Sylvie Testud dans le taxi de Jérôme Colin : L`interview

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Sylvie Testud dans le taxi de Jérôme Colin : L`interview
Sylvie Testud dans le taxi de Jérôme Colin : L’interview intégrale
Une émission diffusée le dimanche 07 avril à 22h50 sur la Deux
La première question que me posait mon copain c’était : t’as ri combien de temps aujourd’hui ?
SYLVIE TESTUD : Bonjour.
JÉRÔME COLIN : Bonjour.
SYLVIE TESTUD : Alors… Je crois que ce n’est pas bien fermé.
JÉRÔME COLIN : Ça commence bien.
SYLVIE TESTUD : C’est quoi cette porte ?
JÉRÔME COLIN : Voilà.
SYLVIE TESTUD : Elle est fermée là. Alors je voudrais aller au Manos, c’est Chaussée de Charleroi.
JÉRÔME COLIN : Je sais.
SYLVIE TESTUD : Et après je ne sais pas.
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JÉRÔME COLIN : Après c’est tout.
SYLVIE TESTUD : Voilà.
JÉRÔME COLIN : Très bien. C’est parti.
JÉRÔME COLIN : C’est quoi ce film ?
SYLVIE TESTUD : C’est un premier long métrage de Joël Franka, qui s’appelle « Une chanson pour ma mère ». Et c’est
une comédie… enfin, c’est une comédie dramatique parce qu’il y a des moments qui sont émouvants et en fait nous
on joue une famille dont la mère est en train de mourir, elle est fan de Dave et on va le kidnapper, pour lui faire
plaisir, une dernière fois. On rigole beaucoup. Oui, on rigole beaucoup. J’ai assez rarement ri autant sur un film.
JÉRÔME COLIN : C’est vrai ou c’est tout ce que les acteurs disent quand ils sont en train de faire un projet ?
SYLVIE TESTUD : Non, non. Je pense même que le réalisateur, Franka, s’arrache les cheveux. Il n’en a plus beaucoup
du reste, il en aura encore moins à la fin du film. C’est du délire. Il a pris une bande de sales gosses quoi. C’est une
mauvaise combinaison pour lui en tout cas. Non, c’est super.
JÉRÔME COLIN : Vous continuez à bien vous amuser sur les plateaux.
SYLVIE TESTUD : Oui, moi globalement je m’amuse bien. Mais après ça dépend aussi de l’équipe. Parfois ça arrive de
tourner avec des acteurs qui sont moins drôles que là. Là, il faut dire qu’entre Sam Louwyck, Fabrizio Rangione, et
Patrick…
JÉRÔME COLIN : Timsit.
SYLVIE TESTUD : Timsit. Et Guy… Enfin, tout le monde. D’ailleurs Joël il ne se rend pas compte, mais lui aussi il est
très drôle ce qui fait qu’après c’est un peu dur… On travaille bien, attention, mais on rigole. Les autres fois où j’ai
beaucoup rigolé comme ça, c’est une fois sur un film d’Alain Corneau et moi je jouais en japonais. Et j’avais le trac
quoi. Je crois qu’à la fin je n’en pouvais plus.
JÉRÔME COLIN : Dans « Stupeurs et tremblements ».
SYLVIE TESTUD : C’est « Stupeurs et tremblements ». Je n’en pouvais plus. Dès qu’un Japonais parlait j’éclatais de
rire. C’était affreux.
JÉRÔME COLIN : C’est vrai ?
SYLVIE TESTUD : Je rentrais chez moi, la première question que me posait mon copain c’était : t’as ri combien de
temps aujourd’hui ?
JÉRÔME COLIN : En même temps combien de personnes peuvent faire ça quand ils rentrent du boulot, quelle belle
question quand même quand on rentre du boulot : t’as ri combien de temps ?
SYLVIE TESTUD : Ah ben c’est sûr.
JÉRÔME COLIN : Quel luxe.
SYLVIE TESTUD : Sinon c’est trop dur. Sinon, tu travailles 15 heures par jour, dans le froid, dans le chaud… Là on a
commencé, on ne peut pas dire que c’est un printemps sublime qu’on a eu, on a tourné une nuit, il faisait 6°, et
nous, on jouait quoi ? Le printemps ! C’était affreux. On sortait, on était gelé. On n’a pas hyper ri. On ne peut pas
dire qu’on a ri.
Il y a 1 film sur 3 qui se tourne en Belgique. C’est hallucinant !
JÉRÔME COLIN : Vous avez tourné beaucoup de films en Belgique ou c’est le premier ? Non, vous en avez tourné
quelques-uns.
SYLVIE TESTUD : En fait, il y a 1 film sur 3 je crois qui se tourne en Belgique. C’est hallucinant. Mais là en ce moment
il y a plein de films qui se tournent. Il y a un film de Serge Bozon avec qui j’avais fait « La France », il y a le film d’Eric
Rochant qui va se tourner ici…
JÉRÔME COLIN : Qui va commencer là maintenant.
SYLVIE TESTUD : Il y a nous… Il y avait « Boule et Bill ». Tout ça c’est en même temps.
JÉRÔME COLIN : Michel Gondry aussi.
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SYLVIE TESTUD : Gondry, voilà.
JÉRÔME COLIN : C’est dingue.
SYLVIE TESTUD : C’est fou.
JÉRÔME COLIN : C’est parce qu’on a des incitants fiscaux.
SYLVIE TESTUD : Ca et puis vous avez des bonnes équipes ! Non mais c’est vrai.
JÉRÔME COLIN : C’est vrai. Carrément.
SYLVIE TESTUD : Oui, maintenant ça paraît normal, on va faire un film… voilà, un film français on va tourner en
Belgique.
JÉRÔME COLIN : Ça paraît normal en France.
SYLVIE TESTUD : Oui. On est toujours friand des films belges, parce que souvent il faut le dire quand même, ou ils
sont très drôles, déjantés, en tout cas il y a, comment dire, il y a une identité, un truc fort, voilà.
JÉRÔME COLIN : C’est quoi, en tant que Française, votre culture belge ?
SYLVIE TESTUD : La culture belge, moi je dirais qu’elle est plus franche, elle est moins torturée quoi.
JÉRÔME COLIN : Il y a quoi par exemple ? C’est quoi vos étalons belges ? En musique, en littérature, en film…
SYLVIE TESTUD : En film ben c’est un peu ce que peut faire Benoît Mariage, ce que peut faire Benoît Poelvoorde,
c’est un peu une culture… c’est drôle, c’est grinçant, c’est insolent… Il y a vachement d’enfance quoi. J’ai
l’impression. Ou alors dans la musique c’est Arno, les mecs de Louise Attaque. Il y a de la fraîcheur, de l’insolence.
Peut-être qu’il y a moins de pression. Ils se foutent moins la pression.
JÉRÔME COLIN : Ben oui parce qu’on n’a pas un énorme public potentiel non plus.
SYLVIE TESTUD : Ben vous avez la Belgique et la France comme nous au moins.
JÉRÔME COLIN : Oui mais c’est pas si vrai. La plupart des artistes belges ils restent en Belgique. Vous n’en entendez
pas parler en France.
SYLVIE TESTUD : Oui.
JÉRÔME COLIN : Donc effectivement à l’origine on n’a pas énormément de pression parce qu’en gros on a 4 millions
de spectateurs potentiels.
SYLVIE TESTUD : Ben nous on en a en France qu’on ferait mieux de ne pas avoir mais…
JÉRÔME COLIN : Ça c’est vrai.
SYLVIE TESTUD : Ça nous fait un petit filtre tu vas me dire.
Gamine, j’étais bagarreuse. J’aimais bien !
JÉRÔME COLIN : Vous êtes née où ?
SYLVIE TESTUD : A Lyon.
JÉRÔME COLIN : A Lyon.
SYLVIE TESTUD : Oui. Je suis née à la Croix Rousse en fait, qui est un quartier bien particulier à Lyon.
JÉRÔME COLIN : Genre ?
SYLVIE TESTUD : Qui a été… ben maintenant qui est un quartier un peu bourgeois bohême quoi mais qui à l’époque
était un quartier hyper sympa, d’immigration en fait. Où il y avait les Arabes qui se foutaient sur la gueule avec les
Espagnols, qui se foutaient sur la gueule avec les Portugais, qui se foutaient sur la gueule avec les Italiens qui se
foutaient sur la gueule avec les Français. Mais tout ça faisait un petit monde un peu bagarreur mais sympa.
Aujourd’hui ce n’est plus du tout comme ça. C’est devenu un peu froid…
JÉRÔME COLIN : Ça vous a plu, gamine ?
SYLVIE TESTUD : J’adorais.
JÉRÔME COLIN : La fight ?
SYLVIE TESTUD : J’ai adoré.
JÉRÔME COLIN : La tension ?
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SYLVIE TESTUD : Moi petite j’étais, alors on dit garçon manqué, ce qui m’a beaucoup déplu, j’ai écrit un bouquin
justement là-dessus où je disais : on me dit à moi que je suis un garçon manqué ! Ce que j’entendais comme « un
garçon raté ». Mais bon… oui, j’étais bagarreuse. J’aimais bien.
JÉRÔME COLIN : Carrément.
SYLVIE TESTUD : Oui, oui. J’aimais bien.
JÉRÔME COLIN : Pas peur.
SYLVIE TESTUD : Non je n’avais pas peur. Petite je n’avais pas peur. Mais je n’avais pas peur parce qu’en même
temps tout ça, quand je dis tout le monde s’engueulait et tout ça, c’était des chamailleries quoi. Tu vois ce n’était
pas des trucs durs, non, c’était voilà…
JÉRÔME COLIN : Il y avait de la vie.
SYLVIE TESTUD : Voilà il y avait de la vie mais en même temps tout le monde savait où était l’autre, tout le monde…
enfin, les gens vivaient ensemble quand même. Clairement. Moi je suis d’origine italienne, ce qui ne se voit pas du
tout hein, j’en ai bien conscience, mais c’était rigolo, ma grand-mère faisait des pâtes, l’autre elle faisait des
calamars, enfin voilà, chacun faisait un peu son truc. Donc c’était un peu sympa les anniversaires. « Je suis allée
manger chez elle, c’était dégueulasse… ». C’était un peu ça.
JÉRÔME COLIN : Vous étiez sale gamine ? Un peu.
SYLVIE TESTUD : Oui.
JÉRÔME COLIN : Assumée. Sale gamine assumée.
SYLVIE TESTUD : Maintenant, avec le recul. Quand on est petit et gamin on n’assume pas tout. Mais avec le recul,
oui. Quand j’ai eu mon fils, le premier de mes enfants, je me suis dit « oh, pourvu qu’il ne soit pas comme moi ».
JÉRÔME COLIN : C’est vrai ? Vous avez eu cette réflexion ?
SYLVIE TESTUD : Oui.
JÉRÔME COLIN : Mais non.
SYLVIE TESTUD : Si, si.
