La difficile inscription de la validation des acquis de l`expérience

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La difficile inscription de la validation des acquis de l`expérience
La difficile inscription de la validation des acquis de l’expérience dans le
parcours de licenciés économiques
Olivier Mazade*
La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 crée un droit individuel à la validation des acquis de
l’expérience (VAE). Ce dispositif permet à tout salarié justifiant de trois ans d’expérience professionnelle
d’obtenir tout ou partie d’un diplôme, d’un titre à finalité professionnelle ou d’un certificat de qualification.
Avec la formation initiale, la formation continue et l’apprentissage, la VAE représente une quatrième voie à
l’acquisition de titres et de diplôme et représente, à ce titre, un nouvel outil de gestion des parcours. La VAE
s’adresse aux salariés, aux non-salariés, aux bénévoles ayant une expérience associative et aux demandeurs
d’emploi indemnisés ou non.
Cette communication se propose d’analyser la place et les effets de la VAE dans les parcours de demandeurs
d'emploi suite à un licenciement économique. Le parcours est ici envisagé comme la suite des événements
relatifs au travail et à l’emploi à partir du licenciement économique : période de reclassement et
d’accompagnement pendant la durée de l’antenne emploi, cheminement de recherche d’emploi, parcours
en emploi.
L’enquête est qualitative et repose sur des observations et des entretiens. L’exemple est celui du
reclassement des ex-salariés de Metaleurop (Nord Pas-de-Calais) qui ont perdu leur emploi en janvier 2003
suite à la fermeture brutale de leur usine. L’analyse porte d’une part sur la période de reclassement et le
fonctionnement de la cellule de reclassement (mars 2003/mars 2005), d’autre part sur le parcours d’exsalariés qui ont retrouvé un emploi (enquête par entretiens commencée en novembre 2006). Comment la
VAE s’insère-t-elle dans les procédures de reclassement ? Quels sont ses effets sur la recherche d’emploi, la
transition professionnelle et le parcours une fois en emploi ?
1. Une faible inscription dans la procédure de reclassement
Les outils de reclassement se sont considérablement diversifiés ces dernières années, notamment depuis la
mise en œuvre du Plan d’aide au retour à l’emploi en juillet 2001 : formations courtes et longues, évaluation
en milieu de travail, évaluation des compétences, bilan de compétences, VAE, etc. Dans la cellule de
reclassement de Metaleurop, la VAE n’a pas été spontanément envisagée. Les ex-salariés pouvaient se
rapprocher des Points relais conseils (devenus Mission VAE) mais très peu d’entre eux l’ont fait. Le caractère
récent du dispositif et le manque d’identification institutionnelle susceptibles d’informer les candidats
potentiels sont une des raisons principales (Personnaz et al. 2005). Il faut attendre juillet 2003 pour que les
premières réunions d’informations se déroulent (Lenain 2005). Toutefois, les messages auprès des ex-salariés
passent mal en raison d’un manque de clarté et d’une présentation complexe de la procédure, plutôt
dissuasive. Les membres de l’Éducation nationale présents soutenaient qu’une personne de niveau CAP ne
pouvait pas valider une expérience pour l’obtention d’un bac+2 : les représentants de l’association des exsalariés ont ressenti cela comme une négation de leur expérience et une méconnaissance de leur travail. De
plus, le discours tenu par les responsables de l’antenne emploi était axé sur le reclassement rapide et les
formations courtes. La VAE est une solution de reclassement longue. Elle ne représentait pour les cabinets de
reclassement qu’une « solution identifiée » et non pas un reclassement, ce sur quoi ils sont évalués. Certains
consultants exprimaient la crainte d’éloigner durablement les demandeurs d'emploi de la recherche
d’emploi.
La VAE revêt une dimension particulière pour des demandeurs d'emploi ayant une ancienneté importante
vécue dans une seule entreprise (vingt ans en moyenne). Alors qu’ils ont acquis beaucoup de savoirs
professionnels, leur niveau de formation initiale ne leur permettait pas de se positionner sur des offres de
leur niveau d’expérience. Lors de la perte de l’emploi, les salariés se sentent dévalorisés et ont l’impression
que leur expérience professionnelle n’a aucune valeur sur le marché du travail. La reconnaissance de leur
*
Olivier Mazade, CLERSÉ-UMR 8019 CNRS, Faculté des sciences économiques et sociales, Université de Lille 1,
59655 Villeneuve d’Ascq, [email protected].
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expérience apparaît donc comme un facteur d’activation et de reclassement. De plus, leur principal souci
était de résister au déclassement et le diplôme est le meilleur moyen d’y parvenir.
