus d’eau, je n’avais plus assez pour vivre. Alors, je suis venu ici et, doucement, j’ai construit ce café », soupire ce quinquagénaire, installé sur une des chaises en plastique de l’établissement, ressemblant plus à une hutte qu’à un café. « C’est au mois d’août que je gagne le plus », commente ce patron tranquille, conscient de l’impact du tourisme. « Beaucoup d’Allemands et de Français ont acheté des terrains, ici », ajoute-t-il. Mohamad profite donc de leur venue. Mais même s’il aime cette toute nouvelle attractivité, ce père de dix enfants, logeant chez lui « des chèvres, des p Ouzoud se développe autour de sa superbe cascade moutons, et même un singe », tient à sa sérénité. « Ce qui me plaît le plus ici, c’est le calme, la tranquillité », confie Mohamad. Ouarzazate Guide touristique, « ça va, ça vient » P armi les habitants de la Kasbah de Taourirt, des guides qui proposent une visite des lieux aux touristes. Comme dans beaucoup de régions marocaines, le tourisme à Ouarzazate constitue un point névralgique pour le développement économique de la région. « Pour être guide, il faut normalement se former quatre ans à l’institut de Tanger », explique Mohamed Boussalh, ethnologue travaillant à la casbah de Taourirt. Compétences disparates Mais, bien souvent, les guides rencontrés à la casbah n’ont reçu aucune formation et s’improvisent accompagnateur pour avoir un petit boulot. D’autres sont toutefois passés par l’ANAPEC - Difficile de quitter la montagne Agence Nationale pour la Promotion de l’Emploi et des Compétences - qui recrute tout le monde et assure une solide formation. Résultat de ces compétences quelque peu disparates : les informations données au visiteur varient de guide en guide. Certains vous diront ainsi que le pacha El Glaoui s’est installé en 1754 à la Kasbah de Taourirt quand tous les manuels certifieront que ledit pacha a pris le pouvoir… au XXe siècle ! Une situation frustrante pour les quelque 70 touristes qui découvrent chaque jour cette cité gardienne de mémoire durant la haute saison. Mais une ressource vitale pour nombre de jeunes – et moins jeunes – Marocains en mal d’emploi… ¿ Charline Poisson Plutôt flegmatique, il semble content de son sort. « Vous savez, il est difficile pour quelqu’un de quitter la montagne, s’excuse-t-il. Je n’ai jamais eu envie de partir. » Mohamad se contente de ce qu’il a, de son petit café qu’il loue « 2 500 dirhams par an », soit environ 250 euros. « J’espère construire mon propre café, faire un beau restaurant », déclare-t-il, contraint pour l’instant de garder un établissement plutôt rudimentaire. En sortant du café de Mohamad, on peut tomber sur une affiche désignant « le coiffeur », à quelques mètres de là. Un épicier est également posté au cœur du village, vendant aux touristes, comme aux Marocains, un peu de tout. Les touristes souhaitant découvrir à Ouzoud un village berbère traditionnel seront peut-être déçus. Car Ouzoud se développe, à son rythme, et prend de plus en plus des allures de village touristique. ¿ Juliette Bourrigan 58 Priorité tourisme Microtrottoir Des vacances destination Maroc Du centre-ville de Marrakech au souk d’Azrou, les touristes sont partout au Maroc. Beaucoup repartent satisfaits de ces vacances au soleil. p Faire le tour de Marrakech en bus touristique attire de nombreux touristes M arrakech est l’une des villes les plus touristiques du Maroc, après Agadir. «La ville a 40 000 lits, ce n’est pas énorme ! En 2010, on compte sur 60 000 », indique Omar El Jazouli, actuel maire de Marrakech. La ville ocre a en effet de quoi attirer. « Il y a la mer à 150 km d’ici, la neige à 60 km, où on peut skier. On peut faire marche à pied, randonnée. Et Marrakech est au centre. » Mais ce ne sont pourtant pas pour les paysages que viennent en priorité les Européens. « On est venu pour le soleil, on en avait marre de la pluie », expliquent M. et Mme Rondant sur la place Jamaâ-El-Fna. Arrivé une semaine auparavant à Marrakech, ce couple de Toulousains à la retraite avait encore deux semaines pour profiter du soleil. « Il y fait chaud dès le mois d’avril, pensent Mary et Cynthia, deux amies anglaises tout justes revenues de l’aéroport. Sans que les rues ne soient noires de monde comme en Espagne ou en Grèce. » Même loin du confort de la ville rouge Dans plusieurs cas, c’est aussi le porte-monnaie qui a incité les Européens à voyager. « Pour nous, c’était l’occasion d’être dépaysés sans trop se ruiner, indique M. Patinot, accompagné de son épouse et leur jeune fils. Et puis, c’est un pays francophone. » Dès leur arrivée, de nombreux touristes ont tous eu de très bonnes premières impressions. « L’accueil est très chaleureux et le dépaysement est total », s’exclame Mme Anistat, professeur de lettres en Lorraine, alors qu’elle effectue des achats au souk de la ville. « Les guides qu’on a eu étaient bien, quant au riad, il est magnifique », indiquent également M. et Mme Autillon, en balade sur la place Jamaâ-El-Fna avec leurs enfants. Plusieurs centaines de kilomètres plus loin, dans les montagnes du Moyen-Atlas, à Azrou, on retrouve encore plusieurs Européens dans un souk qui n’a pourtant rien de touristique, contrairement à celui de Marrakech. Jean Athé est venu se changer les idées loin de la métropole avec quelques amis retraités. « On reçoit un très bon accueil, pas si chiant qu’on le dit. On a bien quelques petits problèmes mais on représente de l’argent pour des gens qui n’en ont pas, c’est de bonne guerre », affirme-t-il. Certains regrettent ainsi la vue des mendiants et de tous ces petits vendeurs prêts à tout contre un peu d’argent. « Il y a constamment des gens qui vous harcèlent pour quelques dirhams, mais il faut faire avec. Il faut gérer parce que sinon on se retrouve tout nu », plaisante M. Rondant. Petits villages comme grandes villes semblent ainsi dans l’ensemble plaire à la majorité des nombreux touristes qui les visitent chaque année, avant de reprendre quelques jours plus tard l’avion en direction du travail et du froid. ¿ Sonia Barge L’homme de la soif - Place Jamaâ-El-Fna - Marrakech u Priorité tourisme 59 60 Vertes inquiétudes À l’heure de l’explosion économique, le Maroc s’inquiète de ses défis écologiques. Comment s’alimenter en eau, comment sauvegarder les espaces verts et comment bien traiter ses animaux ? Autant de questions auxquelles les Marocains apportent leurs réponses. Sans oublier sur le Web www.typomag.net ¿ En danger u Protéger les palmiers (A.M.) u Les khettaras, grandeurs passées en péril (A.H.)) ¿ Mais aussi u Sortez les poubelles (C.G.) u Penser global, agir local (A.M.) u Sauver la palmeraie de Skouria u SPANA... pour les animaux (C.G.) Ressources en eau Vers une crise de... À Marrakech plus qu’ailleurs, le problème de l’or bleu est une équation à plusieurs inconnues. Face à d’énormes enjeux économiques et écologiques, comment gérer une ressource si rare dans la région ? À en croire le maire de Marrakech, Omar El Jazouli, la problématique de l’eau ne se pose pas dans sa ville : « Nous n’avons aucun problème d’eau ! À côté de Marrakech, les montagnes de l’Atlas, qui culminent à plus de 4 000 m, sont un réservoir de neige et d’eau. Nous avons aussi des barrages tout autour de la ville. » Un discours des plus rassurants… « C’est scandaleux, on nous prend vraiment pour des imbéciles ! », s’insurge Sammy Ketz, directeur de l’agence AFP au Maroc, le dernier rapport de la Banque Mondiale sur l’eau sous le coude dont la première phase est sans équivoque : « Point n’est besoin d’être un spécialiste de la région du MoyenOrient et de l’Afrique du Nord pour savoir que les pays de cette région connaissent un problème de pénurie d’eau. » « La diminution des eaux exacerbera les tensions sociales » p Personnes cherchant de l’eau dans une fontaine de la médina de Casablanca et cours d’eau dans l’Atlas. souterraines et les réseaux hydrographiques naturels déjà assez limités de la région. De plus, on estime que le régime des précipitations se modifiera en raison des changements climatiques. » Pour Mohammed Ghamizi, professeur de biologie à la faculté des sciences de Marrakech, « la situation tend à devenir critique ». « Marrakech est Si les contours d’une future pénurie d’eau comune ville située dans une zone mencent à se dessiner dangesemi-aride avec peu de précireusement, la pollution et ses pitations, seulement 250 mm conséquences désastreuses par an*. La croissance est pointent aussi le bout de leur telle que les besoins devienMême dans nez. « Dans les grandes villes, nent très importants. Le boom est totalement polluée, de l’urbanisme a fait tripler la , où l’eau l’eau poursuit le professeur. Prenez superficie totale d’habitations , l’exemple du Tensift (rivière du dans la ville. La demande en est centre du Maroc) à Marrakech. eau va aussi exploser. Le touOn y trouve toutes sortes de on commence à risme de classe, avec ses golfs, résidus solides, du plastique… ses piscines, a aussi besoin de constater de la Même dans l’Atlas, où l’eau plus en plus d’eau. Du coup, est abondante, on commence à il y a beaucoup de pompage constater de la pollution, avec dans la nappe. Mais jusqu’à le développement de l’urbanisquand ? » Les récentes vagues me et du tourisme. » de sécheresse qui ont touché Marrakech amplifient ce « Aujourd’hui, Marrakech constat amer. tire son salut de ses barrages. Ils apportent des stocks d’eau considérables, qui sont ensuite transLe rapport de la Banque Mondiale va jusqu’à mis à des centres de traitement. L’eau potable sonner le tocsin : « La disponibilité de l’eau par vient de là », rajoute-t-il. Quand on sait que « les habitant baissera de moitié en 2050 et s’accomcoûts des problèmes environnementaux liés à l’eau pagnera de graves conséquences pour les nappes l’Atlas abondante pollution Vertes inquiétudes 61 Environnement l’or bleu À la claire fontaine Se désaltérer dans l’Atlas n’est pas forcément chose aisée. L’eau courante y est rare et la boire fortement déconseillé. Côté politique, les choses bougent avec un projet de barrage censé tout résoudre. « Nous sommes au milieu de l’eau, mais nous n’en avons pas ! » C’est sur cette contradiction que Mohammed Oula Fssalt, membre du conseil municipal de Demnate ouvre le débat. La raison est néanmoins simple. « Il y a deux soucis bien distincts : celui de l’eau courante et celui de l’eau potable, c’est-à-dire buvable. Demnate a de l’eau courante, mais pas suffisamment d’eau potable », explique Mohammed Essbaa, Professeur de SVT et membre de l’AESVT (l’Association des Enseignants de Science de la Vie et de la Terre). « La région d’Azilal contient quatre gros barrages qui alimentent le pays en eau potable à hauteur de 50 % », souligne l’enseignant. Mais pour les riverains, le retard pris en matière d’approvisionnement est considérable. Dans le petit village d’Ait Omghar, les habitants vont ainsi encore au puits pour pouvoir récupérer de quoi s’abreuver. Cuisine, vaisselle et douches sont donc limitées à cet apport liquide. Pour les toilettes comme pour la douche, c’est tout au seau ! Les gens pauvres, ne pouvant s’acheter de bouteilles, boivent aux robinets, ce qui occasionne des maladies. « La meilleure recommandation que je peux donner aux touristes, c’est de boire de l’eau en bouteille, histoire de ne pas prendre de risques, prévient le conseiller régional d’Azilal, Mohammed Fssalt. Il y a trop de calcaire dans l’eau des puits. Elle n’est pas traitée. » La raison ? Le manque de stations d’épuration. Du système D au barrage situent entre 0,5 et 2,5 % du PIB par an », selon le rapport de la Banque Mondiale, la politique de l’eau est-elle à revoir ? « Il faut corriger les priorités. L’histoire des golfs très étendus m’inquiète un peu », répond Mohammed Ghamizi. « Il y aura bientôt trois nouveaux golfs à Marrakech. A-t-on réellement besoin de douze golfs dans cette région ? », s’interroge un Sammy Ketz des plus remontés. « Les politiques veulent bien faire quelque chose, mais les énormes enjeux qui pèsent derrière les en empêchent », pense Abderrazzak Benchâabane, président du festival Jardin’Art, dont le thème en 2008 fut l’eau. « Il faut avertir les gens » Il faut pourtant agir, sous peine de conséquences désastreuses : « La dislocation économique et physique liée à la diminution des eaux […] aura des effets sur la croissance économique et la pauvreté, exacerbera les tensions sociales au sein