JÉRÔME COLIN : En quoi vous vouliez qu’il ne soit pas comme vous ?
SYLVIE TESTUD : Parce que j’avais envie qu’on me foute la paix. Je n’avais pas envie de courir partout, je n’avais pas
envie de regarder tout ce qu’il fait, voilà. J’ai tout fait moi.
JÉRÔME COLIN : Vous avez fait souffrir vos parents.
SYLVIE TESTUD : Voilà, c’est ça. Ma mère courait vite.
JÉRÔME COLIN : Qu’est-ce qui vous a calmée ?
SYLVIE TESTUD : Rien.
JÉRÔME COLIN : Toujours pas ?
SYLVIE TESTUD : Si au bout d’un moment on se calme parce que… on devient plus mature, puis voilà, les années
passent, mais dans le fond, dans le fond je suis… j’aime bien rigoler, je cherche, je vois que je cherche la connerie.
Sur le film c’est édifiant.
JÉRÔME COLIN : C’est parti.
SYLVIE TESTUD : Voilà. Je me retourne dessus et voilà…
JÉRÔME COLIN : Il y a de quoi s’amuser.
SYLVIE TESTUD : Voilà, c’est ça. Ou même dans les colères, je peux piquer des colères… les mêmes que je piquais
quand j’avais, je ne sais pas, 12 ans.
JÉRÔME COLIN : C’est vrai ?
SYLVIE TESTUD : Oui. Pour des trucs pas importants. Je tiens à le signaler. Quand c’est très important j’ai observé
que j’étais toute droite. Je ne dis rien.
JÉRÔME COLIN : C’est vrai ?
SYLVIE TESTUD : Oui. Je crois que je me fais souffler quand c’est important. Quand ce n’est pas important, genre je
ne sais pas, je suis sortie, je voulais acheter du pain, j’ai acheté tout sauf du pain…
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JÉRÔME COLIN : Tempérament quoi.
SYLVIE TESTUD : Oui.
Ma grand-m ère, c’est la seule personne que je connais qui ne parle aucune langue couramment.
JÉRÔME COLIN : Vous vous sentez italienne ?
SYLVIE TESTUD : Bizarrement oui.
JÉRÔME COLIN : Ah oui ?
SYLVIE TESTUD : Bizarrement oui. Alors je ne sais pas si c’est une volonté de ma part de raccrocher…
JÉRÔME COLIN : Qui est italien chez vous ?
SYLVIE TESTUD : Ma mère.
JÉRÔME COLIN : Votre mère.
SYLVIE TESTUD : Ma mère est arrivée en France à l’âge de 12 ans. Ma grand-mère donc est toujours en vie,
carrément elle a vécu, de l’âge… elle est arrivée en France elle avait presque 30 ans, aujourd’hui elle en a 87 depuis
hier, elle ne parle toujours pas le français.
JÉRÔME COLIN : Bravo l’intégration !
SYLVIE TESTUD : Oui mais comme quoi c’était possible, ça ne posait de problème à personne.
JÉRÔME COLIN : Bien sûr.
SYLVIE TESTUD : Elle a très bien vécu sa vie, elle a élevé ses enfants sans problème.
JÉRÔME COLIN : Bien sûr.
SYLVIE TESTUD : Bon, aujourd’hui, dans son immeuble elle est la seule à ne pas parler le français. Elle est entourée
de bourgeois, en haut, en bas, sur les côtés, ça c’est drôle. D’ailleurs c’est la seule personne que je connais qui ne
parle aucune langue couramment. Elle ne parle même pas italien, elle parle un dialecte.
JÉRÔME COLIN : C’est bien comme phrase : c’est la seule personne que je connais qui ne parle aucune langue
couramment.
SYLVIE TESTUD : Zéro. Elle ne parle rien. Mais ce qui est bien c’est que t’arrivais à avoir ce que tu veux. Donc elle se
démerde, finalement. Elle s’est débrouillée. Elle ne parle rien. Là elle fait un mélange entre son dialecte, le français…
elle roule les R, c’est inouï, et voilà elle est arrivée à 87 ans, tranquillement. Elle ne sait pas lire et pas écrire.
JÉRÔME COLIN : C’est vrai ?
SYLVIE TESTUD : Mais elle regarde la télévision, elle comprend tout.
JÉRÔME COLIN : Et en quoi vous vous sentez italienne ? Qu’est-ce qu’il y a qui vous raccroche à ça ?
SYLVIE TESTUD : Je crois que… enfin, ce que j’ai d’italien c’est ma famille. C’est un côté terrien, un côté direct, ce
qu’on attribue un peu aux méditerranéens, une franchise, les familles italiennes ça s’engueule tout le temps mais ça
s’aime très fort. Mais ça se dit «je t’aime bien » en hurlant. Ca ne peut pas être doux, ça ne peut pas être tranquille.
Ce que je n’indique pas moi bizarrement dans les rôles que j’ai choisi mais voilà, c’est comme souvent, les gens très
comiques, doit dans leur vie, ils ont une vie beaucoup plus calme et plus tourmentée et voilà moi je suis l’inverse.
JÉRÔME COLIN : Plus tourmentée à l’écran et plus légère dans la vraie vie.
SYLVIE TESTUD : Voilà. Je crois que je ne serai jamais drôle sur une scène de théâtre, dans un one man show, je suis
drôle dans ma cuisine. Seule je peux faire… Dans la vie.
Je suis partie à Paris, mon but c’était d’échapper à une famille étouffante !
JÉRÔME COLIN : Qu’est-ce qui vous a amenée de la Croix Rousse au théâtre, ou au cinéma, ou en tout cas au fait de
devenir actrice ? C’est quoi le passage ?
SYLVIE TESTUD : C’est un peu le hasard. J’avais envie hein, au fond de moi, tout au fond, j’en avais envie. Mais c’est
super bizarre de se lever un matin la gueule enfarinée et dire à ses parents, qui vivent modestement, pour qui les
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études c’est hyper important, et bien écoutez, je vais tout abandonner et finalement je vais faire du théâtre ou du
cinéma. C’était hors de propos pour moi. Donc en fait je me suis dit tiens, je vais déjà aller à Paris, mon but c’était
de partir pour Paris et finalement d’échapper à une famille qui est super forte, que j’adore, j’ai écrit sur eux et tout,
je suis super fière de ma famille, mais en même temps c’est étouffant.
JÉRÔME COLIN : Une famille aimante ?
SYLVIE TESTUD : Oui. C’est étouffant. Parce que de toute façon votre identité c’est la leur. Donc pour avoir la sienne
il faut se barrer. Je me dis bon, je vais partir pour Paris quoi qu’il arrive. Donc je me suis inscrite à un concours
d’école d’histoire, je suis arrivée à Paris…
JÉRÔME COLIN : En sachant très bien ce que vous faisiez ?
SYLVIE TESTUD : Oui et non. En tout cas je partais pour faire de l’histoire. Ce que j’ai fait.: J’avais plein de potes. Je
trainais un peu dans les cours de théâtre à Lyon. J’avais plein de potes qui allaient s’inscrire à l’école Florent. Je me
suis dit tiens, je vais aller voir. Et j’ai passé un casting avec un ami, et la directrice de casting a pris les deux. Donc
elle était agent. Voilà, petit à petit j’ai fait un casting, j’ai été choisie, j’ai fait un film allemand…
JÉRÔME COLIN : Allemand !
SYLVIE TESTUD : Ça devait être un film franco-allemand, je précise. Et le type cherchait un acteur en Allemagne, qu’il
avait trouvé, puis il venait chercher une actrice en France. Il a choisi moi. Et les Français se sont retirés du projet et
je me suis retrouvée actrice principale d’un film allemand. Puisqu’il m’a gardée.
JÉRÔME COLIN : Ah oui.
SYLVIE TESTUD : Oui.
JÉRÔME COLIN : Vous ne parliez pas allemand.
SYLVIE TESTUD : Zéro.
JÉRÔME COLIN : Vous avez fait comment ?
SYLVIE TESTUD : Et bien j’ai fait comme pour « Stupeurs et tremblements », c’est-à-dire que j’ai appris le japonais
avec une coach, et bien là j’ai appris l’allemand avec une coach.
JÉRÔME COLIN : Vous parlez combien de langues alors ?
SYLVIE TESTUD : Français, anglais bien, et après je baragouine quand même un peu d’allemand, un petit peu d’italien
mais vraiment pas beaucoup, et un petit peu de chinois mais vraiment pas beaucoup. J’ai oublié d’ailleurs le chinois.
Je l’écris mieux que je ne le parle. Je peux enlever même je crois parce que je suis allée en Chine plusieurs fois, et par
exemple je dis n’importe quoi… je ne sais pas quoi, ils ne comprennent rien. C’est une chanson en fait. Il y a des
inflexions toniques tout ça…
JÉRÔME COLIN : Qui se perdent….
SYLVIE TESTUD : Oui. Ils ne comprennent rien.
JÉRÔME COLIN : Et donc vous devenez, après… C’était quoi ce film ?
SYLVIE TESTUD : Alors, c’est un film d’un réalisateur qui s’appelle Nico Von Glasgow. D’ailleurs je tiens à préciser que
ça se passait pendant la période napoléonienne, donc à l’époque ce n’était pas rare que les Allemands parlent le
français, les Russes aussi, enfin on pouvait un peu se parler dans un peu toutes les langues…
JÉRÔME COLIN : Donc vous arrivez à Paris, vous avez un rôle tout de suite. Pratiquement. C’est à peu près comme ça
que ça se passe.
SYLVIE TESTUD : Oui, au bout de 6, 7 mois quand même.
JÉRÔME COLIN : C’est dingue quand même.
SYLVIE TESTUD : Oui. J’ai eu du bol. Mais en même temps j’avais envie donc je trainais quand même à l’école
Florent, le professeur que j’avais eu m’avais dit tiens, passe un casting, je n’avais pas beaucoup de blé, je me
souviens d’avoir été vexée parce qu’on m’avait proposé un moment d’être femme de ménage. Je dis je ne vais
quand même pas nettoyer les toilettes des mecs avec qui je vais répéter mes scènes quoi ! Donc il m’avait proposé
de passer à la classe libre qui est une classe ben où on ne payait pas. Et je l’ai eu. Mais après, avec le recul, c’est vrai
qu’ils étaient sympas parce que les gens qui n’avaient pas la classe libre c’est vrai, ils avaient la possibilité de bosser
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pour l’école et ils ne payaient pas. Donc c’est quand même super sympa. Sur le moment je l’avais pris super mal.
Donc j’ai eu la classe libre plus le film, je me suis dit : je vais essayer. Et après je me suis foutu en tête, je ne sais pas
pourquoi, j’ai dit : il faut que j’aie le Conservatoire. J’avais un côté élitiste qui est complètement con, mais je m’étais
dit : il faut que j’aie ce Conservatoire, si je n’ai pas le Conservatoire je continuerai l’histoire, j’arrêterai là.
JÉRÔME COLIN : Après le film, après le Florent, vous vouliez le Conservatoire à tout prix.
