INTERVENTION DU MEDECIN LEGISTE DANS L`EVALUATION D

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INTERVENTION DU MEDECIN LEGISTE DANS L`EVALUATION D
INTERVENTION DU MEDECIN LEGISTE DANS
L'EVALUATION D'UNE SITUATION DE MAUVAIS
TRAITEMENTS ET D'ABUS SEXUELS A ENFANTS
LA PREUVE MEDICALE
Dr Marie DESURMONT, Professeur Didier GOSSET
Introduction
L'intervention du médecin légiste face à une situation de maltraitance à enfants n'est pas
récente. Dès 1860, Ambroise TARDIEU, Professeur de Médecine Légale à Paris, dénonce la
fréquence des attentats sexuels chez l'enfant, dont un nombre important d'incestes.
Les pouvoirs politiques ont renforcé, par la loi du 10 juillet 1989, le système de protection de
l'enfant maltraité. Cela se traduit par une augmentation considérable du signalement au
judiciaire, avec pour corollaire une intervention médicale de plus en plus fréquente et une
activité accrue des médecins légistes devant un problème compliqué et difficile.
Mais cette prise en charge au judiciaire n'est pas sans risque. Le signalement judiciaire est
toujours perçu comme une épreuve supplémentaire par la victime et l'examen gynécologique
médico-légal est souvent considéré par les professionnels de l'enfance comme une violence
parfois plus traumatisante que l'abus lui-même.
Que faut-il en penser et comment établir et préserver la preuve médicale? C'est ce à quoi nous
allons tenter de répondre.
Quel est le rôle du médecin légiste ?
La médecine légale est, parmi des spécialités médicales, une spécialité transversale ; le
médecin légiste a souvent une double spécialité: à la fois médecin légiste et pédiatre, médecin
légiste diplômé de médecine interne ou d'anatomopathologie par exemple.
L'intervention du médecin légiste est loin de se limiter à l'examen des cadavres ou à la
pratique des autopsies judiciaires. Le médecin légiste, auxiliaire de justice, a aussi un rôle
clinique avec pour mission, en matière de maltraitance à enfant, d'éclairer le magistrat sur des
faits d'ordre médical de confirmer un diagnostic de maltraitance, préciser le mécanisme des
lésions, en indiquer les conséquences médicales afin que le magistrat puisse qualifier les faits
au pénal. Il est aussi parfois amené à témoigner aux Assises, souvent plusieurs années après
les faits.
Le médecin légiste a une position privilégiée dans l'évaluation médico-légale car il a une
position neutre et indépendante par rapport à la personne à examiner. Il n'est pas le médecin
de famille, il n'est pas le médecin soignant de l'enfant.
Ces dernières années ont ainsi vu se multiplier les consultations de médecine légale
hospitalières, lieux d'accueil des victimes de violences et la mise en place d'astreintes de
médecins légistes 24h/24h.
Quelle est la place du médecin légiste dans l'évaluation d'une situation de maltraitance à
enfants ?
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le médecin légiste est d'abord médecin conseil auprès des médecins hospitaliers,
traitants et des professionnels de l'enfant ( problème du secret, du diagnostic des
mauvais traitements, aide au signalement judiciaire ).
le plus souvent le médecin légiste, auxiliaire de justice, intervient en matière d'enfance
maltraitée lorsqu'une situation de mauvais traitements à enfant est portée à la
connaissance des autorités judiciaires, lorsqu'il y a dépôt de plainte dans les
circonstances suivantes : violences physiques, abus sexuels, négligences, omission de
soins, décès d'enfant d'origine traumatique ou inexpliquée.
Il est le plus qualifié pour :
o
o
établir un rapport médical de ses constatations objectives dans un vocabulaire
médico-légal précis
pour préserver la preuve objective : effectuer les prélèvements à but médicolégal, mise sous scellés et conservation).
Quand intervient le médecin légiste ?
L'examen médico-légal est le plus souvent demandé sur réquisition écrite de Police ou de
Gendarmerie. Nous travaillons de façon privilégiée avec les brigades des mineurs implantées
dans les grandes villes.
