À Propos de l`Atlantique Nord (1ère partie)
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À Propos de l`Atlantique Nord (1ère partie)
À PROPOS DE L’ATLANTIQUE NORD (1ère partie) À peine une dizaine de jours s’est-elle écoulée depuis la réalisation de sa dernière boucle supersonique que Daniel Costes est en passe de repartir aux commandes de Concorde, cette fois-ci à destination de New-York. Pour cette rotation effectuée sur F-BVFA, il fait équipe avec le CDB Manchon et l’OMN Dronne. Le départ est prévu à 10h30 heure française et CCD est censé se poser à l’aéroport de Kennedy 3h45 plus tard, là où un long-courrier traditionnel mettrait environ 8h à faire le même trajet. Sauf imprévu, l’atterrissage se fera donc à 8h15 heure d’été sur cette partie de la côte Est des Etats-Unis (voir note 1 à la fin du récit). La ligne reliant Paris à New-York et exploitée par Concorde ayant toujours été emblématique au sein de notre compagnie nationale, le numéro de vol qui lui avait été attribué par le passé a longtemps été AF001 (le vol retour depuis JFK portait en contrepartie le numéro AF002) jusqu’au jour où Air France décida d’harmoniser ses numérotations en attribuant exclusivement les numéros pairs à tous ses vols au départ de notre capitale et par voie de conséquence les numéros impairs à tous ceux y revenant. Nous voici donc pour cette raison, aujourd’hui lundi 26 mai 2003, en compagnie de l’équipage technique du vol d’indicatif AF002 en partance pour « La Grande Pomme ». Il est 06h04 GMT et le plan de vol vient d’être transmis par Air France aux autorités ATC (cf. figure suivante). Plan de vol ATC du Concorde F-BVFA en date du 26 mai 2003 (Source : Air France). Comme d’habitude, le déchiffrage de ce FPL texte est riche d’enseignements, tant au sujet du vol qui va bientôt se dérouler qu’au niveau de la découverte du parcours emprunté par l’avion. L’étude détaillée des items qui le composent permet en particulier de se rendre compte qu’un vol trans-océanique du type de celui qui va prendre place dans un peu plus de deux heures fait intervenir quantité d’acteurs autres que l’équipage technique présent dans le poste de pilotage. Cette synergie d’intervenants oeuvrant avec le même objectif de parfaite réalisation du vol se retrouve ainsi dès les premières lignes du document. Les premiers termes du texte indiquent comme on pouvait s’y attendre les adresses SITA des destinataires du message, adresses à 7 caractères dont les 3 premiers correspondent tout simplement au code IATA de l’aéroport ou de la région concernée. Pour ceux et celles d’entre vous qui sont fâchés avec les abréviations, sachez que SITA signifie Société Internationale de Télécommunications Aéronautiques (voir note 2 en fin de récit) et IATA International Aviation Transport Association, en français 1 AITA, c’est-à-dire Association Internationale du Transport Aérien. Concernant notre plan de vol, nous trouvons donc successivement les cinq « récipiendaires » suivants : - PAREP7X = centre Eurocontrol de gestion du trafic aérien implanté dans la région de Paris (à Brétigny sur Orge près d’Orly pour ceux parmi vous qui comme moi aiment toujours tout savoir) ; - BRUEP7X = centre Eurocontrol de gestion du trafic implanté pour sa part dans la région de Bruxelles et qui se partage le travail avec PAREP7X (la géographie belge ne m’intéressant pas outre-mesure, je n’ai pas retenu le nom exact du site d’implantation, vous ne m’en voudrez pas j’espère ?); - JFKKLAF = escale Air France de l’aéroport Kennedy à New-York ; - JFKOWLX = a priori escale de la compagnie Swiss (ex Swissair) à JFK mais j’avoue que je ne vois pas pour quelle raison elle serait censée être destinataire du message ; en tout cas, si l’un d’entre vous possède la réponse, sachez que je suis preneur ; - TLSMDAF = centre Air France de traitement des données de vol de la compagnie et qui est implanté à Toulouse. La ligne suivante indique l’adresse SITA de l’émetteur du message, en l’occurrence le siège d’Air France situé dans les locaux de Roissy. Viennent ensuite le jour du mois ainsi que l’heure GMT d’émission (JourHeureMinute), suivis par le numéro de référence du plan de vol. Le mois et l’année sont mentionnés en fin de ligne, de même que la transition demandée pour la dernière partie du vol, à savoir entre le point de sortie de l’espace océanique et l’arrivée à New-York (ici, il s’agit de la transition SM2A, cf. explications plus loin). Ces trois lignes précédées du préfixe AD (pour Adressees et non pour Aerodromes, cf. doc. OACI n° 4444) indiquent les codes AFTN des nombreux autres destinataires du message. AFTN signifie Aeronautical Fixed Telegraphy Network, soit l’équivalent du français RSFTA = Réseau du Service Fixe des Télécommunications Aéronautiques vous savez, ces adresses qui figurent depuis quelque temps sur certaines de nos cartes VAC et que nous n’utilisons jamais (grand bien nous en fasse d’ailleurs !) lorsque nous déposons un plan de vol (voir note 3 en fin de récit). Bref, comme vous avez certainement déjà eu l’occasion de vous en rendre compte, elles sont codées exclusivement en 8 caractères et les 4 premiers d’entre eux correspondent comme précédemment au code de l’aéroport ou de la région de transit (il s’agit par contre cette fois-ci du code OACI et non plus du code IATA). Les 4 lettres suivantes désignent pour leur part le type de service rendu par l’organisme en question (cf. note 4 en fin de récit). Pour notre vol, on trouve ainsi les intervenants suivants : - LFPGZPZX et YEYX = bureau de piste et centre de gestion des vols de Roissy ; - LFFFZQZX = centre de gestion du contrôle aérien de l’UIR France ; - EGTTZQZX, ZRZX et ZQZF = centres de contrôle et de gestion de l’UIR Londres ; - EGGXZOZX = centre de contrôle de l’espace océanique de Shanwick, qui gère le trafic aérien en route du côté européen de l’Atlantique Nord. Shanwick n’est pas un 2 lieu en soi mais provient simplement de la contraction de Shannon en Irlande et de Prestwick en Écosse, dont les centres se partagent le travail à l’instar chez nous de PAREP et de BRUEP. Qui sait d’ailleurs à ce sujet si nous ne ferons pas un jour concurrence à nos voisins grands-bretons en utilisant à notre tour un vocable similaire au leur car la CEE ayant débuté dans le passé avec le Benelux, Eurocontrol pourrait bien poursuivre bientôt avec un Paribrux (ben quoi, on a bien déjà le Paris-Brest !) ; - CZQXZOZX = centre de contrôle océanique de Gander (Terre-Neuve), qui remplit les mêmes fonctions que Shanwick mais sur le Nouveau continent (pas si nouveau que cela maintenant j’en conviens, donc appellation purement rhétorique de ma part) ; - CZQMZQZX = centre de contrôle canadien de Moncton ; - KZNYZOZX = centre de contrôle de la région océanique de New-York ; - KZNYZRZX = centre de contrôle régional de New-York (ARTCC); - KZBWZQZX = centre de gestion du contrôle aérien de Boston (Massachusetts); - KJFKZTZX = tour de contrôle de l’aéroport JFK ; - KEWRZTZX = tour de contrôle de l’aéroport de Newark également situé à New-York et qui est prévu comme terrain de dégagement plus loin sur le FPL. Après la parenthèse qui indique le début du corps du message et l’en-tête qui rappelle que son contenu est un plan de vol de type « filed » (cf. note 5 en fin de récit), nous trouvons le codage du numéro de vol (AFR002 en codage OACI = AF002 en codage IATA). Le I signifie ensuite qu’il s’agit d’un plan de vol IFR et le S que c’est un service régulier (Scheduled). Suivent à la ligne la dénomination OACI de l’aéronef, le H de Heavy (catégorie de turbulence de sillage) puis le détail de l’équipement COM-NAV dont l’appareil est équipé (sans entrer dans des explications poussées, on y trouve par exemple I pour INS, W pour homologation RVSM = réduction des séparations verticales, Y pour espacements à 8,33 KHz et X pour homologation de l’appareil à voler en espace MNPS). La dernière lettre après le slash indique le mode de fonctionnement du transpondeur, c’est-à-dire ici le mode S qui sera d’ailleurs très prochainement rendu obligatoire pour nos avions de tourisme évoluant en espace aérien contrôlé, comme c’est déjà le cas depuis belle lurette pour nos « grands-frères » liners. Pour l’instant, nous autres pilotes privés nous contentons du mode C mais plus pour très longtemps étant donné qu’il semble que nous représentions pour les autorités une sorte de « péril aviaire » d’un genre qu’il faille définitivement éradiquer. ne nécessite pour sa part aucun commentaire superflu si ce n’est que si vous ne voyez pas de quoi il s’agit, vous êtes bon pour repartir à la case départ (non de l’article mais de votre formation) et qui plus est sans toucher 