Les médias francophones

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Les médias francophones
Dossier
Rubrique
Les médias
francophones
Le paysage médiatique francophone
est en constante évolution. Journaux,
télévisions, radios et sites internet ...
Quels sont les médias et quelles sont
leurs audiences ? A quels groupes de
presse appartiennent-ils ?
Sans pouvoir dresser le catalogue
complet des médias francophones, le
dossier de ce numéro 104 de la revue
Wallonie propose un bref panorama de
la presse, complété par des interviews
de plusieurs experts des médias ou de la
communication.
20
Ainsi, Marc Lits, Directeur de
l’Observatoire du Récit médiatique
et Professeur à l’Ecole de Journalisme
de l’Université catholique de Louvain,
présente les évolutions de la presse
tant écrite qu’audiovisuelle et aborde
également la manière dont les médias
traitent l’actualité politique, économique
et sociale wallonne.
Wallonie 104 I I I I I Nov / Déc 2010
Chargé de cours au Département des
Arts et Sciences de la Communication
à l’Université de Liège, Geoffrey
Geuens analyse les conséquences de la
concentration des groupes de presse et
s’inquiète de la disparition de la presse
proogressiste. Enfin, Giovanni Lentini,
responsable TV et radio à la FGTB
wallonne, se penche plus spécifiquement
sur l’évolution du traitement des conflits
sociaux par les médias.
Complémentairement à ce dossier, la
rubrique « L’invité » (voir en page 14)
propose l’interview de Jean-Jacques
Jespers, ancien journaliste de la RTBF et
professeur de journalisme à l’Université
libre de Bruxelles. Celui-ci fait part
de ses réflexions sur la manière dont
l’information est traitée, tant par la
presse écrite qu’audio-visuelle et sur
la place prise par l’« émotion » dans
l’information.
P
resse écrite (quotidienne et périodique), presse audiovisuelle,
sites internet ou blogs … Ecrit, image, audio, vidéo,…voire
sms ! Journaux, télévision, ordinateur, tablettes numériques portables, téléphones. L’information est diffusée en continu,
immédiatement, via de multiples canaux et nombreux supports. Des
évolutions techniques aux multiples conséquences : économiques
politiques, sociales.
Comme le constate Madeleine Dembour lorsqu’elle dresse le panorama de la presse (voir encadré en page 23): « Tout est dans tout,
et inversement ! Telle est l’impression qui se dégage à la contemplation du « paysage » médiatique belge… Internet a fondamentalement modifié le modèle de la communication, en mettant en
avant trois concepts : la gratuité (le public considère qu’il est normal
d’accéder gratuitement à l’information), immédiateté (l’info est en
continu) ; l’interactivité (les lecteurs, auditeurs, spectateurs, apportent du contenu…). Ces trois concepts débordent aujourd’hui la
sphère du net et font « tâche d’huile » dans les médias plus classiques».
Cette situation inquiète les journalistes et les observateurs des médias, ainsi que les responsables politiques et économiques.
Quelques-unes de ces réflexions et interrogations se retrouvent
dans les interviews réalisées dans ce dossier ainsi que dans celle de
Jean-Jacques Jespers (voir en page 14).
Démocratie, pluralisme, qualité de l’information, conditions de travail des journalistes, financement, autant de thèmes qui à eux seuls
vont l’objet de vastes débats et nombreux ouvrages.
Wallonie 104 I I I I I Nov / Déc 2010
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Dossier
A l’exception de la RTBF et des télévisions locles (publiques), les
médias francophones s’intègrent dans des groupes de presse privés
(voir le détail en pages 24-26) et ils doivent être « rentables ».
D’où l’intérêt porté que suscitent les enquêtes du CIM (le Centre
d’information sur les Médias), les insertions publicitaires (l’une des
sources de financement de la presse) étant directement liées aux
audiences. Tirage, diffusion, audience, lectorat…, les données
collectées par le CIM sont stratégiques pour les publicitaires qui
veulent connaître avec le plus de précision possible le rendement
de leurs investissements médias et qui définissent sur base de ces
données les tarifs publicitaires.
Tout récemment, le CIM a publié les résultats de deux enquêtes :
la première sur le nombre de lecteurs des journaux et magazines
belges; la seconde sur l’audience des chaines francophones belges.
A noter que l’étude relative à l’audience de la presse écrite a connu
un changement méthodologique majeur qui empêche des comparaisons avec les éditions précédentes.
La Cité :
45 années de combat quotidien
La presse écrite
Dans la presse écrite, on trouve les quotidiens, bien sûr, mais aussi
toute la presse périodique et spécialisées
Au total, 5,1 millions de Belges lisent chaque jour un quotidien. C’est
3,8% de plus que l’année dernière. Il faut constater que le journal
gratuit « Metro », lancé en 2000, est le journal le plus lu !
