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l e M a g a z i n e d u b e a u f o rta i n N°1 ~ Gratuit ROSELEND, 50 ans d'odyssée entre la terre et l'eau m p.18 De l'herbe au Beaufort toute une histoire m p.25 poudreuse à gogo et saute vallons m p.43 Marie Bochet chercheuse d'or m p.47 Sommaire une nature préservée Hélène durand, “la marche est un art de vivre” La haute route des vagabonds Le versant du soleil, Roger Frison-Roche Refuge de Presset, Un rêve d’enfant La blague de Samivel Tourbière des Saisies, Les archives de la nature UNE NATURE PARTAGÉE Jean-françois lyon-caen, "architecture de montagne, inventer l’habitat de demain" Le passé a de l’avenir ! Charlie et l’ébénisterie Je vous en mets combien ? zoom sur l'eau en beaufortain Roselend, 50 ans d’odyssée entre la terre et l’eau Le mouvement magique de l'eau UNE NATURE EN MOUVEMENT florent perrier, "naître et travailler dans le Beaufortain est un privilège" De l’herbe au Beaufort, toute une histoire La double vie de Louis Gachet Le grataron, une spécialité locale très prisée La fibre naturelle fait son grand retour 04 06 07 07 08 09 Versants cuisine & jardin UNE MONTAGNE D'ACTIVITÉS 32 jacques bos, “l’homme qui murmure à l’oreille des truites” Portfolio L’échappée belle Le pays d’en haut 34 36 38 39 10 12 13 15 15 17 28 28 30 Un art de vivre ancestral Les jardins s’invitent à table JEUX D'HIVER 40 christophe hagenmuller, “le photographe vagabond” Poudreuse a gogo et saute-vallons, les joies du ski de rando portfolio Franck Piccard, La glisse dans tous ses états Marie Bochet, chercheuse d’or Pierra Menta, Une course inscrite au patrimoine local 18 18 21 42 43 44 46 47 48 22 24 25 26 27 27 Versants Livres 50 Massif du Mont Blanc Les Contamines Montjoie Chaîne des Aravis Flumet Station des saisies Col du Joly Hauteluce Ugine Col de la Seigne Villardsur-doron Beaufort Mont Mirantin Arêches Le Planay Queige Albertville Col de la Bâthie La Bâthie VERSANTS ~ 2 Grand Mont Cormet de Roselend Les Chapieux Boudin Roselend Conchette Cormet d'Arêches Aiguille du Grand Font Pierra Menta Bourg saintMaurice Beaufortain La vraie géographie, c'est le pays que l'on porte en soi. Le pays que l'on porte en soi, c'est celui dont on a respiré les odeurs, partagé les saisons, celui dont on a bu l'eau des sources et dont la lumière nous a, parfois, appris ce que la terre pouvait offrir de ferveur. Le pays que l'on porte en soi, ce sont les visages de ceux qui l'ont fait vivre, à coups de patience, de douleurs, de volonté et d'amour simple. Il faudrait dire tous les chemins de ce pays-là. Faire parler ses arbres, ses fleurs ses oiseaux. Beaufortain. Au versant du soleil, j'y possède un chalet, comme un ventre chaud à flanc de pâturages. Imaginez la fin du printemps dans les hauts alpages : la couleur des gentianes, pas plus que celle des campanules ne se dira jamais. Ni le sifflement des marmottes, ni la course folle des chamois dans les pierres, ni le museau d'une hermine venue boire près d'un lac de montagne. Il est des choses qui ne s'apprennent pas dans les livres. Il faudrait entendre le son des carons sur le chemin de l'alpage un matin d'été vers le mont Rosset. Cette lente montée dans l'odeur de l'herbe encore humide. Le passage dans la forêt de mélèzes, d'épicéas et de sapins. Il semble alors que l'on assiste à quelque rituel qui remonte au temps des premiers pasteurs, que l'on est le témoin de gestes transmis de générations en générations, comme un repère dans le temps. Immuable. Un pays se parcourt. Il s'invite à nous. Au-delà des saisons. Il nous invite à parler sa langue : celle de ses torrents, de ses forêts, de sa neige et de sa pierre. J'ai lu, il y a peu, ces vers de Mistral : Parle à la pierre dans sa langue et la montagne à ta parole, dévalera dans la vallée. Montagnard, poète, l’écrivain humaniste Jean-Pierre Spilmont a longuement arpenté les chemins de montagne. Il partage sa vie entre son chalet de montagne sur le Versant du soleil du Beaufortain et Chambéry. Il écrit avec sensibilité, dépouillement, pour dire l'essentiel, pour communiquer, pour rencontrer... Outre son œuvre poétique et romanesque, il est l'auteur de nombreuses dramatiques pour la radio et de pièces de théâtre. Je fais miens ces mots-là venus de Provence. La crête des montagnes n'a jamais fait barrage à l'amour que l'on porte à sa terre. Il y a des lieux qui envoûtent. Des lieux qui enchantent. Des lieux pour mieux vivre. Des lieux pour planter sa vie, un temps, avant de reprendre la route. Il faudrait imaginer un matin d'été du côté du refuge de Presset. Un matin au lever du jour, lorsque tout reprend vie : les couleurs de l'herbe, les langues de quelques névés accrochés encore sur les pentes. En contrebas, ici ou là, la silhouette des arbres comme une longue procession en marche vers on ne sait quel rendez-vous. C'est l'heure où la montagne retrouve son visage. Il ne reste plus qu'à marcher en quête de quelques signes. A partir. Le départ c'est le droit à l'avenir. Jean-Pierre Spilmont Quelques livres : Lumières des mains (Cadex), Jacques Balmat dit Mont-Blanc (Albin-Michel), Petites variations (livre + CD, La main multiple), La traversée des Terres froides (La fosse aux ours), Sébastien (La fosse aux ours)... 3 Au-delà des images Une nature préservée Un port d’attache en montagne Lorsqu’on imagine des grands espaces, on pense d’abord aux steppes lointaines, aux déserts ou à la mer. La montagne des hauts sommets peut aussi faire référence à cette couture singulière qui dessine des vagues et des crêtes. Le Beaufortain, c’est tout cela à la fois. Avec l’avantage d’être à portée de nos pas. Sans être de ces grandes solitudes, ce pays vous donne envie de marcher, de monter pour voir plus loin, de suivre une arête pour dominer VERSANTS ~ 4 les vallées et de redescendre le cœur léger pour mieux imaginer, au tournant suivant, un nouveau paysage. Alpages fleuris, hameaux accrochés à la pente, versants enneigés scintillants sous le soleil de janvier, le sentiment de quiétude que l’on ressent à la vue de ces paysages, en fait l’endroit idéal pour retrouver le sens de la marche. Et redécouvrir le goût des bonheurs simples avec la sensation rassurante d’avoir trouvé son port d’attache. 5 Au-delà des images Une nature préservée Portrait HélÈne durand “La marche est un art de vivre” “J’ai toujours aimé marcher. Pas pour le sport mais pour la nature.” A 41 ans, Hélène Durand, accompagnatrice en montagne, a conservé de l’enfance cet émerveillement pour l’observation. Ses clients savent qu’elle prendra son temps pour approcher les bouquetins et les chamois, jouer à cache-cache avec l’hermine espiègle ou simplement s’arrêter pour observer le vol tranquille du gypaète. Comme Gulliver observant l’infiniment petit, le marcheur est invité à prendre son temps, à plonger le nez dans l’herbe des alpages pour y respirer les à laisser couler son regard derrière un rocher ou sous une feuille. Et dans cet apprentissage parfums des plantes de montagne, du regard, Hélène transmet une autre façon d’avancer. Une façon de se glisser dans cette nature généreuse pour y trouver sa juste place. Ici, c’est aussi la lumière qui l’a séduite. Dès le mois d’août, la montagne est illuminée par cet éclairage propre à l’automne. C’est encore l’été mais il y a déjà quelque chose d’indéfinissable qui sublime les paysages. Tous les marcheurs vous le diront, c’est dans le secteur du Plan de la Lay que ces ambiances sont les plus saisissantes. “Les reliefs semblent plus doux. Tout est paisible et les couleurs ocre et dorées réchauffent le cœur et l’esprit.” Cette belle énergie venue de la lumière se retrouve aussi sur la Tourbière des Saisies, un vrai petit morceau de Laponie posé au creux des montagnes. Dans sa mission de “passeur d’émotions”, Hélène n’oublie pas les hommes. “Nous avons la chance de vivre dans un paysage partagé où la nature, les hommes et les animaux cohabitent harmonieusement. Marcher dans le Beaufortain, c’est aussi échanger, découvrir cette culture paysanne si forte, si présente et profiter des paysages entretenus. Un vrai luxe pour les randonneurs !” Beaufort, pas touche ! Le Beaufortain, c’est mon Himalaya à moi, mon Graal, mon trésor de Rackham le Rouge, mon morceau préféré des Beatles et mon poster de Samivel. Il est dans ma peau comme il est dans mes gènes, de ma première ampoule à mon tout dernier sac à dos, il est mon paquet entier de madeleines de Proust, au beurre. J’aime le Beaufortain comme mes parents ont aimé le Beaufortain et comme mes enfants l’aimeront, tout pareil. Sinon, je les déshérite, les excommunie, leur tire la langue. Le Beaufortain, c’est un peu mon pays qui n’a jamais été le mien. Sinon, le Beaufort, c’est aussi un fromage, le fromage. Comme un gros morceau de beurre au goût de l’alpage. Et sans trou. Comme le beurre. Extrait de “La randonnée de A à Z” de Jean-Marc Aubry Editions Guérin-Chamonix VERSANTS ~ 6 La haute route des vagabonds Connaissez-vous le jeu du crocodile, dans lequel on avance avec les enfants de pierre en pierre sans jamais poser le pied sur l’herbe sous peine d’être dévoré par un hypothétique crocodile ?… Il y a aussi celui de la trace directe : aller toujours droit devant en gardant la ligne de crête pour guide. Eh bien, quand on s’aventure sur la Haute route du Beaufortain, sans enfants cette fois, c’est un peu à cela que l’on joue : parcourir ce petit bijou alpin par les crêtes. Mise au point par un guide d’Arêches, Jacques Maurin, on peut la parcourir telle quelle, ou l’adoucir en évitant les passages les plus techniques. Dans un cas comme dans l’autre, on se balade avec le sentiment d’être un découvreur d’espaces sauvages. On chemine alternativement sur des sentiers et hors sentiers. On grimpe d'un côté, puis on se retrouve sur l'autre versant du Rocher du Vent, ayant traversé un tunnel en pleine face herbeuse, bien au-dessus de la vallée. Ce vestige du projet de construction de la grande route des Alpes nous laisse à penser que les anciens n'étaient pas plus sages que nous... On parcourt des crêtes surplombant les eaux bleutées ou vert émeraude (tout dépend du soleil à ce moment-là) de lacs dont les noms sont autant de sollicitations à l'imagination : lac d'Amour, lac de la Tempête, lac Cornu... On s’efforce de résister à la tentation de suivre des sentes qui semblent évidentes mais qui se finissent abruptement au milieu de nulle part. On descend des pierriers sans répit pour tomber subitement sur des veines de quartz blanc dont on ne peut s'empêcher de prendre un petit morceau, pour le plaisir de le garder au creux de la main et s'étonner de cette blancheur. Et que dire de la curiosité piquée par cette silhouette aperçue de loin et qui se révèle être un abri monté de bric et de broc au creux d'un rocher : l'abri des trois moineaux ! A suivre cet itinéraire encore peu fréquenté, on se prend pour un vagabond aux pieds légers, on en éprouve la liberté et le sentiment de noble errance. Une nuit passée à la belle étoile sous la garde vigilante de la Pierra Menta, au pied du col de Bresson nous accorde d'être, un court instant, le maître du monde. “Dans un cas comme dans l’autre, on se balade avec le sentiment d’être un découvreur d’espaces sauvages.” Le versant du soleil Roger Frison-Roche S’intéresser à la vie de Frison-Roche (1906-1999) permet de répondre à la question “qu’est-ce qu’être Savoyard ?”. Ce n’est pas forcément être né en Savoie mais avoir une relation profonde avec elle et, dans son cas, avec la montagne. “Je suis savoyard à cent pour cent” se plaisait-il à dire. Car bien que né à Paris, très tôt, Frison Roche est attiré par la montagne. Enfant, il ne supporte la vie parisienne qu’en rêvant à ses vacances dans le Beaufortain. Là, il retrouve ses grands-parents, ses cousins, cousines, tantes et oncles et reprend goût à la vie. C’est là qu’il développe très rapidement une adoration pour les grands espaces et la haute montagne. Les plus belles pages de cette enfance sont à lire dans “Le Versant du Soleil”. Les gens de Beaufort, Arêches, les alpages de Roselend et de la Gittaz, le versant d’Outray… il parle de ces endroits et des personnes qui y vivent avec amour et passion. Tendresse aussi, car c’est bien là qu’est née sa raison d’être et son attachement à la montagne qui le mènera à Chamonix d’abord puis vers les grands espaces et les montagnes du monde. Pour André Palluel, historien des Savoies, “cette montagne est réputée pour son équilibre : humaine bien que haute, de pierre mais aussi de bois. Le Beaufortain fait partie de ces montagnes qui officiellement rendent les gens meilleurs. La grande idée de Frison Roche est que l’amour de la montagne élève l’âme, ce qui explique dans les années 30-40 toute cette école d’alpinistes qui faisaient de la montagne par vocation et que les images représentent toujours le regard pur tourné vers le ciel.. !”