20 000 francs ! (joke mais cf. néanmoins note 6 à la fin du récit). Nous retrouvons en guise d’en-tête de cette rubrique les limitations du palier subsonique départ déjà entrevues lors de la réalisation de notre boucle du 17 mai, c’est-à-dire vitesse 530 kt et niveau de vol 280. Après le C stipulant qu’il s’agira d’une croisière ascendante, le descriptif de la route fait mention du traditionnel passage par le VOR d’Evreux suivi d’une accélération à Mach 2.00 3 pour un vol entre les FL 310 et FL 600. C’est la transition SL4 qui permettra de rejoindre le point d’entrée océanique situé au 015°W et Concorde poursuivra sa croisière à Mach 2.00 au dessus de l’Atlantique Nord sur le track Sierra Mike, cette fois-ci entre les niveaux 450 et 600. À partir du 067°W, la transition SM2A mènera l’avion jusqu’au point Cameron (CAMRN) situé à une quarantaine de NM au sud de l’aéroport JFK et où il débutera son approche. Arrivée estimée à la verticale de la balise d’approche de Kennedy Airport après 3h35 de vol bien remplies (d’après certains pilotes Concorde, ces heures mériteraient d’ailleurs d’être comptabilisées au quadruple de leur valeur réelle sur les carnets de vol, car qui dit avion au minimum 2 fois plus rapide et charge de travail au bas mot multipliée par 2 dit au final au moins 4 fois plus de fatigue !). Le code OACI mentionné à la suite indique que l’aéroport de dégagement prévu est Newark mais ce n’est pas parce qu’il figure au plan de vol ATC que cela signifie qu’il sera obligatoirement retenu par l’équipage qui reste bien entendu libre lors de sa préparation d’en choisir un autre. En effet, à l’heure de dépôt du FPL, les pilotes viennent juste d’arriver à la PPV et n’ont pas encore reçu de briefing météo ni arrêté par conséquent de choix définitif quant à l’aéroport éventuel de repli. Du coup, c’est le premier AD (comprendre le plus proche) figurant sur la liste des dégagements possibles retenus par la compagnie qui est automatiquement inscrit sur la demande. = Immatriculation (Registration) et indicatif Selcal de l’aéronef. Les temps partiels estimés en route permettent pour terminer aux organismes concernés de se faire une idée précise du déroulement du vol et des heures de prise en charge successive de l’avion par les différents centres de contrôle. Entrée dans l’UIR Londres après 29 minutes de vol, entrée dans l’espace océanique géré par Shanwick 16 minutes plus tard puis transfert à l’espace aérien atlantique géré par Gander au bout d’1h29 (laps de temps qui peut sembler un peu court bien qu’à bord de Concorde mais il faut savoir que cela correspond dans la réalité au passage du méridien 030°W, c’est-à-dire celui situé à un peu moins de la moitié de la traversée, cf. note 7 en fin de récit). Le transfert à l’espace géré par Moncton interviendra quant à lui après 2h27 de vol. Le terme ATFM de la rubrique STS (cf. note 8 en fin de récit) ne signifie pas comme on pourrait être porté à le croire de prime abord « Atlantic Tracks Flight quelque chose » mais tout simplement Air Traffic Flow Management (gestion des courants de trafic). L’ATFM est en pratique une sorte d’organisme destinataire dans presque tous les cas des plans de vol déposés par les compagnies aériennes et à partir desquels il génère des histogrammes de flux. Une de ses fonctions principales est également de détecter par avance à partir des données figurant dans les FPL qu’il reçoit les conflits éventuels entre aéronefs qui pourraient survenir en vol. En ce qui nous concerne, l’exempt(ion) approved à ce sujet veut dire que CCD est dispensé de contribuer à enrichir les données de ce service (ça semble d’ailleurs logique étant donné le peu de vols effectués par jour par la machine ainsi que le fait qu’une route exclusive lui est dédiée, route qui de surcroît est à sens unique!). La rubrique Remarks (terminée par une parenthèse signifiant « fin du corps de message ») ainsi que Date of flight n’appelant aucun commentaire particulier depuis que vous savez tout ou presque de la boucle supersonique, il est plus que temps maintenant d’approfondir nos connaissances vis-à-vis de ces fameuses routes et transitions évoquées succinctement dans les lignes précédentes et qui vont être empruntées par le diamant blanc lors de sa traversée. 4 Au sein du réseau des routes organisées de l’Atlantique Nord (réseau OTS pour Organized Track System), Concorde bénéficie d’un privilège particulier qui est de disposer de façon exclusive (excusez du peu !) de 3 routes parallèles spécifiques appelées respectivement Sierra Mike, Sierra Novembre et Sierra Oscar (cf. fig. suivante et note 9 en fin de récit). Ces routes, qui sont situées au sud de celles empruntées par les avions subsoniques pour la traversée en direction des USA, présentent l’avantage d’être fixes à la fois dans l’espace et dans le temps contrairement aux autres tracks Atlantique qui sont modifiés journellement. La route la plus septentrionale (SM) est utilisée dans le sens est–ouest et la route médiane (SN) dans le sens opposé, ce qui est d’ailleurs rappelé par des flèches unidirectionnelles sur la carte 55 SSC utilisée par les équipages pour la partie océanique du vol. Les 3 routes océaniques Atlantique Nord spécifiques à Concorde vues sous Google Earth. La route la plus au sud (SO) fait quant à elle figure d’itinéraire de délestage (et oui, les encombrements qui règnent parfois dans notre ciel font que le transport aérien a lui aussi mis en place son « bison futé » !). Elle peut être utilisée dans les 2 sens, c’est-à-dire aussi bien par un vol Westbound qu’un vol Eastbound et c’est pour cette raison qu’aucune flèche de direction ne lui a été attribuée et que les valeurs de Rv départ orthodromique figurent sur la carte au passage de chaque méridien des 2 côtés (cf. extrait suivant). 5 Route Westbound à sens unique (Rv départ ortho dans le sens du trajet tous les 10° de longitude) Route Eastbound à sens unique Route de délestage à double sens les Rv départ orthodromiques sont mentionnées aussi bien vers l’est que vers l’ouest Extrait de la carte 55 SSC (Source : Air France) Aucun vol n’est jamais préparé sur la route Sierra Oscar et au départ de Paris, le plan de vol est toujours déposé sur le track SM. C’est l’ATCC de Londres qui affecte éventuellement au Concorde d’Air France la route sud afin de résoudre un conflit potentiel pouvant survenir sur la route normale, par exemple lorsque le vol de la British Airways parti de Londres en retard fait que les deux avions risquent de se retrouver insuffisamment espacés au franchissement du 015°W. Non seulement dans pareil cas le délestage de l’avion d’Air France se retrouve t-il augmenté de 2,4 T, ce qui est loin d’être négligeable, mais l’inconvénient majeur subi par les équipages lors d’un re-routage par SO reste néanmoins le peu de temps (6 à 8 minutes) dont ils disposent pour introduire les coordonnées des nouveaux WPTs dans leurs centrales inertielles. Avant de nous intéresser également aux transitions qui permettent de rejoindre ces 3 routes, observons pour terminer que contrairement aux tracks subsoniques qui sont toujours espacés entre eux de 60 NM (1° de latitude), les itinéraires SM, SN et SO sont pour leur part distants les uns des autres d’une valeur légèrement supérieure qui varie de 64 NM au niveau du 030°W à 69 NM au niveau du méridien 050°W. Une des raisons explicatives en est qu’en cas de demi-tour forcé exécuté à vitesse de croisière, la réalisation d’un virage de 180° de secteur par Concorde nécessite justement un diamètre de 60 NM et qu’on est ainsi sûr avec un espacement latéral supérieur d’être protégé d’un conflit éventuel avec un autre trafic arrivant en sens opposé (voir note 10 en fin de récit). Observons maintenant attentivement les différents itinéraires de rejointe et de sortie des 3 routes océaniques utilisées par Concorde, en commençant par le côté européen (cf. figure suivante). 