L'enfant est d'abord entendu par les services de Police avant d'être examiné, ce qui permet
d'éviter un interrogatoire intrusif puisqu'il est possible d'avoir les renseignements par les
services de Police avec, éventuellement, copie du procès verbal de l'audition.
Tout médecin peut, en théorie, être requis par les autorités judiciaires pour pratiquer un acte
médico-légal urgent. Mais on ne peut déontologiquement être à la fois médecin traitant et
médecin auxiliaire de justice.
Deux situations peuvent se rencontrer :
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soit il s'agit d'une procédure de flagrant délit. C'est une urgence médico-légale, en
particulier lorsque l'auteur est déjà placé en garde à vue.
Si les faits ne sont pas établis dans les délais légaux ou, si l'examen médico-légal est
différé, la garde à vue pourrait se terminer, l'auteur présumé étant libre. De plus, en
cas d'abus sexuel, l'examen doit être effectué le plutôt possible après les faits, dans les
72 heures lorsque des prélèvements sont effectués à la recherche de sperme.
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soit il s'agit d'une enquête préliminaire, l'examen médico-légal est alors prévu sur
rendez-vous.
Le juge d'instruction a également la possibilité de demander secondairement un examen
médico-légal sur ordonnance. Le médecin est alors choisi sur la liste des experts près la Cour
d'Appel de la juridiction à l'exerce.
Quelles sont les modalités de l'examen médico-légal sur réquisition ?
La réquisition sera toujours écrite portant le nom et la qualité de la personne requérante, le
texte de référence du code de procédure pénale et la mission.
Le médecin doit se présenter, informer la personne examinée de sa mission et donc toujours
informer l'enfant du motif de la consultation.
Il respecte le secret pour des faits qui seraient sans rapport avec la mission confiée.
Le rapport médical, avec les conclusions de l'examen, reprendra le texte précis de la mission,
la qualité du requérant et la date de la réquisition. Le rapport médical doit être rédigé en des
termes compréhensibles pour les non-médecins.
Il est toujours remis aux autorités judiciaires, ce qui nous paraît d'autant plus nécessaire qu'il y
a un contexte de violences intra-familiales ou d'abus sexuels.
Quel est l'intérêt de cet examen ?
C'est parfois la seule rencontre de l'enfant avec un médecin avec la possibilité d'être écouté,
d'être rassuré, d'être acteur en favorisant son expression spontanée par des questions ouvertes
en obtenant son consentement, en respectant son silence, son refus éventuel d'être examiné.
Le but de cet examen est de faire un examen médical complet, établir un bilan des lésions
constatées, déterminer le diagnostic ou la plausibilité des mauvais traitements, s'assurer de la
poursuite des soins et proposer un suivi avec prise en charge psychologique, effectuer les
prélèvements s'ils sont nécessaires, en garantir la mise sous scellés, la bonne conservation et
transmission.
Quels en sont les limites ?
Lorsque l'examen a lieu à distance des faits, les lésions peuvent avoir perdu leur caractère de
spécificité ou peuvent avoir guéri sans laisser de trace. Il existe une corrélation très nette entre
la précocité de l'examen et l'existence des lésions. Les prélèvements à la recherche de sperme
doivent être effectués dans les 72 heures.
En cas d'abus sexuels, certains abus sexuels ne s'accompagnent d'aucun signe physique.
L'examen gynécologique est difficile chez les jeunes enfants et demande une solide formation
du médecin et une certaine expérience en raison des variantes anatomiques de la sphère
génitale chez la petite fille et de la plus ou moins grande spécificité des lésions constatées.
Nous utilisons la classification d'Adams qui répertorie les signes gynécologiques et de la
sphère anale en cinq classes (1 à 5: normal, non spécifique, suspect, suggestif et évidence de
traumatisme ou de pénétration sexuelle).
Moins des 10% des victimes d'abus sexuels présentent des signes spécifiques d'abus. Parfois,
il
peut
y
avoir
d'autres
causes
possibles
aux
lésions.
Le diagnostic d'abus sexuel est donc loin d'être toujours un diagnostic qui repose sur les
seules données médicales. Insistons sur le fait qu'un examen normal ne veut pas dire absence
de mauvais traitement ou absence d'abus sexuels.
