Les Autorités Locales et la Lutte contre l`Exclusion liée au Logement
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Les Autorités Locales et la Lutte contre l`Exclusion liée au Logement
Le Bulletin de la FEANTSA - F é d é r a t i o n E u r o p é e n n e d ’ A s s o c i a t i o n s N a t i o n a l e s T r a v a i l l a n t a v e c l e s S a n s - A b r i DANS CE NUMÉRO 2 Editorial 3 Créer un espace de travail avec les autorités et les partis politiques locaux : Le Forum des sans-abri de Madrid Mar Bastante Liébana Les Autorités Locales et la Lutte contre l'Exclusion liée au Logement 5 Fragile ! Manipuler Avec Soin : L’approche de lutte contre l’exclusion sociale adoptée par les autorités locales de la cité postindustrielle italienne de Turin Paolo Brusa 9 Autorités locales en Ecosse: « moteurs du changement » dans la stratégie de lutte contre l’exclusion liée au logement Robert Aldridge 11 Le rôle des autorités locales dans la lutte contre le Sans-abrisme : le cas de la République d’Irlande Noeleen Hartigan 13 Services pour personnes sans domicile fixe à Riga Solvita Rudovica 17 « Mais qu’attendent-ils donc pour se ressaisir ? » ou La Bridge-Building Society: travailler avec les sans-abri dans une ville danoise Per Thomsen Services pour personnes sans domicile fixe à Riga 19 Investir dans la santé des personnes sans abri Ingrid Stegeman Page 13 Le travail de la FEANTSA est soutenu financièrement par la Commission européenne Été 2005 SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 Editorial 2 Dans son introduction au rapport de recherche de la FEANTSA de 2003 intitulé « L’évolution du rôle de l’Etat: l’intervention de l’Etat dans le domaine de l’aide sociale et du logement »1, Joe Doherty, chercheur à l’Observatoire européen sur le sans-abrisme, décrit l’impact de la mondialisation sur les prérogatives de l’Etat, qui « s’évapore tout d’abord vers le haut, aspiré par les institutions supranationales (telles que l’Union européenne), ensuite vers le bas, par le biais d’une décentralisation de ses responsabilités vers les collectivités territoriales et les organismes para étatiques, et enfin vers l’extérieur, sous la forme d’une délégation de pouvoirs octroyée à des organismes non-gouvernementaux tels qu’ONG et structures bénévoles ainsi qu’à des sociétés privées du secteur marchand. » Il est certain qu’il y a eu ces dernières années, du moins en ce qui concerne la lutte contre l’exclusion liée au logement, un mouvement vers l’attribution de plus de responsabilités dans ce domaine à des autorités locales. D’ailleurs, d’autres tendances, telle que la sous-traitance de la fourniture de services destinés aux personnes sans-abri au secteur associatif sur base d’appels d’offres, sont également à constater. C’est à la lumière du rôle de plus en plus important des autorités locales, et de la collaboration de plus en plus étroite entre les membres de le FEANTSA et ces autorités, que nous consacrons cette édition du magazine de la FEANTSA, qui examinera l’implication des autorités locales dans la lutte contre l’exclusion liée au logement. Le mouvement vers le niveau local des réponses politiques au problème de l’exclusion liée au logement est généralement considéré comme un développement positif, car beaucoup pensent qu’il s’agit d’un problème qui demande une solution locale. La proximité à la situation sur le terrain peut effectivement se montrer un vrai avantage dans cette optique. De plus, les autorités locales sont souvent bien placées pour réunir les différents organismes publics et privés qui doivent travailler en partenariat afin de mettre en place des solutions efficaces pour les sans-abri. Au fur et à mesure que la reconnaissance de la complexité et de la nature multidimensionnelle du phénomène de l’exclusion liée au logement se développe, il devient de plus en plus clair que la mise en place d’une solution d’ensemble et intégrée implique la participation d’une très large gamme d’acteurs. Parmi les facteurs structurels ayant un impact sur l’exclusion liée au logement l’on retrouve : une base toujours plus large d’emplois insécurisés et mal payés, l’évolution du marché du logement, la hausse des demandes relatives aux services de santé et l’affaiblissement des réseaux sociaux et familiaux. Il y a également des facteurs déclenchants connus comme : l’expulsion, la rupture d’une relation, la perte d’emploi, la violence conjugale, la sortie de prison, de l’hôpital ou des forces armées et les problèmes de santé. Ainsi, une approche efficace à l’ensemble de ces différents éléments nécessite la création de liens et la coopération étroite entre les services de santé, les urgences, les différents acteurs dans le domaine du logement, les agences de l’emploi, les services de rue, les prisons, les services sociaux, le secteur associatif etc. Les autorités locales sont bien placées pour coordonner et mettre en place des stratégies de partenariat. En effet, la tendance des autorités locales à jouer le rôle de vecteurs de coopération et de coordination est un des éléments qui ressort très clairement des articles qui ont été élaborés pour cette édition du magazine de la FEANTSA. L’article envoyé par Mar Bastante Liébana de l’organisation FACIAM en Espagne décrit la création à Madrid cette année d’un forum sur l’exclusion liée au logement. Ce forum a été mis en place suite à une initiative des services sociaux et du secteur associatif et il regroupe tous les organismes locaux impliqués dans la lutte contre l’exclusion liée au logement, ainsi que des élus locaux. On espère que l’implication des représentants du gouvernement local mènera à la mise en oeuvre concrète des approches créatives qui ressortent du forum. Paolo Brusa de la fédération nationale italienne FIOpsd attire notre attention sur la mise en place d’une structure comparable dans la ville de Turin en Italie. Il décrit comment le contact, les échanges et le travail en réseau dans le cadre de cette « Table Ronde » ont contribué à l’amélioration de la coopération et du partenariat à Turin. Les efforts menés par les autorités locales ont abouti à la création d’une structure efficace de fourniture de services à trois niveaux. Ceci dit, M. Brusa adopte une attitude critique face au système de financement par les autorités locales, selon lequel des organisations qui sont supposées coopérer et travailler en réseau se retrouvent en concurrence directe pour obtenir des financements et sont donc forcées à baisser les prix de fourniture des services. La création d’un devoir juridique de loger les personnes sans-abri est évoquée par Robert Aldridge du Scottish Council for single Homeless comme un moyen efficace de faire avancer les stratégies des autorités locales contre l’exclusion liée au logement. En Ecosse, les autorités locales se retrouvent dans le rôle de « moteurs », responsables du développement et de la mise en œuvre des solutions politiques au problème du sans-abrisme, en partenariat avec des acteurs divers des différents secteurs. Noeleen Hartigan de l’organisation Simon Communities of Ireland décrit une approche similaire dans son article. En effet, les autorités locales sont identifiées dans la législation irlandaise comme étant les acteurs appropriés pour répondre aux besoins des personnes sans-abri et elles se voient accorder les pouvoirs et les obligations qui en découlent. Cela a mené à Dublin à la création d’une Agence, dont la structure et la fonction sont similaires à celles des autres instances de partenariat évoquées par les autres personnes qui ont collaboré à la rédaction du présent bulletin. Néanmoins, Mme Hartigan souligne que le fait de ne pas avoir mis en place une obligation juridique de loger des personnes sans-abri est très problématique, car il est difficile d’assurer que tous les acteurs publics reconnaissent leurs obligations envers les personnes sans-abri. Solvita Rudovica du conseil municipal de la ville de Riga en Lettonie nous donne la perspective des autorités locales. A Riga, les autorités locales sont obligées, d’après le code de la ville, de loger les personnes sans-abri et, face au nombre croissant de sans-abri à Riga, les autorités locales ont été obligées d’évaluer la situation et d’identifier des actions appropriées. Cela a mené à une augmentation du travail en coopération avec les ONGs afin de répondre aux besoins immédiats et au développement d’un plan à long-terme, qui prévoit le travail avec les décideurs politiques au niveau national pour mettre les ressources nécessaires à disposition ; la coopération avec les services de santé pour améliorer l’accès aux soin ; la coopération avec des organismes privés pour créer des possibilités d’emploi ; l’amélioration du système de collecte des données ; et même la coopération avec les médias afin d’améliorer la perception des sans-abri dans la société. La nécessité de changer la perception et l’image des personnes sansabri est également mentionnée par notre collaborateur danois Per Thompson de la « Bridge-Building-Society » de la ville d’Aalborg. Les autorités locales à Aalborg considèrent la lutte contre l’exclusion liée au logement en termes de la « construction de ponts » - c’est à dire : la construction de ponts de compréhension entre le grand public et les personnes sans-abri et entre les sans-abri et les services qui tentent de répondre à leurs besoins ; et la construction de ponts de coopération et de dialogue entre les fournisseurs de services à travers les différents secteurs. L’article d’Ingrid Stegeman de Eurohealthnet examine le lien essentiel entre la mauvaise santé et l’exclusion liée au logement, ainsi que l’impact positif que peut avoir l’accès aux soins de santé de qualité sur l’inclusion sociale. Mme Stegeman décrit deux projets de soins de santé, menés par des autorités locales en Suède et en Italie, pour illustrer ses propos concernant la valeur des soins intégrés de qualité pour les personnes sans-abri. Comme toujours, la FEANTSA adresse ses plus sincères remerciements à toutes les personnes ayant contribué à la rédaction de ce magazine pour le temps et l’expertise qu’elles y ont consacré. Vos réactions à ce magazine sont les bienvenues. Vous pouvez les envoyer à [email protected]. • 1 FEANTSA (2003): L’évolution du rôle de l’Etat: l’intervention de l’Etat dans le domaine de l’aide sociale et du logement http://www.feantsa.org/files/transnational_reports/FR_WG1_Role%20of%20State_2003.pdf ag ne Esp Créer un espace de travail avec les autorités et les partis politiques locaux: Le Forum des sans-abri de Madrid Par Mar Bastante Liébana, Secrétaire général de la FACIAM Parmi les objectifs et les fonctions du Forum, il convient de relever les suivantes : 1. Collecter et analyser les données concernant les personnes sans abri de Madrid, leurs profils, leurs demandes et leurs besoins ; 2. Soumettre des projets de recherche visant à améliorer la qualité des services aux personnes sans abri et à les adapter à leurs besoins complexes et variés ; 3. Travailler à la prévention de l’exclusion du logement ; 4. Préparer des actions de sensibilisation du public afin de promouvoir la compréhension du phénomène de l’exclusion du logement et l’acceptation des personnes sans- abri ; 5. Susciter un discours médiatique positif et porteur d’attitudes constructives et solidaires de la part de la société ; 6. Proposer des mesures d’optimisation des services existants et de renforcement de l’adéquation du réseau des services aux personnes sans abri ; 7. Favoriser le développement d’actions coordonnées et horizontales portées par les divers services publics locaux et le secteur bénévole lui-même ; 8. Formuler des recommandations et des propositions d’action aux diverses structures, organisations et institutions compétentes en matière d’exclusion du logement actives dans l’agglomération madrilène. Ces derniers mois, l’activité du Forum s’est déclinée en quatre groupes de travail. Le premier s’est concentré sur une analyse de la réalité actuelle de la problématique, le second sur des programmes, le troisième sur la visibilité du phénomène de la pauvreté et le quatrième et dernier sur les ressources et l’équipement. Chacun des groupes de travail a engagé un débat et une réflexion, dégagé un consensus et formulé des propositions dans son domaine de prédilection. Les propositions élaborées par ces groupes de travail ont fait l’objet d’un débat lors de la séance plénière organisée à la fin du mois de juin dernier. Les représentants des autorités et partis politiques locaux présents lors de cette plénière du Forum se sont engagés à défendre les propositions approuvées afin qu’elles puissent emporter le soutien du conseil municipal. Parmi les propositions adoptées par le Forum figuraient les suivantes: 1. Créer des ateliers ou des centres de travail adaptés aux personnes sans abri ; 2. Monter des programmes de réinsertion professionnelle des bénéficiaires d’allocations sociales (revenu minimum) ; 3. Mettre sur pied un observatoire statistique permanent de l’exclusion du logement chargé du suivi de l’évolution de la problématique à Madrid et de mener une étude sur les obstacles rencontrés par les personnes sans abri dans la recherche d’un emploi ; 4. Organiser un séminaire sur les bonnes pratiques de « prévention de l’exclusion du logement et de travail avec les personnes sans abri de Madrid » (l’agglomération madrilène et non la région de Madrid dans son ensemble) ; 5. Instaurer de nouveaux programmes et services pour sans-abri associant l’assistance aux plans sociaux et de la santé afin d’améliorer les services de prise en charge des personnes La mission du Forum consiste à élaborer des propositions visant à adapter et optimiser le réseau des services aux personnes sans abri afin de mieux rencontrer leurs besoins réels et d’appuyer le développement d’actions horizontales coordonnées. 