des communautés et entre elles, et exercera une pression accrue sur les ressources financières publiques », précise ainsi le rapport. Des solutions simples existent pourtant. Mohammed Ghamizi pense ainsi que les eaux usées peuvent être une des clefs du problème : « C’est une ressource très intéressante à mobiliser, après La gestion globale laisse encore à désirer alors le système D est de mise. Mohammed Fssalt, outre ses activités de conseiller, est avant tout gérant de l’hôtel Atlas à Demnate. « À 14 heures, il n’y a plus d’eau, s’insurge-t-il. Entre 6 et 14 heures, ça va, mais après, les hôtels sont obligés d’avoir des ressources dans des bidons de plusieurs tonnes. » À Ait Omghar, une grande tranchée se creuse à la force des mains pour amener de l’or bleu. Nourredine Daifi, guide touristique à Demnate estime que les travaux seront finis en un an. « Il y a déjà une pelleteuse qui vient d’arriver, cela permet d’aller plus vite », s’amuse-t-il à dire. Mais le système D et les petits travaux ne suffisent plus. Depuis 1982, la région a un budget prévu pour régler la question sans que des avancées concrètes soient visibles. « Le roi est venu pour lancer la construction du barrage Hassan II, explique le conseiller régional. Un canal de 39 km de long doit déboucher sur le barrage qui aura un débit de 100 litres/seconde. Ce projet de 24 millions d’euros a débuté en mai et doit s’achever dès 2009. » L’objectif est d’alimenter suffisamment la région en eau courante. En attendant, les seaux sont toujours de sortie. ¿ Alexandre Mathis traitement. » Pour Jean-François Egon, directeur d’une entreprise de jardinerie en Ardèche et présent au festival Jardin’Art, le gâchis de l’eau est dû à la mode actuelle : « Pourquoi Marrakech veut-elle donner une image de luxuriance avec ses jardins quand on sait que l’eau est une ressource rare ici ? Économiser de l’eau avec des jardins secs, à base de cactées, c’est possible. L’école supérieure des arts visuels a, par exemple, utilisé cette méthode pour ses jardins. Les jardins verts, magnifiques, c’est un effet de mode. Il faut changer les mentalités. » En matière de prévention aussi, beaucoup de travail reste à effectuer… « Il y a bien des stratégies sur le long terme pour évaluer le besoin en eau, mais il faut penser sur le moyen, voire court terme », lance Mohammed Ghamizi. Certains l’ont bien compris : lors du festival Jardin’Art, des animations sur la préservation de l’eau ont touché des classes d’école primaire. Si un sourire était bien présent sur les lèvres des bambins, leurs cerveaux ont aussi bien cogité. Une lueur d’espoir, pour demain. ¿ Alexis Hontang * La moyenne des précipitations, en France, est de 770 mm/an. 62 Vertes inquiétudes Agriculture L’argent ne pousse pas dans les champs Dans les milieux ruraux, l’agriculture et l’élevage sont les principales sources de nourriture et de revenus. Chaque famille cultive ses propres terres et élève son bétail pour sa subsistance. C ’est à 200 km de la bouillante ville de Marrakech que, perdus dans les montagnes de l’Atlas, fourmillent de petites villes et villages que la révolution agricole semble avoir oubliés. Les images de fermiers avec chapeau de paille et bœufs traînant des charrues pour labourer les champs ne sont ici pas des images d’Épinal, mais bel et bien la réalité. L’agriculture rurale se distingue de l’agriculture extensive par ses petites parcelles de culture de tout au plus quelques centaines de mètres carrés. Quasiment chaque famille possède une ou plusieurs terres, selon sa richesse. L’hiver, on plante de l’orge, du blé et du fourrage pour les animaux ; l’été, les champs deviennent des potagers fournissant tomates, courgettes et oignons. Dans certaines régions, il y a des vergers et même des vignobles qui promettent beaucoup, mais qui ne sont destinés qu’à la seule consommation, faute d’investisseurs. « La récolte de l’été, on la garde pour nous » « On est beaucoup d’enfants à la maison, la récolte de l’été, on la garde pour nous », confie Latifa, 12 ans, qui a quitté l’école pour s’occuper du champ de son père. L’entretien des terres prend du temps : il faut vérifier l’irrigation, enlever les mauvaises herbes, labourer, planter… C’est pour cela que tout le monde s’y met. Dans les familles modestes comme celle de Latifa, l’agriculture est pratiquée pour se nourrir et non pour le commerce, contrairement aux familles plus aisées comme celle d’Asma, 16 ans, qui clame fièrement : « Nous, on ne garde que 20 % de la récolte, le reste on le vend, on en a bien assez pour nous ! » Ces familles aux moyens plus conséquents vendent leurs récoltes au souk qui se tient une fois par semaine dans chaque ville. Pour subsister dans ces endroits isolés, avoir des terres ne suffit pas, il faut aussi des animaux. Elhocein, 10 ans et pas plus grand que son bâton p Le souk d’Azrou se tient une fois par semaine de berger, emmène paître ses treize moutons tous les jours : « Je fais ça pour aider ma famille, mais ça ne sera pas mon métier, moi je veux être médecin. » L’élevage est au même titre que l’agriculture indispensable au développement dans ces milieux ruraux. Treize têtes, c’est un assez gros troupeau par ici, mais les gens ne les mangent pas, ils les gardent pour leur laine et les vendent lors de la grande fête de l’Aïd El-Kebir. Les chèvres sont, elles aussi, vendues, mais les chevreaux sont mangés. Les poules, peu chères, sont nombreuses et appréciées pour leurs œufs, vendus au souk s’il y en a trop pour la famille. La vache, signe de richesse Signe de richesse, la vache coûte très cher, et en plus, « elle mange énormément », rigole Asma avant d’ajouter : « Mais elle nous donne du bon lait et du beurre. » Dans les montagnes de l’Atlas, les paysans ne se plaignent pas du manque d’eau, car le climat n’est pas sec et l’eau coule convenablement. Les récoltes et les pâturages sont donc toujours assurés, mais c’est leur faible niveau de vie qui préoc- cupe les habitants. Sur les villages plane l’ombre des grandes terres agricoles des villes, générant de gros revenus et concurrençant les « petits » sur leur propre marché. Elles sont le symbole d’une réussite sociale qu’eux aussi espèrent secrètement voir un jour s’installer dans leurs petits coins de montagnes. ¿ Anabelle Bourotte Vertes inquiétudes 63 Moyen-Atlas Hadou et ses moutons Hadou vit avec sa femme Rkia et son fils Aamit dans une modeste « maison » au cœur d’une prairie dans la province d’Ifrane. Celle-ci leur a été louée par le propriétaire du troupeau dont Hadou a la charge depuis deux ans… D ans une prairie de la province d’Ifrane, à quelques pas d’une station de ski, on distingue, au loin sur une colline, un troupeau de moutons. Si l’on s’approche encore, on voit une silhouette, assise sur un rocher. Bonnet violet sur la tête et manteau épais pour se protéger du vent, cet homme âgé de 40 ans, qui en paraît cinq de plus, surveille son troupeau. Il s’appelle Hadou et est berger depuis plus de vingt ans maintenant. Mais les moutons dont il a la charge ne sont majoritairement pas les siens. En effet, sur 200 bêtes, il n’en possède pour le moment que 50. La raison est simple : Hadou est payé en moutons. Pour quatre ovins gardés, il en gagne un. Au moment de la tonte, là aussi le berger obtient une partie de la laine. « Nous ne tondons pas nous-mêmes les moutons, des gens viennent exprès le faire et nous obtenons le quart de laine », précise-t-il. Lorsqu’il a besoin d’argent, Hadou peut espérer vendre un de ses moutons entre 900 et 1 200 dirhams au souk. Ou alors, il emprunte à son patron et le rembourse en fin d’année. q L’été, les champs fournissent oignons... p Bonnet violet et manteau bleu, Hadou est berger depuis vingt ans maintenant Et il est impossible de laisser les moutons sans surveillance la nuit, la présence de loups étant fréquente. « Il m’est déjà arrivé de perdre des moutons à cause des loups », précise le berger. C’est pour cela qu’avec Aamit, son fils, et un de leurs voisins, ils se partagent la tâche à tour de rôle afin que chacun puisse se reposer quelque temps et ne pas laisser un instant le troupeau tout seul. La petite maison dans la prairie Après vingt ans de métier, Hadou est fier de dire qu’il est capable de reconnaître tous les moutons de son troupeau. Néanmoins, ils sont tous marqués. Cela fait environ deux ans qu’Hadou et sa famille vivent dans la province d’Ifrane. Originaires d’un petit village à 17 km de là, Hadou, Rkia et Aamit sont contraints de déménager à chaque fois qu’ils travaillent pour un nouveau propriétaire. Bien loin des grandes villes, leur maison se trouve au cœur d’une prairie, afin de pouvoir surveiller en permanence le troupeau. Murs en pierres, toit en bois recouvert de terre et plastique… À première vue, rien de très confortable et pas de porte ! Mais lorsqu’on entre, on s’aperçoit que la chaleur ne manque pas et que l’endroit est un véritable nid douillet. Le sol est recouvert de tapis, fabriqués des mains de Rkia, avec la laine des moutons. Des coussins sont dispersés un peu partout dans l’unique pièce à vivre. Rkia, prépare à manger pour toute la famille grâce au poêle central. Pour les courses, la petite famille ne descend qu’une fois par semaine à Azrou, au moment du souk. Une vie simple, quasiment coupée du monde, où les seuls bruits audibles sont les bêlements des moutons et le moteur des quelques rares voitures passant par là. ¿ Cécile Pasquet Au bazar des sens C haque mardi matin, le souk d’Azrou est le rendez-vous des habitants de la ville et des alentours. Artisans, éleveurs, agriculteurs et commerçants en tout genre, se retrouvent pour vendre leurs productions à une majorité de Marocains, mais aussi à quelques touristes, dans une ambiance des plus typiques ponctuées de cris des animaux et rehaussées par les belles couleurs des épices et des légumes frais. L’entrée du souk donne le ton de la matinée : bruits et senteurs au programme. Les éleveurs sont rassemblés pour vendre leurs brebis, leurs moutons ou leurs vaches, qui rappellent, par leurs émanations, la campagne de cette région montagneuse. Le reste des stands est organisé de façon particulière: dans certaines allées sont étalés des produits de même nature, d’autres concentrent des commerçants vendant en bazar toutes sortes de choses telles que des couverts, des téléphones portables ou encore de la lessive. Côté textile, il y a de tout, du produit fini - lingerie ou vêtement prêt-à-porter - à la laine, qui servira notamment pour fabriquer des tapis. Au cœur du marché, il est bon de respirer les fragrances des épices colorées ou d’admirer les fruits biens mûrs à l’aspect alléchant. Des jeunes enfants parcourent les allées en vendant des sacs en plastique tandis que les conducteurs des camions de marchandises boivent un thé, assis sur leurs remorques, en bavardant avec leur voisin. Au bout du souk, des petits vendeurs semblent s’être ajoutés anarchiquement et tentent d’écouler leur maigre stock au peu de personnes qui se sont aventurées jusque là, sans réel grand succès. Comme dans les grandes villes, les vendeurs d’eau sont au rendez-vous, participant à l’ambiance au son de leurs petites cymbales. Une atmosphère unique ! ¿ Elsa Marchand 64 Vertes inquiétudes Haras de Meknès Le berceau des équidés Le haras de Meknès produit des chevaux d’élite pour la région du Moyen-Atlas. Il est aussi le protecteur d’une race oubliée et peu répandue, le barbe. À la sortie de la ville, derrière des murailles, se cache l’une fierté de Meknès, sinon du royaume marocain : le haras royal et la jumenterie nationale. Ils abritent plus de 250 chevaux, dont une centaine d’étalons, qui profitent des 67 hectares de terrain. M. Stail est l’actuel directeur de ces lieux aux murs blancs immaculés, entourés d’allées fleuries. L’homme a obtenu un baccalauréat scientifique, sans avoir alors de réelles passions pour les équidés. « J’avais au fond une vocation d’enseignant ou de chercheur. Et c’est vrai que j’ai parfois quelques regrets, confie-t-il. Mais les chevaux étaient des êtres qui m’intriguaient et un jour je me suis dit « et pourquoi pas vétérinaire ? » Cinq mois après sa sortie de l’école, il commençait un tour des haras du Maroc avant de s’installer à Meknès, en septembre 2006. La production d’une élite régionale « Cet établissement est le plus vaste du royaume, affirme aujourd’hui avec fierté son directeur. C’est celui