MOLIERE_PRESENTATION_files/moliere chap 1 et 2

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comme Bellerose, l’étoile de l’Hôtel de Bourgogne,
c’est autre chose ! En tout cas dans l’esprit du vieux
Louis. Dans celui de son gendre Jean Poquelin, il en va
différemment. Les Gaultier-Garguille, Gros-Guillaume,
Turlupin et Tabarin, princes des farceurs, ne trouvent
pas grâce à ses yeux. être artisan du Roi lui donne le
privilège de faire admettre ses enfants sur les bancs du
prestigieux Collège de Clermont (de nos jours Louis-LeGrand) où l’on dispense le meilleur enseignement aux
jeunes nobles.
- Jean-Baptiste fera son droit ! clame Jean
Poquelin. La « Robe » a tous les avantages. La comédie
ne nourrit pas son homme et ceux qui s’y adonnent sont
peu considérés. L’église les tient pour hérétiques, tandis
qu’un juge, un avocat sont recherchés dans le monde,
ainsi qu’à la Cour et… s’enrichissent fort.
Attaquer un magistrat, le contrefaire, vaut à un comédien
un séjour en prison. Pour ce délit, le fameux Turlupin a
été incarcéré au Chatelet(1).
- Mon fils fera son droit ! répète Jean Poquelin.
Jean-Baptiste entre donc, à treize ans, au Collège de
Clermont tenu par les Jésuites(2). Cela a son importance.
Les subtilités de leur enseignement émaillent l’existence
et l’oeuvre de Molière. On les devine dans les flatteuses
dédicaces au Roi :
« Louis, le grand Louis, dont l’esprit souverain
Ne dit rien au hasard, et voit tout d’un œil sain… »
On les entend dans le culte du compromis de Philinte
(Le Misanthrope) :
« Il est bien des endroits où la pleine franchise
Deviendrait ridicule, et serait peu permise… »,
Elles sont à l’extrême dans les propos de Tartuffe :
« Et ce n’est pas pécher que pécher en silence… »
Avocat ou aventurier ?
1622-1643
La vocation de Jean-Baptiste Poquelin
Ses études d’avocat
Le théâtre sur le Pont-Neuf
Création de « L’Illustre Théâtre »
En 1633, au cœur de Paris, sur le Pont-Neuf près
de Notre-Dame, le petit Jean-Baptiste tient la manche
de son grand-père Louis pour ne pas le perdre au milieu
des badauds. La foule vient là pour s’amuser, rire aux
éclats, interpeller, applaudir les comédiens ambulants
dont les tréteaux sont dressés d’un bout à l’autre du
pont. La vocation de Jean-Baptiste germe à ce momentlà. Il a onze ans et s’extasie devant l’habileté des farceurs,
souvent italiens, acteurs, jongleurs, acrobates, musiciens.
Ils pratiquent ce qu’ils nomment : La commedia dell’arte,
une forme de théâtre qui vise à la réaction immédiate du
public à travers des canevas simples, éternels. On y moque
vieux jaloux, fanfarons, balourds, docteurs charlatans,
et paysans bornés… les valets y trompent allègrement
leurs maîtres et, après maintes intrigues, poursuites,
bastonnades, l’imbroglio s’achève immanquablement
par un mariage entre deux jouvenceaux aussi bêtas
qu’amoureux.
Le grand-père se réjouit du penchant de Jean-Baptiste
pour la comédie. Il espère que son petit-fils préféré - il
en a six - échappera à la profession de tapissier. On est
tapissier de père en fils aussi bien du côté paternel que
maternel dans la famille du futur Molière. Il n’y a rien
là de déshonorant d’autant qu’on détient la charge de
Tapissier du Roi… mais être comédien de haut rang
(1) Avant d’être un des plus beaux théâtres de Paris, du Moyen-Âge au XIXe siècle le
Châtelet fut une prison dont Molière éprouva les cachots à deux reprises pour dettes.