3 SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 En 2005, la coopération et le travail commun des autorités locales et du secteur de l’exclusion du logement au sens large à Madrid ont pris une forme nouvelle et novatrice. L’objectif est de donner un nouvel élan à la lutte contre l’exclusion du logement dans la Ville de Madrid et d’améliorer les services qui prennent en charge les besoins des personnes sans abri de la ville. A cette fin, tous les acteurs concernés et dépositaires des enjeux ont été réunis en un forum unique de débat et de réflexion. C’est ainsi que le « Forum technique local sur les personnes sans abri » a vu le jour en février 2005. Tous les organismes (publics et privés) qui travaillent avec les sans-abri à l’échelon local participent à cette nouvelle initiative. Ce Forum rassemble également des délégués des formations politiques représentées dans les pouvoirs publics locaux. Il a été créé, sur les instances du secteur bénévole et à l’initiative des services sociaux de la Ville de Madrid, en tant que structure rattachée à ces derniers et avec pouvoir consultatif auprès d’eux. La mission du Forum consiste à élaborer des propositions visant à adapter et optimiser le réseau des services aux personnes sans abri afin de mieux rencontrer leurs besoins réels et d’appuyer le développement d’actions horizontales coordonnées. SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 6. 7. 8. 4 9. sans abri, que ce soit en phase d’hospitalisation ou de convalescence, ainsi que des services aux personnes atteintes de vieillissement prématuré ; Améliorer la coordination des divers services sociaux : santé mentale, services aux personnes dépendantes, etc. Des réunions de coordination seront organisées à cette fin ; Lancer une campagne de sensibilisation de l’ensemble de la population à l’exclusion du logement afin de contribuer à la « normalisation » du phénomène ; La création de grands centres d’accueil est à éviter. Il est préférable d’implanter les services aux personnes sans abri en milieu urbain et métropolitain. Les autorités locales créeront un nouveau centre pour sans-abri et un comité (probablement issu du Forum) sera constitué afin d’assurer le suivi de ce projet et d’avancer des suggestions ultérieures dont les autorités se sont engagées à tenir compte ; Un autre comité sera créé pour la campagne d’urgence hivernale. Il avancera des propositions relatives à cette campagne, spécialement en ce qui concerne l’implantation des centres d’accueil d’urgence supplémentaires – décision qui, par le passé, a souvent été source de conflits de voisinage. En conclusion, cette initiative a reçu un accueil très favorable de la part de tous ceux qui sont actifs dans le secteur. En effet, elle nous permet de prendre part à un forum de coordination et de débat autour des initiatives et décisions politiques concernant les personnes sans abri. Nous considérons également comme très constructif le fait que tous les partis politiques représentés au conseil municipal participent au Forum. Nous sommes convaincus que l’engagement des décideurs politiques sera porteur de progrès pour les politiques qui visent à rencontrer les besoins des personnes sans abri ainsi que de visibilité pour la problématique de l’exclusion du logement dans l’ensemble de la société et tout particulièrement dans les institutions publiques. Autre résultat positif de ce forum : le recentrage du débat politique sur la thématique de l’exclusion du logement. Le seul risque, maîtrisé jusqu’ici, serait que le Forum devienne un champ de bataille pour les diverses formations politiques. Heureusement, la forte participation de travailleurs du secteur bénévole a permis d’éviter cette dérive. Il semble jusqu’ici que l’engagement tant des autorités locales que des partis politiques à soutenir les propositions du Forum soit sincère. Toutefois, il est trop tôt pour se prononcer sur l’efficacité de la mise en œuvre pratique des propositions adoptées. Nous espérons que ce nouvel espace de réflexion et les initiatives en faveur des personnes sans abri qui en sont issues se traduiront par des actions tangibles et visibles au bénéfice des sans-abri. • li e Ita L’approche de lutte contre l’exclusion sociale adoptée par les autorités locales de la cité postindustrielle italienne de Turin. Par Paolo Brusa, psychologue, consultant et formateur (dans le domaine de la lutte contre l’exclusion sociale pour le FIOpsd) ; expérience dans cette ONG – membre de la FEANTSA et active dans la lutte contre l’exclusion liée au logement – en tant que travailleur social puis coordinateur (1997-2004), vice-président et gestionnaire de projet (2000-2004) et coordinateur local de deux projets cofinancés par l’Union européenne (2002-2005). A partir des années quatre-vingt, la récession industrielle mondiale a déclenché un virage radical de la ville vers un scénario postindustriel : la majorité des activités économiques se sont soit effondrées soit reconverties aux activités tertiaires. L’impact démographique de ces mutations a été considérable : que ce soit en nombre ou en composition, la population a baissé après un pic à 904 616 habitants3 tandis que l’arrivée de nouveaux immigrants a pris des proportions considérables, atteignant quelque 90 450 personnes4, dont un pourcentage significatif d’origine roumaine (32%), albanaise (17%) et marocaine (7%). Ces changements radicaux ont créé un large éventail de besoins face au combat pour la sauvegarde d’un tissu social. Les flux migratoires ont commencé à se manifester durant les années quatre-vingt-dix, se traduisant par une diminution du nombre d’Italiens et une augmentation du nombre de migrants. A partir de la décennie écoulée, il est apparu que l’ancienne « FIAT-ville » avait purement et simplement cessé d’exister : pour survivre en tant que tissu social face à l’émergence de nouveaux besoins et apporter de nouvelles réponses pratiques, Turin a dû revoir ses orientations, ses priorités, ses politiques et sa manière de vivre. La nouvelle structure démographique a manifestement déclenché un processus inédit d’intégration caractérisé par un pourcentage de migrants en augmentation constante jusqu’à son niveau actuel d’environ 10%. La société turinoise a donc été affectée par une mutation de sa composition et par un processus de paupérisation généralisée provoqué à la fois par la crise industrielle, par la chute du pouvoir d’achat et par une récession économique écrasante. Une partie de la société a rejeté la responsabilité de l’appauvrissement ambiant sur les nouveaux arrivants. La ville a dès lors connu plus ou moins le même parcours d’exclusion et de discrimination que trente ans plus tôt, si ce n’est que, cette fois, il ne s’agissait plus d’un ostracisme des populations du Nord du pays envers des immigrés de l’intérieur arrivant du Sud, mais de discriminations de la part des « Italiens » contre les nouveaux immigrés issus de l’étranger. Le processus d’intégration a également été influencé par d’autres paramètres tels que la pauvreté généralisée qui limitait l’accès au logement abordable ou la difficulté à trouver un emploi convenable et raisonnablement rémunéré. La nécessité d’un changement et de trouver des réponses d’ensemble face aux nouveaux impératifs sociaux a eu des conséquences de deux ordres, la tentative de stabilisation de l’environnement social par la modification et le renouvellement du scénario urbain ayant débouché sur de nouvelles menaces d’exclusion sociale et de paupérisation. D’une part, la reconversion de la cité industrielle en destination culturelle et touristique a entraîné un réagencement complet du tissu urbain : de nouvelles zones résidentielles ont poussé sur les friches industrielles tandis que les quartiers les plus anciens ont été rénovés et que diverses activités se sont développées dans le secteur tertiaire. D’autre part, la paupérisation générale, les difficultés pour décrocher un emploi pérenne et l’augmentation des loyers dans les quartiers rénovés ont chassé du centre-ville la frange inférieure des classes moyennes tandis que la sécurité au plan du logement des publics sociaux les plus vulnérables s’est trouvée menacée et est rapidement devenue une problématique prioritaire. Dans une société en mutation, la problématique de l’exclusion sociale et l’éventail des difficultés et facteurs en jeu ont, eux aussi, évolué : les facteurs d’exclusion du logement ont émergé d’un ensemble de problèmes sociaux existants et de nouvelles difficultés liées, entre autres, au pourcentage élevé d’hommes d’un certain âge, longtemps employés dans l’industrie et désormais sans emploi, ainsi qu’aux problèmes associés à l’immigration. L’appauvrissement général du tissu social a également donné naissance au phénomène dit de « pauvreté grise ». Cette expression désigne le nombre extraordinairement élevé de personnes5 qui, bien que disposant d’un appartement, vivent nettement en dessous du seuil de pauvreté. Or, en Italie, du fait de l’interprétation unidimensionnelle donnée à l’exclusion liée au logement – dont la définition, strictement fondée sur le logement, n’inclut que les sans domicile fixe –, la « pauvreté grise » n’est pas considérée comme relevant de la même problématique. Or, si la pauvreté grise subsiste notoirement sans faire pratiquement l’objet d’aucun suivi, l’exclusion liée au logement au sens large est de plus en plus manifeste et visible. L’évolution du tissu social et l’émergence de nouvelles problématiques d’exclusion sociale ont fait l’objet d’un suivi constant de la part des autorités locales par le biais d’un dialogue productif entre les acteurs locaux concernés (structures bénévoles et ONG6) et la municipalité. Jusqu’à la fin des années soixante-dix, la majorité des services sociaux étaient gérés par des associations bénévoles. En 1981, l’Office des adultes en difficulté7 a ouvert ses portes pour prendre en main la gestion et l’orientation des services et interventions. Les nouveaux besoins sociaux manifestes et les politiques lancées pour les rencontrer ont entraîné le développement et la différenciation croissante des prises en charge. Leur développement résulte également d’un effet bien connu : la fréquentation des structures d’accès direct pour personnes sans abri augmente à mesure de 5 SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 La Ville de Turin sera bientôt sous les feux de toute l’actualité européenne en tant qu’organisatrice des Jeux olympiques d’hiver 2006. Comme n’importe quelle autre grande ville, Turin possède une facette commerciale qui véhicule une image éclatante. Mais elle a aussi une dimension sociale plus complexe héritée de son histoire. De sa fondation, au 3e siècle av. J.-C., à son premier grand essor au 18e, la population de la ville est restée relativement stable. A l’époque, Turin devient la première capitale de l’Etat unitaire. Au 20e siècle, et plus particulièrement après les années cinquante, la courbe démographique de la ville a suivi celle de l’essor de ses industries, ce qui lui a d’ailleurs valu le surnom de FIAT-ville. Durant les années cinquante, près de 440 000 personnes se sont installées à Turin, dont plus des deux tiers définitivement. L’immigration intérieure massive en provenance du sud du pays a littéralement métamorphosé la ville : de petit bourg, elle est devenue une grande agglomération de plus de 1,1 million d’habitants1, dont pratiquement 450 0002 travaillent dans des secteurs économiques directement tributaires de l’industrie automobile. SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 6 l’ouverture de nouveaux refuges8. Vers la fin des années quatrevingt-dix, l’éventail des prises en charge disponibles s’est régulièrement étoffé, de même d’ailleurs que le nombre de personnes sansabri recensées. A partir de 1995, un nouveau service ou l’autre a ouvert ses portes presque chaque année9. C’est également à cette époque qu’a commencé la mise en place d’un organigramme à trois niveaux10. Les moyens, financiers et autres, consacrés par Turin à la lutte contre l’exclusion liée au logement ont fait de la ville un exemple au niveau national. Or, cette publicité indirecte a eu un effet paradoxal : les places créées et disponibles en structures d’accueil ont attiré sur Turin les personnes sans abri d’autres districts, villes et régions où aucune politique (efficace) n’est en place. Les dépenses encourues ont fortement augmenté, au point qu’il a fallu différencier les bénéficiaires devant être pris en charge sur les moyens de la ville des autres, censés relever de leur collectivité d’origine. Ce tri entre résidents et non-résidents a fini par avoir un impact direct sur l’accès des personnes aux structures d’hébergement et plus généralement aux dispositifs de réinsertion11. Afin d’éviter toute discrimination, les autorités municipales ont finalement accordé une adresse virtuelle à toutes les personnes sollicitant une aide sociale ou l’accès à une filière de réinsertion. Dès lors, les non-résidents ont, eux aussi, été reconnus comme de « vrais sans-abri turinois ». Malheureusement, cette louable initiative a, elle aussi, eu un effet pervers : après un an ou deux, toute la population connaissait le système de domiciliation virtuelle : toute personne domiciliée à une adresse de ce type s’est vue coller une étiquette de sans-abri ou d’exclu social et a commencé à éprouver les pires difficultés pour trouver un emploi ou un logement à cause des préjugés répandus au sein de la population. L’évolution positive des structures et la diversification progressive de leur offre ont été la conséquence directe et parallèle d’un processus de suivi et d’analyse permanent. Les ONG ont largement contribué à l’élaboration d’une approche pluridimensionnelle du phénomène, soumettant des propositions et des suggestions à la Municipalité par le biais de contacts et d’un dialogue constants. Pour sa part, la municipalité a elle-même orienté le mouvement vers l’organisation actuelle des services, c’est-à-dire un organigramme intégré se composant de services spécifiques destinés à rencontrer des besoins précis12. Cette nouvelle organisation des services se fonde sur le constat que les sans-abri sont d’abord et avant tout des êtres humains qui doivent être traités comme des personnes et non comme des « cas sociaux », voir des « coûts sociaux »13. Comme tout être humain, les personnes sans abri sont des individus complexes ; aborder leurs besoins ne peut donc se résumer à entreprendre des « actions simples » fondées