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maloya plaquette:Mise en page 1 21/07/11 18:50 Page1 maloya musique traditionnelle de La Réunion Gran mersi lo Rwa Gran mersi Gramoun Baba Gran mersi Lélé Gran mersi Danyèl Waro Gran mersi Viry Gran mersi Gramoun Bob Gran mersi papa La gardyin pou nou le son péi la La gardyin pou nou le son maloya maloya plaquette:Mise en page 1 21/07/11 18:50 Page2 1 L’histoire du maloya (beaucoup plus courante en dehors du contexte rituel). Historiquement pratiqué dans le cercle familial et de voisinage, certains sèrvis ont pris une dimension semi-publique, inspirant fortement la création actuelle de groupes de maloya comme Lindigo, Christine Salem ou Destyn. Les origines Le maloya désigne une forme chantée et dansée qui est généralement identifiée comme d’affinité plutôt africaine et malgache (bien qu’elle soit aussi marquée par des influences européenne et indienne). Jusqu’au milieu du XXe siècle, cette musique associée aux descendants d’esclaves et d’engagés (africains, malgaches et, dans une autre mesure, indiens) était plutôt désignée par le terme séga (de t’shéga puis shéga). Le terme maloya, dont l’étymologie probablement malgache reste floue, s’est ensuite généralisé, le séga désignant spécifiquement la chanson créole modernisée. Traditionnellement, le chant du maloya est plutôt court et longuement répété. Il est exécuté en alternance soliste/chœur et accompagné par un ensemble de tambours, d’idiophones et de hochets. Les instruments de base du maloya sont le roulèr (un tambour de basse), le kayamb (un hochet en radeau), le pikèr (un cylindre en bambou frappé avec deux baguettes) et/ou le sati (une caisse en métal frappée avec des baguettes). A ces instruments peuvent s’ajouter, selon les formes et les contextes d’exécution, le bob (un arc musical), d’autres percussions d’introduction récentes comme les djembés d’Afrique de l’Ouest ou les congas d’Amérique latine, et des instruments modernes (guitares, synthétiseurs, basse, batterie) Les pratiques anciennes et actuelles Il est possible de distinguer trois formes principales de maloya qui ne sont pas étanches les unes aux autres. Tout d’abord, le maloya est pratiqué dans un contexte rituel, lors de cérémonies appelées sèrvis malgas, sèrvis kabaré ou sèrvis kaf. Il s’agit de rites de possession où des animaux sont sacrifiés et où l'on adresse des offrandes aux ancêtres malgaches ou africains que l’on honore. Le maloya est alors exécuté avec ses trois ou quatre instruments principaux (roulèr, kayamb, pikèr, sati). Les chants sont généralement repris par l’assemblée et servent à initier la communication avec les ancêtres et à entretenir la transe de certains participants. Durant les sèrvis, le rythme du maloya varie entre une forme binaire proche du 2/4 et une forme plutôt ternaire proche du 6/8 Sèrvis kabaré chez la famille Gado, Grande Fontaine 2008 – Coll. Takamba Jusque dans les années 1960, le maloya fut aussi pratiqué dans le cadre de soirées festives (bal maloya, puis kabar) où l’on dansait et où l’on improvisait des chants de commentaire social et d'ambiance. Ces soirées pouvaient donner lieu à des sortes de joutes chantées où la critique et le défi interpersonnels étaient mis en scène à travers des paroles adressées publiquement devant une assemblée. Le maloya est, de ce point de vue, l'héritier d'un ensemble de pratiques plus ou moins formalisées où le chant constituait un élément central : chants de travail dans les plantations de canne à sucre, divertissement improvisé devant la boutique, romances interprétées durant les mariages, commémorations familiales de l'abolition de l'esclavage... Elément de régulation sociale au sein des communautés de travailleurs des plantations sucrières, le maloya fut dans l'ensemble stigmatisé par l’idéologie coloniale. Jusqu'aux années 1970, il dut son existence médiatique principalement aux orchestres de danse urbains qui en jouaient une version modernisée ou folklorisée (parfois appelée séga maloya). A partir de la fin des années 1950, le maloya prit une dimension politique quand le Parti Communiste Réunionnais (PCR) favorisa la création de « troupes » de maloya pour animer ses réunions. Cherchant à mettre en valeur les composantes non-occidentales et rurales de la culture créole, le PCR, qui revendiquait l’autonomie politique de l’île, produisit en 1976 les maloya plaquette:Mise en page 1 21/07/11 18:51 Page3 premiers disques de maloya. Quelques figures emblématiques comme Firmin Viry ou Simon Lagarrigue émergèrent