(2) Ordre religieux fondé en 1540 par Ignace de Loyola. Ses membres « La Compagnie
de Jésus » étaient voués à l’apostolat, à l’enseignement et aux missions. Ils furent aussi
d’excellents confesseurs par leur largesse d’esprit. Leurs accommodements avec le Ciel leur
valurent une réputation d’hypocrites qui perdure. Est-elle tout à fait justifiée ?
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Témoigne également de l’influence des maîtres de la
Compagnie de Jésus, l’épaisseur des héros de son théâtre.
Ils ne sont jamais blancs ou noirs, mais tragi-comiques.
Musset dit qu’ils ont :
« Une mâle gaîté si triste et si profonde
Que lorsqu’on vient d’en rire on devrait en pleurer. »
L’éducation libérale reçue par Jean-Baptiste lui
fait aimer les poètes comiques latins Plaute et Térence.
Au premier il empruntera l’intrigue de L’Avare et
d’Amphitryon, au second celle des Fourberies de Scapin.
Notre étudiant excelle en version latine. Il poursuivra
longtemps la traduction du chef-d’œuvre de Lucrèce « De
natura rerum » à la gloire de la philosophie épicurienne(1).
Ce texte a disparu… Molière le considérait comme « le
moins périssable de (son) œuvre. »
Parmi les condisciples de Jean-Baptiste au Collège de
Clermont, on peut citer le Prince de Conti dont on verra
le rôle capital dans la destinée du comédien, l’écrivain
et joyeux drille Chapelle, Cyrano de Bergerac, poète et
auteur dramatique auquel il volera la célèbre réplique :
« Que diable allait-il faire dans cette galère ? »,
ainsi que Charles Perrault dont les contes pour enfants
se lisent toujours.
tours et son insolence bouffonne. Bien des années après,
en 1667, dans sa comédie Le Sicilien, Molière évoquera
joliment le sombre vêtement du comédien transalpin :
« Le ciel s’est habillé ce soir en Scaramouche et je ne vois pas une
étoile qui montre le bout de son nez. »
Les deux hommes se sont rencontrés. Molière a bien
retenu les conseils du grand spécialiste de la farce. Son
ami Boileau lui reprochera un jour son amour de la
commedia dell’arte.
- Une histoire passionnelle. Bien que le grand-père
Louis ait rendu l’âme (en 1638), Jean-Baptiste ne cesse de
fréquenter les Jeux de Paume(2) où se donne la comédie.
Près de la porte de Nesle se produit une certaine Madeleine
Béjart dont le talent d’actrice autant que les charmes
séduisent le jeune homme. Qu’importe qu’il ne soit pas
le seul prétendant… La comédienne a vingt-quatre ans
en 1642, lui n’en a que vingt. Madeleine a déjà beaucoup
1640. Bien qu’ayant obtenu son diplôme d’avocat
à Orléans, Jean-Baptiste ne plaidera jamais. La passion
du théâtre est plus forte. Son père le contraint à prêter
serment pour la survivance de la charge de Tapissier du
Roi… Il obéit mais il a dix-huit ans et ne songe qu’à fuir
l’existence bourgeoise de ses parents. Deux excellentes
raisons le poussent vers les tréteaux :
- L’arrivée à Paris d’un auteur-acteur-improvisateur
italien, Tiberio Fiorelli, inventeur du personnage de
Scaramouche. Avec ses moustaches arrogantes, son
masque et son costume noirs, il fait rire la foule par ses
(2) Le Jeu de Paume ancêtre du tennis ou du squash se pratiquait dans un lieu clos,
rectangulaire, entouré de galeries où se pressait le public. L’acoustique y était généralement
bonne et on pouvait facilement y construire une scène. Paris en comptait plus de cent au
XVIIe siècle. Le premier véritable théâtre à l’italienne comme nous le connaissons ne verra
le jour qu’en 1680 pour la Comédie française.
(1) Pour épicure la notion de « sagesse » intégrait toutes les formes du plaisir ce qui ne
déplaisait pas au futur auteur de Dom Juan.