sur la « linéarité ». Ces besoins ne peuvent davantage se décliner en une série de besoins tels que se loger, travailler, entretenir des relations, être accompagné, recevoir des soins de santé, etc. Comme n’importe qui, les personnes sans abri éprouvent des besoins spécifiques et personnels, fruit de leur expérience propre de chacun de ces besoins génériques, selon leur propre parcours personnel et dans le cadre général du contexte pratique et matériel dans lequel ils vivent, contexte déterminé par les priorités fixées au niveau politique et par les ressources structurelles pratiques dont ils disposent pour vivre dignement. L’offre structurée de services de Turin est le fruit de l’expérience accumulée, de l’expertise, des bonnes pratiques et des contacts réci- proques constants entre tous les acteurs concernés.14 Au cours des années quatre-vingt-dix, ces efforts ont débouché sur la création de Tables rondes spécifiques se réunissant régulièrement autour de diverses actions ou en assemblée périodique. Dans un premier temps, elles sont restées informelles, ayant simplement pour objet de fournir à tous les acteurs un lieu de rencontre, d’échange d’analyses et de bonnes pratiques et de débat autour d’urgences spécifiques débouchant sur l’élaboration de lignes d’action commune. L’officialisation et la définition formelle de ces Tables rondes ne sont intervenues que plus tard, en application de la Loi 328 du 08 novembre 2000 intitulée « Loi cadre portant création de systèmes intégrés d’intervention dans les politiques sociales »15. La décentralisation de la structure d’intervention clairement imposée par la Loi 328/00 a permis d’influer sur les politiques sociales publiques à l’échelon local par le biais de la participation aux travaux des Tables rondes et rencontres périodiques organisées dans le cadre des Plans d’action locaux (Piani di Zona en italien), auxquelles tous les acteurs sociaux étaient invités à participer. Le Conseil municipal de Turin a officiellement reconnu plusieurs Tables rondes, parmi lesquelles la « Table ronde sur l’exclusion sociale », dont la reconnaissance officielle a été sanctionnée en 2001 par la signature des représentants des agences participantes. Depuis sa création, elle a permis l’émergence de bonnes pratiques en termes de développement d’un réseau formel réunissant tous les acteurs sociaux concernés par l’élaboration de nouveaux services de lutte contre l’exclusion sociale. Ce réseau est ouvert, afin de permettre à de nouveaux membres de s’y associer. Les réseaux couvrent des zones géographiques et des problématiques spécifiques différentes mais ils sont censés interagir et se retrouver au plus haut niveau politique pour élaborer des politiques intégrées. En l’état actuel des choses, l’intégration complète des politiques reste dans une large mesure un vœu pieux, même si certaines interventions spécifiques au niveau des prises en charge sont d’ores et déjà une réalité. Le Centre de premiers soins intégrés (sanitaires et sociaux)16 constitue à cet égard un bel exemple de dispositif d’intervention intégrée en place. Il s’agit d’une structure pluridisciplinaire administrée par une équipe intégrée17 dont le modèle s’inspire largement de la méthode ouverte de coordination. La gestion de ce dispositif se fonde sur l’intégration au sein d’équipes pluridisciplinaires qui se réunissent régulièrement pour des échanges. Cette approche vise à garantir l’indépendance professionnelle tout en maintenant une ouverture au dialogue d’ensemble, à la communication et au partage d’informations au sein de la structure et entre ses diverses composantes. Autre source non négligeable de valeur ajoutée : il s’agit du premier dispositif aussi complexe mis en place à l’endroit exact où le besoin s’en faisait sentir. Cette initiative est le fruit d’une réflexion approfondie et novatrice pour le secteur des services sociaux qui, en Italie, fonctionne traditionnellement en partant du double principe que c’est à l’utilisateur d’identifier le service dont il a besoin, de le localiser et de s’y rendre et qu’il n’est pas souhaitable d’étaler les problèmes de société, et certainement pas dans le centre des villes. La raison pour laquelle ce dispositif intégré constitue davantage un bon exemple qu’une pratique courante dans la lutte contre l’exclusion sociale tient à un ensemble de points critiques et de véritables problèmes. Dans la première catégorie, on trouve une sorte de « paradoxe institutionnel ». D’une part, le système italien de protec- Les conséquences de ce paradoxe institutionnel sont doubles. La première concerne le dialogue, pas toujours simple, entre les ONG, les municipalités et les autres pouvoirs de la collectivité. La difficulté peut ici tenir à la pression que peuvent faire peser des autorités locales parfois plus enclines à défendre leurs priorités politiques qu’à aborder les problèmes pour ce qu’ils sont. Sur cet écueil vient se greffer une problématique corrélée et qui tient aux décisions politiques prises au plus haut niveau en ce qui concerne des financements publics qui tendent à diminuer à mesure que la protection sociale recule dans la liste des priorités de l’Etat. Autre aspect problématique : les relations entre agences prestataires de services sociaux sont empreintes de circonspection étant donné qu’elles sont en concurrence pour obtenir les subsides accordés sur base d’appels d’offres18. La municipalité confie chaque service à un seul prestataire dans le cadre d’un contrat temporaire, généralement d’une durée de deux ans ou plus. Ce système de marchés publics impose donc aux prestataires de monter des dossiers concurrentiels pour l’attribution des contrats de gestion des services sociaux locaux alors même qu’ils sont censés partager leur savoir-faire dans le cadre des diverses Tables rondes. Dans cette ambiance concurrentielle, le risque est grand de ne voir l’approche intégrée s’imposer que dans les cas où elle est structurellement indispensable. En pratique, les prestataires continueront pour le surplus de se fonder sur leur propre expérience et de pratiquer une mise en réseau plus ou moins lâche. Ainsi, alors que les agences collaborent à des projets d’intervention intégrée dans le cadre des Tables rondes, elles continuent de se faire concurrence lors des appels d’offre, ce qui ne laisse pas d’avoir des effets néfastes sur la lutte contre l’exclusion sociale dans son ensemble. Comme presque partout en Europe, l’Italie est confrontée à un démantèlement progressif de l’Etat providence, soi-disant dû à divers intérêts politiques internationaux et à la crise économique généralisée. Dans le cadre de la décentralisation de l’Etat, l’affectation des marges budgétaires des collectivités territoriales est laissée à leur entière discrétion. A Turin, cette tendance se manifeste entre autres par la disparition progressive, au sein des équipes d’intervention sociale, des emplois les plus qualifiés19. En effet, ce sont ces postes hautement qualifiés1qui grèvent le plus lourdement les budgets. Or, en situation de crise économique, les subsides à répartir par appel d’offres sont souvent revus à la baisse. On assiste alors à une sorte de chantage. D’une part, on confie le fonctionnement des dispositifs aux ONG parce qu’elles possèdent l’expérience et les compétences requises et présentent donc une valeur ajoutée reconnue en termes de mission, de méthode et d’objectifs. D’autre part, pour tout ce qui touche à la dotation, on ne reconnaît pas la valeur ajoutée de ce travail social20. Etant donné que, toujours en application de la décentralisation, toute collectivité locale dispose librement de ses fonds propres, chaque ONG a désormais le choix entre solliciter pour son personnel un salaire d’assistant ou une rémunération adaptée aux tâches qui lui seront probablement confiées dans la réalité, c’est-à-dire celles d’un travailleur social à part entière21. Les contingences économiques ne constituent qu’une source parmi d’autres de paradoxes de cet ordre. Deux autres sont ici particulièrement prégnants. Ils touchent aux procédures opérationnelles et au processus décisionnel. Les procédures opérationnelles consistent généralement en une série d’activités préétablies sur base de la reconnaissance mutuelle de diverses compétences. Ainsi, même si la Municipalité ne reconnaît formellement à la plupart des travailleurs sociaux des ONG que le statut d’assistant22, il n’est pas rare que les fonctionnaires de services sociaux, à qui incombe la responsabilité des utilisateurs des services, ne fasse eux-mêmes l’objet d’aucun contrôle quant à leur évaluation des prestations des ONG au quotidien, au risque de laisser s’installer le paradoxe bien connu de l’éloignement entre le travail de terrain au jour le jour et les visites institutionnelles périodiques. Malheureusement, alors que le travailleur social de terrain ne jouit d’aucune reconnaissance officielle, le fonctionnaire éloigné des réalités dispose du pouvoir de prendre toutes les décisions. En l’absence de tout garde-fou structurel, le bon fonctionnement des procédures opérationnelles dépend de l’honnêteté intellectuelle des deux parties en présence, d’autant que la systématisation de la reconnaissance mutuelle se fait attendre. Le second paradoxe est en quelque sorte une variante du premier. Les Tables rondes constituent un forum particulièrement novateur de reconnaissance institutionnelle de la nécessité d’intégrer les services sociaux. Toutefois, du fait de la situation dans laquelle se trouvent leurs divers acteurs, le risque existe de voir la valeur ajoutée tangible des Tables rondes se résumer à des analyses communes et à un échange d’expériences. En effet, la Municipalité est souveraine pour tout ce qui touche au libellé des appels d’offres. Elle fixe donc les modalités de rétribution de l’effort, de l’expérience, de la compétence et du professionnalisme et détermine le montant des enveloppes budgétaires. Quant aux ONG, elles disposent indiscutablement du savoir-faire, de l’expérience, de la souplesse et de la connaissance des problématiques de terrain. Malheureusement, elles se retrouvent tous les deux ans en situation de concurrence pour répondre aux appels d’offre et n’ont jamais le loisir de débattre avec l’autorité adjudicataire des « erreurs de perception » qu’elles rencontrent dans les appels d’offre23. Ces situations problématiques et autres paradoxes structurels relèvent de points critiques qui renvoient davantage à des problématiques politiques et culturelles générales qu’à la lutte de terrain contre l’exclusion sociale et l’exclusion du logement. Leurs conséquences peuvent toutefois êtres considérables et leur impact en termes de difficultés rencontrées au jour le jour dans la structuration d’actions intégrées risque lui aussi d’être significatif. Gérer ces « jeux de pouvoir structurels » constitue probablement la prochaine étape à laquelle le réseau local va devoir s’attacher afin de poursuivre sur la voie du succès tracée en matière de coordination et de collaboration à tous les niveaux entre le secteur public et le secteur privé. • Voir les notes de bas de page sur la page suivante >> 7 SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 tion sociale s’attache à proposer des services spécifiques ciblés sur des problématiques précises selon une logique verticale cloisonnée par domaines d’intervention. Cette approche verticale apporte des réponses il est vrai précises mais peu adaptées à la complexité prismatique de l’exclusion sociale. D’autre part, la Loi 238/2000 se fonde sur le principe de la décentralisation et vise à maximiser les interventions intégrées de terrain tandis que la mission des Tables rondes consiste, en collaboration avec les Conseils municipaux, à évaluer les dispositifs existants, à orienter les priorités pour l’avenir et à assurer le cadrage économique des services. De ce fait, la structure de protection sociale est distribuée tout en étant censément horizontale et coordonnée. La coexistence de ces deux approches structurelles radicalement différentes, voire contradictoires, expose l’ensemble du système à des difficultés importantes. SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 1 Données démographiques : www.cronologia.it/demog.00.htm et www.demo.istat.it * (recensement officiel). année : 1935 population : 647 997 1951* 719 300 1961* 1971* 1 025 822 1 177 939 1981* 1 117 154 1991* 962 507 2003 861 644 2 M. Revelli, Travailler chez Fiat, www.geocities.com/alpcub/fiatrev2.html - 158 445. 3 Chiffres au 29 février 2004 (Office statistique de la Municipalité de Turin). 4 Chiffres au 1er janvier 2004 (Office statistique pastoral des migrations : www.diocesi.torino.it/ curia/migranti). 5 On estime à quelque 90 000 le nombre de personnes qui vivent en situation de « pauvreté grise » à Turin. Sur le plan national, 11,8 % de la population sont menacés de pauvreté, ce qui représente 2 360 000 familles, ou encore 6 686 000 personnes (données : www.istat.it). 6 L’acronyme « ONG » est ici employé au sens large pour désigner des structures aussi diverses que variées, y compris toutes sortes de coopératives, de fondations, d’organismes privés du tiers secteur, etc. 7 L’ « Ufficio Adulti in Difficoltà » (littéralement, « Office des adultes en difficulté ») a ouvert ses portes en 1981 en prélude à la création d’un réseau local des services aux personnes sans abri de Turin. 8 8 L’inventaire des données réalisé par le « Service des réservations et du suivi » illustre cette sortie de l’ombre systématique des sans-abri cachés. Les données officielles de la municipalité présentées ci-dessous montrent, par année, le nombre de personnes seules ayant fréquenté les dortoirs publics de la ville (nombre de personnes qui se sont partagé les 155 lits disponibles par nuit) : année 2000 2001 2002 2003 2004 hommes 460 613 616 686 650 femmes 66 92 93 129 129 total 526 705 709 815 779 Italiens 379 499 485 503 508 immigrés 147 206 224 312 271 15 9 Les dortoirs temporaires, ouverts dans le cadre du Programme d’urgence hivernale, sont simplement restés ouverts le printemps venu et sont ainsi devenus permanents. A d’autres moments, ce sont les fonds d’urgence de l’Etat qui ont été mobilisés. 