679 personnes sont prises en charge par la cellule de reclassement. D’après les chiffres de cette dernière, 34
s’inscrivent dans un processus de validation d’expérience (13 agents de maintenance, 7 contrôleurs de
production, 1 ouvrier et 13 « autres ») mais seulement 17 vont jusqu’au bout, ce qui est peu par rapport aux
679 ex-salariés. La VAE concerne des personnes qui ont déjà des facilités pour se reclasser : des agents de
maintenance et des contrôleurs de production. Les ouvriers de production (fondeurs, raffineurs, grilleurs,
etc.) ne sont pas concernés. À cette double sélection par la qualification et le domaine de compétences,
s’ajoute celle du parcours. Ces salariés ont connu une trajectoire identique. Ils sont entrés dans l’usine avec
un niveau de formation initiale peu élevé et ont parcouru tout ou partie de l’échelle d’atelier (OS, OP,
technicien d’atelier, agent de maîtrise, chef d’équipe, chef de poste, contremaître).
La VAE pour les demandeurs d'emploi ne se déroule pas de la même façon que pour les salariés. Les
premiers doivent « replonger » dans leur passé professionnel alors qu’ils se trouvent en même temps en
plein travail de rupture par rapport à leurs anciennes conditions de travail, voire de vie. Ils doivent trouver
des passerelles entre une expérience qui n’est plus présente et un avenir hypothétique. La dimension
« accompagnement » s’insère dans la procédure. Pour certains d’entre eux, reparler du passé est une
souffrance. Comme le souligne Francis (annexe) : « Le plus dur, c’est de revenir dans le passé, en sachant
qu’il n’y a plus rien, vous revivez votre travail, c’est surtout ça. » Alors que d’autres éprouvent des difficultés
à se remémorer les expériences de travail lorsque la base professionnelle de certification remonte à dix ou
quinze ans. Enfin, il existe une contradiction entre le discours des responsables de la cellule de reclassement
qui insistent sur la nécessité d’oublier le passé pour mieux se convertir au présent et la remobilisation des
expériences (Mazade 2005).
Pour comprendre comment cette certification s’insère dans les parcours, on peut distinguer deux cas de
figure. La VAE peut être un outil de retour à l’emploi. Dans ces conditions, elle est entamée très tôt, ce qui
suppose son inscription dans les procédures de reclassement (informations, réunions de détection de
certification possible). Les salariés ne sont pas en recherche d’emploi et attendent la validation du diplôme
pour se présenter sur le marché du travail. Les emplois visés incluent la perspective de l’obtention d’un
diplôme. Dans un deuxième cas de figure, la VAE n’est pas un outil de retour à l’emploi car les personnes
1
sont déjà en emploi lorsque la certification aboutit . Les effets sur le parcours sont différents dans la mesure
où le diplôme est obtenu après avoir eu un emploi. Les personnes sont salariées mais ont enclenché la
procédure en tant que demandeurs d'emploi.
2. La VAE comme outil de retour à l’emploi
Nous nous sommes entretenus avec 8 ex-salariés de Metaleurop sur les 17 qui ont suivi une VAE. Parmi les
17 ex-salariés, aucun n’est au chômage, deux travaillent en intérim (situation en décembre 2007). La
surprise vient du constat que seulement deux correspondent au premier cas de figure. Ils ont préparé leur
VAE et attendu le diplôme avant de chercher un emploi. Pour tous les autres, on peut dire que la VAE et le
diplôme, tout en revêtant une importance subjective, n’ont pas eu d’impact sur leur parcours. D’une part, la
VAE n’a pas orienté leur recherche d’emploi et n’a pas été déterminante dans l’obtention de l’emploi,
d’autre part elle ne leur a pas permis pour l’instant d’éviter le déclassement. Partons des deux ex-salariés qui
ont reporté leur recherche d’emploi après la VAE.