Quelles en sont les conditions éthiques et psychologiques ?
D'abord cet examen ne doit pas nuire et être source de souffrances supplémentaires.
Quelle que soit la qualité du médecin, il y a toujours un risque de répercussions
psychologiques car :
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se centrer sur un fait peut le rendre traumatisant.
toute demande judiciaire d'intervention sur le corps d'un enfant pourra être vécue
comme une violence.
l'examen médical, quel qu'il soit, est souvent source d'angoisse pour l'enfant.
l'examen gynécologique entraîne toujours un toucher des parties génitales.
Les positions d'examen et les gestes techniques peuvent être ressentis comme
agressifs, ressemblant à la situation abusive. D'ailleurs la reviviscence parfois
insoutenable de l'abus sexuel peut aller jusqu'au refus de l'examen gynécologique.
La circulaire DGS/DH du 27/05/97 relative aux dispositifs régionaux d'accueil et de
prise en charge des personnes victimes de violences sexuelles indique : " tout doit être
mis en oeuvre pour que les impératifs de la prise en charge médicale ne constitue pas
un traumatisme supplémentaire pour la victime "
Il nous apparaît nécessaire
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de recueillir le consentement de l'enfant à toutes les étapes de l'examen choix d'un
accompagnant, d'une tierce personne choix d'être examiné par un médecin homme ou
un médecin femme consentement à l'examen corporel, à l'examen gynécologique, aux
prélèvements
de l'informer du motif de l'examen, du déroulement de celui-ci et des résultats,
de respecter la pudeur de l'enfant,
d'être le moins traumatisant possible en limitant le nombre d'examens : dans la mesure
du possible un seul examen médico-légal par un médecin compétent et expérimenté en
ne pratiquant que les gestes autorisés et nécessaires. L'examen doit être indolore, sans
risque pour l'enfant.
L'examen clinique
L'examen clinique demande une grande disponibilité, il faut prendre théoriquement une heure
pour l'entretien et l'examen. Dans tous les cas, le médecin explique le déroulement de
l'examen en particulier son caractère indolore, son intérêt et son objectif.
La présence d'une tierce personne est habituellement recommandée : membre de la famille ou
membre de l'équipe médicale pour rassurer la victime et aider le médecin.
On respectera la pudeur de la victime, d'abord examiner le haut du corps puis le bas sans la
laisser complètement nue et en évitant de la toucher.
L'examen commence toujours par un entretien plutôt qu'un interrogatoire celui n'est pas
systématique chez l'enfant.
Lorsqu'il s'agit d'un très jeune enfant, un entretien a d'abord lieu avec le parent ou l'adulte qui
l'accompagne, ce qui permet de connaître le motif de la consultation, l'histoire, les signes
d'appel éventuels et les modifications récentes du comportement de l'enfant en retenant que
ceux-ci peuvent être absents.
La consultation du carnet de santé recherchera les antécédents de l'enfant, la notion de
pathologie, de traumatismes antérieurs et de troubles du développement staturo-pondéral.
Les données de l'enquête et l'entretien précisent la nature de la maltraitance, les antécédents
de la victime et les signes d'appel orientant vers la sphère génitale ou anale.
L'entretien permet d'apprécier l'état émotionnel, le niveau intellectuel de l'enfant ainsi que son
comportement.
L'examen sera complet, objectif et précis, réellement observé.
L'aspect morphologique et le développement staturo-pondéral seront toujours notés. Le stade
pubertaire sera évalué selon la classification de Tanner.
Les traces de violence sont recherchées sur toutes les régions du corps et consignées sur un
schéma en indiquant leur nature : excoriations, ecchymoses, hématomes ....
L'examen pelvien nécessite une attention toute particulière. L'examen se pratiquera en
expliquant toujours ce que l'on fait, en rassurant l'enfant. Les jeunes filles connaissent souvent
mal leur anatomie et il s'agit le plus souvent d'un premier examen gynécologique.
Les différentes étapes doivent s'enchaîner sans discontinuité; le matériel sera préparé avant
l'examen. L'examen sera pratiqué dans des conditions adaptées à l'âge sans utilisation
systématique d'instruments. Chez l'enfant prépubère, l'inspection suffit le plus souvent.