10 Les structures des trois échelons se différencient par leur seuil d’accessibilité, leurs heures d’ouverture et l’existence d’un éventuel programme éducatif. Il s’agit : • la définition des droits civils et sociaux, c’est-à-dire de l’accompagnement social minimum, relève de l’Etat; • en ce qui concerne l’accompagnement social minimum, le Gouvernement italien élabore des Plans d’action sectoriels ; • la planification, la coordination et la gestion sont du ressort des autorités régionales, en collaboration avec les municipalités ; • les gouvernements régionaux agissent au niveau régional ; • les municipalités élaboreront des Plans d’action locaux afin d’intervenir sur les problématiques prioritaires. Un dispositif de surveillance devrait évaluer le système dans son ensemble… ». Les conditions d’application sont donc tributaires d’une planification et d’un financement régionaux. Dès lors, certaines demandes ne sont pas rencontrées. Comme le reconnaît le dernier PAN en date : « …si la majorité des autorités régionales ont entrepris la rédaction d’un premier Plan d’action locale, seules quelques-unes ont mené l’exercice à son terme… ». 16 Ce service, installé en gare Centrale de Turin, a ouvert ses portes en mai 2000 pour apporter une réponse de terrain, sous forme de premiers soins, face à la menace d’une épidémie de dermatite épidermique (principalement la gale) sévissant parmi les sans domicile fixe (surtout les plus âgés) fréquentant la gare et ses environs. 17 L’équipe de coordination se compose des éléments suivants : des médecins de l’ASL 1 (les services de santé municipaux), des psychiatres du Service municipal de prise en charge des troubles mentaux, des psychologues et des pédagogues du Centre local de prévention des toxicomanies, des infirmières de la Croix-Rouge italienne, des travailleurs sociaux de l’Office des adultes en difficulté et de diverses ONG ainsi que des répondants issus de structures bénévoles. 18 La Loi 328/00 suggère de supprimer cette procédure d’appel d’offres et recommande la création de Tables rondes auxquelles ne seront conviées que les agences dont l’aptitude professionnelle à traiter telle ou telle problématique spécifique est reconnue. Cette nouvelle approche n’a pas encore été mise en pratique. 19 En matière de travail social, la hiérarchie des titres académiques s’établit comme suit : travailleurs sociaux diplômés, éducateurs sociaux diplômés, détenteurs du titre d’assistant sociosanitaire. 20 La rémunération mensuelle brute d’un assistant socio-sanitaire à plein-temps (soit 80 % des postes à pourvoir selon l’organigramme de la Municipalité) se monte à environ ? 1 207, soit un revenu mensuel net de quelque ? 940. Or, en Italie, le seuil de pauvreté relative est actuellement fixé à ? 869 nets par mois, soit à peine moins que ce que la Municipalité accorde à des travailleurs censés lutter contre l’exclusion sociale. Plus paradoxal encore : le salaire mensuel versé aux participants du programme de réinsertion professionnelle est largement inférieur à ce seuil puisqu’il se monte à environ ? 250 pour un emploi de réactivation à temps partiel et à plus ou moins ? 500 pour un emploi à temps plein. Ainsi, les revenus des personnes sans abri qui franchissent le premier pas vers une réinsertion professionnelle les placent à la limite du seuil de pauvreté absolue, fixé à ? 589 par mois. 21 Etant donné la conjoncture économique, les psychologues, sociologues, formateurs et autres professionnels sont en train de disparaître purement et simplement de l’évaluation formelle et officielle. Or, si les mêmes tâches sont réalisées par des bénévoles, les évaluations grimpent en flèche. 22 Dans certaines ONG, la majorité des assistants socio-sanitaires sont en fait des travailleurs sociaux surqualifiés qui, pour trouver un emploi, se contentent d’un poste moins rémunérateur et moins porteur de reconnaissance et de satisfaction professionnelles. 23 Le dernier appel d’offres contenait manifestement de grossières erreurs d’estimation des coûts directs des structures. Etant donné que les ONG ne peuvent dépasser les plafonds fixés de plus de 15 % dans leur offre sous peine de perdre le remboursement de leurs frais de fonctionnement et leurs locaux, elles sont inévitablement confrontées à de graves difficultés budgétaires. Le risque est de voir la protection sociale perdre en expérience et en compétences ce qu’elle gagnera par des coupes budgétaires. 1- du travail social de rue, des structures publiques, des refuges et des dortoirs ; 2- premier échelon : refuges temporaires ; 3- second échelon : résidences communautaires et logement collectif. 11 Le logement en structures d’accès direct est garanti pour trente nuits pour les résidents de la ville contre sept pour les non-résidents, tandis que l’accès de tous les dispositifs de premier et de second échelons est réservé aux habitants de Turin. 12 En mai 2005, l’appel d’offre aux ONG prestataires de services prescrivait l’organigramme suivant : • Structures directement accessibles : huit dortoirs publics (pour une capacité d’accueil cumulée de 155 lits), un service d’action sociale de jour, un SAMU social mobile nocturne, un centre d’appel téléphonique, un centre de premiers soins intégrés (sanitaires et sociaux) de jour et un laboratoire de pré-réinsertion ; • Services de premier échelon : trois dortoirs de transit (dont un réservé aux femmes et un autre aux personnes âgées ou malades ; 50 places); • Services de second échelon : trois résidences communautaires dont une réservée aux femmes et une autre aux personnes âgées ou malades ; 12 places), huit maisons partagées (dont deux réservées aux femmes et une autre aux personnes âgées ou malades ; 50 places). 13 Personne ne reconnaîtra jamais officiellement l’étiquette de « cas sociaux » ou de « coûts sociaux » collée aux personnes sans abri. C’est pourtant bien ce qui se passe dans la réalité lorsqu’on se fonde sur un a priori implicite pour définir l’exclusion du logement, par exemple parce qu’un budget annuel est plus tangible que le coût social total de politiques intégrées. 14 Le nombre de places disponibles dans l’ensembles des différentes structures (de tous les types – publics, privés, associatifs, réligieux) est de 900 – données officielles en provenance de l’Office des adultes en difficulté. En application du principe de subsidiarité, cette réglementation permet aux autorités locales d’élaborer et d’adopter des Directives spécifiques visant à promouvoir la réalisation de vraies politiques intégrées. Cette législation est conçue pour encourager la décentralisation des responsabilités du pouvoir central vers les municipalités et les autorités locales. La Loi 328/2000 est une loi de financement relevant de l’autorité exclusive des Régions et donc de leurs propres priorités territoriales. Elle prévoit un certain nombre d’obligations précises : « … s se Eco Autorités locales en Ecosse: « moteurs du changement » dans la stratégie de lutte contre l’exclusion liée au logement Par Robert Aldridge Le nouveau cadre législatif relatif à l’exclusion liée au logement mis en place en Ecosse donnera à chaque personne sans domicile le droit à un logement à partir de 2012. Cependant, le simple fait de créer un devoir légal de loger les personnes sans domicile ne suffit pas à garantir la réalisation de ce droit, et la loi, à elle seule, pourrait bien ne pas entraîner les changements radicaux nécessaires. Les Lignes ont différentes finalités. Elles sont utilisées comme un outil de référence pour les employés des autorités locales chargés d’évaluer l’exclusion liée au logement. Elles sont utilisées par ceux qui élaborent des politiques et des pratiques au niveau local au sein des pouvoirs locaux. Les organisations impliquées dans le plaidoyer pour les personnes sans domicile les utilisent également. Un changement de culture important est nécessaire dans la façon dont l’exclusion liée au logement est abordée. Il s’agit là d’une question très vaste qui a des implications sur le terrain pour toute une série de services différents et également une incidence sur les changements au niveau des stratégies et des politiques. Les choses ont déjà commencé à bouger, mais il faudra du temps pour faire en sorte que les différentes politiques et pratiques ne se contredisent pas les unes les autres. Les nouvelles Lignes directrices écossaises entreprennent aussi de définir de façon claire la nouvelle culture de comment l’exclusion liée au logement doit être considérée. Elles incluront au fil du temps des exemples de bonnes pratiques susceptibles d’être adoptées. Les Lignes directrices sont constituées de trois éléments principaux : description de la loi, avis sur comment la loi devrait être mise en œuvre et exemples de bonnes pratiques, de pratiques nouvelles ou innovatrices. Ces changements impliquent que l’on mette l’accent sur la prévention de l’exclusion liée au logement lorsque c’est possible, que l’expérience de la crise liée à cette forme extrême d’exclusion soit la plus brève possible, et enfin que l’on trouve des solutions à long terme. De façon plus profonde, cela requiert que l’on passe d’une conception qui met l’accent sur des équipes dont le rôle actuel est celui de « portiers » régulant l’accès aux différents services, à une vision dans laquelle on permettrait aux personnes d’accéder par ellesmêmes aux services dont elles ont besoin. Pour être efficace, cette approche nécessite des partenariats entre les agences gouvernementales et les ONG et des partenariats entre les différentes disciplines professionnelles. Etant donné que la nouvelle législation écossaise sur l’exclusion liée au logement sera mise en oeuvre de manière graduelle sur une période de dix ans, les Lignes directrices seront revues régulièrement de façon à pouvoir prendre en compte les nouveaux aspects de la législation dès qu’ils entrent en vigueur. Afin de compléter la législation en vigueur, le gouvernement central écossais (l’exécutif écossais - Scottish Executive) a publié des nouvelles Lignes directrices sur la mise en place de la législation relative à l’exclusion liée au logement. Le Royaume Uni avait adopté une législation en la matière en 1978, des Lignes directrices ayant été élaborées depuis 1980 environ, en vue de fournir des conseils sur la façon de mettre en œuvre cette législation. Les Lignes directrices offrent des avis détaillés de mise en œuvre de la législation. La loi dit que les autorités locales « doivent les prendre en considération » dans les politiques développées ainsi que dans la pratique. Le fait de ne pas en tenir compte constitue une raison suffisante permettant à une personne sans domicile d’intenter un procès contre les autorités locales en question. La version définitive des Lignes directrices sera toujours disponible en ligne. Il en existe également une version imprimée. Etant donné les nombreux changements que l’on prévoit dans les deux ou trois prochaines années, cette version aura un format facile à mettre à jour (classeur avec anneaux). Les Lignes directrices sont publiées par l’Exécutif écossais – Scottish Executive (le gouvernement responsable en Ecosse). Elles ont été rédigées à travers un processus de consultation avec toutes les parties intéressées, y compris les ONG et les autorités locales. Un petit comité directeur composé d’ONG nationales, de représentants des autorités locales, d’un représentant de l’agence nationale chargé de l’inspection des services pour sans domicile des collectivités locales et 9 SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 Les collectivités locales constituent un maillon crucial dans la mise en oeuvre du nouveau cadre législatif. Lors de l’élaboration du cadre, il a été reconnu que les autorités locales seraient les « moteurs du changement ». Elles ont une double rôle : un rôle stratégique en tant que facilitateurs permettant la rencontre entre les différents agences partenaires au niveau local, et en tant qu’organisations ayant pour obligation légale de garantir que les personnes sans domicile aient accès à un logement. Les autorités locales ont également l’obligation légale de développer et de mettre en œuvre des stratégies visant à prévenir et à aborder l’exclusion liée au logement dans leur région, en coopération avec d’autres organismes. Par exemple, à l’avenir la loi prévoira que les personnes qui deviennent sans domicile « intentionnellement » seront traitées différemment (parce qu’elles ont délibérément fait ou omis de faire quelque chose et que cela a provoqué la perte de leur logement). Actuellement, ces personnes ont droit à un logement temporaire pour une période raisonnable combiné avec le droit à une assistance-conseil en vue de trouver un logement. Selon les nouvelles dispositions (qui devraient être effectives en 2006), les autorités locales auront une obligation légale à leur fournir une location de brève durée (12 mois) et à les aider également à résoudre les problèmes qui les ont menés à l’exclusion intentionnelle. Par exemple, si leur problème est lié aux arriérés de loyer, on leur offrira des conseils relatifs à la gestion de l’argent et de l’aide pour résoudre leur problème de dettes. S’il s’agit d’un problème de comportement, on leur proposera de l’aide pour résoudre leur problème comportemental. A l’issue des douze mois, si le locataire suit le programme de soutien, le bail de brève durée sera automatiquement transformé en location à durée indéterminée. Un nouveau chapitre sera alors publié lorsque cet élément de la législation sera mis en œuvre. SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 10 des associations de logement social, et un représentant de l’organisme professionnel des personnes travaillant dans le secteur du logement, ont débattu en détail du Code avant qu’il ne soit finalement publié. Les nouvelles Lignes directrices mettent l’accent sur la prévention de l’exclusion liée au logement et sur l’importance de fournir de l’information et des conseils de bonne qualité. Elles soulignent que les autorités locales devraient disposer de procédures qui garantissent que des personnes ne quittent pas les institutions (comme la prison, l’hôpital ou l’armée) pour se retrouver ensuite sans domicile. Les Lignes directrices encouragent en outre les autorités locales à garantir que leurs politiques concernant les arriérés de loyer soient autant que possible cohérentes avec la prévention de l’exclusion liée au logement. Les nouvelles Lignes établissent des liens entre la santé et l’exclusion liée au logement et soulignent l’importance de l’emploi et du fait de garantir aux personnes sans domicile l’accès à des réseaux sociaux comme étant une partie des mesures qui garantissent sur le long terme et de manière durable des solutions à l’exclusion. Un des chapitres est consacré aux différentes manières de travailler. Il souligne que ce n’est qu’en développant une approche de partenariat à part entière et incluant les différentes agences impliquées que des solutions pourront être trouvées dans la lutte contre l’exclusion liée au logement. Il insiste sur le fait que les autorités locales devraient essayer de répondre aux besoins des personnes sans domicile sur base personnelle, en prenant en considération la situation unique de chaque individu. De même, le développement de politiques et de réponses pratiques à l’exclusion liée au logement doit se faire avec l’aide des personnes sans domiciles elles-mêmes. Le plus important est que les Lignes directrices insistent sur la nouvelle approche face à l’exclusion liée au logement. Cela signifie un pas en avant par rapport à l’approche « case à cocher » du « estce que vous remplissez les critères pour recevoir de l’aide ? », pour aller vers l’approche qui veut que si une personne est sans domicile, nous essayons de répondre à ses besoins sans nous soucier des critères. Les Lignes directrices sont disponibles en ligne à l’adresse suivante : http://www.scotland.gov.uk/homelessness Sur le terrain, la mise en œuvre du nouveau cadre est plus efficace dans certaines régions que dans d’autres. Pourtant, toutes les autorités locales travaillent actuellement à l’exécution de leur stratégie de lutte contre l’exclusion liée au logement, en partenariat avec d’autres acteurs. L’implication des commissions de santé locales se fait à travers leurs plans d’action relatifs à la santé et à la lutte contre l’exclusion liée au logement. Dans le cadre de l’exécution de leurs plans, ces dernières aussi bien que les autorités locales devraient travailler en collaboration avec les ONG et les personnes sans domicile elles-mêmes. Il a été demandé à chaque collectivité locale de soumettre un rapport sur l’état d’avancement de leur plan à l’Exécutif écossais (Scottish Executive) pour la fin de mai 2005. Les rapports sont actuellement analysés afin de déterminer quelles sont les domaines où les autorités locales nécessitent de davantage de soutien pour réaliser leurs objectifs. En même temps, un programme de cinq ans prévoit que l’on examine en détail les actions dans le domaine de l’exclusion liée au logement de chacune des 32 collectivités locales. Une analyse reprenant les résultats de la première série d’inspections vient d’être publiée. Elle démontre l’existence de changements culturels en cours, qui se traduisent par le fait que tous les conseils se dirigent vers la prévention de l’exclusion liée au logement et qu’ils travaillaient tous en partenariat, en particulier pour ce qui a trait à l’exclusion des jeunes. Cependant, il est apparu aussi que du personnel de première ligne continuaient à décourager les personnes sans domicile de demander de l’aide et que plusieurs d’entre eux avaient perdu de vue les personnes rencontrées à la rue après un premier contact. Les inspecteurs ont découvert de nombreux exemples de pratiques innovatrices de coopération entre autorités locales et ONG. Par exemple, les autorités locales d’une municipalité avaient pour habitude de passer une fois par semaine au centre de jour de la branche locale de l’Armée du Salut. D’autres autorités locales employaient les conseillers légaux indépendants d’une ONG pour conseiller et informer les personnes sans domicile (et celles qui courraient le risque de le devenir) sur leurs droits. D’autres travaillaient avec des ONG dans les prisons en vue de prévenir l’exclusion liée au logement parmi les ex-détenus une fois qu’ils seraient libérés. Toutes les autorités locales travaillent maintenant en partenariat en vue de proposer des régimes de dépôt de caution pour les personnes sans domicile leur permettant un accès plus aisé à la location de logements privés lorsque c’est approprié. D’autres travaillent avec des ONG en vue de consulter les personnes sans domicile au sujet de leur expérience des services pour sans domicile et de comment ces derniers pourraient être améliorés. Il y a autant de pratiques que de collectivités locales. Mais l’image générale qui se dégage est celle de la constitution de véritables partenariats entre les autorités publiques et les ONG se construisant sur le long terme et ayant pour but d’aborder la question des besoins des personnes sans domicile. L’Ecosse est encore au tout début de ce processus, et il y a encore beaucoup de chemin à parcourir avant que la vision du nouveau cadre législatif sur l’exclusion liée au logement ne soit réalisée. Pourtant, les autorités locales ont accepté dans la majorité des cas leur rôle de « moteurs du changement », en étant à la tête de partenariats qui fonctionnent, même si d’aucuns restent sceptiques. • n de Irla Le rôle des collectivités locales dans la lutte contre le sans-abrisme et l’exclusion au logement: la république d’Irlande. Par Noeleen Hartigan, Simon Communities of Ireland CONTEXTE GÉNÉRAL Les politiques envers le sans-abrisme et l’exclusion au logement en ce qui concerne les collectivités locales en Irlande sont régies par deux sources, la Loi sur le Logement de 1988 et la Stratégie Intégrée sur le Sans-Abrisme et l’Exclusion au logement de mai 2000. La Loi sur le Logement de 1988 prévoit une définition légale du sans-abrisme1 et exclusion au logement ; elle oblige les collectivités locales à évaluer le nombre de personnes dans cette situation au moins tous les trois ans ; la Loi spécifie le rôle des collectivités locales comme l’instance adéquate responsable pour les besoins des personnes en situation d’exclusion au logement ; elle détermine que des schémas de priorités en matière d’attribution de logement par les collectivités locales soient établis ; elle attribue des pouvoirs supplémentaires aux collectivités locales pour répondre à la question des sans-abri et sans-domicile pour organiser et financer les hébergements d’urgence, contacter une instance de santé ou une association volontaire pour l’approvisionnement d’hébergements d’urgence et/ou contribuer en dons auprès des œuvres caritatives pour les coûts de fonctionnement des hébergements que ces derniers fournissent ; enfin elle leur donne pouvoir d’attribuer des logements en provenance de leur propre parc directement aux personnes considérées comme sans-abri et exclues du logement. Essentiellement la Loi n’a pas obligé les collectivités locales à héberger les personnes considérées comme sans-domicile. Sous la « Stratégie intégrée sur le Sans-abrisme et l’exclusion au logement » chaque collectivité locale a été appelée à mettre en place un conseil de sans-abri et sans-domicile afin d’évaluer et de pourvoir à leurs besoins dans leur région. Ces conseils réunissent les principaux acteurs institutionnels : i.e. les collectivités locales qui sont responsables de répondre aux besoins en matière de logement des personnes, les institutions de santé qui sont tenues de répondre aux besoins en matière de santé, et les prestataires de services des œuvres caritatives. D’autres autorités statutaires comme les services de probation et de services sociaux et les agences pour l’emploi et la formation sont également impliqués dans certains de ces conseils. L’AGENCE DE DUBLIN SUR LE SANS-ABRISME ET L’EXCLUSION AU LOGEMENT Selon les statistiques officielles2 il y a 5 581 personnes actuellement sans-abri et exclu du logement en Irlande, dont 1 4000 enfants. Plus de 70% des instances enregistrées ici ont lieu dans la grande région de Dublin. Avant cette stratégie gouvernementale des groupes d’organisations statutaires et caritatives étaient déjà établis. En plus des réunions régulières des conseils des sans-domicile établis à travers le reste du pays, il a été décidé que la structure existante à Dublin soit plus formellement établie et qu’une agence spécifique soit mise en place avec la responsabilité de gérer et coordonner les différents services destinés aux personnes sans-abri et exclues du logement dans la région de Dublin. STRUCTURE ET VISION EVOLUTION DE PRIORITÉ Cette dernière stratégie, la deuxième de l’Agence, a changé la priorité sur le dispositif d’urgence vers la prévention, en fournissant du logement particulièrement aux personnes sans-abri ou sans-domicile seules et à la disposition des services d’aide à l’établissement (à long terme). 11 SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 L’Agence est une structure de partenariats, rassemblant les acteurs associatifs et institutionnels responsables de la planification, ainsi que le financement et la prestation de services effectués auprès des personnes sans-domicile ou exclues du logement. Dans la région de Dublin il y a en tout : quatre municipalités, trois autorités médicales (lesquelles sont en pleine réforme structurelle importante) et plus de 80 différents projets spécifiques à la question sans-abri et exclusion du logement administrés par 40 différentes organisations caritatives. L’Agence coordonne les activités de ces différentes instances selon un accord de plan stratégique pour la région. Le dernier plan stratégique, pour 2004-2006 a un objectif ambitieux, étant donné l’ensemble des acteurs qui y sont impliqués. Cet objectif est : En 2010 les sans-abri et sans-domicile à long-terme et les besoins des personnes en situation d’urgence sociale devraient disparaître de Dublin. Le risque qu’une personne ou une famille devienne sans-abri ou sans-domicile serait minime étant donné les efforts en politiques et services de prévention. Au cas où il y a des cas de sans-abri ou sans-domicile ils ne seront qu’à court terme et toute personne dans cette situation sera dirigée vers des logements adéquats et aidée pour exploiter son plein potentiel et garanti ses droits en tant que citoyen. SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 12 Il y a toujours une tension continuelle pour assurer que les acteurs institutionnels reconnaissent leur responsabilité à répondre aux besoins des personnes sansabri ou sans-domicile. Le plus grand changement ici est la priorité donnée à chacune des autorités locales en matière de logement sur la région de Dublin, où chacune d’entre elles s’engage au sein de ce plan. Chaque collectivité locale s’est ainsi engagée à : • S’assurer du fonctionnement effectif des conseils des sans-abri et sans-domicile dans leurs quartiers • S’assurer que l’approvisionnement de l’information, des conseils, des revendications, des services de référence et d’accompagnement soit maintenu • S’assurer que la liste des logements et attributions reflète le profile des familles exclues du logement dans la région • Répondre aux besoins médicaux et bien-être des usagers (la responsabilité principale revenant à l’autorité médicale concernée) Certaines des collectivités locales se sont fixées des objectifs précis soit en terme de nombres d’unités d’hébergement ou en terme de proportion des attributions à effectuer directement aux personnes sans-abri et sans-domicile. Par exemple le conseil municipal de Dublin compte loger 900 ménages exclus du logement pendant la période de ce plan stratégique. En supplément dans la région de la ville de Dublin –où sont présents plus de 80% des sans-abri et sans-domicile sur la région de la capitale- cinq conseils de sans-abri seront établis pour coordonner le travail dans leurs quartiers. MESURES COORDONNÉES ENTRE LES COLLECTIVITÉS LOCALES POUR TRAITER DU SANS-ABRISME ET DE L’EXCLUSION AU LOGEMENT En 2004 le gouvernement a annoncé une mesure supplémentaire en matière de stratégies du logement : les Stratégies du Logement abordable et social. Chaque collectivité locale a dû définir le nombre d’unités de logement transitionnel, de logement accompagné à long-terme et de logement indépendant à long-terme dont elle aurait besoin pour les personnes sans-abri pendant les 5 prochaines années. Elle doit également identifier en particulier les besoins en matières de services d’accompagnement au logement et en maraudes et travail de rue. Le Ministère de l’Environnement a annoncé qu’il se baserait sur les plans stratégiques pour l’allocation budgétaire pour la période de 5 ans. La Communauté de Simon est favorable à cette mesure qui annonce la tendance vers une normalisation (mainstreaming) des besoins en logement des personnes sans-domicile ou sans-abri dans l’ensemble du dispositif de logement traditionnel. Toutefois, au jour d’aujourd’hui il n’y a pas encore eu d’évaluation quant à l’application de ces plans et leur cohérence avec les plans stratégiques envers les sans-abri et sans-domicile. Une grande crainte serait qu’avec la faiblesse des données officielles sur le sans-abrisme et l’exclusion du logement, et, selon notre expérience, avec le manque de consultation avec les prestataires de services aux sans-abri et sans-domicile dans l’identification des objectifs et ciblages de ces plans, ces derniers vont probablement sous-estimer les vrais besoins et ainsi prévoir une attribution insuffisante de logement. DÉFIS En général l’Agence a été prolifique dans son travail de coordination des services dans la région de l’agglomération dublinoise, ayant rassemblé les différents acteurs institutionnels et associatifs et haussé le niveau (et la qualité) des prestations services pour les personnes sans-abri ou sans-domicile. La seule réserve émise envers la structure et l’efficacité de l’Agence est que ni l’Agence ni sa stratégie ne s’appuit sur l’institutionnel. Il y a toujours une tension continuelle pour s’assurer que les acteurs institutionnels reconnaissent