Mot du Centre Coûts totaux du transport terrestre
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Mot du Centre Coûts totaux du transport terrestre
Octobre 2008 Volume 13 Numéro 3 Mot du Centre Nous avons le regret d’annoncer le départ de M. Luis F. Miranda-Moreno. Après avoir agi à titre de stagiaire doctoral et postdoctoral au sein du Centre de données et d’analyse sur les transports (CDAT) et du Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD), Luis nous quitte pour poursuivre une carrière de professeur en génie civil à l’Université McGill. Il conti- nuera toutefois à collaborer avec les deux centres de recherche de l’Université Laval notamment à travers le projet d’évaluation des émissions de gaz à effet de serre des résidents de la ville de Québec dans lequel il est impliqué. Nous souhaitons à Luis le meilleur des succès dans sa nouvelle carrière et le remercions pour son excellente collaboration au cours des quatre dernières années. enerInfo transport routier est un bulletin sur le développement, la gestion et l’analyse de données sur l’utilisation de l’énergie liées au secteur du transport. enerInfo transport routier est produit trois fois par année par le Centre de données et d’analyse sur les transports (CDAT) à l’Université Laval. Le contenu de ce bulletin est intégré à la publication infodonnées qui traite de mobilité, d’environnement, de sécurité routière, de même que d’efficacité énergétique. Table des matières Coûts totaux du transport terrestre de marchandises Les fluctuations récentes du prix du pétrole brut et des carburants à la pompe ont amené la plupart des entreprises spécialisées dans le transport de personnes ou de marchandises à revoir leurs tarifs à la hausse. Ces augmentations de tarifs ont à leur tour entraîné des hausses du prix des biens et services puisqu’il coûte désormais plus cher aux travailleurs pour se déplacer et aux entreprises pour acheminer leurs marchandises jusqu’aux différents points de vente. Malgré cette hausse, les tarifs de transport, déterminés en fonction des coûts internes de production des compagnies de transport, ne reflètent pas la totalité des coûts associés aux activités de transport. En effet, bien qu’elles soient indispensables voire même bénéfiques à l’économie, ces activités engendrent des externalités négatives, ou des coûts pour la société et l’environnement, qui ne sont pas pris en compte dans la tarification des transports. Ces externalités peuvent inclure les accidents (décès, blessures et dommages matériels), les émissions (de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre), les changements climatiques, le bruit, la congestion urbaine et la détérioration des infrastructures publiques de transport. Puisqu’elles sont difficilement chiffrables et qu’elles se répercutent sur l’ensemble de la société, ces externalités négatives n’entrent pas dans le calcul des coûts privés (internes) des transporteurs et n’influencent donc pas la tarification des transports. Cette défaillance du marché a pour conséquence que les consommateurs et les entreprises n’ont pas d’incitation financière à prendre en compte les répercussions de leurs choix en matière de transport sur la société et l’environnement. Pour les amener à prendre des décisions plus éclairées, il faut d’abord être en mesure d’évaluer l’ampleur des coûts externes associés aux déplacements des personnes et des marchandises. Dans le cadre d’une étude sur le transport ferroviaire au Canada, le Centre de données et d’analyse sur les transports s’est intéressé à l’évaluation des coûts totaux (internes et externes) du transport terrestre de marchandises dans le but de comprendre comment ceux-ci viennent influencer la compétition du rail par rapport à la route. Nous présentons dans cet article des extraits de notre revue de la littérature à ce sujet. Depuis le dépôt de notre rapport sur les « Perspectives du transport ferroviaire au Canada » en mai 2008, Transports Canada a publié en août 2008 un rapport de synthèse présentant des estimations des coûts totaux du transport au Canada pour l’année 2000. Nous discutons aussi brièvement des implications de ces résultats en parallèle avec nos propres recherches. Mot du Centre..……………………………………1 Coûts totaux du transport terrestre de marchandises……………....