Audiance des quotidiens
Titres
Metro
Sud Presse
Le Soir
L’Avenir La dernière Heure/Les sports
La Libre Belgique
L’Echo
Lecteurs
624.800
590.200
484.100
460.000
427.100
177.900
67.200
Source : CIM
Magazines
22
Information
Télévision
Titres
Le Vif-L’express
Le Soir magazine
Paris Match
Ciné Télé-revue
Télémoustique
Source : CIM
Wallonie 104 I I I I I Nov / Déc 2010
Lecteurs
389.800
315.000
297.600
1.597.100
533.300
La parution, le 1er octobre 1950, du premier numéro de La Cité
constitue un évènement dans la presse belge. Destinée par ses
fondateurs aux "travailleurs chrétiens", La Cité est fondée sur la
conviction que l'information libère. C'est pourquoi le journal
s'engage contre l'injustice sous toutes ses formes, la misère,
l'inculture, ou encore pour le droit des hommes, des femmes et
des peuples à vivre dans l'égalité, la dignité et la paix.
Cela ne lui suffira pas pour gagner son autre combat permanent : celui de sa survie. Ni les réformes successives du quotidien, ni sa transformation en un magazine hebdomadaire ne
lui permettront d'échapper, comme bien d'autres journaux
progressistes, à la disparition.
Ce livre éclaire la place et le rôle spécifique qu'a tenus ce journal
pendant quarante-cinq années en Belgique.
Marie-Thérèse Coenen, Jean-François Dumont, Jean Heinen,
Luc Roussel, Paul Wynants
CRISP - Centre de recherche et d'information socio-politiques
CARHOP – Centre d'animation et de recherche en histoire
ouvrière et populaire
«
60% des Belges se contentent
du journal télévisé comme
seule information
»
La télévision
La Belgique est un pays où de nombreuses chaînes sont disponibles
(tant belges qu’étrangères). Chaînes publiques et privées, télévisions
locales, chaînes numériques… le paysage audiovisuel francophone
s’est également fortement diversifié.
Le CIM a rendu publique une étude comparative des taux d’audience
des chaines belges francophones sur la période de 2005 à 2010.
Le principal constat est une perte de l’audience de télévisions
locales, une diminution qui s’explique, selon les responsables de ces
chaînes, par la technique de calcul d'audience par le CIM mais aussi
par l’arrivée de Belgacom qui ne distribue pas encore l’ensemble des
chaines locales.
Nombre de téléspectateurs sur un jour en 2010
RTL-TVI
La Une
La Deux
Club RTL
AB3
Plug RTL
Total télévisions locales
2.095.000
1.969.000
1.036.000
767.000
526.000
391.000
276.000
Comparaison 2005-2010
+13%
+2%
+43%
-6%
-12%
+6%
-51%
Enquête CIM 2005-2010
Le CIM publie chaque semaine le top 20 des émissions les plus
regardées. A côté des feuilletons et émissions de divertissement,
les journaux télévisés demeurent une des programmes les plus
regardés, avec une différence significative en termes d’audience
entre la chaîne publique et la chaîne privée.
Programme
Le journal de 19 heures
Journal Télévisé
Chaîne Nombre de téléspectateurs
RTL-TVI (chaîne privée)
RTBF (chaîne publique)
839.422
586.952
CIM – Décembre 2010
23
Wallonie 104 I I I I I Nov / Déc 2010
Dossier
Rubrique
Les radios
En ce qui concerne les radios, les classements prennent le doux
nom de «vagues», qui sont calculées tous les 6 mois. Voici les
résultats de la 20ème vague…
Les organisations du CESRW ont
développés leurs propres outils
de communication. Outre les sites
internet, voici quelques exemples
de leurs publications écrites.
Les audiences des radios francophones
Radio
Parts de marché
Bel RTL
Contact VivaCité (RTBF)
Nostalgie
La Première (RTBF)
Classic 21 (RTBF)
NRJ
Pure FM (RTBF)
Fun Radio
18,76%
16,77%
13,56%
9,90%
9,66%
8,02%
7,30%
5,84%
3,94%
Source : CIM vague 20 – Décembre 2010
«
Syndicats
Bimensuel – 320.000 exemplaires
420.000 journaux francophones sont
vendus en moyenne par jour
»
47
25 novembre 2010
('
A la presse écrite et audiovisuelle, il faut bien entendu ajouter les
agences de presse, la presse associatives sans oublier les multiples
sites Internet d’information générale ou spécifique. Mais la liste
est bien trop longue pour être développée ici… Pour obtenir la
liste des médias francophone, consultez www.guide-presse.be
DEPOT : BRUXELLES X
EDITO
Communication sur la PAC: la Commission doit mieux faire
Jeudi dernier, la Commission a communiqué les
grandes lignes d’une Politique Agricole Commune
à l’horizon 2020. Bien que les objectifs annoncés
soient louables et correctement étayés, les
instruments à mettre en œuvre pour rencontrer
ces objectifs restent en de nombreux points trop
vagues. Par ailleurs, la communication se limite
le plus souvent à des déclarations d’intention.
Enfin, l’absence de références budgétaires a
de quoi inquiéter. Essentiellement par manque
de contenu, le document n’est pas de nature à
rassurer la profession, durement touchée par
diverses crises et qui est toujours soumise à
l’incertitude de la volatilité des marchés.