leur responsabilité à répondre aux besoins des personnes sansabri ou sans-domicile. Une évaluation indépendante de la part des responsables gouvernementaux de la Stratégie Sans-domicile/Sans-abri vient de se terminer. La Communauté de Simon a émis des recommandations qui ont été intégrées dans cette évaluation, à savoir l’examen de la possibilité d’étendre le modèle de l’Agence sur l’ensemble du pays. Nous avons également émis la grande crainte que si cette structure (l’Agence) et ses autorités auxiliaires ne sont pas suffisamment dotées de pouvoir institutionnel, son objectif de 2010 ne pourrait jamais être atteint. • 1 Définition institutionnelle et légale du Sans-abrisme et exclusion liée au logement définition dans la section 2 de la Loi sur le Logement, 1998 : « Une personne est considérée par une instance de logement comme sans-abri/sans-domicile dans le cadre de la présente loi si (a) il n’existe pas de logement disponible qui, selon le jugement de l’instance, peut être occupé ou demeurer occupé par une personne, en compagnie de toute autre personne résidant normalement avec elle, ou qui peut à titre raisonnable résider avec elle, ou (b) cette personne vit à l’hôpital, dans une maison cantonale, dans un hébergement d’urgence ou dans un autre établissement de ce type, et qui vit ainsi car elle ne dispose pas d’un autre logement disponible tel que défini dans le paragraphe (a) Cette définition comprend: • les personnes vivant dans des logements temporaires non sécurisés • les personnes vivant dans des logements d’urgences tels que les hôtels sociaux ou un hôpital car il n’y a pas d’autres possibilités disponibles • SDF ou personnes vivant dans la rue • Victimes de violence conjugales 2 La Communauté de Simon, comme de nombreux autres acteurs institutionnels et associatifs considérerait ce chiffre official comme une sous-estimation ni e Lett o Services pour personnes sans domicile fixe à Riga Par Mg.soc. Solvita Rudovica, Municipalité de Riga,Départment social, Chef d’unité services sociaux. E-mail : [email protected] Tous les ans, les questions d’exclusion liée au logement et de mendicité deviennent de plus en plus urgentes dans la ville de Riga, capitale de la Lettonie. Les difficultés d’adaptation à l’accélération du rythme de vie forcent de plus en plus de personnes à vivre dans des situations de mendicité, d’habitation précaire et de sans-abrisme. La société se doit de prendre en charge ces personnes en situation précaire. Conformément à la législation nationale de la République de Lettonie, les municipalités sont obligées de fournir une assistance sociale et des services sociaux aux personnes ne bénéficiant d’aucune protection sociale, y compris des services d’hébergement d’urgence (foyers/foyers de nuit). Il existe un foyer d’hébergement à Riga qui loge 170 personnes (et jusqu’à 230 personnes pendant les mois d’hiver). Pendant l’hiver, il est impossible de fournir des services pour toutes les personnes sans domicile fixe dans l’unique foyer d’hébergement de Riga. Pour cette raison, en 2003 la municipalité de Riga a acheté des services d’hébergement (pour hommes) auprès de différentes organisations. En 2004, le service fut sous-traité à deux organisations non-gouvernementales – l’organisation religieuse « La croix bleu » (jusqu’à 100 places) et “LatAISS” Ltd (jusqu’à 50 places). Nombre de places disponibles au foyer d’hébergement de Riga en 2004 Institution Adresse Service No.de place Foyer d’hébergement de Riga Rue Maskava 208, Riga Service destiné aux hommes 61 Service du foyer d’hébergement 24h pour hommes 25 Service du foyer d’hébergement 24h destiné aux familles 36 Isolateur 4 Service destiné aux femmes 36 Service du foyer d’hébergement de 24h destiné aux femmes seules et femmes avec enfants 14 Rue Barddzinu 2, Riga Subtotal du foyer d’hébergement de Riga 170 (Pendant les mois de grand froid jusqu’à 230 places) Foyer d’hébergement de l’organisation religieuse “la croix bleue” Rue Maskava 336, Riga Foyer de nuit pour hommes Jusqu’à 100 places Foyer d’hébergement de “LatAISS” Ltd. Rue Bebru 16, Riga Foyer de nuit pour hommes Jusqu’à 50 places 13 Les taux élevés de personnes utilisant ces services révèlent l’urgence du problème d’exclusion liée au logement à Riga. En 2002, ces services gérés par la municipalité de Riga accueillaient 939 personnes sans domicile fixe ou des personnes en situation de crise – en 2003 jusqu’à 1491 personnes ont été logées par ces services1 (1343 personnes au foyer d’hébergement de Riga; 148 personnes dans les foyers de nuit gérés par les organisations non-gouvernementales), et en 2004 ce chiffre s’est élevé à 1716 personnes (1101 personnes dans le foyer d’hébergement de Riga; 615 personnes dans les foyers gérés par les organisations non-gouvernementales). Jusqu’à 150 places SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 Subtotal dans les foyers d’hébergement dans les services des ONGs SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 Un système de collecte de données sur l’exclusion liée au logement à Riga sera développé et mis en place si possible en 2005. 14 En 2004, parmi les 1 716 utilisateurs des foyers d’hébergement et foyers de nuit, 1 342 personnes ont été logées dans les services destinés aux hommes, 310 personnes (dont 23 enfants) dans les services destinés aux femmes seules et femmes avec enfants, et 64 personnes (dont 33 enfants) logées dans les services destinés aux familles. Pendant les mois d’hiver de 2004, les services d’hébergement et les foyers de nuit ont été utilisés en moyenne par environ 385 personnes par jour – une hausse par rapport aux mois d’hiver de 2003 (350 personnes par jour). Les chiffres mentionnés reflètent le nombre de personnes qui utilisent les services d’hébergement, mais ne reflètent pas le nombre total de personnes sans domicile fixe à Riga. Le nombre total ne peut être déterminé puisque beaucoup de personnes sans domicile fixe ne cherchent pas à utiliser les services d’hébergement, et par conséquent il n’existe pas de données concernant ces personnes. Il y a également un phénomène d’exclusion liée au logement de nature « cachée » c’est-à-dire que certaines personnes sans domicile fixe n’ont pas accès à un logement propre et sont obligées de loger chez des amis ou de la famille. ETUDES ET RECHERCHE Etant donné la croissance rapide du nombre de personnes sans domicile fixe à Riga, le personnel de la municipalité de Riga (département de protection sociale) et le foyer d’hébergement de Riga ont effectué ensemble une étude du foyer d’hébergement de Riga en février 2003 afin d’identifier les besoins et les problèmes des personnes sans domicile fixe. L’objectif de l’étude etait d’améliorer: 1) la qualité de vie des personnes sans domicile fixe; et 2) les chances de réinsertion; en mettant en place des services sociaux pour ce groupe cible. 211 personnes ont participé à cette étude, y compris 75% des utilisateurs des services d’hébergement de Riga en février 2003. L’étude a analysé le profil des personnes sans domicile fixe bénéficiant des services d’hébergement: • A Riga, il y a plus d’hommes que de femmes sans domicile fixe ; • L’exclusion liée au logement affecte des personnes de toutes générations, mais la majorité des personnes sont âgées de 41 à 60 ans (62% des personnes sondées); • La majorité des personnes sans domicile fixe sont solitaires – plusieurs d’entre eux avaient une famille mais ont désormais de mauvaises relations avec leur ex-femme/ex-mari, ainsi qu’avec leurs enfants, leurs proches et leurs amis; • L’exclusion liée au logement affecte non seulement les personnes avec un faible niveau d’éducation, mais également des personnes avec des diplômes d’éducation secondaire (67% des personnes sondées) et des diplômes universitaires (7% des personnes sondées) ; • Beaucoup de personnes sans domicile fixe ont de sérieux problèmes de santé; • L’exclusion liée au logement continue d’augmenter à Riga - 78% des personnes sondées se sont retrouvées sans domicile fixe durant ces cinq dernières années; • Seuls 27% des personnes sondées au foyer d’hébergement de Riga ont un revenu stable – provenant d’un emploi rémunéré ou une pension d’invalidité ou de retraite; • Etant donnée que beaucoup d’utilisateurs de services logent au foyer d’hébergement de Riga pendant minimum 6 mois, et que 43% des personnes sondées ont utilisé le foyer plus d’une fois, il semble qu’il y ait plusieurs obstacles à leur réinsertion ; • L’absence de papiers d’identité, les difficultés liées à la recherche d’emploi ou de logement, ainsi que le manque de moyens financiers pour vivre de manière acceptable, sont les problèmes principaux auxquels font face les personnes sans domicile fixe sondées. Ces problèmes sont aggravés par les longues listes d’attente pour des appartements, par le manque de capacité d’adaptation à une vie indépendante, par des problèmes de dépendance à l’alcool ou à la drogue, ainsi que l’image de la personne sans domicile fixe qui s’avère être un obstacle à l’obtention d’un emploi (notamment pour les personnes en âge de pré-retraite); • Bien que beaucoup de personnes sans domicile fixe soient exclues de la société, et bien qu’elles soient déprimées et désespérées, elles gardent l’espoir de résoudre leur situation sociale de manière positive (en trouvant un emploi, un logement décent, en allant habiter dans un autre pays, etc). Mais il existe des personnes sans domicile fixe qui sont satisfaites de leur vie et ne cherchent pas à la changer • Le rôle important des travailleurs sociaux du foyer d’hébergement de Riga a été souligné dans 92% des réponses données; • 90% des utilisateurs du foyer d’hébergement de Riga sont satisfaits par la nourriture, les conditions d’hygiène, le travail des assistants sociaux, ainsi que par les services de santé; L’autre phénomène émergeant à Riga, en rapport avec l’exclusion liée au logement, est la mendicité. Afin de sensibiliser les mendiants sur les possibilités d’accès à des services sociaux, ainsi que pour mieux comprendre la situation des personnes qui mendient, la ville de Riga a lancé une campagne d’information intitulée « Comment aider ? ». Pendant cette campagne, des livrets d’information (en langue lettone et langue russe) ont été distribués aux personnes mendiant dans la rue. Quelques 50 adultes et 5 enfants (des garçons entre 11 et 15 ans) ont été sondés dans différents coins de Riga comme le vieux centre, le bazar central, la gare, la station de bus, les églises, les magasins, dans la rue, dans les rues à proximité du bazar de Marisa, et également dans le quartier de Pardaugava (autre rive de la Daugava). Certains d’entre eux n’avaient pas de domicile fixe. Les personnes sans domicile fixe font face à des problèmes tels que: le manque de capacité de vivre indépendamment, la pénurie de logements abordables, l’insuffisance des niveaux de scolarité et le manque de motivation, les problèmes liés à la drogue/à l’alcool, les mauvaises conditions de santé, ainsi que les stéréotypes imposés par cette même société qui cherche à promouvoir l’inclusion sociale de ces personnes. Actuellement, il semble que les personnes sans domicile fixe sont capables de résoudre leurs problèmes dans une certaine mesure, mais ne sont pas toujours capables de maintenir le niveau d’intégration atteint. Ces personnes souffrent souvent de plusieurs troubles - c’est pour cette raison que la réinsertion des personnes sans domicile fixe nécessite des investissements en temps et en argent. Une approche pluri-dimensionnelle est nécessaire pour obtenir des résultats durables. Etant donné l’augmentation du nombre de personnes sans domicile fixe tous les ans, la municipalité de Riga a décidé de lancer des appels d’offres pour des services de foyers/foyers de nuits auprès des organisations non-gouvernementales. Donc en 2004, des foyers de nuit supplémentaires ont fourni des places pour 150 personnes, ce qui s’est traduit par une nette amélioration des services pour personnes sans domicile fixe au sein de la municipalité. .Au sein du foyer d’hébergement de Riga et des services des ONGs, les utilisateurs de services peuvent consulter un assistant social. Dans les services des ONGs mentionnées, des travailleurs sociaux offrent aux utilisateurs des services de soutien et de conseil sur les parcours possibles de réinsertion, en conformité avec le plan individuel de réhabilitation de chaque utilisateur de service (en 2004, 11606 consultations ont eu lieu au sein du foyer d’hébergement de Riga). Les personnes ne bénéficiant d’aucun service peuvent toutefois consulter un assistant social du foyer d’hébergement de Riga ou un expert de l’organisation fournissant les services sociaux. Il est fondamental de fournir de l’aide au moment juste, pour éviter toute aggravation de la situation d’exclusion. Le Plan d’Action National (PAN) de la Lettonie pour l’inclusion sociale a prévu d’amé- La réinsertion des personnes sans domicile fixe nécessite des investissements en temps et en argent. Une approche pluridimensionnelle est nécessaire pour obtenir des résultats durables. 15 SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 D’après les utilisateurs de services et les travailleurs sociaux du foyer d’hébergement de Riga, il serait important de développer les services suivants pour les personnes sans domicile fixe de la ville de Riga0: • La création de foyers de taille réduite (avec un nombre réduit de lits) dans chaque quartier de la ville de Riga; • La création d’un foyer de nuit séparé pour les personnes qui ne cherchent pas à améliorer leurs conditions de vie, un foyer qui fournirait un toit pendant la nuit, ainsi que le petit déjeuner et un dîner pendant les mois d’hiver; • Le développement de centres de réhabilitation sociale pour les personnes à peine sorties de prison; • Le développement de groupes d’appui pour les personnes sans domicile fixe; • L’amélioration de l’accès aux services de santé; • Le développement de services de jour pour les personnes sans domicile fixe; • La mise en place d’entreprises à vocation sociale pour résoudre le chômage des personnes sans domicile fixe; • La construction de logements temporaires pour les personnes souffrant d’un handicap et les personnes retraitées qui sont sur des listes d’attente pour des centres de réhabilitation à long-terme ou des logements protégés SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 liorer les politiques de réinsertion des personnes sans domicile fixe dans le cadre du Programme EQUAL. Le PAN souligne également que l’Etat fournira plus de soutien aux municipalités pour le développement du stock de logements à vocation sociale. Ceci donnera la possibilité à beaucoup de personnes sans domicile fixe d’accéder à des logements abordables. Etant donné que la majorité des personnes sans domicile fixe en Lettonie se trouvent dans la région de Riga, il est difficile de fournir des logements abordables pour tous. Il faut souvent attendre quelques années avant d’obtenir de l’aide de la municipalité. D’où la présence de certaines personnes au foyer d’hébergement de Riga pendant un an et plus, même s’il s’agit de services d’hébergement d’urgence uniquement. 