Arrêts faisant autorité
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Arrêts faisant autorité LA LIBERTÉ D’EXPRESSION, LE DROIT À UN PROCÈS ÈQUITABLE ET LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÈS Préparé pour le Réseau ontarien d’éducation juridique par les clercs de la Cour d’appel de l’Ontario Dagenais c. Société Radio-Canada (1994) Contexte Messieurs Dagenais, Monette, Dugas et Radford, quatre membres d'un ordre catholique, les Frères des écoles chrétiennes, ont été accusés d'avoir agressé sexuellement de jeunes garçons alors qu’ils étaient enseignants dans une école catholique de l'Ontario. Après les arrestations des quatre hommes, mais avant la fin de leurs procès, la Société Radio-Canada (SRC) et l’Office national du film (ONF) ont tenté de diffuser un docudrame intitulé « Les garçons de Saint-Vincent », qui était inspiré d’événements s’étant produits à Terre-Neuve et similaires aux actes censément commis par les Frères. Lors d’une requête présentée par l’avocat de la défense, le juge de première instance a décidé que la diffusion du docudrame « Les garçons de Saint-Vincent » pourrait violer le droit à un procès équitable que garantissait aux quatre hommes l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 et que la diffusion du docudrame était donc interdite jusqu’à la fin des procès criminels. La SRC et l’ONF ont interjeté appel de la décision du tribunal inférieur, en soutenant que l’ordonnance de non-publication violait le droit à la liberté d’expression garanti à l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982. La Charte canadienne des droits et libertés Le droit à un procès équitable À titre de partie intégrante de la Loi constitutionnelle de 1982, la Charte canadienne des droits et libertés décrit les droits et libertés individuels des Canadiens. L’alinéa 11d) de la Charte décrit les droits garantis à quiconque est accusé d’une infraction. Il prévoit que tout inculpé a le droit : 11 d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable; L’éducation et le dialogue pour une société civile. La liberté d’expression, le droit à un procès équitable et la Charte canadienne des droits et libertés 2 Une autre ressource du ROEJ dans le cadre du programme Salle d'audience et Salle de classe En plus de bénéficier des garanties prévues à l’al. 11d), chaque personne est protégée par l’article 7 de la Charte, qui se lit comme suit : 7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. Soucieux de protéger pleinement le droit d’un accusé à une audition équitable par un tribunal indépendant, les tribunaux s’inquiètent que les jurys puissent être indûment influencés par certains renseignements. Par conséquent, les tribunaux ont décidé que, dans certaines situations, ils doivent empêcher le jury de lire ou d’entendre certains renseignements. Il y a diverses façons de veiller à ce que le jury ne soit pas indûment influencé, notamment en l’isolant (tenir le jury dans un environnement protégé, à l’écart des renseignements non censurés), en autorisant des questions plus approfondies lors de la sélection des jurés (pour découvrir si un juré éventuel a déjà été influencé par la publicité) et en fournissant au jury des directives fermes lui indiquant de faire abstraction de certains renseignements. Le droit à la liberté d’expression La Charte canadienne des droits et libertés garantit également aux Canadiens le droit à la liberté d’expression. Cette liberté est décrite à l’al. 2b), qui se lit comme suit : 2b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication; Cette liberté permet à toute personne ou organisation d’exprimer ses pensées et idées sans l’intervention du gouvernement. Dans la pratique, cela signifie que toute personne ou organisation peut publier ses pensées et qu’elle ne peut pas être empêchée de le faire sans motif valable. La question : Comment reconnaître les deux droits? La question en litige dans l’affaire Dagenais était celle de savoir comment protéger le droit à la liberté d’expression et le droit à un procès équitable, lesquels droits sont énoncés dans la Charte, sans qu’il ne soit inutilement porté atteinte à l’un ou l’autre des droits. La requête pour obtenir une injonction empêchant la diffusion de l’émission « Les garçons de Saint-Vincent » a été