Yvan Hayez
Intitulé «La PAC à l’horizon
2020: alimentation, ressources
naturelles et territoires – relever les défis de l’avenir», le document, présenté le jeudi 18
novembre, constitue une étape
dans le processus qui conduira la
Commission à formuler des propositions législatives lors de l’été
2011. Selon le document, la PAC
doit se concentrer sur trois objectifs principaux:
Une production alimentaire
viable permettant à l’Europe de
nourrir 500 millions de consommateurs, mais également de répondre à la demande mondiale
croissante;
La gestion durable des ressources naturelles et l’action en
faveur du climat;
Le maintien d’un équilibre territorial et de la diversité des zones
rurales.
La communication publiée relève les instruments susceptibles
de servir la réalisation de ces objectifs. Il s’agit des paiements directs, des mesures de marchés et
du développement rural.
Pour rencontrer ces objectifs, la
communication évoque trois options possibles.
Option 1: remédier aux insuffisances les plus pressantes que
présente la PAC par des changements progressifs.
Option 2: faire de la PAC une
politique plus écologiste, plus
équitable, plus efficiente et plus
efficace.
Option 3: renoncer aux mesures de soutien au revenu et aux
Zwischen Eupen
und Sankt Vith
Informationen in deutscher Sprache
auf den Seiten 14 - 15
mesures de marchés et concentrer
l’action sur les objectifs en matière
d’environnement et de changement climatique.
Le jour-même de la communication, la FWA a réagi par communiqué de presse en des termes
largement repris ci-après.
Paiements directs
La Fédération Wallonne de
l’Agriculture tient tout d’abord
à rappeler que les aides directes
sont destinées à garantir un revenu agricole , assurant ainsi la viabilité des exploitations. Comme
l’a démontré une étude récente du
professeur Lebailly (Fusagx), elles
peuvent représenter jusqu’à 80%
du revenu des agriculteurs, en
particulier lorsque le marché fait
défaut. Les aides directes, qui relèvent du premier pilier de la PAC,
constituent un dédommagement
pour les normes européennes,
plus exigeantes que dans les pays
hors UE, et pour la fourniture de
biens et services publics. La PAC
veille depuis longtemps à ce que
l’agriculture rencontre dans ses
pratiques une série de préoccupations environnementales. C’est
notamment le cas au travers de la
conditionnalité liée aux paiements
directs issus du premier pilier de la
PAC. Mais une «verdurisation»
accrue des paiements directs sans
augmentation de budget ne peut
qu’aboutir à des coûts supplémentaires pour les agriculteurs, et
donc, à une plus grande fragilité
de ces derniers dans un contexte
de grande volatilité des prix. Les
principaux stimulants à la durabilité de l’agriculture, tant sur les
plans économique qu’écologique,
provenaient jusqu’à présent du
développement rural, c’est-à-dire
du second pilier de la PAC. La FWA
admet que les références historiques des paiements directs ne
pourront être maintenues à long
terme. Toutefois, leur rééquili-
Si les objectifs présentés par la Commission pour la PAC à l’horizon 2020 sont louables, les instruments à mettre en oeuvre restent trop vagues
brage nécessitera une période de
transition suffisamment longue et
de la flexibilité pour permettre à
nos exploitations et nos filières de
s’adapter et de rencontrer les spécificités de notre modèle agricole,
dont la structuration des coûts
est sensiblement différente de
celle observée dans d’autres Etats
membres de l’UE. La FWA s’inquiète de ne voir aucune proposition concrète sur ce point dans le
document de la Commission.
Gestion des marchés
La FWA prend note des légères
adaptations suggérées au niveau
des instruments de gestion des
marchés mais constate qu’il est
difficile d’évaluer leur efficacité en
matière de prévention des crises
et de stabilité des prix. Bien que la
Commission relève elle-même le
déséquilibre dans les relations au
sein de la chaîne agroalimentaire
au détriment des producteurs, la
solution avancée se limite à une
déclaration d’intention. Ce point
important mérite certainement un
développement plus approfondi.
La Commission n’a manifestement pas tiré les enseignements
de la crise laitière que nous avons
vécue il y a deux ans, ce que la
FWA regrette amèrement.
Développement rural
Les objectifs du développement
rural sont consolidés, et il est précisé qu’il faut stimuler le pouvoir
concurrentiel et la gestion durable.
La Commission n’explique pas
clairement quelle forme prendra
cette politique de stimulation et
si un juste équilibre sera trouvé
entre les investissements durables
et les contrats de gestion. De la
flexibilité sera nécessaire pour
s’adapter à notre réalité régionale.
La FWA vise notamment les défis
liés à l’agriculture périurbaine et
les difficultés d’y développer certaines productions.
Les options
Les trois options reprises dans la
communication de la Commission
traduisent la très grande disparité des attentes vis-à-vis de la
Pac dans l’espace européen. A ce
stade, on peut supposer que ces
différentes options ont été retenues par la Commission pour ménager les attentes du plus grand
nombre et que cette dernière vise
à terme une option médiane.
