bac blanc

Transcription

bac blanc
BACCALAUREAT BLANC
Correction
DECEMBRE 2008
PHILOSOPHIE
Série S
Drée : 4 heures
coefficient : 3
Le candidat traitera, au choix, l’un des trois sujets suivants.
L’usage des calculatrices et du dictionnaire ou de tout autre document est interdit.
Ce sujet corrigé comporte 13 pages.
1
1er sujet : Puis-je savoir ce que je suis ?
2ème sujet : La conscience de ce que nous sommes peut-elle faire obstacle à notre
bonheur ?
3ème sujet : Expliquer le texte suivant :
Entre nous et notre propre conscience, un voile s’interpose, voile épais pour le commun
des hommes, voile léger, presque transparent, pour l’artiste et le poète. Quelle fée a tissé ce
voile ? Fut-ce par malice ou par amitié ? Il fallait vivre, et la vie exige que nos appréhendions les
choses dans le rapport qu’elles ont à nos besoins. Vivre consiste à agir. Vivre, c’est n’accepter des
objets que l’impression utile pour y répondre par des réactions appropriées : les autres
impressions doivent s’obscurcir ou ne nous arriver que confusément. Je regarde et je crois voir,
j’écoute et je crois entendre, je m’étudie et je crois lire dans le fons de mon cœur. Mais ce que je
vois et ce que j’entends du monde extérieur, c’est simplement ce que mes sens en extraient pour
éclairer ma conduite ; ce que je connais de moi-même, c’est ce qui affleure à la surface, ce qui
prend part à l’action. Mes sens et ma conscience ne me livrent donc de la réalité qu’une
simplification pratique. Dans la vision qu’ils me donnent des choses et de moi-même, les
différences inutiles à l’homme sont effacées, les ressemblances utiles à l’homme sont accentuées,
des routes me sont tracées à l’avance où mon action s’engagera.
H. Bergson, Le Rire, P.U.F.F, coll. « Quadrige », 12è éd. 2005.
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que
l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est
question.
2
SUJET 1 : PUIS-JE SAVOIR CE QUE JE SUIS ?
A/ Coup de pouce.
I/ Analyse du sujet.
La question est classique même si cette fois la question concerne « ce que » je suis et non,
comme souvent, « qui » je suis.
« Ce que je suis » peut être perçu de l’extérieur, par les autres, ou par des savoirs
(« scientifiques ») qui m’intègrent dans des catégories (de la famille à l’humanité).
Mais intimement je me devine comme étant éventuellement autre chose que mes
manifestations objectives : quels sont les apports de ma conscience (avec l’obstacle de
l’inconscient) ?
II/ Pièges à éviter
Ne pas limiter « ce que » je suis à la question « qui suis-je ? » car ce sera un traitement
incomplet.
Il serait stérile de passer en revue les apports possibles de toutes les sciences puisqu’on
aboutirait là à un échantillonnage. Il faut trouver une présentation plus synthétique.
Le « savoir » fait allusion à un acquis : celui-ci peut être définitivement satisfaisant (ce
qui supposerait que « ce que je suis » ne changera pas) ?
III/ Problématique et plan
La question « Qui êtes-vous ? » s’intéresse à une identité (sociale ou professionnelle) et
peut être relativement satisfaite. « Que suis-je ? » cherche à cerner l’être de manière plus large.
La question est donc plus complexe. Comment « savoir » ce que je suis ? Que puis-je attendre des
connaissances élaborées sur moi à partir de points de vue extérieurs ? Et que peut m’apporter, si
elle est possible, une connaissance plus immédiate de mon intimité ? Ce que je suis ne risque-t-il
pas d’échapper à tout savoir qui se voudrait constitué ?
Plan proposé
Introduction
I/ Que m’apporte la multiplicité des points de vue extérieurs ?
II/ Comment faire confiance à la conscience comme auto-examen ?
III/ Si ce que je suis se modifie dans le temps, comment en élaborer un savoir ?
Conclusion.
IV/ Utiliser ses connaissances.
Toutes les sciences, par définition, élaborent une connaissance du « général » ; les lois
qu’elles formulent sont universelles.
HEGEL : l’esclave découvre la nouvelle forme de sa conscience libre dans les œuvres
qu’il réalise.
SARTRE : l’existence humaine se caractérise par le projet, et l’individu est toujours
capable de devenir autre.