015°W 008°W SL2 SL2 Route Sierra Mike (SM) SL4 LONDRES SL3 – SL5 SL3 Route Sierra Novembre SL1 (SN) SL5 SL4 SL7 Route Sierra Oscar PARIS SL1 SL1 (SO) SL7 SL1 012°W trajet normal Westbound trajet normal Eastbound 6 délestage Westbound délestage Eastbound Organisation générale des transitions Atlantique Concorde côté européen. Une seule et unique transition départ ayant été implémentée à partir de Londres pour les Concorde de la BA (la transition SL2), ce sont par voie de conséquence uniquement les avions d’Air France qui peuvent être contraints de quitter l’itinéraire SL4 cheminant dans La Manche pour emprunter la transition SL1 permettant de rejoindre la route SO (point discuté précédemment). En provenance maintenant des Etats-Unis sur le track SN, les avions de British Airways empruntent généralement pour rallier Heathrow la transition SL3 et ceux d’Air France la SL7 menant à Paris (cf. article sur la boucle supersonique). Notons que dans certaines conditions de trafic, les Concorde anglais peuvent également être amenés à emprunter l’enchaînement SL7-SL1 situé plus au sud que la transition normale. En cas d’utilisation de la route de délestage, ce sont les transitions SL1 ou SL5 qui permettent de rallier la capitale anglaise et l’enchaînement SL1-SL7 notre propre capitale. Côté Etats-Unis, il faut savoir que la numérotation des transitions ne suit pas, au contraire de ce qui se fait chez nous, la règle de la semi-circulaire. En effet, pour distinguer les transitions départ de celles d’arrivée, les américains préfèrent jouer sur l’affectation des numéros en tant que préfixe ou alors de suffixe. Ainsi, les transitions dont le numéro vient après celui du track atlantique (par exemple SM1 ou SM2) correspondent à celles d’arrivée et les transitions dont le numéro vient avant (par exemple 1SN ou 2SN) correspondent par opposition à celles de départ (cf. figure suivante). 067°W 065°W 060°W Route Sierra Mike SM1 (SM) NEW - YORK 1SN + 2SO SM2 1SN Route Sierra Novembre (SN) SM2A 2SN 2SO 1SO 1SO SO4 SO4 Route Sierra Oscar (SO) LINND itinéraires d’arrivée itinéraire d’arrivée depuis le délestage itinéraires de départ vers le délestage itinéraires de départ Organisation générale des transitions Atlantique Concorde côté américain. Parmi les 3 itinéraires reliant la route SM à JFK, la transition SM1, bien que plus courte de près de 100 NM est la plus pénalisante car elle arrive très tôt au dessus du continent et oblige Concorde à réaliser un palier subsonique conséquent. L’itinéraire préférentiel est le SM2, luimême un peu plus court d’une vingtaine de NM que la transition SM2A. Cet itinéraire est néanmoins affublé d’un inconvénient majeur qui est sa relative proximité d’avec les côtes, ce qui oblige parfois les équipages à jongler entre paramètres machine, respect scrupuleux de la trajectoire et desiderata des contrôleurs US chargés de régler le trafic à l’arrivée (comme quoi la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille, y compris pour les équipages de Concorde !). Toujours est-il que suite à des plaintes de la FAA (l’équivalent américain de notre DGAC), les pilotes dont la trajectoire est SM2 ont désormais pour consigne de faire 7 remarquer de suite aux contrôleurs qui proposent un cheminement autre, que celui-ci diffère de la trajectoire officielle. Pour notre vol, Air France a résolu le problème en optant d’emblée pour la trajectoire SM2A qui éloigne davantage le supersonique des rivages de la NouvelleAngleterre. La route de délestage sud bénéficie quant à elle d’une transition d’arrivée unique dénommée SO4 qui présente elle aussi l’avantage de pouvoir rester en supersonique pendant un laps de temps supérieur (compensation au fait qu’elle est un peu plus longue que la route normale et que la consommation y est du coup supérieure de 2,4 T). Pour le retour vers l’Europe, les transitions départ sont au nombre de 2, que ce soit en direction de la route SN ou de la route de délestage. Si le contrôle océanique a suffisamment de temps devant lui pour prévoir qu’il sera nécessaire d’utiliser SO, Concorde peut être directement dirigé sur l’itinéraire 1SO dès après le décollage. Dans le cas contraire, la montée se fait tout d’abord par un tronçon commun (1SN + 2SO) et l’avion est ensuite re-routé à partir du 067°W uniquement sur 2SO. L’itinéraire de départ idéal pour le retour depuis JFK reste néanmoins la transition 2SN qui permet à l’appareil d’éviter de faire un palier subsonique au cours de la montée, entièrement effectuée pour l’occasion au dessus de l’espace océanique. L’avion est alors autorisé très tôt à effectuer ce que les contrôleurs US appellent un « Concorde climb ». Une des premières préoccupations de l’équipage en arrivant à la PPV de Roissy est d’étudier de manière approfondie le dossier météo qui a été préparé à son intention. La situation au départ de LFPG est examinée en détail, non seulement au niveau de la tranche horaire entourant le décollage, mais aussi pour les 4 heures suivantes dans l’éventualité ou un demitour une fois dans l’Atlantique s’avérerait nécessaire. Au cas où une dégradation des conditions MTO risque de survenir à CDG durant ce laps de temps, les pilotes en sont alors pour examiner également les conditions régnant sur les éventuels aéroports de dégagement retour (Londres, Lille, Bruxelles…). L’analyse de la situation générale régnant sur l’Atlantique Nord est également primordiale et tout particulièrement celle des niveaux empruntés par les vols subsoniques. En effet, en cas de panne majeure, non seulement Concorde se verrait dans l’obligation de quitter son niveau de croisière pour descendre à une altitude proche ou égale de celles utilisées par les longscourriers traditionnels, mais il serait vraisemblablement forcé également de se dérouter vers un AD extérieur à sa route initiale. Il est donc nécessaire que l’équipage porte une attention toute particulière aux TAF de l’ensemble des déroutements utilisables en pareil cas. Pour la partie européenne, il s’agira d’une part de Brest (aéroport français le plus occidental) et d’autre part de Shannon (aéroport européen le plus proche en cas de demi-tour en vol effectué avant le 040°W). Pour chacun de ces deux terrains, les conditions régnant à leurs dégagements respectifs sont aussi passées à la loupe (Bordeaux et Nantes pour BES ainsi que Dublin et Manchester pour SNN). Sur une partie de la route océanique, Santa Maria et Lajes situés tous deux dans des îles de l’archipel des Açores peuvent également constituer des solutions de repli viables en cas de problème et les prévisions météo de cette partie de l’Atlantique ne sont pas oubliées par les pilotes (cf. figure suivante). 8 La « Mae West » de l’Atlantique Nord = le triangle de sommets respectifs : Gander – Shannon – Açores (cf. note 11 en fin de récit). Déroutements et dégagements Concorde sur la ligne CDG-JFK vus sous Google Earth (Source :Air France). Côté Amérique du Nord, sont étudiées les conditions régnant à Gander ainsi qu’à Halifax, terrains avancés du Nouveau continent. L’équipage porte pour terminer une attention accrue à la situation régnant sur les aéroports de dégagement à l’arrivée, dans l’éventualité où les conditions régnant à New-York aux alentours de l’HEA risquent d’obliger Concorde à rejoindre un AD situé ailleurs sur la côte est des Etats-Unis. La liste des dégagements retenus par la compagnie parmi les nombreux aéroports parsemant cette partie des USA figure dans les consignes de ligne (cf. extrait suivant). Les pilotes envisagent alors ces terrains successivement et par ordre d’éloignement progressif. les terrains sont listés par ordre d’éloignement effet vent le délestage dégagement est donc un forfait « tout compris » Extrait des consignes de ligne Concorde CDG-JFK (Source : Air France). Localisation sous Google Earth. En fait, il faut bien comprendre que d’un point de vue réglementaire, tous les terrains de la liste ne peuvent être retenus avant le vol comme dégagements éventuels. En effet, la traversée de l’océan atlantique dans le sens est-ouest se fait presque toujours contre les vents dominants (Nungesser et Coli en ont fait les frais en leur temps, ainsi que bien d’autres depuis d’ailleurs) et la consommation sur l’étape CDG-JFK est telle que les réserves à l’arrivée ne dépassent jamais dans le meilleur des cas 13 T. Or, ce montant est censé comprendre à la fois 2 choses : tout d’abord le délestage permettant de rejoindre le dégagement compte-tenu des dernières prévisions MTO disponibles (donc avec correction éventuelle de l’effet vent et c’est la raison pour laquelle le facteur est affiché dans le tableau) et ensuite la réserve d’attente obligatoire de 30 minutes. Bien que la valeur de cette réserve finale puisse être variable selon l’altitude à 9 laquelle l’attente est effectuée ou le type de « circuit » utilisé (hippodrome ou ligne droite), Air France a retenu le chiffre forfaitaire de 6,4 T (soit une CH mini pour le bolide de 12,8 T qui ne figurera jamais au livre des records !). Ceci ne laisse donc au maximum que 6,6 T disponibles pour le délestage dégagement. Le jour de notre traversée, les conditions sont telles qu’elles ne permettent de disposer, au stade de la préparation du vol, que d’une quantité encore inférieure à cette valeur puisqu’elle se monte seulement à 5,8 T. En conséquence, le choix de l’aéroport de dégagement ne peut s’opérer avant de partir que parmi