Gilbert, entré à l’usine Metaleurop en 1981 en qualité d’ajusteur (OS), termine sa carrière comme
responsable d’atelier à la maintenance. Il a obtenu en 1976 un BEP/CAP dans l’usinage des métaux. Après le
licenciement (janvier 2003), il s’aperçoit vite que son niveau d’étude ne lui permet pas de passer le premier
tri de CV sur des offres d’emploi dans la maintenance où le BTS est souvent exigé. Il a pourtant suivi de
nombreuses formations pendant son parcours, notamment dans la gestion de maintenance assistée par
ordinateur (GMAO). Il se lance dans la VAE (« On en entendait parler, que c’était un avantage pour trouver
un emploi ») et obtient un BTS maintenance en octobre 2004. Il candidate sur des offres d’emploi pour
lesquelles le BTS est exigé. En janvier 2005, il trouve un emploi de « responsable maintenance » dans un
groupe de négoce en céréale. La VAE est pour lui une « reconnaissance, [car] on se sentait sans rien, malgré
que j’avais des formations, il fallait rebondir. »
1
Il y a un troisième cas de figure : la VAE ne permet pas de retrouver un emploi et contribue à élever les exigences salariales
et statutaires.
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François, entré à l’usine en 1982 après un BEP mécanicien monteur et un CAP fraiseur, est en 2003 agent de
maîtrise à la maintenance également. Il s’est renseigné sur la VAE avant le démarrage de la cellule de
reclassement : « Un copain m’a en parlé, je suis allé au lycée S. chercher des documents. » Il obtient un bac
pro maintenance des systèmes automatisés en décembre 2003. Il trouve un emploi dans une usine
agroalimentaire en qualité de responsable maintenance mais n’y reste que quelques mois parce que le
déclassement salarial lui semble trop important. Contacté par un ancien collègue de Metaleurop parti dans
une usine d’incinération industrielle, il est embauché comme technicien de maintenance sur un emploi où il
était demandé un niveau BTS : « Pour S [l’usine], c’est un ancien collègue. Ce n’est pas dit que mon
collègue m’aurait contacté et pris sans le bac pro, c’est un poste pour un bac plus deux. Avec vingt ans
d’expérience, j’ai le niveau. Mais il y a une mentalité assez bizarre, il privilégie beaucoup les diplômes à
S. »
Pour ces deux cas, nous sommes bien en présence de la séquence VAE/diplôme/emploi. La VAE est entamée
très tôt, la recherche d’emploi est suspendue, leur orientation professionnelle reste inchangée et l’emploi
trouvé semble en correspondance avec la certification obtenue. Il n’y aurait pas de différence par rapport à
l’entrée en formation et on serait en présence, du point de vue du parcours, à une logique du « détour »
formatif pour mieux se présenter ensuite sur le marché du travail (élévation de l’employabilité et, pour
François, des exigences professionnelles).
3. La VAE : un impact faible sur les parcours
Pour tous les autres cas, le cheminement ne se passe pas de cette façon. Partons de quelques exemples.
Jean-Marie est entré à Metaleurop en 1974, après avoir passé un CAP de menuisier du bâtiment. Il a
commencé comme échantillonneur au laboratoire (prélever des échantillons de minerais, les préparer pour
les chimistes) et terminé en qualité de responsable de salle de contrôle au raffinage zinc. Il a 50 ans en
2003. Il entame une VAE pour obtenir un bac professionnel « pilote d’installation de production par
procédé » : « Je n’étais pas au courant, c’était en lisant la revue des fondeurs qu’étaient précisés les différents types de formation, moi, j’ai choisi "conducteur d’appareil de production" comme j’ai travaillé en salle
de contrôle, je rentrais dans les critères pour rentrer dans la VAE. J’en ai parlé à mon consultant. » Mais
Jean-Marie a un autre projet : il veut entrer dans la formation : « D’après moi, je me disais que j’avais des
aptitudes à former des gens. Mais il [le consultant] n’a pas voulu ». C’est toutefois par l’intermédiaire de la
cellule de reclassement qu’il fait des remplacements dans un centre d’aide par le travail (CAT) comme
moniteur d’atelier (2004). Cela dure deux ans. Il trouve ensuite un emploi d’encadrant technique dans une
association d’aide aux jeunes handicapés (équivalent à un chantier école). La VAE n’a donc pas d’influence
sur son parcours. Il a pourtant « pris des contacts avec des entreprises » mais les remplacements l’ont
acheminé vers un domaine pour lequel il n’avait aucune connaissance : « C’est là que j’ai découvert le
monde du handicap, ça m’a intéressé, j’ai souhaité continuer. »
Francis, 23 ans d’ancienneté, entré à Metaleurop avec un CAP de mécanicien ajusteur et embauché comme
mécanicien d’entretien, termine son parcours en 2003 comme agent de maîtrise responsable de la
maintenance dans le secteur plomb. Il entame une VAE et obtient un BTS maintenance industrielle en
novembre 2004 : « J’ai recherché un emploi, ça m’a permis de me positionner sur des profils où il