SYLVIE TESTUD : J’avais fait 3 films quand j’ai fait le Conservatoire.
JÉRÔME COLIN : C’est dingue.
SYLVIE TESTUD : Oui je voulais faire du théâtre !
JÉRÔME COLIN : Beaucoup de gens s’en contenteraient.
SYLVIE TESTUD : Oui mais j’avais envie de faire du théâtre, j’avais envie d’être actrice, comédienne, enfin je voulais…
je ne savais pas trop quoi. J’avais envie de faire ce métier.
JÉRÔME COLIN : Et vous êtes allée au Conservatoire.
SYLVIE TESTUD : Voilà.
JÉRÔME COLIN : Et c’était bien ?
SYLVIE TESTUD : Ce n’était pas pour moi en fait. : Je me suis gourée.
JÉRÔME COLIN : Ah oui ?
SYLVIE TESTUD : Après le Conservatoire, c’est une école particulière, ça apprend des choses mais en fait je me suis
rendue compte que le phénomène de la répétition ce n’est pas mon truc. Oui, les parcours, les mises en place,
savoir quand j’ouvre la porte… je suis dans le détail, mais je n’aime pas le fait de répéter quelque chose pour rien,
moi il me faut une carotte. Je ne peux pas répéter un texte pour que dalle. Et je crois que je n’étais plus trop
scolarisable. Je n’avais plus envie…
JÉRÔME COLIN : C’était trop tard déjà.
SYLVIE TESTUD : Oui, je n’avais plus envie.
Au début, j’étais une actrice allemande ! Ça a été un truc super !
JÉRÔME COLIN : En plus vous étiez devenue une actrice allemande.
SYLVIE TESTUD : En plus, oui.
JÉRÔME COLIN : Parce que vous faisiez plein de films en Allemagne.
SYLVIE TESTUD : Ça c’était génial. Voilà, d’être actrice allemande ça a été un truc super. D’ailleurs ça a été un gardefou pour que je ne fasse pas de conneries parce que j’avais les cheveux très longs, j’étais blonde, j’avais les yeux
bleus, et franchement j’étais vraiment la personne exacte qu’on pouvait prendre pour tous les téléfilms, les jeunes
filles qui ont des problèmes avec leur père. J’aurais pu faire plein de conneries. Et le fait de tourner en Allemagne
des filles vachement bien, ça m’a donné de l’air. Et je trouvais les films supers. Donc après quand on m’a proposé
des téléfilms nazes, j’ai dit : je ne vois pas pourquoi j’irais faire des téléfilms nazes alors que je gagne ma vie de
l’autre côté, et surtout j’avais un truc qui était génial, c’est que je partais bosser dans un pays et je rentrais chez moi
j’étais en vacances. Et personne ne me connaissait, je faisais juste ce que je voulais. C’était délirant !
JÉRÔME COLIN : C’est quelque chose de pas important pour vous, la reconnaissance ?
SYLVIE TESTUD : En fait c’est bizarre. C’est double la reconnaissance. C’est double.
JÉRÔME COLIN : C’est bien tout le problème je crois.
SYLVIE TESTUD : Oui c’est double parce qu’en même temps on la veut et puis quand on l’a on se dit merde, on ne sait
pas quoi en faire. Donc c’est compliqué parce qu’on fait des films, on joue pour des gens, parce qu’on a envie que
les gens les voient, on a envie d’être aimé, on a envie qu’ils rigolent quand on a fait une blague, on a envie qu’ils
soient émus quand on va essayer de les émouvoir, et en même temps vous marchez dans la rue et vous avez envie
d’être dans votre vie privée. Et en même temps parfois ça fait plaisir. Vous marché, vous êtes tout seul, c’est un peu
tristounet et puis y’a quelqu’un qui vous dit oh j’aime bien ce que vous faites ! Ca illumine la journée.
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JÉRÔME COLIN : Mais il y avait une envie chez vous, jeune, de ça ? De cette reconnaissance-là, de ce truc ?
SYLVIE TESTUD : Moi je crois qu’on commence toujours pour des mauvaises raisons. Evidemment. On ne sait pas ce
que c’est ce métier avant de le commencer.
JÉRÔME COLIN : Non.
SYLVIE TESTUD : Donc évidemment, on lit des magazines, on les feuillette, on voit la vie des actrices, des acteurs, on
dit ah ils ont une vie géniale ! On les voit en train de répondre à des interviews, on dit ah c’est super tout le monde
s’intéresse à ce qu’ils disent…
JÉRÔME COLIN : Bien sûr.
SYLVIE TESTUD : Voilà. C’est après que ça se transforme. On se dit ah j’aime bien raconter cette histoire, ça j’aime
bien, et finalement ça s’inverse. La reconnaissance devient moins importante que les histoires qu’on a envie de
raconter. D’ailleurs les moments de promo parfois c’est pfff, on se dit oh merde. Voilà. Après il y a des… c’est
comme tout, il y a des gens avec lesquels on s’entend bien, des émissions où on se marre bien, des où bof, voilà.
Mais ça se transforme. Mais parfois j’entends des gens me dire ah j’ai bien raconté les histoires… Je dis oui mais ça
c’est dans le deuxième temps. Dans un premier temps, non.
JÉRÔME COLIN : Vous voulez être célèbre et aimée.
SYLVIE TESTUD : C’est exactement comme commencer à fumer, on a vu l’autre qui fume, on trouve ça classe, parce
qu’au début, fumer des clopes c’est affreux. C’est vraiment pour le look. Pour l’image. Y’a un truc, j’existe, je suis là
quoi.
J’ai trois sœurs et moi, je suis celle du milieu… j’étais un peu coincée entre les deux !
JÉRÔME COLIN : Pourquoi vous il fallait à tout prix montrer j’existe, je suis là ?
SYLVIE TESTUD : Ben ça je n’en sais rien.
JÉRÔME COLIN : Ben oui.
SYLVIE TESTUD : Je crois que c’est depuis toujours. Nous on est 3 filles…
JÉRÔME COLIN : Chez vous ?
SYLVIE TESTUD : Oui. 3 sœurs. Moi je suis celle du milieu. Et en même temps c’est génial parce qu’on s’occupe
vachement du premier parce que c’est le premier, le dernier, c’est le dernier, et puis au milieu si on est … on peut
faire un peu sa vie. Donc on est libre, c’est cool… Moi j’ai pu faire un peu ce que je voulais, comme je voulais. Les
conneries que j’ai faites petites, il me semble qu’elles m’incombent, et inversement je n’ai pas de ressentiment par
rapport à mes parents qui auraient trop fait ci, trop fait ça. Mais en revanche de l’autre côté je pense qu’on se sent
un peu coincée entre deux peut-être. Il doit y avoir de ça. Enfin je fais de la psychologie à 2 balles.
JÉRÔME COLIN : Non, je pense que c’est vrai.
SYLVIE TESTUD : Je n’irais même pas voir un psy moi. Enfin voilà, j’imagine qu’il y a un peu de ça. Et d’ailleurs, oui,
petite déjà il fallait que je me manifeste, même chez moi. Les conneries, moi quand je les faisais elles étaient
énormes, les blagues il fallait qu’elles soient fortes…
JÉRÔME COLIN : Mais vous croyez que c’est un tempérament ça ou c’est un manque ?
SYLVIE TESTUD : C’est les deux je pense.
JÉRÔME COLIN : Le fait de tout le temps être remarquée et aimée plus que les autres ? On nait avec ça ou ça vient ?
SYLVIE TESTUD : Ah ça doit venir quand même, c’est bizarre. Ça doit venir. Il y a un moment, je ne sais pas,
quelqu’un a dû être choisi, je dis n’importe quoi, la balle au prisonnier, on se dit pourquoi pas moi. Je suis ici sur le
carreau… Il doit y avoir des trucs comme ça. Mais si, il y a un truc par exemple, j’y pense tu sais, c’est les chaises
musicales, quand on est petit, ce jeu il est insupportable, j’ai toujours détesté ce jeu. On explique, il y a des gamins,
ils sont 22 et il n’y que 21 chaises, donc il y en a 1 qui ne va pas pouvoir s’asseoir, donc déjà petit on apprend aux
enfants trouve-toi une place. Et quand on n’a pas de place on se sent comme un con comme ça. Et ça m’est arrivé
de perdre. C’est infernal. On se dit mais je ne suis rien. J’ai même pas mes fesses posées sur une chaise, j’ai couru
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comme un âne autour des trucs pendant que l’autre elle tapait sur son tambourin, je ne suis même pas assis sur une
chaise. Donc j’imagine que ça doit être une accumulation de petits moments comme ça. Je n’ose pas dire frustration
parce que je me dis que sur la frustration il n’y a jamais rien de bien qui s’est construit, mais c’est des petits endroits
où on n’est pas le mec choisi, on n’a pas trouvé sa place, on n’a pas… donc on est un peu errant comme ça, on se
dit : qu’est-ce qu’on va faire de moi ? Qu’est-ce que je vais faire de moi ? Qui va me regarder ? Et d’ailleurs moi,
petite fille je n’étais pas… je me sentais… par exemple, voilà, souvent on a dit ah elle a voulu faire ce métier parce
qu’elle a vu « L’effrontée » de Claude Miller. Ça c’est quelque chose qui revient beaucoup…
JÉRÔME COLIN : Sur vous.
SYLVIE TESTUD : Sur moi. Dans ce que les gens disent. En fait ce que j’ai dit en vrai, c’est que le personnage qui a
dans « L’effrontée », je me suis vraiment reconnue dans le personnage de Charlotte Gainsbourg, parce qu’en fait il a
montré une petite fille qui n’était ni la plus belle, ni la plus moche, ni la plus drôle, ni la plus triste, la plus sombre, en
fait elle était moyenne. Et moi petite fille je me sentais moyenne. J’étais au milieu des deux. Voilà je n’étais pas la
plus belle fille de la classe, mais je n’étais pas la plus vilaine. Je n’étais pas la plus drôle, mais je n’étais pas la plus
sombre, mystérieuse. Donc en fait j’étais la fille qui était là quoi. J’étais là. Donc il fallait se casser la tête un peu
pour trouver d’attrait. Petit à petit ça se développe ça. Voilà et je me rendais compte, à l’adolescence par exemple,
je me suis rendu compte que quand même je commençais à attirer un peu la bande, je ne faisais pas partie des
meneurs mais c’était plus cool si j’étais là. Ça, ça fait plaisir. On s’en rend compte. On me disait oh mince, tu ne
peux pas venir ? Je disais non, je ne peux pas venir… Et ça c’est le premier César quoi. Merde… Ou alors le
lendemain quand on me dit ah c’était super hier !
JÉRÔME COLIN : C’est dingue hein.