16 Parmi ces personnes, il y a la catégorie de ceux qui reçoivent une pension de retraite de l’Etat, qui ont un revenu, mais qui ne trouvent pas de logement à loyer abordable. Il y a des personnes qui sont en parfaite santé, mais dont le revenu ne leur permet pas de louer un appartement. Conformément aux règlements en place en République de Lettonie, la majorité de ces personnes ne font pas de demande auprès de la municipalité de Riga pour bénéficier de services de logement. La municipalité de Riga offre des aides au logement afin de prévenir les expulsions. Etant donné les problèmes de santé de beaucoup personnes sans domicile fixe et les difficultés d’accès aux services médicaux, la municipalité offre également à ces personnes la possibilité de consulter un docteur Conclusions Action nécessaire Il n’existe pas assez de données sur l’exclusion liée au logement en Lettonie Plus de recherche sur le phénomène de l’exclusion liée au logement en Lettonie est nécessaire Les personnes sans domicile risquent de devenir encore plus exclus de la société Il serait bien d’utiliser les médias pour faire de la sensibilisation sur la nature de l’exclusion liée au logement dans notre pays afin de réduire l’isolement social des personnes sans domicile fixe et de les aider dans leur réinsertion sociale Il y a un besoin urgent de logements abordables Il faudrait un programme national qui distribue des crédits à long-terme (avec taux d’intérêts raisonnables) pour encourager les gens à acheter leur propre logement Besoin urgent de logements abordables Il faudrait développer un programme national de soutien aux municipalités dans la rénovation des stocks de logements Les personnes sans domicile fixe éprouvent des difficultés à intégrer le marché du travail Il est nécessaire de créer plus d’entreprises à vocation sociale afin de motiver les personnes qui ont du mal à intégrer le marché du travail, comme par exemple pour les personnes en âge de pré-retraite Il y a très peu d’organisations pouvant fournir des services aux personnes sans domicile fixe dans les plus grandes municipalités Il faudrait donc plus d’investissements de la part de l’Etat pour développer les services pour les personnes sans domicile fixe (foyers de jour, de nuit) pour des soins d’urgence. A présent, la municipalité de Riga est en train d’élaborer un plan de lutte contre l’exclusion liée au logement et contre la mendicité. Ce plan devrait être en conformité avec les normes européennes des services sociaux. La première étape sera la mise en place d’un groupe de travail pour l’élaboration du plan, qui sera composé de représentants des unités structurels de la municipalité de Riga (département social, département communal, le département des services sociaux, la police municipale, etc), ainsi que les prestataires de services. Les objectifs principaux de ce plan seraient les suivants: 1. Développer une politique municipale pour prévenir l’exclusion liée au logement et la mendicité; 2. Réduire le nombre de personnes sans domicile fixe dormant dans les espaces publiques; 3. Développer un réseau de services sociaux et d’assistance adéquat qui puisse subvenir aux besoins des personnes sans domicile fixe; 4. Fournir des solutions compréhensives à l’exclusion liée au logement et aux problèmes de mendicité dans la ville de Riga; 5. Résoudre le problème de l’exclusion liée au logement en réduisant la pauvreté et l’exclusion sociale Afin de travailler de manière efficace sur le développement et la mise en oeuvre de ce plan de lutte contre l’exclusion liée au logement, la municipalité de Riga travaille en coopération avec d’autres villes européennes en comparant et analysant les différents systèmes de services sociaux de ces villes, dans le cadre de différents projets transnationaux. • 1 Le nombre total d’utilisateurs de services est une estimation en raison du manque d’un système unifié de collecte de données dans le foyer d’hébergement et les foyers de nuit de Riga, par exemple: une personne célibataire peut être accueillie par plusieurs foyers (de jour et de nuit) au cours d’une année. m ar k D ane « Mais qu’attendent-ils donc pour se ressaisir ? » ou La Bridge-Building Society : travailler avec les sans-abri dans une ville danoise Par Per Thomsen, socio-anthropologue, Directeur de la Bridge-Building Society DÉFINITION : QUI SONT AUJOURD’HUI LES SANS-ABRI ET LES EXCLUS DE LA SOCIÉTÉ DANOISE ? MARGINALISÉS – Y COMPRIS PAR LES SYSTÈMES DE PRISE EN CHARGE ET D’ACCOMPAGNEMENT Le public des personnes qui se situent au bas de l’échelle sociale actuelle se voit régulièrement coller de nouvelles étiquettes. Au milieu des années quatre-vingt-dix, on les appelait « exclus sociaux » puis, quelques années plus tard « sans-abri », et selon la dernière nomenclature en date, il s’agit désormais de « personnes vulnérables ». La même valse des dénominations a concerné les institutions qui accueillent ces personnes. Toutes sortes de termes ont été ou sont en usage, depuis les « almshouses » (résidences pour personnes âgées ou défavorisées gérées par l’église ou les organisations caritatives) jusqu’au « logement ‘Section 94’ » en passant par les « hospices » et autres « maisons de correction », résidences et foyers pour sans-abri et autres centres d’accueil. L’une des raisons de cette prolifération de termes pour désigner un seul et même public tient à la difficulté qu’il y a à définir précisément ce qu’est un « exclu », un « sans-abri » ou une personne « socialement vulnérable ». S’il est vrai que bon nombre de ces personnes sont, par exemple, également alcoolo- ou toxicodépendantes, on ne peut pas pour autant affirmer que toutes les personnes dépendantes de l’alcool ou de la drogue sont socialement marginalisées. Dans le même ordre d’idée, même si bon nombre de personnes marginalisées présentent des troubles de la santé mentale, il serait parfaitement erroné d’en conclure que toutes les personnes présentant des troubles de la santé mentale sont socialement marginalisées. Et ainsi de suite. En revanche, les personnes socialement marginalisées sont souvent affectées par tout un éventail de problèmes concomitants tels que l’alcoolisme ou la toxicomanie, une éducation insuffisante voire inexistante, le chômage, le surendettement ou d’autres problèmes financiers, l’exclusion du logement ou encore les problèmes relationnels, de santé ou de baisse significative de l’espérance de vie. Margaretha Järvinen, professeur de sociologie à l’Université de Copenhague, décrit ce public comme celui des drogués, des alcooliques et des malades mentaux qui sont le plus faible socialement. Elle ajoute même en paraphrasant le célèbre chanteur et parolier danois Kim Larsen que les marginaux sont les personnes « avec qui les autres ne veulent pas jouer ». Autre caractéristique des citoyens marginalisés : ils ne parviennent pas à bénéficier des dispositifs de prise en charge et d’accompagnement au même titre que les autres citoyens. Les citoyens en marge de la société sont souvent confrontés au rejet des systèmes de protection sociale ou de soins de santé. Il suffit par exemple qu’une personne marginalisée se soit comportée de manière menaçante à l’égard d’un travailleur social ou d’un médecin pour qu’elle soit expulsée sans avoir reçu l’assistance dont elle a pourtant besoin. En outre, l’assistance disponible n’est bien souvent pas formatée pour inclure les personnes qui vivent en marge de la société. Ainsi, il leur est le plus souvent impossible d’accepter une quelconque offre d’activité professionnelle raisonnable. Il conviendrait donc de prévoir des passerelles pour ces personnes vers les dispositifs d’assistance et d’accompagnement disponibles, voire dans certains cas des offres spéciales d’emploi alternatif spécifiquement formatées pour ce public. C’est à ce niveau qu’intervient la Bridge-Building Society. Les experts s’opposent sur la cause première de la marginalisation de certaines personnes. D’aucuns pensent qu’elle résulte essentiellement de la transmission intergénérationnelle négative. Cette théorie affirme, en simplifiant à l’extrême, qu’un enfant ou un jeune exposé à un grand nombre de problèmes sociaux présente un risque nettement plus élevé de marginalisation sociale dans sa vie d’adulte. Cette explication est valable, mais d’autres scientifiques pensent qu’en principe, tout le monde présente le même risque de marginalisation sociale. Quel que soit l’argument privilégié, le fait demeure qu’une fois exclues de la société, les personnes marginalisées ne la « réintègrent » qu’au prix d’un véritable parcours du combattant, à la fois long et extraordinairement difficile. Depuis de nombreuses années, le consensus est large au sein de la Commission des services sociaux d’Aalborg autour de la nécessité de consentir des efforts particuliers dans le domaine de l’inclusion sociale. C’est pourquoi la Ville d’Aalborg, par l’intermédiaire de la BridgeBuilding Society, a lancé ces dix dernières années plusieurs projets destinés à dynamiser ces initiatives. Non seulement les autorités municipales, mais aussi le Comté du Jutland du Nord et plusieurs organisations caritatives privées ont développé leurs activités et lancé de nouvelles offres novatrices ciblées sur le public des personnes qui vivent en marge de la société. Parmi celles-ci, un modèle de résidence collective alternative pour exclus sociaux, les shelter town (« villes refuges », également surnommées freak houses ou « maisons des horreurs ») pour personnes sans abri, du personnel d’action sociale, des offres d’activité professionnelle, des offres de formation pour le personnel social, des centres et cafés d’accueil, du logement communautaire, etc. Ces initiatives d’assistance aux sans-abri d’Aalborg ont été applaudies à l’échelle nationale puisque la Ville d’Aalborg a reçu en 2003 un prix décerné par la coordination nationale des sans-abri et qu’en 2004, un autre prix a été remis au directeur de shelter town, organisme dirigé par une ONG sous convention opérationnelle avec la Ville d’Aalborg. Parmi les prises en charge disponibles, bon nombre sont subventionnées par le Ministère des affaires sociales ; on peut donc affirmer que ces dix dernières années, ce sont à la fois les pouvoirs publics nationaux, les autorités du Comté, les ONG et la collectivité locale qui ont investi de l’énergie et des moyens financiers dans ce domaine. 17 SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 POURQUOI CERTAINES PERSONNES ÉCHOUENT-ELLES DANS LA MARGINALITÉ ? INITIATIVES SPÉCIFIQUES À AALBORG section SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 COOPÉRATION INTERNATIONALE 18 La coopération internationale constitue un domaine de plus en plus important en termes de mise en commun des connaissances, d’inspiration et de mise au point de nouvelles méthodes de prise en charge des personnes sans-abri, et ce plus encore depuis l’introduction de la méthode ouverte de coordination et des Plans d’action nationaux (PAN/Inclusion). La Bridge-Building Society en tient compte depuis quelques années déjà puisqu’elle met davantage encore l’accent sur la coopération internationale : membre du Conseil danois de l’EAPN (European Anti Poverty Network, Réseau européen de lutte contre la pauvreté), elle siège également au RETIS (Réseau européen transrégional pour l’inclusion sociale). En ce qui concerne ce dernier, notre participation s’étend également à un partenariat de villes et régions européennes engagé dans l’élaboration d’un exercice d’évaluation par les pairs sur l’exclusion du logement. EDIFIER DES PASSERELLES Bridge (« pont », « passerelle ») et Bridge-Building (« construire des passerelles ») sont des métaphores qui décrivent assez précisément les activités de la Bridge-Building Society. Celle-ci est en effet responsable de la mise en place et du fonctionnement de trois passerelles. La première concerne l’une des problématiques évoquées cidessus, c’est-à-dire le fait que les exclus de la société sont souvent marginalisés par les mêmes dispositifs d’accompagnement qui sont censés les pendre en charge. Dans ce cas, le rôle de la BridgeBuilding Society consiste à élargir l’accès aux dispositifs d’accompagnement et à veiller à ce que des prises en charge alternatives soient disponibles si nécessaire. La seconde, tout aussi essentielle, doit combler le fossé séparant les personnes qui vivent en marge de la société des autres citoyens de la ville. Il s’agit pour ce faire de véhiculer auprès de la collectivité des faits précis et véridiques concernant les exclus sociaux afin de lutter contre l’enracinement des préjugés. Pour désigner ce type d’activités, nous parlons de « travail sur le tissu social ». Nous considérons qu’il s’agit d’un travail essentiel afin de transmettre des informations impartiales et objectives à propos des personnes marginalisées au sein de la société. Autre aspect des passerelles vers la collectivité : aborder ce que, dans le jargon des travailleurs sociaux, on appelle le « syndrome NIMBY » (Not In My BackYard, littéralement, « pas dans mon jardin »). Cet acronyme désigne le comportement qui caractérise la majorité des citoyens en matière d’exclusion sociale : ils reconnaissent qu’il faut faire