les 4 premiers de la liste. Mais ne nous méprenons pas : cela ne veut pas dire pour autant que l’équipage ne pourra à aucun moment rallier les autres terrains par insuffisance certaine de carburant. En effet, les transitions d’arrivée vers New-York sont telles que jusqu’à un certain point, l’équipage garde la possibilité de dégager sur tous (ou presque) les terrains précités. C’est dans l’Atlas Compagnie que sont répertoriées les fiches qui concernent les trajectoires permettant de se rendre aux dégagements ainsi que les distances associées. Les itinéraires sont fournis à partir de 2 points bien précis qui constituent les points limites de décision à partir desquels il ne sera plus possible d’accéder à tous les terrains mais seulement à certains d’entre eux. Ces points sont respectivement LFV et LINND (cf. document ci-après). LFV est l’indicatif du VOR de Marconi situé sur la trajectoire d’arrivée SM1 et LINND un point dans l’océan situé à 120 NM DME au sud-est de JFK (cf. note 12 en fin de récit). LINND est un WPT à passage obligé lors d’une arrivée par SM2 ou SM2A (cf. schéma des transitions côté Etats-Unis) et on s’aperçoit à la lecture du tableau qu’à partir de ce point, les cheminements sont fournis pour seulement 6 des 8 dégagements de la liste retenue par Air France. Les distances depuis LFV ou LINND permettent à l’équipage de déterminer rapidement le carburant nécessaire pour dégager. Extraits de l’atlas Concorde New York JFK INTL pages v4 et 5 (Source : Air France). L’aéroport de Newburgh n’y figure pas tout simplement parce que vu sa position géographique, il n’y a aucune raison que l’équipage ne tente pas une approche à JFK avant de le rejoindre (le cheminement passe à sa verticale). Concernant maintenant Montréal qui n’y figure pas non plus, c’est cette fois-ci parce qu’il ne pourra jamais être rejoint depuis LINND étant donné son éloignement de plus de 400 NM. De même, on peut noter qu’à partir de LFV, les 8 aéroports figurant dans les consignes de ligne sont listés, ce qui laisse augurer qu’à ce stade du vol (i.e. à la verticale du VOR de Marconi), ils peuvent tous constituer des dégagements acceptables. Bien entendu, dans la pratique, l’équipage déciderait en connaissance de cause à partir des conditions météorologiques et de la quantité réelle de carburant restant à bord à cet instant s’il convenait ou non de dégager pour tel terrain plutôt que pour tel autre. 10 Ces considérations évoquées, revenons au stade de la préparation du vol et à nos 4 terrains de dégagement potentiels qui nécessitent moins de 6,0 T de carburant pour être rejoints. Newark n’est pas retenu par l’équipage vraisemblablement pour le motif que lorsque les conditions MTO sont mauvaises à Kennedy Airport, il en est généralement de même à EWR situé à moins de 10 minutes à vol d’oiseau (les 2 aéroports sont soumis au même climat océanique). Philadelphie n’est pas retenu non plus, cette fois-ci vraisemblablement pour la raison suivante : les vents prévus pour l’heure de l’arrivée à JFK sont relativement élevés sur l’ensemble de la côte est des Etats-Unis et leur direction de provenance obligerait Concorde à les remonter pour atteindre PHL (sans compter que le cheminement depuis JFK est bien plus long que ce qu’on pourrait penser de prime abord en regardant la carte). Le fait d’être obligé de dégager après une approche interrompue parce que les conditions ne permettent pas d’envisager de se poser à destination est déjà suffisamment stressant en soi pour que l’équipage n’y rajoute pas en plus un facteur vent vers le dégagement qui ne pourrait lui être que préjudiciable. Les terrains de Newburgh et de Windsor Locks étant pour leur part situés au nord-est de JFK, ils constituent du coup des alternatives intéressantes pour les pilotes puisque le vent effectif vers ces aéroports est cette fois-ci favorable. Il n’est pas étonnant au final qu’entre ces deux solutions de repli, l’équipage choisisse en définitive l’aéroport le plus éloigné c’est-à-dire celui de Bradley Intl situé à Windsor Locks (BDL), qui permet par voie de conséquence d’embarquer au départ une quantité de carburant légèrement supérieure, carburant qui sera toujours le bienvenu en cas de délais ou de météo difficile à l’arrivée. La feuille de calcul carburant élaborée pour l’équipage et présentée ci-après retiendra bien entendu ce choix. 11 la réserve comprend à la fois la remise de gaz à destination (1,5 T),le délestage dégagement (3,0 T) et une procédure VMC à BDL (0,9 T). Feuille de calcul carburant du vol AF 002 en date du 26/05/03 (Source : Air France). Similaire dans sa forme et son contenu à celle présentée dans l’article traitant de la boucle supersonique, la lecture de cette feuille n’appelle rien d’autre que quelques remarques liées à certains aspects spécifiques qui n’avaient pas été abordés jusqu’alors: - nous avons par exemple souvent tendance à penser que la réserve de route correspond à 5% du délestage total, ce qui est évidemment la plupart du temps erroné (économies obligent !). Ici, la simple observation de sa valeur (2,3 T) permet de se rendre compte qu’elle est dans la réalité inférieure à cette quantité (sinon elle ferait 4,0 T). En fait, sa détermination prend également en compte la valeur du coefficient de transport (cf. note 13 en fin de récit) et elle correspond donc à 5% du délestage divisé par ce coefficient K. - la détermination du vent effectif moyen en supersonique prend en compte le maximum de tranches de longitude autorisées par le programme utilisé par la PPV, à savoir 4. Elle permet ainsi d’obtenir une précision supérieure dans les calculs de correction de délestage qui s’ensuivent (à bord de Concorde, chaque kilogramme de carburant a son importance). Le Vem est tout simplement déterminé en prenant en compte la distance partielle de chaque tronçon en rapport avec la distance totale. Ainsi, on obtient : Vem = (Ve1.d1 / D) + (Ve2.d2 / D) + … (cf. note 14 en fin de récit). 12 - la capacité maximale des réservoirs est indiquée dans le cadre figurant en bas à gauche de la feuille de calcul. Elle est aujourd’hui de 94,9 T et pour les étapes transatlantiques effectuées dans le sens est-ouest, elle peut devenir parfois un facteur limitatif (cf. extrait suivant des consignes de ligne). correspond à la période d’application de l’heure d’été. correspond à la période d’application de l’heure d’hiver. La limitation de capacité des réservoirs diminue dans certains cas la charge offerte de manière importante (rappel : CO max CCD = 10,5 T). Extrait des consignes de ligne Concorde CDG-JFK (Source : Air France). Pour contrer ce phénomène, l’équipage a la possibilité d’effectuer ce qu’on appelle un surplein qui permet alors d’embarquer 1630 litres de carburant supplémentaire (cf. note 15 en fin de récit). Le principe est le même pour Concorde que pour n’importe quel autre engin muni de réservoirs, que ce soit par exemple un avion de tourisme ou bien une automobile. En fait, le volume qui est comblé est la partie vide restant avant débordement alors que les sondes haut niveau indiquent déjà le plein complet. Bien évidemment, le décollage n’est pas autorisé dans ces conditions car l’assiette prise par l’avion à ce moment-là entraînerait obligatoirement une fuite de carburant par les trop-pleins, fuite associée à un risque d’inflammation au contact des parties chaudes des moteurs. Pour Concorde, le surplein a également pour effet d’engendrer un déplacement du centre de gravité au-delà de la valeur de 54%, seule admissible au décollage ce jour-là (cf. note 16 en fin de récit). Le carburant maxi autorisé au lâcher des freins est pour cette raison limité à un tonnage dont la valeur est elle aussi fonction de la densité de l’essence (ici 94,5 T pour une densité de 0,795). Les pleins complets du jour (94,9 T) donnant déjà une valeur supérieure à ce maximum autorisé pour le décollage, le carburant supplémentaire ainsi que le surplein éventuel devront donc impérativement être consommés avant que les roues ne quittent le sol. Pour notre vol, un délestage total estimé à 80,4 T associé à des réserves évaluées à 14,1 T suffisent à amener l’avion à cette limitation décollage CG 54% de 94,5 T. En conséquence, c’est le carburant nécessaire au roulage (forfaitisé à 1,0 T) qui représentera les 400 kg avant pleins complets ainsi que les 600 kg de surplein (cf. figure suivante). Attention: proportionnalité non respectée afin de garder une lisibilité suffisante au schéma. 