SYLVIE TESTUD : Oui c’est une récompense, c’est un truc… mais c’est ça en fait, on reste super infantilisé en fait
finalement quand on est acteur, c’est dingue. De toute façon on a la même vie quelque part, on a quelqu’un qui
vient nous chercher en voiture, qui nous amène sur le plateau, on nous file des fringues, on nous habille, on dit
attention tu vas prendre un verre, on va nettoyer le verre pour nous… Tout est très protecteur. Il y a de
l’insouciance.
JÉRÔME COLIN : Tout ça pour que vous puissiez vous mettre en valeur !
SYLVIE TESTUD : Ouiii. C’est ça !
JÉRÔME COLIN : Vous mettre en valeur et divertir, enchanter les autres.
SYLVIE TESTUD : Après il faut bosser mais je veux dire tout est mis dans la vie de manière quotidienne pour que…
JÉRÔME COLIN : Mais c’est une victoire pour vous ça ?
SYLVIE TESTUD : Mais j’adore. Je ne sais pas si c’est une victoire, une victoire ça voudrait dire…
JÉRÔME COLIN : Qu’il y a eu combat.
SYLVIE TESTUD : Contre quelque chose quoi. Mais en tout cas moi j’adore. Moi j’adore ma vie.
JÉRÔME COLIN : Le fait qu’on s’occupe de vous et…
SYLVIE TESTUD : Oui.
JÉRÔME COLIN : D’être importante.
SYLVIE TESTUD : Oui je suis importante et aussi on me décharge des problèmes. Quand je retourne dans ma vie, je
dis oh c’est dur ! J’ai besoin d’un bout de pain ben si je ne descends pas les 6 étages, je ne l’ai pas ma baguette. Là je
suis sur un plateau, je dis oh j’ai un peu faim tu ne veux pas aller me chercher du pain ? Hop, m’arrive. C’est
merveilleux ! C’est génial.
JÉRÔME COLIN : Il y a des gens qui ne le supporterait pas j’imagine.
SYLVIE TESTUD : Oui il y a des gens qui ne le supporterait pas mais par exemple je suis chez moi, j’ai les cheveux
comme ça, et puis là hop le matin je ne me sèche même pas les cheveux, il y a quelqu’un qui vient me les sécher, qui
va me les mettre en place. J’ai un petit truc, une petite tache, hop je sais que ce n’est pas grave parce que
quelqu’un… Alors que sinon dans la vie de tous les jours si je ne me regarde pas dans le miroir pour voir si mon fond
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de teint que j’ai mis moi-même est moins bien mis, n’est pas parti, et ben… Je l’ai, et tout le monde dit : t’as pas un
truc-là ?
C’est un fond de ma personnalité, je suis maboule moi !
JÉRÔME COLIN : Vous parliez tout à l’heure, à 10 ans c’est vrai que de ne pas trouver sa place sur la chaise musicale,
mais 30 ans plus tard vous avez l’impression de l’avoir trouvée vous ?
SYLVIE TESTUD : Et bien non. Voilà. Mais sinon on arrête le jour où on la trouve.
JÉRÔME COLIN : Votre place ?
SYLVIE TESTUD : Mais je pense. Le jour où on trouve sa place, le jour où on est en accord avec soi je pense qu’on
arrête.
JÉRÔME COLIN : On arrête quoi ?
SYLVIE TESTUD : Ben on arrête de faire ce métier, on arrête de vouloir faire des choses et de continuer de générer
des projets ou de s’investir.
JÉRÔME COLIN : Mais il n’y a pas que le boulot dans la vie.
SYLVIE TESTUD : Oui mais je pense que c’est un état aussi. Ce n’est pas qu’un travail ce métier, c’est un état aussi.
Parce qu’on joue avec ses émotions, on n’a jamais fini.
JÉRÔME COLIN : Donc vous ça vous plait d’être instable.
SYLVIE TESTUD : Oui. De toute façon moi en plus je crois que c’est un fond de ma personnalité, par exemple je suis
maboule moi, moi par exemple j’ai déménagé 11 fois dans Paris…
JÉRÔME COLIN : Pourquoi ?
SYLVIE TESTUD : Mais parce que en fait ça m’angoisse… en fait ce qui s’est passé c’est que j’ai acheté plusieurs fois
des appartements, bon qui étaient dans des états plutôt en décrépitude, je les ai fait refaire et une fois que c’était
fini il fallait que je déménage.
JÉRÔME COLIN : Et vous le faites vraiment, vous déménagez vraiment.
SYLVIE TESTUD : Oui. Là je ne déménage plus parce qu’il y a eu un ultimatum. Mon mec a dit ah non, non.
JÉRÔME COLIN : C’est bon.
SYLVIE TESTUD : Ah oui.
JÉRÔME COLIN : 11 fois en combien de temps vous avez changé d’appart ?
SYLVIE TESTUD : En 15 ans. 16 ans.
JÉRÔME COLIN : Ça s’appelle instabilité !
SYLVIE TESTUD : Oui. En même temps oui et en même temps non. Parce que le truc était fini. J’avais bien repeint les
murs, tout était bien mis en place, mais à partir du moment où je me levais le matin, j’appuyais sur l’interrupteur,
bouf ça se mettait en route… il y a un côté sclérosant. Il y a un côté qui je ne sais pas, qui me… Mais là chez moi je
n’ai toujours pas fini les travaux donc peut-être que c’est pour ça. Ça fait 5 ans que j’y suis.
JÉRÔME COLIN : Et vous ne terminez pas les travaux comme ça vous ne voulez pas partir.
SYLVIE TESTUD : Non, ce n’est pas pour ça. Non c’est parce que j’ai demandé des autorisations que je n’arrive pas à
avoir. Mais en revanche je regarde quand même, je suis quand même tout le temps en train de regarder les apparts,
tout le temps en train de me projeter dans autre chose. C’est ça qui est bizarre. Par exemple partout où je vais, je
me projette, je me dis que je pourrais vivre là. Et j’imagine ma vie. Je me dis que je pourrais… Moi je pourrais
parfaitement vivre à Bruxelles ! Sans problème. C’est dingue.
JÉRÔME COLIN : C’est marrant d’être heureux, même que ce soit un moteur de ne pas trouver sa place. C’est quand
même très étrange. C’est quand même un peu ce qu’on cherche tous.
SYLVIE TESTUD : Heureux et malheureux parce qu’aussi il y a le revers de la médaille toujours. C’est comme quand
on dit attention moi je suis une personne libre, je n’appartiens à aucune famille, je prends les projets comme j’ai
envie, ce que je dis souvent, c’est la liberté, et en même temps parfois tu le paies cher parce que on est tout seul
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aussi. Parfois ça me plairait d’arriver comme ça en famille, voilà, on a fait 10 films ensemble, on est tous potes et
c’est indéboulonnable. C’est une force. Mais en même temps ça m’angoisse, donc ce n’est pas possible. C’est pareil
pour trouver sa place ou ne pas la trouver. Tout est ouvert. Les portes ne sont pas fermées. Tout est ouvert, tout
peut toujours arriver. Et en même temps parfois on se dit… C’est angoissant aussi. Mais je pense que c’est un état
qui me convient. Je pense qu’on est pas mal d’acteurs à être dans cet état.
JÉRÔME COLIN : Oui ?
SYLVIE TESTUD : Je pense.
JÉRÔME COLIN : Ça ne vous fait pas angoisser ? Parce que vous êtes toquée un peu vous non ? Un minimum.
Franchement ! Dites-moi franchement !
SYLVIE TESTUD : Je n’en sais rien.
JÉRÔME COLIN : Moi je vois des choses de moi en vous.
SYLVIE TESTUD : Voilà, c’est ça.
JÉRÔME COLIN : Alors vous ne pouvez pas me mentir.
SYLVIE TESTUD : C’est ça. Mes potes le disent.
JÉRÔME COLIN : Ils vous disent que vous êtes toquée ?
SYLVIE TESTUD : Moi évidemment je nie. Moi je ne dis pas du tout
JÉRÔME COLIN : Ça ne m’étonne pas.
SYLVIE TESTUD : Moi j’ai l’impression d’être hyper cartésienne. C’est ça qui est fou.
J’ai peur la nuit, alors je cache des couteaux partout !
JÉRÔME COLIN : Qu’est-ce que vous faites de vraiment bizarre ?
SYLVIE TESTUD : Ce que je fais-moi de vraiment bizarre ?
JÉRÔME COLIN : Où vous dites non là il faut arrêter.
SYLVIE TESTUD : Ah ben y’en a plein. Ah mais moi j’en ai plein ! Des trucs vraiment bizarres. Alors, je ne vais pas
parler tout le temps de ma littérature mais y’a un truc qui est super… moi j’ai peur la nuit, et en fait, donc si je me
retrouve seule dans mon appartement, avant je pensais que c’était dans mon appartement d’avant, mais ça me le
fait dans le nouveau, je ne peux pas m’endormir parce que j’imagine le pire, ok, je fais de l’anticipation de tout et je
cache des couteau partout, mais partout, à portée de main, je m’entraine, si je suis réveillée dans mon lit hop, et je
cache des couteaux, je les plante dans le parquet, j’ai des petits trous…
JÉRÔME COLIN : Mais non !
SYLVIE TESTUD : Mais si !
JÉRÔME COLIN : Ah vous êtes pire que moi !
SYLVIE TESTUD : Mais oui. Et attention, j’ai même carrément, à un moment je me suis dit là je vais arrêter parce
qu’un jour, je n’étais même pas seule, j’étais avec mon mec, il dormait, puis à 2h du mat, la nuit les bruits prennent
plus d’ampleur, parce qu’un jour ça m’est arrivé comme ça d’entendre des bruits toute seule, je me suis levée, j’ai un
sabre, je suis arrivée comme ça dans mon salon avec le sabre, et j’ai regardé, c’était des pigeons qui marchaient sur
le toit . Je me suis dit là j’ai un problème hein. Il faut quand même que j’aille consulter. Et la dernière fois où je me
suis dit là ça ne va pas du tout, j’étais avec mon mec et à 3h du matin, je crois que j’étais tellement persuasive, je te
dis que j’ai entendu un bruit ! Mais non. Je te dis… Et il se lève, et donc il se lève, il marche comme ça, et moi je
prends mon sabre, je suis derrière lui et d’un coup je le vois en train de marcher comme un dingue, je me suis dit je
suis en train d’avoir son cerveau en même temps. Je suis en train de lui piquer le sien de cerveau. Le mien est déjà
parti, maintenant je suis en train de l’avoir. Je dis bon viens, on va se coucher, on arrête. D’un coup subitement…
JÉRÔME COLIN : On range le sabre.
SYLVIE TESTUD : Ah oui. Je dis il faut qu’on arrête, maintenant ça ne va pas du tout. J’en ai plein des trucs comme
ça. Je rentre de tournage, je fais le ménage, je suis une femme de ménage de compète.
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JÉRÔME COLIN : C’est vrai ?
SYLVIE TESTUD : Mais oui. C’est affolant. Mais ça je pense que c’est un peu comme font les chiens, ils se
réapproprient le territoire. Le premier truc qu’on fait quand on rentre dans un appartement, on fait quoi ? On
repeint les murs.