3
B/ CORRIGE PLAN DETAILLE
[Introduction]
[Centrage]
Un banal contrôle de police m’invite à montrer mes papiers d’identité : j’y suis défini par
une adresse, une date de naissance, une taille, une taille, une couleur d’yeux, d’éventuel « signes
particuliers », etc. Description évidemment décevante : ce n’est pas en ces termes que l’on peut
résumer ce que je suis. [Problématique]. Mais comment parvenir à savoir ce que je suis ? Ce que
formulent les discours scientifiques me semblent nécessairement éloignés de ce que je ressens
comme ma singularité, et du point de vue subjectif, le recours issues de ma conscience ne
risque-t-il pas d’être illusoire ? Si la tentative semble vouée à l’échec, peut-être est-ce de surcroît
parce qu’elle vise à me figer dans un présent que ma façon d’exister dément.
[I/ Que m’apprennent les discours extérieurs ?]
[A. Les autres voient mon corps et m’accordent un esprit.]
- Le simple regard de l’autre commence à me définir : ce que je suis est d’abord un corps,
qui est rapidement doté d’un esprit (par analogie).
- Ce corps peut être l’objet de discours scientifiques, m’enseignant comment il est
constitué et comment il fonctionne. Mais ces discours de connaissance universelle ne coïncident
que très mal avec ma propre expérience physiologique.
- Même difficultés à propos du fonctionnement mental : la psychologie me fournit des
lois ou des généralités, alors que j’espère trouver ma singularité.
[B. Les sciences sociales me situent dans des ensembles]
- Tout recours à un savoir universel constitué « objectivement » me renvoie au même
obstacle.
- La sociologie m’insère dans un groupe, une famille, une classe sociale, une ethnie…
dont elle prétend déduire les constituants d’une pensée d’abord « collective », qui correspond à
la mienne que très vaguement.
- Si, m’affirmant « être humain », j’interroge l’anthropologie sur ces caractères
principaux, je peux être déçu par l’insistance sur des valeurs dont je ne ressens pas en
permanence la présence. La question : « Qu’est-ce que l’homme ? » offre de ce point de vue des
réponses variables.
[C. « Ce que je suis » échappe sans doute aux approches extérieures]
- Parce qu’autrui, même de bonne volonté, est toujours autre que je suis.
- Parce que je deviens un simple échantillon représentatif de catégories générales où
s’efface nécessairement ma singularité.
Cette singularité est ressentie par l’être subjectif : est-ce en explorant ce dernier que je
pourrais mieux savoir ce que je suis ?
[II/ L’auto-analyse mène à une autre impasse]
[A. Les attentes à l’égard de la conscience].
- Ce que je suis » peut-il se dévoiler grâce à l’analyse des faits de conscience ?
4
- On l’a durablement pensé : l’examen de conscience fournirait la connaissance de ma
nature ou de mon état actuel (au moins psychique), et la rédaction sincère d’un journal intime
m’apporterait celle de mon évolution.
- De la sorte, ne puis-je devenir « maître de moi comme de l’univers » ?
[B. La conscience est vite décevante]
- Malgré ce qu’on a cru pouvoir en attendre classiquement, la conscience n’a que des
pouvoirs limités et illusoires.
- Les critiques les plus classiques (Comte) de sa prétention à saisir ce qui a lieu dans
l’esprit restent valides.
- On peut leur ajouter les remarques de Marx sur l’aliénation de la conscience, de
Nietzsche sur sa dépendance à l’égard des valeurs du « troupeau », de Durkheim sur sa
dimension sociale, qui en ébranlant sérieusement les pouvoirs avant même la mise au point de la
théorie psychanalytique.
[C. Présente active de l’inconscient]
- Si l’on admet que les véritables déterminations de ce que je suis son à trouver dans le
dynamisme de l’inconscient, le recours à la seule conscience est en effet voué à l’échec : il
fournit au mieux un « savoir » superficiel et trompeur.
- Or l’inconscient échappe à l’auto-analyse, d’om le recours au psychanalyste.
- Celui-ci est à nouveau une écoute extérieure, et qui sait que son exploration de mon
inconscient est en théorie interminable (la cure ne s’achève que pour des raisons pratiques).
[III/ « Ce que je suis » s’inscrit dans une temporalité]
[A. L’extériorisation du subjectif dans l’œuvre].