accueillie et une ordonnance de non-publication de la demande d’interdiction dans le cadre du programme a été rendue. La décision a fait l’objet d’un appel à la Cour d’appel de l’Ontario. Appel à la Cour d’appel de l’Ontario Sur appel, l’injonction a été confirmée, mais le tribunal n’a interdit la publication qu’en Ontario et à Montréal. L’ordonnance de non-publication dans le cadre de l’action en justice a été annulée, le tribunal ayant décidé que l’ordonnance de non-publication rendue par le juge de première instance était inutilement générale. La SRC et l’ONF, insatisfaits de cette décision, ont demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision à la Cour suprême du Canada. L’éducation et le dialogue pour une société civile. La liberté d’expression, le droit à un procès équitable et la Charte canadienne des droits et libertés 3 Une autre ressource du ROEJ dans le cadre du programme Salle d'audience et Salle de classe Appel à la Cour suprême du Canada La SRC et l’ONF ont débattu le pourvoi le 24 janvier 1994 et la décision a été rendue le 8 décembre 1994. Dans une décision majoritaire de la Cour, le juge en chef Lamer a conclu que l’ordonnance de non-publication violait le droit à la liberté d’expression énoncé à l’alinéa 2b) de la Charte. Selon la Cour suprême, la capacité d’un tribunal de rendre une ordonnance de non-publication est un pouvoir discrétionnaire issu de la common law, de sorte que les juges peuvent examiner les circonstances de chaque cas. Dans la décision majoritaire, la Cour a précisé que la règle de common law oblige la partie qui demande l’ordonnance de non-publication à démontrer qu’il existe un « risque réel et important » qu’il y ait entrave au droit à un procès équitable. Si le juge qui préside conclut qu’il a été satisfait au critère, il est habilité à rendre une telle ordonnance. En vue de faire concorder la common law avec la Charte, les juges majoritaires ont décidé qu’une conception des droits fondée sur le « conflit », que l’on constate aux États-Unis, ne conviendrait pas au Canada. La conception fondée sur le « conflit » mène à une hiérarchie des droits, en vertu de laquelle certains droits sont plus importants que d’autres. Les juges majoritaires ont décidé qu’une telle conception n’était pas appropriée et qu’une conception canadienne devrait être fondée sur un « équilibre » entre les deux droits, de manière à ce que ces deux droits puissent être pleinement respectés. L’application de ce modèle de pondération et les conclusions de la Cour au sujet des effets de la Charte ont donné lieu à une règle modifiée concernant les ordonnances de non-publication : une ordonnance de non-publication ne doit être rendue que si a) elle est nécessaire pour écarter le risque réel et important que le procès soit inéquitable, vu l'absence d'autres mesures raisonnables pouvant réduire ce risque et b) ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur la liberté expression de l’autre partie. Ordonnances de non-publication La Cour a précisé les règles concernant les ordonnances de non-publication. La partie qui demande l’ordonnance doit justifier la restriction de la liberté d'expression et prouver que l’ordonnance est nécessaire, qu'elle vise un objectif important qui ne peut être atteint raisonnablement d’une autre manière, qu’elle est aussi limitée que possible et que ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur la liberté expression. Au moment d’établir un équilibre entre les effets bénéfiques et les effets préjudiciables d’une ordonnance de non-publication, le juge doit examiner si un autre droit garanti par la Charte est protégé par l’ordonnance. En appliquant les principes énoncés ci-haut aux faits dans l’affaire Dagenais, la Cour suprême du Canada a décidé que l’ordonnance de non-publication empêchant la diffusion de l’émission « Les garçons de Saint-Vincent » était inconstitutionnelle et ne pouvait donc pas être confirmée. Selon les juges majoritaires, même si elle visait à écarter le « risque réel et important » que les procès des intimés soient inéquitables, l'ordonnance était d’application beaucoup trop générale, et aucune autre mesure susceptible de protéger le droit des défendeurs à un procès équitable n’avait été examinée. L’éducation et le dialogue pour une société civile. La liberté d’expression, le droit à un procès équitable et la Charte canadienne des droits et libertés 4 Une autre ressource du ROEJ dans le cadre du programme Salle d'audience et Salle de classe Questions à débattre en salle de classe 1. a) Quel type de document est la Charte canadienne des droits et libertés? 