…………………..1-2 Notre équipe Denis Bolduc Directeur Nathalie Boucher Directrice exécutive Philippe Barla Conseiller Jean-Thomas Bernard Conseiller Martin Lee-Gosselin Conseiller Sylvie Bonin Conseillère Luis Miranda-Moreno Chercheur postdoctoral Kevin Lamontagne Analyste informatique Martine Guay Coordonnatrice des affaires administratives Johanne Perron Gestion du site Internet Guillaume Desrosiers Assistant de recherche Nos partenaires Ressources naturelles Canada Ministère des Transports du Québec Société de l’assurance automobile du Québec Agence de l’efficacité énergétique Adresse: CDAT, GREEN, Université Laval Pavillon J.-A.-DeSève, local 2244 Cité universitaire QC Canada G1V 0A6 Téléphone: Télécopieur: Courriel: WWW: (418) 656-2131, poste 7875 (418) 656-7412 [email protected] http://www.cdat.ecn.ulaval.ca Also available in English Mentionnons tout d’abord que l’évaluation des coûts externes de transport est un domaine de recherche complexe, relativement récent et toujours en développement. Ses conclusions demeurent de fait encore très controversées. Une telle évaluation est typiquement sujette à beaucoup d’incertitude et doit s’appuyer sur plusieurs hypothèses dont la validité reste discutable. Les résultats obtenus en dépendent fortement, de même que de la méthodologie employée pour les produire. Par exemple, la valeur accordée à une vie humaine ou à l’émission d’une tonne de dioxyde de carbone dans l’atmosphère aura des répercussions directes sur le calcul des externalités liées respectivement aux accidents et aux émissions de gaz à effet de serre (GES). D’ailleurs, la distinction entre les coûts internes et externes n’est elle-même pas toujours claire. À titre illustratif, les coûts associés aux accidents et à la détérioration du réseau routier peuvent être partiellement internalisés respectivement à travers les primes d’assurance et la tarification du réseau (par exemple, par des tarifs d’usage ou des péages) et les taxes sur le carburant. Ceci étant dit, l’emploi d’une méthodologie uniforme pour évaluer les coûts totaux de sous-secteurs des transports où la compétition intermodale s’opère peut produire des comparaisons intéressantes. Forkenbrock (1999, 2001) est l’un des pionniers en la matière. Dans son article le plus récent publié en 2001, l’auteur compare les coûts de transport internes et externes des sociétés ferroviaires à ceux des entreprises de camionnage pour le transport interurbain de marchandises aux Etats-Unis. Les principaux résultats rapportés dans cette étude s’énoncent comme suit. Premièrement, les coûts externes attribués au rail sont beaucoup moins élevés (plus de quatre fois moins) que ceux estimés pour le camionnage, l’écart étant principalement dû aux coûts des accidents (excédentaires aux primes d’assurances) et aux frais d’entretien du réseau routier (en supplément des taxes défrayées par les transporteurs routiers pour ce dernier). Deuxièmement, les coûts externes représentent une part non négligeable des coûts privés, soit 13,2% pour les camions, 9,3% pour le transport intermodal et de 20,0% à 22,6% pour différents types de trains. Enfin, les coûts internes du transport intermodal rail-route représentent plus du double de ceux estimés pour le transport ferroviaire uniquement, principalement à cause du factage (transport par camion). Dans un article plus récent, Janic (2007) propose un modèle permettant d’évaluer les coûts totaux des réseaux de transport routier et intermodal (rail-route) en Europe pour analyser l’effet de diverses politiques de l’Union européenne visant l’internalisation des coûts externes du transport de marchandises sur la partition modale. Ce modèle permet entre autres d’étudier l’effet de la distance parcourue sur les coûts totaux de transport. Selon les résultats de l’étude, les coûts internes et totaux du transport intermodal sont plus élevés que ceux du camionnage sur de courtes distances. Mais puisque les coûts moyens (interne et externe) du transport intermodal par tonne-kilomètre diminuent à un taux plus accéléré lorsque la distance parcourue augmente, ils deviennent compétitifs (moins élevés que ceux du camionnage) sur de plus longues distances. Ainsi, suivant la structure de leurs coûts privés uniquement, le transport intermodal ferait compétition au camionnage sur des distances supérieures à 900 km. Par contre, ce seuil de compétitivité passe à 1 050 km lorsque les entreprises de transport doivent assumer leurs coûts externes en plus de leurs coûts privés. Guo (2007) étudie l’effet de l’internalisation des coûts externes associés à la pollution de l’air sur les choix de mode et de route d’une compagnie offrant des services logistiques tout en tenant compte des réseaux de transport routier et ferroviaire en place. Une méthode d’analyse