Si l’option 1 apparaît trop légère en termes de réforme, l’option 3, la plus radicale, est tout
à fait inacceptable pour la FWA
dans le contexte actuel. Ce ne
sont pas les objectifs en matière
d’environnement et de changement climatique qui nous posent
problème en soi, mais renoncer
aux mesures de soutien au revenu et aux mesures de marchés
revient à condamner inexorablement la toute grande majorité de
nos exploitations, ce qui est tout
simplement inacceptable.
tient à rappeler qu’une PAC forte
ne peut être rencontrée qu’en
s’appuyant sur un budget à la hauteur de ses ambitions. En l’absence
d’un budget européen fort pour
les années 2014-2020, ce sont
non seulement les agriculteurs,
mais également l’ensemble des citoyens qui seraient perdants, suite
à l’impossibilité pour la profession
d’atteindre les objectifs d’une
agriculture multifonctionnelle,
équilibrée entre la production alimentaire, les considérations environnementales et d’occupation
du territoire. A défaut d’une PAC
forte, ce ne seraient pas seulement
les agriculteurs européens qui seraient lésés, mais aussi l’ensemble
de nos concitoyens.
Pour conclure
La FWA considère que l’Europe
a besoin d’une PAC forte. La communication de la Commission ne
rassure pas la FWA à cet égard,
car elle pèche par son manque de
consistance. Par ailleurs, la FWA
Pages 9 à 12
Plein Champs
Hebdomadaire – 24.000 exemplaires
24
Voir également la rubrique
«Livres» en page 32
Wallonie 104 I I I I I Nov / Déc 2010
L’info
Hebdomadaire – 230.000 exemplaires
Quelques sites à consulter
www.ajp.be
www.agjpb.be
www.cim.be
www.guide-presse.be
www.jfb.be
Union et actions
Bimensuel – 70.000 exemplaires
La partie descriptive de ce dossier s’appuie sur les informations présentées dans le chapitre de l’ouvrage « Qui a peur
des journalistes, Un guide pour mieux communiquer avec
les médias », rédigé par Madeleine Dembour et publié chez
Edipro en 2008.
Préfacé par Martine Maelschalk, rédactrice en chef de
l’Echo, il s’agit d’un guide pratique qui s’adresse aux responsables des entreprises sur les questions des relations avec la
presse et de la communication.
25
Dynamisme wallon - 8.000 exemplaires
Wallonie 104 I I I I I Nov / Déc 2010
Dossier
Les principaux groupes
médiatiques belges
privés
Voici une description de l’actionnariat et des titres des
différents groupes de presse belge1
Groupe Rossel
• ACTIONNARIAT : famille HURBAIN (100%)
• PRESSE ÉCRITE
- Le Soir
- Le Soir Magazine
- Sud Presse (La Meuse, La Capitale, La Nouvelle Gazette, La
Province)
- Grenz-Echo (avec familles germanophones)
- Mediafin(De Tijd, L’Écho)(avec DE PERSGROEP)
- Metro (avec CONCENTRA)
- Vlan
- Nord-Eclair (France)
• RADIO
-Radio Contact, Bel-RTL (avec TVI, Francis Lemaire et RTL
Group)
• TÉLÉVISION
-TVI (RTL-TVI, Club RTL, Plug TV) (avec Mediafin, GrenzEcho, IPM, Corelioet RTL Group)
IPM
• ACTIONNARIAT : famille LE HODEY (100%)
• PRESSE ÉCRITE
-La Libre Belgique
-La Dernière Heure/Les Sports
-La Libre Match (avec le français Hachette)
• RADIO
- Radio Contact, Bel-RTL (via TVI, avec Rossel, Francis
Lemaire et RTL Group)
• TÉLÉVISION
- TVI (RTL-TVI, Club RTL, Plug TV) (avec Mediafin,
Grenz-Echo, Rossel, Corelioet RTL Group)
Marc Lits
Marc Lits est Directeur de l’Observatoire du Récit médiatique
et Professeur à l’Ecole de Journalisme de l’Université
catholique de Louvain. Témoin privilégié des médias et de
leurs évolutions, il porte un regard averti sur les médias
francophones et sur la manière dont ceux-ci traitent
l’actualité politique wallonne.
Wallonie – La presse écrite n’a cessé d’évoluer. Un changement
majeur consiste dans une concentration des groupes de presse
et la diminution du nombre de titres…
26
1. source : G. Geuens
Wallonie 104 I I I I I Nov / Déc 2010
Marc Lits - Historiquement, la presse écrite francophone s’est
développée avec l’appui – et le financement – de partis politiques ou
de groupes de pression. Citons notamment Le Peuple et la Wallonie,
soutenus par le parti socialiste ou la Cité, financée par le Mouvement
ouvrier chrétien. La Dernière heure était considérée proche du Parti
Interview
libéral tandis que la Libre Belgique était davantage «associée» au
Parti social chrétien. Le Soir, né il y a 120 ans, était un cas particulier
puisqu’il s’est positionné d’emblée comme un journal indépendant.
Cette situation a perduré jusqu’au milieu des années ’80-début des
années ‘90. Au vu des difficultés financières rencontrées par la
presse écrite, plusieurs titres disparaissent, les partis et les groupes
de pression ne pouvant plus assumer le coût de ces journaux. Ils décident également de faire passer leur message via des campagnes
de communication et leurs propres supports (presse d’organisation,
sites internet, etc.).
