« James Bond : l`ennemi de l`architecture », par Steve Rose, The
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« James Bond : l`ennemi de l`architecture », par Steve Rose, The
« James Bond : l’ennemi de l’architecture », par Steve Rose, The Guardian, novembre 2008 La plupart des gens seront trop absorbés par l’action incessante dans le dernier James Bond pour s’attarder sur le décor, mais les spectateurs amateurs de design vont le trouver plus excitant que d’autres. On ne peut pas dire que Quantum of Solace est le meilleur des James Bond, mais il gagne haut la main en ce qui concerne l’architecture. Le réalisateur, Marc Forster, peut-être parce qu’il est suisse, a l’œil pour choisir le bon bâtiment, en général une œuvre radicale du modernisme européen, comportant, comme par hasard, un toit terrasse. Le Festival House Bregenz, en Autriche — un ensemble sophistiqué et austère de bardages en acier et d’immenses fenêtres de verre qui ouvre sur un spectaculaire amphithéâtre de plein air en face du lac, avec la scène au milieu de l’eau — est un endroit clef. Conçu par l’architecte autrichien Ditriech Untertrifaller, c’est l’endroit idéal pour une réunion secrète de super-méchants. C’est également parfait pour des coups de feu en pleine tête, des fusillades fumantes et des bagarres sur les toits. Forster semble avoir fait l’impasse sur un autre monument du coin, souvenez vous : le Kunsthaus Bregenz, créé par son vénéré compatriote Peter Zumthor. Peut-être n’y avait-il juste pas assez de place pour brancher une klieg light. Plus tard, c’est une petite poursuite sur les toits en tuiles terracotta de Sienne, un tour du Barbican de Londres, quelques grands bâtiments coloniaux au Panama, et même une poursuite de voiture à travers la carrière de marbre de Carrara, en Italie — lieu d’origine du Panthéon de Rome, entre autres. La ESO Paranal Residencia au Chili, où prend place le traditionnel rendez-vous final entre Bond et sa Némésis, est la cerise sur le gâteau. Cet édifice est en réalité un hôtel pour les astronomes de l’Organisation européenne de recherche astronomique dans l’hémisphère sud. Conçu par les architectes allemands Auer et Weber, c’est un choix subtil : un long bâtiment rectangulaire, descendant dans le paysage désertique, abritant un splendide jardin d’hiver ainsi et une piscine éclairée parun dôme de verre de trente-cinq mètres de haut. Situé au milieu du désert Atacama, à environ 2400 mètres au-dessous du niveau de la mer, c’est un endroit que peu auraient l’occasion de voir de l’intérieur en vrai, c’est donc une chance. Appréciez le rythme des façades en béton ! Frissonnez de plaisir devant les intérieurs aux tons terre ! Pâmez-vous devant les longues perspectives internes ! Extasiez-vous devant les détails minimalistes ! Puis regardez le tout voler en éclats ! Oui, presque inévitablement, le bâtiment ne survit pas à sa rencontre avec Bond, et tandis qu’il s’éloigne tranquil1 lement de ses ruines fumantes, je me souviens que peu d’édifices y survivent jamais. Les films de James Bond finissent toujours comme Quantum of Solace : tout seul, 007 ruine non seulement les plans des futurs dominateurs du monde, mais aussi leurs planques, ce qui est regrettable car la plupart sont assez splendides. Souvenez-vous du prodigieux repaire submersible de Stromerg dans L’espion qui m’aimait, avec ses fenêtres circulaires sous-marines et son mobilier style 2001 — L’odyssée de l’esapce, le volcan évidé dans On ne vit que deux fois, la salle de contrôle vertigineuse dans Moonraker, l’élégant — mais structurellement irréalisable — palace de glace dans Meurs un autre jour, et ainsi de suite. Quelques méchants sans-le-sou de Bond s’installent sur des plate-formes pétrolières ou d’autre lieux du même genre, mais quel que soit le choix du vilain, vous pouvez être sûr que tout va finir par exploser. Ces méchants ont tendance à faire beaucoup d’efforts pour leurs « garçonnières », en recrutant des architectes, des entrepreneurs, des designers etc., de bon goût mais diaboliques — ce qui n’est pas simple. C’est alors qu’arrive Bond. Les méchants sont les créateurs, Bond est le destructeur. Il est, fondamentalement, un ennemi de l’architecture. Même au-delà des repaires de méchants, Bond est une menace pour le patrimoine architectural. Repensez à Casino Royale. Pour une fois qu’il n’y avait pas de planque à la fin, que fait James Bond ? Il détruit un palais vénitien inestimable, non seulement en le démolissant, mais bien en le coulant dans le lagon. Ces dommages infligés paraissaient un peu énormes au nom d’un vol de 150 millions de dollars, ou quelque soit la somme. Combien cela coûterait de restaurer le bâtiment ? Probablement plus. C’est la même histoire lorsqu’on arrive au passage sur les paysages historiques dans Quantum of Solace. La poursuite sur les toits de Sienne laisse des tonnes de tuiles à remplacer, et culmine au moment ou Bond et sa proie s’écrasent à travers