- C’est une toute autre forme d’extériorité qui intéresse Hegel dans sa « dialectique du
maître et de l’esclave » : il y apparaît que la conscience de l’autre agit sur celle du sujet pour la
transformer en simple « objet » (c’est le sort initial de l’esclave).
- Mais c’est par le travail qu’il réalise sur la nature extérieure que l’esclave découvre
finalement la liberté de sa conscience, et son nouvel être.
« - Ce que je suis » se donne ainsi à voir dans mon activité (qu’elle soit travail au sens
ordinaire, ou œuvre, plus satisfaisante), et cette dernière m’en renvoie la confirmation.
[B. Or, l’œuvre répond à un projet].
- Dans son analyse de travail humain, Marx montre qu’il se distingue de l’activité
animale par l’existence du projet : l’homme échappe au présent en imaginant les résultats d’une
action transformatrice.
- Ce projet apparaît chez Sartre comme la dimension principale de l’existence humaine,
en ce sens qu’il autorise chacun à être toujours autre chose que ce qu’il est déjà.
[C. Tout projet nie « ce que je suis »]
- S’il en va ainsi, prétendre savoir « ce que je suis » apparaît vain, sinon contraignant,
puisque cela m’objective ou me fige dans un état simplement temporaire et m’abstrait de la
temporalité qui me constitue.
- En prétendant me prendre comme « objet » de savoir, je me retrouve dans la même
situation qu’un scrutateur extérieur, qui méconnaît ma trajectoire et son orientation.
5
[Conclusion]
Savoir « ce que je suis » semble d’abord légitime, mais se heurte à de nombreuses
difficultés, quel que soit le point de vue privilégié. Mais sans doute est-ce l’entreprise elle-même
qui est impossible, dès que l’on constate combien l’existence est orientée vers le futur, et en
conséquence toujours susceptible de changer d’orientation. On aboutit ainsi à une situation
étrange : ce n’est qu’après ma disparition que l’on pourra savoir qui j’aurai été, et tout au long de
ma vie, je me trouve condamné à n’avoir de moi qu’une connaissance superficielle et
incomplète.
me
2èème
sujet : La conscience de ce que nous
sommes peut-elle faire obstacle A notre
bonheur ?
CORRIGE
[Introduction]
Dans ses Confessions, Saint Augustin avoue avoir volé des poires « par insuffisance et
mépris du sentiment de justice ». La conscience de ses défauts est lucide, comme tout autre
auteur se livrant à ce type d’exercice. En même temps, l’autobiographie semble aussi procurer
une grande satisfaction et répondre à un besoin. La conscience de ce que nous sommes fait-elle
obstacle à notre bonheur ? Sommes-nous insatisfaits, voire malheureux, du fait que nous avons
la conscience de nos caractéristiques, bonnes et surtout mauvaises ? Doit-on payer le prix de la
lucidité vis-à-vis de nous-mêmes, par une déception ou un pessimisme fondamentaux ? Il
faudrait alors presque regretter que la nature nous ait donné une conscience. Mais un être non
conscient peut-il à l’inverse s’estimer heureux ? Le bonheur représente-t-il quelque chose pour
lui ? Nous verrons dans un premier temps les éléments inhérents à la conscience, susceptibles
d’engendrer une insatisfaction permanente. Puis nous examinerons les conséquences d’un
défaut de conscience sur notre existence et notre personnalité, afin de déterminer si le
qualificatif d’obstacle au bonheur ne peut pas être révisé.
[I. La conscience malheureuse]
Qu’elle soit réfléchie ou morale, la conscience possède en elle-même les éléments nous
empêchant de jouir pleinement de l’existence.
[1. La conscience individuelle]
La conscience au sens psychologique, nous donne la représentation mentale de nousmême. A la différence des simples choses naturelles, nous avons de notre existence et de
certaines de nos caractéristiques une saisie réfléchie. Ce que Hegel appelle le mode du « pour
soi ».
6
Cela a pour conséquence que nos défauts, ou ce que nous jugeons être tels, nous sont en
partie connus. Cela nous donne aussi un sentiment de solitude ou d’isolement. Voir en effet que
les choses de la nature n’existent pas comme nous revient à constater que nous en sommes
distants d’une façon fondamentale et existentielle.
Nous sommes donc à part du monde extérieur, et même hors de portée de la conscience
des autres, du fait que la conscience est une pensée) la première personne seulement. A cause de
cela, il n’y a quasiment pas de « nous » possible.