119 280 litres x d Délestage Réserves 80,4 T limitations du jour fonction de la densité essence 1630 litres x d = SURPLEIN Rou lage 400 kg 14,1 T 94,5 T = maxi carburant décollage CG 54% 13 600kg 94,9 T = maxi capacité réservoirs 96,2 T = maxi capacité avec surplein - le nombre de passagers prévus pour le vol étant de 80, il est facile de calculer le coefficient de remplissage ainsi que la consommation du bolide ramenée par passager. L’avion comportant en effet 100 sièges et le délestage prévu étant de l’ordre de 80 T, on obtient un taux de remplissage de 80% et une consommation de carburant d’environ une tonne par passager. Toujours est-il au vu de ces données qu’on peut surtout se rendre compte que si l’avion avait été davantage rempli, la réalisation de l’étape aurait pu éventuellement être compromise, sauf à envisager une escale intermédiaire comme c’était le cas avec Dakar pour la ligne Paris-Rio. En effet, avec une charge marchande plus importante, il aurait fallu augmenter de manière proportionnelle la quantité de carburant nécessaire à la réalisation du vol et donc la valeur du délestage. La limitation carburant max CG 54% ne pouvant être dépassée au décollage, les pilotes auraient du alors diminuer la valeur de la réserve de dégagement et auraient choisi Newburgh ou Newark à défaut de Windsor Locks. Il faut cependant savoir que ce système possède une limite car il arrive un moment où le surplus de passagers (sans d’ailleurs considérer forcément que l’avion soit intégralement rempli) ajouté à celui du carburant nécessaire à les transporter fait dépasser les limitations machine ou ne permet plus d’avoir suffisamment d’autonomie à l’arrivée pour rejoindre ne serait-ce que le premier dégagement de la liste (ne pas oublier que la réserve de route augmente réglementairement en même temps que le délestage et que cela diminue d’autant la quantité disponible pour la sélection de l’aéroport de dégagement). Dans une telle situation, l’équipage aurait obligation de préparer le vol en envisageant une escale technique facultative (ETF = Gander, Halifax ou Boston sur la ligne Paris NewYork) et ce sans avoir la certitude qu’une fois à la verticale du point de décision, il aura à bord la quantité de carburant réglementairement suffisante lui permettant de rallier JFK. Face à une mauvaise publicité éventuelle que risquerait d’engendrer un avitaillement obligatoire en route et qui ne manquerait pas dès lors de porter ombrage au prestige de sa ligne phare, Air France préfère anticiper et limiter par avance la charge offerte, comme précédemment constaté à la lecture des consignes de ligne (en fait, je les soupçonne de bloquer un certain nombre de sièges afin d’être sûrs de réaliser l’étape sans escale, ce qui est quand même un comble lorsqu’on pense que la tendance générale dans le transport aérien est plutôt au surbooking, voir note 17 en fin de récit). Comme il leur reste du temps avant de se rendre à l’avion, les pilotes en profitent pour s’avancer dans la détermination des points de non retour et des points équitemps dont la connaissance leur permettra, le cas échéant, de prendre la bonne décision si un déroutement s’avère nécessaire une fois au dessus de l’Atlantique. Pour ce faire, il leur faut déterminer les coordonnées de pas moins de 8 points distincts, à savoir : - le PNR 3 GTR sur CDG (jusqu’où sur le trajet Concorde peut-il envisager de rentrer à sa base si un moteur tombe en panne ?) ; - le PNR 4 GTR sur CDG (idem mais suppose une panne compromettant le seul vol supersonique et non l’intégrité d’un des moteurs) ; - le PNR 3 GTR sur Brest (il est toujours mieux lorsqu’on ne peut rentrer à sa base sur 3 pattes de se poser dans son propre pays plutôt qu’à l’étranger) ; - le PNR 3 GTR sur Shannon (tant qu’à faire, lorsqu’on ne peut envisager de revenir sur notre propre territoire, pourquoi ne pas faire demi-tour vers un aéroport européen où mécaniciens et pièces de rechange éventuelles pourront plus vite arriver ?) ; - le PET entre Shannon (SNN) et Gander (YQX) ; 14 - le PET entre Shannon (SNN) et Halifax (YHZ) ; - le point de ralliement 4 GTR sur JFK (à partir d’où est-on sûr de pouvoir rejoindre New-York en vol subsonique tous moteurs en fonctionnement ?) ; - le point de ralliement 3 GTR sur JFK (id. ci-dessus mais avec un moteur en panne). Sans être particulièrement fin géographe, on se doute que le premier PNR que l’on trouvera sur la route sera le PNR 3 GTR sur CDG, suivi du PNR 3 GTR sur BES puis du PNR 3 GTR sur SNN. Concernant le PNR 4 GTR sur CDG, tout ce que nous pouvons dire au vu de nos connaissances actuelles est qu’il est forcément plus éloigné que le PNR 3 GTR sur le même terrain mais que nous ne pouvons présager de sa position réelle par rapport à ceux sur BES et SNN (la consommation distance de CCD en subsonique 4 GTR est toujours inférieure à celle en 3 GTR, et ce quelle que soit la distance à parcourir). On peut néanmoins raisonnablement penser qu’il se situe quelque part aux alentours du PNR 3 GTR sur BES (cf. figure suivante). Zone PNR 4 CDG CDG BES SNN JFK PNR 3 CDG PNR 3 BES PNR 3 SNN D1 D2 D3 Nota: y compris sans vent, D3 > D2 > D1 (avion plus léger au fur et à mesure du délestage) Concernant maintenant les points équitemps qui se rapportent côté européen au même aéroport (Shannon), on sait également d'avance que le PET sur Gander (situé à Terre-Neuve) sera atteint avant le PET sur Halifax (situé également au Canada mais beaucoup plus à l’ouest). Comme un point milieu est tout aussi utilisable quelle que soit la condition de vol (supersonique ou subsonique 3 ou 4 GTR…) et qu’on se doute qu’il n’est pas possible qu’une portion du vol océanique ne soit pas protégée et puisse empêcher l’avion de rallier un aéroport en cas de force majeure, on en déduit également facilement que le PET le plus éloigné est forcément plus près que le PNR 3 GTR sur SNN (cf. schéma suivant). DR et TR PET SNN/YHZ SHANNON (SNN) DA et TA zone PNR 3 SNN GANDER (YQX) PET SNN/YQX D’R et T’R D’A et T’A HALIFAX (YHZ) on a dans tous les cas TA = TR et T’A = T’R mais DA et D’A ne sont respectivement égaux à DR et D’R que par vent nul. Concernant pour terminer les points de ralliement sur JFK, tout ce que l’on peut dire pour le moment est que le PR 3 GTR est forcément plus proche de New-York que le PR 4 GTR et qu’ils sera franchi après le dernier PNR de la route (si le point de ralliement 3 GTR était 15 systématiquement franchi avant que Concorde n’atteigne le PNR 3 GTR sur SNN, il ne serait alors d’aucune utilité de déterminer l’emplacement de ces deux points, cqfd !). Pour calculer les coordonnées exactes des 8 points précités, l’équipage utilise la bonne vieille méthode graphique apprise lors du PL théorique, ce qui peut sembler quelque peu anachronique à bord d’un avion aussi perfectionné (Concorde a été le 1er avion commercial doté de commandes de vol électriques mais n’a pourtant jamais été équipé de FMS). Le support du tracé est un canevas gradué en distance d’un côté (1 graduation par 20 NM, ce qui représente habilement environ 1 minute de vol à vitesse de croisière) et en carburant de l’autre (1 graduation par tonne, cf. fig. suivante). aéroport le plus proche du tronçon en cours (déroutement d’urgence) route pour laquelle est élaboré le canevas échelle carburant en tonnes, volontairement tronquée entre 20 et 60 T pour l’exemple échelle des distances (NM) temps partiels points caractéristiques de la route Extrait d’une des feuilles de suivi de vol graphique Concorde sur la ligne CDG-JFK (Source : Air France) Comme on peut s’en douter facilement, il existe un graphique différent pour chaque route susceptible d’être empruntée par l’avion et l’équipage a au moins à disposition dans son dossier de vol le canevas de la route normale ainsi que celui associé à la route de délestage. Sur l’échelle des distances sont pré-positionnés les points-clés de la route CDG-JFK (ou leur projection) ainsi que les temps de vol partiels des différents tronçons océaniques (étant donnés l’aérologie régnant au niveau 100 hPa et la Vp de l’appareil, l’effet vent est considéré comme négligeable sur cette partie du parcours et les temps de vol intermédiaires sont par voie de conséquence connus à l’avance). Sur la partie haute du document figurent les différents cartouches concernant le vent effectif à prendre en compte pour la détermination exacte de l’emplacement des PNR et PET. Les vents en kt sont extraits par l’équipage des « octaves » subsoniques fournies dans le dossier météo puis reportés dans ces cartouches (cf. fig. suivante où pour info, ETP = Equal Time Point = PET). octave CDG/JFK Vem algébrique retour (PNR) octave ETPM/SNN octave ETPM/YQX ∣Vem∣ pour déport des PET octave ETPM/JFK Vem algébrique ralliement Extrait feuille de suivi de vol graphique du vol AF002 en date du 26 mai 2003 (Source : Air