. Relire Frison Roche avant de s’embarquer pour le versant du soleil, c’est donc ouvrir une grande porte vers l’air pur, le mieux être physique et spirituel et toutes les valeurs portées par le Beaufortain et ceux qui l’habitent. “Je suis savoyard à cent pour cent…” 7 Au-delà des images Une nature préservée Refuge de Presset Un rêve d’enfant Au centre du tableau, il y a le refuge de Presset, cabane en bois posée là comme un rêve d’enfant qui fut celui du gardien des lieux. Car ce petit refuge est fait L’endroit ressemble à un dessin de Samivel. On y retrouve l’espace vierge, marqué par la face arrière de la Pierra Menta jaillissant du paysage comme un immense menhir, dominé par l'Aiguille de la Nova et la Pointe de Presset, adouci par le miroir du lac du même nom et plus loin, les bouquetins paissant paisiblement sur les contreforts de la montagne. VERSANTS ~ 8 pour rêver, pour s’endormir la tête dans les étoiles, se réveiller avec le soleil réchauffant l’air et dissipant les brumes matinales qui voilent les sommets alentour. Au-devant, la terrasse s’offre comme une halte pleine de douceur pour les randonneurs, marcheurs et autres baladeurs que Nicolas, le gardien, accueille de juin à octobre avec bienveillance et gentillesse. Ça ressemble au paradis. Corse d’origine, Nicolas Leroy est le gardien du Refuge de Presset depuis 15 ans. Avec son expérience précédente à la Croix du Bonhomme, il connaît le coin comme sa poche ! Son “spot” comme il dit, il n’a pas vraiment le loisir d’en faire le tour, accaparé en pleine saison par la gestion du refuge et de ses 22 places. Levé avec le soleil, il prend le temps de vérifier que tout son petit monde est bien là : marmottes, bouquetins (il reconnaît Paulo et Balthazar…), lagopèdes, gypaètes… Depuis l’été dernier, une dizaine de vautours-fauves tournent dans le ciel signant le retour d’une espèce à la recherche d’espaces calmes et secrets. Encore un coup d’œil pour admirer le lever du soleil sur les sommets de la Vanoise et il est déjà aux fourneaux pour les petits déjeuners de ses pensionnaires en route pour le Tour du Beaufortain. Il se prépare aussi à l’accueil des visiteurs du jour, attirés par une promenade facile qui les projette dans un “Pour faire ce métier, il ne suffit pas d’aimer la nature. Il faut aimer partager son temps, ses connaissances avec les hommes…” univers de haute-montagne absolument étonnant. Pour faire ce métier, il ne suffit pas d’aimer la nature. Il faut aimer partager son temps, ses connaissances avec les hommes, les conseiller, les accompagner dans leur découverte de l’environnement et surtout passer des messages de prudence, de respect et de modestie face à la montagne. Ce jour de juin, la Pierra Menta se reflète dans le lac, les myosotis roses et bleus dessinent des taches sur les alpages, les fleurs de montagne se balancent au gré du vent et il flotte dans l’air comme un parfum d’insouciance. “Dans un mois, les troupeaux de moutons seront là, au dessus du lac, lâchés en estive. Si je trouve un peu de temps, j’irai rendre visite à Adrien, alpagiste à Conchette. J’aime ce pays. J’aime vivre ainsi.” En hiver, le Refuge reste ouvert. Non gardé, il est cependant surveillé de près par son gardien qui monte tous les 15 jours à skis par le Refuge de Balme vérifier que tout est en ordre… Et certainement aussi pour entretenir cette flamme étrange qui unit le gardien à son refuge. La blague de Samivel La nature en sort toujours grandie, ce qui dénote chez Samivel un amour profond pour les paysages d’altitude et la montagne. Dans cet esprit plaisant, il s’était amusé à ré-écrire, un texte de Rabelais racontant une colère du géant. Ou comment Gargantua donne un formidable coup de pied dans la montagne, envoyant un morceau des Aravis directement sur les hauteurs du Beaufortain. La légende de la Pierra Menta était née… La farce littéraire fut dévoilée par Samivel au cours d’une rencontre amicale avec Frison-Roche et Hubert Favre, l’historien du Beaufortain. Il n’en reste pas moins vrai que le style parfaitement imité de Rabelais donne toute sa saveur à l’histoire et que, très certainement, quelque part au paradis des mécréants, Rabelais s’est bien amusé de cette adaptation talentueuse de son texte. “La légende de la Pierra Menta était née…” "Or donc, l’illustre et bon géant Gargantua, badaudant, bavardant, badinant, bafouillant, barbouillant, bambochant, baratiant, ballotant, barbottant et regardant les mites voler, s’en vint dans le pays de Savoie, portant sa botte et le nez en l’air, ce qui n’est point recommandé dans ces régions, vu qu’elles sont pleines de haut et de bas et tout juste bonnes aux chèvres, boucs de rocher et autres bêtes capricornes et sauvages qui sautent d’abîmes en abîmes, ce à quoi un honnête chrétien ne saurait se risquer.... Illustration : Pascal Finjean Le célèbre écrivain, poète et aquarelliste de montagne avait un sens de l’humour très développé qu’on retrouve d’ailleurs dans ses dessins et peintures croquant avec malice pratiques ubuesques et vaines de certains montagnards, alpinistes, skieurs et autres fanatiques de la montagne. Ainsi, ce qui devait arriver arriva, et quand il parvint en un lieu hérissé nommé Aravis, toujours baguenaudant et regardant de tous côtés sauf où il était bon de le faire, il s’en vînt donner en plein du pied droit dans une montagne fort épaisse ; et cependant, tant étaient grandes la force et la puissance du bon géant, ne s’y fit à lui même aucun mal, mais seulement un fort grand trou à travers la dite montagne dont le morceau vola en éclats parmi les airs et s’alla planter avec un épouvantable fracas et gros tourbillons de poussière à plus de dix lieues vers le sud, dans une terre nommée Beaufortain, où il écrasa, en tombant, trois sauterelles et un rat. Ce gros morceau de roche y est toujours demeuré depuis, planté tout droit comme un piquet et fort inaccessible, auquel les bergers du lieu donnent à présent le nom de Pierra Menta.” 9 Au-delà des images Une nature préservée Tourbière des Saisies Les archives de la nature Véritable îlot de vie boréale, la Tourbière des Saisies est un lieu unique en son genre. Avec 500 hectares dont 300 protégés, cet ensemble de tourbières, accessible par le sentier des Arpelières et le sentier nature des Saisies, fascine autant qu’il nous interroge sur l’histoire de notre terre. Ces zones humides, où la matière végétale s’accumule avec le temps, sont les vestiges d’époques pouvant remonter à la dernière glaciation. En libérant les espaces naturels ensevelis sous la glace, la remontée des glaciers du sud vers le nord a permis l’installation progressive d’une multitude d’espèces végétales qui sont celles que l’on trouve aujourd’hui : noisetiers, bouleaux, pins, sapins, VERSANTS ~ 10 hêtres, aulnes… L’accumulation des couches de tourbes, véritables coffresforts biologiques, et tout ce qu’elles contiennent (spores, graines, pollens…) sont donc de précieux indicateurs des évolutions du climat et de la végétation. Et pour les scientifiques, quelques mètres de bonheur pour 7000 années d’enfouissement ! Cet intérêt écologique se double d’un intérêt paysager. L’ambiance très Découvrir la Tourbière des Sa isies En 1h30, depuis le Col des Saisies, le sentier nature des Saisies permet une approche facile de la tourbière. Avec le livret de découverte édité par l’ONF et disponible à l'Office de Tourisme des Saisies, laissez-vous guider au fil des 14 stations de cette balade instructive et amusante. Vous pouvez aussi découvrir la faune des tourbières en empruntant le Sentier des Arpelières, accessible entre Crest-Voland et les Saisies. Il est conseillé toutefois de se faire accompagner par des spécialistes pour en découvrir tous les secrets. A la lecture du paysage, les accompagnateurs en montagne ajoutent une connaissance pointue de la faune, de la flore et de l’histoire des lieux. Pendant l’été, des étudiants en BTS “Gestion et protection de la nature” sont également disponibles pour vous accompagner dans votre découverte. particulière de la Tourbière des Saisies en fait un lieu de promenade original, à découvrir seul ou en famille. Le soleil est levé depuis quelques heures mais la tourbière vit encore au rythme de la nuit. La lumière n’a pas encore percé à travers les grands sapins et seuls quelques rayons plongent à travers les épicéas sur les taches jaunes et vertes des mousses et des sphaignes. L’ambiance est fraîche malgré les premières chaleurs de ce début d’été. Nous avançons prudemment sur les rondins de bois disposés sur le chemin de façon à éviter de marcher sur les zones humides. De temps en temps, des pontons de bois permettent de s’arrêter pour écouter, observer et s’imprégner de cette ambiance très particulière. Pour un peu, on se croirait dans le Grand Nord, à mille lieues de toute civilisation. Ici et là, traînent quelques écharpes de brouillard qui donnent aux épinettes des airs étranges. Ces vieux arbres tordus, aux formes bizarres campent une ambiance paticulière. Pourtant, cette promenade matinale a tout d’une “régénération”. Plonger aux racines de la terre a quelque chose de réjouissant, et la sérénité des lieux y est sans doute pour beaucoup. François Drillat, l’agent de l’Office National des Forêts qui nous accompagne est passionné par cette tourbière et a en charge sa protection et sa surveillance. Car ici, même si tout est fait pour faciliter la découverte des lieux, il n’est pas question d’aller n’importe où. “Il y a des plantes très rares comme la “trientale” une petite primevère blanche et des champignons qui n’existent nulle part ailleurs.” Tous les amoureux des tourbières connaissent aussi la célèbre “drosera”, une minuscule plante carnivore ourlée de jolies perles brillantes. Quand l’insecte se pose sur ces goutellettes, s’en est fini de lui. Ces fausses perles de rosée sont en fait un piège mortel. Il suffira d’une demi-heure à la “rosée du soleil” pour digérer l’imprudent ! Marcher sur les itinéraires balisés permet donc de ne pas écraser les sphaignes et toutes ces petites merveilles. Ce monde en perpétuel et invisible mouvement est aussi le paradis des photographes. Car là où se mêlent les lumières du soleil et les reflets de l’eau, les couleurs éclatent. Omniprésence du vert et du jaune, reflets ocre des eaux, nuage blanc des linaigrettes et minuscules points carmin, vermeil ou violet des droseras, canneberges, orchis tachetés et airelles des marais, la beauté des lieux se mérite, agenouillée, les yeux au ras du sol ! Les habitants des lieux participent à ce festival de sons et de couleurs ! Espace protégé Amphibiens de toutes sortes, libellules, papillons C’est en 1989 qu’un arrêté préfectoral très rares, oiseaux et tétrasde biotope a permis de mettre sous haute lyre jouent à cache-cache protection les 300 hectares de la tourbière. dans les jolies lumières de Cette mesure était destinée à compenser la tourbière. On y trouve les aménagements prévus pour les Jeux aussi une petite merveille, Olympiques de 1992, le site étant en partie la chouette chevêchette occupé pour les épreuves nordiques. appelée aussi Chouette Dans les années 2000, le site est entré de Tegmalm. Originaire de dans le réseau européen Natura 2000. Sibérie et caractéristique Ces différentes mesures, loin de mettre des zones très froides, cette la tourbière “sous cloche” sont petite chouette au plumage des éléments essentiels de la brun moucheté de blanc, complémentarité entre préservation grosse comme le poing, est et ouverture au public. le plus petit rapace nocturne d’Europe. Une petite bombe très rapide et très nerveuse qui Symboles de la vie de la tourbière, chasse en début de soirée. “Elle est entre obscurité et illumination, très difficile à surprendre. Je ne me entre mouvement et immobilité, suis retrouvé qu’une seule fois face à les observations étonnantes qui cet oiseau, posé sur un jeune épicéa. attendent le marcheur sur ces lieux Son regard perçant et sa beauté m’ont préservés sont des invitations au voyage… immédiatement attiré. Depuis, j’y dans le temps. pense souvent.” “Un monde perpétuel et invisible...” Ambiance nordique à proximité des Saisies 11 Au-delà des images Une nature partagée La patine du temps Dès qu’un Beaufortain vous parle de son village, de son hameau ou de son chalet d’alpage, on peut lire dans ses yeux un attachement profond à ce qui fut, à ce qui est et sa certitude qu’il sera toujours bon, demain, de poursuivre le même chemin. Il n’y a, ici, rien de passéiste dans ce sentiment très fort qui lie les gens à leur histoire. Plutôt la conscience très profonde du privilège de vivre et de travailler au pays. Le chalet d’alpage, restauré avec amour par ceux qui y vécurent une partie de leur enfance, réunit le passé et le présent. S’y retrouvent régulièrement deux ou VERSANTS ~ 12 trois générations, autour du farçon de tante Simone ou du pormonier, celui du mois de novembre préparé avec les légumes du jardin. Certes, on n’y respire plus l’odeur entêtante des bêtes à l’étable ou du lait caillé. Mais dans la fragrance épicée des vieilles planches de bois mêlée à celle plus acide du foin sous le soleil de juillet, le propriétaire des lieux plonge dans ses racines. Année après année, génération après génération, il ne se lasse jamais d’observer le travail du vent, de la pluie, de la neige et du soleil, artisans d’art d’une patine incomparable et si chère au cœur des beaufortains. Entretien Jean-françois lyon-caen “Architecture de montagne, inventer l’habitat de demain” S’interroger sur la valeur de l’architecture du Beaufortain revient à s’interroger sur l’avenir de l’architecture de montagne. Pour JeanFrançois Lyon-Caen, architecte, enseignant et responsable de l’équipe “architecture-paysage-montagne” à l’Ecole d’Architecture de Grenoble, “les territoires alpins ont l’immense privilège d’être des paysages où se côtoient les mutations du monde contemporain.” Il se plait à imaginer une architecture de montagne décomplexée, n’ayant rien oublié de ses fondamentaux mais résolument tournée vers la modernité. Marqué par l’occupation de la pente, le paysage du Beaufortain a orienté une architecture adaptée à sa configuration et au quotidien de ses habitants. Quelles en sont les particularités ? Dans chaque région de montagne, l’homme s’est adapté, à sa manière, à son environnement. Mais les fondements de l’architecture sont assez comparables. L’architecture rurale est une architecture qui s’est faite sans architectes. Elle