[2. La conscience humaine]
Il y a cependant des caractéristiques communes. Nous avons par exemple conscience de
notre condition mortelle. Nous savons que nous allons mourir, sans savoir ni quand ni
comment, à l’image de condamnés à mort voyant tous les jours un de leurs compagnons être
égorgé, et attendant leur tour, pour reprendre la figure de Pascal.
A cela s’ajoute la conscience de notre petitesse par rapport à l’infinité de ce qui existe.
Dans l’espace et dans le temps, nous ne sommes qu’un point infime dans l’immensité. De sorte
que l’on se voit sans but, sans raison d’être dans un monde qui n’est pas à notre mesure.
Pascal parle ainsi de « condition misérable » de l’homme, dont la conscience lui donne
cruellement tous les éléments défaillants : « Il veut être grand, il se voit petit ; il veut être
heureux, il se voit misérable ; il veut être parfait, il se voit plein d’imperfections » (Pensées,
100).
Comment le bonheur peut-il se réaliser dans ces conditions ?
[3. Le divertissement]
Pascal prend l’exemple d’un roi qui devrait être heureux de la seule considération de sa
fonction, du prestige et de la grandeur qui lui sont attachés. Or il n’en est rien, il lui faut au
contraire toute une cour de gens qui s’affairent à le divertir, c’est-à-dire à ne pas penser à lui. Et
c’est sans doute pour cela qu’il est avantageux d’être roi.
Mais tout le monde ne l’est pas. Et la solution de facilité du divertissement ne résout
rien, car la conscience est toujours là.
Justement, il faut bien qu’il y ait conscience de son malheur, voire de ses causes, pour
que l’on veuille y remédier.
Ne peut-on pas penser que cette faculté est aussi une aide, un point de départ au
bonheur, et pas seulement un obstacle ?
[II. L’inconscience inefficace]
Sans conscience, ou sans utiliser la conscience, le mal est encore plus grand, en se qu’il
nous empêche d’y remédier.
[1. L’illusion de la vanité]
Si la conscience de soi est un problème pour le bonheur, la solution la plus évidente en
apparence est de la fausser, en s’attribuant par exemple à soi-même des qualités plus grandes
qu’elles ne le sont en réalité. Comme le problématise Descartes dans une lettre adressée à la
princesse Elisabeth, vaut-il mieux être heureux et dans l’illusion sur soi, ou bien plus lucide
quitte à en être moins joyeux ? Pour lui, cela ne fait aucun doute. Nous ne pouvons retirer qu’un
plaisir superficiel de ce type d’illusion. Car l’être humain possède, un esprit et une conscience.
S’il ne les utilise pas vraiment, il ne pourra qu’en ressentir de l’amertume. D’autant que ce type
d’illusion est toujours risqué.
7
[2. Le souverain bien]
Le bonheur peut en effet être conçu comme le souverain bien, c’est-à-dire selon la
définition d’Aristote dans l’Ethique à Nicomaque, le bien complet, se suffisant à lui-même et but
ultime de nos actes.
Or ce dernier consiste dans l’exercice de la vertu, c’est-à-dire l’excellence de toutes nos
facultés morales et intellectuelles. Sans développer notre esprit, sans utiliser les capacités
morales, la recherche du savoir et de la vérité propres à l’être humain, il n’est pas de bonheur
possible.
« On a donc raison de ne pas dire d’un cheval, ni d’un bœuf, ni d’aucun autre animal qu’il
est heureux », car la vertu définie ainsi n’est pas accessible pour eux. Ils n’ont ni raison, ni vertu,
ni conscience. Leur vie ne correspond donc pas à la définition du bonheur. Cela va même
jusqu’aux enfants pour Aristote, car ils pratiquent pas la vertu comme ils pourront le faire,
devenus adultes.
[3. L’inconscient psychique]
Même adulte, cela peut être la part inconsciente de notre personnalité plus que la
conscience que nous en avons qui pose problème. Ce que théorise Freud. Tout névrose en
général provient d’une rupture d’équilibre entre le surmoi, le ça et le moi qui se traduit par un
sentiment d’angoisse, de culpabilité et surtout une inadéquation plus ou moins marquée entre
les réaction du moi et les exigences de la réalité extérieure. Le traitement psychanalytique
consiste à substituer au refoulement imparfait un examen par la conscience, ou un examen de
conscience des désirs incriminés. Le patient jugera alors si oui ou non le désir est coupable.