France/D. Costes) 16 Trois échelles de positionnement des PET sont également pré-imprimées sur le canevas juste au dessus des graduations horizontales en distance, chaque échelle correspondant à l’éventualité d’un déroutement particulier. Chacune de ces échelles est dotée d’un incrément différent égal au déport du PET pour 10 kt de Ve (cf. figure suivante et note 18 en fin de récit). PET Shannon / Gander échelles individualisées de déport (une graduation pour 10 kt de Ve) PET Shannon / Halifax PET Santa Maria / Gander Trait large = position du PET vent 0 (point milieu) Extrait feuille de suivi de vol graphique Concorde (Source : Air France) Par simple tracé d’une ligne verticale décalée latéralement de la valeur du V em indiqué dans le cartouche central, les pilotes déterminent alors l’emplacement des deux PET (l’échelle de PET entre SMA et YQX est fournie pour info et n’est censée être utilisée qu’en cas d’absolue nécessité). Ils prennent garde de bien déporter les PET du côté d’où vient le vent (vers l’ouest pour ce vol, ce qu’ils font figurer pour mémoire avec une flèche au dessus du cartouche qui montre la direction du vent). À partir des temps partiels indiqués sur l’axe des abscisses et d’une heure réelle de survol d’un WPT situé en amont (en général celui du 015°W), les pilotes détermineront alors une fois dans l’Atlantique les heures de passage estimées à la verticale de ces points qu’ils auront auparavant pris soin de reporter sur leur carte 55 SSC (cf. fig suivante). direction du vent pour mémoire octave ETPM/SNN octave ETPM/YQX moyenne en valeur absolue des 2 octaves qui implique un déport de 3,6 incréments côté vent PET vent 0 entre Shannon et Gander PET vent 0 entre Shannon et Halifax position réelle des PET (7 min après le 30W pour le 1er et 2 min avant le 40W pour le 2nd) Extrait feuille de suivi de vol graphique Concorde (Source : Air France / D.Costes) Concernant maintenant le tracé permettant de déterminer l’emplacement des différents PNR et points de ralliement, il est effectué à l’aide d’un instrument transparent spécialement calibré dont chaque membre d’équipage est doté (cf. fig. suivante à échelle réduite). 17 réglette spécifique Concorde pour tracés graphiques (Sources : Air France / Topoplastic) Chaque côté de cette réglette en forme de trapèze est incurvé de manière à reproduire le plus fidèlement possible la courbe de consommation correspondante, à l’exception toutefois de la courbe subsonique 4 GTR (petite base) qui est ramenée artificiellement à une droite. Pour les courbes subsoniques 3 GTR (côtés du trapèze parfaitement symétriques) et supersonique (grande base), la concavité n’est bien entendu pas constante étant donné que la consommation distance diminue au fur et à mesure que l’avion s’allège (cf. schéma ci-dessous). c1 C a r b u r a n t pente + accentuée = consommation + importante (avion plus lourd) Courbe consommation 3 GTR CCD c2 pour c1 = c2, on a : d1 < d2 pente + faible = conso – impte (avion plus léger) d2 d1 Distance Influence de la masse sur la consommation distance de Concorde en régime subsonique N-1 moteurs. Concernant maintenant la courbe de consommation 4 GTR en subsonique, elle est comme nous l’avions signalé précédemment ramenée à une droite en décalant tout simplement le point d’origine du tracé sur l’échelle verticale de carburant. En effet, en cas de déroutement (retour à la base ou atterrissage sur un terrain extérieur) comme de ralliement arrivée, Concorde doit finir à la verticale avec 9,5 T de réserves, permettant ainsi de faire face à un éventuel dégagement ou à une possible attente (cf. note 19 en fin de récit). La partie de la courbe 4 GTR utilisée pour le calcul des PR et PNR étant déjà assimilable à une droite dans sa portion « utile » comprise entre 800 et 1500 NM, le simple fait de décaler l’origine en utilisant une droite sur l’ensemble du tracé permet d’obtenir le même résultat qu’avec la courbe de consommation réelle non linéaire (cf. fig. suivante). 18 C a r b u r a n t Courbe consommation 4 GTR CCD 9,5 T 8,0 T approximation segment de droite 800 NM 1500 NM Distance Artifice utilisé pour le tracé de la consommation distance de Concorde en régime subsonique N moteurs. Ces considérations techniques évoquées, intéressons-nous à la méthode utilisée par les pilotes pour le tracé des différentes courbes sur le canevas graphique (rien d’insurmontable je vous rassure, même si avec tous ces tracés il faut quand-même veiller à ne pas s’emmêler les pinceaux) : ils placent donc la ligne de référence voulue (PNR ou ralliement, 3 ou 4 GTR) en la décalant horizontalement de la valeur du vent effectif figurant dans le cartouche approprié, à partir d’un point origine correspondant à l’intersection de la quantité de carburant souhaitée (8 T en 4 GTR et 9,5 T en 3 GTR) et de la projection verticale du terrain choisi (CDG, BES, SNN…). Les pilotes sortent ensuite leur Rotring ou leur Plot Pilot (non fournis par la compagnie, cf. note 20 en fin de récit) et le tour est joué (cf. fig. suivante). vent retour >0, la règle est abaissée et le PNR est donc situé + loin. vent + 30 kt 9,5 T Exemple de tracé de courbe de consommation sur feuille de suivi de vol graphique (Source : Air France) 19 Une fois les courbes des 4 PNR et des 2 PR tracées sur le graphique, l’équipage obtient le document suivant (cf. également note 21 en fin de récit) : ralliement 4 GTR ralliement 3 GTR 3&4 GTR 3GTR 3GTR courbes conso retour 3&4 GTR Extrait feuille de suivi de vol graphique du vol AF 002 du 26 mai 2003 (Source : Air France / D.Costes). Par mesure de précaution et parce que la charge de travail en vol ne leur permettrait pas de le faire, les pilotes tracent également les mêmes courbes sur le canevas graphique associé à la route SO, ne pouvant savoir à l’avance si l’ATCC de Londres ne les re-routera pas sur l’itinéraire de délestage pour la traversée océanique. Dans un cas de figure comme dans l’autre, c’est néanmoins seulement arrivés au-dessus de l’Atlantique et à partir du tracé de la courbe réelle de consommation distance supersonique que les pilotes détermineront définitivement les positions exactes des PET, PNR et PR ainsi que leurs heures estimées de survol. Avant de ranger soigneusement leurs documents dans leur dossier, ils déplient pour terminer sur la table la carte 55SSC qu’ils vont utiliser lors de la partie océanique du vol et y reportent au crayon les tracks OTS du jour (cf. fig. suivante et note 22 en fin de récit). 20 Les tracks OTS subsoniques sont eux aussi répertoriés à l’aide des lettres de l’alphabet. Les lignes de point milieu (PET vent 0) sont préimprimées sur la carte et la valeur du déport y est mentionnée.. Route directe depuis SNN (considérée comme route aléatoire par le contrôle océanique). Extrait de la carte 55SSC utilisée par le vol AF 002 du 26 mai 2003 (Sources : Air France / D.Costes) Cette procédure leur permet d’avoir une meilleure lisibilité du système des routes Atlantique en vigueur au moment du vol, eu égard à la version papier qui ne contient qu’une suite de coordonnées géographiques difficiles à se représenter dans l’espace, même pour un pilote de Concorde censé visualiser les choses à vitesse supersonique. C’est avec une émotion et une impatience non dissimulées que l’équipage part enfin rejoindre Fox Alpha qui attend sagement sur le tarmac de l’aérogare A. Repu à l’avance des plus de 55 tonnes de kérosène qu’il est en train d’engloutir dans son ventre (un pré-plein de 40,0 T est toujours effectué à l’avance), Concorde va pouvoir partir à l’heure de son port d’attache. Comme quoi l’exactitude est bien la politesse des rois ! Bons vols à tous. Stéphane MAYJONADE Mars/Avril 2008 21 Notes Note 1: Étant donnée la distance qui sépare les côtes est et ouest des États-Unis, différentes heures légales ont été implémentées dans ce pays à l'échelle d'un continent (cf. fig. suivante). New-York La région de New-York faisant partie des états soumis à l'EDT (Eastern Daylight Time) pendant la période d'été et à l'EST (Eastern Standard Time) pendant la période d'hiver, on se retrouve là-bas en UTC-4 quand la France est en UTC+2 et en UTC-5 lorsque la France fonctionne en UTC+1. Le décalage horaire entre Paris et New-York est donc toujours de 6 heures ce qui permet à Concorde d'arriver avant même d'être parti (avantage non négligeable pour les hommes d'affaires qui peuvent ainsi débuter leur journée de travail en même temps que leurs homologues américains). D’où l’expression « plus vite que le soleil » utilisée à son sujet, qui signifie tout simplement qu’à vitesse de croisière, CCD va plus vite que la rotation de la terre sur elle-même (15°/H). Note 2 : Les adresses SITA à 7 caractères se décomposent de la manière suivante : - 1er groupe de 3 caractères qui correspondent au lieu ou à l’aéroport d’après la nomenclature IATA (ex : PUF = Pau, CDG = Roissy, ORY = Orly…), - groupe central à 2 caractères qui sont des désignateurs de fonction (ex : EP = Eurocontrol Planning…), - suffixe à 2 caractères qui reprend le code IATA de la compagnie ou du service incriminé (ex : AF = Air France…). Pour l’anecdote, notons que la SITA est de nos jours propriétaire de tous les noms de domaine en « .aero », extension qu’elle essaye de fourguer petit à petit dans le monde entier aux milliers d’entreprises et/ou d’intervenants du secteur aéronautique (compagnies, aéroports, constructeurs, sous-traitants…). 