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Playlist
 THE WHITE STRIPES
White blood cells,
XL/Beggars/Naïve, 2001
Deux jeunes gens originaires de Detroit
s’immergent dans la musique traditionnelle américaine, blues, folk, country,
rock, suivent les traces des pionniers et
créent le rock le plus authentique et
novateur des années zéro.
The White Stripes sont le groupe de rock américain le plus excitant
des années zéro. Formé à Detroit, la Motor City, ville ouvrière très noire
et Mecque de la meilleure soul music (le label Motown, bien sûr), de rock
le plus dur (les Stooges, MC5) et berceau de la techno (Derrick May,
Kevin Saunderson) par deux vrais personnages, Jack et Meg White,
faux frère et sœur et vrais ex-époux. Jack est un musicien génial, guitariste unique, éruptif et lyrique, pianiste inspiré, arrangeur surdoué et
chanteur puissant ; Meg, une batteuse au jeu enfantin mais qui tape
comme une sourde sur ses tambours. L’idée étant de tout faire à deux,
sans aucune aide ni adjonction que ce soit, et de jouer avec cette limite,
comme les bluesmen du Delta qui faisaient tout passer par leur simple
guitare.
Enfin, dès leur premier disque en 1999, les White Stripes adoptent une
charte graphique forte : un code couleur qui ne différera jamais, dans leurs
fringues, leurs instruments et bien sûr toute l’imagerie du groupe, rouge,
blanc et noir. Pour ces « Globules blancs », le couple vêtu de rouge et de blanc
adossé à un mur de briques rouge est attaqué par des silhouettes noires sur
un sol couvert de neige ! Angoissante image qui n’est qu’un gag, car la quatrième de couverture du livret du CD montre qui sont ces silhouettes : des
cameramen et des photographes. Et cette pochette était hautement prémonitoire, car c’est avec ce troisième album que les White Stripes décrocheront
la timbale, devenant énormes en Angleterre. Jack et Meg ont enregistré ce
disque en à peine une semaine dans un studio, analogique forcément, à Memphis, Tennessee, autre lieu emblématique de la musique made in USA.
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Sens-Dessous - juin 2012
En seize brefs morceaux, Jack White revisite et réactualise la Musique
américaine – blues, hard rock, country, folk, ballades pastorales – pour
hurler son dépit amoureux, suivant d’augustes traces (le blues séminal, la
folk et la country, le hard rock à la Led Zeppelin) et les maltraitant, les
amplis à fond, les guitares distordues et la batterie néandertalienne au
son surpuissant. Le jeune homme aux cheveux de jais chante comme un
bluesman centenaire dès l’ouverture au couplet calme et au refrain plombé
« Dead Leaves and the Dirty Ground » (magnifiquement mis en images
par le cinéaste français Michel Gondry). Suit le sautillant et country
« Hotel Yorba », leur premier hit en Angleterre, où le chant si aigu de
Jack White s’approche du yodel. « Fell in Love with a Girl », à peine deux
minutes de punk rock haletant et euphorisant (le clip, toujours signé Gondry, est une incroyable animation en légo). Les « Ah ah ah » du refrain
exsudent une joie de vivre toute adolescente. La jolie ballade folk « We’re
Going to Be Friends » apporte un peu de douceur dans la frénésie métallique, vite laminée par un « Aliminum » carrément heavy metal. Avec ce
son rêche et cette exécution brute, ce disque tendu comme un arc, ravivant l’esprit blues des pionniers dans une forme actuelle, ne donne pourtant qu’une envie quand il se termine : le remettre, en entier.
Les White Stripes connaîtront le succès mondial deux ans plus tard avec « Elephant », disque enregistré à Londres et où figure le classique « Seven Nation
Army ». « Icky Thump », leur dernier album, sort en 2007 et le duo est officiellement séparé depuis 2011. Jack White sort aujourd’hui son premier album
en solo « Blunderbuss ».
 JEan-LouIS MuRaT
Tristan, V2/Universal, 2008
« De toute façon, comment passer après
Baudelaire ? ». Cette question qui balaie
d’un mépris masochiste toute tentative
d’écriture de chanson en français ne
vient pas d’un Gainsbourg, mais d’un
Auvergnat atrabilaire et surdoué qui
dynamite ladite chanson depuis 1980, à grands coups de guitares rock
américaines, de fiel bien dosé… Et surtout de poésie et de littérature.
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littérature et esthétique
Oublions l’arrogant trublion et polémiste télévisuel, car la superbe voix suave
du Murat chanteur ne débite que très rarement des fadaises, parfois des paillardises gonflées à la testostérone à prendre à l’énième degré, et la plupart du temps
des merveilles de poésie. Auteur prolifique, celui qui affirme que si écrire une
chanson prend plus de trois jours, c’est qu’il faut changer de métier, ses disques,
musicalement comme thématiquement, sont toujours plus qu’honorables.