Freud cite l’exemple tout simple d’une femme souffrant inconsciemment d’un désir refoulé
envers le mari de son ex-sœur décédée. Et de la culpabilité de se réjouir en quelque sorte de
cette mort. Alors qu’en réalité, ce genre de désir n’est pas grave et doit être traité de façon
lucide. Dans tous ces cas, l’inconscience sous toutes ses formes ne mène pas au bonheur, bien au
contraire. Il reste vrai que l’on a conscience de n’être justement pas parfait ni satisfait de soi en
tout point. Donc l’idéal de bonheur est parasité par la conscience. Comment résoudre ce
dilemme ?
[III. Le bonheur comme idéal de la conscience]
Ce n’est pas la conscience qui empêche le bonheur d’exister : c’est au contraire la
conscience, par sa structure même, qui nous le fait miroiter comme un idéal à atteindre.
[1. La conscience est un projet d’être]
La conscience n’est pas seulement une faculté psychologique particulière. Elle est aussi
une aptitude quasi métaphysique à considérer ce que nous sommes d’une façon détachée ou
extérieure. C’est l’analyse qu’en fait Sartre dans L’Être et le Néant. Notre être est en soi un
problème car, en nous le représentant à nous-mêmes, nous sommes bien en quelque sorte
ailleurs qu’en lui. Nous pouvons par exemple envisager le projet de changer telle ou telle
caractéristique de notre personnalité. Nous pouvons nous considérer en général comme en
perpétuel devenir. Il est donc nécessaire que nous concevions notre être au futur, ou notre
projet d’être, car notre être n’est jamais totalement ce qu’il est ; nous y voyons du néant à
combler, et nous envisageons un néant actuel en être futur. Le bonheur comme idéal à
atteindre, quel que soit son contenu particulier, est étroitement dépendant, pour être conçu,
désiré, projeté, de ce type de structure.
8
[2. La conscience morale]
Il en va de même pour l’autre dimension de la conscience : celle qui tient lieu d’instance
morale. La conscience se présente ici sous la forme d’un devoir à accomplir, une règle à
respecter, une vertu morale à atteindre. Or avoir conscience de ce devoir, c’est d’abord, comme
la remarque Hegel, avoir conscience que nous ne le réalisons pas, sans quoi il ne se manifesterait
pas à nous comme devoir.
Si la morale existe donc en conscience, c’est qu’elle n’existe pas en réalité. La conscience
morale est en quelque sorte l’attestation négative de la morale. Et cela nous condamne à
ressentir notre insuffisance vis-à-vis de cette exigence. Nous ne sommes pas satisfaits de nousmêmes sur ce point.
Mais en même temps, il faut que cet horizon à atteindre subsiste, sans quoi nous
n’aurions aucune exigence. Donc la conscience se manifeste en quelque sorte sous la forme de ce
qui ne peut jamais être atteint sans cesser d’être recherché. Ce qui correspond parfaitement à la
définition du bonheur.
[Conclusion]
Mieux vaut avoir conscience de ses défauts qu’un défaut de conscience. Cette dernière
n’est donc pas un obstacle au bonheur. Elle est plutôt une des conditions requises pour qu’il y ait
bonheur. Sachant que le bonheur est davantage un concept, un désir qui résulte du fait que nous
possédons une conscience, plutôt qu’une exigence posée à part de la conscience et que celle-ci
nous empêcherait de réaliser. La question serait de savoir maintenant ce qui peut être considéré
comme le principal obstacle : les circonstances extérieures ? Nos choix personnels ?
me
3èème
sujet : H. Bergson, Le Rire,
Rire, P.U.F.F, coll.
« Quadrige », 12 ed. 2005.
A/ COUP DE POUCE
-
-
I/ Analyse du texte
Affirmation initiale : la conscience et les sens ne nous livrent pas la totalité du
réel, aussi bien extérieur qu’intérieur.
Pourquoi ? parce que tout es filtré en vue de l’action : ne sont favorisés que les
éléments utilises à cette action, et sens et conscience ne nous livrent de la réalité
qu’une simplification pratique.
Deux exceptions possibles mais dont les cas ici ne sont pas traités en détail :
l’artiste et le poète.
II/ Plan du texte :
9
C’est à partir des exigences de la vie quotidienne que nous recueillons ce qui
nous est utile dans notre environnement.
Toute perception, externe ou interne, est donc sélective : l’attention implique
son envers de désintérêt.