qui regroupe le plus grand nombre de chevaux, et de personnel. » Créé en 1923, sous le Protectorat, pour servir de remonte militaire et ainsi répondre aux besoins de l’armée royale en chevaux, le haras de Meknès a aujourd’hui pour mission de produire des chevaux d’élite pour toute q Le docteur Satil, vétérinaire et directeur du Haras de Meknès p Le Haras de Meknès bichonne une race oubliée, le barbe la région du Moyen-Atlas. « Nous cherchons à obtenir une production intensive et de qualité », indique M. Stail. L’établissement travaille avec une trentaine de stations de monte, éparpillées autour de Meknès, dans un rayon de 30 km. Le haras met à leur disposition ses mâles reproducteurs gratuitement, à l’exception de quelques étalons pour lesquels il faut payer. L’équipe est également appelée à agréer des chevaux privés, pour contrôler leur race. « On pratique des tests de filiation puis on fournit des papiers officiels qui leur ouvrent les portes des concours, explique le directeur de l’établissement. Cela leur donne un statut. Seuls les haras sont habilités à le faire. » « Au Maroc, il y a 150 000 chevaux, et un million de bourricots ! » plaisante, M. Stail. Au début des années 70, les fiers équidés étaient 500 000. La chute d’effectif est principalement due à la mécanisation. On compte toutefois encore une douzaine de races différentes dans le royaume. La protection des barbes Au cours de la troisième édition du salon de l’agriculture international au Maroc qui s’est tenu à Meknès cette année, le haras a pu exposer les différentes races de son élevage : le pur-sang arabe, l’arabe-barbe et le barbe. Également appelés chevaux des Berbères, les barbes avaient été quelque peu oubliés jusque dans les années 80, car ils avaient été rayés du stud-book français en 1962 (registre contenant la généalogie et les performances de chaque cheval). Ils n’y ont repris place qu’en 1988 grâce à l’Association Française du Cheval Barbe. Mais, encore aujourd’hui, le haras de Meknès est l’un des seuls à en élever. « À chaque naissance, nous entretenons maintenant le stud-book des chevaux barbes du haras », précise le docteur Stail, à la fois directeur des lieux et vétérinaire. L’une des particularités des haras marocains est en effet que chaque responsable soit un vétérinaire. « C’est une tradition que nous gardons depuis des millénaires au Maroc », indique le Dr Stail. C’est peut-être aussi pour cela que les chevaux de Meknès sont si beaux et en pleine santé. ¿ Sonia Barge Vertes inquiétudes 65 Maltraitance Les anti-charmeurs montrent les crochets Sur la place Jamaâ-El-Fna, de nombreux touristes s’extasient devant le spectacle des charmeurs de serpents. Ils ne savent pourtant pas les drames écologiques qui se cachent derrière les flûtes et les photos. Accablés par le stress ou par la faim, les serpents sont victimes de maltraitance de la part de leurs maîtres. U ils s’engagent à protéger les grands mammifères en danger. Ces signataires, encore peu nombreux, sont retraités, menuisiers ou étudiants. Ils sont pour la plupart français. Les touristes lambda raffolent pourtant des spectacles offerts par les musiciens envoûtant l’invertébré et le faisant se tordre langoureusement. Les charmeurs profitent de la cupidité des badauds pour gagner 20 à 30 dirhams pour quelques photographies. Car ils ne charment pas littéralement les serpents : « Ils sont sourds, avoue l’un d’eux. La musique, c’est juste pour attirer le touriste. » Et si, pour le bien des serpents, les charmeurs doivent, pour l’association, arrêter leur travail actuel, il ne serait pas question de les laisser tomber. L’association pense déjà à recycler leur activité. Ils interviendraient dans des écoles ou entreprises pour « sensibiliser à la préservation des 25 espèces de serpents du Maroc », souhaite Michel Aymerich. Sur le site, on peut notamment lire la volonté de créer un vivarium place Jamaâ-El-Fna pour sensibiliser à la cause des serpents. Quant aux vendeurs de serpents, ils seraient gardes de Parcs Nationaux ou guides naturalistes. Mais ceci n’est qu’un souhait. GEOS ouvre d’ailleurs son site sur cette citation de Théodore Monod qui résonne comme un rêve utopique : « Le jour n’est, hélas ! pas venu où l’extinction d’une espèce vivante sera tenue pour un délit aussi grave que la destruction d’un chef-d’œuvre artistique. » ¿ n reptile immobile sur le bitume de la place Jamaâ-El Fna ? Ne cherchez pas, il est mort. Ses propriétaires, des charmeurs de serpents, donnent simplement l’illusion qu’il dort ou qu’il mange. « Quand une vipère est morte, on lui met un œuf dans la gueule pour faire croire aux touristes qu’elle est en train de gober », s’offusque Michel Aymerich, de l’association GEOS (Groupe d’Études et d’Observation pour la Sauvegarde des animaux sauvages et des écosystèmes). Son message est clair : « Touristes, s’il vous plaît, détournez-vous des spectacles indignes qui maltraitent les animaux, ou mieux, dénoncez-les ! », écrit-il sur le site officiel de l’organisme. Mauvais traitements À GEOS, on brandit le risque écologique qui se cache derrière ces agissements folkloriques. Les reptiles ont une durée de vie réduite. « Deux à trois mois maximum », précise Michel Aymerich, qui milite pour cette cause en se rendant souvent au Maroc. Contacté par téléphone, l’écologiste prévient : « Certaines espèces utilisées sont en voie d’extinction ! » C’est le cas des vipères hurlantes ou des couleuvres de Montpellier, fréquemment choisies. Les charmeurs vont s’approvisionner auprès de vendeurs dont le travail est de capturer les créatures dans la nature. « Ils mettent les invertébrés dans des cages infectées où ils meurent de faim et de soif », rétorque-t-on sur le site de GEOS. Autre cause de leur faible espérance de vie, les maltraitances que subissent ces pauvres bêtes. Devant le public, le spectacle se doit d’être impressionnant. Alors, pour pousser les reptiles à attaquer, leurs maîtres les frappent. Stressé et énervé, l’animal adopte une position défensive naturelle en essayant de mordre. Mais, pour ne prendre aucun risque, les tortionnaires ont pris soin d’arracher préalablement les crochets du reptile. « La bête p Un charmeur de serpents de Marrakech. devient alors incapable de se nourrir elle-même. Elle est gavée de force par les charmeurs », précise Michel Aymerich. Pis, l’arrachage des crochets « crée des abcès provoquant une mort lente et douAlexandre Mathis loureuse ». Un vieux charmeur moustachu nie les * www.geos-nature.org/charte.html faits, mais refuse de nous le prouver en montrant les crochets sur un serpent à lunettes. « Les cobras sont dangereux, ils peuvent me piquer ! », s’emq Les touristes raffolent des serpents... porte-t-il. Sortir du folklore L’annexe I de la convention de Washington interdit les maltraitances. L’Espagne ou encore l’Inde la respectent et ont déjà condamné des charmeurs pour mauvais traitements. Mais au Maroc, le déni persiste. Notre vieux moustachu n’estime ainsi pas maltraiter ses serpents : « Ces animaux sont contents d’être là, de participer au folklore. Il y a des gens méchants comme Brigitte Bardot qui n’aiment pas les animaux. Nous, on les aime ! » L’action de GEOS, ONG (Organisation Non Gouvernementale) française, ne consiste pas seulement à dénoncer ces actes. L’association cherche aussi des solutions. Dans sa charte du 14 juin 2005*, les signataires refusent « toute forme de manipulation pouvant conduire à terme au décès d’un animal ». Plus généralement, 66 Vertes inquiétudes Sauvegarde Tout pour le cèdre ! La forêt de cèdres qui s’étend sur la province d’Ifrane est la plus vaste du royaume. Sa sauvegarde est plus qu’importance puisqu’elle abrite une faune et une flore uniques et joue un rôle de barrière contre le désert. Pourtant, face à la surexploitation dont elle fait l’objet, les membres d’un projet visant à protéger la cédraie ont bien du mal à obtenir des résultats concluants. L p Le cèdre Gouraud, non loin d’Azrou. es forêts de cèdres représentent un tiers de fert à chacune 50 000 dirhams (4 545 €). « Il faut la superficie de la province d’Ifrane, dans que les personnes qui se servaient de la forêt pour le Moyen-Atlas. « C’est la région foresvivre puissent se lancer dans d’autres activités, tière par excellence », affirme Mohamed Zbati, comme le tissage ou la production de produits du 37 ans, ingénieur des eaux et foterroir comme le miel ou les cerets dans la ville voisine, Azrou. rises, explique M. Zbati. Nous Avec pas moins 116 000 hectares, avons aménagé plusieurs plans c’est la plus grande superficie d’eau pour les ovins, et fait une boisée du Maroc. « Le cèdre est tentative de reboisement, mais un patrimoine national et interça a été un échec total, car les national, indique Aissa Ibrahimi, arbres étaient de trop mauvaise ancien officier de l’armée royale qualité… » de 41 ans qui a choisi de passer sa retraite dans la cédraie, derrière Le musée d’un arbre un étalage de pierres précieuses. p Mohamed Zbati C’est une barrière contre le cliLes membres du projet ont « Actuellement, mat désertique du Sud, et un réégalement voulu développer servoir d’eau potable. » La forêt l’écotourisme. Pour cela, rien on exploite d’Ifrane abrite de plus une flore de tel qu’un joli musée, au quatre fois plus et une faune uniques avec plus cœur de la forêt elle-même : la la forêt que ce de 250 espèces animales, dont la Maison du Cèdre. Sa construcplus importante population montion devrait s’achever fin 2008. qu’il faudrait » diale de singes magots, actuelleIl s’agira alors d’un écomusée ment menacés d’extinction. Avant contenant un centre d’informaqu’il ne disparaisse, il y a de ça une cinquantaine tion sur tout ce qui concerne la cédraie, utile aux d’années, la cédraie était également peuplée par le guides de montagne, ainsi qu’une cellule de senLion de l’Atlas. sibilisation, notamment pour les élèves en sortie scolaire. Mais une lourde menace pèse depuis ces dernières décennies sur la cédraie d’Ifrane. La forêt Le projet global de sauvegarde de la Cédraie est soumise à des dégradations humaines croissandevait durer jusqu’en 2007 ; il a été prolongé de tes dues notamment à la sédentarisation de plus dix-huit mois. Cinq ans et 120 000 000 de dirhams en plus de bergers dans la région (coupe illégale (10 909 000 €) après, le bilan est bien décevant du bois, surpâturage des troupeaux de moutons). d’après Mohamed Zbati : « C’est un problème de « Actuellement on exploite quatre fois plus la forêt moyens, se justifie-t-il. Le projet n’est pas assez que ce qu’il faudrait, ce qui entraîne une destrucsuivi par l’État. » Mohamed Mohache, président tion de la flore ! », s’exclame M. Zbati. d’une association locale qui a suivi le projet de près depuis ses débuts, désigne quant à lui un tout Pour sauvegarder ce havre de verdure, les autoautre coupable. « Les associations font mal le lien rités marocaines ont décidé de réagir en lançant le avec les riverains. La population ne sait rien de ce Plan Forestier National du Maroc. Une collaboraprojet et c’est ce qui fait son échec », affirme-t-il. tion est née entre le Haut-commissaire des eaux et forêts, et l’Agence Française de Développement Manque d’investissement budgétaire ou per(A.F.D.) pour monter à bien un projet lancé en sonnel de la part des riverains, dans un cas comme 2003. Depuis lors, plusieurs actions ont été menées dans l’autre, ce sont la forêt et ses petits habitants dans différents secteurs. « On essaie de détourner qui en pâtissent. Si les singes Magots viennent à l’attention des populations riveraines (près de disparaître ou si le désert vient remplacer la cé40 000 habitants) de l’exploitation forestière », indraie marocaine, il sera peut-être un peu tard pour dique notamment l’ingénieur. Les partenaires ont chercher à qui la faute. ¿ ainsi fait appel à 23 associations locales et ont of- Vertes inquiétudes 67 Tradition renouvelée En route pour la transhumance ! La transhumance est une technique ancestrale qui consiste à se déplacer sur les différents niveaux des montagnes, plaines et haute montagne, permettant ainsi de préserver la biodiversité de la région. Rencontre avec M. Rahhou, coordinateur national du projet « transhumance et biodiversité », visant à primer l’écotourisme et la protection de la biodiversité. « La transhumance est une technique ancestrale qui permet aux habitants du Haut-Atlas de s’adapter aux