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Correction de l’analyse de séquence. The nutty professor – Jerry Lewis
Ce texte reprend en très grande partie le travail de Laurent Jullier et Michel Marie sur cette séquence (Lire les images de cinéma, Larousse, 2007).
Le film de Jerry Lewis est un pastiche des Dr Jekyll et Mr Hyde de 1932 et 1941. Il a lui-même
été l’objet de deux remakes, l’un en 1996, le Dr Foldingue (de Tom Shadyac, avec Eddie Murphy) et
l’autre en 2007 sous forme de dessin animé, écrit par l’ex-Disney Evan Spiliotopoulos et produit par
les frères Weinstein pour le marché vidéo, Jerry Lewis prêtant sa voix au personnage principal. Il
annonce comme second souffle possible d’Hollywood, « l’exploitation intelligente » du patrimoine
cinématographique, que pratiqueront les post-modernes quinze ans plus tard.
The nutty professor est un pastiche, non une parodie. Les pastiches sont des imitations qui
visent à rendre hommage à leur modèle, ou à s’amuser avec lui-à la différence des parodies qui s’y
attaquent avec un dessein satirique. Jerry Lewis est beaucoup trop respectueux des partis pris
formels de ses deux prédécesseurs pour que l’on puisse lui prêter une visée satirique. Son film est
aussi d’autant plus efficace qu’il prend très au sérieux le thème du double intérieur. A ce stade de sa
carrière, Jerry Lewis avait déjà été en contact avec le pastiche à l’échelle d’un film entier, car il avait
interprété le rôle-titre de Cinderfella (Cendrillon aux grands pieds, Franck Tashlin, 1960).
Las d’aller d’échec en échec, Julius a décidé de tenter l’expérience. C’est pour ce soir -tonight
is the big night -d’autant qu’il a été invité à la fête des étudiants dans une boîte à la mode, le Purple
Pit (le puits pourpre).
Cependant que la fièvre monte au Purple Pit, Julius s’introduit clandestinement dans son
laboratoire. Il se cache derrière une haie soigneusement taillée, devant laquelle la caméra le suit en
travelling latéral. La haie image la domestication de la nature selon le bon vouloir humain, un geste
que le héros s’apprête à transposer à sa propre personne. Un fondu enchaîné à vocation elliptique
nous conduit à l’intérieur des couloirs, où Julius est précédé par son ombre. La thématique du double
est ainsi déjà présente à l’image. L’ombre suggère que Mr Love est déjà à l’intérieur de Julius. Les
chaussures du professeur Kelp grincent affreusement. Il les retire mais le grincement continue. Ce
gag provient directement des cartoons de Tex Avery (Screwball Squirrel, 1944). Cette référence au
dessin animé se retrouve à plusieurs reprises dans le film de Jerry Lewis. Le regard caméra qui
ponctue le gag constitue également une référence distanciée,par rapport à la narration, au cartoon.
Une fois dans son laboratoire, Julius fait la conversation à son mainate, Jennifer (prénom qui
anthropomorphise l’animal et renvoie aux paroles prononcées par la jeune fille blonde des premiers
plans [Stella] (I bet you right now he’s probably on his way to some secret rendez vous with a
mysterious dark headed female ). La voix de l’animal se fait entendre hors-champ.) L’écriteau dans la
cage de Jennifer « Home sweet home » fonctionne comme un avertissement – Jennifer préfère rester
à sa place, en tant qu’être vivant naturellement double (animal-humain). Plus tard on apercevra à
côté de la cage un crâne étrangement bleu, sorte de vanité dans l’image et rappel de la condition
mortelle –donc inférieure – de l’être humain par rapport aux dieux. Jennifer ne cesse d’ailleurs de
lancer des avertissements – « À ta place, Julius, j’y réfléchirais à deux fois…. Réfléchis un peu,
Julius ».
A partir d’ici, il n’y a plus d’ellipse et les plans s’allongent. C’est une des caractéristiques du
style de Lewis ; elle le rattache au cinéma de la modernité, qui, au sortir de la Seconde Guerre
mondiale, aimera à « donner une image directe du temps », l’ellipse étant perçue comme un
mensonge. Chez Lewis les changements de costumes sont souvent filmés en temps réel. Le travail
de l’acteur est enregistré.
Aucune musique n’accompagne la préparation de la mixture. Le cliquetis, le feulement du bec
Bunsen et les gargouillis de la potion occupent seuls le terrain sonore. Nous ne sommes plus dans le
registre comique. Le plan de face, avec la présence à gauche de la flamme, indique une intention
métaphorique claire : Julius s’apprête à jouer avec le feu, donc à transgresser un interdit puissant.