répondait directement aux besoins des gens. Ils ont construit leur habitat avec des matériaux du lieu et des savoir-faire traditionnels, guidés par des artisans. Ce qu’il en reste aujourd’hui est le fruit d’une évolution permanente liée à l’histoire des familles et des pratiques agricoles, engendrant des extensions, des surélévations et même parfois des reconstructions suite aux incendies ou aux avalanches. Construire dans la pente a donné lieu à une structure très particulière. La maison est encastrée dans le terrain que les hommes creusent à la pelle ou à la pioche. Le niveau inférieur de la maison accueille les bêtes et les hommes. On y accède de plain-pied, à l’aval, en bas de la pente. Il n’y a bien souvent pas d’escalier à l’intérieur. Seulement des échelles. La circulation se fait par l’extérieur et on accède à la grange, à l’étage supérieur, par l’arrière de la maison situé sur le haut de la pente. C’est là que sont stockés le fourrage et les récoltes. Cette disposition repose sur plusieurs principes de construction : le niveau inférieur est en maçonnerie de pierres pour contenir la pression des terres et le dessus est en charpente bois. La charpente est faite de colonnes en bois, série de gros piliers en bois formant des “fermes” qui constituent la structure, supportent les planchers et la couverture. Et ramènent les efforts de la toiture au sol. Ces bases donnent une volumétrie unique. Existe-t-il des codes de cette architecture rurale qui puissent être utiles dans l’architecture moderne ? Dire qu’on va faire la même chose aujourd’hui serait une aberration culturelle. Ces maisons sont contemporaines de leur époque mais aujourd’hui nous avons des exigences et des contraintes bien différentes. Sous le toit, l’habitat des hommes a L'art de construire dans la pente 13 Au-delà des images Une nature partagée Boudin ou l'habitat solidaire dans les mantelages de bois en forme de cœur ou de losanges suffisaient pour laisser entrer l’air dans la grange. Aujourd’hui les gens souhaitent de grandes baies ouvertes sur le paysage. On habite partout, même sous le toit, ce qui complexifie la construction. Pour autant, à l’heure d’un habitat performant du point de vue de l’énergie, il y a quelques règles anciennes qui sont toujours d’actualité et qui peuvent accompagner les réflexions des professionnels. Ces constructions et ces hameaux étaient conçus en lien avec une économie des déplacements. Groupées dans la pente, les maisons ont été bâties serrées les unes contre les autres, laissant disponibles les terres moins pentues pour les cultures. Malgré la proximité des maisons, du fait de la pente, elles ne se portaient pas ombre les unes sur les autres ; la maison du dessus ne faisait pas écran à celle du dessous et vice versa. Malgré parfois des volumes imposants, cette architecture est à l’échelle de l’homme. Une architecture dédiée à la vie rurale “Dans chaque région de montagne, l’homme s’est adapté, à sa manière, à son environnement…” pris la place des récoltes. En conséquence, nos besoins en termes d’étanchéité, de confort sont sans comparaison. A l’époque, la neige “folle” pouvait entrer sous le toit, elle ne mettait en péril ni le fourrage, ni les récoltes. Le volume restant en partie ouvert à tous les vents, le séchage était garanti. Aujourd’hui nous en sommes à imaginer des maisons “passives” qui ne nécessiteraient même plus d’être chauffées à 1500 mètres d’altitude tant elles seraient parfaitement isolées sur le plan thermique ? Autrefois le rythme de vie des gens était lié à la vie agricole et se déroulait pour l’essentiel dehors. Les cultures, les fourrages, l’alpage, la forêt, le jardin se trouvaient en contrebas de la maison. À l’intérieur de l’habitation, c’était essentiellement le temps des repas et du sommeil ; les besoins en lumière étaient donc différents. Des fenêtres aux dimensions réduites, des découpes VERSANTS ~ 14 Imiter n’est pas créer L’observation des paysages alpins est révélatrice des mutations qui ont fait l’architecture de montagne actuelle. Pour autant, faut-il copier l’architecture rurale ? Aujourd’hui, la montagne regorge d’exemples de réalisations récentes reflétant ce goût pour la “folklorisation” de la construction. Imiter la forme, c’est être sûr de faire du “toc”. Parfois, des responsables de programmes d’habitat avancent comme argument qu’il s’agirait de satisfaire l’attente des gens qui s’installent en montagne. Est-ce si sûr ? Pourquoi n’aimeraient-ils pas une architecture moderne, respectueuse des préoccupations de l’environnement et du paysage, utilisant des matériaux du lieu mais dans un esprit contemporain et n’oubliant pas les quelques règles de volumétrie et d’occupation liées au climat et à la topographie ? Il existe des réponses architecturales fondées sur ces formes d’“intelligence”, ancrées dans leur environnement et capables comme les anciennes maisons de jouer avec la pente sans dénaturer le paysage. Sans doute, le Beaufortain a-t-il la chance d’être resté à l’écart des grands programmes de développement touristique du siècle dernier. L’architecture paysanne est toujours présente. Le massif a de nombreux atouts pour faire émerger de ses paysages, une architecture contemporaine tout en s’inspirant des fondations de son histoire patrimoniale. Le passé a de l’avenir ! Avec l’art de “la remue”, les chalets d’alpage se sont posés à tous les niveaux du paysage. Ces vieilles fermes sont toujours là, sentinelles immuables veillant sur le passage des troupeaux. Certaines d’entre elles sont utilisées par les alpagistes, d’autres ont fait l’objet de rénovation réussies. Mais qu’est-ce qu’une “rénovation réussie” ? C’est sans doute celle qui, sans renier la cohérence de la construction initiale, patiemment élaborée pour répondre à des exigences quotidiennes et des contraintes climatiques, a su s’adapter aux besoins d’aujourd’hui sans faire perdre son âme à la maison. C’est aussi celle qui a réussi l’exploit de ne pas sombrer dans le triste décor de théâtre, le pastiche d’architecture de montagne. Une des clés du succès est sans doute de pouvoir faire le lien entre le bâti, l’architecture intérieure, les éléments de décor et sa propre histoire. Ou comment les souvenirs d’enfance, de l’ouverture sur le paysage aux objets du quotidien, retrouvent logiquement leur place dans une maison très actuelle. Aquarelle : Marie-Thérèse Masson Les Quéfins sur la route du Grand Mont-Arêches-Beaufort Charlie et l’ébénisterie Pour rendre visite à l'ébéniste Charlie Berthod, on traverse Villardsur-Doron, puis on s'engage sur une petite route sinueuse qui monte à flanc. Soudain, surplombant la route, une vieille maison se dresse ; la maison de son enfance. Elle est flanquée d'un petit chalet tout en bois flammé, le domaine de Charlie. Surprenant par sa jeunesse, il nous accueille en souriant même s'il se demande un peu ce qu'on lui veut. Il parle de ses années d'enfance passées à regarder son beau-père et sa mère travailler le bois dans ce même atelier. Sans le savoir, ses jeux avaient déjà le sérieux de l'apprentissage et son chemin s'est tracé d'évidence. “C'est le geste, et la patience qui font le bois lisse” Sa poya n'est pas faite de vaches, mais d'une quantité de rabots qu’il a accrochés le long d'une poutre. Car il aime les outils, ciseaux, maillets, planes, qu’il considère à juste titre comme les garants de la qualité de son travail. Avec un petit sourire malin, il sort la lame d’une énorme hache de son fourreau et nous rassure, cette hache, appelée “détraz” et digne d’un bourreau est en fait utilisée pour travailler les poutres, “comme les anciens”. Il affectionne particulièrement le bois de mélèze, d’arolle ou d’épicéa et quand on s'étonne de la douceur d'une planche, il prend un rabot et nous fait sentir l’affûtage. “C'est le geste, dit-il, et la patience qui font le bois lisse”. Il nous fait visiter la minuscule forge à côté du chalet. “Pour faire, comme avant, les serrures des meubles que je fabrique”. Il ne comprend pas notre ravissement de voir que tout est fait à la main, que chaque geste prend du temps. Il nous regarde et dit simplement : “mais c'est du travail traditionnel et il faut du temps. Ça ne se fait qu'à la main, pas à la machine !” Et l'on repart en se disant qu'il a raison et qu’il va sûrement faire du beau travail. 15 Au-delà des images Une nature partagée L'utilisation de l'espace a marqué les paysages du Beaufortain Un art populaire du quotidien Les outils du fromager toujours à leur place VERSANTS ~ 16 Je vous en mets combien ? “L’épicerie du village”. Cette expression déclenche souvent une bouffée de nostalgie un peu béate, les épiceries ayant été pour la plupart remplacées par des centres commerciaux sans âme, éloignés du cœur du village. “Nous avons très vite compris qu’il suffisait d’être ce que nous étions, travailleurs, disponibles et ouverts, pour que l’on nous accepte.» Pourtant, rappelez-vous la petite pièce gagnée en échange de menus travaux ou offerte par l’oncle de passage. Cette piécette bien serrée au creux de la main, souvenez-vous de l’entrée ravie et timide dans l’épicerie pour demander un roudoudou, un mistral gagnant ou un chewing-gum... Et les gens du village en profitant pour échanger des nouvelles ou des commentaires sur tel ou tel évènement. Toute une vie sociale, tout autant, voire, plus efficace que les réseaux sur la toile. S’il en disparaît beaucoup, il s’en ouvre ou s’en maintient malgré tout quelques-unes, et c’est un luxe pour les habitants et les vacanciers. A Hauteluce, l’épicerie était à vendre. A Maubeuge, Bénédicte, la maman, déjà mère de trois ados et enceinte du petit dernier, avait envie d’aventure, de changement. Elle passait pas mal de temps sur le Web et un jour, le clocher à bulbe d’Hauteluce apparaît sur l’écran de l’ordinateur avec l’annonce de cette vente. Ni une, ni deux, elle décide que toute la famille ira passer ses vacances de février dans le Beaufortain ! Jean-Philippe, le papa, travaillait dans un bureau d’étude en charge de l’Airbus A380. Son travail était prenant, il voyait les enfants grandir et sentait monter en lui l’envie d’autre chose. Des vacances impromptues à la montagne ? Pourquoi pas ! Ce qu’ils ne savaient pas encore c’est qu’ils allaient tomber sous le charme de ce village et qu’à la fin de la semaine, une nouvelle vie s’ouvrirait à eux. Depuis plusieurs années les nouveaux épiciers de Hau- teluce s’appellent donc Jean-Philippe et Bénédicte Sémery. Cela étant, il ne s’agit pas d‘un conte de fées et ce ne fut pas si facile pour les 3 ados habitués à la vie urbaine qui sont d’ailleurs repartis, une fois leurs études terminées. Théo, le petit dernier, en CM1 à Hauteluce se souvient en riant de la tête sidérée de sa citadine de sœur racontant que pendant la récré certains garçons regardaient des catalogues de tracteurs ! Pas évident non plus pour les parents apprentis-épiciers : “Quand le premier client est arrivé, nous n’en menions pas large. Il avait les sourcils en bataille et son regard de montagnard nous questionnait ; il devait se demander ce que nous étions venus faire ici”. Puis les choses se sont gentiment posées et la flagrante bonne volonté de ces nouveaux venus ainsi que leur gentillesse ont fait effet. “Nous avons très vite compris qu’il suffisait d’être ce que nous étions, travailleurs, disponibles et ouverts, pour que l’on nous accepte.” Maintenant, même si les effets de l’absence de boulangerie qui mène les habitants à “descendre” plus bas, et donc à moins fréquenter l’épicerie, se font sentir, celle-ci est bien implantée. Toute jolie avec ses tons miel et rouge, elle respire le bon goût et la créativité car Bénédicte et Jean-Philippe ont su s’adapter aux clientèles à la fois locale et touristique. “Dans ce genre de commerce, il faut être capable de vendre les pâtes, le lait et le fromage mais aussi de conseiller le vacancier sur le petit cadeau à rapporter à la maison.” Assis sur le banc devant la façade, ils sirotent leur café, plaisantent avec les passants et même s’ils n’ont pas, selon l’expression consacrée “trois générations au cimetière du coin”, ils s’autorisent à se sentir “chez eux”. 