alors. De concert avec le renouvellement des formes littéraires insulaires (qui s’inspiraient notamment de la tradition orale et des parlers populaires), le maloya participa à la constitution d’un nouveau champ de création artistique. Celui-ci développa un discours de résistance face à l’assimilation de la culture créole à la culture française dominante. Dans un contexte politique et culturel tendu, le maloya fut également constitutif du répertoire de troupes folkloriques officielles, telles que le Groupe Folklorique de La Réunion et Kalou Pilé, qui l'adaptèrent au contexte touristique tant au niveau musical que chorégraphique. D'autres troupes, se consacrant plus ou moins exclusivement au maloya, les suivront dans cette voie : Roséda, Okilé, les Etincelles Panonnaises, la troupe Stéphanie... Jaquette du 33 Tours « Kalou Pilé – Le ballet de l’île de La Réunion » DDLX 214 Le maloya comme genre protéiforme Dans les années 1980, la multiplication des radios « libres » ainsi que la reconnaissance des identités régionales par la politique culturelle menée en France par Jack Lang (ministre de la Culture) favorisèrent la reconnaissance du maloya comme partie intégrante de l’identité réunionnaise. Danyèl Waro, Lo Rwa Kaf, Granmoun Lélé et Firmin Viry sont depuis considérés comme les référents du genre, leur musique servant de source d’inspiration à nombre d’autres groupes (Melanz Nasyon, Kiltir, Salem Tradition...). Salem Tradition – Agence Vekha La reconnaissance officielle du maloya traditionnel permit durant la même période la création du maloya électrique. Initié par quelques groupes à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (Les Caméléons puis Carrousel, Zoun, Filip Barret, Ziskakan, Baster, Ousanousava, Ti Fock…), le maloya électrique consiste à associer les aspects rythmiques ou instrumentaux du maloya à diverses influences stylistiques comme le jazz (Sabouk), la musique africaine urbaine (Ti Fock), le rock (Patrick Persée) et la musique pop/folk (Ziskakan). En 1991, le malogué est né d’une fusion entre le maloya et le reggae, sur le modèle du seggae mauricien (séga-reggae). Ce genre connut un franc succès commercial jusqu’au milieu des années 1990, avec des textes mélangeant contestation sociale et références évasives au rastafarisme. Le groupe Na essayé fut le plus connu des groupes de malogué. Depuis quelques années, on assiste également à un rapprochement entre des artistes de ragga dance-hall (Kaf Malbar, DJ Dan… ) et des musiciens de maloya (Lindigo...). En trente ans, le maloya a donc ramifié une partie importante de la création musicale insulaire, imprimant trois tendances fortes parmi la nouvelle génération de maloyeurs : la fusion avec des styles exogènes (reggae, dance hall, electro, jazz…), le retour aux sources ancestrales (africaines, malgaches, indiennes…) et la mise en valeur de l'histoire insulaire du genre… Le 1er octobre 2009, le maloya a par ailleurs été inscrit au Patrimoine Culturel Immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Cette reconnaissance signe en quelque sorte l’aboutissement du processus de légitimation culturelle entamé durant les années 1970-80. Dans ce processus, le militantisme politique et culturel, l’action institutionnelle, la production phonographique et les réseaux du spectacle vivant ont joué un rôle central. maloya plaquette:Mise en page 1 21/07/11 18:51 Page4 2 Les textes du maloya Les chants de maloya sont susceptibles de recouvrir une grande variété de thèmes différents. Marqués jusqu'aux années 1960 par leur fonction de régulation sociale, les textes de maloya, qui étaient souvent improvisés, relevaient pour beaucoup d'entre eux du commentaire social, voire de la critique interindividuelle. A partir des années 1970, cette dimension a été réinvestie dans le cadre de positionnements politiques et culturels parfois radicaux. La critique et la contestation ont alors été transposées dans le champ idéologique, contribuant à renforcer la dimension identitaire de cette musique. A partir des années 1980, le maloya devint porteur d'un discours mémoriel et patrimonial fort qui contribua à sa reconnaissance institutionnelle et à son entrée dans l'espace public réunionnais. Cette dimension mémorielle est elle-même très présente dans le cadre du culte aux ancêtres africains et malgaches. Elle constitue un pont essentiel entre les cadres religieux et les contextes profanes de la performance du maloya contemporain. Mi sava po la bilgari Kan zobi va tonbé Nout marmay va plèr po nou Extrait de « Loxore » Firmin Viry, Ile de La Réunion. Maloya, Ocora, CD C 560138. Egalement enregistré sous le titre « Mi quitte La Réunion » (version séga chantée par Céline Viry et accompagnée par Les Soul Men) sur le 45 Tours Issa I6049 Celle que je regrette Que je laisse à La Réunion M'a fait un mouchoir Avec mon nom Dans les quatre coins Le Louxor s'en va Le Louxor s'en va Le Louxor s'en va [...] On dit que la Bulgarie est un désastre Moi, petit noir, Je m'en fous Quand les mitrailleuses vont tirer On mettra les Créoles en première ligne Bonsoir Pauline Bonsoir Paula Je pars pour la Bulgarie Quand les obus vont tomber Nos femmes nous pleureront La moquerie et le défi La chronique sociale Une partie des textes du maloya évoquent des éléments de l’histoire sociale et/ou politique de La Réunion, dont ils se faisaient la chronique. Le chant suivant évoque le départ, sur le bateau Louxor, des jeunes créoles sur le front de l’Est pendant la Première Guerre mondiale. Sèl ke mi regrèt Kit mon marmay dan la rénion La fé ti mouchoir La mark mon non Dan lé kat koin A Loxor i sava A Loxor i sava A Loxor i sava Marmay gayar oi koup dolo La di bilgari lé mové A moin mèm ti noir Mi fou pa mal Kan mitrayèz va pété Va mèt kréol an avan Bonsoir Pauline Bonsoir Paula L’improvisation de textes courts sur des motifs mélodiques connus constitua jusqu’aux années 1960 un élément important du maloya tel qu’il se pratiquait dans les milieux populaires. Ci-après, Gramoun Sello évoque un bal qui n’attendait que lui pour que l’ambiance soit au rendez-vous. Indirectement, il critique les organisateurs et participants du bal, incapables de réussir la fête sans lui. Il défie aussi les autres chanteurs présents en se vantant d’être le meilleur. Komèr la fé un bal laba Moin la gayn linvitasyon Ala moin té an retar bal komèr la mal komansé Lété tan moin larivé Lété tan moin larivé Bal komèr la mal komansé Extrait de « Bal komèr », Gramoun Sello, 30 ans de maloya 1980-2010, SEDM/Oasis, CD 44878 Une femme a organisé un bal J'ai reçu une invitation Mais je suis arrivé en retard et le bal était bien terne Il était temps que j'arrive Il était temps que j'arrive Car le bal était bien terne maloya plaquette:Mise en page 1 21/07/11 18:52 Page5 La contestation politique La valorisation mémorielle Durant les années 1970, le maloya a véhiculé des messages à teneur ouvertement politique, la critique et le défi passant du niveau microlocal ou interindividuel au niveau collectif. Ci-après, la Troupe Résistance évoque la censure dont les opinions d'extrême gauche faisaient l'objet durant les années 1960-70. Longtemps marginalisé, le maloya est doté d’une forte dimension mémorielle et de défense culturelle. Recoupant en partie le culte des ancêtres et la revitalisation patrimoniale, celleci donne lieu à de nombreux hommages rendus aux anciennes figures du genre, par les jeunes générations de maloyeurs. Lopinion UDR Sa na le droi kriyé Anou lopinion kominist kamarad Na pwin le droi kriyé Si nou la kriyé kamarad Si nou la kriyé Si nou la kriyé La polis la fine arivé Extrait de « La Troupe Résistance larivé », Peuple de La Réunion. Peuple du maloya, EDiRoi, 33 Tours PCR n°2, 1976 Les idées de l'UDR, camarades ils ont le droit de les vanter Mais, nous, communistes Nous ne pouvons pas exprimer nos idées Si nous nous exprimons, camarades Si nous nous exprimons Si nous nous exprimons La police arrive L’appel des ancêtres Dans le cadre des cérémonies du culte des ancêtres, le chant et la danse constituent des vecteurs de communication avec les ancêtres. Certains chants, exécutés à des moments précis des cérémonies, ont une fonction rituelle importante. Ils servent autant à ponctuer la cérémonie qu’à appeler les esprits. o sa sèrvis la po ki sa sa sa ? E maligasé il s’agit d’une ritournelle traditionnellement chantée dans les sèrvis. Cette cérémonie, à qui est-elle adressée ? Aux malgaches Gran mersi Lo Rwa Gran mersi Gramoun Baba Gran mersi Lélé Gran mersi Danyèl Waro Gran mersi Viry Gran mersi Gramoun Bob Gran mersi papa Gran mersi Gramoun Bébé La gardyin pou nou le son péi la La gardyin pou nou le son maloya Extrait de « Zarboutan », Kiltir, Pèp maloya, Discorama, CD 2007.02 Grand merci le Rwa Grand merci Gramoun Baba Grand merci Lélé Grand merci Danyèl Waro Grand merci Viry Grand merci Gramoun Bob Grand merci papa Grand merci Gramoun Bébé Vous avez conservé le son de notre pays Vous avez conservé le son du maloya La mise en valeur folklorique Parallèlement à sa prise en charge politique dans les années 1970, le maloya a été