Peu à peu, la presse écrite a donc pris distance par rapport à ses
«actionnaires politiques» traditionnels. Des journaux très différents
sont intégrés dans un même groupe financier : le groupe IPM
regroupe la Dernière heure et La Libre ; l’Avenir appartient à un
groupe flamand ; …
Les différents journaux appartiennent à des groupes de presse (voir
ci-contre), qui réunissent non seulement des quotidiens mais également des régies publicitaires, des sociétés d’affichage, des entreprises présentes sur le web et qui développement des stratégies
économiques globales. Chaque support, chaque outil est connecté
aux autres en vue d’une rentabilité maximale.
Wallonie – Cette concentration des groupes de presse est-elle
spécifique au paysage médiatique francophone ?
Marc Lits – Pas du tout. La concentration en groupes médiatiques et
la diminution du nombre de titres de la presse écrite n’est pas propre à la
Belgique et encore moins au paysage médiatique francophone. Par
contre, il est vrai que le marché francophone est particulièrement
restreint avec un public potentiel de 4,5 millions de personnes. Une
taille qui limite de facto les taux d’audience et de lectorat et qui explique que la Belgique ait été touchée plus rapidement que d’autres
pays par ce phénomène de concentration des groupes de presse et
de diminution du nombre de journaux..
La presse écrite s'inscrit aujourd'hui dans des modèles purement
économiques. Et, d'un point de vue financier, il faut constater qu’un
journal n’est rentable que s’il s’intègre dans une stratégie globale
d’un groupe médiatique.
Wallonie – On assiste également à une disparition de la presse
d’opinion…
Marc Lits – Avec la disparition des titres soutenus par des partis politiques ou des mouvements de pression et l’intégration des
journaux dans des groupes économiques, on assiste effectivement
à une disparition de la presse d’opinion. Un phénomène qui correspond aussi à une évolution des mentalités. Les lecteurs sont davantage attirés par une presse généraliste et semblent moins en
attente d’une presse d’opinion ou qui soit officiellement attachée à
un mouvement de pensées ou un parti politique. Le public souhaite
du divertissement, de l’émotion et s’intéresse de moins en moins
RTL Group
• ACTIONNARIAT: le géant allemand du multimédia
Bertelsmann est le principal actionnaire de la société luxembourgeoise RTL Group dont il détient plus de 90% du
capital. RTL Group est quant à lui le principal actionnaire
de la société TVI (66%), alors que certains éditeurs belges de
journaux –réunis au sein du consortium Audiopresse(Rossel,
IPM, Corelio, Mediafin, Grenz-Echo) –contrôlent le reste du
capital, soit 34% de TVI.
• TVI contrôle essentiellement RTL-TVi, Club RTL, Plug TV
• TVI est aussi actionnaire de la société Radio H (Radio
Contact, Bel-RTL) et ce, aux côtés d’autres actionnaires que
sont Francis Lemaire, RTL Group et Rossel)
• Notons, enfin, que Francis Lemaire et RTL Group sont aussi
les actionnaires de Fun Radio Belgique.
De Persgroep
• ACTIONNARIAT : famille VAN THILLO (100%)
• PRESSE ÉCRITE
- Het Laatste Nieuws/De Nieuwe Gazet
- De Morgen
- Mediafin (De Tijd, L’Écho)(avec ROSSEL)
- Het Parool (Pays-Bas)
• INTERNET
- Autozone.be
• RADIO
- Q-Music (avec ROULARTA)
- JoeFM (avec ROULARTA)
• TÉLÉVISION
- VTM (avec ROULARTA)
- ATV (avec CONCENTRA)
- TVI (RTL-TVI, Club RTL, Plug TV) (via Mediafin, voir
plus loin)
Concentra
• ACTIONNARIAT : familleBAERT(plus de 90%) (+asblHet
Katholiek Pers-en Mediafonds)
• PRESSE ÉCRITE
- Het Belang Van Limburg
- Gazet Van Antwerpen
- Metro (avecROSSEL)
• RADIO
- Radio Nostalgie (avec CORELIO)
• TÉLÉVISION
- TVL
-ATV (avec DE PERSGROEP)
Wallonie 104 I I I I I Nov / Déc 2010
27
Dossier
à l’actualité socio-politique (1). La presse répond à cette attente en
mettant en évidence une actualité touchant le plus grand nombre
et en étant de moins en moins marquée « politiquement ». Ainsi,
les journaux privilégient les « forums », les « opinions » ou autres «
polémiques ».Chaque thème fait l’objet d’une présentation des arguments « pour » et « contre », présentés côte à côte, sans prise
de position pour l’une ou l’autre thèse. Pour toucher un maximum de
lecteurs - et en heurter le moins possible – on présente les différentes options en présence, sans prendre « parti ».
Wallonie – Cela vous semble-t-il inquiétant pour le débat
démocratique ?
Marc Lits – La disparition de la presse d’opinion, la diminution incessante du nombre de lecteurs de journaux, la manière dont l’actualité est traitée sans oublier le développement d’une information
instantanée et « gratuite » à travers les nouveaux supports de communication, le peu de place laissé à l’analyse et à la critique au profit
de l’émotionnel … l’ensemble de ces éléments peuvent effectivement laisser craindre une perte pour la démocratie. A cela s’ajoutent
les conditions de travail des journalistes aujourd’hui : ont-ils le temps
et les moyens de traiter de manière approfondie les événements ?