demandait un BTS exigé. J’ai percuté sur Dunkerque, Boulogne. J’y suis allé pour travailler mes entretiens,
pour voir si j’étais valable, comment cela se passait mais j’avais un autre objectif, un autre projet, pouvoir
aider les jeunes, faire le lien entre le monde des jeunes et celui de l’entreprise. Il y a un écart important, des
jeunes ont été mal orientés. Il fallait que je trouve quelqu’un pour financer, le conseil régional, je ne savais
pas trop qui. J’aurais récupéré du matériel, des pièces défectueuses et j’aurais fait les réparations, et les
jeunes apprenaient. Eh oui, dans la tête ça tourne. Suite à ça, l’ANPE m’appelle et me dit qu’on cherchait
des "conseillers entreprise" pour travailler dans une Mission Locale de L. (Pas-de-Calais), ils ont besoin de
gens qui viennent de la métallurgie. J’avais goûté à autre chose, je ne voulais plus faire mon métier. »
Comme le cas précédent, Francis fait une VAE et candidate sur certains postes. Mais il a « un autre projet »
qui émerge progressivement et dont la latence semble liée aux possibilités de l’envisager concrètement (« il
fallait que je trouve quelqu’un »). Ce projet le détourne de « son » métier de la maintenance, pour lequel il a
fait une VAE. Dans les deux cas, c’est la temporalité d’émergence et de consolidation d’un projet alternatif
qui explique pourquoi la VAE est à la fois activée et sans effet sur le parcours.
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Pour les exemples qui suivent, le cheminement est semblable dans la mesure où ils sont partis en emploi
avant la fin de la VAE. Toutefois, contrairement aux cas qui précèdent, cet emploi se situe dans leur
domaine de compétences initial et en rapport avec la VAE.
Michel, entré en 1984 à la maintenance avec un bac en électromécanique, termine agent de maîtrise et chef
de poste à la maintenance au secteur plomb. Il fait une VAE et obtient un BTS maintenance industrielle :
« J’avais un bac, ceux qui sont arrivés après mois, avaient un BTS, je me disais "c’est cher payé deux ans
d’études", ils sont bons mais pas meilleurs que moi, j’avais cette colère, j’ai mis quinze ans pour arriver là,
eux ils arrivent, ils ont autant que moi. » Mais il n’attend pas la fin de la procédure pour chercher un
emploi. Il fait une première expérience de trois mois dans une entreprise de transport, à la maintenance. Il le
quitte parce que le salaire lui parait trop faible. Il trouve un emploi de responsable maintenance dans une
entreprise d’incinération d’ordures ménagères. La VAE et l’obtention du BTS n’ont pas eu d’effet sur son
parcours : « La VAE, c’est une reconnaissance, mais elle ne m’a pas servi pour avoir un boulot, j’en ai eu
avant. Le BTS ne m’a pas servi pour l’instant. Ça m’a montré que j’étais capable de faire tout ça. Mais c’est
quand même la reconnaissance de mes capacités. À la commission [de validation], ils me l’ont dit : "Ça
vous sert à rien, le diplôme, vous avez un travail". » L’expérience du premier emploi, puis du second,
enrichit ses compétences (« Avant j’étais un exécutant de maintenance. Maintenant j’ai d’autres cordes à
mon arc. Je peux répondre à plein d’annonces ») et réduit en quelque sorte la portée de la VAE et du
diplôme. En fin de compte, partant d’une situation de demandeur d’emploi, Michel passe une VAE en étant
en emploi, sans être dans la situation classique d’un salarié qui réalise une VAE pour monter en qualification
ou changer d’orientation.
Éric est entré à Metaleurop en 1982 avec un BEP de mécanicien. Il a démarré OS2, soutireur de zinc, avant
de passer opérateur salle de contrôle. En 2003, après le licenciement, il trouve rapidement un emploi de
rondier dans une entreprise d’incinération de déchets industriels. Il fait l’expérience du déclassement car la
qualification de rondier est inférieure à celle qu’il avait à Metaleurop, son salaire présent correspond à 70 %
de son ancienne rémunération. Il se sent déclassé également en termes de responsabilité. C’est dans ces
conditions qu’il entend parler de la VAE et de la possibilité d’obtenir un bac pro. Après un an de VAE, il
obtient en mars 2005 un bac pro pilote d’installation de production par procédé : « C’est le poste de travail
que je faisais à Metaleurop, exactement le même poste de travail que font les chefs de quart
habituellement » c’est-à-dire le poste supérieur à rondier dans l’entreprise où il se trouve. Éric a fait une VAE
en réaction à son vécu de déclassement : « Là où je travaille, je pense que ça va me servir. Il n’y a pas
d’impact pour l’instant, mis à part la satisfaction de l’avoir, pour le moment il n’y a que ça, mais s’ils
cherchent quelqu’un, j’ai vraiment le diplôme qui colle à la fonction, c’est un atout supplémentaire,
j’attends ça. » Toutefois, il lui aurait fallu un niveau bac+2 pour avoir un coefficient supérieur. Dans ce cas,
l’orientation s’est construite avant la VAE qui a été utilisée, sans effet pour l’instant, comme un moyen de
résister au déclassement.