différences de climat liées aux saisons. Ainsi, en été, ils quittent les montagnes pour les plaines et inversement. Cette tradition démontre son efficacité depuis toujours », déclare M. Rahhou, coordinateur national du projet « transhumance et biodiversité ». p Le projet attend sa certification « clé verte » pour établir un label «produits de la transhumance ». Mais la transhumance est également un moyen de relancer l’écotourisme et de sensibiliser le touriste sur la richesse naturelle de la région pour lui faire comprendre ce qu’il peut ou ne peut pas faire dans l’intérêt de la nature. « Il n’y a pas de mauvais touristes, justes des touristes mal informés », déclare M. Rahhou. Clé verte Ce projet a une portée internationale : « Le Maroc est le deuxième pays à tenter cette expérience, juste après la Mongolie, et nous sommes en deuxième position au niveau de la biodiversité, après la Turquie », affirme avec vigueur cet amoureux de la nature. p M. Rahhou « Nous sommes en deuxième position au niveau Mais ce projet a aussi une dimension régionale puisque la de la biodiversité , relance de la transhumance peraprès la Turquie. » La transhumance relancera le tourisme met de préserver le patrimoine et la biodiversité de la province de Ouarzazate : « Cette technique et ce mode de vie offrent des produits de terroir exceptionnels puisque les animaux sont essentiellement nourris de plantes médicinales et aromatiques se trouvant sur place », continue-t-il avec conviction. ver de ces espaces. C’est dans cette optique que le projet « transhumance et biodiversité » a signé la charte écotourisme. Celle-ci implique un diagnostic des potentiels et contraintes et permet d’offrir un cadre plus propice au tourisme durable. Ainsi, de nouvelles normes d’utilisation de l’espace et des ressources naturelles (itinérance des troupeaux permettant le renouvellement naturel de certaines ressources, respect de l’environnement…) sont mises en place pour valoriser et conser- Pour compléter cette charte, le projet attend sa certification « clé verte » qui, à terme, permettra d’établir un label spécifique « produits de la trans- humance ». Mais le processus est assez complexe, car de nombreuses conditions doivent êtres respectées pour obtenir cette certification… Les prétendants doivent remplir un dossier, par lequel on juge de leur gestion environnementale, les principaux critères de sélection étant la gestion de l’eau et des déchets, les aménagements touristiques respectant l’environnement et enfin l’éducation à l’environnement pour les employés des infrastructures touristiques. « Ce projet conséquent » est essentiellement financé par le PNUD (programme des Nations unies pour le développement), le FEM (fonds pour l’environnement mondial) et le gouvernement marocain, plus précisément le ministère de la Pêche, de l’Agriculture et de l’Environnement. Il profite surtout aux tribus des versants du Haut Atlas. Elles peuvent ainsi obtenir de nouveaux revenus, par la vente de leurs productions, mais aussi en tant que guides pour les excursions touristiques… ¿ François Perez q Les moutons quittent les montagnes pour les plaines. 68 Vertes inquiétudes Portrait Abderrazzak Benchaâbane côté cour, côté jardin La passion des plantes a poussé Abderrazzak Benchaâbane sur des voies multiples : de professeur à parfumeur, en passant par organisateur de festivals. Tout ce qu’il touche devenant or, Benchâabane l’écolo s’est transformé en un redoutable businessman… B enchaâbane se réclame de la nature. Élevé dans une famille modeste, ce Marrakchi a rencontré dame nature dès son enfance, lorsqu’il goûtait aux joies des vacances à la campagne. « Tout a commencé par les plantes et tout tournera autour des plantes, avoue cet homme de 49 ans, à la moustache poivre et sel. En tant que Marrakchi, on ne peut être insensible aux jardins. Je vais jusqu’à penser que l’âme de Marrakech réside en ses jardins : l’ombre des arbres procure de la fraîcheur, l’ambiance est propice à la rencontre, à la culture. » Au fil du temps, Abderrazzak Benchaâbane a su cultiver son CV comme un jardin : professeur d’ethnobotanique, rédacteur en chef du magazine « Jardins du Maroc », directeur du festival Jardin’Art, ancien gérant du jardin de Majorelle (jardin marrakchi, créé par le peintre nancéien Jacques Majorelle, en 1931) et parfumeur. Avec comme point commun de ces années de travaux, son chapeau. « Je le porte depuis 25 ans. Le chapeau apporte une certaine élégance. Une classe que j’essaie d’ailleurs de retransmettre à mes produits. » q Abderrazzak Benchaâbane est directeur du festival Jardin’Art de Marrakech p Le jardin de Majorelle et son célèbre bleu... C’est certainement la délicatesse de son chapeau qui a su attirer le fameux couturier français Yves Saint-Laurent lorsque celui-ci recherchait quelqu’un capable d’impulser un souffle nouveau au jardin de Majorelle. « Ce fut une superbe expérience. On a réussi à mettre des plantes des cinq continents sur seulement cinq hectares ! ». Ambassadeurs olfactifs Depuis 2001, Abderrazzak Benchaâbane s’est lancé dans le parfum. Ses fragrances ont des noms évocateurs : Soir de Marrakech, Mogador (l’ancien nom d’Essaouira), l’Agdal (l’Agdal est un jardin de Marrakech), Casablanca et Festival (en allusion au festival du cinéma de Marrakech). « Je considère mes parfums comme des ambassadeurs olfactifs du Maroc ! » Mais le côté écolo du Marrakchi au chapeau est l’arbre qui cache la forêt. Dans son 4x4 dernier cri, le Marocain s’est mué en un redoutable homme d’affaires qui vit à cent à l’heure, n’hésitant pas à couper son interlocuteur pour vanter les mérites de ses parfums à un couple de Français désarçonné par autant de belles paroles. Dame Nature peut attendre un peu… ¿ Alexis Hontang Transport habituel - souk de Marrakech u 69 70 Comment savoir ? La jeunesse marocaine dynamise de façon importante son pays. L’enjeu réside donc dans la formation de cette génération. Que ce soit à travers le sport, le système scolaire ou la religion, les écoles de vie sont aussi nombreuses que diversifiées. Association El Amane touche le coeur des femmes Régulièrement, Najat, membre de l’association marrakchie El Amane, rend visite aux femmes d’un humble village pour parler avec elles de leurs droits. Aujourd’hui, Malika, professeur de lettres à l’université, l’accompagne pour animer l’atelier. Q goûter des enfants, la réunion commence. Malika uand Najat et Malika arrivent au milieu de se lève et toutes les femmes se rassemblent autour l’après-midi, le village est désert. La seule d’elle. L’enseignante leur cite présence, ce sont les des proverbes sur les femmes, sacs plastiques qui volent dans évoquant la tradition à grand les chemins. Une grande pièce renfort de gestes et de mimes. est réservée pour les cours et la «Le meilleur Elle leur demande ce qu’elles en tôle de fer utilisée en guise de pensent, déclenchant ainsi des toit vrombit violemment sous discussions ponctuées d’éclats le vent. « Les femmes seront de rire. Malika cerne ainsi la peu nombreuses aujourd’hui dans le vision plutôt négative que les vu le temps qu’il fait », préfemmes ont d’elles-mêmes et vient Najat. Pendant une ving, de leur vie. La scène paraît surtaine de minutes, des femmes c’est quand réaliste : Malika, jean, t-shirt arrivent néanmoins par interet cheveux courts, incarne la mittence et font la bise à toutes », on est au femme libérée venant parler à leurs amies sous le regard de semblables, pour la plupart la dizaine d’enfants assis cals’esclaffe l’une des ses voilées de noir ou en couleurs, mement sur de petits bancs en de leur statut de femme. bois. . moment mariage lit Après la distribution des deux citrons et barres chocolatés constituant le maigre q Tandis que les mamans palabrent, les enfants attendent sagement le goûter femmes La femme est-elle intelligente ? Les femmes pour la plupart participent activement, pouffant de rire ou tapotant le bras de leur voisine, sauf quelques-unes, timides, que Malika exhorte à parler. De grands débats s’articulent autour de la gent féminine : est-elle intelligente ? Une jeune fille bondit de sa chaise, bien convaincue que non : « Les femmes sont viles et c’est pour cela qu’elles ont besoin des hommes ! » lance-t-elle. Cette obstination de la jeune fille fait réagir vivement les autres femmes qui tentent de la convaincre du contraire. Malika à l’aide d’un conte populaire lui explique que les femmes ont, elles aussi, de l’esprit, calmant ainsi la verve de la jeune fille qui bien qu’étant très jeune semble néanmoins la plus traditionaliste des femmes présentes. La confiance commence à s’installer et Malika décide de parler de sujets plus sensibles, comme la violence conjugale et le divorce. « Tout cela est très mal vu ici », confie Najat, tout en suivant attentivement les débats. Quand elles parlent des violences, les femmes dédramatisent avec iro- Comment savoir ? p Hygiène, place de la femme ou divorce... Tous les sujets sont abordés lors de cette rencontre animée. nie. « Le meilleur moment dans le mariage c’est quand on est au lit ! », s’esclaffe l’une d’entre elles. Mais elles ne cachent pas les violences dont elles sont victimes. Ces violences ne sont d’ailleurs pas que physiques, comme en témoigne une femme en plein divorce. « Cette situation est une honte pour moi et ma famille », racontet-elle courageusement face aux autres femmes. La séance dure depuis deux heures maintenant et, pour terminer, Malika et Najat évoquent l’hygiène. La salubrité est un problème important dans des villages pauvres comme celui-ci : la mauvaise conservation des aliments, la saleté des lieux, apportent des maladies. Bien que sans le sou, les femmes invitent ensuite les deux animatrices à partager un petit goûter. Cela fait plus de six mois maintenant que Najat vient dans ce petit village. Cela lui a permis au fur et à mesure de tisser des liens avec les femmes : « Au début, elles étaient très méfiantes », confiet-elle, avant d’ajouter : « Mais maintenant que la confiance est là, je viendrai toujours pour les aider. » ¿ Anabelle Bourotte El Amane en bref L’association El Amane pour le développement de la femme existe depuis cinq ans. Formation, sensibilisation, éducation sont ses trois mots clés. Elle vient en aide aux femmes de la région de Marrakech, de tous les milieux, citadins comme ruraux. « Depuis janvier, nous avons déjà 59 dossiers de violences conjugales », affirme Najat, 30 ans, standardiste au centre d’écoute des violences conjugales de l’association depuis quatre ans. La jeune femme présente son association et ses projets : « Nous aidons les femmes à connaître leurs droits, on les accueille et on les suit jusqu’au tribunal si besoin. » El Amane œuvre pour « le développement de la femme », propose une écoute pour les femmes victimes de violences conjugales et un suivi psychologique. Les membres de l’association font aussi des programmes de sensibilisation et d’information sur les maladies comme le sida ou bien sur la contraception. Projets plus concrets, des cours d’alphabétisation et d’informatique sont dispensés à des femmes et des jeunes filles pour qu’elles puissent trouver un travail ou se réintégrer à l’école. Les actions se déroulent aussi à l’extérieur, dans des villages, pour des cours d’alphabétisation et des informations sur les droits de la femme. « Le milieu rural est un endroit où les femmes ne savent pas qu’elles ont des droits, affirme Najat. On les informe sur leurs droits, on les encourage à parler et à casser le silence. » El Amane entretient également des liens avec des associations dans tout le Maroc : à Rabat, Agadir, Meknès . « Nous créons ensemble un important projet à soumettre au parlement pour l’amélioration de la protection de la femme face aux violences conjugales », explique ainsi Najat. L’association est financée par des fonds internationaux tels que Global Rights, liés au lancement de divers projets, en général trois à quatre chaque année. « Mais cet argent ne suffit pas, il nous faudrait plus d’aides », déclare Najat. Des projets privés comme des formations payantes ou des ventes de stylos, t-shirts sont donc réalisés pour financer les locaux, les fournitures et payer les employés. ¿ Anabelle Bourotte 71 72 Comment savoir ? Jamila Hassoune, libraire en liberté Sur son site internet, Jamila Hassoune se présente comme libraire marocaine, activiste sociale