constitutif du répertoire des groupes folkloriques. Privilégiant des textes plutôt consensuels et festifs, le maloya folklorique s’inscrivait dans une mise en spectacle de l’identité musicale réunionnaise dans sa globalité. Allez, soleil la fini chapé L'heure que lé pou danser Guet’ pas si la pluie la pou mouillé Ton cheveux frisé cafrine Roule ton maloya ma fille Si ton cœur lé content Extrait de « Roule ton Maloya », Kalou Pilé, Le ballet de l’île de La Réunion, vol.3, 33 Tours DDLX 248 Le soleil est couché L'heure est à la danse Ne t'occupe pas de la pluie Qui mouille tes cheveux frisés Roule ton maloya, ma fille Si tu es heureuse maloya plaquette:Mise en page 1 21/07/11 18:52 Page6 3 Les instruments traditionnels du maloya A la voix du soliste et du chœur (antiphonique ou responsorial) qui joue un rôle prépondérant dans le maloya, s’ajoutent les percussions et autres instruments (cordophone frappé et idiophones) ayant essentiellement un rôle de marqueur rythmique. La danse des Noirs, lithographie d’Antoine Roussin, 1856. Le tambour roulèr De la famille des membranophones, le roulèr est un tambour tubulaire en forme de tonneau, reposant horizontalement sur une cale (santyé) et frappé à mains nues. Contrairement aux autres tambours de la zone, celui-ci reste spécifique à La Réunion. Sa présence sur l’île date du XVIIIe siècle. Selon les témoignages anciens, il était fabriqué par les esclaves, également les seuls à s’en servir à cette époque, pour se distraire. Même si nous n’avons aucune certitude concernant son lieu d’importation, il reste indéniable que le roulèr, ou l’instrument qui en a inspiré la création, provient d’Afrique. Nous retrouvons par exemple en Guadeloupe, ancienne colonie française peuplée par des descendants d’esclaves africains, le même type de tambour (ka). Le roulèr est fait à partir d’un tonneau tronqué à ses deux extrémités, dont l’une est recouverte d’une peau de bœuf tannée, tendue et traditionnellement cloutée. L’autre extrémité reste ouverte. Aujourd’hui, les barriques n’étant plus réellement importées sur l’île, les facteurs se lancent dans des fabrications à partir de bois local (champac). Ils ont aussi tendance à ligaturer la peau à l’image de celle des djembés (cela permet un accordage plus facile : il n’est plus nécessaire de chauffer la peau pour la tendre). Le musicien chevauche le roulèr. Il peut à l’aide d’une de ses jambes reposant contre la peau, modifier sa tension de manière à obtenir une variation de timbre et de tonalité. Des témoignages anciens attestent cependant que ce tambour se jouait aussi différemment, à l’aide d’une mailloche. Le roulèr détient un rôle important au sein du maloya, dont il donne la base rythmique. L’arc musical bob et son hochet kaskavel Comparable au berimbau du Brésil, cet instrument monocorde, anciennement nommé bobre à La Réunion, se retrouve sur différentes îles de la région Océan Indien telles qu’aux Seychelles (bonm ou bomb), à Maurice (bom), Rodrigues (bom), Mayotte (dzendze lava)… Il pourrait être originaire de Madagascar, où il se nomme jejilava, et aurait jadis été disséminé à travers la zone comme bon nombre d’instruments traditionnels, grâce à la population servile immigrée de la Grande Île. Cependant, on le retrouve également au Mozambique où ce principe d’arc musical avec résonateur existe sous les noms de chitende, chiqueane (au sud de Rio Save) ou n’thundao et chimatende (dans la province de Sofala). L’appellation vernaculaire « bob » pourrait, selon Jean-Pierre La Selve1 provenir d’Europe : « L’arc musical rappelle en effet un instrument souvent représenté dans la peinture flamande le bumbass, monocorde dont le résonateur est une vessie de porc séchée, et qui était utilisée en Europe du Nord comme instrument de carnaval. Il n’est donc pas exclu que des marins flamands (…) aient pu introduire ce nom qui par suppression de la dernière syllabe peut passer de bombass à bomb et de là à bom ». Parallèlement, l’iconographie d’époque abonde également dans le sens d’une origine européenne (similitude entre résonateurs faits de vessies). La facture du bob, à l’image de son utilisation, a évolué depuis son arrivée au sein de la zone. Aujourd’hui, l’amplificateur fait d’une calebasse évidée et coupée aux deux tiers, bien que restant amovible pour des questions d’accordage, est attaché vers l’une des extrémités du manche par un anneau faisant le tour de l’arc et de la corde (qu’il concoure à tendre de la sorte). Autrefois végétale (agave), la corde est aujourd’hui faite d’un 1- La