une verrière, se balancent sur une poulie et finalement renversent les statues d’une salle pleine d’œuvres antiques. Si Bond a un problème avec l’architecture, on peut probablement remonter à son créateur, Ian Fleming, qui n’était certainement pas un fan du modernisme. Il est même allé jusqu’à appeler l’un de ses méchants du même nom qu’Erno Goldfinger, architecte de la Trellick Tower de Londres, entre autres. L’architecte Goldinger était apparemment un voisin de Fleming dans l’Hampstead, et l’auteur à l’esprit conservateur fut outré lorsqu’il démolît sur Willow Road deux maisons victoriennes pour construire ses villas, désormais « classi2 Le livre de Ryan Gander, The Boy Who Always Looked Up, raconte son histoire à la manière d’un livre pour enfants. Le narrateur est un petit garçon qui décrit la vie et la mort de l’architecte moderniste Erno Goldfinger, qui a construit la Trellick Tower à Notting Hill. L’échec des idéaux utopiques de la fin du XXe siècle est exacerbé à travers l’innocence du protagoniste. Gander joue sur l’utilisation de fictions construites qui pourraient ou non ` se baser sur des faits réels. Pour lui, le passé, et par extension,le présent, sont ouverts sur un état de perturbation de l’imaginaire, d’articulation à travers une stratégie qui place la caractérisation fictionelle au cœur de sa pratique. Design par Sara De Bondt. Édition limitée, 500 exemplaires. ques-modernes ». Il a donc répondu à l’affront en prêtant le nom de Goldfinger à son mégalomane fictif amoureux de l’or. Une autre version moins controversée de l’histoire serait que Fleming jouait au golf avec le cousin de la femme de Goldfinger. Quoi qu’il en soit, le pauvre Erno essaya d’empêcher Fleming se s’approprier son nom, sans succès, et dû supporter cette association pour le reste de sa vie. Le point de vue de Fleming sur Le Corbusier était tout aussi virulent, selon ses collaborateurs. En fait, en y regardant de plus près, qu’est ce que l’archétype du méchant de Bond, sinon un architecte moderne ? En général, sa mission consiste à « améliorer » l’humanité en remplaçant une condition bordélique par une utopie ordonnée et rationnelle née de sa propre création. Dans Moonraker, c’est Hugo Drax qui veut recommencer une nouvelle civilisation dans l’espace. Dans L’espion qui m’aimait, c’est Stromberg qui tente d’effacer toutes les villes du monde et créer Atlantis, sa propre cité sousmarine. « Le seul espoir pour le futur de l’humanité », dit-il en écho à Le Corbusier. « Nous avons tous nos rêves », répond Bond, pour ensuite s’assurer que, de la sombre vision du monde de Stromberg, il ne reste que cela — un rêve. L’association entre le mal et le modernisme est présente dans de nombreux films de James Bond. Dans Les diamants sont éternels, Bambi et Thumper donnent une correction à Sean Connery dans la magnifique Elrod House de John Lautner à Palm Springs — avec ses dômes de béton, ses diagonales dynamiques et son mobilier circulaire. Les intérieurs des méchants ont souvent comme modèles des modernistes du même genre. Le spacieux bureau d’Osato, dans On ne vit que deux fois, est assez « Corbusier au Japon ». La « salle de jeu » de Goldfinger, est clairement « Frank Lloyd Wright », comme le repaire « derriere-la-cascade » de Hugo Drax dans Moonraker, dont les panneaux aux motifs maya ressemblent à ceux de la Wright’s Ennis House. L’association continue dans Quantum of Solace. Lorqu’ils découvrent une taupe à l’intérieur du MI6, où croyez-vous qu’elle vit ? Au centre du Barbican de Londres, bien sûr. Je me demande dans quel genre de maison vit Bond lui-même ? Est-ce qu’au moins il en a une ? Si Bond est le fléau de l’architecture moderne, les films ont au moins un champion en la personne de Ken Adams, designer de production extraordinaire. On lui doit la plupart des quartiers généraux de méchants des James Bond classiques — de Dr No à Moonraker, il les a créés 3 Livre de poche, Gallimard, 1955 Plon, 1965 et meublés avec compétence et une véritable dévotion, comme le dit plus en détails le nouveau livre chez Thames and Hudson. Adam étudia l’architecture à Londres avant la seconde guerre mondiale, et il mérite d’être apprécié à sa juste valeur. Il a créé quelques-uns des espaces les plus mémorables de l’ère moderne. En général, nous regardons les bâtiments d’une ville en nous demandant à quoi ils ressemblent à l’intérieur. Les intérieurs spectaculaires d’Adam font l’inverse et nous invite à nous demander à quoi ressemblent les bâtiments de l’extérieur. En réalité, bien sûr, la plupart d’entre eux étaient fragiles, juste constuits dans les studios de Pinewood, et voués à être démantelés ou explosés (comme le palais vénitien dans Casino Royale, et l’intérieur de la Paranal Residencia dans Quantum of Solace), mais les créations d’Adam avaient la même influence que n’importe quelle architecture « réelle ». Bond utilise peut-être sa carte d’agent secret pour gagner avec une inquiétante