2. En quoi la Charte canadienne des droits et libertés est-elle différente des autres lois? b) Qui est protégé en vertu de la Charte? c) Qui voit ses actions assujetties à des restrictions en vertu de la Charte? 3. Que signifient les alinéas 2b) et 11d) de la Charte? Que visent-ils à protéger? 4. a) Que veut dire la Cour suprême du Canada lorsqu’elle parle du modèle du « conflit »? b) En quoi le modèle canadien est-il différent? c) De quelle manière pensez-vous que l’histoire des États-Unis a imprimé sa marque sur son modèle de droits et libertés ou mené à celui-ci? 5. Comment cette décision de la Cour suprême du Canada pourrait-elle affecter le droit à la liberté d’expression au Canada? 6. Quel rôle jouent les médias dans la protection des droits et le renforcement du système judiciaire? 7. Pensez-vous que le statut de radiodiffuseur public de la SRC a une incidence sur l’issue de la présente affaire? 8. Séparez les élèves en deux groupes. Dites aux groupes d’élaborer des arguments originaux en vue d’un débat sur les deux sujets suivants : a) Le droit de M. Dagenais à un procès équitable N’A PAS été violé. b) Le droit de M. Dagenais à un procès équitable A été violé. L’éducation et le dialogue pour une société civile. La liberté d’expression, le droit à un procès équitable et la Charte canadienne des droits et libertés 5 Une autre ressource du ROEJ dans le cadre du programme Salle d'audience et Salle de classe Dagenais c. SRC: Feuille de travail 1 Établir un équilibre entre deux principes égaux Selon la Cour suprême du Canada, lorsque deux droits garantis par la Charte sont en conflit, il convient d’établir un équilibre entre les intérêts qu’ils protègent, de manière à ce que chacun des droits soit protégé autant que possible. En vous servant du nouveau principe applicable aux ordonnances de non-publication que la Cour suprême du Canada a énoncé dans l’affaire Dagenais, évaluez les scénarios suivants. Décrivez les intérêts en jeu et les arguments favorables et défavorables à la publication. Proposez une solution. Scénario no 1 Un jeune homme est arrêté et traduit en justice pour conduite dangereuse (mais n’a blessé personne). La police a demandé aux médias de publier sa description en vue de trouver d’autres témoins oculaires. Scénario no 2 On veut présenter, lors d’un bulletin de nouvelles diffusé aux heures de grande écoute, une émission spéciale sur les pédophiles déclarés coupables qui ont purgé leur peine d’emprisonnement et qui vivent tranquillement, sans aucun contact avec des enfants. Scénario no 3 Tie Domi, un joueur de hockey reconnu, est en instance de divorce. Les médias ont publié plusieurs extraits des documents juridiques déposés par son épouse. En particulier, les médias ont publié des détails portant sur la relation troublée du couple. Scénario no 4 Un chirurgien chevronné fait l’objet d’une poursuite pour faute professionnelle. Les documents déposés à la cour contiennent de l’information personnelle tirée des dossiers médicaux de ses patients. L’éducation et le dialogue pour une société civile. La liberté d’expression, le droit à un procès équitable et la Charte canadienne des droits et libertés 6 Une autre ressource du ROEJ dans le cadre du programme Salle d'audience et Salle de classe Dagenais c. SRC: Feuille de travail 2 Disponibilité d’autres solutions de rechange aux ordonnances de nonpublication La Cour suprême du Canada a décidé qu’avant de rendre une ordonnance de non-publication, le juge doit tout d’abord déterminer si d’autres options sont disponibles pour protéger le défendeur d’un procès inéquitable. En obligeant les juges à examiner des solutions de rechange, la Cour suprême espère que, dans la plupart des cas, le système judiciaire ne devra pas violer la liberté d’expression pour protéger les droits des accusés. Questions à débattre en petits groupes : 1. Songez à certaines solutions de rechange possibles aux ordonnances de nonpublication. Créez une liste énumérant vos options, de la moins à la plus « gênante » pour le droit à la liberté d’expression. 