et consultante interculturelle. Convaincue que la lecture favorise le développement, elle a initié la caravane du livre afin que les villages du Haut Atlas et du sud du pays puissent accéder à une bibliothèque itinérante. p Jamila Hassoune a réussi à transformer sa librairie en espace culturel J amila Hassoune, la quarantaine et les cheveux courts, est libraire marocaine. Aînée de six enfants, elle est la fille d’un instituteur de Marrakech. Dynamique, elle cumule les activités, toutes liées à sa passion, la lecture : Je « Je suis convaincue que la lecture est à la base de tout développement, aussi bien de la personnalité que de toute la du société. » bonheur des moineaux” de Mohamed Nedali… » La librairie familiale est installée à Marrakech, mais son rayon d’action est bien plus vaste. Tout d’abord, ce sont les villages ruraux du Haut Atlas environnant où Jamila Hassoune et la suis caravane du livre (voir encadré) partent à la rencontre des élèves, afin qu’ils puissent découvrir la richesse de l’écrit et faire , connaissance avec les auteurs. citoyenne monde Et pourtant, de son propre aveu, la librairie Hassoune, située dans le quartier de l’Université de Marrakech, ne marche pas fort. Avec seulement 50 % d’alphabétisation au Maroc selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), libraire est un métier difficile. marocaine mais pas marrakchie. Je suis libre dans ma tête . Un vaste rayon d’actions Jamila a tout de même réussi à transformer la librairie en espace culturel en organisant régulièrement depuis 1996 des rencontres avec des écrivains. Fondatrice du club du livre et de lecture de la ville en 1995, elle est également membre du jury des nouvelles noires à Marrakech. Elle ne peut s’empêcher de faire découvrir ses dernières trouvailles : « Je viens de terminer “Marrakech : Secrets affichés”, écrit par les deux poètes Yassin Adnan et Saad Sarhan. C’est super. Et aussi “Le L’idée de la caravane du livre, qu’elle a initiée, a débuté avec une question : « Comment développer l’esprit critique de cette jeune génération, son esprit d’analyse afin de les protéger contre toutes les formes de manipulation ? » Les livres ont soufflé la réponse à Jamila Hassoune. Depuis, la caravane touche deux ou trois villages et plusieurs centaines d’élèves par an. Quand on lui demande de décrire ce à quoi elle est attachée à Marrakech, la réponse fuse : « Je n’ai aucun attachement pour aucune ville. Je suis citoyenne du monde, marocaine mais pas marrakchie. Je ne m’attarde pas, je suis libre dans ma tête. » C’est heureux vu que Jamila Hassoune voyage une bonne partie de l’année pour donner des conférences. L’Italie en juillet, la Suisse en septembre et bien d’autres destinations dans l’année. C’est une question d’organisation, assuret-elle : « Fin juillet, je fais le planning de toute l’année. Et pour la librairie, on s’arrange. » Tou- tes ses interventions touchent à la démocratisation de l’accès au savoir, avec des thèmes comme les jeunes et l’accès au savoir, l’internet et les jeunes dans le monde arabe, les femmes et les livres… Sa plus grande préoccupation pour l’avenir du Maroc c’est l’alphabétisation, directement liée au développement des milieux ruraux : « L’analphabétisme, important au Maroc, bloque l’avancement rapide de la société. De plus, la stratégie de développement rural a été trop tardive. À cause de l’absence d’école à proximité des villages, beaucoup de filles n’y vont pas ou s’arrêtent en primaire. » Contre l’analphabétisme Jamila regrette également que les gens scolarisés ne lisent pas plus. Elle y voit plusieurs raisons parmi lesquelles l’absence de bibliothèque et l’école qui ne joue pas son rôle : « Dans les années 60, l’école encourageait la lecture, ce n’est plus le cas. Nous avons besoin de redéfinir une politique pour l’éducation. » La condition de la femme lui tient aussi à cœur. Sur ce sujet, elle constate des progrès, mais beaucoup à faire : « Le Maroc est bien placé par rapport à la Tunisie, par exemple. La femme va de plus en plus à l’école et commence à avoir accès à certains postes intéressants. Mais il y a encore besoin d’un changement des mentalités qui, comme partout dans le monde, restent masculines. » Un paradoxe, affirme-t-elle, quand « dans le pays, il y a beaucoup de femmes qui sont cheftaines de famille ! » ¿ Eddy Spann Comment savoir ? Initiative Éducation rurale La caravane du livre Paroles de profs de Skoura Mohamed Abouissaba, professeur de français au collège depuis 10 ans C’est cette année-là, avec la naissance de la caravane civique, que pour la première fois elle fait venir un intellectuel sur le terrain. Des concours sont organisés avec la distribution de livres en français et en arabe pour les prix. En 2006, la caravane du livre prend réellement forme, touchant chaque année deux ou trois villages et plusieurs centaines d’élèves. Cet espace culturel mobile facilite le contact entre les auteurs, les artistes, les journalistes et les jeunes gens. « J’utilise comme outils les livres, mais aussi les films, le théâtre et les nouvelles technologies », raconte Jamila Hassoune qui a organisé des projections de films dans le désert pour un total de 10 000 personnes. En 2007, la caravane s’est arrêtée du côté d’Amizmiz dans le Haut Atlas. En avril 2008, ce fut Skoura dans le sud. « Au mois de mai, j’ai recensé les besoins et rencontré les associations féminines. La caravane mobilise de 10 à 15 personnes de l’international et un peu près le même nombre au Maroc. » « L’ennui des aides de l’étranger, qui partent toutefois d’une louable intention, c’est que les jeunes prennent l’habitude de recevoir et ne font plus rien. La plupart pensent que l’Europe est un Eldorado et ne forment pour seul projet que de partir pour l’Europe. Ils croient y trouver facilement du travail. » Amal Chiti, professeur de français au collège Azzeitoune « Les filles veulent sortir de leur situation de femmes en milieu rural, une condition difficile lorsque l’on sait que dans ces régions enclavées des mariages avec mineurs sont encore arrangés et que les femmes sont les premières concernées par l’analphabétisme et le chômage.» Quatorze ans après ses débuts, Jamila Hassoune se réjouit que l’objectif - créer une dynamique pour essayer de réfléchir à travers les livres - soit atteint : « Les jeunes prennent le micro et débattent. Ils posent des questions, sur le sida par exemple. La caravane est devenue un véritable espace d’expression. » ¿ E.S. L a caravane du livre est née du constat de Jamila Hassoune, libraire à Marrakech : « Avec la mondialisation et la masse d’informations toujours plus importante que les individus doivent traiter, il est vital de développer le sens critique de la population afin d’éviter toute forme de manipulation. » Convaincue que « tout développement commence par la lecture », l’amoureuse des livres a mis en marche une bibliothèque itinérante : « Mon objectif, grâce à la lecture, est de développer la capacité analytique chez les lycéens. Savoir mieux filtrer la masse d’information leur permettra de mieux réussir. » Tout débute en 1994, lorsque, tout juste devenue libraire, Jamila se rend dans les villages avec des piles de livres. En 1999, elle va plus loin et conduit une enquête dans six villages : « J’ai interrogé 1 000 jeunes ruraux sur ce qu’ils souhaiteraient lire. Je me suis rendu compte de leur intérêt pour les livres et aussi du fait qu’ils désiraient rencontrer les auteurs. » Sans oublier sur le Web www.typomag.net ¿ Sport u Jeunesse et sport : le duo gagnant ! (A.H.) u Une association qui défie les handicaps (S.B.) u Le sport est-il hors-jeu à Marrakech ? (A.H.) u Le Maroc en pleine lucarne ! (A.H.) ¿ Sans oublier u Bienfaisance pour les orphelins de Marrakech (E.M.) u L’école au Maroc (J.B.) u Lycée : une vision de la jeunesse (J.B.) u Rectorat et international (J.B.) 73 Abdallah Taibi, professeur d’anglais au Lycée « La plupart des collèges et lycées n’ont pas suffisamment de place ni les moyens pour permettre aux élèves un accès à l’enseignement informatique. La majorité de mes élèves ne savent même pas comment utiliser un logiciel comme Word. » Propos recueillis par Charline Poisson 74 Comment savoir ? p q Le village Ait Blal, les enfants et l’imam (deux dernières photos du bas) Atlas profond L’imam et les 160 enfants Ait Blal est un village berbère perdu dans le Moyen Atlas. Très pauvre, toute la vie s’organise autour d’une école coranique où va l’ensemble des enfants. L’islam y est un constructeur du lien social et une échappatoire à la misère. À la moindre voiture d’étranger qui entre dans Ait Blal, des dizaines d’enfants se précipitent pour voir le spectacle. De leurs yeux ébahis, ils scrutent l’allure de l’occidental riche. Normal, leur village isolé aux confins du Moyen-Atlas est bien loin de la richesse pourtant relative d’une métropole comme Marrakech. L’ombre d’un homme se dresse au-dessus des bambins. « Laissez les visiteurs tranquilles », ordonne-t-il. Les petites têtes brunes obéissent au doigt et à l’œil. Ismail S’addiki est un jeune imam de 30 ans. C’est lui qui organise la vie de tout le village. « Je suis imam ici depuis un an. Je suis originaire d’ici et j’ai décidé de m’occuper de tous ces enfants. Ils sont 140 garçons ainsi qu’une vingtaine de filles que j’éduque. Je leur apprends le Coran jusqu’à ce qu’ils sachent tout par cœur. » Il avoue que son but est de former de futurs imams, respectueux du bon islam, non extrémiste. Pour les filles, l’éducation s’arrêtera à 13 ans. Après, elles seront mariées. Les journées se répètent telle une litanie de versets. « Nous commençons à 4 heures du matin pour la première prière et nous finissons à 22 heures. Je leur fais réciter et écrire des passages du coran sur les ardoises », explique l’imam. Certains élèves habitent à 40 km. Ainsi, les enfants dorment ensemble et ne rentrent dans leur famille que le jeudi soir et pour les fêtes. Toute la vie se passe en communauté : repas, douches, approvisionnement en eau. « Pour éviter les problèmes de poux, on leur apprend aussi à se raser la tête », ajoute Ismail. Une question de respect L’école coranique crée un certain dynamisme à Ail Blal. L’imam semble être une sorte de gourou craint. L’hospitalité marocaine apparaît ici comme une obligation « On accueille avec respect les étrangers et on leur offre l’hospitalité. C’est primordial », assure l’imam. L’autorité va même plus loin : « Ici, personne ne fume ! Pas de drogue non plus ! Petits et grands compris. Sinon, on punit ! » Nous n’en saurons pas plus sur les punitions, mais les résultats sont là. Dès qu’Ismail lève la voix, les mômes lui obéissent. L’imam apparaît comme le chef officieux du village. « Je connais le prénom de chaque enfant ainsi que ceux de leurs parents ! » En tant que chef religieux, il s’occupe aussi des prières des adultes. Le soir, une grande prière est ainsi organisée lorsque tout le monde rentre des champs. D’après lui, ici, « tout le monde est heureux ». Les conditions de vie paraissent pourtant compliquées. Chaussures trouées, habits trop petits, visages sales… Les habitants ne s’en plaignent pas. L’électricité est arrivée il y a environ deux ans et l’eau courante est un rêve pour le moment inaccessible. Pour se laver, chacun profite de l’eau du puits et utilise son petit seau. En hiver, les routes sont coupées, et le ravitaillement au souk de Demnate est impossible. « Les organismes se sont habitués », affirme un homme qui suit à la trace l’imam. Pourtant, les visages font plus vieux que leur âge. Sans médecin ni hôpital à proximité, l’espérance de vie est d’autant plus réduite. D’ailleurs, sans acte de naissance, aucun d’entre eux ne connaît sa date de naissance exacte. Lahcen est le doyen, mais c’est l’imam qui nous donne un âge approximatif : « Il doit avoir 80 ans, enfin environ. Mais le temps précis vécu importe peu ici. » La vie dure et le temps peut sembler long. Noureddine, guide dans l’Atlas, confie qu’il y a un vrai manque de matériel. « Les habits qu’ils ont viennent de la bienveillance des gens, mais cela est largement insuffisant », confie-t-il. Cette remarque sonne comme un appel à l’aide matérielle. Cela n’empêche pas cette vie de continuer inlassablement, et ce, grâce à l’action de l’imam. D’ailleurs, le village est désert : tous sont à la mosquée en train de prier. ¿ Alexandre Mathis Comment savoir ? 