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vécu. Le Comte de Modène(1) est le plus assidu de ses
protecteurs. Les historiens sont aujourd’hui presque tous
d’accord : Modène est le père de la petite Armande que
Madeleine mettra au monde en 1643. Nous examinerons
plus tard la méchante querelle que les ennemis de Molière
lui feront lorsqu’il épousera Armande.
Au mois de janvier de cette année-là, Jean-Baptiste obtient
de son père six cent trente livres représentant la part
d’héritage léguée par sa mère. Il quitte le toit paternel,
renonce à la charge de Tapissier du Roi, s’installe rue
de Thorigny, près des Béjart. Le 30 juin, il signe l’acte
fondateur de L’Illustre Théâtre, une troupe composée de
la fratrie : Madeleine, Louis, Geneviève, Joseph Béjart, de
cinq autres comédiens et lui-même.
Le pécule de Jean-Baptiste aidera à louer pour trois ans
le Jeu de Paume des Métayer, situé rue Mazarine (nom
actuel) à Paris. Dès lors, tous les espoirs sont permis. Pour
celui qui signera bientôt Molière(2), les jeux de l’amour et
du théâtre commencent… Vive l’aventure !
(1) Esprit de Modène, jeune seigneur ayant partagé la même éducation que Gaston
d’Orléans, frère de Louis XIII et le Duc de Guise, est comte de Modène (arrondissement de
Carpentras) où il possède un château ainsi qu’à Malicorne (dans le Maine). Il vit le plus
clair de son temps à Paris dans son Hôtel de Lavardin tandis que son épouse plus âgée que
lui demeure en province. La liaison notoire de ce libertin (28 ans) avec Madeleine Béjart (20
ans) aurait commencé en 1638. Il en est né une fille Françoise … Bien avant que Molière
ne courtise l’actrice.
(2) Tous les molièristes - ils sont nombreux et savants à travers le monde - ont tenté de
percer le secret du pseudonyme « Molière » adopté par Jean-Baptiste Poquelin. Aucun n’a pu
fournir d’explication irréfutable . à notre avis - sous toutes réserves - l’hypothèse la moins
farfelue prétend que de multiples communes portaient et portent encore le nom de Molière.
L’une d’elles se situait sur le chemin de Paris à Rouen. Les Béjart jouaient souvent à
Rouen. Jean-Baptiste aurait, en les suivant, découvert le village appelé Molière. Le nom lui
aurait plu… Il fallait bien qu’il choisisse un patronyme de théâtre. Son père le lui avait très
fortement recommandé.
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Baladin avec les Béjart
1643-1645
Les mauvais débuts parisiens
Molière chef de troupe
Les dettes, la prison
Troupe disloquée, Molière en fuite
Durant l’été 1643, Molière et les comédiens de
l’Illustre Théâtre se donnent beaucoup de mal - entre
les répétitions - pour aménager la scène, les coulisses,
les galeries du Jeu de Paume des Métayer. Une grande
maison attenante qu’il faut également restaurer
permet de loger la troupe. Les frais - de menuiserie en
particulier - s’accumulent… Les recettes de quelques
représentations à Rouen ne suffisent pas à les couvrir.
Et… il faut encore paver la rue aux abords du Jeu de Paume
pour que les carrosses puissent y accéder facilement et
que les piétons ne crottent pas leurs bottes. Il n’existe
pas de subvention municipale à l’époque ! Cette dernière
opération est confiée à l’entrepreneur Léonard Aubry,
modéré dans sa facturation car son fils est amoureux de
la sœur de Madeleine Béjart, Geneviève, qu’il épousera.
L’ouverture de l’Illustre Théâtre a lieu le 1er janvier 1644.
Au programme, une pièce de Tristan l’Hermite : La mort
de Crispé ou les malheurs domestiques du grand Constantin et
une œuvre de Pierre du Ryer : Scevole.
Hélas, échec total. Malgré la protection quasi-officielle
de Son Altesse Royale Gaston d’Orléans, frère de Louis
XIII, que Madeleine Béjart a obtenue grâce à son amant
le Comte de Modène chambellan de Son Altesse… la
notoriété ne vient pas. L’Illustre Théâtre végète, s’endette.