Cependant, « Tristan » est un objet à part dans la carrière de Jean-Louis
Bergheaud, natif de La Bourboule, qui a pris comme nom d’artiste celui de
Murat-le-Quaire, village de ses grands-parents sur les pentes du Mont-Dore où
il a grandi. Ce vingt-quatrième opus arrive après son disque hommage « Charles
& Léo », où il reprenait des poèmes de Baudelaire mis en musique par Ferré. Ce
contact avancé avec la grande littérature lui a sans aucun doute donné envie
d’en découdre avec la poésie. Ce « Tristan », il l’a réalisé seul, en Auvergne,
jouant de tous les instruments et produisant l’ensemble, expérience intime pour
sertir des textes intemporels, inspirés par le mythe de Tristan et Iseut, Himalaya du dépit amoureux. Dans ces vibrantes odes à l’Amour dans toute sa
noblesse et sa chair, Murat suit la trace des trouvères occitans. Des morceaux
comme « La légende dorée », « Tel est pris » ou « Chante Bonheur » sont délicatement troussés, avec guitares acoustiques carillonnantes, et dépeignent
l’amour courtois d’une belle langue classique qui claque et séduit.
Cependant, Murat avec malice, n’hésite pas à truffer ses textes d’anachronismes et l’ensemble devient pour le coup très contemporain. Jamais un troubadour n’aurait pu s’exprimer ainsi… « Tristan est un Sancy de tristesse » dit-il,
et si le dépit amoureux et la mélancolie tissent le fond du propos (la magnifique
« Il faut s’en aller » que Murat dédiera plus tard à Bashung), l’amour est aussi
charnel, terrien et vital comme dans « Mousse noire », emmenée par la douzecordes de Murat, sans doute sa toute meilleure chanson « Tout ça porterait à rire
s’il n’y avait le plaisir, mousse noire de mon malheur ». « Les voyageurs perdus »,
glorieux blues folk des grands espaces, très américain, fait de Jean-Louis Murat
le Neil Young français « Nous quittons, prisonniers de ce qui n’est plus, orphelins
de chair si confus, nous les voyageurs perdus ». Enfin, dans le final et enjoué
« Marlène », sulfureuse séductrice qui laisse l’amoureux transi mais vengé par
la mort réelle ou fantasmée de la belle (« Voilà la faux du temps, cuisses entr’ouvertes, dis, comme tu y vas, plus prompte que l’éclair tout ça pour dire que tu ne
m’aimes pas »), il ressort un saxophone, son premier instrument, de son écrin
et installe une ambiance presque glam à la Roxy Music. Tous les disques de
Murat sont personnels, mais l’aventure solitaire « Tristan », dans ses filiations
musicales et son ambition littéraire est sans doute la plus intime, qui permettra à son auteur une grande et épatante tournée en solitaire.
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Sens-Dessous - juin 2012
 BLuR
Modern life is rubbish,
Parlophone/EMI, 1993
Comment un jeune groupe anglais
perdu dans les Amériques s’invente
enfin, en fouillant dans ses racines britanniques et en empruntant le chemin
tracé par d’augustes compatriotes.
Au moment où Damon Albarn annonce la fin à venir, semblerait-il définitive, de Blur après les futurs concerts de l’été à Londres et qu’une exhaustive
réédition de leurs sept albums est annoncée, il est bon de se pencher sur leur
second et crucial disque. En 1992, les jeunes Anglais touchent le fond lors d’une
désastreuse tournée américaine pour soutenir leur premier album « Leisure »,
un effort bancal de mêler rythmes dansants et mélodies psychédéliques, formule très en vogue outre-Manche à l’époque avec des groupes comme les Stone
Roses ou les Happy Mondays et d’où surgirent trois bonnes chansons (dont l’irrésistible « She’s so High ») et pas grand chose d’autre.
Dans les États-Unis profonds tombés amoureux de Nirvana et du rock
grunge, en première partie de Suede, Blur joue dans l’indifférence générale, les jeunes Anglais d’un peu plus de vingt ans se déchirent méthodiquement la gueule chaque soir, en viennent souvent aux mains et souffrent
d’un mal du pays paralysant. Cramé, dépressif, Damon Albarn se met
alors à fantasmer une Angleterre de rêve, où de géniaux excentriques dictent la mode et de pimpantes old ladies aux cheveux violets taillent leurs
géraniums. Il se met à écrire des vignettes observatrices et pleines d’humour à la Kinks mettant en scène des figures tutélaires de l’English way
of life (et de jeunes gens en plein désarroi aussi), mélange le punk des
Buzzcocks avec le psychédélisme du Pink Floyd de Syd Barrett, le musichall avec le lyrisme de David Bowie, sous la forme d’une pop à guitares
particulièrement bien roulée… De retour à Londres, le groupe couche ces
idées sur bande. Le guitariste surdoué Graham Coxon (sans doute le meilleur de sa génération) rivalise d’inventivité instrumentale avec le sens
mélodique hypertrophié de Damon Albarn et la mécanique Blur est mise
en place. Elle est de précision. Comme si ces jeunes Anglais avaient trouvé
le Graal en suivant les traces, mieux, en s’inscrivant en elles, de leurs illustres aînés si britanniques, Ray Davies, David Bowie et bien sûr les
Beatles.
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littérature et esthétique
Si le premier single « Sunday Sunday » est un tantinet caricatural, dessinant, avec ses voix gonflées à l’hélium et sa fanfare de cuivres, une Angleterre
de parc à thème, « Oily Water », ode à la Tamise, est extraordinaire avec son
groove à contretemps, sa voix saturée et ses guitares tordues. Coxon et Albarn
signent surtout deux imparables tubes, le sombre « Chemical World » et l’optimiste « For Tomorrow ». Le punk et sautillant « Advert » et le romantique
Roland Dérudet
« Blue Jeans » complètent le tableau de jolie manière.
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*Modern’s life is rubbish. http://www.toothpastefordinner.com/archives/2003/Jan/
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