JÉRÔME COLIN : Carrément.
SYLVIE TESTUD : Même s’ils sont blancs. C’est ça qui est bizarre. Ça veut dire qu’on met sa marque sur les murs et
moi ce que je fais, je nettoie. Et je nettoie même les miroirs, on dirait une folle, je regarde, je fais de la buée,
j’enlève. Même une trace du papier il faut qu’elle parte.
On n’est jamais fatigué quand on a envie de faire quelque chose !
JÉRÔME COLIN : Qu’est-ce qui a fait de vous une artiste ?
SYLVIE TESTUD : Alors ça c’était depuis que j’étais petite, on va dire artiste au sens large, quand on crée…
JÉRÔME COLIN : Au sens large.
SYLVIE TESTUD : Voilà. Depuis que j’étais petite en fait je cherchais toujours à faire des choses avec les pinces à
linge, avec les allumettes, n’importe quoi, je peignais, je faisais des sculptures, bref, et je me souviens d’une fois où
j’avais été super déprimée, parce que ma mère elle partait pour le marché, elle rapportait tout le temps quelque
chose. Elle disait ah, Sylvie elle va en faire quelque chose, c’était mignon. Et un jour elle est arrivée, c’était des…
alors c’était dans les années 80, peut-être que ça vous rappelle un truc, vous savez des petits oiseaux pince à linge,
et c’était des petits oiseaux les pinces à linge, et elle me dit tiens, Sylvie va en faire quelque chose. Mais c’était déjà
fait l’objet.
JÉRÔME COLIN : C’était déjà fait.
SYLVIE TESTUD : C’était déjà un oiseau. Et je me souviens d’avoir, c’est la première fois où je me suis dit oh elle va
être super déçue. Je ne savais pas quoi en foutre de ces oiseaux. J’essayais de les mettre ensemble mais non, ils
étaient en plastique, ils ne bougeaient pas. J’étais honteuse. J’avais pris des bouts de bois, j’avais mis les pinces à
linge tout le long des bouts de bois pour faire comme s’il y avait un arbre avec plein d’oiseaux. J’ai dit tiens, regarde,
j’ai fait une sculpture. J’avais les boules. Et là je me suis dit ah, mais c’est avec le recul en fait qu’on se rend compte
qu’en fait on avait déjà ça. Et je peignais tout le temps.
JÉRÔME COLIN : Et vous continuez de peindre ?
SYLVIE TESTUD : Oui. Bon je ne peins pas bien, je n’ai pas pris de cours…
JÉRÔME COLIN : Mais ce n’est pas important de faire les choses bien, l’important c’est de les faire.
SYLVIE TESTUD : Oui, je peins.
JÉRÔME COLIN : Vous peignez, vous écrivez…
SYLVIE TESTUD : Oui.
JÉRÔME COLIN : Vous êtes actrice.
SYLVIE TESTUD : Oui.
JÉRÔME COLIN : Vous réalisez des films.
SYLVIE TESTUD : Oui.
JÉRÔME COLIN : C’est dingue. C’est qu’il doit y avoir derrière tout ça un truc essentiel à dire non ? Ce n’est pas que
faire. Ou c’est juste que faire ?
SYLVIE TESTUD : Ah non que faire ce serait impossible. Parce qu’en fait les gens qui me demandent mais d’où elle
vient cette énergie ? C’est parce qu’eux le font. Par exemple, c’est des gens qui s’imaginent qu’il faut faire. Mais en
même temps on n’est jamais fatigué quand on a envie de faire quelque chose. On n’est pas fatigué. D’ailleurs ça
m’est arrivé d’être super crevée et puis d’arriver sur le plateau et bizarrement j’ai de l’énergie.
JÉRÔME COLIN : Mais pourquoi vous avez envie de faire tout ça ? De peindre, d’écrire… vous avez écrit 4 bouquins…
SYLVIE TESTUD : Je crois qu’on ne sait pas pourquoi on a envie, c’est juste que si on ne le fait pas ça ne va pas.
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JÉRÔME COLIN : Si vous ne le faites pas vous nettoyez et vous cachez les couteaux.
SYLVIE TESTUD : Non je pense que même ça, ça s’arrêterait. Je pense que si je n’avais pas la possibilité en fait de
raconter des histoires par les films, en écrivant, de peindre, même de faire de la musique n’importe comment, voilà
j’ai un piano chez moi je fais n’importe quoi, mais quand même j’ai envie. Je pense que c’est aliénant si on ne
vraiment pas le faire. Mais d’ailleurs, en promo des « Blessures assassines » qui était un film en fait sur deux sœurs
qui sont devenues des assassins…
JÉRÔME COLIN : Les sœurs Papin.
SYLVIE TESTUD : Les sœurs Papin voilà, c’était un film de Jean-Pierre Denis, et en fait donc c’était deux femmes de
ménage et l’aînée des deux sœurs, on sent que c’est quelqu’un qui, je ne dis pas qui avait une intelligence immense,
mais en tout cas elle se posait vachement de questions, et elle est devenue très violente et je pense que sa
frustration, parce que là c’est de la frustration, la rendue dingue. Et Amélie Nothomb à ce moment-là venait de faire
une interview et avait dit de toute façon si je n’avais pas pu écrire je pense que je serais devenue un assassin. Quand
on est muselé du coup il y a une distorsion qui se fait, il y a quelque chose qui ne va pas.
JÉRÔME COLIN : Vous pensez que votre vie pourrait mal tourner si jamais vous ne pouviez pas faire, faire…
SYLVIE TESTUD : Oui.
JÉRÔME COLIN : C’est vrai ?
SYLVIE TESTUD : Si je n’avais pas pu m’exprimer, on va dire au moins un minimum, je pense que j’aurais mal tourné.
JÉRÔME COLIN : Ah oui.
SYLVIE TESTUD : J’aurais pu oui. Mais d’ailleurs je disais ça ado. Je disais de toute façon la vie il faut que ça soit bien
ou que ce soit de la merde. Mais ça ne pouvait pas être moyen. Je ne sais pas pourquoi je disais ça. Mais j’avais…
voilà… j’avais une rage vraiment forte quand j’étais ado. Et ça se calme, heureusement. Légèrement.
Pour moi la question centrale c’est, aujourd’hui hein, c’est quoi mon identité ?
JÉRÔME COLIN : Et vous croyez qu’il y a un truc central qu’on veut dire ? Quand vous écrivez des bouquins, quand
vous réalisez un film il n’y a pas longtemps, quand vous peignez, est-ce que vous avez l’impression qu’il y a toujours
un truc qui va… enfin que c’est un entonnoir et qu’il y a un truc auquel vous revenez tout le temps. Qui serait la
question centrale.
SYLVIE TESTUD : Moi je pense qu’il y a, sur moi hein, pour moi la question centrale c’est, aujourd’hui hein, c’est quoi
mon identité à moi ? C’est-à-dire, moi je ne connais pas mon père par exemple, et moi j’ai été élevée dans une
famille d’Italiens où tout le monde a les cheveux noirs, les yeux noirs et la peau très sombre. Et j’étais un peu le
mouton blanc au milieu des moutons noirs. Et à un moment j’avais envie, vraiment, j’aurais eu mais un bonheur
immense à être brune aux yeux noirs. Et bon voilà, milieu modeste… et puis subitement hop la vie a fait que
finalement bon ben voilà j’ai commencé à gagner de l’argent, je suis devenue… les cheveux plus clairs encore que les
miens c’était encore mieux, très bien, les yeux bleus c’était formidable, et il y a un truc où souvent on se dit je viens
d’où, je suis en train de devenir quoi ? C’est ce truc-là. Moi je suis encore tiraillée avec les questions que je me
posais enfant. Je crois que ça ne me lâchera pas si vite. D’ailleurs c’est bizarre parce que moi j’ai écrit un bouquin
justement où je parlais de l’enfance, j’avais des détails, j’ai rien oublié. Et aujourd’hui j’ai un gamin qui a 7 ans, et
c’est hallucinant, je comprends les angoisses qu’il a parfois.
JÉRÔME COLIN : C’est vrai ?
SYLVIE TESTUD : Ah oui. Et un jour il m’a dit, en plus ce qui est affreux, c’est que c’est ma réplique, il a le même
caractère que moi. Un jour il me dit, il fait du ski, bon c’est une anecdote mais les débutants on leur met des
caoutchoucs aux skis pour ne pas qu’ils les croisent. Et je lui dis ben tiens je vais pouvoir aller skier avec toi, je
t’emmènerai. Il me dit : ah ce sera génial, je ne vais pas avoir de caoutchoucs à mes skis, je vais être libre. Je dis
merde, il a déjà cette conscience qu’il est entravé finalement. Et moi j’avais cette conscience quand j’étais petite.
J’avais cette conscience-là que j’étais assise dans une bagnole pendant 4 h et qu’on ne m’avait rien demandé.
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Parfois je mets mes mômes dans la voiture et je vois mon fils qui s’assoit derrière, il a un regard noir et une fois ça
m’est arrivé de lui dire tu sais un jour ça va s’arrêter, je te le promets, là je n’ai juste pas le choix, car moi je dois aller
là-bas et que tu ne sais pas conduire.
JÉRÔME COLIN : C’est dingue.
SYLVIE TESTUD : Et que tu es un enfant, mais un jour tu ne seras pas obligé de monter dans la voiture et de rester 5 h
assis à l’arrière. Donc il y a ce truc-là. Et je pense que j’ai vachement gardé de ça et que du coup je pense que j’ai
une inadéquation en fait avec ce qu’on attend de la maturité quelque part. Ca ne rentre pas bien. Le modèle
proposé, voilà, d’une femme de mon âge, c’est compliqué. A tous les âges en fait je me suis demandé si j’étais…
comment je fais parce que je ne me sens pas exactement comme ci… J’avais fait un premier court-métrage où
justement la nana se posait la question de elle, elle était quoi ? On lui imposait deux modèles.
JÉRÔME COLIN : Que vous avez réalisé.
SYLVIE TESTUD : Oui. Il y a 20 ans hein.
JÉRÔME COLIN : Qui s’appelle ?
SYLVIE TESTUD : « Je veux descendre ». C’est une idée qui m’est arrivée comme ça en allant au Conservatoire et en
assistant à un cours. Il y avait deux élèves qui jouaient une scène et puis le prof vient et il dit à la fille : il faut que tu
trouves ta féminité. C’était ringard à mourir mais bon. Il dit : tu vois il y a des grandes filles dures féminines, il y a les
Maryline Monroe et les Ava Gardner. Putain, j’étais assise dans la salle, je me suis dit ah lala, je suis quoi moi ? Je
suis Fifi Brindacier ? Ben merde. Donc j’avais écrit un court-métrage là-dessus, où la nana se posait la question. Je
la posais cette question déjà. Là quand je vois ce que j’ai écrit comme films, c’est toujours…ou peut-être que je suis
schizophrène complète, je ne m’en rends pas compte quoi, le premier bouquin que j’avais écrit c’était sur le cinéma,
c’est-à-dire c’est quoi le passage entre la nana qui est toute seule chez elle, le matin, les cheveux comme ça, hop qui
va arriver sur le tournage et qui va jouer un personnage. Donc c’était toujours à double fond.
