La recherche biomédicale et la médecine clinique qui en est le
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La recherche biomédicale et la médecine clinique qui en est le
Lettre d’inf ormation et d’analyse sur l’actualité bioéthiq u e n°165 : Mai 2014 P romoteurs de la recherche sur l’embryon humain devenus prudents, adversaires de ces recherches surpris par les avancées des équipes qui utilisent des embryons, publications contradictoires en série : l’état des lieux de la course scientifique pour l’utilisation thérapeutique de cellules souches est aujourd’hui difficile à établir pour un non initié. Qui, des équipes travaillant sur les cellules souches adultes, les cellules iPS ou les cellules souches embryonnaires avance le plus efficacement vers les traitements ? Gènéthique vous propose ce mois-ci l’analyse du Pr Alain Privat, neurobiologiste, membre correspondant de l’Académie de Médecine, ainsi qu’une plongée dans deux cas particuliers qui ont animé l’actualité scientifique des semaines passées : la thérapie cellulaire du cœur et le clonage dit « thérapeutique ». La recherche biomédicale et la médecine clinique qui en est le résultat progressent sans faire appel à l’embryon humain Par le Pr Alain Privat Auditionné par la Commission des Affaires Sociales et de la Santé lors du débat qui a conduit en juillet 2013 à la libéralisation de la recherche sur l’embryon en France, et, plus récemment, par la Commission européenne en tant qu’expert scientifique dans le cadre de l’initiative One of us/ Un de nous, le Pr Alain Privat est constant : la médecine n’a pas besoin des embryons humains pour soigner les patients. Explications. G. : Sur quel plan se situe votre opposition à la recherche sur l’embryon humain : éthique ou scientifique ? Pr Alain Privat : Les deux. La mission du médecin est de soigner, de son mieux, en gardant à l’esprit un garde-fou absolu : le respect de la vie humaine. La recherche qui utilise l’embryon humain en promettant des solutions thérapeutiques potentielles a déjà, sur le plan éthique, franchi la ligne jaune mais en plus, elle se fourvoie en investissant temps et argent précieux dans un axe qui conduit à des impasses cliniques depuis deux décennies. G. : Comprenons bien, comment aujourd’hui est utilisé l’embryon humain? Pr Alain Privat : Potentiellement, il existe trois axes : les recherches fondamentales sur le développement de l’embryon, l’utilisation d’embryons pour la modélisation des pathologies et le criblage de molécules, utiles à l’industrie pharmaceutique et les recherches, à visée directement thérapeutique (la thérapie cellulaire qui est un volet de la médecine régénérative). Disons d’emblée que les premières, ce que l’on appelle l’embryologie, sont conduites dans leur majorité, pour ne pas dire leur totalité aujourd’hui sur des modèles animaux (de la mouche au primate, en passant par le poisson, le poulet, le rat et la souris). S’agissant de l’industrie pharmaceutique le débat est aujourd’hui clos, même pour les promoteurs de la recherche sur l’embryon humain : pour cette utilisation, les cellules iPS (induced pluripotent stem cells ou cellules adultes inductibles), qui ont valu le prix Nobel au Pr Yamanaka(1), présentent les mêmes propriétés que les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh). Elles sont faciles d’utilisation, développables dans de très grandes quantités et sans barrière éthique. Reste sans doute leur prix et c’est un vrai problème : elles sont plus chères que les cellules souches extraites d’embryons humains, eux-mêmes… gratuits. Si le pragmatisme scientifique va aux iPS, le pragmatisme économique (à court terme) hésite : la mise au point d’un médicament, quelle qu’en soit la nature, nécessite aujourd’hui une dizaine d’années de recherches, impliquant notamment de longs et onéreux essais sur des modèles animaux avant de passer à l’étape des essais cliniques sur le patient. L’utilisation en grand nombre de cellules issues d’embryons humains permettrait à l’industrie pharmaceutique de tester à grande échelle de futurs médicaments, à un coût moins élevé que sur des modèles animaux, ou sur des cellules iPS. C’est l’un des objets des contrats passés entre le groupe suisse Roche, et le laboratoire ISTEM, créé dans ce but par l’AFM. Pour ce qui est de la médecine régénérative, le débat scientifique reste ouvert alors que de mon point de vue, la situation est encore plus claire. Enfin ce dernier point est évidemment la vitrine qui permet de tout faire miroiter en termes de soin et de justifier des