Cette simplification pratique est ne préparation efficace pour l’action.
Plan proposé
Introduction
I/ Les exigences de la vie comme action déterminent une sélection des données en
fonction de leur utilité.
II/ Les sens et la conscience produisent donc à la fois de l’illusion et de l’efficacité.
III/ Mais c’est l’efficacité qui prime dans le quotidien.
Conclusion.
-
-
-
III/ Pièges à éviter
Ne pas oublier que Bergson traite ici à la fois de sens et de la conscience.
Inutile de recenser les différentes conceptions de la conscience, ou ce que vous
pouvez savoir de l’inconscient, auquel Bergson ne fait pas même allusion : hors
sujet.
Ne pas survaloriser l’évocation du poète et de l’artiste pour élaborer une théorie
esthétique ; ce n’est qu’un point annexe dans ce texte (à évoquer
éventuellement dans la conclusion).
Ne pas entreprendre une critique de la perception du point de vue de la
connaissance scientifique : ce n’est pas l’enjeu de l’extrait, qui concerne
l’existence ordinaire.
IV/ Utiliser ses connaissances
-
Définition classique de la conscience comme « savoir simultané » : Bergson
restreint ce savoir à ce qui est nécessaire à l’action.
L’instinct, comme adaptation immédiate, est encore plusieurs déterminé que les
sens et la conscience par les nécessités vitales.
L’invention artistique déliée des besoins de l’action : elle n’a pas à répondre aux
sollicitations du réel, mais peut donner de ce dernier une version plus complète.
CORRIGE
Le plan détaillé est rappelé entre crochets pour vos aider, mais il ne doit en aucun cas
figurer sur votre copie. Il faudra donc soigner les introductions et les conclusions partielles ainsi
que les transitions entre les différentes parties et sous parties afin de guider le correcteur.
[Introduction]
L’homme se prétend volontiers « maître et possesseur de l’univers » parce qu’il aurait le
privilège, non seulement d’être bien informé de ce qui l’entoure, mais aussi de savoir
immédiatement ce qui se passe en lui, grâce à sa conscience. Pour Bergson, il est victime d’une
double illusion, mais cela ne signifie pas qu’il en soit responsable. En effet, sa première tâche est
sans doute de vivre, et si l’on affirme que « vivre consiste à agir », il est clair que précisément le
rôle des sens et de la conscience, qui sélectionne, dans le réel, les seules données qui nous soient
utiles. Sans doute sommes-nous ainsi empêchés, à l’exception de l’artiste et du poète, d’avoir
accès à la totalité du réel, mais au moins sommes-nous préparés à répondre efficacement à ses
exigences.
10
[Pourquoi le réel ne nous apparaît-il pas intégralement ?]
[A. Que nous demande la vie ?]
Que signifie, dans le quotidien, vivre pour un individu ? C’est réussir à résoudre les
problèmes qu’il rencontre, à déjouer de manière satisfaisante les obstacles et à continuer ainsi,
jour après jours, à prolonger son existence. Pour ce faire, il lui est nécessaire d’agir – même si
l’on prend ce terme dans une acception modeste : agir, c’est savoir se diriger, prendre la bonne
direction pour effectuer un parcours, montrer dans un autobus, reconnaître les personnes avec
lesquelles nous travaillons, pouvoir se concentrer sur un travail éventuel, etc. de ce point de
vue, « vivre consiste à agir », sans qu’il soit question de métaphysique ou de théorie biologique.
Et c’est l’action elle-même qui, pour être accomplie, suppose que certaines conditions soient
remplies.
[B. Or, l’action pour vivre exige une sélection par l’utile]
Lorsqu’il s’agit d’effectuer une version latine, je n’ai certainement pas besoin de
connaissances mathématiques ; inversement, résoudre une équation n’implique pas de recourir à
un dictionnaire. Chaque situation n’appelle qu’un certain nombre de connaissances, qui doivent
être retenues parce qu’elles sont utiles, tandis que d’autres, inutiles, peuvent être sans aucun
risque écartées.
Dans l’action, il en va de même : il s’agit d’« appréhender les choses dans le rapport
qu’elles ont à nos besoins ». Lorsque j’ai besoin de manger, je n’appréhende des aliments que
certains aspects (je n’ai pas besoin, par exemple, de penser aux gestes du boulanger qui a cuit
mon pain). Toute action me met en rapport avec des objets extérieurs, mais seulement avec
certains aspects de ces objets : ceux qui sont utiles à ma démarche, les autre étant dans
l’immédiat parfaitement négligeables : ils peuvent « s’obscurcir » ou ne m’« arriver que
confusément », soit que je les oublie totalement, soit que je ne leur prête pas attention.