JÉRÔME COLIN : C’était « Il n’y a pas beaucoup d’étoiles ce soir ».
SYLVIE TESTUD : Voilà, « Il n’y a pas beaucoup d’étoiles ce soir ». Ensuite j’en ai écrit un sur une nana qui est forte,
qui a une gueule grande comme ça, qui dit moi je suis bien violente et tout ça, qui flippe dès que la nuit tombe.
JÉRÔME COLIN : « Le ciel t’aidera ».
SYLVIE TESTUD : « Le ciel t’aidera ». Le troisième c’est sur l’enfance, c’est-à-dire « Gamines », sur l’enfance avec un
personnage absent, une gamine qui a construit un père sublime, fort… au milieu de gens qui sont modestes, Italiens,
enfin bon tout son contraire, qui d’un coup devient actrice. Donc pareil à une distorsion. Et mon film c’est édifiant.
La nana, elle se réveille, elle a oublié 15 ans de sa vie, elle est plutôt cool, elle se rend compte qu’elle est devenue
une grosse conne, donc elle s’est perdue.
JÉRÔME COLIN : C’est « La vie d’une autre ».
SYLVIE TESTUD : « La vie d’une autre ». Donc je pense que voilà c’est ça, je pense que oui, d’où je viens ? J’ai envie
d’évoluer dans ma vie. Voilà, on a envie de devenir…
Etre heureux je crois que ce n’est juste pas possible !
JÉRÔME COLIN : Et c’est possible d’être heureux quand justement on n’est pas dans la norme, que l’image d’une
femme de 40 ans ne vous convient pas, ce qu’on vous propose… Est-ce que c’est possible quand même d’être
heureux si on n’est pas dans ce moule ?
SYLVIE TESTUD : Oui parce qu’en fait, je vais citer Jean-Louis Trintignant, « t’as qu’à t’en foutre ! ». Il dit ça. T’as qu’à
t’en foutre.
JÉRÔME COLIN : Oui mais ce n’est pas facile. Il y a le regard des gens…
SYLVIE TESTUD : Ce n’est pas facile. Par moment on se dit oui mais je ne m’en fous pas tant que ça. Oui mais quand
même, t’as qu’à t’en foutre. Ce n’est pas de la méthode Coué non plus parce que ça ne marche pas non plus à tous
les coups mais il y a un côté où on peut se dire pfff je m’en fous en fait. Etre heureux je crois que ce n’est juste pas
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possible. Le jour où on est heureux mais il n’y a même plus besoin d’une personne en face pour nous faire
comprendre qu’on l’est, heureux. On ne le sait pas qu’on est heureux. Je ne sais pas si c’est très clair ce que je dis.
Moi je sais que je suis heureuse quand je vois ma sœur qui me dit ah c’était génial, purée tu vas là et puis elle a
raison, j’ai trop de la chance. Voilà. Mais toute seule, voilà, je ne sais pas si je serais super heureuse. Puis je crois
qu’être acteur aussi c’est quelque part c’est se dire, moi je pense, on a l’impression qu’on vit plus… - Funérailles
Michel, c’est super drôle parce que, pardon, je me permets, le film qu’on est en train de tourner, moi mon mari vend
des cercueils. Super drôle. Il fait faire une pub à Dave, c’est à crever de rire.
JÉRÔME COLIN : C’est vrai ?
SYLVIE TESTUD : C’est à crever de rire. Et oui, être acteur c’est aussi, c’est parce que quelque part je pense que tu
sens que tu as envie que les autres te regardent. Quand tu es seul chez toi t’es un peu mort. Je pense qu’il y a un
peu de ça. T’as un peu pas envie quoi. Je pense que c’est ça. Oui moi je pense que je suis obnubilée par comment
on existe l’un par rapport à l’autre. C’est compliqué. On en a besoin et en même temps on est contre, on n’est pas
d’accord.
JÉRÔME COLIN : Pas du tout.
SYLVIE TESTUD : Mais attention, tu vois, moi parfois je suis émue par nous, c’est-à-dire par l’humanité. Tu prends du
recul quand même, on est des petits bonshommes comme ça, on se donne du mal…
JÉRÔME COLIN : Oui, on galère.
SYLVIE TESTUD : On galère…
JÉRÔME COLIN : On y va.
SYLVIE TESTUD : On y va, on y va. On essaie. Allé hop on se prend des tsunamis, allé hop on tombe malade, allé hop
les gens qu’on aime meurent…
JÉRÔME COLIN : Oui mais on y va.
SYLVIE TESTUD : On est comme ça quoi. Les acteurs on est là pour retranscrire ça. C’est-à-dire que tout ce que je
viens de dire là, on galère, et tout ça, peut-être que nous on le ressent un tout petit peu plus fort, donc on se dit
tiens, je vais le dire. Voilà c’est ça notre boulot. Je crois hein. On y est parti sur des trucs hyper sombres.
JÉRÔME COLIN : Oui.
Mes plus beaux films : « Karnaval », « Stupeurs et tremblements » et « Sagan » !
JÉRÔME COLIN : C’est quoi les plus beaux films que vous avez faits ? Dont vous êtes la plus fière.
SYLVIE TESTUD : Ah ben je vais dire le premier parce que c’était mon premier film en France, « Karnaval », et donc ça
se passait à Dunkerque, et tiens d’ailleurs c’est une des premières fois où on n’a pas tourné en Belgique vraiment, on
est allé à La Panne, mais on n’a pas vraiment tourné, il y avait une équipe moitié belge, moitié française, c’était
génial. C’était un film formidable. D’ailleurs moi je ne pensais pas du tout que j’étais capable de défiler comme ça au
milieu de 10.000 personnes pendant le Carnaval au rythme des fifres et tout ça, et j’ai adoré ça. J’ai adoré ça.
D’ailleurs c’est un super beau film, je l’aime beaucoup. Et ensuite je dirais, c’est compliqué car en citer ça exclut les
autres j’ai l’impression.
JÉRÔME COLIN : Y’a toujours des amoureux qu’on a préférés.
SYLVIE TESTUD : Oui. Je dirais « Stupeurs et tremblements ». J’ai adoré faire ce film parce que j’ai adoré Alain
Corneau, oui c’était une expérience de dingue. Et je dirais « Sagan ».
JÉRÔME COLIN : Et « Sagan ».
SYLVIE TESTUD : Oui « Sagan ». Parce que « Sagan » à un moment donné, je me suis dit je ne vais pas y arriver,
j’avais super peur. Il y a toujours ça un peu hein, moi j’aime bien me faire peur aussi je crois. Mais de toute façon
c’est ce que j’ai dit à un journaliste, il m’a dit dites donc maintenant vous ? Je lui ai dit tu sais quoi, je cherche la
baffe je crois, comme les gamins, non maintenant tu n’y vas pas parce que ce n’est pas pour toi. Je cherche l’endroit
où je vais m’en prendre une. Mais « Sagan » par exemple il y avait de ça. J’avais peur, parce qu’elle n’était pas
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décédée depuis longtemps et je rencontrais tous ses potes ! A un moment je me suis dit tout le monde l’a
rencontrée sauf moi. Je me suis dit là je vais rater le truc, ils vont me huer. Et en fait quand j’ai vu le regard en fait
de ses potes qui étaient dans la salle, ils avaient passé 2 heures avec elle quoi. Ça m’a fait grrrrrrrrr. C’est très
mauvais pour l’ego.
SYLVIE TESTUD : Qu’est-ce qu’il y a ? On est arrivé ?
JÉRÔME COLIN : Non, on va changer les K7.
SYLVIE TESTUD : Ah ben c’est ma pause clope. Ça va ? On ne parle pas trop ?
JÉRÔME COLIN : On cause. En même temps on met plein d’extraits de vos films et tout…
SYLVIE TESTUD : Ah ça va.
JÉRÔME COLIN : Ca calme…
SYLVIE TESTUD : Au pire il faut le dire. Si on parle trop… Je ne sais pas pourquoi j’ai la tchatche.
L’expérience de la « Môme » m’a vachement plu !
SYLVIE TESTUD : On peut parler là ou pas ?
JÉRÔME COLIN : Bien sûr.
SYLVIE TESTUD : Mais tu sais, pour reprendre la question dont tu me parlais, tu sais quoi, moi je suis obnubilée en ce
moment, tu sais, je filme mes enfants régulièrement. A un moment j’ai essayé tous les jours mais ça me fait des
données beaucoup trop grandes, régulièrement je leur pose tout le temps la même question, parce que je voudrais
réussir un jour à faire sur 20 ans l’évolution humaine. Donc tu vois c’est bien ça qui taraude.
JÉRÔME COLIN : Comment on évolue.
SYLVIE TESTUD : Tu vois ? Et là déjà c’est édifiant parce que je les ai déjà sur 2 ans. En tout cas mon fils.
JÉRÔME COLIN : Et c’est déjà énorme.
SYLVIE TESTUD : Mais quoi, c’est dingue. Mais c’est dingue ! Mais tu vois ça doit être ça quand même qui
m’obnubile. Réellement. Chercher la vérité de nous. Nous en général, qui passe par moi évidemment puisque c’est
moi qui raconte.
JÉRÔME COLIN : C’est marrant parce qu’avec toutes ces questions vous parvenez quand même à ne pas être
angoissée, anxieuse. Vivre une vie. Ça ne vous gâche pas la vie.
SYLVIE TESTUD : Non.
JÉRÔME COLIN : Ça c’est bien.
SYLVIE TESTUD : Alors il y a des moments où je suis pfff découragée, des moments où je baisse les bras, c’est trop
dur.
JÉRÔME COLIN : Mais vous vous rendez compte que vous êtes complètement à part dans le cinéma, dans la grande
famille des actrices, ou pas ? Vous êtes juste la même que toutes les autres. Ou il y a quand même un truc qui vous
sépare.
SYLVIE TESTUD : Qui nous différencie plutôt. Heu… oui à force petit à petit je m’en rends compte, oui, on est
différentes mais alors, il y a des familles on va dire de personnes mais quand même moi j’ai, dans mes potes actrices
elles sont quand même toutes assez uniques quand même. Je n’ai pas l’impression d’être une exception du fait
d’être différente.
JÉRÔME COLIN : Mais quand vous jouez dans « La môme », avec Marion Cotillard, est-ce que vous voyez des
similitudes ou vous êtres deux femmes qui ne font pas le même métier, pas de la même façon ?...
SYLVIE TESTUD : Alors je ne me pose même pas la question. Je ne me suis même pas posé la question. Même pas.