moyens employés (détruire des embryons) pour aboutir à des fins attendues (soigner des patients grâce aux cellules souches extraites des embryons). G. : Sur ce dernier axe et avant de rentrer dans le détail, pouvez-vous rappeler ce qu’est la médecine régénérative dont on entend tant parler ? Pr A.P. : Il s’agit de remplacer des cellules déficientes, comme celles qui produisent l’insuline dans le pancréas, déficientes dans le diabète, ou de leur fournir des facteurs de croissance ou de survie. Ces recherches font appel à des thérapies cellulaires et tissulaires (greffes) à base de cellules souches. Ces cellules indifférenciées sont présentes en grand nombre chez l’embryon, mais aussi, quoique plus rarement, dans la plupart des tissus adultes. Les cellules souches ont deux caractéristiques exclusives : Elles peuvent se multiplier quasiment à l’infini, et elles peuvent également se différencier dans tous les types cellulaires de l’organisme adulte. (1) Le Pr Yamanaka montra que l’introduction de quatre gènes dans des cellules adultes de souris les transformait en cellules souches. Un an plus tard, il reproduisait cette expérience sur des cellules humaines. G. : Revenons-en à votre position sur la thérapie cellulaire : quels éléments vous permettent d’être aussi catégorique ? Pr A. P. : D’une part, les médecins utilisent depuis longtemps des cellules souches humaines adultes, en particulier celles issues de la moelle osseuse, qui contribuent à des thérapies efficaces dans certaines maladies hématologiques, mais aussi dans d’autres pathologies. Les cellules souches issues du cordon ombilical constituent également une source précieuse. D’autre part, les chercheurs disposent maintenant, depuis 8 ans d’un outil exceptionnel dont je parlais à l’instant : les iPS. Ces cellules peuvent être cultivées, multipliées, et utilisées pour toutes sortes de recherches et de réelles perspectives thérapeutiques. En particulier, elles présentent l’avantage décisif sur les cellules souches embryonnaires d’ouvrir la porte à la médecine personnalisée. Prélevées sur des patients souffrant de maladies génétiques, elles peuvent être utilisées pour analyser les détails de la pathologie propre à ce patient et pour élaborer des thérapies adaptées, pharmacologiques, cellulaires ou moléculaires. Ceci est évidemment impossible avec des cellules souches embryonnaires provenant par définition d’un individu différent. Parmi les objections formulées à l’encontre des cellules IPS, les plus fréquentes concernaient les risques de tumorisation, et les risques inhérents à l’utilisation de virus pour la transformation de ces cellules. Dans les derniers travaux publiés, les virus ont été remplacés par des agents chimiques sans danger. Par ailleurs, les risques de tumorisation peuvent être éliminés par des techniques de tri cellulaire. En somme, les critiques à l’encontre des iPS de première génération sont écartées par la seconde génération de ces cellules. D’ailleurs, si en France le débat est cadenassé, nombres d’équipes scientifiques ne s’y trompent pas : depuis 2006, près de 3000 articles scientifiques concernant les cellules iPS ont été publiés dans des revues spécialisées. Au cours des trois derniers mois, les pathologies étudiées vont de la maladie de Parkinson (Doi et coll., Stem Cell reports, 2014) au diabète (Holdich et coll., Transl. Med., 2014), en passant par l‘Xfragile (Doers et coll., Cell.Dev., 2014) et la maladie de Pompe (Higuchi et coll., Genet. Metab., 2014). Par ailleurs, des travaux de recherche fondamentale concernant par exemple l’évolution ont pu être conduits sur des cellules iPS de primates comparées à des cellules humaines (Wunderlich et coll., Stem Cell res., 2014). Enfin, des essais cliniques sont d’ores et déjà en cours au Japon, concernant une maladie grave de la vision, la Dégénérescence Maculaire liée à l’Age (DMLA). En revanche, depuis vingt ans, aucune tentative thérapeutique utilisant des cellules souches embryonnaires humaines n’a été couronnée de succès. L’une des plus récentes, conduite aux Etats-Unis par la société Geron, a été interrompue après quelques mois, faute de résultats probants. Thérapie cellulaire du cœur & clonage thérapeutique : l’embryonnaire reviendrait-il dans la course aux cellules souches ? Deux cas particuliers ont récemment donné lieu à plusieurs publications qui semblent brouiller les cartes en matière d’utilisation de cellules souches à des fins thérapeutiques : la thérapie cellulaire du cœur et le clonage dit « thérapeutique ». Gènéthique vous