17 ZOOM sur ... l'eau en Beaufortain ROSELEND 50 ans d’odyssée entre la terre et l'eau S’intéresser aux barrages du Beaufortain, c’est d’abord se pencher sur le lien singulier qui lie le montagnard à l’eau. Il a dû, de tout temps, apprendre à l’apprivoiser et à vivre avec elle. Tout comme avec la pente, qui est aussi le chemin de vie de l’eau. Les hommes ont ainsi imaginé des constructions, des conduites, des systèmes capables de dompter la chute de l’eau et de la transformer en énergie. VERSANTS ~ 18 L'alpage de Roselend va bientôt disparaître Un chantier pharaonique L'histoire de l'hydroélectricité en Beaufortain remonte à la fin du XIXème siècle, époque à laquelle les départements savoyards se lancent dans l'exploitation de la "houille blanche". Au premier plan de cette révolution, les barrages. Ce sont d’abord de petits barrages qui permettent de produire de l’hydroélectricité. Puis, après la Seconde Guerre mondiale, les besoins en électricité augmentent considérablement. Industrialisation, relance de la consommation, "la houille blanche" est au cœur de l’économie du pays. Dès 1947, des études sont engagées pour trouver une solution qui permettrait de créer, dans la cuvette de Roselend, une réserve d'eau, et de profiter de la chute de 1200 m obtenue par la différence d'altitude avec la vallée de la Tarentaise. Après plusieurs années d'études et de reconnaissances, la construction de Roselend, un des plus hauts barrages de France, démarre véritablement en 1956. Sa conception, très originale, combine un barrage voûte, pour barrer la gorge, et un barrage poids avec contreforts, pour le prolonger sur l'éperon rocheux du Méraillet. Le remplissage d'une cuvette d'une telle dimension (187 millions de m3) nécessite la construction de plus de 40 km de galeries souterraines, afin de collecter 28 torrents sur 10 communes différentes. Simultanément, la centrale souterraine de La Bâthie est construite dans une caverne de très grande dimension : 135 m de long, 35 m de haut et 25 m de large. Sa salle des machines est équipée de 6 turbines, géantes pour l'époque, qui permettent une puissance de 550 MW. "roselend, mémoires d'un barrage" "Roselend, mémoires d'un barrage" Grace à des images d’archives et les paroles des témoins de cette aventure, Michel Garnier a fait revivre l’ancien Roselend avant les chantiers titanesques à la source des paysages et du grand lac de barrage que nous connaissons aujourd’hui. Un DVD à visionner pour mieux comprendre l’histoire et le rôle essentiel de ce barrage à l’architecture exceptionnelle, géré par l'unité de production Alpes et produisant l’équivalent de la consommation domestique de 450 000 habitants (la Savoie en compte 400 000). Une aventure humaine au service du progrès 19 les perles Le Beaufortain sert d’écrin à quatre barrages. L’énergie hydraulique, première énergie renouvelable au monde Grâce à la pente et aux barrages, nos montagnes sont les championnes pour la production d’énergie hydraulique. Pour Pierre Blancher, Directeur de Projet Energie Hydroélectrique Beaufortain-Val d’Arly, “cette énergie est même la seule (par comparaison aux autres énergies renouvelables, le soleil, le vent, les vagues…), capable de stocker un potentiel d'énergie électrique pour l’utiliser au meilleur moment. Pour les autres, il faut forcément consommer l'énergie au moment où elle se présente. En retenant l'eau dans les grands réservoirs créés par les barrages, on constitue une réserve d’énergie potentielle. Lors d’une pointe de consommation, les centrales hydroélectriques peuvent être démarrées en quelques minutes pour alimenter le réseau”. A cette souplesse s’ajoute un autre atout écologique de poids : en n’émettant pas de CO2, cette énergie est une manière efficace de lutter contre le réchauffement climatique. Ainsi l’aménagement EDF de Roselend – La Bâthie permet à lui seul d’économiser 890 000 tonnes de CO2 par an. Roselend, mais aussi La Girotte (au nord de Roselend), La Gittaz (construit en même temps que Roselend, à 1557 m d’altitude, dans la vallée du torrent du Poncellamont) et Saint Guérin. Plus petits, ils sont toutefois des éléments essentiels de l’ensemble du dispositif hydroélectrique du Beaufortain. Ils offrent des buts de promenades et des panoramas tout à fait exceptionnels ! Par conséquent, en plus d’être de magnifiques ouvrages couturant de façon très singulière le paysage de montagne, les barrages du Beaufortain sont de véritables trésors pour notre avenir énergétique et la protection de notre terre. www.50-ans-roselend.com Ce chantier et toute l’histoire liée à l’installation de ce magnifique barrage ont définitivement marqué le paysage et la vie des gens du Beaufortain. A l’occasion du cinquantième anniversaire de l’ouvrage, de nombreux rendez-vous, conférences, visites, expositions et fêtes, sont organisés tout au long de l’année 2011. VERSANTS ~ 20 “Du torrent au courant, des barrages et des hommes en Savoie” Publié à l’occasion du 50ème anniversaire du complexe RoselendLa-Bathie, ce livre propose un nouveau regard sur la formidable aventure technique et humaine que sont les installations hydroélectriques d’EDF en Savoie. Les photographies de Céline Clanet sont une invitation à découvrir la beauté surprenante des formes et des machines, de même que la relation intime qui lie les hommes et leur création. La majesté des cathédrales de béton - les barrages -, mais aussi d’autres éléments moins visibles, est magnifiée par le parti pris artistique de la photographe tout en offrant une lecture documentaire. De plus, des portraits sensibles de quelques témoins de cette grande épopée laissent transparaître l’incroyable attachement des hommes à ce qu’ils ont collectivement réalisé. Une coédition Actes-Sud / Fondation Facim Le mouvement magique de l’eau En montagne, on ne trouve pas de moulins à vent… et pour cause ! L’eau, omniprésente, a toujours fait tourner les roues des moulins ou les turbines et accompagné les montagnards dans leurs tâches quotidiennes. L’énergie hydraulique est la plus ancienne technologie connue. En Savoie, à la fin du XIXème siècle, on ne comptait pas moins de 1200 barrages à force hydraulique et la plupart d‘entre eux ont fonctionné jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale et même parfois après. Après la Seconde Guerre mondiale, les grands projets de reconstruction ont donné lieu à la naissance d’une véritable industrie de l’électricité dont les fleurons de l’époque sont les grands barrages encore en service aujourd’hui. Les petits moulins se sont éteints les uns après les autres… Aujourd’hui, grâce à des propriétaires respectueux du patrimoine familial ou passionnés par ces mécanismes ingénieux, il en reste quelques-uns en état de marche. “…Revivre, le temps d’une journée, au rythme du mouvement magique de l’eau.” André Molliex-Donjon est l’un d’entre eux et sa micro-centrale, située au dessus de Molliessoulaz à Queige, est un modèle du genre. Son père, Daniel, était scieur et travaillait les bois de charpente. Le premier équipement fut une “battante” qui fonctionnait grâce à une roue à aube. La conduite d’eau forcée de 100 mètres installée par la suite au dessus du ruisseau date de 1925. Elle permettait d’alimenter une dynamo et de produire de l’électricité. Ce système permettait de scier les grumes et de préparer les poutres. Avec le banc de circulaire, toujours en état de marche, on délignait les planches. Certaines attendent toujours, empilées dans un coin de la scierie. Les outils pour déplacer les billes de bois et conduire le passage du tronc sous la scie alternative sont toujours là, prêts à reprendre du service. Parallèlement au travail de sciage, la centrale permettait de faire fonctionner un moulin à farine. Magnifique mécanique de pierre et de bois, le moulin est toujours là, entretenu avec amour par André. Témoin d’un savoirfaire ancestral, le vieux moulin et ses meules en pierre semblent n’attendre qu’un geste pour recommencer à tourner. Le ruisseau chante et l’odeur de bois, toujours présente dans la vieille scierie, nous rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, l’indispensable autonomie des montagnards les rendait très ingénieux. André a travaillé durant toute sa carrière comme “métallo” à Ugine. Comme beaucoup d'habitants du Beaufortain qui n’étaient pas agriculteurs, le choix était vite fait. Il a gardé de ces années une nostalgie du monde ouvrier mais n’a jamais oublié son enfance passée aux champs et aux travaux du bois. Car tout petit, il a appris aux côtés de son père à faire fonctionner la scierie et le moulin. Et sans s’en rendre compte, intégré la complexité du travail des poulies de bois, la démultiplication des forces et l’entretien des pièces… Le temps de la retraite venue, il est tout naturellement revenu à Molliessoulaz entretenir son trésor et le faire fonctionner pour les besoins familiaux. Certains propriétaires renvoient sur le réseau l’énergie produite mais, lui, ça ne l’intéresse pas. Le moteur d’André, c’est plutôt la passion et l’affection, deux manières bien à lui de rendre hommage à son père Daniel. Rien à voir avec l’idée de produire sa propre énergie à bon compte ! La seule concession qu’il s’est autorisé a été de faire fonctionner le moulin pour les écoliers de la vallée. Histoire de leur apprendre que le savoir-faire des anciens est une belle leçon de vie. Et d’admirer une fois de plus la simplicité des mécanismes et revivre, le temps d’une journée, au rythme du mouvement magique de l’eau. Dessins de Bernard Auregan Association des amis des moulins savoyards – Annecy 21 Au-delà des images Une nature en mouvement Un jardin A ciel ouvert Chaque année, quand les beaux jours arrivent, les “montagnards” entament une drôle de pérégrination au rythme de la montée des troupeaux et de l’arrivée de l’herbe. Inscrit depuis des siècles dans l’histoire du Beaufortain, l’art de la “remue” n’a rien perdu de son intérêt. Mieux, c’est aujourd’hui une des garanties de la valeur de ce pays et de son terroir. Ici, l’agriculture a façonné et entretenu les paysages. La douceur des alpages, les troupeaux faisant VERSANTS ~ 22 résonner leurs sonnailles au cœur de l’été font écho à l’esprit de solidarité et de partage qui anime les producteurs de ce pays. Ce sont autant de signes forts qui montrent qu’en s’inscrivant dans l’économie d’aujourd’hui, le mode de vie traditionnel n’a rien perdu de son sens profond. Grâce à leur bon sens de “terriens”, les paysans continuent à faire le tri pour ne garder du passé ou du présent que ce qu’ils estiment être le meilleur. 23 Au-delà des images Une nature en mouvement Portrait Florent Perrier “Naître et travailler dans le Beaufortain est un privilège” Il faut montrer patte blanche pour rencontrer Florent Perrier, fromager à la Coopérative de Beaufort depuis 1994, hygiène oblige. Ils sont trois, ce jour-là, à s’activer entre les énormes cuves où se transforme le lait et les étagères où s’empilent les meules pressées. Les rayons du soleil traversant la pièce humide donnent un air de peinture hollandaise à l’ambiance. Les toiles de lin blanc jouent avec la transparence de la lumière et les hommes sont très concentrés. Nous sommes pourtant au cœur d’une réalité économique très bien ancrée dans la modernité. Florent est un des quatre fromagers de l’entreprise. Ce sont eux qui transforment le lait en Beaufort. Il nous accueille avec un large sourire, heureux et fier de partager sa passion pour une histoire locale particulière et un fromage élevé aujourd’hui au rang des meilleurs. Tout en racontant, il plonge son bras dans la cuve et “vérifie la transformation du lait en grains”. Cette opération s’appelle le coupage du caillé et la cohérence du geste donnera au fromage son caractère. Florent a fait ses études de fromager à Poligny dans le Jura. Un choix librement consenti, passionné depuis tout petit par l’agriculture et les alpages. “C’est un véritable privilège d’être né et de pouvoir travailler ici. C’est grâce à une poignée d’hommes qui se sont organisés pour mettre en place l’AOC qu’on appelle aujourd’hui l’AOP. Sans eux, je pense qu’il n’y aurait plus d’agriculture aujourd’hui dans le Beaufortain.” Quand on lui parle de son métier, Florent jubile, conscient d’être le maillon d’une chaîne locale très solidaire. Aujourd’hui la fabrication du Beaufort se fait avec des moyens très modernes rendant les tâches moins pénibles qu’autrefois. Mais curieusement Florent garde une vraie nostalgie des gestes d’antan : soutirer la toile ou retourner les meules manuellement… Cette dernière tâche se fait encore dans 10 des 30 caves, trop petites pour faire passer le robot. C’est là que s’exprime toute la force physique de cet homme à l’allure sportive. Car sous le calot blanc et la douceur du regard se cache une force de la nature. Champion du monde de ski-alpinisme en individuel en 2008, Florent est le tout nouveau recordman de dénivelé à ski avec 18 260 mètres avalés en 24 heures sur les pentes du Planay. Une élégante façon de tirer sa révérence à la compétition pour se consacrer exclusivement à son métier Le saviez-vous ? et à ses montagnes. Le Beaufort Eté tient son goût fruité de sa fabrication avec du lait produit de juin à octobre et donc en grande partie du lait d’alpage. Le Beaufort fabriqué en hiver est plus doux, produit avec le lait tiré quand les vaches sont à l’étable de novembre à mai. 18 000 meules attendent le jour J dans une trentaine de caves d’affinage sous la coopérative. Les autres chiffres : 10 856 000 litres de lait collectés par an, 25 000 meules fabriquées par an, soit en période de pointe, plus de 100 meules par jour. Placées sur le tablard en épicéa dans les caves fraîches et humides, les meules d’or sont salées, frottées à la toile et retournées 2 fois par semaine. Après 7 mois de cave, elles sont prêtes à être consommées. VERSANTS ~ 24 De l’herbe au Beaufort, toute une histoire A 27 ans, Adrien Gachet fait partie de la nouvelle génération d’agriculteurs du Beaufortain. Il a délibérément choisi cette vie avec la fierté de poursuivre la voie ouverte par ses aînés qui ont transmis un patrimoine paysager et économique d’une très grande richesse. Et en toile de fond, une passion intacte pour son pays. “Nous avons la chance d’avoir grandi dans un système solidaire. Nos anciens ont créé la coopérative de Beaufort. Cinquante ans plus tard, nous sommes toujours attentifs à la maîtrise de notre travail, “de l’herbe au client”.” Du fourrage au fromage, tout est contrôlé par les agriculteurs et c’est dans ce suivi de l’ensemble de la chaîne que se trouve la recette de la qualité. Ils ont une conscience très aiguë de ce qui est bon pour les troupeaux, pour l’AOP* et donc pour les visiteurs et les consommateurs. C’est une certitude, sans cette agriculture soignée et moderne, il n’y aurait plus de paysages verdoyants depuis longtemps. La nature ayant horreur du vide, la déprise agricole laisse trop souvent le champ libre aux forêts et aux friches. “Ici, les alpages sont restés plus naturels que dans d’autres massifs et, grâce à eux, le paysage du Beaufortain, avec ses pelouses et ses chalets d’alpage, est notre