Selve, Jean-Pierre, Musiques traditionnelles de La Réunion, Saint-Denis, Azalées, 1995, (p. 54) maloya plaquette:Mise en page 1 21/07/11 18:52 Page7 du kayamb réunionnais. Jusqu’aux années 1950 il existait aussi à l’île Maurice un hochet (équivalent au kaskavel) nommé cawen ou caïam toutefois différent du kayamb réunionnais, comme nous le prouve en 1937 ce témoignage de Roger Dussercle : « Le cawen ou caïam est un petit sachet, fabriqué avec une feuille sèche de cocotier que l’on remplit à moitié de grains de riz. Le sachet est de forme pyramidale de 10 à 15 cm. De longueur : on l’agite, en le tenant par la pointe pour marquer la cadence des pas de danse. » L’apparition du kayamb à La Réunion semble relativement récente puisque les premières gravures et écrits mentionnant ce hochet datent des années 1860. Lithographie de Gavarni extraite de Gazette musicale, île Maurice, 1873 fil d’acier, d’un câble électrique ou d’un frein de vélo. Pour s’exécuter, le musicien accole par alternance le résonateur à son ventre. Il frappe la corde d’une fine baguette en bois d’une trentaine de centimètres, qui va souvent de paire avec l’idiophone par secouement kaskavel (aussi une des ancienne appellation du kayamb) : un petit hochet constitué d’une enveloppe végétale (vacoa), résonnant par l’effet de grenailles (safran marron, job…) contenues à l’intérieur. Les doigts de la main gauche du musicien (pour un droitier) tenant l’arc au niveau du résonateur peuvent aussi influer sur la tension de la corde en la touchant. Le bob peut être joué en solo, en accompagnement d’un chant (complaintes, maloya pleuré) ou au sein de l’effectif instrumental propre aux maloyas festif et kabaré. Au début du XXe siècle, il était aussi l’apanage des marionnettistes ambulants. Aujourd’hui, mis à part à Madagascar et à La Réunion où il connaît un renouveau, l’arc musical est fortement en voie de disparition au sein des îles de la zone. Le hochet en radeau kayamb Egalement connu sous les noms de kayanm, issu de caïamb (anciennement caïambre), ou kavia, dérivé de cavir, et cascavelle, cet idiophone par secouement correspond à la maravanne de l’île Maurice, au m’kayamba de Mayotte, au raloba de Madagascar ou encore au chiquitsi ou kaembe du Mozambique. En malgache, l’étymologie « kayanm » signifie « qui sonne », alors qu’il existe sur la grande île un autre idiophone nommé « kahiamba », morphologiquement bien différent Le bobre et le cavir (cascavelle) du Marquis de Trévise - 1861 Cet idiophone par secouement est fait d’une caisse de résonance rectangulaire (d’environ cinquante centimètres de longueur sur trente cinq de large et trois d’épaisseur) formée d’un cadre en bois (de latanier) recouvert sur ses deux faces latérales de hampes de fleurs de cannes à sucre ligaturées ou cloutées. Dans ce réceptacle, sont enfermées des sonnailles qui sont habituellement des graines végétales (comme pour le kaskavel de safran marron, job, conflor…) et dont l’entrechoc produit le son caractéristique du kayamb. L’instrumentiste le tient dans les paumes des maloya plaquette:Mise en page 1 21/07/11 18:53 Page8 mains et dans le sens de la longueur. Il peut, tout en secouant l’instrument de gauche à droite, frapper des deux pouces la caisse de résonance. Le kayamb est essentiellement joué à des fins rythmiques au sein des formations de maloya. Les idiophones percutés pikèr et sati Alors que le terme pikèr semble faire référence à la technique de jeu du musicien percutant l’instrument présenté ici, le mot « sati » proviendrait de la culture indienne. Les Hindous ancrés à La Réunion l’utilisent également pour désigner un petit tambour tamoul hémisphérique en forme de cuvette. Pour différencier ces homonymes, on parle souvent de « sati malbar » ou de « tambour le rein » pour l’instrument indien (qui se porte attaché autour de la taille), le mot « sati » faisant référence à un dérivé du pikèr d’origine afro-malgache. Idiophone percuté par deux baguettes de bois et comparable au tsipetrika malgache, le pikèr se présente sous la forme d’un tronçon de bambou d’une soixantaine de centimètres de longueur pour une quinzaine de diamètre. Il repose horizontalement soit sur un pied, soit à même le sol. L’instrumentiste frappe sur les différentes parties délimitées par les nœuds du bambou à l’aide de deux baguettes de batterie ou traditionnellement de goyavier. Le corps végétal d’un pikèr peut être remplacé par un tuyau de tôle, un bidon écrasé ou n’importe quel récipient métallique susceptible de servir de résonateur. On parle alors