propose une plongée dans ces publications scientifiques pour démêler les avancées concrètes des effets d’annonce. Thérapie cellulaire du cœur : beaucoup de bruit… Le cœur, comme le cerveau, attisent sans surprise l’intérêt des équipes scientifiques. Récemment la perspective de soigner des cœurs fatigués, victimes d’un infarctus via des injections de cellules souches a trouvé un nouvel écho. A l’origine deux publications quasi simultanées publiées dans la revue scientifique Nature. La première souligne le fait que les publications scientifiques sur la thérapie cellulaire du cœur dont le protocole se base sur des cellules souches adultes ne présenteraient pas de bénéfice et que si bénéfice il y avait, il serait dû à un biais dans l’étude. La seconde publication semble présenter a priori un progrès dans l’utilisation des cellules souches embryonnaires pour soigner les fatigues du cœur : et plus particulièrement le risque lié au développement de tumeurs après injection de ces cellules, risque le plus répandu dans l’utilisation de cellules souches embryonnaires, semble pouvoir être contenu. Peut-on en déduire que les cellules souches adultes, jusqu’alors bien plus avancées que celles embryonnaires dans la thérapie du cœur seraient battues en brèche ? En réalité, non. L’utilisation des cellules souches adultes (hématopoïétiques et mésenchymateuses, donc non-embryonnaires) pour la régénération myocardique après infarctus a été pratiquée depuis déjà longtemps. Une amélioration dans la fonction ventriculaire, faible, mais réelle, a toujours été notée après injection de cellules souches mésenchymateuses dérivées de la moelle osseuse. Cet effet positif post infarctus augmentation de l’éjection ventriculaire, diminution de la mortalité, et amélioration globale un an après le traitement - est bien démontré dans les études les plus récentes(1) et (2). Les mises en causes des effets des cellules souches adultes sont discutables. L’article de Nowbar AN et al.(3) qui jette le doute sur les cellules souches adultes, ne porte pas sur l’effet de ces cellules dans le traitement de l’infarctus du myocarde, chez l’homme, mais sur les inexactitudes rencontrées dans certains rapports. Face à des effets, certes modérés, mais réels, présentés dans le paragraphe précédant, les conclusions de cet article sont à relativiser. (1) Karantalis V, 2014, Nasseri BA, 2014, Heldman AW, 2014, Hare JM, 2012 (Etude Poseidon) (2) Fisher SA, Brunskill SJ, Doree C, Mathur A, Taggart DP, Martin-Rendon E., Stem cell therapy for chronic ischaemic heart disease and congestive heart failure,Cochrane Database Syst Rev. 2014 Apr 29;4:CD007888. doi: 10.1002/14651858.CD007888.pub2. (3) Nowbar AN, Mielewczik M, Karavassilis M, Dehbi HM, Shun-Shin MJ, Jones S, Howard JP, Cole GD, Francis DP; DAMASCENE writing group, Discrepancies in autologous bone marrow stem cell trials and enhancement of ejection fraction (DAMASCENE): weighted regression and meta-analysis.,m BMJ. 2014 Apr 28;348:g2688. doi: 10.1136/bmj.g2688. L’article qui présente des avancées via les cellules souches embryonnaires n’apporte guère de nouveauté, dans un domaine où ce qui compte maintenant, ce sont les résultats chez les patients. Certes, il(4) présente la régénération par les cardiomyocytes dérivés de cellules souches embryonnaires du cœur de primates. Jusqu’alors cela n’avait été réalisé que sur la souris : le passage au macaque n’est pas anodin. Mais il met en garde visà-vis des complications possibles d’une telle opération, en particulier les arythmies(5). Comme les cardiomyocytes dérivés des cellules souches embryonnaires ne peuvent être injectés aux patients, sous peine de rejet immunologique, l’étude ne fait pas prévoir de grands changements dans ce domaine de la régénération myocardique, chez les patients, par cellules souches, à moins qu’un institut ne décide de faire une épreuve clinique sous immunosuppresseurs avec ces cardiomyocytes, ce qui, d’un point de vue règlementaire, est loin d’être réalisable. La récente interview dans le Figaro Santé du Pr Menasché (5 mai), ardent avocat de l’utilisation des cellules souches embryonnaires humaines en thérapie cardiaque, se termine d’ailleurs par un constat pour le moins prudent quant à l’utilisation thérapeutique de ces cellules. La vraie question demeure : pourquoi les recherches dans le domaine sur des iPS n’avancent-elle pas plus vite ? En effet, la thérapie par cellules souches pluripotentes chez l’homme est bien plus condi- tionnée par la question du rejet immunologique que par les