2. Certaines options pourraient-elles ne pas être disponibles selon le type de renseignement faisant l’objet de la discussion? 3. Énumérez les intérêts de diverses personnes touchées par la couverture médiatique d’une cause juridique (au criminel ou au civil). **Dans un groupe nombreux, discutez des réponses de chaque groupe. L’éducation et le dialogue pour une société civile. La liberté d’expression, le droit à un procès équitable et la Charte canadienne des droits et libertés 7 Une autre ressource du ROEJ dans le cadre du programme Salle d'audience et Salle de classe Dagenais c. SRC: Feuille de travail 3 Suppression ou modification des règles de common law Lorsque la Loi constitutionnelle de 1982 est entrée en vigueur, elle a fait de la Constitution du Canada la « loi suprême du Canada ». Une loi « suprême » dans le contexte de la Constitution est une loi qui l’emporte sur d’autres formes de lois. Voilà ce qu’énonce le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 : 52(1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. Dans la pratique, cela veut dire que toute disposition législative adoptée par le Parlement du Canada ou l’une des législatures provinciales qui est incompatible avec la Constitution peut être annulée. Tout comme d’autres pays du Commonwealth, le Canada est un pays de « common law ». La « common law » est l’ensemble des décisions judiciaires qui ont résulté de l’application des lois à diverses situations. Tout comme les lois écrites, la « common law » doit être compatible avec la Constitution du Canada. Dans l’arrêt Dagenais, la Cour suprême du Canada a décidé que les anciennes règles de common law concernant les ordonnances de non-publication devaient être modifiées pour demeurer compatibles avec les principes énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés. Activité Les règles suivantes sont-elles compatibles avec le droit à la liberté d’expression et le droit à un procès équitable? Dans la négative, comment les rédigeriez-vous de nouveau afin qu’elles le soient? 1. Quiconque veut écrire un commentaire politique qui est contraire aux intérêts des Canadiens peut être arrêté en vertu du Code criminel du Canada. 2. Tout inculpé a le droit de participer à sa propre défense. 3. Les élèves dans les écoles secondaires ne sont pas autorisés à porter des chandails sur lesquels sont inscrits de gros mots. 4. Tout groupe religieux peut publier ses propres journaux. L’éducation et le dialogue pour une société civile. La liberté d’expression, le droit à un procès équitable et la Charte canadienne des droits et libertés 8 Une autre ressource du ROEJ dans le cadre du programme Salle d'audience et Salle de classe Dagenais c. SRC: Feuille de travail 4 Opinions « dissidentes » ou minoritaires Neuf juges siègent à la Cour suprême du Canada. Ils ne votent pas toujours de la même manière. Dans l’affaire Dagenais, il y avait une minorité importante de quatre juges, ce qui signifie que quatre juges de la Cour se sont opposés à la décision majoritaire. Bien que la décision majoritaire dans une cause donnée devienne la loi exécutoire dans les causes futures, les opinions minoritaires peuvent être très importantes pour discuter des objections ou du bien-fondé de l’application des règles dans une cause particulière. Par conséquent, au moment d’appliquer d’anciens principes à de nouvelles causes, les avocats liront souvent les opinions « dissidentes » ou « minoritaires » qui pourraient leur donner de nouvelles idées ou les aider à formuler des arguments solides. Activité Rédigez un paragraphe indiquant que vous n’êtes pas d’accord (que vous êtes en dissidence) avec les énoncés suivants. 1. Les tribunaux devraient tenter d’établir un équilibre entre les droits qui sont en conflit. 2. La liberté d’expression est tout aussi importante que le droit à un procès équitable. Activité élargie Demandez aux élèves de présenter des arguments favorables ou défavorables aux énoncés ci-haut, exemples à l’appui. Demandez-leur de formuler une situation hypothétique et d’appliquer leur raisonnement pour démontrer comment leur position mènerait à la protection de droits. L’éducation et le dialogue pour une société civile.