22 Note 3 : Depuis début décembre dernier, un paragraphe explicatif a été rajouté à ce sujet par le SIA dans nos Atlas VAC. Il y figure à la page GEN 12 (cf. extrait ci-après). Note 4 : Si dans les adresses AFTN, le premier groupe de 4 lettres est facile à décoder à partir d’un indicateur d’emplacements OACI, il n’en est pas de même pour les 4 lettres suivantes qui se décomposent en un groupe de 3 caractères suivi d’un suffixe à 1 lettre. C’est dans un document spécifique que figure l’affectation de ces groupes de caractères et comme vous l’aurez certainement compris, ceux en Z_Z concernent de fait les organismes de la circulation aérienne. C’est la 6ème lettre qui permet de savoir à quel type de service on a ensuite à faire. Quant au suffixe, c’est obligatoirement un X sauf lorsqu’il y a plusieurs destinataires au sein du même organisme et qu’il faut bien évidemment les différencier. L’affectation OACI des codes à 3 caractères rencontrés ici est la suivante : ZOZ = centre de contrôle océanique, ZPZ = bureau de piste d’aérodrome, ZQZ = centre de contrôle de l’espace aérien inférieur ou supérieur ayant en charge le trafic IFR (pour le trafic VFR, l’extension est ZFZ, cf. note 3), ZRZ = centre de contrôle régional, ZTZ = tour de contrôle d’aérodrome. Note 5 : Pour l’OACI, il existe 3 types de plans de vol bien distincts : - les FPL (Filed Flight Plans), - les SPL (Supplementary Flight Plans), - les RPL (Repetitive Flight Plans) En ce qui concerne les vols traités par les cellules « longs-courriers » des compagnies, les RPL ne sont jamais utilisés étant donné l’extrême variabilité des vents sur les parcours qui impliquent l’utilisation de routes sans cesse différentes. La ligne Paris/New-York en Concorde, traitée elle aussi par la cellule longs-courriers d’Air France ne déroge pas à la règle bien que les tracks empruntés soient fixes. 23 Note 6 : Bien que pour les vols VFR, une tolérance admette que l’on fasse figurer au FPL l’heure prévue de décollage et non celle de départ du poste de stationnement, il faut néanmoins savoir que pour les vols IFR, l’heure de départ indiquée est toujours l’heure « Bloc ». Note 7 : Afin de se faire une idée un peu plus « visuelle » de la chose, voici le schéma de répartition de l’espace océanique Atlantique Nord au niveau du contrôle aérien. Sur le réseau des routes « centrales » Atlantique Nord, la transition entre les FIR de Shanwick et de Gander se situe au niveau du méridien 030°W. Extrait de Voice Services Operating Procedures Handbook (Source : ARINC) Note 8 : STS ne signifie pas ici « Status » comme sur l’affichage CDU des INS mais « Special Treatment Service », qui signifie que ce FPL fera l’objet par les services ATS d’un traitement spécial du à sa nature particulière. Les vols qui bénéficient des mesures STS comprennent les vols commerciaux supersoniques mais également les évacuations sanitaires, les vols gouvernementaux… Note 9 : Il existe en fait 4 routes supersoniques au sein de l’espace Atlantique Nord, appelées respectivement SM, SN, SO et SP (cf. extrait ci-dessous du document OACI NAT Doc.001, 7ème édition de janvier 2002). 1.13.2. Réseau de routes des avions supersoniques Le réseau de routes des avions supersoniques comprend quatre routes fixes: les routes SM, SN, SO et SP. Les vols des avions supersoniques de transport (SST) sur ces routes s'effectuent normalement au-dessus de l'espace aérien MNPS (à partir du FL 450), sauf en cas d'accélération supersonique retardée ou de descente d'urgence. Dans le premier cas, une séparation standard est appliquée par l'ATC ; dans le deuxième cas, les procédures d'exception prévues pour la descente d'urgence tiennent compte de l'éventuelle présence d'un trafic OTS au-dessous des routes SST. 24 La route la plus méridionale (Sierra Papa) n’a jamais été utilisée par CCD pour ses traversées à destination de New-York. À ce titre, elle ne figure donc pas sur les cartes utilisées par les équipages des vols AF002. Note 10: Cette mesure a été implémentée essentiellement afin de protéger la route centrale car les procédures publiées en cas de demi-tour en vol sont claires à ce sujet (cf. extrait du verso de la 55 SSC ci-après). Ne pas oublier que d’autres vols supersoniques, en particulier militaires, peuvent également emprunter cette route où que des vols OTS peuvent passer dessous. Extrait verso carte 55SSC (Source : Air France) Note 11 : Mae West était une célèbre actrice des années 30 réputée à la fois pour son sexappeal ainsi que pour son opulente poitrine. Par extension, c’est le nom familier qui a depuis lors été donné aux gilets de sauvetage portés par les pilotes lors des traversées maritimes, étant donné l’aspect de leur torse une fois ces derniers enfilés. Ici, il faut comprendre que Mae West est utilisé par dérision pour l’avion et non pour ses occupants ! Note 12 : Les américains aiment bien rendre hommage à leurs pionniers et les frères Wright sont depuis longtemps à l’honneur aux USA, entre autre sous la forme de 2 WPTs appelés respectivement ORVIL et WILBR. Dans le même genre, le point LINND est associé à un autre WPT situé également à 120 NM au sud-est de JFK. Il s’agit en l’occurrence du point BERGH, la juxtaposition des 2 représentant de la part des instances aéronautiques américaines un hommage à la mémoire de celui qui fut le premier à vaincre l’Atlantique Nord. L’hommage à Charles Lindbergh Extrait carte 55 SSC (Source : Air France). 25 Note 13 : Le coefficient de transport K est défini comme le rapport entre masse atterrissage et masse décollage. En clair, cela veut dire que pour avoir une tonne de carburant en réserve à l’arrivée, il faut avoir embarqué K tonnes du même carburant au départ, ou que si la masse au décollage est augmentée de x tonnes (PAX, fret…), il faut prévoir de prendre en plus (K - 1) . x tonnes de carburant supplémentaire. Il n’est donc pas étonnant que les réserves diminuent au fur et à mesure de l’avancement du vol et que plus la distance à parcourir augmente, plus K soit élevé. Pour avoir un ordre d’idée, un avion court moyen courrier possède un coefficient K de 1,1 à 1,2 (1,2 pour environ 2000 NM) et un long courrier traditionnel un K allant de 1,3 à 1,6 (pour une étape Paris / New-York, comptez environ 1,35). En ce qui concerne notre vol et bien que le calcul du coefficient de transport puisse se faire à partir de la connaissance des valeurs de délestage et de réserve de route, on obtient néanmoins un calcul plus précis à partir des valeurs estimées de TOW et de LAW figurant sur la feuille de calcul carburant. En effet, avec la 1ère méthode, le calcul de la 2ème décimale est erroné étant donné que les réserves sont arrondies par la PPV à la centaine de kilogrammes supérieure. Calcul rapide : Calcul précis : K = 0,05 . dél / rés route = 0,05 . 80,4 / 2,3 1,77 Vérification : K = ETOW / ELAW Rés.route = 0,05 . dél / K = 183987 / 103550 = 1,75 = 1,77 = 0,05 . 80437 / = 2272 kg arrondis à 2300 kg 2ème décimale erronée Notons également qu’en cas de préparation manuelle, les équipages de Concorde ne connaissant pas « a priori » le facteur K avaient pour consigne de prendre forfaitairement une réserve de route égale à 5% du délestage et non à 5% / K (cf. fig suivante) noter la différence de consommation en fonction de la vitesse de montée. . Extrait du manuel TU Concorde (Source : Air France). 26 Note 14: C’est sur la feuille de suivi de vol que nous trouverons les distances partielles de chaque tronçon retenues par la PPV pour le calcul de l’effet vent en supersonique: Ainsi: de 00° à 20°W, d1 = 795 NM et Ve1 = -40 kt, de 20°W à 40°W, d2 = 777 NM et Ve2 = -15 kt, de 40°W à 57°W, d3 = 728 NM et Ve3 = -20 kt, de 57°W à 70°W, d4 = 680 NM et Ve4 = -20 kt. de 00° à 70°W, D = 2980 NM et Vem = … … -[ (795 . 40 / 2980) + (777 . 15 / 2980) + (728 . 20 / 2980) + (680 . 