[C. Ce principe d’utilité est également présent dans la conscience]
Mais ce n’est pas seulement le monde extérieur qui se trouve ainsi filtré. C’est aussi le
« monde intérieur » de ma conscience. Loi de s’intéresser de « ma » réalité pour n’en retenir que
ce qui favorise mon comportement du moment. Loin de m’apporter une connaissance complète
de ce que je suis, qui serait à tout moment inutile et ne pourrait que freiner ou différer mes
réactions, elle ne porte à ma connaissance que ce dont j’ai besoin. Il n’y a dès lors de conscience
qu’incomplète, parce que sélective, et c’est bien la totalité de ma relation au réel, tant extérieur
qu’intérieur, qui est caractérisée par sa soumission à la recherche de l’efficacité à court, ou au
mieux, à moyen terme.
[II/ L’efficacité dans l’action ne se gagne q’au prix d’une certaine illusion]
[A. ce qui est « connu » est sans doute à chaque instant plus étroit que ce qui est négligé]
Puisque, pour agir, je n’ai besoin que d’informations restreintes sur le réel, force est de
constater que la vie quotidienne implique beaucoup plus de négligence que de savoir. Cette
négligence n’est pas nécessairement synonyme d’une véritable ignorance : ce que telle action
me fait momentanément négliger peut au contraire être utile pour une action différente, et il
faudra alors que j’en sois informé. Les choses présentes, pour mes sens ou ma conscience, varient
ainsi en fonction des circonstances.
Lorsque je dois prendre un autobus, je ne m’intéresse, parmi les différents panneaux
présents le long d’un trottoir, qu’à celui qui m’indique l’arrêt des autobus. Si j’ai l’intention
d’aller chez le teinturier, mes sens sélectionneront dans la même rue des indications tout autres.
D’une situation à une autre, c’est le principe d’utilité, et donc la sélection, qui varie. Et il en va
11
bien de même dans ma vie « intérieure », selon que je suis impatient, amoureux, en colère ou au
calme : dans ma conscience affleurent des potentialités différentes, qui sont toutes « miennes »,
mais dont j’ai rarement besoin simultanément.
[B. Donc, ce que nous savons déborde ce dont nous avons besoin]
Il s’ensuit que l’ensemble des informations fournies par mes sens et ma conscience est
évidemment plus vaste que ce que j’en utilise pour chaque action. Cet ensemble constitue en
quelque sorte un savoir ou une connaissance « en réserve », dont ne se trouve actualisé, pour
répondre à chaque situation, qu’un fragment. S’il n’en allait pas ainsi, toute situation un peu
nouvelle me dérouterait totalement : le fait d’y répondre suppose au contraire une capacité à
réagir au nouveau, qui dépend de la totalité des relations déjà acquises. Mais répondre au
nouveau, c’est d’une certaine façon le ramener à du connu, en supprimant ce qu’il a de singulier
pour n’y reconnaître que ce qu’il a de commun avec ce qui a déjà été bécu. Si d’un côté, on peut
admettre la présence de connaissances implicites, il n’en reste pas moins que toute action y
détermine une sélection.
[C. C’est aussi pourquoi le sujet peut s’illusionner au moment même de son action]
« Je regarde et je crois voir, j’écoute et je crois entendre, je m’étudie et je crois lire dans le
fond de mon cœur » : Bergson souligne l’illusion dont je suis fréquemment victime. Regardant
tel objet qui m’est utile et croyant voir le tout (aussi bien de cet objet lui-même que de ce qui
l’environne), écoutant tel discours et croyant entendre le fond dont il se détache, m’étudiant
dans une situation donnée (comment échapper à une situation ?) et croyant me connaître en
profondeur ou intégralement, je suis dans l’illusion.
Le principe d’utilité révèle ainsi un envers quelque peu négatif, lorsqu’on passe de
l’efficacité dans l’action à un critère tout autre, qui concernerait la qualité de ma relation au
réel. Ce dernier, dans sa totalité, m’échappe parce qu’il ne me concerne jamais en tant que tel :
ce qui me concerne, c’est tel ou tel aspect de cette totalité, et c’est bien pourquoi « mes sens et
ma conscience ne me livrent de la réalité qu’une simplification pratique », c'est-à-dire liée à
l’action.