Sans hésiter, Julius commet l’irréparable. Un plan « expressionniste » nous
donne l’heure tout en nous indiquant que le temps ne passe désormais plus
à la même vitesse pour tout le monde , grâce à un calendrier à gauche et
au poster d’Albert Einstein à droite. Aux bruits d’ambiance s’ajoutent un
battement de cœur, le tic-tac ralenti de l’horloge, et des trilles de
contrebasse en mode mineur. De la version de 1941, le musicien a repris
l’idée de l’inéluctabilité par le biais d’un tempo implacablement métronomique. Et c’est aussi un
thème dissonant qui souligne la « progression du mal ».
De cette version (Victor Fleming), Lewis a aussi emprunté l’idée des tubes renversés et de
l’imprudent docteur jeté à terre par de violents spasmes (une contre-plongée dramatise le
mouvement). Ensuite il a judicieusement placé la caméra en plongée presque totale –point de vue
olympien qui signale que l’homme se prend pour un dieu en voulant modifier son programme
génétique. Bien entendu, à l’extérieur des fenêtres closes du laboratoire, la foudre tombe et le
tonnerre résonne-les dieux sont fâchés. Quant au gros plan de la main hideuse où s’épanouit une
pilosité anarchique, il vient de la version de 1932 (Mamoulian), tout comme les dents proéminentes.
Comme Julius passe par des stades successifs,
tous plus effrayants les uns que les autre, la
pulsation cardiaque a accéléré et l’orchestre joue
une boucle dissonante. « I told you Julius ! »
lance Jennifer, sarcastique, devenue dans un
plan cauchemardesque une créature hybride à
corps d’oiseau et tête d’homme.
Après être descendue, avec compassion, au niveau de l’infortuné docteur, la caméra remonte
en plongée quasi-totale. Tous les spectateurs pensent que Julius n’a fait qu’aggraver son cas. Mais
on se retrouve chez un tailleur. Un cut brutal, sur la fin de la musique, nous a ramenés au dispositif
scénique de la version de 1931, entièrement tournée en caméra subjective. Lewis joue sur la fausse
piste du faciès horrible, et donne une rafale de « réactions » étranges – des reaction shots sans
contrechamp. Le suspense dure longtemps (long travelling latéral), dramatisé par la suppression de
la musique et des bruits ambiants à l’exception du pas du mystérieux personnage dont la caméra a
pris la place. Le respect et la stupéfaction se lisent sur des visages où l’on attendait surtout de la
répulsion. Lewis joue encore une fois d’une référence au cartoon dans le traitement des sons. Dans
la boîte, le bruit d’un plateau tombant au sol se surimpose au plan d’un baiser avorté.
Enfin le contrechamp survient. On ouvre la porte à Mr Love. Celui-ci est suprêmement cool, sûr de lui
et supérieurement blasé. C’est bien l’anti-Julius. Le film a donc exploité la logique du contraire, pas
celle du pire comme on le croyait en voyant pousser les poils et les dents. Lewis utilise un zoom à
deux temps assez brutal qui donne davantage de force à cette arrivée (cette irruption plutôt). Le
silence se fait à son apparition, mais les clients reprennent peu à peu leurs conversations et les
musiciens leurs instruments. Le Purple Pit (puits pourpre – Purple étant un adjectif inclus dans un
grand nombre d’expressions argotiques à connotation sexuelle) est une boîte dédiée au flirt et à
l’alcool : l’environnement idéal pour la nouvelle identité du professeur Kelp. Il est à noter que ce
dernier arbore un costume bleu électrique, qui, outre son côté voyant et tape-à-l’eil, parure idéale
pour un personnage arrogant, suggère à nouveau le danger et la transgression : il s’agit du même
bleu que nous avons aperçu avant sur le crâne et dans le laboratoire baigné par la lumière de l’éclair
(ou encore dans les traces de peinture violemment répandue sur le sol et sur la blouse).
Le premier coup d’éclat de Mr Love consistera à terroriser le barman pour qu’il lui prépare son
« réchauffe-ours-blanc-d’Alaska », double évidemment, cocktail dont une seule goutte enverra
l’imprudent employé au tapis. Le dernier geste du professeur Kelp fut de boire une mixture, le premier
geste de son double est également d’absorber un breuvage que lui seul peut supporter. Le motif est
repris ici dans une intention comique.
Tout le cinéma du dur-à-cuir, le hard-boiled man, est ridiculisé dans la scène qui clôt la
séquence.