Nous avons mené une étude sur la manière dont la crise économique de 2008 a été traitée par les médias (2) et avons démontré
à quel point la presse relatait la crise sur de l’événementiel et du
ponctuel. Ce constat peut être généralisé à l’ensemble de l’actualité. Peu à peu, on en arrive à une information à deux vitesses et pour
des publics distincts : une information « grand public », généraliste
et dépourvue d’analyse de fond, d’une part. Et une information très
spécifique, destinée à un public particulier sur une thématique (la
finance, le sport, etc.), proposant des supports ciblés (presse et
quelques sites internet hyperspécialisés).
Avec cette spécialisation - qui est d’autant plus renforcée
avec les supports technologiques tels que les tablettes ou les
téléphones interactifs – on assiste à une restriction dans l’offre de l’information. A terme, on n’offrira plus à un lecteur que
l’information qui l’intéresse, avec en corollaire une publicité
ciblée, sans aucune ouverture ou curiosité offerte par un quotidien
qui contient une information variée.
Wallonie - Selon vous, le découpage du paysage audiovisuel est
étroitement lié à l’évolution du système politique belge. Pourriezvous expliquer cette analyse ?
28
Marc Lits – Dans une récente étude réalisée sur la question des
relations entre les médias et une identité nationale ou régionale (3),
nous avons mis en évidence que l’évolution du système politique
belge a entraîné un découpage particulier du paysage audiovisuel
selon un quadruple clivage.
1. Linguistique, tout d’abord d'émetteurs francophones versus
émetteurs néerlandophones, entièrement autonomes
2. Chaînes publiques versus chaînes privées, toutes soumises au
Wallonie 104 I I I I I Nov / Déc 2010
Corelio
• ACTIONNARIAT: famille Leysen+ groupe financier
AvH(Ackermans & van Haaren) (40,31%), famille VlerickSap(20%), journalistes du groupe (13,75%), De Eik(famille
Van Waeyenberge) (11,84%), famille Van de Steen (6,46%),
auto-contrôle(3,98%), management du groupe (2,37%),
famille Campo (1,29%)
• PRESSE ÉCRITE
- De Standaard
- De Gentenaar
- Het Nieuwsblad
- Les Éditions de l’Avenir
- Passe-Partout
• INTERNET
- Jobat.be, Spotter.be, Zdnet.be
• RADIO
- Radio Nostalgie (avec CONCENTRA)
• TÉLÉVISION
- Woestijnvis(maison de production)
- ROB TV
- TVI (RTL-TVI, Club RTL, Plug TV) (via Les Editions de
l’Avenir)
Roularta Media Group
• ACTIONNARIAT: famille DE NOLF-CLAEYS (69,73%),
groupe financier BestinverGestion (9,13%), auto-contrôle(3,91%), autres (17,23%)
• PRESSE ÉCRITE
- Knack
- Le Vif / Le Vif L’Express
- Trends
- Sport/Foot Magazine
- Point de Vue
- Télépro
- L’Express (France)
- L’Expansion (France)
• RADIO
- Q-Music (avec DE PERSGROEP)
- JoeFM(avec DE PERSGROEP)
• TÉLÉVISION
- KanaalZ / Canal Z
- VTM (avec DE PERSGROEP)
Interview
contrôle des Communautés compétentes en matière d’audiovisuel
3. Chaîne nationales (ou plus exactement communautaires) versus
les télévisions locales
4. National versus étranger, les chaines des pays avoisinants réalisent une audience importante, surtout pour celles qui émettent
dans les langues nationales de la Belgique.
Puisqu’il n’y a pas de chaîne publique nationale, les chaînes, tant
publiques que privées, présentent prioritairement une information
relative à leur communauté d’appartenance, avec une ignorance
quasi-totale des événements survenant dans l’autre Communauté.
La télévision francophone, par exemple, accorde plus de place aux
réalités publiques de la France (élections, sport, culture, …) que de
la Flandre
Wallonie - En Wallonie, bon nombre de décideurs, en ce compris
les partenaires sociaux, déplorent le peu de place laissé à
l’actualité wallonne dans les médias. Partagez-vous ce constat
et quelles seraient les solutions ?
Marc Lits – Comme je l’ai évoqué, le grand public est de moins
en moins attentif à l’actualité socio-économique ou politique, celleci étant jugée trop complexe ou trop éloignée des préoccupations
réelles des gens. Les lecteurs et les téléspectateurs sont davantage
intéressés par une information qui leur est proche, locale. Voyez le
succès rencontré par les journaux qui offrent les photographies des
classes des écoles à la rentrée ou des cartes géographiques régionales. L’entité qui compte n’est plus la région, mais une sous-région,
voire la commune. L’actualité économique et sociale est également
abordée sous l’angle local, laissant peu de place à des débats de
fond sur des enjeux plus globaux.