davantage de sati pour désigner cet instrument à caisse de résonance métallique. La technique de frappe reste la même alors que le timbre obtenu varie en fonction de la matière et de la cavité percutée. Moins populaire à La Réunion que le kayamb ou le roulèr, le pikèr/sati est un instrument qui, il y a trente ans de cela était relativement peu connu par la population réunionnaise. De nos jours, il fait entièrement parti de l’effectif instrumental du maloya. Attesté par les documents d’archives, l’ancêtre du pikèr est le timba, descendant du timbila du Mozambique. Aujourd’hui totalement disparu sur l’île, le timba était un xylophone posé à même le sol, très certainement sur une fosse creusée. Le triangle Cet instrument d’origine européenne, nommé localement triyang ou ti fer, a été introduit tardivement au sein des Mascareignes, durant la seconde moitié du XIXe siècle. Il aurait été importé à La Réunion par les jeunes bourgeois qui, après des études dans les écoles militaires européennes, rejoignaient leur famille sur l’île. Le triangle servait alors à divertir la haute société au cours des bals organisés par celle-ci, avant de rapidement se généraliser à l’ensemble des pratiques instrumentales populaires. Si, aujourd’hui, la grande majorité des triangles sont de facture industrielle, jusqu’aux années 1970, l’instrument, modelé à partir de lourdes tiges d’acier (servant souvent d’armature dans la construction de bâtiment) était principalement artisanal. Sa technique de jeu se résume en deux mouvements : attraper le triangle en frappant la barre transversale avec la baguette en acier tenue de la main droite (pour un droitier), puis relâcher la pression exercée par la main gauche pour augmenter l’intensité du son obtenu. Au sein du maloya, bien que son utilisation se soit raréfiée depuis les années 1990-2000, le joueur de triangle scande les temps sans discontinuité, pouvant improviser des variations en début et fin de morceau. Aujourd’hui, cet idiophone est souvent remplacé par le pikèr ou le sati. De nos jours, malgré les innovations en terme de facture instrumentale qu’ils connaissent, les instruments les plus représentatifs du maloya traditionnel restent le roulèr, le kayamb et le pikèr. Le maloya actuel est cependant principalement la résultante de métissages perpétuels qui font que l’effectif instrumental du genre s’est considérablement diversifié depuis les années 1990. Aussi peut on y retrouver des instruments mélodiques à l’image de l’accordéon (Lindigo), de la guitare (Alain Peters) ou encore de la basse (Ti Fock) et d’autres percussions comme le djembé (Salem Tradition) ou les congas (Danyel Waro)… maloya plaquette:Mise en page 1 21/07/11 18:53 Page9 4 Quelques figures emblématiques du maloya Historiquement étranger au vedettariat, le maloya fait l'objet, depuis les années 1980, d'un fort investissement mémoriel et institutionnel. Cela a contribué à l'émergence de figures emblématiques considérées comme « porteuses de tradition ». Voici une présentation non exhaustive des plus populaires d’entre elles. Incarnant des pans de savoir et d'histoire, ces personnalités sont souvent évoquées et mises en valeur par les générations suivantes de musiciens, pour lesquelles elles font office de référents mémoriels. La famille Gado maloya festif pratiqué, dans les calbanons, par les travailleurs des plantations. Il s'investit par la suite fortement dans les sèrvis kabaré. Son petit-fils Patrick Manent est un maloyeur confirmé et ses petits enfants forment aujourd'hui le groupe Kozman Ti Dalon. Lo Rwa Kaf (1927-2005) Originaires du Sud de La Réunion mais installés dans l'Ouest depuis la fin des années 1960, JeanClaude, Jean-Luc, Jean-Marc et Patrick Gado sont parmi les derniers pratiquants des romances créoles, genre musical essentiel des mariages du XIXe et XXe siècle. Varié, le répertoire de la famille Gado est par ailleurs représentatif de la diversité stylistique du maloya traditionnel : maloyas pléré (de complainte), maloyas festifs, chants de sèrvis kabaré... Gramoun Bébé (1927-2005) Granmoun Lélé (1930-2004) Gérose Barivoitse, surnommé « Lo Rwa Kaf », constitue aujourd'hui une figure centrale pour de nombreux musiciens de maloya contemporain. Originaire de SainteSuzanne, où il était travailleur agricole, lo Rwa Kaf a fait connaître ses chants en créole et « en malgache » à travers les prestations et les disques de sa troupe familiale. Repris dans les sèrvis kabaré, une partie du répertoire dont il était le porteur est aujourd'hui très valorisée. Lo