Le cas de Pierre est semblable aux précédents. Après vingt-deux ans d’ancienneté en qualité de contremaître
à la maintenance, Pierre fait une VAE et obtient un BTS maintenance en 2005. Grâce à un ancien collègue
de Metaleurop, il trouve un emploi dans une entreprise spécialisée dans la maintenance et travaille sur
plusieurs sites. Il est chef de travaux mais vit également le déclassement salarial. La VAE et le diplôme
obtenus n’ont pas eu d’effet au moment où nous l’avons rencontré (décembre 2006).
En définitive, pour tous ces cas, que ce soit en termes d’orientation professionnelle, d’aide au retour à
l’emploi ou de résistance au déclassement, l’impact de la VAE et du diplôme obtenu sur la trajectoire
apparaît faible. Une des principales raisons tient au fait que ces personnes prennent un ou des emplois avant
la certification de leur expérience. La temporalité de la VAE est longue. Elle comprend les phases de
recevabilité de la demande, de constitution du dossier, d’analyse du dossier par le jury. Cela peut prendre
une année. Mais contrairement à une formation longue, de durée équivalente qui oblige une présence
régulière et structure le temps en l’absence de travail, la VAE permet la modulation de son temps de
constitution. Les personnes interrogées devaient se rendre dans un GRETA pour bénéficier d’une aide (trente
heures), elles se rencontraient parfois, mais globalement le travail de constitution des livrets est relativement
solitaire et se fait à domicile. C’est pourquoi certaines d’entre elles prennent un emploi. Inscrites dans un
autre environnement et un autre cheminement, elles modifient leurs arbitrages et leurs préférences. La VAE,
par définition, renvoie les personnes à leur histoire. Mais des personnes profitent de la rupture de trajectoire
pour envisager d’autres projets et réactiver d’anciennes voies contrariées bien des années auparavant
(parfois dans la sphère parentale). La prise d’emploi avant la certification modifie la portée de la VAE. En
quelque sorte, les deux cheminements de la certification et de l’emploi se chevauchent.
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La transition professionnelle est un temps de rupture et représente à ce titre un moment de séparation et de
suspension de certaines contraintes (les urgences du travail et la structuration des temps de vie liées à
l’emploi) qui ouvre un espace de décision forcé dans lequel sont pesés les avantages, les risques et les coûts
de diverses solutions. Les personnes réalisent des arbitrages en fonction des données présentes (les offres
d’emploi, les conditions et durées d’indemnisation, etc.) et mettent en équivalence toute sorte de situation
(emploi, formation, intérim, congé de conversion, chômage). C’est pourquoi certaines d’entre elles
choisissent des voies qui les éloignent de leur expérience antérieure.
4. La VAE comme justificatif d’expérience et facteur de sécurisation
Cela ne veut pas dire que la VAE ne signifie rien pour les personnes. Bien au contraire, à travers les
entretiens, on s’aperçoit qu’elle apparaît comme un « justificatif » de compétences pour reprendre
l’expression de l’une d’entre elles : « J’ai trouvé ça très bien, justement cela me permettait de valoriser le
travail que j’ai pu faire, puisque au point de vue diplôme, j’ai un diplôme de menuisier, et que malgré toutes
les connaissances que j’ai pu acquérir, j’avais rien dans la métallurgie, c’était vraiment dommage de me
retrouver licencier et me retrouver sans justificatif comme quoi j’avais des connaissances » (Jean-Marie, 29
ans d’ancienneté à Metaleurop, encadrant technique dans un chantier école). « C’est pour valider son
expérience professionnelle, c’est quand même pas mal, en ayant quitté une entreprise sans aucun diplôme,
pouvoir accéder à un diplôme, c’est bien » (Éric, 21 ans d’ancienneté à Metaleurop, rondier dans une
entreprise d’incinération).