désinvolture, mais sa motivation devrait être vue moins comme une rancune envers l’architecture moderne que comme une forme extrême de critique. Il se moque dee l’usage des bâtiments et pique au vif la grandiloquence de leurs designers. Les toitsterrasse deviennent des plate-formes où suspendre des sbires par leur cravate ; les cheminées hautes servent à balancer les méchants attachés à un fauteuil dans le vide, les corridors deviennent des pistes de course, les balcons sont des postes d’observation, les bâtiments se transforment en murs d’escalade géants, leurs détails attentivement dessinés sont relégués au plan de simples prises d’appui et pistes d’évasion. Peut-être est-ce juste une pensée fantaisiste de la part de quelqu’un qui écrit sur l’architecture pour vivre, mais lorsque que je desserre mon nœud-papillon, que je pose mon revolver et que je me prépare une vodka-martini, je ne peux m’empêcher de m’identifier à lui. Fleuve Noir, 1981 4 Most people will be too carried away by the relentless action in the latest Bond film to notice the background, but design-minded viewers will find it more exciting than most. It’s unlikely to go down as the best Bond ever, but Quantum of Solace wins hands down when it comes to best architecture. Perhaps it’s because he’s Swiss, but director Marc Forster certainly has an eye for a good building, usually a piece of hard-edged European modernism with a conveniently flat roof. A key location, for example, is the Festival House Bregenz, in Austria — a dauntingly sophisticated ensemble of steel cladding and huge glass windows that opens out on to a spectacular open-air amphitheatre facing the lake, with the stage in the middle of the water. Designed by Austrian architect Dietrich Untertrifaller, it’s the perfect venue for a covert mid-opera meeting of arch-villains. It’s also great for crane shots, tuxedo-clad shootouts, and the odd rooftop punch-up. Forster seems to have passed up on another local landmark, mind you : the Kunsthaus Bregenz, designed by his revered compatriot Peter Zumthor. Perhaps it just didn’t have enough places to plug in a Klieg light. Elsewhere we get a precarious chase over the terracotta tiled roofscape of Siena, a brief tour of London’s Barbican, some grand colonialbuildings in Panama, even a car chase through Italy’s Carrara marble quarry — birthplace of Rome’s Pantheon, among others. Topping the bill, though, is the ESO Paranal Residencia in Chile, where the traditional climactic rendezvous between Bond and his nemesis takes place. In reality, this stunning building is a hostel for astronomers at the European Organisation for Astronomical Research in the Southern Hemisphere. Designed by German architects Auer and Weber it’s a fine choice : a long rectangular strip of a building, sunk into the barren landscape that contains a splendid indoor garden and swimming pool lit by a 35-metre glass dome. Being situated in the middle of the Atacama desert, 2,400 metres above sea level, it’s a place very few of us are likely to ever see inside for real, so here’s your chance. Be dazzled by the rhythmic concrete facades ! Thrill to the earth-toned interiors ! Swoon over the long internal perspectives ! Salivate over the minimal detailing ! Then watch it all get blown to smithereens ! “ Jame bond : the enemy of architecture ” by Steve Rose, The Guardian, november 2008 Festival House, Bergenz, Austria ESO Paranal Residencia, Chile Yes, almost inevitably, the building does not survive its encounter with 5 Bond, and as he saunters away from its smoking ruins, it occurred to me that few buildings ever do. Bond movies invariably end like Quantum : with 007 single-handedly trashing not only the plans of would-be world dominators but also their hideouts, which is a pity because most of them are rather splendid. Think of the stupendous submersible lair of Stromberg in The Spy Who Loved Me with its circular underwater windows and 2001-style furniture, the hollowed-out volcano in Thunderball, the vertiginous control room in Moonraker, the elegant, if structurally unfeasible, ice palace in Die Another Day, and so forth. Some of the low-rent Bond baddies settle for oil rigs and such, but whatever the villain’s crib of choice, you can guarantee it’s going to get exploded. Those villains tend to put a great deal of effort into their bachelor pads, recruiting tasteful but evil architects, contractors, interior designers etc — it can’t be easy. Then along comes Bond. The villains are the creators ; Bond is the destroyer. He’s basically an enemy of architecture. Even beyond the villains’ lairs, Bond is a menace to the built environment. Think back to Casino Royale. For once there was no hideout at the end, so what does Bond do? He demolishes a priceless Venetian palazzo instead, not just smashing it up but actually sinking it into the lagoon. That seemed like an awful lot of damage to inflict in the name of a $150m theft, or whatever