75 Portrait Souad Aboulama, une femme volontaire au tableau Souad Aboulama travaille depuis 1993 comme institutrice dans une école publique d’Azrou. Malgré toutes les difficultés de la vie marocaine, elle obtient toujours le meilleur de ses très jeunes élèves. D ans l’une des écoles primaires publiques d’Azrou, la maîtresse des touts petits s’appelle Souad Aboulama. Un visage rond à la peau noire, une voix agréable, un sourire chaleureux constamment aux lèvres, l’institutrice est née dans une grande famille où beaucoup ont aussi choisi le métier d’enseignant. Trente-deux heures par semaine, elle fait face à une classe de vingt-huit enfants de 5 à 6 ans, l’équivalent français du CP. Ce sont les plus jeunes puisque, comme l’indique Souad, « l’école est obligatoire à partir de 6 ans au Maroc ». « Certains jours, je ne travaille que le matin ; d’autres, l’après-midi en plus. Ici on travaille même le dimanche, à chaque fois 4 à 5 heures par jour », explique-t-elle, comme une évidence. Par amour pour les jeunes enfants p Souad Aboulama chez elle, entourée de sa petite famille et toujours prête à accueillir le visiteur. dique-t-elle. Souad est la maîtresse de vingt-huit enfants, mais c’est aussi la maman de deux autres bien à elle : Oussama, son fils aîné de huit ans, et la petite Assia, à peine âgée de cinq ans. Les jeunes enfants qui entrent dans sa salle de classe y apprennent écrire et à lire l’arabe, notamment avec des images. « C’est une vraie joie pour moi de les voir terminer l’année en sachant lire », confie Souad avec un grand sourire. « J’ai toujours voulu faire ce métier, se souvient la jeune femme. Par amour pour les jeunes enfants. » L’institutrice a eu son baccalauréat puis a suivi pendant deux ans une formation au métier dans un centre des instituteurs, dans une ville très éloignée du Moyen-Atlas, Safi. La petite famille est alors au complet lorsque son époux, Aziz, quitte son atelier de couture pour regagner la petite maison nichée dans une rue en pente du centreville. Installée à Azrou depuis 1993, elle a su garder cette même passion pour les plus petits, à qui elle consacre beaucoup d’énergie. « Il y a quelques heures dans l’emploi du temps que l’on laisse pour faire en classe des activités extrascolaires. Cette année, j’ai initié les élèves au théâtre et je dois dire qu’ils s’en sortent bien, surtout les filles. » Elle tient également à maintenir de bonnes relations avec les familles des élèves. « Je rencontre souvent les parents des enfants. Et je fais également partie d’une association de parents d’élèves », in- En plus de son métier et de son rôle de mère et d’épouse, Souad trouve encore du temps pour se faire plaisir. Elle se rend d’ailleurs plusieurs fois par semaine dans le club de gymnastique de sa sœur cadette. « Le plus difficile pour moi, c’est de trouver le temps à la fois pour mon travail et pour ma famille, lâche-t-elle en haussant les épaules. La mère de mon mari, Aziz, m’aide pour garder mes Une double journée de travail En plus enfants lorsque je ne suis pas là, mais ça reste assez compliqué. » Il est pourtant nécessaire dans les familles marocaines que les deux parents aient un métier. Cela permet de meilleures conditions de vie, de son comme la possibilité d’avoir des vacances ou des loisirs. « Sans et de son nos deux emplois, on ne pourrait pas envoyer notre fils aîné dans et une école privée qui bénéficie de plus de moyens. » , Souad métier rôle de mère d’ épouse trouve encore du temps pour se faire plaisir . Le jeune garçon profite ainsi de matériel informatique et audiovisuel. « Notre fils étudie l’anglais et il peut faire plusieurs voyages scolaires dans des musées ! », s’exclame son père, qui n’a pas eu cette chance. Pourtant, le manque de moyens dans son école publique, Souad le compense avec beaucoup de volonté. « Même si c’est un quartier difficile, j’obtiens de bons résultats avec mes élèves, conclut-elle. Et je suis fière d’eux. » ¿ Sonia Barge 76 Comment savoir ? Académie de Marrakech Système scolaire en construction Pour Abdelouahab Benajiba, directeur de l’Académie régionale d’éducation et de formation de la région Marrakech – Tensift – Al Haouz, « Le système éducatif marocain est un grand chantier qui est devenu la première priorité nationale. » Des projets d’amélioration et de mise à niveau éclosent, mais le manque de finances reste une importante barrière. L ’académie de Marrakech, la 3ème du Royaume avec un peu moins de 700 000 élèves et plus de 32 000 fonctionnaires employés, a placé la barre de ses ambitions à la hauteur de ses dimensions. Son recteur depuis cinq années, Abdelouahab Benajiba, bouillonne de projets. Un vrai paradoxe quand on écoute la voix calme et posée de ce professeur de biochimie âgé de 59 ans. « Comme tous les systèmes, notamment dans les pays en voie de développement, le système éducatif marocain a besoin d’être réformé, d’être amélioré à tous les niveaux », explique-t-il. Une autonomie plus grande L’académie régionale d’éducation et de formation de la région Marrakech – Tensift – Al Haouz, c’est son nom officiel, ne déroge pas à la règle. Son siège de la très passante avenue Allal-el-Fassi, dans le Guéliz marrakchi, risque donc d’être le point de départ de sérieuses manœuvres éducatives dans cette zone à peine moins grande que la Bourgogne. À commencer par la décentralisation, un « chantier très important et prometteur » tou- p « L’enseignement doit être généralisé » jours selon les dires de ce natif de Tétouan. La loi 07-00 libère en effet l’État de ses responsacruciaux qui ont retenu l’attention de ses membilités au niveau du système éducatif. Les seize bres. Et d’Abdelouahab Benajiba. « En premier AREF - Académie régionale d’éducation et de forlieu, l’enseignement doit être généralisé. Une loi mation - du pays jouiront de facto d’une bien plus existe déjà, stipulant l’école obligatoire pour les grande autonomie, qu’elle soit morale, scolaire ou enfants de 6 à 15 ans. Elle doit cependant être plus financière. « Cette loi va permettre de concentrer appliquée sur le terrain. L’objectif est que le taux les gestions au niveau des régions, qui constituent de scolarisation sur cette tranche d’âge atteigne, l’avenir et la garantie du développement des naau minimum, 95 % ». tions. » En avril 2008, le Conseil Supérieur de l’Éducatif a rendu son premier rapport, montrant du doigt les progrès généraux de l’école marocaine. Mais quelques dysfonctionnements persistent, dont trois q « Comme tous les systèmes, notamment dans les pays en voie de développement, le système éducatif marocain a besoin d’être réformé, d’être amélioré à tous les niveaux » Des moyens insuffisants « La mise à niveau des établissements est un autre chantier urgent. Surtout dans le milieu rural, où les infrastructures, la qualité de l’instruction et de la vie scolaire, l’assiduité et la stabilité des enseignants peuvent être corrigées et améliorées ». Enfin, dernière affaire et non des moindres, une autonomie des établissements est à l’ordre du jour. Des pôles d’excellence, autour de matières bien spécifiques comme les langues, les sciences ou les sports, verront le jour. Objectif de cette innovation : proposer une plus grande palette de choix pour l’étudiant et tracter les organisations moins huppées vers l’avant. Les desseins sont là, les dossiers s’entassent déjà dans les meubles. Mais bien malheureusement, la région ne signe pas de chèques en blanc et l’Académie doit faire face à des moyens trop limités. « Nos ressources restent insuffisantes, compte tenu de nos grands défis », concède le recteur, « Nos dépenses et notre gestion des ressources humaines doivent être raisonnables ». L’horizon semble pourtant se dégager. L’engagement de nombreux partenaires, avec en-tête l’État, donnera naissance à un fonds de soutien pour le développement de l’enseignement. ¿ Alexis Hontang Comment savoir ? 77 Éducation Faites confiance à nos profs ! Qu’ils soient professeurs de français ou de physique, ils ne se contentent pas d’effectuer leurs cours. Faire évoluer le système marocain est une de leurs priorités et ils savent mettre le doigt sur les problèmes. « Nos élèves ne lisent plus. » Le bilan d’Abdel Karim Al Khafiq, Karima Ouahbi et Milouda El Bount, trois professeurs de français, enseignants dans différents lycées de Marrakech, est le même. Que ce soit en français ou en arabe, les trois enseignants parlent d’un « réel problème de lecture, très présent dans le secteur public ». Les facteurs de cette démobilisation ? « Des programmes surchargés », pense M. Al Khafiq. En effet, chaque année les élèves doivent « étudier des œuvres intégrales », une aberration selon Milouda El Bount. « Au lieu du programme obligatoire, on aimerait leur faire étudier Harry Potter ! », commente-t-elle. « Les élèves aiment bien faire des exposés. Et c’est bon pour les responsabiliser », affirme Karima Ouahbi. Pas de réactions devant les cours magistraux En bref, ces professeurs aimeraient plus de liberté pour faire leurs cours et pensent que les œuvres proposées par le Ministère de l’Éducation ne sont pas assez proches des goûts de leurs élèves. « Allez faire lire Le Père Goriot à un élève de troisième année ! » ironise M. Al Khafiq. Les épreuves de baccalauréat en français ayant lieu au terme de la seconde année (la Première en France), « on se trouve face à des élèves complètement désintéressés en dernière année », ajoute le professeur. Que faire pour que l’élève s’intéresse au français et à sa littérature ? « L’organisation d’ateliers de lecture, d’écriture ou de théâtre marche bien. Les élèves réagissent », affirment-ils chacun leur tour. « Il faut s’intéresser à l’élève pour qu’il puisse se réconcilier avec l’école », garantit Mme Ouahbi, du lycée Ibn Abbad. Ces trois professeurs, très investis pour la réussite de leurs élèves, se relayent pour chercher la faille, pour expliquer « l’échec » résidant dans leur système éducatif. « Les élèves n’ont pas de réactions devant les cours magistraux », explique le professeur Al Khafiq. « Mais certains professeurs ne sont pas prêts à se détrôner, veulent être le centre de leur cours », renchérit Mme Ouahbi. Les cours de français permettent aux jeunes Marocains p Abdel Karim Al Khafiq, Karima Ouahbi et Milouda El Bount, trois professeurs de français, enseignants dans différents lycées de Marrakech avec l’équipe Typo et Youssef Nait Belaid du rectorat de découvrir la littérature française. En parallèle, ils suivent les heures de traduction, pour posséder tout le vocabulaire utile pour leurs études supérieures. Ce moyen de fonctionner existe depuis l’arabisation des matières scientifiques en 1989. « Cette arabisation est en quelque sorte un échec, au niveau de l’apprentissage du français », explique le professeur du lycée Mohamed V. Les élèves semblent donc se désintéresser peu à peu des cours de français « sauf bien sûr quelques exceptions », ajoute Mme El Bount. Mêler les enseignants aux réformes « Les programmes de français sont très proches au Maroc et en France, alors que les élèves marocains maîtrisent de moins en moins la langue. Il faudrait alléger ces programmes, et d’un point de vue général, alléger les effectifs », expliquent-ils. En effet, ils regrettent la surpopulation des classes, notamment pour les troncs communs (classes de première année), atteignant jusqu’à 50 élèves. Pour remédier à tous ces problèmes, ces professeurs ont des idées bien précises à proposer au Ministère : « Il faudrait d’abord écouter les enseignants, les mêler aux réformes », proposentils. « Être modeste surtout ! », rétorque Mme El Bount. Les manuels du Ministère, « c’est du commerce » et des « analyses superficielles », s’accordent-ils à dire. Les programmes ne sont donc pas les seuls à être voisins entre les systèmes français et marocains. Les revendications des professeurs sont également très proches. Programmes, effectifs, fonds. Autant de revendications « pour faire avancer le système ». ¿ Juliette Bourrigan Sans oublier sur le Web www.typomag.net ¿ Ecole u L’école au Maroc (J.B.) u Lycée : une vision de la jeunesse marocaine (J.B.) u Système scolaire en construction (A.H.) 78 Chers amis La longue histoire unissant le Maroc et la France commence en 1912, quand le royaume passe sous protectorat français. Ensemble, les deux nations ont combattu durant les deux guerres mondiales et en Indochine, avant que le Maroc