marque de fabrique. Les touristes ne s’y trompent pas.” “J’aime cette vie parce qu’elle a du sens…” Adrien pratique la “remue” (nom de la montée progressive vers les alpages) et il n’hésite pas dès le mois de juin à remonter les troupeaux vers les terres d’altitude, conscient de la modernité de ce mode de travail ancestral. “J’ai repris l’ancien système où les alpagis- tes, qu’on appelait “les montagnards”, mettaient en commun les troupeaux. Je monte mes 60 vaches laitières mais aussi 70 bêtes venues de Tarentaise.” Les “pensionnaires” arrivent mi-juin et le troupeau progresse sur les alpages au fur et à mesure de l’arrivée de 25 Au-delà des images Une nature en mouvement la végétation. Partant de 1000 mètres d’altitude, ils arrivent à 2400 vers miaoût, quand l’herbe est à maturité. Là haut, ils occupent les grands alpages d’altitude de Conchette, de l’Ecot et de Presset dans le secteur de la Pierra Menta. “J’aime cette vie parce qu’elle a du sens. Les journées commencent à 3h30 du matin avec la première traite et se finissent à 17h00. Mais quel bonheur d’être là, d’observer la nature, les animaux, les panoramas, le Mont Blanc. Et surtout de donner le meilleur à nos troupeaux et d’être réellement acteurs de la protection de notre AOP.” Avant l’arrivée de l’automne, les troupeaux redescendent progressivement et profitent des dernières pousses avant le froid. Cet art de “la remue” fait partie du patrimoine beaufortain et a définitivement marqué le paysage et les hommes. Les jeunes agriculteurs d’aujourd’hui assurent la relève sans nostalgie. Mais plutôt avec le sentiment d’être dans la construction d’un avenir moderne, juste et solidaire. AOP* : l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) est aujourd’hui étendue à l’Europe et devient l’AOP (Appellation d’Origine Protégée) VERSANTS ~ 26 La double vie de Louis Gachet En été, pendant que son frère Adrien monte vers les alpages, Louis reste en bas, à Arêches. Il s’occupe de la fenaison et de l’élevage. Membre du Conseil d'administration du Syndicat de défense du Beaufort, il est un fervent défenseur de l’agriculture beaufortaine, de la qualité de son terroir et de la protection de l’AOC Beaufort. Pour autant, il a fait un autre choix de vie en apprenant très jeune un second métier, celui de moniteur de ski. C’est sur les pistes de Courchevel que vous pouvez croiser ce grand gaillard au regard déterminé. “La double activité fait rentrer un peu plus “Notre défi est de continuer à fédérer toutes les forces vives…” d’argent dans la famille. C’est aussi une ouverture vers les autres. J’ai choisi ma bi-activité dès l’école. C’était plus dur autrefois quand les paysans-ouvriers descendaient à Ugine pour travailler à l’usine.” Parfaitement à l’aise dans ses deux vies, Louis est très investi dans le Syndicat de défense du Beaufort mais aussi dans la transmission des valeurs de son pays auprès de ses clients. “Notre défi est de continuer à fédérer toutes les forces vives et de poursuivre l’esprit coopératif de nos anciens. Et ça, on peut le faire sur les alpages mais aussi sur les pistes !” Louis et Adrien Gachet Avec un sourire complice, ils donnent le secret de leur vocation… “Tout petits, nous aimions jouer avec les pommes de pin. Dans notre imagination, elles représentaient les tarines de nos parents. On faisait des piquets et des parcs avec de la laine. Notre monde s’est construit comme ça, tout naturellement !” L'alpage en quelques mots Seille : seau de bois Séracière ou sérachire : domestique qui aidait le fruitier sur l’alpage. C’est elle qui nettoyait les ustensiles et s’occupait du ménage Fruitier : domestique qui faisait le fromage en alpage Pachon : piquet de sapin auquel on attachait les vaches En savoir plus Les alpages et la vie d’une communauté montagnarde : Beaufort du Moyen-Age au XVIIIe siècle, Hélène Viallet – Centre alpin et rhodanien d’ethnologie Grenoble 1993 Le grataron, une spécialité locale très prisée La fibre naturelle fait son grand retour Le soir tombe sur les pistes enneigées du Planay. Denis Joguet observe de loin les quelques irréductibles skieurs qui se pressent pour la dernière descente de la journée. Des Avinières où est installée sa ferme, il profite du paysage dans une tranquillité absolue. D’ici on peut facilement oublier cette autre vie sur le versant d’en face. Le secteur est pourtant très habité par un groupe de demoiselles plutôt racées. Communales, Sandines ou Chamoisées, elles se bousculent à l’arrivée du géant aux boucles blondes. Car les 80 chèvres laitières de son troupeau sont encore à l’étable pour quelques semaines, avant l’arrivée des beaux jours et la montée vers les pâtures du Col de La Bâthie. Avec le lait de ses chèvres, il produit un fromage typique du Beaufortain, le Grataron. Ce fromage était autrefois produit pour un usage domestique et donc réservé à la consommation familiale. Il avait une couleur rouge due à l’utilisation de la cochenille au moment du lavage de la croûte. Si on lui demande sa recette, Denis reste énigmatique : “C’est une histoire de famille et le secret de sa fabrication nous vient d’Octavie, notre mère. Chaque producteur a son tour de main particulier.” Impossible d’en savoir plus, Denis Joguet reste muet comme une carpe. Seule certitude, ce fromage de chèvre, à pâte molle, est très goûteux. Les meilleurs fromagers d’Annecy viennent le chercher directement ici ou chez les trois autres producteurs du Beaufortain. Au fait d’où vient ce nom ? Là encore, mystère : “Je ne me suis jamais posé la question” répond Denis en rigolant… Selon certains, l’explication serait à trouver du côté de sa croûte, le grataron étant un des rares fromages à croûte lavée et frottée. “C’est une histoire de famille et le secret de sa fabrication nous vient d’Octavie, notre mère.” En cherchant bien, vous trouverez peut-être au fond d’une malle un vieil ours en peluche tout doux et tout bouclé. Ce petit trésor, s’il date du début du XXème siècle, est certainement fabriqué en laine mohair. Car cette douce m a t i è re a d ’ a b o r d acquis ses lettres de noblesse avec la création d’objets destinés aux enfants. Réservé aux plus fortunés, le mohair était à l’époque une fibre naturelle très utilisée à l’image des sièges des trains en 1ère classe, recouverts de cette douce matière. Marie-Hélène et Marlène sont installées à “L’Eipeich”, au-dessus de Queige, depuis 20 ans. Le GAEC “La Ferme des Sapins” est un petit paradis pour 80 chèvres angora, blanches et bouclées, gambadant et caracolant joyeusement autour de la vieille bâtisse. Un élevage qu’elles dirigent dans le plus pur esprit local : autonomes en fourrage et attachées à produire une laine mohair de grande qualité. Là aussi, comme pour les autres producteurs, impossible de travailler sans un système solidaire, ces chèvres n’étant élevées que pour leur toison qu’il faut ensuite transformer. Elles organisent deux tontes annuelles. La laine est ensuite triée, lavée et filée au sein d’un réseau national très structuré. Les produits finis reviennent à la ferme où ils sont vendus en direct. C’est seulement à ce moment-là qu’elles perçoivent le fruit de leur travail. Il a fallu toute la détermination d’éleveurs de chèvres angora pour maintenir cette activité en France et aboutir aujourd’hui à un réseau d’une cinquantaine de producteurs, organisés, appliqués à transmettre leur savoir-faire et à créer des produits accessibles et de très grande qualité. Difficile de ne pas succomber à la douceur des belles chevrettes à bouclette mais aussi aux jolis pullovers, étoles, écharpes, bonnets, chaussons et autres créations. 27 Versants cuisine & jardin… Un art de vivre ancestral La Savoie a toujours été un carrefour d’échanges culinaires. La proximité de l’Italie et de la Suisse, la pratique ancienne des échanges entre régions et vallées, le commerce des épices et surtout le système de production et de transformation laitières ont créé une tradition culinaire très particulière. La cuisine de montagne est faite de peu d’ingrédients. Provenant des jardins et de la transformation du lait, ce fut pendant longtemps une cuisine de subsistance, marquée par la dureté de la vie pour les habitants. Pour autant, chacun a eu à cœur, depuis longtemps, de sublimer les produits de la nature. On la croyait austère… elle se révèle joyeuse et pleine de ressources ! Nous avons rencontré des “gardiens” de ces recettes presques oubliées et des chefs convaincus que c’est dans le partage de valeurs très actuelles que se trouvent les lignes d’une nouvelle cuisine saine, faite de produits naturels, locaux et simples. VERSANTS ~ 28 Le roi du Pormonier Notre tournée des recettes familiales s’est arrêtée à Villard-sur-Doron où Gaston Tardy nous a livré le secret de son “pormonier”. A 74 ans, cet homme paisible a vécu plusieurs vies. Charpentier, métallurgiste à Ugine quand il fallait bien aller chercher le travail là où il y en avait - "des fois, je rentrais à l’usine à reculons pour avoir l’impression de sortir" -, il n’a jamais perdu les ha- alcool” annonce-t-il. Pas si sûr, vu bitudes héritées de son père. Tuer le la douce chaleur qui nous envahit cochon, faire un potager, cultiver les fugitivement. Sur la table, il a découpé fruitiers et les petits fruits et surtout quelques tranches de pormonier. “Son pormonier” car là aussi, les recettes savoir transformer ces produits. Avec Gilberte, sa femme, ils ont su varient. “Nous mélangeons du gorgeon maintenir une belle tradition qui et de la poitrine de porc avec des fait plus référence à la solidarité bettes, des poireaux et de la salade et au partage, toujours utiles par d’hiver. C’est en novembre qu’on les temps qui courent, qu’à une fabrique le pormonier, juste avant nostalgie d’un passé qui n’a plus que les légumes ne gèlent.” Le goût lieu d’être. Chez eux, rien ne se incomparable vient de la cuisson faite perd et tout se transforme. Gaston dans un grand chaudron sur un feu de nous sert une liqueur de pissenlit, bois et surtout d’un art partagé, celui d’une belle couleur dorée et au goût de la patience. parfaitement équilibré. “Un vin qui ne dépareillerait “il n’a jamais perdu pas sur une grande table les habitudes héritées en accompagnement d’un foie gras ! Garanti sans de son père.” Sucré salé “Chaque village a sa recette. A Beaufort, c’est un entremet sucré et donc un dessert. Il fallait utiliser tout ce qui poussait dans le jardin et selon nos moyens, on ajoutait des épices et des fruits secs. Notre “plus”, c’est le “résiné” qui est une confiture sans sucre. C’est une réduction de jus et de morceaux de poires qui doit cuire sur le feu de bois pendant 24 heures sans attacher.” Gilberte Tardy “Chez nous, notre “plus”, c’était les myrtilles séchées. On en mettait aussi dans les “gourres”, de grosses boules de pommes de terre râpées mélangées avec du sel, de la muscade et cuites dans le bouillon de chèvre ou de mouton. La cuisine de montagne était une cuisine de “pauvres”. Il fallait faire avec ce que nous avions.” Annie Viallet Le farçon de Beaufort ✦ Cuire 1 kg de pommes de terre en robe des champs. Peler et réduire en purée. ✦ Dans une grande cocotte, couper 2 kilos de pommes, 100 g de pain sec, 400 g de figues séchées, ajouter un zeste d’orange en lamelles, 250 g de raisins secs, 500 g de “résiné”, 200 g de sucre, 2 bâtons de cannelle, un peu de sel, 50 g de beurre et 4 verres d’eau. ✦ Faire cuire et laisser réduire en remuant de temps en temps. ✦ Rajouter les pommes de terre, 500 g de “résiné”. ✦ Laisser cuire en rectifiant l’assaisonnement et en ajoutant environ un verre d’huile. Après une heure de cuisson, ajouter quelques biscuits secs émiettés. Disposer dans un ou plusieurs plats. Avant de servir, faire dorer à four chaud. 