it was. How much would it cost to repair that building? Probably more. It’s a similar story when it comes to historic cityscapes in Quantum of Solace. The chase across the rooftops of Siena leaves plenty of tiles in need of replacement, and culminates in Bond and his quarry crashing through a skylight, swinging about on pulleys and knocking over statues inside some antiquated chamber. If Bond has a problem with architecture it can probably be traced back to his creator, Ian Fleming, who was certainly no fan of modernism. He even went as far as to name one of his best baddies after the Erno Goldfinger, architect of London’s Trellick Tower among others. Goldfinger the architect was apparently a neighbour of Fleming’s in Hampstead, and the conservation-minded author was incensed when he demolished two Victorian houses to build his nowclassic modern villas on Willow Road. So he returned the insult by lending Goldfinger’s name to his fictional gold-loving megalomaniac. Another, less-controversial version of the story has it that Fleming played golf with Trellick Tower, Notting Hill, London Design by Erno Goldfinger Drawing of Nos 1-3 Willow Road, by Ernö Goldfinger 6 Goldfinger’s wife’s cousin, but either way, poor Erno tried and failed to stop Fleming appropriating his name, and had to bear the association for the rest of his life. Fleming’s views on Le Corbusier were equally scathing, according to associates. In fact, on closer inspection, what is the archetypal Bond villain if not a modern architect? He is usually on a mission to “ improve” humanity by wiping out the messy status quo and replacing it with some orderly, rational utopia of his own design. In Moonraker it’s Hugo Drax who wants to start civilisation afresh in space. In The Spy Who Loved Me, it’s Stromberg, who tries to wipe out the world’s cities and create his own underwater world of Atlantis. “ The only hope for the future of mankind,” he says, echoing Le Corbusier. “ We all have our dreams,” responds Bond, resolving to ensure Stromberg’s scorched-earth vision remains just that - a dream. The association between evil and modernism runs through many Bond movies. In Diamonds Are Forever, Roger Moore is taught a lesson by Bambi and Thumper in John Lautner’s beautiful Elrod House in Palm Springs - all futuristic concrete domes, dynamic diagonals and circular furniture. Villain interiors are often modelled on similar modernists. Osato’s spacious office in Thunderball is rather Corbusier in Japan. Goldfinger’s “rumpus room” is distinctly Frank Lloyd Wright, as is Hugo Drax’s behind-the-waterfall lair in Moonraker, whose Mayan-patterned relief panels resemble those of Wright’s Ennis House. The association continues in Quantum of Solace. When they find a mole within MI6, where do you think he lives? London’s Barbican centre, of course. What kind of house does Bond himself live in, I wonder? Does he even have one? Erno Goldfinger Ian Fleming’s villain, Goldfinger If Bond is the scourge of modern architecture, the movies at least have a champion in the form of Ken Adam, production designer extraordinaire. He was the man behind most of the classic Bond villain headquarters from Dr No to Moonraker, and he designed and furnished them with great skill and devotion, as a new book from Thames and Hudson details. Adam studied architecture in London before the second world war, and he deserves to be considered one. Inarguably, he created some of the most memorable spaces of the modern era. Usually, we look at buildings in a city and wonder what they look like inside. Adam’s spectacular interiors do the opposite, inviting us to wonder what the buildings look like 7 on the outside. In reality of course, most of them were just flimsy sets in Pinewood studios whose ultimate fate was to be dismantled or blown up (like the Venetian palazzo in Casino Royale, the interior of the Paranal Residencia in Quantum of Solace), but Adam’s designs have been as influential as any “real” pieces of architecture. Bond might deploy his licence to trash with worrying abandon, but his motive should be seen less as a grudge against modern architecture and more an extreme form of criticism. He makes a mockery of buildings’ functions and pricks the pomposity of their designers. Flat rooftops become platforms from which to dangle henchmen by their neckties ; tall chimneys are there to drop wheelchair-bound villains down ; corridors become racetracks, balconies vantage points, buildings as a whole turned into giant climbing frames, their carefully designed details relegated to mere footholds and escape routes. Perhaps that’s just fanciful thinking on the part of someone who writes about architecture for a living, but as I loosen my bowtie, unholster my revolver and mix a stiff vodka martini, I can’t help but identify with him. Dr Strangelove, 1964, design Ken Adam Moonraker, 1979, design Ken Adam You only live twice, 1967 design Ken Adam 8