Pourtant, la politique ou l’actualité socio-économique doivent continuer à faire partie intégrante de l’offre médiatique. La question à se
poser est «Comment parler de la politique (à la télévision ou dans
les journaux) pour que chaque citoyen s’y intéresse ?». Parler de la
politique au journal télévisé reste indispensable, mais cela ne peut
être la seule réponse. Il s’agit de repenser l’ensemble du dispositif
des émissions politiques à la télévision et de la place de la politique
régionale et communautaire dans les quotidiens et hebdomadaires.
Le sujet est complexe mais il est à l’image d’un système démocratique en profonde transformation. C’est à la manière dont tous les
acteurs concernés (décideurs, journalistes, …) y apporteront une
réponse reçue par l’ensemble des citoyens que l’on pourra juger de
l’intégration des médias dans ce système et de leur rôle d’acteur
politique, au sens fort du terme.
(1) Voir également à ce sujet l’interview de Jean-Jacques Jespers, à la rubrique
« L’invité » (page 14)
(2) Médiatiques n° 43. « La presse, de crise en crise » (Hiver 2008)
(3) « Espace public, presse et représentation politique en Wallonie. Des médias
au service d’une identité wallonne ». Analyse réalisée dans le cadre du colloque
sur les 30 ans du Parlement wallon (15/10/2010).
Geoffrey Geuens
Chargé de cours au Département des Arts et Sciences
de la Communication, Geoffrey Geuens assure des
enseignements relatifs à la socio-économie des industries
de la communication et à la théorie critique des nouveaux
médias et des TIC. Auteur de plusieurs ouvrages sur le thème
des relations entre médias et pouvoir économique, il analyse
les conséquences de la concentration des groupes de presse
et s’inquiète de la disparition de la presse progressiste.
Wallonie – Spécialiste de la socio-économie des médias, vous
avez analysé le phénomène de concentration des groupes de
presse et ses conséquences, dont la plus inquiétante selon vous
est la disparition de la presse progressiste.
Geoffrey Geuens – Le phénomène de concentration de groupes de
presse se développe depuis plusieurs années en Belgique, comme
dans d’autres pays. Dans un contexte de crise, la concentration a
eu comme conséquence directe la disparition de plusieurs titres de
la presse écrite. Mais cette disparition s’est opérée à géométrie
« politiquement » variable et n’a pas touché uniformément tous les
types de médias.
Depuis 20 à 30 ans, on a surtout assisté à la disparition de journaux
de la presse progressiste : la Wallonie, le Peuple, la Cité, le Drapeau
rouge… La dernière tentative, avec le quotidien « Le Matin », s'est
elle aussi soldée par un échec.
Wallonie 104 I I I I I Nov / Déc 2010
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Dossier
Interview
Wallonie – Les groupes de presse sont peu nombreux
et réunissent des médias suivant une logique purement
économique…
Geoffrey Geuens est l’auteur de trois ouvrages, dont deux déjà
parus : « Tous pouvoirs confondus. Etat, capital et médias à l’ère
de la mondialisation « (EPO, 2003) – qui lui a valu d’être nominé
au Prix littéraire des Amis du Monde diplomatique, en 2003 – et
« L’information sous contrôle. Médias et pouvoir économique en
Belgique » (Labor/Espace de Liberté, 2002).
Spécialiste de l’analyse du discours médiatique, Geoffrey Geuens
prépare pour l’instant un troisième ouvrage qui verra le jour,
d’ici peu, sous le titre « Anatomie du pouvoir financier. Des
représentations médiatiques aux réalités empiriques » (Editions
Aden, parution prévue début 2011).
Geoffrey Geuens – Tout à fait. Il ne reste plus que quelques grands
groupes de presse (Rossel, IPM, De Persgroep, Corelio, Roularta
et Concentra) qui réunissent des journaux ou des télévisions qui
n’ont pas les mêmes publics ni la même logique éditoriale. Prenons
l’exemple de la Libre et de la Dernière Heure, qui appartiennent au
même groupe de presse (IMP). Deux journaux très différents et qui
pourtant, pour des logiques de rentabilité, partagent certaines de
leurs pages. Autre exemple : le Groupe Rossel, propriétaire du journal Le Soir. Et, en même temps, actionnaire avec le groupe Concerta
du journal gratuit « Metro »…
Aujourd’hui, la presse progressiste a disparu et il n’y a plus aucun
quotidien qui soit ouvertement à gauche de l’échiquier politique ou
qui soit lié à un mouvement syndical.
Cette situation entraîne un profond déséquilibre dans la manière
dont l’information est traitée et plus particulièrement l’actualité
socio-économique ou politique. Une situation qui pose question en
termes de démocratie et de pluralisme. C’est assez unique en Europe et, selon moi, cela devrait susciter davantage de réflexions,
voire d’inquiétudes.
Il faut cependant constater une différence entre la Belgique et un
pays comme la France, où les groupes médiatiques sont très proches des milieux industriels (les groupes Bouygues ou Vivendi sont
propriétaires de médias mais développent également des activités
industrielles dans la construction ou l’énergie). Chez nous, c’est
moins le cas. Le groupe Rossel, par exemple, a uniquement des
intérêts en matière de communication.
Mais pas d'illusion, tout de même. Cela n’empêche pas que les
groupes de presse aient des « affinités » structurelles avec certains
groupes industriels et politiques, et ce à la suite de précédentes
publications personnelles sur ces questions.