29 Versants cuisine & jardin… Les jardins s’invitent à table Ils conjuguent admirablement le passé et le présent, travaillent à partir des produits frais et naturels et s’inspirent de la nature environnante pour sublimer la cuisine de montagne. De Hauteluce à Arêches, des Saisies à Beaufort, les grands chefs vous proposent une gastronomie naturelle et très actuelle. Pour les trouver, laissez-vous guider par vos envies… Le retour des anciens Didier Vidal est un amoureux des produits de terroir. Quand on lui demande de parler de la cuisine de montagne qu’il fait découvrir dans un grand hôtel des Saisies, il évoque d’abord la truite, la féra, l’omble, les écrevisses, le veau et l’agneau… Il enchaîne sur les légumes-racines qu’on appelle aujourd’hui les légumes oubliés mais qui n’ont jamais vraiment déserté les tables des habitants de ces pays d’en haut. Après avoir cueilli des fleurs aux odeurs surprenantes dans les alpages, on passe par le jardin ramasser quelques bettes, un chou et des salades croquantes. Il nous raconte des petits bouillons, des fumets de volaille ou d’écrevisses et on se prend à rêver à cette subtile alchimie qui transforme des produits de terroir en merveilles pour les papilles. Cette cuisine pleine de poésie et de couleurs donne envie de filer dans notre cuisine pour tenter l’aventure. Cyril Suet, installé au cœur de Beaufort, est de ces jeunes chefs qui se passionnent pour la cuisine de leur terroir. Et surtout pour les produits de montagne et les producteurs qui les subliment. “Pour faire une bonne cuisine, le producteur est aussi important que le cuisinier. L’un ne va pas sans l’autre. A partir de là, une fois la sélection des produits de saison faite, je fais ce que j’ai envie.” Et comme nous en étions à parler de jardins, de légumes et de fleurs, à rêver sur le croquant des salades et la douceur des tomates fraîches, à s’extasier devant la délicatesse des fleurs de pimprenelle et les premiers coucous, Cyril a proposé de nous concocter une recette rien que pour nous… Sa “raviole” est un hymne à l’alpage, au jardin et au grand air. Une pure merveille ! de d'herbes Raviole de légumes cuits et crus, sala et jambon de pays. Filet de truite, topinambours, rutabagas et purée de panais. Sauce à l’aspérule et au lait d’alpage. ✦ Après les avoir soigneusement épluchés, couper en petits morceaux les rutabagas, topinambours et panais. Les cuire séparément environ 15 mn dans un bouillon de volaille. Réserver. ✦ Avec les panais, faire une fine purée montée au beurre et à la crème épaisse. Assaisonner. ✦ Faire bouillir un litre de lait entier. ✦ Ajouter un peu de fumet de poisson. ✦ Réduire de 3/4 - Assaisonner. ✦ Hors du feu ajouter 1 cuillère à soupe d’aspérule séchée. Laisser infuser en couvrant 10 mn. ✦ Faire revenir les filets de truite au beurre 5 mn de chaque côté. VERSANTS ~ 30 “Autour du jardin”, une cuisine croquante et craquante ! Dresser l’assiette en déposant de part et d’autre les filets, les légumes et la purée. Entourer d’un filet de sauce. les ingrédients utilisés Pour 4 personnes : (nous donnons ici r selon ses goûts) varie les peut on mais te, dans notre recet ✦ Légumes : échalote grise, céleri rave, le chou pomme, carottes, brocolis et moël es. ceris tes toma rges, de brocolis, aspe ✦ Herbes : pissenlit, plantain, achillée le, millefeuille, fleur d'origan, pimprenel rule aspé lamier pourpre, ✦ 4 tranches de jambon cru ✦ Raviole : 500 g de farine, 2 œufs entiers, 3 jaunes d'œufs, 3 cuillères à e soupe d'huile d'olive, 3 cuillères à soup d'eau froide, q.s. sel. ✦ Dans une sauteuse, faire chauffer un peu d'huile d'olive et saisir les tranches ite. de jambon cru que l'on réservera ensu ✦ Faire revenir la mirepoix dans la sauteuse avec une gousse d'ail en 'à chemise. Saler et cuire à couvert jusqu . une cuisson al dente ✦ Réserver au frigo. ✦ Abaisser finement la pâte à raviole et y découper 8 carrés de 20 cm. Sur 4 morceaux, disposer environ 100 g de légumes cuits refroidis. Coller les Pâte à raviole : 2èmes morceaux de pâte par-dessus en au pour s dient ingré humidifiant le pourtour avec un pince ✦ mélanger tous les et r Filme . gène . homo l'eau pâte dans une pé ir trem obten laisser reposer 1h au frigo. ✦ Disposer les ravioles dans une ent ✦ Eplucher les légumes, couper finem sauteuse, couvrir d'eau à hauteur. ue chaq de hes tranc 2 oline mand la à Ajouter une pincée de gros sel, légume par personne, les réserver dans une noix de beurre et une feuille e salad la avec frigo au e glacé l'eau de sauge. Porter à ébullition d'herbes rincée. et cuire 5 minutes. ✦ Tailler le reste des légumes en petite mirepoix. s assaisonner les légumes crus et les herbe Disposer les ravioles sur une assiette, on. jamb de he tranc la avec le ravio nt sur la égouttés, les disposer harmonieuseme Servir sans attendre. Le jardin, un ami qui nous veut du bien Passer l’été dans les alpages nécessitait autrefois de s’organiser. Car côté ravitaillement, seuls les trajets à dos d’hommes ou de mulets étaient possibles. De cette époque est née la tradition des cortils, les petits jardins cultivés autour des chalets d’alpage. Ces potagers d’altitude offraient aux alpagistes un complément de nourriture indispensable. Dès l’arrivée dans les alpages en juin, les hommes plantaient des légumes. Ils les choisissaient résistants et faciles à conserver. Carottes, choux, poireaux, pommes de terre… il fallait faire vite pour pouvoir profiter des récoltes avant de redescendre avant l’automne. Ce jardinage d’altitude est resté une tradition de montagne et il est fréquent de trouver autour des maisons ces petits carrés de potager bien sages, protégés par de jolies clôtures en bois. On y trouve des légumes mais aussi beaucoup de fleurs et de plantes aromatiques. Une tradition qui vit aujourd’hui une seconde jeunesse avec l’engouement des consommateurs pour une nourriture saine et naturelle. Les citadins visitent les potagers comme ils visitent des expositions de peinture, s’extasient devant les lignes de haricots ou de salades, s’amusent à faire pousser des tomates et de la roquette sur leurs balcons et s’intéressent aux fleurs comestibles. C’est tout bénéfice pour la mise en place d’une meilleure façon de consommer et “On y trouve des donc de se nourrir. Après légumes mais aussi avoir oublié le bon sens des anciens, nous revenons à beaucoup de fleurs une alimentation simple et et de plantes variée. Et les jardins, lieux de calme et de lenteur, sont aromatiques.” nos sources. 31 Au-delà des images Une montagne d'activités Confidences Dans nos souvenirs d’enfance montagnarde, on trouve pêle-mêle les courses folles dans les grandes herbes fleuries à la fureur du père qui voyait son fourrage se coucher sous nos pas insouciants… les heures passées à rêvasser devant les cimes étincelantes avec l’envie, plus tard, quand nous serions grands et forts comme Maximin, devenu guide de haute-montagne, de nous confronter à la VERSANTS ~ 32 verticalité, à la glace et aux grandes courses… les jeux de construction dans les torrents où, soulevant des pierres trop lourdes pour nos petits bras, nous construisions des barrages et des viviers, heureux d’arrêter pour quelques minutes la course de l’eau, frissonnants à la vue d’une couleuvre glissant sur l’herbe humide, bien plus effrayée que nous par nos cris et nos gesticulations... et bien d’autres souvenirs d’étés à la montagne. Sont venues s’y ajouter aujourd’hui mille et une façons de profiter des airs, de l’eau, des pentes et de l’air pur. Mais ces enchantements de l’enfance n’ont pas disparu. Il suffit de laisser aller son imagination et de ne pas résister à l’envie de plonger ses pieds dans l’eau glacée du torrent ou de profiter du souffle magique d’une brise de pente. C’est gratuit et pour longtemps encore ! 33 Au-delà des images Une montagne d'activités Portrait Jacques bos “L’homme qui murmure à l’oreille des truites” “Pêcher, c’est avant tout une façon d’aborder le milieu aquatique. Il n’est pas systématiquement question d’attraper du poisson mais plutôt de prendre connaissance des lieux, d’apprivoiser la rivière. Et quand au final j’ai attrapé une belle truite, je la regarde, je mouille mes mains pour ne pas l’abîmer et je la décroche doucement sans la blesser. Allez, ma belle, je te laisse la vie !”. Jacques Bos, garde-pêche de l’AAPPMA de Beaufort (Association Agréée pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique) est avant tout un passionné de la pêche et, comme les truites du Doron, un fervent défenseur de l’art de se fondre dans le milieu ! Ce Drômois de souche a appris l’art de la pêche sur les bords de Loire et en Bretagne, dans les grandes rivières du Scorff et de l’Ellé, là où vivent en abondance truites et saumons. Mais depuis 30 ans qu’il vit dans le Beaufortain, il a appris à se mesurer aux poissons de montagne. Et pour rien au monde il ne quitterait désormais les eaux froides du Doron ou des lacs d’altitude. Et à ceux qui pensent qu’il n’y a pas de poissons ici, il réplique qu’il suffit simplement de savoir les attraper. Et à ce jeu là, inutile de faire le malin. “La truite, tapie au fond de l’eau en attente d’un éphémère qui passerait par là, vous sent arriver. Elle perçoit les ondes, les changements de lumière et en un quart de seconde, elle n’est déjà plus là où vous la pensiez être !” C’est pour cette raison que le bon pêcheur ne s’installe jamais sans avoir au préalable marché le long de la rivière, repéré de loin le bon coin et décidé alors de son heure de pêche en fonction du soleil et de l’orientation. La technique est alors de remonter le courant pour surprendre la belle. “Il faut penser comme elle, se mettre à sa place et alors, on a une chance de l’attraper.” VERSANTS ~ 34 “… en un quart de seconde, elle n’est déjà plus là où vous la pensiez être !” La pêche en lac, un loisir d'été facile à apprivoiser Côté technique, Jacques Bos a découvert “la pêche au toc” en arrivant en Savoie. C‘est simple, il faut une ligne, un plomb et un appât et dès que ça bouge, on ferre et le plomb fait “toc-toc” ! D’où le nom de cette pêche pas toujours miraculeuse sauf si on la pratique sur le plan d’eau de Marcot où chaque année sont organisés des lâchers de poissons de rivière. Jacques préfère largement la pêche en wadding, ultra légère et caractéristique de ces étranges sportifs qui remontent les rivières avec des bottes de sept lieux (les wadders). Une pêche sportive très adaptée à la montagne et aux eaux tumultueuses du “Une pêche sportive très adaptée à la montagne et aux eaux tumultueuses du Doron…” Doron et très apparentée au jeu du chat et de la souris... Quant à la pêche à la mouche, elle est réservée aux lacs de montagne, à Saint-Guérin ou à La Gittaz. “Il faut une étendue d’eau plane suffisamment grande pour que la mouche se pose doucement comme un insecte sur la surface de l’eau. La truite fonce et gobe la mouche ! Si vous essayez le lancer au bord du Doron, il y a de fortes chances pour que votre ligne finisse sa course dans les arbres !” Aujourd’hui, Jacques Bos transmet sa passion aux plus jeunes et, avec son comparse Gaston Molliex, encadre chaque été des stages de pêche pour les 8-12 ans organisés par l’Association d’Animation du Beaufortain. Ils transmettent avec plaisir les émotions de leur sport favori à des enfants qui découvrent que chez eux vivent des truites sauvages et des écrevisses à pattes rouges. Et si la pêche de ces dernières reste interdite, ils peuvent toutefois démarrer leur apprentissage sur le plan d’eau de Marcot où se laissent attraper facilement de nombreuses espèces surdensitaires. Avant de filer vers des endroits plus sauvages sur les traces de Jacques Bos, qui leur apprend que ce milieu fragile doit aussi être entretenu et protégé. 35 Portfolio Courants ascendants Randonnée équestre au pied du Mont-Blanc VERSANTS ~ 36 Découvrir la montagne en marchant... VTT de descente, "dré dans l'pentu" 37 Au-delà des images Une montagne d'activités L’échappée belle Avec le retour des beaux jours, de drôles de touristes sillonnent les routes de notre pays. Le nez au vent, penchés sur leur guidon et très concentrés sur les courbes des virages, ils filent, rapides comme l’éclair, dans les longues descentes du Col du Pré. Mais ne vous y fiez pas, pour en arriver à cet instant de bonheur absolu, ils en ont mis sous le pied ! C’est d’ailleurs l’essence même de ce sport. A en croire Jean-Jacques Berthod, un des fondateurs du très sympathique club local de cyclistes, le Beaufortain est même un modèle du genre. Avec ses grands cols classiques, ses montées mythiques et ses kilomètres de petites routes qui serpentent d’un versant à l’autre hors des grands axes routiers, le cyclisme a trouvé son Eldorado ! Depuis 15 ans qu’ils roulent ensemble, Jean-Jacques et ses copains ont eu tout loisir de décortiquer les avantages du vélo pour sillonner les vallées du Beaufortain. “On roule tout le temps dans la nature. Qu’il s’agisse des boucles autour des hameaux, des étapes de montagnes, des passages de forêts, on est toujours face à de merveilleux VERSANTS ~ 38 panoramas ou à d’incroyables contreplongées sur les alpages. Nous venons des quatre villages et nous sommes fiers d’avoir dépassé les traditionnelles “querelles de clocher”. Quand on roule, on oublie tout.” Eloge de l’effort Mais attention, ces moments de pure contemplation se méritent. La montée Beaufort-Arêches-Col du Pré par Boudin peut se transformer en épreuve pour tout cycliste qui se lancerait à l’assaut de cette pente à 14% sans un minimum d’entraînement ! Le Grand Tour du Beaufortain, c’est 155 km en passant par les cols des Saisies, de Méraillet et du Pré et cela promet quelques crampes à l’innocent qui penserait qu’il suffit d’avoir le moral pour avaler les 3850 mètres de dénivelée de ce circuit réputé ! Pour comprendre ce qui se passe dans le cerveau d’un grimpeur, essayez de conserver le rythme dans la montée mythique du Signal de Bisanne et ses 1212 mètres de grimpette ! Malgré les nombreux troupeaux qui vous regardent passer, pas de doute, le Beaufortain n’est pas qu’une montagne à vaches ! Heureusement, un peu plus bas, le parcours dans les bois reliant Beaufort à Queige est un beau moment de fraîcheur. Pour un peu, on oublierait qu’on est à la montagne ! au service de tous en créant 13 cyclofiches recensant les circuits sportifs balisés depuis le centre de Beaufort. Dénivelés, longueur, pente moyenne, parcours de liaison, tout y est. C’est un outil précieux pour les visiteurs qui sont les bienvenus : “aujourd’hui, nous intégrons à notre groupe de “locaux” des habitués du Beaufortain. Quand on y séjourne régulièrement, il est quasiment impossible de résister à l’appel de la route !” Ce n’est donc pas un hasard si la Route des Grandes Alpes (qui fête son centenaire en 2011) bien connue de tous les aficionados de la “petite reine” passe par le Beaufortain. A force de pédaler sur toutes les routes du pays, Jean-Jacques Berthod et ses acolytes ont mis leurs connaissances Cimes et hameaux - Le Beaufortain à vélo En vente dans les Offices de Tourisme Le pays d’en haut “Lâchez tout !” s’écria le docteur. Et le Victoria s’éleva rapidement dans les airs, tandis que les quatre caronades du Resolute tonnaient en son honneur. Nous avions tous en mémoire les descriptions colorées de Jules Verne dans son roman “Cinq semaines en ballon” quand la montgolfière monta doucement et que routes, forêts et n’est pas rare, très tôt le matin ou au soleil couchant, de pouvoir admirer ces drôles de points colorés avançant nonchalamment au gré du vent. Ici, il existe une vraie tradition héritée