ne prenne son indépendance en 1954. Aujourd’hui, plus de 30 000 expatriés français habitent au Maroc. Une histoire commune qui a tissé un lien unique entre les deux pays. q Bénédicte préparant le budget de son prochain projet. Coup de coeur Le Maroc « entre ses mains »* Bénédicte Bonnard, c’est l’histoire d’une femme de 58 ans très occupée. À travers une pléthore de projets, elle cherche à sublimer l’avenir du Maroc, « sa deuxième maison ». T qui dressent un état complet des lieux, dans un out a commencé sur un sentier rocailleux orphelinat à Essaouira, par exemple. Ces travaux des cimes de l’Atlas. Nous sommes en 2000 lui ont permis d’ouvrir les yeux sur les nombreux et Bénédicte Bonnard, alors simple pasfléaux qui touchent le pays, comme le bakchich sionnée de marche, a comme une lumière. Sous ses ou la corruption. « À l’occasion du Raid Évasion, semelles dures de randonneuse, une terre, un pays nous arrivons à Tanger les 4x4 remplis de fours’ouvre à elle : le Maroc. « Un vrai coup de founitures. Nous avons été bloqués quatre jours à la dre !, explique cette femme de 58 ans aux cheveux douane, car nous ne voulions ni payer, ni laisser poivre et sel et aux yeux sombres. Mon attirance les cargaisons », raconte cette femme énergique pour ce pays est très forte et l’hospitalité des gens qui se définit aisément comme est extraordinaire. Aujourd’hui, une « enquiquineuse ». « Il y le Maroc est un deuxième pays « C’est très a aussi le cas d’un économe pour moi ! » À tel point qu’elle envisage de quitter Lugny, peet c’est qui blanchissait les comptes de son association. Après mon tit havre de paix verdoyant du ce qui rend cette diagnostic, il a été viré, heuHaut Mâconnais, pour s’insreusement ! » taller au Royaume chérifien. , « Je ne vais pas m’installer au aventure si Aujourd’hui, Bénédicte Maroc en tant que randonneuse, Bonnard s’est lancée dans » si bénévole associative ou consulses propres desseins, toujours tante. J’irai pour m’engager et avec l’aide d’amis marocains. pour mener à terme mes projets. » À Azrou, dans le centre du pays, l’idée d’un orphelinat, couplé à celui d’un centre de formation lié au Pas les mêmes erreurs tourisme solidaire, rôde. tangent belle excitante qu’en Occident Ces projets, celle qui a longtemps travaillé dans le social les porte comme ses enfants. Un engagement total dans divers domaines avec un seul point en ligne de mire, l’avenir du Maroc. « Actuellement, on ne sait trop comment ce pays va évoluer : vers plus de modernité, ou de traditions ? Vers plus de libéralisme religieux ou de radicalisme ? C’est très tangent et c’est ce qui rend cette aventure si belle, si excitante. » Un défi titanesque qu’elle attaque après mûre réflexion : « Il ne faut pas faire les mêmes erreurs qu’en Occident, comme l’agriculture intensive ou le béton à tout va. » Consciente d’un patrimoine qu’elle veut préserver, la Parisienne d’origine s’est lancée depuis le début du millénaire dans le petit monde de la solidarité. D’abord en tant que bénévole, lors du Raid Évasion où des jeunes en difficulté de Périgueux distribuaient des affaires en tous genres aux populations les plus défavorisées. Puis elle a collaboré avec une association de Rabat pour défendre des éducateurs d’un projet de développement à Imilchil, dans le Haut-Atlas, non payés depuis de nombreux mois. Plus tard, riche en contacts, elle a effectué des diagnostics, ces inventaires « Nous sommes à l’état de recherche d’un local », indique-t-elle, photos à la main. « Mais actuellement, ce qui prédomine, c’est mon projet moto. Cela tient plus au plaisir, car les gros chantiers comme l’orphelinat ont besoin de ma présence sur place. » Le but du projet moto est double : offrir un lieu de validation de stage mécanique pour des jeunes Marocains passionnés et parallèlement louer aux motards touristes ou non des vieilles BMW à deux cylindres, idéales pour les ballades. De ces escapades marocaines – « J’y suis allée au moins 20 ou 30 fois. » -, elle garde des carnets, noircis de croquis, de notes prises à l’issue de rencontres toujours enrichissantes. La Lugnisoise espère même réunir toutes ces remarques griffonnées dans un livre, qui s’axera sur les femmes et… les grilles de fenêtre. « Dans l’Atlas, on remarque beaucoup de très belles grilles aux fenêtres. L’idée serait de connaître la vie des femmes derrière ces grilles… » Encore un projet de plus. Le temps se fait-il trop court ? Bénédicte Bonnard le regrette dans un demi-sourire : « On n’a qu’une seule vie, c’est bien dommage ! » ¿ Alexis Hontang Les enfants aux pains - souk de Marrakech u Chers amis 79 80 Chers amis Anciens combattants Une mémoire apaisée mais productive À l’appel du Sultan Sidi Mohammed ben Youssef, plus de 80 000 Marocains ont participé à la Libération de la France. À ce titre, les vétérans marocains bénéficient aujourd’hui des actions menées par le Service des Anciens Combattants français. Portrait d’un devoir de reconnaissance. « La démarche de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies est assez atypique », remarque Bernard Paquelier directeur du service des anciens combattants de Casablanca. En effet, lorsque les colonies ont acquis leur indépendance, les métropoles européennes ont fourni un capital afin de se dédouaner de leurs responsabilités. « A contrario, la France a souhaité continuer à verser des prestations, explique le directeur. C’est la raison de notre présence ici. » Les aides fournies par ce service délégué de l’ambassade française aux vétérans marocains sont de plusieurs ordres et « très concrètes », d’où leur grande popularité. Tous les matins, des consultations administratives et sociales sont organisées pour les soutenir dans la reconnaissance de leurs droits. Ainsi, 7 900 visiteurs ont été reçus en 2007. Le public s’est élargi Un important service d’orthopédie est également mis à disposition des anciens combattants pour remplacer gratuitement les membres qu’ils ont perdus pendant ou après la guerre. « Les Marocains qui se rendent dans nos locaux viennent souvent du fin fond du bled, raconte le diplomate français. C’est pourquoi nous organisons des caravanes d’appareillages à travers tout le Maroc. Les vétérans qui ont peu de moyens peuvent, de cette manière, bénéficier de nos prestations. » Progressivement le public de ce service s’est élargi aux soldats de l’armée royale, aux mutilés du travail, mais aussi aux blessés durant les conflits pour l’indépendance, preuve d’une mémoire apaisée. Grâce à la carte du combattant, les vétérans marocains touchent la retraite du combattant et la pension militaire d’invalidité dont le montant est évalué en fonction de l’importance de l’infirmité. « Auparavant, ces prestations étaient gelées au montant de la valeur de la monnaie à l’époque où le pays a accédé à l’indépendance, informe Bernard Paquelier. Elles n’ont été décristallisées qu’en avril 2007. » Les anciens combattants marocains sont désormais sur un pied d’égalité avec les Français ce qui a multiplié leur revenu par huit. « La reconnaissance nationale que représente la retraite du combattant ne s’élève qu’à 495 euros, précise le directeur du service. Cependant, au Maroc, cela représente environ 5 500DH, une somme assez confortable. » Des pages d’histoire commune Le service des anciens combattants a aussi pour rôle la sauvegarde de la mémoire. Cela passe par le soutien de projets pédagogiques mené par les établissements français au Maroc, mais également le recueil de témoignages de vétérans pour les rendre utilisables par les historiens. « Globalement, les anciens combattants sont plutôt fiers de ce qu’ils ont accompli », affirme Bernard Paquelier. Ils savent que leur action a compté. Ils ont libéré le premier territoire français (la Corse) et permis au Maroc de faire son apparition sur la scène internationale. « C’est une véritable leçon de citoyenneté pour les jeunes Marocains, spécifie le diplomate français. Jusqu’au XXe siècle, le royaume arabe reposait toujours sur un système tribal. L’engagement massif des Marocains dans l’armée française marque l’entrée du Maroc dans l’ère moderne. Ils ont agi comme des membres appartenant à une même nation et non plus seulement à une même famille. » Contrairement à ce que peut montrer le film « Indigènes » (2006) qui met l’accent notamment sur les discriminations subies par les combattants étrangers, il y a eu une véritable fraternité d’armes entre les soldats français et marocains. « Il y a sûrement eu des propos racistes de la part des soldats français, mais un comportement véritablement ségrégationniste aurait entravé la marche de l’armée », assure ainsi Bernard Paquelier. Les goumiers marocains étaient toujours accompagnés des officiers français lors des assauts, p Le service des anciens combattants, pour la sinon ils auraient refusé de se battre. Comme le conclut Bernard Paquelier dans un sourire : « Au final on ne peut s’empêcher de tourner ensemble de grandes pages d’histoire. » ¿ Thibault Coudray Sans oublier sur le Web www.typomag.net ¿ Chez les expatriés u Les amoureux de Casa (A.H.) u Muriel et François : l’aventure marocaine (F.P.) ¿ Du côté marocain u Ouahid Belhad, entre deux cultures (E.M.) Chers amis 81 Expatrié La Bretagne en plein Guéliz D irecteur de restaurant pressé, Laurent Godefroy raconte son histoire entre deux livraisons. Si le débit est rapide, on sent qu’il est fier de partager son aventure. « J’avais envie de venir au Maroc, de changer de métier », confie ce quadragénaire dynamique, assis à une table de sa crêperie marocaine, entièrement décorée à la mode bretonne. « Je faisais de l’informatique à Paris, explique-t-il. Mais, arrivé à Marrakech, je voulais ouvrir un restau, quel qu’il soit. Je suis venu seul, j’ai tout quitté pour ça. » Originaire de Concarneau en Bretagne, ses racines l’ont rattrapé. « L’idée d’ouvrir une crêperie, comme ma mère, s’est vite imposée. C’était un vrai défi. Il n’en existait encore aucune à Marrakech », pose fièrement l’heureux « reconverti ». « J’avais peur que ça ne plaise pas au début. Mais je suis installé dans un quartier résidentiel où se trouvent des Français qui connaissent la cuisine bretonne. C’était pour les Marocains que je n’étais pas certain », confie-t-il. Mais, progressivement, le challenge que s’est lancé Laurent Godefroy a conquis la population marrakchie. « On a souvent des enfants qui viennent manger », commente-t-il avec satisfaction. L’Institut français étant installé à deux pas, une jeune clientèle a en effet pris ses habitudes à la crêperie. « C’est même de mieux en mieux » Mais la réussite n’a pas de secret : p La crêperie de Laurent dans le Guéliz « Il faut travailler dur. En deux-trois originale : les produits aussi, « 100 % français ». mois, il existe un tri entre les restau« Ça fait partie du jeu ! » Et s’il existe des menus rants qui restent et ceux qui ferment », avoue le aux couleurs locales, certaines crêpes sont égaledirecteur de l’établissement.