Wallonie - Les nouveaux modes de communication ne viennentils pas compenser cette disparition ?
Wallonie – Vous avez également analysé la composition de
l’actionnariat des groupes de presse. Qu’en est-il ?
Geoffrey Geuens – On pourrait en effet se dire que grâce aux nouveaux médias, et particulièrement aux sites internet interactifs, le
monde est mieux informé. C’est vrai dans un sens. Mais l’apparition
des nouveaux modes de communication et surtout des pratiques
communicationnelles qui y sont liées, ont des conséquences non
négligeables sur la manière dont l’information est perçue, d’une
part, et sur le métier de journaliste, d’autre part. En effet, l’information arrive de plus en plus rapidement sur le web, en « vrac », sans
qu’un travail d’analyse et de vérification (le rôle du journaliste), ne
puisse être effectué. Les pratiques informationnelles amateurs sur
le web donnent l’illusion que tout le monde peut être journaliste. Or,
il s’agit d’un véritable métier, qui suppose une formation solide avec
tout ce que cela suppose en termes de compétences spécifiques
(sens critique, déontologie, ...).
Geoffrey Geuens - J’ai effectivement travaillé sur ces questions et
ces travaux seront d’ailleurs publiés très prochainement par administrateurs interposés notamment. Si l’on examine la composition
des conseils d’administration des groupes de presse en Belgique,
on s’aperçoit qu’il s’agit principalement d’un actionnariat familial, à
l’image de l’économie belge dans son ensemble. On est donc loin de
l’image d’une presse aux mains des fonds de pensions américains !
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Wallonie 104 I I I I I Nov / Déc 2010
collective du conflit : l’émotion est privilégiée au détriment des enjeux
sociaux forts. La télévision préfère l’opinion des sondés à l’opinion
des mobilisés. Elle a aussi tendance à dévier le conflit travailleurs/
patrons ou gouvernement vers un conflit travailleurs/usagers, passant souvent sous silence les raisons du conflit. La hiérarchisation
de l’info donne aux faits divers spectaculaires la première place mais
aussi plus de temps au JT que 100.000 personnes qui manifestent
contre l’austérité. Enfin, La télévision est pour la paix civile comme
une valeur ultime. Une manifestation doit être « bon enfant » sinon,
la télévision n’adhère plus…
Giovanni Lentini
Giovanni Lentini est responsable TV et Radio à la FGTB
wallonne. Dans le cadre de la préparation des manifestations
sur le conflit social de l’hiver 60 (exposition + colloque), il a
analysé l’évolution du traitement des conflits sociaux par les
médias.
Wallonie – Selon vous, les nouveaux médias et le développement
du web ont-ils une influence sur la manière d'aborder les conflits
sociaux?
Wallonie – En 1960, la presse a suivi de près le conflit social.
A cette époque, les opinions étaient bien tranchées et la presse
prenait clairement position pour un camp ou l’autre…
Wallonie – Avec la télévision, les conflits sociaux sont désormais
abordés de manière différente…
Giovanni Lentini - Depuis lors, le tirage de la presse écrite est en
régression permanente et la presse de gauche a disparu dans la
partie francophone du pays. La télévision est devenue en 50 ans le
média dominant. Toute l’info (les faits et les points de vue), passe
par le même support, atténuant le clivage gauche/droite, effaçant
même la divergence d’intérêts dont témoigne pourtant par essence
tout conflit social, au profit d’un consensus télévisuel. Ainsi, lors
d’un conflit, la télévision abuse de portraits individuels (psychologiques) des travailleurs, faisant passer au second rang la dimension
Coll. Institut d'histoire ouvrière, économique et sociale (IHOES - Seraing)
Giovanni Lentini - Au moment du conflit social de l’hiver 60, la
presse écrite dominait le paysage médiatique. Plusieurs journaux se
revendiquaient de la gauche politique ou syndicale à côté d’une
presse qui exprimait clairement des opinions de droite. Un conflit
social – et c’est vrai encore aujourd’hui – est toujours un bon indicateur du positionnement d’un média sur l’axe gauche-droite. Les
grèves de 60, par l’ampleur, la densité et la durée du conflit sont
éclairantes à cet égard. D’un point de vue médiatique, il est intéressant de constater que des opinions opposées sur le conflit étaient
exprimées dans deux journaux différents, des supports distincts,
physiquement identifiables. En clair, si vous achetiez la Wallonie (de
gauche), la défense des travailleurs était la ligne éditoriale et si vous
achetiez la Libre Belgique (de droite), les intérêts des patrons et du
gouvernement étaient mis en avant.
Giovanni Lentini – Il est certain que l’apparition des nouveaux médias change la «donne». La télévision a-t-elle ses meilleures années
derrière elle, face à la montée en puissance d’internet ? Sous nos
yeux, une convergence technologique est en marche vers un média nouveau, mondialisé, aux mains d’entreprises privées (Google
en tête) diffusant, en flux continu et à toute vitesse, des images,
des sons et du texte sur les mêmes écrans, qu’ils soient fixes ou
mobiles, exacerbant encore le consensus télévisuel.
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