de la passion d’une poignée de pilotes talentueux, adeptes du vol en montagne et regroupés au sein du Montgolfières Club de Savoie. La station a d’ailleurs été la première à proposer des stages montagne dans les années 80. Depuis, tous les ans, les Jeux Aériens regroupent des dizaines de montgolfières venues de partout et sont maintenant un rendez-vous incontournable pour les meilleurs pilotes européens. De la préparation du ballon à son envol, le spectacle est vraiment magique et nous propulse rapidement dans “Les brûleurs chauffent l’air, un homme tient la corde de couronne et doucement l’enveloppe se redresse…” maisons finissaient par ressembler à de jolies petites maquettes. Ce n’était pas l’île de Zanzibar qui s’offrait à nos yeux émerveillés mais le plateau des Saisies, le Mont Blanc étincelant et les sommets du Beaufortain à portée de main. L’expérience mérite d’être vécue et le vol très particulier des montgolfières fait partie du ciel du Beaufortain. Il l’imaginaire des grands aventuriers. Tout est nouveau pour nous et nous devons peu à peu nous glisser dans la peau des aéronautes. Les brûleurs chauffent l’air, un homme tient la corde de couronne et doucement l’enveloppe se redresse. Il ne reste plus aux passagers qu’à rejoindre le pilote dans la grande nacelle en osier. La montgolfière prend son envol lentement. Nous nous retrouvons bientôt au dessus des montagnes. Le ballon prend le vent Nord-Nord/Ouest et se dirige en direction de Hauteluce et des Aiguilles Croches. Le clocher du village semble tout petit, lui qui, vu de terre, domine le village de son bulbe brillant. Nous survolons les alpages et les troupeaux. Le pilote prend un peu de hauteur pour ne pas effrayer les animaux avec le bruit du brûleur. L’ambiance est douce et paisible. Le paysage défile et vu d’en haut, on en comprend toutes les subtilités. Ici un torrent, là un joli chemin creux, des hameaux regroupés dans la pente, des chalets d’alpage isolés, des marcheurs sur les flancs de la montagne… Nous frôlons les crêtes avec le sentiment de nous fondre dans ce paysage d’altitude. L’impression de glisser sur l’air est très douce. Le pilote utilise le moindre petit courant d’air pour progresser et nous sommes parmi les anges ! Après une heure de vol, Megève est en vue. Nous nous dirigeons tranquillement vers l’altiport. La manœuvre réclame de la concentration et du silence. Le pilote ralentit la descente, la nacelle se pose et l’atterrissage nous fait sortir du rêve. Nous revenons à la réalité, un peu déboussolés de marcher sur terre et conscients d’avoir vécu des moments rares et privilégiés. L’apprentissage du “lâcher-prise” en quelque sorte ! 39 Au-delà des images Jeux d'hiver les secrets de l'hiver Dès l’automne, elle arrive. D’abord en fines particules sur les hauts. “Ça a poudré cette nuit” disent-ils. Cette neigelà en prédit une autre. Plus lourde, plus dense. Celle qui en tombant ressemble à de petits papiers déchirés et vous anesthésie l’esprit. Celle qu’on reconnait du fond de son lit, avant même que le jour pointe son nez. Rien qu’au silence ouaté du dehors. Elle arrive d’un seul coup et tout le paysage se met VERSANTS ~ 40 à respirer au ralenti… Il faut attendre le soleil de janvier pour qu’une autre neige, poudre blanche mate et légère, adoucisse les reliefs. Les plus hauts sommets virent au bleu. La glace brille, inquiétante et attirante. Et plus le printemps approche, plus la neige change de consistance. Aux premières étoiles aériennes de novembre succèdent les lourdes plaques prêtes à dévaler les pentes aux premières chaleurs. Les montagnards les connais- sent bien. Ils savent depuis très longtemps choisir les meilleurs endroits pour les éviter. Ce savoir, hérité d’une pratique quotidienne où la nature n’a jamais fait de cadeaux, est plus que jamais utile. Les professionnels de la montagne, qui restent toujours attentifs aux signes du temps : température, vent, soleil, orientation… le savent bien. Tout en gardant à l’esprit que la neige ne se livre jamais complètement. 41 Au-delà des images Jeux d'hiver Portrait Christophe Hagenmuller le photographe vagabond Les plus belles traces du Beaufortain Christophe Hagenmuller 2006 Christophe Hagenmuller aime la montagne vivante, c’est pour cette raison qu’il a fait du Beaufortain le sujet du premier livre de sa collection Naturalpes dédiée aux plus beaux itinéraires de découverte à s’offrir durant l’hiver. A skis ou en raquettes, il n’est ici question que de plaisirs, d’émotion et de partage. C’est dans les Vosges que Christophe a découvert les joies de la randonnée, aux côtés de son père et de son frère Jean-François, autre photographe très talentueux, devenu guide de haute-montagne. Et des Vosges aux Alpes, le chemin était tout tracé ! De cette enfance montagnarde, Christophe a conservé un goût prononcé pour les paysages d’altitude. Il a bourlingué dans beaucoup de massifs, s’est offert de mythiques sommets devenant un pratiquant averti de la haute-montagne. Mais au-delà d’éventuelles prouesses sportives et d’histoires de dénivelés, ce qu’il aime par-dessus tout c’est le vagabondage. Et le Beaufortain est pour lui le terrain idéal pour se promener, observer, prendre le temps d’échanger. Par son travail photographique, il restitue bien plus qu’une image. A la lecture de ses clichés, on ressent de vives émotions et l’impression fugitive de plonger dans un instant fragile, éphémère, aux lumières VERSANTS ~ 42 Ce tour d’horizon des plus belles randonnées à ski du Beaufortain n’est pas réservé aux initiés ; il se feuillette aussi comme un beau livre d’images sur les sommets et les vallons de cette île d’altitude. Le Mirantin, la Pointe de la Grande Journée, celle de Presset et les balades hivernales au dessus de Roselend ou autour des alpages enfouis sous la neige, tous les itinéraires se vivent à skis ou en raquettes pour une superbe vision à 360° de la montagne beaufortaine. particulières. Ce travail d’artiste va bien au-delà d’une technique parfaitement maîtrisée. Les images de Christophe Hagenmuller semblent saisies sur le vif. C’est le résultat d’un très long travail de préparation où la connaissance du Beaufortain, de la montagne et de la neige est essentielle. Pour des raisons de sécurité bien-sûr, mais surtout de composition et d’éclairage. C’est là que sa connaissance de la montagne fait toute la différence. “Je sais que dans certains endroits, telle lumière, tels nuages ne vont se retrouver que trois ou quatre fois durant l’hiver. Il faut être patient, savoir attendre et surtout se préparer. Aucune image n’est prise par hasard. Bien choisir l’instant, la neige, l’orientation… La combinaison de ces paramètres permet d’être là au bon moment. Il y a de temps en temps de belles surprises comme le passage inattendu d’un troupeau de chamois. Mais si je fais une seule et unique photo dont je sois content pendant une sortie sur le terrain, c’est déjà beaucoup.” Poudreuse a gogo et saute-vallons les joies du ski de rando Il faut se lever tôt pour profiter des joies de la randonnée à skis. Choisir son itinéraire, vérifier la météo, trouver la bonne exposition pour une belle poudre bien légère et se lancer à l’assaut de la montagne, cherchant déjà les petits passages sympas encore vierges de toute trace pour une descente sur mesure. Ce sport qui demande un peu d’engagement physique est une des plus belles manières de se rapprocher de la nature. A ce jeu, le Beaufortain est champion du monde. Les raisons en sont multiples : un paysage pratiquement exempt de remontées mécaniques, un enneigement exceptionnel, une géographie composée d’une succession de vallées pas trop larges ni trop profondes et une variété d’itinéraires des plus faciles aux plus techniques. Le ski “nature” est inscrit dans les gènes de tous les Beaufortains, conscients de bénéficier d’un espace de liberté unique. Quant au néophyte, il peut être certain de profiter d’un panorama à tous les coups bluffant dès qu’il aura atteint son but, théoriquement un sommet même s’il s’agit d’une balade facile. “Je dis souvent qu’ici on joue à "saute-vallons"…” “Je dis souvent qu’ici on joue à “saute-vallons.”. Il y a une multitude de circuits, de boucles et d’itinéraires qui permettent de passer assez vite d’une vallée à l’autre. Il y a peu d’endroits infranchissables et on trouve toujours un passage sur les crêtes pour basculer sur l’autre côté. On peut même parfois démarrer la rando à 2000/2300 mètres d’altitude grâce aux remontées mécaniques d’Arêches-Beaufort ou de Hauteluce qui proposent un ticket “spécial rando”. On est alors encore plus vite sur les espaces vierges.” Enneigement Une position privilégiée Pourquoi neige-t-il ici plus qu’ailleurs ? Selon Philippe Yvrande de Météo-France, rien que de très logique. Les perturbations qui frappent les Alpes, majoritairement de composante Ouest/Nord-Ouest, viennent buter contre les hauts-reliefs. En effet, le Massif du Mont Blanc, dressé comme une barrière, bloque les dépressions et permet au Beaufortain de recevoir cette manne neigeuse tombée du ciel. Ajoutez à cela le fait qu’en s’arrêtant contre les hauts reliefs, les perturbations gagnent en intensité et vous aurez l’explication scientifique de l’enneigement de qualité du massif. Enfin, en raison de leur configuration et de leur orientation, les vallées sont bien protégées du redoux. Voilà pourquoi ici, la “fraîche” du Beaufortain est réputée ! Christophe Hagenmuller a testé tous les itinéraires et d’avis de spécialiste, le plus sauvage reste celui du Vallon de La Gittaz. Entre le Col du Bonhomme et le hameau de La Gitte, le paysage a des allures de Grand Nord. S’imaginer qu’ici passaient autrefois les contrebandiers donne un peu de piment à cette balade qui par ailleurs n’en manque pas. A l’image du “chemin du curé”, un chemin que fit creuser le curé au-dessus de la gorge pour que les troupeaux puissent se rendre plus facilement à l’Alpage de la Sauce. Bref, on vous parle de sport de montagne et on termine par les petites histoires du pays. Le Beaufortain, c’est tout cela à la fois ! 43 Portfolio Hauteluce sous le soleil, même en hiver... Ambiance nuit à Beaufort VERSANTS ~ 44 Sur les pistes, je me suis fait un nouveau copain... "Sous la neige, exactement !" 45 Au-delà des images Jeux d'hiver Franck Piccard La glisse dans tous ses états Triple médaillé aux Jeux Olympiques en 1988 et 1992 en Super G et descente, Franck Piccard est bien sûr un amoureux de la glisse. Cet enfant des Saisies reconnaît volontiers que d’avoir parcouru la planète dans tous les sens pendant ses années de compétition l’a rendu encore plus attaché à ce coin de montagne “à dimension humaine”. Car, explique-til en spécialiste, ici, la glisse est variée et adaptée à tous les profils. “Toutes les manières de skier se retrouvent ici. Certaines pistes des Saisies, d'Hauteluce ou d’ArêchesBeaufort sont faciles et accessibles aux débutants. A Arêches-Beaufort, on peut aussi pratiquer un ski plus sportif et se lancer sur de magnifiques hors-pistes. La station des Saisies correspond quant à elle à une offre dimensionnée pour répondre à une clientèle actuelle, adepte du ski mais aussi de tout ce que peut offrir une station en matière de loisir ou de bien-être pour toute la tribu. Depuis le col du Joly, la descente sur Hauteluce est un petit trésor en matière de paysage et de panorama.” Après un tour d’horizon rapide des grands pays de ski, Suisse, Autriche, Australie Nouvelle-Zélande, Canada, le constat est sans appel. Si tous les paysages de montagne méritent le détour, finalement dans ses souvenirs, “il y a peu d’endroit au monde comme celui-ci, avec ses vallées qui se rejoignent pour former un grand cirque qui n’a rien d’une enclave, avec son ensoleillement et son enneigement et surtout son esprit particulier. Car, même si, vu d’ici, nous sommes différents selon les villages, à l’extérieur, nous sommes tous beaufortains !” VERSANTS ~ 46 Pascal Meunier La Fontaine de Siloe – 1999 Pascal Meunier connaît bien Les Saisies. Il y a enseigné l’art des virages et du plié de genoux pendant plus de 20 ans. Il est aussi à l’origine du développement des vols en montgolfières sur la station. Dans cet ouvrage, il a recueilli les confidences de ceux qu’on a appelés les pionniers de l’or blanc. Ces hommes et ces femmes ont su faire des alpages du col des Saisies, une station familiale qui a porté les couleurs olympiques en 1992 en accueillant les épreuves de fond et de biathlon. L’histoire commence en 1913 avec le premier concours de ski organisé sur les pentes de Bisanne. Elle se poursuit pendant presque un siècle sans jamais oublier que le tourisme doit tout à la nature et aux paysages. On y découvre l’histoire de tous les acteurs de cette aventure, des moniteurs de ski aux artisans, des résistants aux champions sans oublier tous les habitants de ce pays décidément riche en émotions. Arêches-Beaufort Un siècle de tourisme, 50 ans de remontées mécaniques A l’entendre, on se dit que la liste des bons plans est longue et mérite le détour ! Pour terminer, Franck le descendeur nous réserve une surprise… Il est devenu adepte du ski de fond ! “Depuis 3 ou 4 ans, j’ai redécouvert les joies du ski de fond. Se balader, être en connivence avec la nature et les gens rencontrés au passage des hameaux me permet de retrouver l’esprit du pays. Le ski de fond est une activité ancienne ici où on a toujours pensé la montagne autrement que le “tout ski””. La Saga des Sa isies François Rieu – La Fontaine de Siloe – 1997 “Il y a peu d’endroit au monde comme celui-ci…” L’histoire du développement des sports d’hiver à Arêches-Beaufort est liée à celle d’un jeune alpagiste, Gaspard