quelque chose pour aider les personnes marginalisées mais refusent que les structures de prise en charge s’installent dans leur propre quartier. Dans ces cas-là, il est indispensable que la Bridge-Building Society contacte les personnes concernées et leur transmette des informations impartiales et objectives. En effet, l’expérience montre que les idées préconçues concernant l’impact négatif supposé de ces initia- tives pour leur voisinage géographique est très largement exagéré. Lorsque des problèmes se font jour du fait de la présence de services de prise en charge des personnes marginalisées, nous nous mettons à l’écoute des citoyens qui peuvent nous contacter s’ils se sentent incommodés, après quoi nous recherchons une solution susceptible de satisfaire tout le monde. Troisième et dernière passerelle : l’assistance à tous les acteurs de l’aide aux personnes marginalisées. Des efforts sont entrepris afin d’aider activement les divers acteurs concernés à dialoguer et travailler ensemble : tous les mois, la Bridge-Building Society organise une réunion à laquelle participent un ou plusieurs représentants de chacune des institutions qui travaillent avec notre public cible. Ce dialogue encourage la mise en commun des connaissances et l’échange d’expériences, assurant ainsi la mise à jour régulière des informations concernant les activités des uns et des autres. Bon nombre d’initiatives novatrices dans le domaine sont issues des débats animés qui caractérisent ces réunions. Il convient également de souligner qu’outre les échanges instaurés avec les partenaires mentionnés ci-dessus, la BridgeBuilding Society a également établi un dialogue permanent avec la coordination des sans-abri (SAND). MAIS QU’ATTENDENT-ILS DONC POUR SE RESSAISIR ?! En conclusion, on serait en droit de se demander s’il est véritablement nécessaire de consacrer autant d’efforts et de moyens au public des exclus sociaux. En effet, à les observer dans la rue, on éprouve souvent des difficultés à comprendre pourquoi ils ne se remontent pas tout simplement les manches pour changer de vie. Malheureusement, c’est plus facile à dire qu’à faire. En effet, il est aisé d’imaginer un garçon de douze ans décidant un beau jour, assis à la table de la cuisine, qu’il sera policier ou pilote quand il sera grand. Il est tout aussi facile de penser qu’il se tiendra à sa décision lorsque le moment sera venu pour lui de tracer sa voie dans l’existence. Par contre, il est beaucoup plus difficile de se représenter le même garçon, assis à la même table de cuisine, choisissant de devenir sans-abri, marginalisé par la société dans laquelle il vit et grandit. Personne ne choisit de vivre à la dure, en marge de la société. Encore faudrait-il avoir le choix. Depuis dix ans que je travaille avec le public cible des personnes marginalisées, je n’ai en tout cas jamais rencontré personne qui fasse partie de ce public par choix de vie délibéré. Lorsqu’on a glissé jusqu’au bas de l’échelle sociale, remonter les échelons un à un relève de la gageure. Il ne s’agit pas simplement de se ressaisir et de choisir un autre mode de vie. Dans cette situation, on a besoin d’aide. C’est une lutte, longue et difficile. L’assistance à prodiguer à ces personnes devrait constituer une priorité des priorités, d’autant qu’il est universellement reconnu que la qualité d’une société se mesure à l’aune du traitement qu’elle réserve à ses citoyens les plus vulnérables.• Investir dans la santé des personnes sans abri Par Ingrid Stegeman, Chargée de la politique d’EuroHealthNet E-mail : [email protected] L’objectif de la Stratégie d’action de l’Union européenne pour l’inclusion sociale consiste, d’ici 2010, à réduire de manière significative le nombre de personnes vivant dans la pauvreté au sein de l’Union européenne. Parmi les efforts à déployer pour atteindre cet objectif, chaque Etat membre de l’Union européenne doit élaborer un Plan d’action national esquissant les mesures qu’il entend prendre pour lutter contre l’exclusion sociale et précisant ses projets dans ce domaine. Etant donné les cercles vicieux évoqués ci-dessus, les interventions dans le domaine de la santé sont manifestement susceptibles de jouer un rôle essentiel dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Quelle n’a donc pas été la surprise de EuroHealthNet de constater, en analysant les première et seconde moutures des Plan d’action nationaux en faveur de l’inclusion sociale, l’absence quasi totale de prise en compte de la santé, et en particulier des domaines de la santé publique et de la promotion de la santé. EuroHealthNet a dès lors initié un projet visant à aborder ces problématiques de manière plus détaillée et consistant à rassembler les bonnes pratiques en provenance de toute l’Union européenne afin d’illustrer l’impact positif pour l’inclusion sociale des actions en matière de santé. Deux de ces bonnes pratiques ciblaient précisément les personnes sans abri. Les deux projets ont pour chef de file des collectivités territoriales (un comté et une municipalité). Dans le cas de la clinique pour sans-abri de Stockholm, l’organisme de santé Institut Karolinksa a également participé à la mise à disposition des ressources nécessaires à la réalisation des presta- tions. Les projets consistaient à prodiguer des soins médicaux aux personnes et à renforcer la coordination des services de prise en charge. La fourniture de soins médicaux dignes de ce nom et fiables est un axe d’intervention à la fois évident et important pour les personnes exposées aux formes les plus extrêmes d’exclusion sociale, telles que l’exclusion du logement. Les personnes sans abri sont souvent gravement malades ; elles sont atteintes de troubles liés à l’alcoolo- et/ou à la toxicodépendance, d’infections, de maladies cardiaques, d’intoxication alimentaire, de diabète, de pathologies du foie, du HIV/sida ou d’hépatite. Rares sont toutefois les personnes sans abri qui consultent régulièrement un médecin : elles échouent souvent aux urgences où, étant donné que personne n’assume la responsabilité pleine et entière de leur cas et que les soins prodigués sont inconséquents, la qualité de leur prise en charge est souvent très douteuse. La planification et le financement de ces projets par les collectivités territoriales rencontrent donc un besoin tout ce qu’il y a de plus manifeste. SUÈDE : HÅLLPUNKT Hållpunkt est une clinique créée en 2001 dans le centre de Stockholm pour aborder cette situation. Elle propose aux personnes sans abri une aide médicale gratuite, sans rendez-vous le matin des jours de semaine et sur rendez-vous l’après-midi. Les urgences sont prises en charge à toute heure. Le personnel de la clinique oscille entre dix et quatorze personnes et on estime qu’à la fin 2004, elle avait déjà accueilli environ la moitié des quelque trois mille sans-abri que compte la ville de Stockholm. Hållpunkt se distingue également par la présence d’une clinique dentaire ouverte dans le cadre d’une étude visant à déterminer la prévalence des affections et maladies buccales spécifiques parmi les personnes sans-abri et de rassembler des informations concernant leurs habitudes de santé, d’hygiène buccale et de soins dentaires. Les sans-abri sont invités à s’y faire examiner et soigner les dents gratuitement. Il s’agit d’une première en Suède : jamais encore l’hygiène dentaire des sans-abri n’avait été étudiée dans le pays. En matière de prise en charge de l’exclusion du logement, l’un des principaux écueils tient à l’établissement du contact avec les personnes. De fait, la clinique a éprouvé des difficultés pour trouver des sans-abri disposés à prendre part à l’étude. Heureusement, une fois franchi le seuil de la clinique, les professionnels de santé ont constaté que la majorité étaient désireux de se faire soigner. Les patients se soumettent aux 19 SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 Santé, pauvreté et exclusion sociale sont inextricablement liées. Une bonne santé physique et mentale permet aux gens d’affronter les aléas de l’existence susceptibles de conduire à la marginalité. A contrario, une santé chancelante risque de les empêcher de faire face à leurs difficultés et d’enclencher des cercles vicieux compliquant encore leurs problèmes. Ces derniers sont particulièrement visibles au sein des publics sociaux les plus défavorisés tels que les personnes sans abri. L’exclusion du logement est souvent la conséquence de troubles non traités de la santé mentale. Même dans le cas contraire, vivre dans la rue est susceptible d’entraîner une dégradation rapide de l’état de santé physique et mentale. Les privations relativement graves, de même que la déchéance sociale, qu’entraînent l’exclusion du logement peuvent provoquer une perte d’auto-efficacité, c’est-àdire du sentiment de maîtriser son existence, et donc compliquer encore la spirale de la pauvreté, de l’exclusion sociale et de la mauvaise santé. SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5 20 traitements préconisés, même lorsque ceux-ci impliquent des visites répétées, font des efforts pour être ponctuels à leurs rendez-vous et discutent volontiers de leurs problèmes d’horaire. Malheureusement, obtenir un traitement pour un état pathologique ne constitue qu’une première étape sur la voie de la prise en charge des besoins des personnes sans abri. En effet, ces dernières ont besoin de bien d’autres formes d’assistance pour surmonter des difficultés souvent profondément enracinées. Or, la coordination entre prestataires de services est insuffisante pour aborder les besoins complexes des personnes sans abri. C’est pourquoi Hållpunkt cherche à triompher des obstacles organisationnels imposés par le système des soins de santé en réunissant sous un même toit tout un éventail de services aux sans-abri. Italie : Road Sweet Home Road Sweet Home est un projet lancé à Pérouse, en Italie, et qui, encore que plus modeste, vise également à réunir divers services de soins aux sans-abri afin d’instaurer une continuité des soins destinés à ces personnes. Il s’agit d’une enquête semestrielle portant sur la nature de l’exclusion du logement en Ombrie et sur les situations et parcours qui y mènent. Elle a pour objectif d’identifier les besoins des personnes sans abri et de mettre sur pied un réseau de prises en charge susceptibles de les satisfaire. Dans le cadre de ce projet, un centre d’accueil pour personnes sans abri au seuil d’intervention relativement bas a été créé, dont le personnel dirige les sans-abri sur les services médicaux et sociaux du quartier qui pourront leur faire passer un bilan de santé. En fonction de leurs besoins, les personnes prises en charge peuvent également recevoir des coupons-repas ou être invitées à participer à des programmes de réhabilitation pour personnes dépendantes de l’alcool ou de la drogue. L’objectif est d’inciter les personnes à une réflexion personnelle et à modifier leur façon de vivre, surtout au plan de la santé, et de déclencher ainsi un processus de réhabilitation personnelle. Les résultats du projet Road Sweet Home révèlent l’impact positif de l’assistance directe proposée aux exclus sociaux et de l’élaboration de programmes individuels personnalisés : sur trente-quatre participants au projet, sept avaient quitté la rue quatre mois après le lancement du programme tandis que la moitié environ s’étaient investis dans la vie du foyer et participaient à des programmes d’accompagnement et que d’autres encore s’étaient engagés dans des parcours individuels. Parmi les sans-abri en contact avec les services proposés, aucun n’a refusé une aide complémentaire par la suite. Hållpunkt et Road Sweet Home sont tous deux subventionnés par la collectivité territoriale. Les cabinets médical et dentaire ont été mis sur pied et ouverts par le Conseil du Comté de Stockholm. Le service d’odontologie de l’Institut Karolinska, qui a offert l’équipement et détaché du personnel, se charge de l’organisation et du fonctionnement de la clinique. Quant au projet Road Sweet Home, il est subventionné par la mairie de Pérouse ainsi que par le Consortium des coopératives sociales de Pérouse, qui finance la prise en charge des personnes confrontées à la pauvreté extrême. Malgré la pertinence et la réussite de ces projets, il reste difficile d’obtenir et de pérenniser les ressources nécessaires pour aider les personnes exposées aux formes d’exclusion les plus graves. Par exemple, malgré un soutien politique et public considérable, Hållpunkt fonctionne sur un budget modeste et continue de faire face à la concurrence d’autres acteurs du secteur de la santé pour l’obtention des subsides. Les forces consacrées à la recherche des fonds nécessaires à la poursuite du projet ne peuvent ensuite plus être investies dans sa réalisation. On espère que les autorités continueront de prendre en charge les dépenses liées à la clinique dentaire ainsi que les traitements médicaux prodigués par le centre de soins lorsque les subsides se tariront fin 2005. Les résultats de ces deux projets montrent combien il est important à la fois d’investir dans la santé des personnes sans abri et d’assurer une prise en charge personnalisée et cohérente. Remettre sur pied les personnes sans abri, c’est leur rendre leur dignité. Hållpunkten rapporte que le simple fait d’avoir de nouvelles dents a suffi à motiver certains patients à reprendre des études ou la recherche d’un emploi. Road Sweet Home estime qu’il serait possible, si le programme pouvait se poursuivre, de sortir de la rue la quasi-totalité des trente-quatre participants au projet. Les deux projets démontrent que l’investissement public dans la santé peut avoir un impact très positif et aider des personnes à refaire leur vie tout en contribuant à réduire l’exclusion sociale. Le rapport intitulé Promoting Social Inclusion and Tackling Health Inequalities in Europe – an overview of good practices from the health field (« Promouvoir l’inclusion sociale et la lutte contre les inégalités au plan de la santé en Europe : panorama des bonnes pratiques issues du secteur de la santé ») est disponible sur le site internet de EuroHealthNet à l’adresse suivante : www.eurohealthnet.org. •