La VAE apparaît dans certaines conditions comme une sécurisation minimale et répond à une logique de
protection (Kogut-Kubiak et al. 2006). Donnons l’exemple de Henri, entré à Metaleurop sans diplôme, et
arrivé au sommet de la hiérarchie d’atelier (chef de poste). En 2003, il a 52 ans et trente années
d’ancienneté. Compte tenu des dix mois de congé de conversion, de trente-trois mois d’assurance chômage
(plus de 50 ans) et de la validation de ses trimestres de cotisation, il sait qu’il bénéficiera d’une mesure
d’âge. En attendant, il fait une VAE : « Il faut que je fasse quelque chose. Je ne vais pas rester sans rien faire,
comme j’avais eu une machine à lingoter au raffinage plomb. Si je veux un emploi, j’ai le CEP, il faut avoir
un bagage. Si je suis obligé de travailler, j’ai un diplôme. On cogite, comment je m’en sors, faut se préparer
au pire, donc la VAE, sinon t’as plus rien. » Il obtient en 2005 le brevet professionnel « pilote d’installation
de production par procédé ». La VAE lui semble une sécurité en cas de recherche d’emploi qui représente
pour lui le « pire ». Elle lui permet aussi de justifier une activité et d’éviter de rechercher un emploi.
La VAE est perçue comme une certification minimale et un droit qui vient certifier une expérience. Elle
apparaît comme un point d’appui indispensable mais elle ne détermine pas les projets. Dans la perspective
d’une sécurisation des parcours, la VAE apparaît comme un droit facilitant la prise de risque et la mobilité.
Peu d’ex-salariés de Metaleurop se sont engagés dans une procédure de certification. La faible inscription de
la VAE dans le dispositif de reclassement est l’une des causes principales. Pour ceux qui l’on suivie, les effets
sur la trajectoire sont faibles. Nous pensons que cela s’explique par les effets propres de la transition
professionnelle qui représente une phase où les demandeurs d'emploi cherchent leur voie, activent ou
réactivent des projets et comparent les alternatives.
Bibliographie
Kogut-Kubiak F., Morin Ch., Personnaz E., Quintéro N., Séchaud F. (2006), Logiques d’accès à la VAE et
parcours de validation, Céreq, Relief, n° 12, janvier.
Labruyère C. (2006), « La VAE, quels candidats, pour quels diplômes ? », Céreq, Bref, n° 230, mai.
Lenain M.-C. (2005), « Metaleurop : la VAE comme outil d’aide au reclassement », Actualité de la formation
permanente, n° 195, mars, pp. 53-55.
Mazade O. (2005), « Cellules de reclassement et individualisation du traitement du chômage. Le cas de
Metaleurop et des Houillères du Nord », La revue de l’IRES, n° 47, pp. 195-214.
Personnaz E., Quintéro N., Séchaud F. (2005), « Parcours de VAE, des itinéraires complexes, longs, à l’issue
incertaine », Céreq, Bref, n° 224, novembre.
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Annexe
Qualification à
Metaleurop
Fonction à
Metaleurop
Éric
Agent de maîtrise
Opérateur salle de
contrôle
Jean-Marie
Ouvrier chef
d’équipe
Henri
Agent de maîtrise
Opérateur salle de
contrôle (raffinage
zinc)
Chef de poste au
raffinage plomb
Francis
Contremaître
Chef d’atelier à la
maintenance
Michel
Agent de maîtrise
Gilbert
Agent de maîtrise
François
Agent de maîtrise
Pierre
Contremaître
Chef de poste
maintenance
Chef d’atelier
maintenance
Chef d’atelier
maintenance
raffinage plomb
Diplôme obtenu ou
visé par la VAE
Bac Pro « pilote
d’installation de
production par procédé »
Bac Pro « pilote
d’installation de
production par procédé »
Bac Pro « pilote
d’installation de
production par procédé »
BTS maintenance
industrielle
BTS maintenance
industrielle
BTS maintenance
industrielle
Bac Pro maintenance des
systèmes automatisés
BTS maintenance
industrielle
100
Situation actuelle
Rondier dans une usine
d’incinération
Encadrement technique
dans une association
(chantier école)
Demandeur d'emploi
Conseiller
socioprofessionnel dans
une Mission locale
Responsable service
maintenance
Responsable service
maintenance
Technicien de
maintenance
Responsable service
maintenance

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