20 / 2980) = -24 kt. Note 15 : la masse de carburant en kg correspondant au surplein est tout simplement égale au produit: nb de litres x densité du carburant le résultat étant arrondi à la centaine de kilogrammes la plus proche. La densité du carburant n'étant pas la même d'un vol à l'autre cette masse est donc variable, de même d'ailleurs que les autres masses maximales carburant figurant dans le tableau et dont vous avez pu vous rendre compte qu'elles n'étaient pas identiques à celles du vol du 17 mai. La seule donnée invariable est donc la capacité totale des réservoirs exprimée de manière volumétrique. Pour Concorde, elle est de 119 280 l + 1 630 l de surplein. Bien entendu, plus la densité du carburant est importante et plus la masse résultante est élevée, ce qui présente dans ce cas l’avantage de faire reculer un peu plus les limitations carburant. Ceci est visible en comparant par exemple la limitation réservoirs de notre vol (94,9 T pour une densité de 0,795) à celle figurant dans les consignes de ligne (95,5 T pour une densité de 0,800). La valeur globale de 1630 litres de surplein peut sembler à première vue importante, mais réparti sur les 13 réservoirs de l’avion cela fait en réalité très peu par réservoir. Pour les amoureux du détail, voici les valeurs de surplein de chacun d’entre eux : - réservoirs 1 et 4 : 80 litres par réservoir soit réservoirs 2 et 3 : 120 litres par réservoir soit réservoirs 5A et 7 A : 70 litres par réservoir soit réservoir 5 : 100 litres réservoir 6 : 140 litres réservoir 7 : 110 litres réservoir 8 : 170 litres réservoir 9 : 230 litres réservoir 10 : 210 litres Trim tanks réservoir 11 : 130 litres TOTAL = 27 160 l + 240 l + 140 l + 100 l + 140 l + 110 l + 170 l + 230 l + 210 l + 130 l 1 630 l Note 16 : Contrairement aux autres avions, Concorde n’admet que 3 centrages possibles au décollage, qui sont fonction à la fois de la TOW ainsi que de la quantité de carburant embarqué : - 53% pour TOW < 140,0 T, - 53,5% pour TOW 140,0 T et carburant maxi carburant décollage CG 53,5% (pour notre vol, 93,0 T), - 54,0% pour TOW 140,0 T et carburant maxi carburant décollage CG 53,5% (le cas de notre vol). Note 17 : Afin que l’on ne se méprenne pas sur l’éventuelle responsabilité de notre compagnie nationale à ce sujet, il est nécessaire de remonter le temps et de se pencher pendant quelques minutes sur les années de développement du programme Concorde. En effet, dans une lettre du 23 mars 1971 adressée au Ministre des Transports de l’époque, Henri Ziegler, alors président de Sud-Aviation et responsable du programme CCD, rend compte des calculs de charge utile des appareils de série afin de montrer qu’ils respectent bien les garanties minimales exigées par les gouvernements anglais et français, en contrepartie de la poursuite du financement du programme par les états contractants. L’exigence minimale de charge marchande avait été fixé par les autorités à 20000 lbs (9072 kg) dans les conditions suivantes : - Etape de référence Paris / New-York, T° au décollage supérieure de 11° à la T° Std, T° en croisière supérieure de 5° à la T° Std, Respect des règles de déroutement et d’attente établies par le SGAC (DGAC de l’époque). Henri Ziegler rappelle dans sa lettre que les conditions exigées sont draconiennes par rapport à la réalité que devraient rencontrer les compagnies en exploitation, en particulier au niveau des performances étant donné que les statistiques montraient que 85% des journées de vol sur l’Atlantique se dérouleraient à des T° inférieures aux T° de référence exigées par le SGAC et que 50% d’entre elles auraient même lieu à des T° inférieures à la Std (l’examen du tableau des consignes de ligne d’Air France présenté dans cet article est révélateur à ce sujet car H. Ziegler avait omis de préciser que cela ne concernerait que les journées d’hiver, à moins que ce satané réchauffement climatique ne soit finalement le responsable des écarts constatés dans la réalité de l’exploitation!). Si on se réfère à l’annexe à cette lettre (cf. fig. suivante) et qu’on compare les valeurs calculées par le constructeur à la réalité de ce qu’a rencontré Air France pendant ses nombreuses années d’exploitation de la machine (cf. consignes de ligne), on s’aperçoit que la garantie minimale était loin d’être atteinte sur tous les vols, contrairement à ce qu’affirmait Henri Ziegler. On comprend donc facilement qu’Air France ne pouvait être tenue pour responsable de l’obligation de limiter la CTO en bloquant un certain nombre de sièges (sur la ligne ParisWashington, AF était parfois obligée de bloquer jusqu’à trente places afin d’être sûre de pouvoir réaliser l’étape). 28 écart moyen de masse de base prévu en exploitation masse de base moyenne Les règlements américains (FAR) étaient moins draconiens que ceux du SGAC au niveau des réserves, d’où la charge marchande supérieure (les actuelles JAR étant alignées sur les FAR, cela aurait pu à un moment donné être profitable à CCD. Que nenni !). écart maxi de masse de base prévu pour les appareils de série Annexe à la lettre de H. Ziegler en date du 23/03/1971 (Source : « La grande aventure de Concorde » aux Editions Grasset). Note 18: Sur un trajet AB, la valeur du déport du PET sans vent (point géométrique milieu) est obtenue grâce à la formule: déport = D . Vem / 2 . Vp où D = distance AB, Vem = vent effectif moyen entre le PET et A et le PET et B (en général, les compagnies prennent 10 kt comme incrément et il suffit alors de multiplier le résultat par la valeur réelle de Ve exprimé en multiple de 10), Vp = vitesse avion entre le PET et A ou le PET et B (dans le cas de Concorde, vitesse subsonique bien entendu puisque le PET est envisagé dans le cadre de la panne). On s'aperçoit facilement que la Vp étant forcément la même dans chacun des cas de déroutement envisagé, la valeur du déport devient uniquement fonction de la distance AB et qu'elle augmente en même temps qu'elle. Ainsi, dans le cas de CCD, on obtient un déport de 15 NM/10 kt entre Gander et Santa Maria, de 18 NM/10 kt entre SNN et Gander et de 21 NM/ 10 kt entre SNN et Halifax. Note 19 : En fait, la valeur de 9,5 T exigée à l’arrivée n’a pas été choisie au hasard. Elle correspond à 1,5 T de procédure pour une approche IMC + 8 T de réserves, valeur en dessous de laquelle Concorde doit être considéré en début d’approche comme « MINIMUM FUEL » lorsqu’un dégagement est prévu au plan de vol. Comme la préparation n’est jamais envisagée sans AD de dégagement, le seul cas où CCD peut atterrir avec une valeur inférieure (elle est alors de 6,4 T) est lorsque l’équipage décide de transformer la réserve de dégagement en attente à destination. 29 Note 20 : Rotring et Plot Pilot sont des marques déposées de stylos professionnels à pointes de finesses diverses qui sont utilisés principalement par les architectes, les dessinateurs industriels…(les Plot Pilot se trouvent néanmoins en supermarché et je les utilise moi-même pour tracer des abaques). Note 21 : le point SM1 auquel aboutissent les courbes de consommation 3 et 4 GTR est un point fictif de la trajectoire SM1 (d’où son nom), situé à 100 NM exactement de JFK (cf. fig. suivante). En effet, en cas de problème obligeant Concorde à terminer son vol en subsonique, l’équipage recevrait une clairance amendée lui permettant d’utiliser cet itinéraire plutôt que les transitions océaniques SM2 ou SM2A (sécurité oblige, sans compter que la trajectoire SM1 est également + courte de 100 NM). Le point SM1, situé à 100 NM de JFK, correspond au passage de la zone de Boston à celle de New-York Extrait des trajectoires arr/dep CCD sur JFK (Source : Atlas Air France). Note 22 : Les préférences de la clientèle, les différences de fuseaux horaires et la réglementation acoustique aux aéroports ont pour effet de canaliser en deux courants principaux une grande partie du trafic aérien sur l'Atlantique Nord : un flux vers l'ouest au départ de l'Europe dans la matinée, et un flux vers l'est au départ de l'Amérique du Nord dans la soirée. Il y a donc concentration unidirectionnelle de la plus grande partie du trafic, avec des pointes en direction de l'ouest entre 11h30 et 18h00 UTC, et en direction de l'est entre 01h00 et 08h00 UTC, toutes deux à 30° de longitude ouest. Le système de routes organisées OTS est donc établi toutes les 12 heures à partir des données MTO (courants-jets…) ainsi que des RTM (routes à temps minimum). Shanwick est chargé d’établir les OTS de jour (Westbound) qui sont publiées à 00h00 UTC et Gander les OTS de nuit (Eastbound) qui paraissent à 12h00 UTC. Les « tracks » sont nommés d’après les lettres de l’alphabet aéronautique. Noter pour finir qu’il existe également un réseau de routes polaires nommé PTS (Polar Track System). 30