[III. Dans le quotidien, c’est bien l’efficacité qui prime]
[A. Pour vivre, il faut s’adapter]
Si l’on maintient que « vivre consiste à agir », la sélection opérée en fonction des
nécessités de l’action n’a rien de critiquable, puisqu’elle nous prépare à un comportement
efficace. Par définition, le « présent » ouvre sur l’avenir, et doit permettre de s’y engager. Or,
même si la sélection opérée par les sens et la conscience semble avoir des aspects négatifs
(effacement des différences inutiles, renforcement des ressemblances utiles), elle conserve
l’avantage de « tracer à l’avance » des routes « où mon action s’engagera ». Sans sélection, pas
d’action, et sans action, pas de futur ou de maintien de l’existence : on voit mal dans ces
conditions comment on pourrait déplorer le manque d’exhaustivité des informations que nous
privilégions.
[B. Mais la sélection nous éloigne de la connaissance du réel]
Ce n’est donc que si l’on abandonne un peu les conditions nécessaires l’action pour se
préoccuper de la qualité de la connaissance que nous pouvons prendre du réel, que l’on semble
en droit de déplorer le caractère incomplet de cette connaissance. Lorsque Bergson souligne par
exemple que ce sont négligées « les différences inutiles à l’homme » tandis que se trouvent
renforcées les « ressemblances utiles », on peut comprendre qu’il n’est pas loin de déplorer que
notre action nous amène à une position qui s’éloigne de la richesse du réel et évolue vers une
12
certaine abstraction. Ne pas tenir compte des différences (notamment qualitatives) entre les
choses et renforcer les ressemblances, c’est emprunter une voie qui ressemble fortement à ce
qu’est l’élaboration des concepts, ou des mots, c'est-à-dire une voie déjà « intellectuelle » l’étonnant étant donc que celle-ci trouve dans une certaine mesure sa source dans la pratique
elle-même : de l’action au langage il n’y a pas solution de continuité dans notre relation au réel.
[C. Toutefois, l’art, délié des exigences de l’action, pourrait reprendre contact avec le
réel]
C’est dans un tel contexte que le privilège rapidement reconnu à l’artiste et au poète
mérite d’être rapidement évoqué. Contrairement au commun des homes, ils ont, d’après ce
qu’en dit brièvement Bergson ici, de ne pas être trop soumis au « voile » qui s’interpose entre
l’homme et le réel. En d’autres termes, il leur est possible d’avoir un accès plus direct à la réalité,
dans sa diversité qualitative et sans tenir compte de la sélection entraînée par le principe
d’utilité.
Ce n’est pas seulement une manière de rappeler que l’art serait « inutile » - même si l’on
comprend l’adjectif comme synonyme d’indifférent aux exigences de la pratique. C’est, plus
profondément, une façon de situer l’art à l’écart de l’action, de le supposer capable d’avoir avec
la réalité une relation plus ouverte et enrichissante. Cela suppose que l’artiste n’a pas pour tâche
d’« enjoliver » notre monde, mais bien plutôt de nous en offrir une version intégrale, délivrée de
tout besoin de sélection. Mais cela fait aussi de son œuvre une exception dans la vie
quotidienne, et du « créateur » un individu qui bénéficie d’un statut « hors du commun »…
[Conclusion]
En montrant combien nos sens et notre conscience sont liés à notre comportement dans
le quotidien, Bergson n’a aucun mal à faire admettre que les informations qu’ils nous fournissent
sont incomplètes et simplistes relativement à la complexité du réel. Ce qui ne signifie pas, ici,
l’impuissance totale de l’homme à éprouver la richesse du réel, puisque les artistes nous
fourniraient l’occasion de la découvrir par des voies heureusement délivrées des besoins de
l’action. Reste à savoir si une opposition aussi tranchée entre le quotidien et les productions de
l’art ne considère pas celles-ci trop indépendamment de leur histoire : il est sans doute plus
facile d’admettre que les sens et la conscience, en tout temps et en tout lieu, sont ainsi liés à
l’action que de considérer que les œuvres d’art obéissent inlassablement et partout au même
projet.
FIN DE LA CORRECTION DES SUJETS DU BAC BLANC N°1.
13

Documents pareils