éventuelles tumeurs qui pourraient se développer. Par conséquent, logiquement le traitement par iPS dérivées du malade lui-même devrait prévaloir. Une publication parue mi mai dans Nature Medecine(6) pourrait d’ailleurs ouvrir de nouvelles perspectives : des équipes d’Harvard associent iPS, thérapie génique et ingénierie cellulaire pour restaurer du myocarde chez des personnes atteintes d’une maladie génétique qui conduit à des insuffisances cardiaques. A suivre de près. Clonage thérapeutique : le retour ? Plusieurs annonces récentes viennent de démontrer que le clonage thérapeutique chez l’homme est possible. L’écho rencontré dans la presse se comprend en partie par le contraste avec le silence qui entoure cette recherche depuis le scandale du professeur coréen Hwang en 2005(7). Est-ce à dire pour autant que le clonage thérapeutique pourrait de nouveau concurrencer les autres moyens d’obtention des cellules souches pluripotentes (notamment les iPS) ? Pour rappel, la technique du clonage consiste à extraire le noyau cellulaire d’un ovocyte, à le remplacer par le noyau d’une cellule prélevée directement sur le patient en attente de traitement. La division de l’ovocyte est lancée pour aboutir à un embryon au stade précoce duquel sont extraites des cellules souches. L’objectif est de produire un tissu génétiquement identique au patient ce qui permettrait d’éviter les rejets observés avec des cellules souches embryonnaires « classiques ». Une entreprise qui demeure insoutenable sur le plan éthique, coûteuse, et limitée sur le plan de son application. Ces différents travaux récents montrent certes que le clonage thérapeutique est possible chez l’homme. Cependant les obstacles sont nombreux. D’abord cette technique consiste à créer des embryons, donc des êtres humains pour la recherche, ce qui éthiquement est indéfendable. Ensuite les conditions sont très précises, et avec une efficacité limitée. Cette réussite a un intérêt théorique, mais n’a guère d’applicabilité pratique, en particulier pour une médecine régénérative. La disponibilité réduite d’ovocytes humains, les questions éthiques soulevées par la rémunération des femmes qui donnent leurs ovocytes d’une part et par l’enjeu de société abyssal que représente le clonage humain, la basse efficacité de la procédure de transfert nucléaire et le long temps nécessaire pour obtenir le doublage de la population de cellules souches embryonnaires humaines, font qu’une telle technique peinera à devenir une procédure de routine dans le domaine clinique. On sait que les publications en la matière sont systématiquement accompagnées d’une grande couverture médiatique. Cependant cela est loin de prouver que ce clonage dit « thérapeutique » soit devenu une alternative crédible à l’usage des cellules iPS, plus discrètes, mais déjà répandues et très utiles dans les laboratoires. (4) Chong JJ, Yang X, Don CW, Minami E, Liu YW, Weyers JJ, Mahoney WM, Van Biber B, Palpant NJ, Gantz JA, Fugate JA, Muskheli V, Gough GM, Vogel KW, Astley CA, Hotchkiss CE, Baldessari A, Pabon L, Reinecke H, Gill EA, Nelson V, Kiem HP, Laflamme MA, Murry CE. Human embryonic-stem-cell-derived cardiomyocytes regenerate non-human primate hearts, Nature. 2014 Apr 30. doi: 10.1038/nature13233. [Epub ahead of print] (5) Irrégularités du rythme cardiaque (6) Wang G, McCain ML, Yang L, He A, Pasqualini FS, Agarwal A, Yuan H, Jiang D, Zhang D, Zangi L, Geva J, Roberts AE, Ma Q, Ding J, Chen J, Wang DZ, Li K, Wang J, Wanders RJ, Kulik W, Vaz FM, Laflamme MA, Murry CE, Chien KR, Kelley RI, Church GM, Parker KK, Pu WT., Modeling the mitochondrial cardiomyopathy of Barth syndrome with induced pluripotent stem cell and heart-on-chip technologies, Nature Medicine, 2014 May 11. doi: 10.1038/nm.3545 (7) 2013 par M.Tachibana, S.Mitalipov et ses collègues de l’Oregon National Primate Research Center (USA), de la réussite du clonage thérapeutique sur des cellules humaines, suivie ce mois-ci de deux annonces identiques par deux équipes différentes, l’une Coréenne (Young Gie Chung et Dong Ryul Lee de l’Université CHA de Séoul), l’autre américaine (Dieter Egli et collaborateurs, au New York Stem Cell Foundation Research Institute). Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune - 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15 Contact : [email protected] - Tél. : 01 44 49 73 39 - Site : www.genethique.org - Siège social : 31 rue Galande 75005 Paris Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Guenièvre Mouchet - Imprimerie : PRD S.A.R.L. - N° ISSN 1627.498