Rwa Kaf était par ailleurs un excellent conteur. Etienne Bob (1920-1992) Louis Jules Manent, dit « Gramoun Bébé », a été reconnu tardivement comme un représentant du maloya joué dans les cérémonies du culte aux ancêtres. Enfant, il découvre le Etienne Sanguerat fut surnommé « Etienne Bob » en raison de l'intérêt qu'il portait à l’arc musical avec lequel il s’accompagnait (au sein du groupe Cimendef). Bien qu'ayant très peu enregistré, il a contribué, avec Lo Rwa Kaf et Granmoun Lélé, a faire connaître le maloya « en malgache » de l'Est de l'île. Son nom est parfois donné comme une référence par certains groupes de l'Est, comme Kiltir. Julien Philéas a quasiment accédé au statut de « vedette » dans les années 1990-2000, menant une carrière internationale avec son groupe familial. Enfant, il est initié à la fois aux rites de l'hindouisme populaire et aux cérémonies du culte aux ancêtres. Créée à la fin des années 1970, sa troupe s'écarte rapidement de la mouvance politique du genre et popularise, dans les années 1990, une forme de maloya marquée par l'utilisation des langues ancestrales (malgache, tamoul...). maloya plaquette:Mise en page 1 21/07/11 18:54 Page10 Gramoun Baba (1916-2004) Animateur, avec sa femme (« Madame Baba »), d'un sèrvis kabaré réputé dans le Sud de l'île depuis la fin des années 1950, Paul Emmanuel Salomon a principalement évolué musicalement dans ce cadre. La renommée de son sèrvis au sein des musiciens et des militants culturels des années 1980-90 a contribué à le faire connaître comme une figure « traditionnelle ». Dada (né en 1938) Egalement partie prenante des mouvements de contestation sociale et politique des années 1970, Simon Lagarrigue a participé, avec la Troupe Résistance du Sud (fondée en 1959), au mouvement de revitalisation musicale porté par le PCR. Familiarisé dans sa jeunesse aux formes improvisées et plus spontanées du maloya (maloya de moquerie, chants de travail...), Dada a contribué, avec son frère Yvrin, à l'émergence d'une forme de maloya composé, dont le texte est plus construit. Autodidacte, Françoise Guimbert découvre le maloya dès l’enfance. Dans les années 1970-80, elle enregistre plusieurs 45 tours de séga maloya avant d’entamer une carrière sous la houlette de Bernadette Ladauge et de Christophe David. Elle est aujourd’hui investie dans la transmission du patrimoine musical réunionnais auprès des enfants, par l’intermédiaire de son association Pomme d’Aco. Elle fête cette année 2011 ses 40 ans de scène. Danyèl Waro (né en 1955) Gramoun Sello (né en 1949) Firmin Viry (né en 1935) Natif du Sud de l'île, cette icône du maloya a participé, dans les années 1970, aux premiers enregistrements 45 tours et 33 tours du genre. Proche de la famille Lagarrigue, il a popularisé un répertoire constitué de maloyas festifs et de romances. Il a par ailleurs composé des chants à teneur militante, dénonçant la censure politique et les injustices sociales. Originaire de Saint-Louis, Gramoun Sello a grandi dans la cour de l'établissement sucrier du Gol. Ouvrier agricole, il devient très tôt un adepte des bals maloya et des sèrvis kabaré, avant de fonder sa première troupe, les Volkaniks, en 1976, puis la Troupe Roseda, en 1980. Son répertoire, varié, laisse une place importante aux chants de commentaire social et à l'évocation du culte aux ancêtres. Françoise Guimbert Emblématique d'un renouveau du maloya dans les années 1980-90, Danyèl Waro inscrit sa démarche artistique dans un engagement militant autour de la langue créole et des aspects minorés de l'histoire sociale et culturelle de La Réunion. Poète autant que musicien, il frappe par des textes travaillés et particulièrement engagés. Proche du PCR dans les années 1970, il commence au début des années 1990 une carrière internationale pour laquelle il a été de nombreuses fois récompensé. René Paul Elleliara (né en 1950) maloya plaquette:Mise en page 1 21/07/11 18:54 Page11 Eclectique, le parcours de RenéPaul Elleliara illustre le caractère non cloisonné de l'existence contemporaine du maloya. Chanteur et batteur dans des orchestres de bal des années 1970 (Devil's Song, Pop Activity), René Paul Elleliara côtoie Lo Rwa Kaf à la même période. Il enregistre alors plusieurs 45 tours de séga et de maloya. Intégrant le groupe folklorique Kalou Pilé, il devient dans les années 198090 un animateur important de ce courant avec Kisaladi et Okilé. Kalou Pilé Poète autant que musicien, Alain Peters a été membre, entre autres orchestres, dans les années 1970, des Caméléons, groupe précurseur