Blanc. Dès les années 30, il skiait, randonnait avec les moyens du bord. Jusqu’à devenir tout naturellement chasseur alpin puis moniteur de ski. Et avoir l’idée, après la guerre en 1947, d’installer le premier téléski. François Rieu suit le fil de l’histoire avec beaucoup de témoignages et d’images d’époque. Ces 50 années de mutations ont construit le tourisme d’aujourd’hui. Marie Bochet chercheuse d’or Quelle est la recette du succès de cette jolie brunette de 17 ans, au regard pétillant, qui a cumulé en une saison, le maximum de titres mondiaux en ski alpin-handisport ? “Tout donner dans le sport comme dans la vie…” Dire que Marie Bochet est Beaufortaine est certes intéressant mais une enfance passée à courir l’alpage familial de Plan Mya ne suffit pas à en faire une championne. Il faut plus et c’est une histoire de rencontres, d’affection et d’amitié qui a propulsé Marie au top niveau mondial. En 2011 donc, elle a décroché deux titres de Championne du monde individuel en Géant et par équipe et remporté la première place au général de la Coupe du Monde et de la Coupe d’Europe. Sans oublier un titre de vicechampionne du monde de descente et de Super G. Autant dire que c’est du jamais vu dans le monde du ski handisport. “J’ai eu la chance de débuter la compétition en étant toujours épaulée par des entraîneurs qui ont cru en moi. Je skie depuis toute petite et j’ai commencé, avec mon frère Léo, au Club des Saisies, encadrée par Jean-Michel Berthod. En arrivant au Collège de Beaufort, Bertrand Viallet, le responsable de la section ski, a commencé à me préparer à la compétition de haut niveau. Les choses se sont accélérées depuis que je suis au Lycée Jean Moulin d’Albertville.” Là, Marie s’entraine tous les après-midi d’avril à septembre en alternance avec les cours. La préparation du bac se fait en quatre ans pour ces jeunes de haut niveau qui passent les 6 mois d’hiver à courir aux quatre coins de la planète. Ils sont 70 skieurs et snowboarders à évoluer au rythme de ce régime qui ne laisse que peu de place aux vacances. Pour autant, Marie, qui est la première skieuse handisport à entrer dans ce lycée, n’est pas frustrée. Elle aime profondément le ski et la compétition et bénéficie du soutien de son père Yvon Bochet qui la suit dans sa progression en portant une attention toute particulière à son mental. “J’ai toujours vécu avec un seul bras et je ne me suis jamais sentie très différente des autres. C’est juste que certaines choses demandent de bouger autrement. La seule difficulté c’est de garder les pieds sur terre quand on fait de bons résultats au niveau mondial !” dit-elle avec humour. Entourée de ses entraîneurs et des siens, Marie sait que sa carrière a été rapide et qu’il va falloir tenir le haut du classement. Mais elle y croit, s’entraîne dur, donne le maximum et n’oublie pas de penser à l’avenir. “Dans tous les autres pays, la relève est assurée. En France, le handisport de haut niveau n’est pas encore très populaire. Nous ne sommes pas professionnels contrairement aux autres pays et c’est difficile de donner envie à d’autres. Nous sommes pourtant disponibles pour aller motiver de jeunes handicapés à se lancer dans l’aventure. Au niveau national, il y a beaucoup de gentillesse et de solidarité entre nous. En compétition, c’est un peu différent, mais c’est une formidable école de vie. Et pour rien au monde je n’abandonnerais !” Il suffit de la voir s’élancer au départ des courses les plus difficiles pour comprendre à quel point Marie est généreuse. Tout donner dans le sport comme dans la vie lui permet de conserver ce bel équilibre qui fait sa force. Une force qu’elle entretient dès qu’elle en a l’occasion en retrouvant les siens dans le refuge familial sur les hauteurs de Roselend. 47 Au-delà des images Jeux d'hiver Pierra Menta Une course inscrite au patrimoine local Plus qu’une course, la célèbre épreuve de ski-alpinisme qui se déroule chaque année en mars, est le rendez-vous incontournable de tous les habitants du Beaufortain. VERSANTS ~ 48 L’histoire débute avec la mobilisation, bien avant la course, de 350 bénévoles. Elle se poursuit pendant les quatre jours de compétition avec un bon tiers d’équipes composées de locaux. Elle se prolonge, sur les pentes du Col de La Forclaz, du Cormet d’Arêches et au sommet du Grand Mont, par la présence de centaines de supporters venus de France, d’Italie, d’Espagne et de Suisse. La Pierra Menta, pour faire initié, prononcez Pierrâh Minte en appuyant fortement sur le in, est une des plus belles courses de ski-alpinisme au monde. Elle est désormais inscrite dans le cœur et le corps de toute une génération de skieurs du massif. C’est la semaine de la Pierra Menta. En déambulant dans les rues de Beaufort ou d’Arêches, pas difficile de reconnaître les équipiers. Bronzés et sveltes, on les retrouve à la caisse de la supérette les bras chargés de pâtes. Bien sûr, on les croise aussi à l’entraînement sur les raidillons de la Pointe de la Grande Journée ou du Grand Mont. Collants moulants et pipettes sont leurs signes de reconnaissance. Et là où, à skis de rando, vous vous arrêtez quelques minutes, histoire d’admirer le paysage, ils vous dépassent, le regard fixé sur la pointe de leurs spatules. A peine un déplacement d’air, juste un léger souffle pendant que vous reprenez difficilement le vôtre... L’autre histoire de la Pierra Menta, c’est celle du pays. C’est LA course du territoire, avec son ambiance unique. C’est en partie ce qui en a fait son succès mondial. Chaque année, des skieurs basques viennent prêter main forte à l’organisation. Des bus d’italiens se déplacent pour soutenir leurs champions. Un formidable exploit sportif pour toutes les équipes engagées Et tout ces gens joyeux et motivés se mêlent aux supporters locaux investis à tous les niveaux, traceurs, restaurateurs, responsables de la sécurité, de la circulation et surtout de l’animation ! Car ici tout le monde se connaît et des jeunes du ski-club aux bergers, des pratiquants “nature” aux fromagers de la Coopérative, tous se retrouvent un jour ou l’autre à “faire la Pierra Menta.” Clarines, trompettes, accordéon, chants, youyous, tout est permis à condition de faire le maximum de bruit au passage des champions. Une vraie fête d’altitude où tout le monde gagne. Ce passage obligé parmi une foule colorée, bigarrée et joyeuse comme pas deux est le meilleur dopant pour tous les sportifs engagés ! “C'est la course du territoire, avec son ambiance unique…” La Pierra Menta en famille René le père, Arnaud, Xavier et Yvon les fistons, Sylviane la maman… Chez les Gachet, la Pierra Menta est une saga familiale. Il faut dire que la maison familiale, aux Efforces, est à quelques encablures des pentes où se déroule la course. “Il y a même eu des années où le départ se situait juste en contrebas.” Impossible donc de résister à l’appel du large d’autant que René est au rendez-vous depuis…1986. Il avale chaque année entre 60 000 et 80 000 mètres de dénivelé juste pour le plaisir. C’est donc le regard porté vers les pentes enneigées et la cime du Grand Mont que les trois garçons ont grandi. René est fromager à la Coopérative, une entreprise qui tourne au ralenti pendant la course tant l’investis- sement des salariés dans cet évènement est important pour la vie locale. Chaque année, Sylviane est à la vente des T-Shirts, sa façon à elle d’être de la partie. Mais comment expliquer un tel engouement pour la Pierra Menta ? La réponse de René fuse comme une évidence dans ce pays de montagne : “De toute façon, l’hiver, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire si on ne veut pas rester enfermé !” Et puis il y a cette fête, cette sensation pour les coureurs d’être portés par tout un pays. “Quand on voit tout ce monde aux passages des cols et des sommets malgré le mauvais temps, on a envie d’aller encore plus vite. On entend son nom, on reconnaît ses amis, ses voisins et on donne le maximum pour être de la fête !” Une émotion qui vaut bien celle de la victoire. Et chez les Gachet, la victoire, on connait. Le buffet de la salle à manger est recouvert de coupes. Une “taupine” est remplie de médailles. “Je ne sais même pas combien il y en a. C’est Xavier, en Equipe de France Espoirs, qui en a remporté le plus…” Cette année, pour la première fois, le père et ses fils se sont retrouvés ensemble sur la course. La relève est en préparation. Les petits des écoles maternelles sont chaque année à pied d’œuvre pour soutenir leurs champions dans des endroits faciles d’accès. Nul doute que ne germe déjà en eux une envie qui les amènera plus tard à aller se mesurer à leurs aînés. La fête de la Pierra Menta a encore de beaux jours devant elle ! 49 Versants livres Inspiration 01 Le Beaufortain sert de toile de fond à des histoires, des témoignages ou des créations les plus diverses. Quelques exemples à retrouver à la médiathèque de Beaufort ou chez les libraires et à déguster sans modération. 01~Hubert 02 04 du Beaufortain 03~La poule blanche Randonnée littéraire en Une école en Beaufortain 80 étapes sur le sentier de vie Bluette L’edelweiss d’Hubert Favre 06~Au temps des alpages Philippe Mazure et Roger Frison-Roche La Fontaine de Siloe - 1992 Patrick Jagou Editions Kahuna Vision - 2010 Ce livre est un véritable témoignage d’amitié à Anastase Personnettaz, alpagiste authentique. C’est aussi un reportage photographique sur la vie des montagnards dans les années 90. Ceux que Frison-Roche appellait “les hommes libres” ont su transmettre à la génération actuelle les valeurs qui les animaient et qui se retrouvent dans ce beau livre d’images, même si cette vision passéiste du pastoralisme n’est plus du tout d’actualité. Partir explorer les contrées d’Hubert Favre, c’est s’engager sur les chemins du Beaufortain à travers les virages, les pentes escarpées et les balades d’une vie bien remplie. On y retrouve les grands noms de la montagne, Philippe Revil, Frison-Roche, Maxime Viallet entre autres… Et à travers les rencontres, l’esprit d’un pays où souffle un vent de créativité, d’optimisme, d’engagement et de partage. Une manière intelligente de s’y plonger pour en comprendre les subtilités. 02~Octavie – Une paysanne en Beaufortain et ses treize enfants 05 Laurence Fleury L’histoire d’Octavie Joguet est un témoignage poignant sur la vie des habitants du Beaufortain durant le siècle dernier. Dans l’histoire de leur aïeule, les générations qui ont suivi ont appris à reconnaître la richesse du patrimoine humain de leur pays. Ce livre raconte la vie de cette belle montagnarde, née en 1925 aux VillesDessus en amont de Beaufort. Une histoire passionnante qui se tisse au fil des générations avec en toile de fond un attachement profond pour le Beaufortain. 06 07 VERSANTS ~ 50 L’histoire de l’école de Boudin est liée à celle d’un homme, Pierre Tissot, né en 1757. Une fessée maternelle allait décider de sa destinée et bien des années plus tard, permettre aux enfants du hameau d’apprendre à lire, à écrire et à compter. 04~Doucement les basses Jacques Ouvard La Fontaine de Siloe - Février 2005 Un polar au pays des alpages, ça mérite le détour. Cette nouvelle enquête du Père Boileau, le célèbre commissaire devenu curé, lui tombe dessus alors qu’il est venu goûter l’air pur du Beaufortain. Un petit livre bourré d’humour et d’enchaînements imprévus à déguster bien calé devant les paysages de la Pierra Menta ou du Grand Mont. 05~Orage sur la Pierra Yann Teissier du Cros Editions Thot - 2009 Menta Une intrigue au cœur des montagnes, cinq ans après le rattachement de la Savoie à la France. Entre l’alpage de Conchette, le Cormet de Roselend, Boudin, Beaufort, Granier et BourgSaint-Maurice, Céline Mappaz piste l’assassin de son mari Maxime. Au-delà de l’histoire, c’est une belle plongée au coeur des alpages, dans la vie des “montagnards” du Beaufortain. 07~Ensemble dans le Beaufortain Revue trimestrielle de l’Association d’Animation du Beaufortain Une bonne entrée en matière pour se plonger dans la vie locale. Depuis bientôt 50 ans, en plus des articles consacrés à l’actualité du pays, on y trouve des dossiers thématiques très riches et instructifs sur l’histoire, le patrimoine, l’environnement et les grands enjeux du territoire qu’ils soient sociaux ou économiques. Les deux derniers numéros ont été consacrés aux modes de déplacement (4ème trimestre 2010) et à l’engagement (1er trimestre 2011). AAB : 04 79 38 33 90 Carnet d'adresses Beaufortain Tourisme Communauté de Communes du Beaufortain Mairie de Beaufort Tél. 04 79 38 38 62 [email protected] www.lebeaufortain.com Mairie d'Hauteluce Office de tourisme d'Arêches-Beaufort Tél. 04 79 38 15 33 www.areches-beaufort.com Tél. 04 79 38 33 15 Tél. 04 79 38 80 31 Mairie de Queige Tél. 04 79 38 00 91 Mairie de Villard Tél. 04 79 38 38 96 Magazine édité par Beaufortain Tourisme Communauté de Communes Directeur de publication : Dominique DOIX Rédacteur en chef : Nicolas DESCHAMPS Conception, coordination et rédaction : AXIUBA Communication Rédaction : Catherine Claude et Pascale Debruères Design graphique et réalisation : Studio TOUCAN •TOUCAN Impression : Delta Color Imprimerie Dépôt légal : juin 2011 ISSN : 1969-9514 – ©Versants Le magazine du Beaufortain 2011 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Office de tourisme des Saisies Tél. 04 79 38 90 30 www.lessaisies.com Crédits photos : Stéphane CERVOS / Catherine CLAUDE EDF-Henri Brigaud et EDF-Collection Henri Baranger Jean-Louis FOURTANIER / Famille FRISON-ROCHE David GENESTAL-FOTOLIA.COM / Christophe HAGENMULLER Nicolas JOLY / Gilles LANSARD / ONF / Gilles PLACE Christian TATIN / Olive WHITE 51 Le Beaufortain… Au-delà des images