Il est à la merci du sieur François Pommier, bailleur de
fonds et du marchand de chandelles(1) Antoine Fausser,
créancier qui n’entend pas se laisser moucher.
Molière qui, du haut de ses vingt-trois ans se
sent l’âme d’un « patron », demande à la compagnie une
modification du contrat qui le lie à elle. Celle-ci, comptetenu du marasme qui l’affecte, accepte sa proposition.
Voilà donc Molière à la tête de la troupe, décidant du
répertoire et de la distribution des rôles. Mais dans
l’immédiat cette responsabilité lui vaut plus de déboires
que de satisfactions. Les mois passent, le public boude le
Jeu de Paume des Métayer, il dénonce le bail et négocie
(1) On n’imagine pas la quantité phénoménale de chandelles nécessaires chaque soir à
l’éclairage de la scène et de la salle par des lustres importants. Cela représentait non seulement
une charge très lourde mais aussi un réel danger. Le Théâtre du Marais concurrent de
l’Illustre Théâtre brûlera le 15 janvier 1644. Malgré ce rival en moins l’Illustre Théâtre ne
fera pas de meilleures recettes.
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la location du Jeu de Paume de la Croix Noire situé au
port Saint-Paul en bord de Seine, aujourd’hui 32 quai des
Célestins. Dès janvier 1645, l’Illustre Théâtre s’y produit.
Que donne-t-on ? Une tragédie de Rotrou ou de Corneille,
genre où brille Madeleine ? On ne sait pas… ce qui est
patent en revanche c’est la fragilité de la compagnie.
La justice s’en mêle. Les dettes s’élèvent à plus de cinq
mille livres, une somme énorme(1). Si Molière parvient
à convaincre l’ensemble des créanciers d’accorder des
délais de paiement supplémentaires, il se heurte au refus
obstiné du marchand de chandelles. Faute de pouvoir
s’acquitter des cent quarante deux livres réclamées, il est
emprisonné au Châtelet, le 2 août. Par bonheur et par
la grâce du généreux paveur Léonard Aubry qui paie la
caution, il en sort le 5 août.
L’année qui s’écoule est singulièrement chaotique.
Les mauvaises recettes, l’insuccès, rendent les acteurs
irritables, remuants. Plusieurs d’entre eux quittent la
compagnie… si bien qu’à la fin du mois d’août il ne reste
plus autour de Molière et des Béjart que Germain Clérin,
Gaspard Rabel et Catherine Bourgeois. Pour satisfaire
les créanciers il faut vendre une partie des costumes de
scène.
Au mois d’octobre, menacé à nouveau par la justice,
Molière s’enfuit. Seule la troupe connaît sa destination.
Elle le rejoindra bientôt.
Molière gagne Bordeaux où la troupe de Charles Dufresne
l’accueille, l’emploie au même titre que la vingtaine de
comédiens qui la composent. Le rayonnement de cette
compagnie s’étend sur tout le royaume. Elle est parrainée
par Bernard de Nogaret de La Valette, duc d’épernon,
gouverneur de la Guyenne : un fidèle mécène.
Dufresne est un vieux routier du théâtre dont la technique
est de premier ordre. Molière apprend beaucoup à son
contact. Il se lie d’amitié avec l’un des acteurs les plus
drôles de la troupe, René Berthelot alias Du Parc ou
Gros-René qui joue de sa rondeur dans les rôles de valets
benêts ou de barbons cocus.
Après Bordeaux, on se dirige vers Rennes mais on fait une
longue étape à Nantes. C’est dans cette ville que Madeleine
Béjart et ses compagnons retrouvent Molière.
Adieu l’Illustre Théâtre, les deux troupes se fondent sous
la bannière de Dufresne. Le temps des pérégrinations
commence.
(1) Cela correspond à la pension annuelle que recevait la troupe des Comédiens du Roi.
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