en matière de fusion musicale réunionnaise (avec notamment René Lacaille), puis de Carrousel, également emblématique des débuts du maloya électrique. Formé à l’école des orchestres de bals et de variété créole, Alain Peters est d’abord marqué par le rock, le jazz et la musique pop. A la fin des années 1970 et durant les années 1980, il compose un répertoire où le maloya constitue une source d’inspiration importante au niveau musical. Ses chansons ont été, depuis, maintes fois reprises. Issu du Mouvman Kiltirel Baster, le groupe Baster est un des grands représentants du maloya électrique des années 1980-1990. Mené par Thierry Gauliris, Baster illustre par ailleurs l'impact des musiques jamaïcaines sur la création réunionnaise. Baster a, de fait, enregistré plusieurs disques de reggae. Le séga fait également partie de son répertoire. Ousanousava (créé en 1985) Ziskakan (créé en 1978) Formé à la fin des années 1970 dans le cadre d'un projet de développement touristique de l'île, Kalou Pilé a contribué à la folklorisation du maloya tant en termes de mise en scène chorégraphique, de costumes que de répertoire. Animée notamment par Jacqueline Farreyrol, cette troupe s'inscrivait dans un courant au sein duquel la pratique du maloya côtoie d'autres expressions constitutives de l'identité musicale réunionnaise : séga, quadrilles, romances… Alain Peters (1952-1995) et les Caméléons Mené par Gilbert Pounia, Ziskakan a été un autre précurseur des tendances électriques, pop et fusion du maloya. Il a ainsi participé à la diversification artistique du genre, en même temps qu'à son entrée dans le champ des musiques «actuelles». Marquées par une multiplicité d'influences (Inde, Afrique, Madagascar, folk américaine, rock...), les chansons de Ziskakan, fortement contestataires au départ, comportent une importante dimension littéraire. Baster (créé en 1983) Créé par les enfants du ségatier Jules Joron, Ousanousava a proposé une forme de chanson créole marquée par les rythmiques et les thématiques contestataires du maloya. A l'instar de Baster, Ousanousava a par ailleurs intégré à son répertoire les deux autres styles dominants de la création musicale réunionnaise actuelle : le reggae et le séga. Ti Fock (né en 1944) Après avoir été musicien d'orchestres de bals et enregistré plusieurs 45 tours dans les années 1970, Michel Fock démarre, dans les années 1980, une nouvelle carrière musicale avec une musique qui mêle influences africaines urbaines (afrobeat notamment) jazz, rock , rythmiques maloya et textes en créole. Il s'illustre actuellement dans la fusion entre le maloya et les musiques électroniques. maloya plaquette:Mise en page 1 21/07/11 18:55 Page12 maloya musique traditionnelle de La Réunion Apparu récemment dans l'espace médiatique réunionnais, le maloya est l'héritier d'un ensemble de pratiques musicales et chorégraphiques associées aux travailleurs de la canne à sucre d'origine africaine, malgache et, dans une autre mesure indienne. Venues à La Réunion dans le cadre du régime esclavagiste puis de l'engagisme, ces populations ont recomposé une musique originale qui s'est popularisée dans la seconde moitié du XXe siècle sous l'appellation « maloya ». Porté depuis les années 1970 par des figures emblématiques de la « Tradition » telles que Firmin Viry, Lo Rwa Kaf, Granmoun Lélé ou encore Gramoun Sello, le maloya a aujourd'hui ramifié une grande partie de la création musicale insulaire. Il donne lieu à une diversité de déclinaisons stylistiques (maloya électrique, malogué, jazzoya...) qui témoignent de la place essentielle qu'il occupe dans l'espace culturel réunionnais. L'exposition se propose de retracer l'histoire de cette musique, en insistant sur le rôle joué par les porteurs de tradition. L'instrumentation et les principales thématiques abordées dans les textes constituent les deux autres volets de la présentation. Cette exposition a été réalisée par le Pôle Régional des Musiques Actuelles de La Réunion - Runmuzik Rédaction Fanie Précourt et Guillaume Samson Avec la participation de Christine Salem et Stéphane Grondin Graphisme Elsa Lauret Scénographie et réalisation Mondomix Remerciements Arno Bazin et Kréol Art, Laurent Hoarau, Marc Benaïche, Georges-Marie Daprice, Betty Cerveaux Mayer, Maya Pounia, les Archives Départementales de La Réunion. Impression www.khilim.com Couverture / Photo : La famille Ramouche / Illustration : Jacquot Mayacot, Antoine Roussin, Archives départementales de La Réunion / Texte : extrait de «Zarboutan» (auteur : Jeannick Arhimann)