A part ça, oui on est hyper différentes, on n’aborde pas du tout les choses de la même façon, mais on n’est pas
séparées. Je ne sais pas comment l’expliquer. Je comprends très bien sa démarche, je comprends très bien tout ce
qu’elle dit, comment elle joue, comment elle mène sa vie, puis d’ailleurs qui est quand même particulière parce que
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là maintenant ça a pris des proportions qui sont à la limite juste dantesques, mais voilà… Et j’imagine que, de toute
façon on s’entendait bien, de toute façon elle comprenait très bien aussi comment moi je vis ma vie. On a eu des
supers discussions, c’est une fille super hein. Mais oui on est très différentes.
JÉRÔME COLIN : Ça vous a plu de faire « La môme » ?
SYLVIE TESTUD : J’ai adoré, c’était super. C’était drôle. D’ailleurs moi j’ai fait assez peu de films gros budget donc tu
vois c’était une des premières fois où j’étais dans des très grands studios, tout était énorme.
JÉRÔME COLIN : On ne vous y engage pas ou vous les refusez ? Les grands films à grand budget ;
SYLVIE TESTUD : Non, non. Je ne les refuse pas. Après c’est des images qu’il y a. Les gens se disent
vraisemblablement, j’en sais rien je ne suis pas là quand ils disent tiens on va prendre elle et puis pas elle, on va le
proposer à elle et pas à elle, mais j’imagine qu’ils se disent que je ne suis pas assez wilde, pas assez, comment dire…
je ne sais pas. Je ne sais pas ce qu’ils se disent.
JÉRÔME COLIN : Vous vous en foutez.
SYLVIE TESTUD : Oui je m’en fous parce que je fais les trucs que j’ai envie de faire quand même donc voilà. Ce que je
n’ai pas eu je ne peux pas le regretter puisque que je ne l’ai pas eu. Et une fois qu’il est fait il est fait par quelqu’un
donc voilà. Mais c’était génial à faire, en tout cas l’expérience m’a vachement plu.
Je n’ai pas connu mon père et ça a toujours été anecdotique !
JÉRÔME COLIN : Vous disiez tout à l’heure au détour d’une phrase, je n’ai pas connu mon père… et la phrase
continue, est-ce que dans votre vie aujourd’hui c’est devenu un truc anecdotique parce que complètement assumé,
assimilé, la vie est comme ça ou c’est encore un truc important ?
SYLVIE TESTUD : Non, ça a toujours été anecdotique. Parce qu’en fait, ça paraît violent ce que je dis…
JÉRÔME COLIN : Non moi je ne trouve pas.
SYLVIE TESTUD : Mais en fait, en fait en gros ni je lui en veux, ni je ne lui en veux pas, ni il m’a menti, rien, parce que
c’est un peu comme quand on demande au sourd est-ce que la musique ne te manque pas ? Ils ne l’ont jamais
entendue. Et moi par exemple ça n’a jamais été un problème d’avoir été élevée par ma mère. En fait c’est à l’école
que c’est devenu… j’ai compris que c’était un problème, à la gueule en fait des instits, quand on remplit « profession
des parents », il y a père en premier lieu et mère en second. Et père je ne mettais rien parce que je ne savais pas,
donc il fallait faire un trait. Et souvent les enseignants me disaient « mais il fait quoi ? Tes parents sont divorcés ?
Oui. Et il fait quoi ? Je ne sais pas ». Et leurs yeux, enfin leur regard changeait. Un côté : ah, voilà un cas. Donc il y a
un côté on se dit oh merde, j’ai un problème. C’est les autres qui me le donnait le problème, moi j’en n’avais pas. En
revanche, ce qui était important pour moi quelque part c’était de savoir pourquoi je ressemblais ce à quoi je
ressemble.
JÉRÔME COLIN : Parce que vous étiez la seule blonde de la famille. C’est ça ?
SYLVIE TESTUD : Voilà. Je vous montrerais une photo des gens de ma famille, c’est hallucinant. Ils ont vraiment les
cheveux très noirs, ma mère elle a la peau brune.
JÉRÔME COLIN : Et est-ce que c’est vrai qu’un jour vous êtes sur une scène de théâtre et vous le voyez ?
SYLVIE TESTUD : Oui.
JÉRÔME COLIN : En fait vous ne connaissez pas son visage mais vous savez que c’est lui.
SYLVIE TESTUD : En fait j’avais quand même vu des photos, parce que ma mère s’était mariée, donc j’avais vu des
photos de lui et elle, et c’est vrai que j’avais volé une petite photo, que j’ai perdue quand j’ai eu fini d’écrire le livre,
et que j’ai retrouvée depuis, et bon voilà je joue au théâtre à Lyon, j’aurais pu m’en douter en même temps, j’ai pas
fait beaucoup de théâtre mais il se trouve que là je joue, et la salle était complète et il y avait les marches, avec les
petites lumières qui aident pour la sortie des gens, et là y’a un monsieur qui avait un pull vert d’eau, et mes yeux
tombent sur lui immédiatement quand j’arrive. Et moi je jouais une handicapée en fauteuil roulant et je sais, je me
dis mais c’est lui ! A l’instinct ! Je le regarde et je me dis mais c’est sûr que c’est lui. Alors que je n’y avais même pas
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penser. Je dis à l’acteur qui était en face, qui s’appelle Albert Delpy, je dis tu vas voir tout à l’heure, parce qu’on
sortait de scène, je dis regarde le monsieur, et lui aussi me regarde, et donc je l’ai appelé. J’ai appelé les
renseignements, j’ai demandé son nom, et voilà j’ai dit je voudrais le numéro de téléphone de ce monsieur. On m’a
donné le numéro. Ça a été d’un coup d’une simplicité hallucinante, j’aurais imaginé, on m’aurait raconté le scénario
que je tremblerais, quand j’ai pris le téléphone j’étais d’un calme… Mais comme quelqu’un finalement avec le recul
je me dis c’est le calme de l’assassin.
JÉRÔME COLIN : Vous aviez quel âge ?
SYLVIE TESTUD : J’avais 34 ans.
JÉRÔME COLIN : Ah oui.
SYLVIE TESTUD : Je dis : bonjour, c’est Sylvie Testud. Et j’ai entendu un monsieur qui avait un accent du Sud. Je
m’attendais à tout sauf à ça. La voix, c’est un truc qu’on n’imagine pas. Qui est très flou. On imagine des traits, on
imagine le caractère, on imagine une taille, on imagine une ambiance, un mec plutôt sombre ou plutôt sympa, enfin
bon, et là l’accent du Sud, un mec ensoleillé quoi. Je dis oh… Et donc, et ce qui m’a le plus frappé c’est qu’il me dit :
est-ce que vous voulez qu’on se voit ? Et moi je dis oui. Et je pensais qu’il allait me donner rendez-vous le
lendemain. Qu’il serait hyper content. Et il m’a donné rendez-vous pendant 3 jours.
JÉRÔME COLIN : Comment ça donner rendez-vous pendant 3 jours ?
SYLVIE TESTUD : Ben par exemple on était le mardi puis il m’a donné rendez-vous le vendredi.
JÉRÔME COLIN : C’est ça.
SYLVIE TESTUD : Pas le mercredi.
JÉRÔME COLIN : Pas encore ultra pressé.
SYLVIE TESTUD : Ah non.
JÉRÔME COLIN : Et vous y êtes allée.
SYLVIE TESTUD : Oui j’y suis allée.
JÉRÔME COLIN : Et ?
SYLVIE TESTUD : Et il m’a vachement plu. J’ai vu un monsieur… Ce qui était très étrange au départ, oui effectivement
je lui ressemble beaucoup, mais c’était, on se regardait tous les deux mais comme des animaux étranges. Parce que
je voyais bien qu’il voyait que je lui ressemblais. Mais tout ! C’était hallucinant. La forme des yeux, la couleur des
yeux, les cheveux, j’ai un épi là, il a le même, des trucs de dingue quoi. Et voilà. En fait en même temps c’était
compliqué parce que ce qu’on raconte à quelqu’un qu’on ne connaît pas ce n’est pas son intimité. C’est ce qu’on fait
dans la vie… Mais lui il savait tout. Ma vie publique il la connaissait.
JÉRÔME COLIN : Il vous avait suivie.
SYLVIE TESTUD : Donc je ne pouvais pas me présenter. Et je ne peux pas entrer dans l’intimité comme ça en trois
minutes, je ne peux pas balancer ma vie en trois minutes. Donc voilà. Ce qui était assez joli c’est qu’on a eu tous les
deux la politesse d’être de bonne humeur. Il était très souriant, alors que j’imagine qu’à l’intérieur il tremblait. Et
moi je ne savais pas comment faire pour ne pas tomber dans le truc un peu revanchard, un peu…on a abandonné 3
gamines !
JÉRÔME COLIN : Mais il vous a plu.
SYLVIE TESTUD : Oui.
JÉRÔME COLIN : Mais vous ne l’avez pas revu.
SYLVIE TESTUD : Eh non. Et moi j’étais persuadée, sans le connaître, c’était un peu le point de désaccord qu’on a
toujours avec mes deux sœurs, en fait il n’a jamais essayé d’appeler pour voir ses enfants, il voulait voir leur mère.
En fait nous on a été un mur qui s’est érigé entre un homme et une femme qui s’aimaient vachement mais ce n’est
pas nous qui l’intéressions. Le mec il s’est barré parce qu’à 22 ans il s’est retrouvé avec 3 gamines, il était trop jeune
pour ça, il ne pouvait pas l’assumer, il les avait comme ça (en travers de la gorge). Donc voilà. Effectivement quand
on était toutes les trois, j’avais l’impression à un moment qu’on était trois petites cochonnes, trois petits cochons
devant lui… t’as vu ? T’as trois filles. C’était affreux, j’avais l’impression que c’était une torture pour lui.
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JÉRÔME COLIN : Vous avez dit à votre mec : si tu me fais le coup je te tue ? Avant de faire des enfants avec lui ?
SYLVIE TESTUD : Non ! Mais moi je suis… alors voilà on revient dans le toqué, c’est-à-dire que moi je me suis rendue
compte que j’étais enceinte ça faisait déjà un petit moment. Faut dire l’organisation de la fille ! D’ailleurs une fois
mon mec m’a dit : au niveau femme t’es zéro. Parce que je ne fais jamais ce qu’il faut au bon moment, bref. Et donc
je m’en suis rendue compte tard, et quand j’ai fait l’échographie il y avait déjà un bébé qui dormait dans mon
ventre ; Je l’ai hyper mal pris. Mais hyper mal pris.
JÉRÔME COLIN : C’est vrai ?