Chez le jeune enfant, l'examen a lieu habituellement en décubitus dorsal, bras fléchis, mains
sous la nuque, jambes fléchies, talons rapprochés comme " la grenouille".
La position en genu-pectorale permet une meilleure visibilité de la face postérieure de
l'hymen et de la région anale.
L'examen, réalisé dans les 72 premières heures est primordial surtout si la victime a présenté
des hémorragies basses au décours des faits. Les lésions muqueuses guérissent en effet
rapidement en quelques jours voire quelques heures.
On notera soigneusement l'aspect de l'hymen, sa forme, l'épaisseur de ses bords, le diamètre
de l'orifice hyménéal. Le diamètre de l'orifice varie non seulement en fonction de l'âge et de
l'état pubertaire mais aussi en fonction de la relaxation de l'enfant lors de l'examen et de la
position d'examen.
L'examen de la région anale sera systématique lorsqu'il y a abus sexuel ainsi que l'examen
endobuccal.
L'examen clinique médico-légal ne se limite à la recherche de violences physiques ou
sexuelles. Dans des cas précis et de façon non systématique, on pourra effectuer des
prélèvements sanguins, en particulier pour une recherche de grossesse et une sérologie HIV.
On effectuera également, dans les 72 heures après les faits, des prélèvements vaginaux et
vulvaires à la recherche de sperme pour l'étude des empreintes génétiques ou à la recherche de
maladies sexuellement transmissibles.
RAPPORT DESCRIPTIF
Les données de l'examen clinique devront être notées avec précision et consignées sur un
schéma par rapport à des repères anatomiques précis.
Le rapport médical, descriptif et précis, indique le délai entre les faits et l'examen, note les
déclarations de la victime " mot pour mot", la description des lésions en précisant leur nature,
leur origine, leur gravité et leurs conséquence probables. Les données de l'examen clinique
devraient toujours être retranscrites de façon objective, sans interprétation, de façon à être
utilisables secondairement sans refaire systématiquement l'examen clinique.
Lors de la discussion, le médecin légiste tentera de répondre aux questions posées dans la
mission de la réquisition:
Quelle est la nature des lésions ? De quand datent - elles? Y-a-il d'autres lésions associées
pouvant évoquer des violences? Les lésions constatées sont-elles compatibles avec les
déclarations,
avec
le
développement
de
l'enfant
?
Y-a-il eu un épisode ou plusieurs épisodes de violences?
La durée de l'incapacité totale de travail sera toujours mentionnée. C'est la période où l'enfant
ne peut pas se livrer à ses activités habituelles ( jeux, sorties, période d'hospitalisation pour les
soins ).
En cas de réquisition, le rapport médical est remis directement aux autorités judiciaires sans
oublier de dater et de signer le certificat.
Conclusion
L'examen clinique d'un enfant victime de maltraitance et d'abus sexuel est souvent considéré
comme une nouvelle agression.
Il apparaît nécessaire :
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d'éviter la multiplication des examens souvent inutiles, partiels ou insuffisants, source
de nouveaux traumatismes,
de proposer un examen médico-légal unique sur réquisition, le plus rapidement
possible, effectué par un médecin compétent en médecine légale et en matière
d'enfance maltraitée, entraîné, si possible expert judiciaire.
La prise en charge de la maltraitance à enfants nécessite l'intervention d'équipes spécialisées
et multidisciplinaires, spécifiquement formées. L'intervention systématique du médecin
légiste, dés qu'un enfant est suspect de sévices, permet une coordination entre les différents
intervenants, une neutralité nécessaire à l'élaboration du diagnostic, une aide au signalement
judiciaire. Son intervention a été rappelée dans la circulaire DGS/DH du 27 mai 1997 relative
aux dispositifs régionaux d'accueil et de prise en charge des personnes victimes de violences
sexuelles à propos des modalités de l'accueil en urgence des victimes de violences sexuelles: "
Celui-ci se fera en liaison avec le service de médecine légale, lorsqu'il en existe un dans
l'établissement. " .