du réseau de transport est appliquée afin de déterminer les choix de mode et de trajet qui minimisent les coûts totaux (internes et externes) de transport. Ceci permet d’analyser l’impact que pourrait avoir l’internalisation des coûts externes sur les opérateurs logistiques et leurs clients (entreprises, détaillants ou grossistes). En s’appuyant sur des exemples numériques, les résultats de l’étude indiquent entre autres que l’internalisation des coûts liés à la pollution de l’air aurait pour effet de réduire celle-ci par une meilleure exploitation de la combinaison des réseaux routier et ferroviaire. Par contre, elle impliquerait un fardeau additionnel en termes de coûts totaux de transport qui devrait ultimement être assumé par les clients des entreprises de logistique. Plus généralement, Beuthe et al. (2002) simulent comment les flux de transport de marchandises en Belgique pourraient être modifiés si une politique d’internalisation de l’ensemble des coûts externes des entreprises de transport était adoptée. Suivant les résultats de ces simulations, un important transfert modal s’opérerait du camionnage (en baisse de 71% à 54%) vers le rail (en hausse de 16% à 21%), mais surtout vers le transport fluvial (une augmentation de 13% à 24%). En conséquence, les coûts externes diminueraient de 15% et la consommation de carburant de 21%. Le rapport récemment publié par Transports Canada (2008) présente des estimations des coûts internes et externes —————————————— 1. Notre revue de littérature ne nous a pas permis de repérer autant d’études des coûts totaux que celle effectuée par Transports Canada puisqu’elle se restreignait aux textes publiés dans des revues scientifiques et qu’elle se concentrait sur le transport de marchandises par voies routière et ferroviaire. pour l’ensemble des modes de transport en exploitation au Canada suivant diverses désagrégations. Les externalités considérées englobent les accidents et la congestion urbaine, ainsi que la pollution de l’air, le bruit et les émissions de GES. Suivant différentes hypothèses, les coûts totaux du transport au Canada en 2000 sont évalués entre 198 et 233 milliards de dollars (M$), alors que l’estimation des coûts externes varie de 24,4 à 39,5 M$. La vaste majorité des coûts, soit entre 169 et 201 M$, est attribuée au transport routier (de passagers et de marchandises). Selon le scénario moyen, les coûts internes et externes du transport de marchandises seraient respectivement de 49,83 et 4,01 M$ pour le camionnage et de 6,73 et 0,90 M$ pour le transport ferroviaire. En comparaison, les coûts totaux du transport maritime et aérien de marchandises sont moindres (respectivement 3,19 et 1,27 M$). Des comparaisons internationales1 révèlent que les estimations des coûts externes du transport pour le Canada paraissent relativement faibles comparativement à celles de plusieurs autres pays. D’après Transports Canada, les écarts observés peuvent être dus à des différences méthodologiques, à des hypothèses divergentes ou encore à la difficulté de mesurer certains coûts faute de données disponibles. Sans intervention publique, rien ne forcera les individus et les entreprises à considérer les effets négatifs de leurs décisions sur la société et l’environnement. L’évaluation des coûts externes liés aux activités de transport est de fait une problématique importante et des efforts doivent être poursuivis pour continuer à l’améliorer. Avant leur mise en place, les politiques publiques visant l’internalisation des coûts externes doivent être étudiées avec soin puisqu’elles pourraient avoir des effets pervers négatifs. Références : Beuthe, M. et al., “External costs of the Belgian interurban freight traffic: a network analysis of their internalisation”, Transportation Research Part D, 7, p. 285-301, 2002. Forkenbrock, D. J., “External costs of intercity truck freight transportation”, Transportation Research Part A, 33, p. 505-526, 1999. Forkenbrock, D. J., “Comparison of external costs of rail and truck freight transportation”, Transportation Research Part A, 35, p. 321-337, 2001. Guo, S., “Internalization of transportation external costs: Impact analysis of logistics company mode and route choices”, Transportation Planning and Technology, 30, p. 147-165, 2007. Janic, M., “Modelling the full costs of an intermodal and road freight transport network”, Transportation Research Part D, 12, p. 33-44, 2007. Transports Canada, “Estimations de la totalité des coûts de transport au Canada”, rapport de synthèse, 110 p., 2008.