SYLVIE TESTUD : Ah oui. Je me suis dit : mais en fait moi je suis avec ce mec parce que je l’aime, je l’adore, mais
maintenant, avec un enfant, il ne sortira plus jamais de ma vie. Donc je ne peux plus changer de vie si je veux. C’est
pire que le mariage, parce qu’on peut divorcer ! C’est pire que d’acheter un appartement, parce qu’on peut le
revendre. Mais qu’est-ce qu’on fait avec le père de son enfant ? On ne peut pas le zigouiller. Si d’aventure on ne
s’entend plus ? Je me suis dit mais c’est le truc le pire qu’on pouvait me faire, me coller un gosse ! Je l’ai pris
comme ça au début. Aujourd’hui je le remercie parce que je ne savais pas que j’adorerais ça à ce point et je me suis
réveillée un peu tard. Donc c’est bien. En fait finalement moi la vie elle m’a proposé des choses tout le temps. C’est
tout le temps la vie qui m’a proposé des trucs.
JÉRÔME COLIN : Ce n’est pas vous.
SYLVIE TESTUD : Non. J’ai l’impression que tout ce que j’ai décidé moi quand je me suis dit tiens, je vais faire ça, et
bien je ne l’ai pas fait.
JÉRÔME COLIN : Bienvenue au club.
SYLVIE TESTUD : Et voilà. Et bien voilà. Alors que j’ai mis tellement d’ardeur à faire ce qu’on m’a proposé de faire.
Par exemple d’écrire. Moi j’écrivais des conneries comme ça pour mes potes et c’est une éditrice qui un jour a lu ce
que j’écrivais et m’a dit si tu développes je t’édite. Alors là… je suis tombée dedans et ça m’a plu. Donc je continue.
Ce n’est pas moi qui me suis dit tiens, je vais écrire un livre ! C’est dingue.
SYLVIE TESTUD : Mais d’ailleurs sur le père c’était drôle parce que quand le livre est sorti, donc il a assez bien
marché, je recevais mais vraiment des tas de lettres, carrément dans les sacs de la poste, de gens qui me disaient
que c’était leur vie. D’ailleurs je suis sur les réseaux sociaux, et ça arrive régulièrement alors que le livre est sorti
avant, que quelqu’un me dise ah, « Gamines » c’est exactement ma vie. C’est drôle quand même. Les gens sur les
autres bouquins me disent ah j’aime ou je n’aime pas, ça m’a plu, ça m’a fait super marrer ou pas, parce que j’écris
des conneries et sur « Gamines » ils me disaient : c’est exactement ma vie.
JÉRÔME COLIN : Ça touche à quelque chose de tellement essentiel en même temps.
SYLVIE TESTUD : Voilà. Et on ne peut pas en vouloir à deux adultes de se désaimer. De s’aimer et de ne plus s’aimer.
Bref, je lui envoie le bouquin quand il sort, je lui écris un petit mot en disant voilà, j’espère que vous ne prendrez pas
ombrage, je voudrais vraiment vous respecter. Il ne m’a jamais répondu. Mais jamais ! Il s’en fout comme de l’an
40. Salut quoi ! De toute façon même moi je n’avais pas de place. Je veux dire c’est un nouveau monsieur, il ne
pouvait pas devenir d’un coup mon père, c’était impossible. En plus moi pendant toute l’enfance j’ai créé un
personnage.
JÉRÔME COLIN : Il ne peut pas être à la hauteur.
SYLVIE TESTUD : Non mais surtout il ne peut pas prendre sa place. Sinon c’est qui l’autre ?
JÉRÔME COLIN : C’est dingue.
J’ai toujours le trac !
JÉRÔME COLIN : Vous avez des rêves d’actrice aujourd’hui ?
SYLVIE TESTUD : J’en ai plein, ils ne sont pas précis. Je ne me dis pas tiens je veux tourner tel personnage dans telle
condition. J’en ai encore plein. Oui. J’en ai plein.
JÉRÔME COLIN : Vous avez l’impression que c’est quelque chose qui ne va jamais fléchir. Que c’est à la mort.
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SYLVIE TESTUD : Ben oui parce qu’en fait on évolue. Je suis en train d’évoluer, voilà, de vieillir, et du coup je vais
explorer toujours des nouvelles choses. Je pense. Oui peut-être qu’un jour j’en aurai marre et je me dirai ça va, me
tirer du lit à 6h du mat, c’est bon. C’est bien possible. Tourner toute la nuit ! Ça va. Peut-être hein.
JÉRÔME COLIN : Oui peut-être.
SYLVIE TESTUD : Pour l’instant ça ne me paraît pas super envisageable. Mais bon. J’ai eu des moments où je me suis
dit tiens, je suis fatiguée, là je ne tourne pas. Parce que je me sentais fatiguée, parfois on se sent vide aussi. Il faut
vivre aussi. On peut ne pas être tout le temps en train de balancer les choses, mais pas d’arrêter.
JÉRÔME COLIN : Vous avez vécu des grands moments dans votre métier ? Des moments où pour une fois tout se met
en place, on ne touche plus le sol et on est bien. Est-ce que ça vous est arrivé dans votre métier ?
SYLVIE TESTUD : Oui. Ça m’est arrivé. Ça m’est arrivé, quand vous finissez un film, il y a eu la projection et que vous
voyez les gens dans la salle qui sont super contents, qui applaudissent à mort, qui se lèvent, vous vous retournez,
vous voyez la tête du réalisateur, vous avez l’impression d’être un ange. Il vous regarde, vous êtes en même temps
son film parce que vous en êtes l’incarnation et de voir le sourire dans les yeux, d’un réalisateur, c’est juste dinguo !
Oui ça m’est arrivé plusieurs fois, heureusement.
JÉRÔME COLIN : Y’a des gens à qui ça n’arrive jamais hein, dans le métier.
SYLVIE TESTUD : C’est affreux.
JÉRÔME COLIN : La plupart des gens.
SYLVIE TESTUD : Ah bon ?
JÉRÔME COLIN : La plupart des gens, ils ne font pas des métiers où…
SYLVIE TESTUD : Ah oui, non chez les acteurs ça leur arrive.
JÉRÔME COLIN : A un moment tout se met en place et on est bien.
SYLVIE TESTUD : Bien sûr. Mais chez les acteurs ça doit arriver quand même.
JÉRÔME COLIN : J’espère pour eux.
SYLVIE TESTUD : Sinon c’est la dep quoi. La dépression. Ah ça c’est magique, c’est des moments… on pourrait courir
10 kms en talons aiguille, un truc de fou… C’est merveilleux.
JÉRÔME COLIN : Ça vous arrive d’être fière de vous ? De ce que vous avez fait ? Ou ce n’est pas un truc qui existe
chez vous ?
SYLVIE TESTUD : Non, y’a des moments où j’ai été fière.
JÉRÔME COLIN : Genre ?
SYLVIE TESTUD : Genre… A ben voilà, j’ai un souvenir très précis, la première fois qu’on m’a proposé de jouer avec
Gérard Depardieu, il m’impressionnait à mort, j’avais envie de crever tellement j’avais peur.
JÉRÔME COLIN : C’était dans quoi ?
SYLVIE TESTUD : C’était un film qui n’est d’ailleurs pas hyper réussi, pardon hein, mais… qui s’appelle « Aime ton
père », donc c’était avec Gérard Depardieu et Guillaume Depardieu, en gros moi je joue Julie hein…
JÉRÔME COLIN : C’est ça oui.
SYLVIE TESTUD : D’ailleurs je l’avais rencontrée à l’occasion, je lui dis : ça ne t’emmerde pas si… Et en fait j’avais
super peur. Et donc la première scène qui se passe, il est à 20 cm de moi, et je me dis je ne peux pas parler, je vais
crever tellement j’ai peur. J’ai fait ma scène et il a souri un petit peu. Putain ! Je me suis dit : yes je suis une
actrice ! En fait j’étais tellement en stress, j’avais peur ! J’avais super peur. Je crois que c’est lui qui m’a fait le plus
peur alors qu’il est hyper gentil. Il a été hyper drôle et tout… Mais il m’impressionnait beaucoup.
JÉRÔME COLIN : Ben oui.
SYLVIE TESTUD : J’avais quoi ? 27 ans, 28 ans ?
JÉRÔME COLIN : Il y en a encore qui vous impressionnent aujourd’hui ?
SYLVIE TESTUD : Ah oui.
JÉRÔME COLIN : Des partenaires de jeu…
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SYLVIE TESTUD : Oui. Je pense que… Tourner avec Jean-Louis Trintignant par exemple ça peut me faire flipper. Oui il
y en a. Mais souvent…
JÉRÔME COLIN : Qui d’autre ?
SYLVIE TESTUD : De toute façon moi je suis une traqueuse à la base. Donc de toute façon j’ai quand même le trac,
quel que soit l’acteur ou le nombre de films qu’il ait fait ou l’admiration que je peux avoir pour lui, mais c’est vrai
qu’il y a des gens qui sont vraiment super impressionnants. Je cherche un exemple…
JÉRÔME COLIN : Depardieu et Trintignant c’est bien déjà.
SYLVIE TESTUD : Il doit y en avoir des plus jeunes qui m’impressionneraient. Oui c’est impressionnant de toute façon,
sitôt que vous avez un peu d’admiration pour la personne qui est en face… En plus ce qui est difficile, démarrer c’est
toujours assez joli parce que de toute façon vous ne pouvez pas décevoir parce que personne n’attend rien de vous.
C’est continuer qui est compliqué. Parce que vous voyez bien, même là moi en réalisant mon film…
JÉRÔME COLIN : Ça pèse les deux César ?
SYLVIE TESTUD : Non. Ce n’est pas spécialement les deux César, c’est la longévité qui pèse. Par exemple, sur moi
mon long-métrage que j’ai réalisé moi, j’ai eu des bonnes critiques mais j’en ai eu aussi des pas supers. Dont une où
c’était écrit : de sa part à elle on s’attendait à mieux. C’est exactement ça ! Cela aurait été une inconnue peut-être
qu’il aurait aimé. Mais de ma part à moi, il s’était fait une image de moi qu’il attendait autre chose. Voilà. Ça ne m’a
pas du tout blessée. Il se trouve que j’ai lu celle-là et je me suis dit, je n’ai pas de tort là-dessus. De démarrer…
Quelqu’un qui démarre, d’ailleurs c’est l’arrogance des ados, ils sont bourrés de certitudes, et après finalement on
dit tiens finalement celle-là de certitude tu vas la faire mettre de côté, je vais mettre une petite faille et on continue.
JÉRÔME COLIN : Bon ben je vous remercie.
SYLVIE TESTUD : Ca y est ? On est arrivé ?
JÉRÔME COLIN : Oui.
SYLVIE TESTUD : Je ne vois pas mon hôtel. Put…
JÉRÔME COLIN : Il faut se retourner ma p’tite dame.
SYLVIE TESTUD : On est arrivé, ça y est. Je ne l’avais pas vu. Bon ben merci hein.
JÉRÔME COLIN : Avec plaisir.
SYLVIE TESTUD : Allé, on a bien discuté.
JÉRÔME COLIN : Oui, carrément.
SYLVIE TESTUD : Je vois que vous avez « Les 3 petits cochons », très bien, merveilleux.
JÉRÔME COLIN : Il faut toujours les avoir sur soi.
SYLVIE TESTUD : Merci. Je la claque fort ! Ah !
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