« Je n’ai finalement ment accompagnées de porc ! pas rencontré de difficultés. Ça a toujours bien marché. Et c’est même de mieux en mieux », ajouLaurent Godefroy travaille avec un personnel te-t-il avec une pointe de fierté. marocain, trois femmes. « Au départ, je faisais Peu à peu, ce directeur actif a décoré sa crêperie. « Tout est ramené de Bretagne. Ma famille, mes amis, m’apportent des affiches, de la vaisselle… » D’ailleurs, la décoration n’est pas la seule à être les galettes. Maintenant, elles les font mieux que moi ! », s’amuse le Breton marrakchi qui ne regrette qu’une chose de sa terre natale… « La mer ! » ¿ Juliette Bourrigan Souvenirs Fier d’avoir combattu pour la France Abdelkader Sahoueine est un de ces nombreux Marocains qui ont combattu sous les drapeaux français durant le protectorat. Goumier au cours de la Seconde Guerre mondiale puis tirailleur en Indochine, il bénéficie actuellement des aides que fournit la France à ses anciens combattants. Dans ses yeux, envahis peu à peu par la cécité, s’allume encore une flamme lorsqu’il livre un témoignage où se chevauchent français et arabe. A bdelkader Sahoueine s’engage en juillet 1943. Étant trop jeune pour faire partie des tirailleurs, il devient goumier. Son régiment passe alors par la Tunisie pour aller libérer la Corse, accompagné de la 3e section américaine. « Nous étions toujours envoyés en premier lors des assauts, explique le vieil homme aveugle. Mais les officiers français nous accompagnaient pour nous diriger et nous encourager. » Une fois la Corse débarrassée de l’occupation allemande, le jeune soldat combat quatre jours sur l’Île d’Elbe avant d’être rappelé en Corse pour participer au débarquement de Provence. Son régiment traverse alors la France à la poursuite de l’armée allemande. Lorsque l’Armistice est signé, il se trouve en Allemagne. Abdelkader Sahoueine s’enrôle de nouveau en 1946 pour aller combattre sur le front indochinois. Les combats sont nettement plus intenses, car les Viêt-Cong pratiquent la guérilla. « Un jour, nous avons été encerclés par les Indochinois, raconte Abdelkader Sahoueine avec émoi. Seuls moi, mon commandant et trois autres Marocains sommes parvenus à nous enfuir. » À cette époque l’armée française est majoritairement composée de Marocains. Mis à part les officiers qui mangent à l’écart, les secondes classes (Français et Marocains) vivent ensemble. Retour dans le Maroc indépendant Globalement tous les soldats sont mis sur le même pied d’égalité. « Personnellement, je n’ai jamais été promu, avoue le vétéran en souriant. On me trouvait un peu nerveux. » « Je n’ai été démobilisé qu’un an après la déclaration d’indépendance du Maroc, se rappelle le vieil homme. J’ignorais tout de ce qui se passait dans mon pays. » p Abdelkader Sahoueine s’est engagé en 1943 Son engagement aux côtés de la France n’a rien changé dans ses relations avec les autres Marocains. « Travailler avec les Français ou avec les Marocains, c’était du pareil au même », affirme-t-il. Et lorsqu’on lui demande son sentiment par rapport à son passé, il répond sans hésiter : « Je me suis enrôlé volontairement. J’ai combattu sous les drapeaux de la France comme si elle était ma patrie. J’en suis extrêmement fier ! » ¿ Thibault Coudray 82 Chers amis Collaboration Programme de communion mutuelle Créé en 1999 après les événements culturels « Temps du Maroc » en France, le PCM - Programme Concerté Maroc - a pour vocation de rapprocher les associations françaises et marocaines. Une collaboration main dans la main avec pour cible, la jeunesse. A utonomie, exemplarité, réciprocité, démocratie, parité, coresponsabilité, transparence : voici les sept piliers sur lesquels s’appuie le Programme Concerté Maroc, car comme l’indique Driss Ajjouti, directeur exécutif, « sans un minimum de principes, on ne peut pas bien travailler ». Entre les bureaux bien rangés, les dépliants et pochettes stylés, les documents triés selon des critères bien précis et les notices très riches en informations, le PCM se donne aussi un cadre idéal pour réussir. Sur la carte, la très grande proximité du bureau du PCM avec l’ambassade de France n’est pas une coïncidence : si le bureau est bien à Rabat, les appels vers l’Hexagone vont bon train. En effet, le ministère des Affaires Étrangères est le principal bailleur de fonds du programme, de l’ordre de 75 %. Des projets à cœur Le PCM rapproche donc le Royaume chérifien de l’Hexagone. En réunissant 60 associations marocaines et 32 françaises, le programme s’est donné trois axes en rapport avec la jeunesse, où Français et Marocains marcheront main dans la main. « Pour la période 2006-2010, lors du PCM 2, l’éducation et la formation professionnelle, l’économie sociale et solidaire et la citoyenneté seront nos thèmes », explique Driss Ajjouti, 56 ans, ancien professeur de mathématiques qui a su monter tous les échelons de la vie associative par passion de l’engagement. Pour mieux réussir le PCM 2, les associations membres ont su tirer les leçons du passé et du plan PCM 1, qui, lors de la période 2002-2005, avait p Driss Ajjouti, 56 ans, directeur exécutif de PCM, dans son bureau de Rabat tes assurées par les Français. Grâce à leur plus grande expérience et leur regard d’Européen, ils apprennent à leurs homologues marocains comment mieux gérer leurs associations. Mais il ne faut pas croire que les échanges ne vont que dans Et aujourd’hui, sûres de leur fait, les associaun sens ! À Safi (ville marocaine de 300 000 habitions du PCM passent à l’action, tants sur la côte Atlantique, avec une multitude de projets au sud du Casablanca), par « Si les Français sous le bras ! « Treize », se félicite exemple, il se crée un pôle Ajjouti. Dans la région de Ouarde concertation des établispeuvent montrer zazate et de Zagora par exemple, sements scolaires, où l’on le PCM contribue à la création de pourra parler librement de que aux micro-entreprises durables dans le la problématique des jeubut d’insérer de jeunes handicapés leur pays n’est pas nes. Là-bas, si les Français dans le domaine professionnel en peuvent montrer aux jeunes milieu rural. , Marocains que leurs pays un pas un eldorado, les Autre succès du programme les Marocains, eux, n’est Marocains feront connaître franco-marocain : l’électrificaleur patrie aux jeunes Frantion et l’alimentation en eau poferont connaître çais. Ce sera un lieu où les table d’un petit village. Pour cela, l’ONG française, Électriciens aux échanges et les collaboraleur tions pourront éclore ». Sans Frontières, a collaboré avec jeunes Français. » des Marocains. L’idée de créer En 2010, le programme un BAFA (Brevet d’Aptitude aux PCM prendra fin. CepenFonctions d’Animateur) marocain dant, les restes du programme seront encore visibout aussi dans les cerveaux. bles. Outre la naissance de programmes du même type au Mali, en Roumanie et en Algérie, le PCM Des échanges réciproques aura grandement contribué à rendre meilleures les relations franco-marocaines : « Si, actuellement, La main sur son cahier d’écolier, noir de notes on commence à capitaliser, nous voulons surtout prises dans la langue de Molière, Driss Ajjouti pérenniser notre action. » ¿ évoque les liaisons créées entre la France et le Maroc par le PCM : « Les formations sont touAlexis Hontang « centré son activité sur la pauvreté, un choix trop flou, trop vaste ». « Le PCM 1 était plutôt une expérience pionnière, où nous avons fait beaucoup d’essais. » jeunes eldorado patrie Chers amis 83 Nouvelle vie « Les Marocains m’attendaient au tournant » « Je ne savais pas que j’avais Michel Roussel est un mordu de travail. Après plus de 20 ans au service de la télévision française, ce journaliste a fait ses valises il y a trois ans, destination Marrakech. Aujourd’hui, il officie sur MFM Atlas avec deux émissions hebdomadaires. autant d’énergie » Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. « Les Marocains m’attendaient au tournant, il fallait vraiment que je montre de quoi j’étais capable. En France, on savait qui j’étais et ce que je savais faire. Ici, personne ne me connaissait. Je ne savais pas que j’avais autant d’énergie pour faire tout cela. » Son succès, il estime qu’il le doit aux concepts de ses émissions « très européens », ce que les Marrakchis semblent rechercher. « Et puis, il y a une forte communauté française à satisfaire. Aujourd’hui, je pense que je suis devenu incontournable, mais pas irremplaçable, car personne ne l’est », précise-t-il, plein de lucidité. « C’est comme une renaissance, une deuxième vie. » C’est ainsi que Michel Roussel, journaliste, résume son nouvel élan. Avant, il était en France, à la télévision, où il produisait diverses émissions du PAF. Mais il préfère ne pas trop remuer ce passé douloureux. Aux alentours de 40 ans, ce passionné de journalisme a décidé de venir recommencer une carrière à Marrakech. « J’ai débuté par la presse écrite avec Maroc Soir puis L’Économiste, raconte l’ancien producteur. Je devais à nouveau faire mes preuves, comme à mes débuts ! » Sa famille est restée en France, mais sa fille vient souvent le voir. « Elle adore Marrakech, j’en suis content. » Ce grand brun fin comme une allumette se distingue par son langage raffiné. Il en fait désormais profiter tous les Marocains depuis un an, en animant deux émissions radio : « Yallah les Marrak- Coup de foudre à Marrakech Chantal est française, mais elle ne vit plus dans l’Hexagone depuis 30 ans. Lors de sa première visite dans le royaume marocain, elle avait été conquise par le charme et la beauté du pays. Au point de s’installer à Marrakech il y a deux ans. p «Je me sens adopté », affirme Michel Roussel chis » et « Tout est Possible ». « La première émission consiste à inviter deux personnes de milieux différents qui font bouger la ville de Marrakech. « Tout est possible » permet de faire le tour du monde juste avec des infos insolites. » Pour accrocher musicalement l’auditeur marocain, Michel Roussel passe des vieux classiques de Dalida ou Piaf. Il lui semble que le succès est au rendezvous. « La mesure de l’audience est en train de se mettre en place. Mais, au vu des retours dans la rue, je sens que les gens aiment ! » « J’ai choisi Marrakech pour sa proximité avec la montagne. J’adore faire des randonnées ! » s’enthousiasme Chantal Morgenbosser, une expatriée française. Cette retraitée vit au Maroc depuis bientôt deux ans. Mais avant de s’installer dans le royaume, Chantal a vécu et travaillé en Angleterre et en Allemagne. Cela fait donc maintenant presque trente ans qu’elle ne vit plus en France, l’envie de voyager et de découvrir d’autres pays ayant pris le dessus. Cependant, elle y retourne « pour les vacances et Noël. » Chantal était déjà venue huit ans auparavant pour faire une randonnée avec des amis. Séduite, elle a finalement décidé que le royaume serait son pays d’adoption. Pour se fondre encore un peu plus dans le paysage, Chantal a décidé d’apprendre l’arabe. « J’ai commencé peu de temps après mon arri- Sur sa situation actuelle, il s’exprime simplement : « Je me sens adopté par ces gens, ici à la radio, je sais que mes collègues marocains me défendraient, enfin je suppose. » Michel Roussel est fier du chemin accompli, il regorge d’envies et de projets qu’il préfère toutefois garder secrets. Par prudence. « Je préfère ne pas en parler pour le moment, tant que je ne suis pas sûr que ça se réalise… » ¿ Alexandre Mathis vée et maintenant je continue à l’Institut français grâce à des cours particuliers », expliquet-elle. Cette passionnée d’art et de littérature a également tenu à s’initier à la calligraphie. Infatigable, Chantal profite pleinement de sa retraite. Pour cette amoureuse de la nature, les jardins et palmeraies de Marrakech sont une mine d’or. « C’est vraiment très agréable ! J’adore aussi aller à la campagne et évidemment faire des randonnées ! » Pour le moment, Chantal n’a pas de projets bien déterminés. « Peut-être que je voudrais partir dans quelque temps, je n’en sais rien. Mais pour l’instant, je veux avant tout continuer à découvrir et apprendre à mieux connaître encore le Maroc. » ¿ Cécile Pasquet 84 L’hospitalité made in Maroc Ç a commence par le traditionnel et inévitable thé à la menthe qu’une famille, fraîchement rencontrée, vous invite à venir boire chez elle. Puis, de fil en aiguille, la conversation s’installe et les heures passent. Ils sont heureux de vous faire partager leur vie, vous montrent des photos, vidéos… Ils vous demandent de rester pour dîner ; vous refusez de peur d’abuser de leur générosité. Ils insistent alors et vous voilà, le lendemain midi, assis dans leur salon, aidant la maîtresse de maison à préparer le repas. Celle-ci n’a pas beaucoup de temps, il est midi et elle doit retourner au travail à 13 h 45. Mais elle trouve tout de même le temps de mettre les petits plats dans les grands, rien que pour vous. Elle a même préparé des assiettes séparées au lieu du « plat commun » où tout le monde mange selon son envie, de peur que vous n’appréciiez pas. 13 h 30, cette dernière n’a toujours pas mangé et doit s’occuper de ses enfants. Elle est convaincue qu’elle n’a pas fait ce qu’il fallait pour vous recevoir, alors qu’elle en a fait trois fois trop ! Elle s’excuse de la rapidité avec laquelle elle vous a reçu et promet que, si vous revenez manger le soir chez eux, vous serez mieux accueilli. La famille en question sera même prête à vous loger chez elle, même si la maison ne le permet pas… Lorsqu’on le raconte comme ça, on pense que cette famille est particulière, pas comme les autres. Eh bien non ! Bien sûr, il y a toujours des exceptions, le contraire serait étonnant, mais dans la majeure partie des cas, les Marocains sont tous plus ouverts les uns que les autres. Ce sont leurs « amis français » qui devraient en prendre de la graine… ¿ Cécile Pasquet