Les Autorités Locales et la Lutte contre l`Exclusion liée au Logement

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Les Autorités Locales et la Lutte contre l`Exclusion liée au Logement
Le Bulletin de la FEANTSA - F é d é r a t i o n E u r o p é e n n e d ’ A s s o c i a t i o n s N a t i o n a l e s T r a v a i l l a n t a v e c l e s S a n s - A b r i
DANS CE NUMÉRO
2 Editorial
3 Créer un espace de travail avec
les autorités et les partis
politiques locaux : Le Forum des
sans-abri de Madrid
Mar Bastante Liébana
Les Autorités Locales et la
Lutte contre l'Exclusion liée
au Logement
5 Fragile ! Manipuler Avec Soin :
L’approche de lutte contre
l’exclusion sociale adoptée par
les autorités locales de la cité
postindustrielle italienne de Turin
Paolo Brusa
9 Autorités locales en Ecosse:
« moteurs du changement »
dans la stratégie de lutte contre
l’exclusion liée au logement
Robert Aldridge
11 Le rôle des autorités locales
dans la lutte contre le
Sans-abrisme : le cas de la
République d’Irlande
Noeleen Hartigan
13 Services pour personnes
sans domicile fixe à Riga
Solvita Rudovica
17 « Mais qu’attendent-ils donc
pour se ressaisir ? » ou
La Bridge-Building Society:
travailler avec les sans-abri dans
une ville danoise
Per Thomsen
Services
pour personnes
sans domicile
fixe à Riga
19 Investir dans la santé des
personnes sans abri
Ingrid Stegeman
Page 13
Le travail de la FEANTSA
est soutenu
financièrement par la
Commission européenne
Été 2005
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
Editorial
2
Dans son introduction au rapport de recherche de la FEANTSA de
2003 intitulé « L’évolution du rôle de l’Etat: l’intervention de l’Etat
dans le domaine de l’aide sociale et du logement »1, Joe Doherty,
chercheur à l’Observatoire européen sur le sans-abrisme, décrit l’impact de la mondialisation sur les prérogatives de l’Etat, qui « s’évapore tout d’abord vers le haut, aspiré par les institutions supranationales (telles que l’Union européenne), ensuite vers le bas, par le biais
d’une décentralisation de ses responsabilités vers les collectivités territoriales et les organismes para étatiques, et enfin vers l’extérieur,
sous la forme d’une délégation de pouvoirs octroyée à des organismes non-gouvernementaux tels qu’ONG et structures bénévoles
ainsi qu’à des sociétés privées du secteur marchand. » Il est certain
qu’il y a eu ces dernières années, du moins en ce qui concerne la
lutte contre l’exclusion liée au logement, un mouvement vers l’attribution de plus de responsabilités dans ce domaine à des autorités
locales. D’ailleurs, d’autres tendances, telle que la sous-traitance de la
fourniture de services destinés aux personnes sans-abri au secteur
associatif sur base d’appels d’offres, sont également à constater.
C’est à la lumière du rôle de plus en plus important des autorités
locales, et de la collaboration de plus en plus étroite entre les
membres de le FEANTSA et ces autorités, que nous consacrons cette
édition du magazine de la FEANTSA, qui examinera l’implication des
autorités locales dans la lutte contre l’exclusion liée au logement.
Le mouvement vers le niveau local des réponses politiques au problème
de l’exclusion liée au logement est généralement considéré comme un
développement positif, car beaucoup pensent qu’il s’agit d’un problème
qui demande une solution locale. La proximité à la situation sur le terrain peut effectivement se montrer un vrai avantage dans cette optique.
De plus, les autorités locales sont souvent bien placées pour réunir les
différents organismes publics et privés qui doivent travailler en partenariat afin de mettre en place des solutions efficaces pour les sans-abri. Au
fur et à mesure que la reconnaissance de la complexité et de la nature
multidimensionnelle du phénomène de l’exclusion liée au logement se
développe, il devient de plus en plus clair que la mise en place d’une
solution d’ensemble et intégrée implique la participation d’une très large
gamme d’acteurs. Parmi les facteurs structurels ayant un impact sur l’exclusion liée au logement l’on retrouve : une base toujours plus large
d’emplois insécurisés et mal payés, l’évolution du marché du logement,
la hausse des demandes relatives aux services de santé et l’affaiblissement des réseaux sociaux et familiaux. Il y a également des facteurs
déclenchants connus comme : l’expulsion, la rupture d’une relation, la
perte d’emploi, la violence conjugale, la sortie de prison, de l’hôpital ou
des forces armées et les problèmes de santé. Ainsi, une approche efficace à l’ensemble de ces différents éléments nécessite la création de
liens et la coopération étroite entre les services de santé, les urgences,
les différents acteurs dans le domaine du logement, les agences de
l’emploi, les services de rue, les prisons, les services sociaux, le secteur
associatif etc. Les autorités locales sont bien placées pour coordonner et
mettre en place des stratégies de partenariat.
En effet, la tendance des autorités locales à jouer le rôle de vecteurs
de coopération et de coordination est un des éléments qui ressort très
clairement des articles qui ont été élaborés pour cette édition du
magazine de la FEANTSA. L’article envoyé par Mar Bastante Liébana
de l’organisation FACIAM en Espagne décrit la création à Madrid
cette année d’un forum sur l’exclusion liée au logement. Ce forum a
été mis en place suite à une initiative des services sociaux et du secteur associatif et il regroupe tous les organismes locaux impliqués
dans la lutte contre l’exclusion liée au logement, ainsi que des élus
locaux. On espère que l’implication des représentants du gouvernement local mènera à la mise en oeuvre concrète des approches créatives qui ressortent du forum. Paolo Brusa de la fédération nationale
italienne FIOpsd attire notre attention sur la mise en place d’une
structure comparable dans la ville de Turin en Italie. Il décrit comment
le contact, les échanges et le travail en réseau dans le cadre de cette
« Table Ronde » ont contribué à l’amélioration de la coopération et
du partenariat à Turin. Les efforts menés par les autorités locales ont
abouti à la création d’une structure efficace de fourniture de services
à trois niveaux. Ceci dit, M. Brusa adopte une attitude critique face
au système de financement par les autorités locales, selon lequel des
organisations qui sont supposées coopérer et travailler en réseau se
retrouvent en concurrence directe pour obtenir des financements et
sont donc forcées à baisser les prix de fourniture des services.
La création d’un devoir juridique de loger les personnes sans-abri est
évoquée par Robert Aldridge du Scottish Council for single Homeless
comme un moyen efficace de faire avancer les stratégies des autorités
locales contre l’exclusion liée au logement. En Ecosse, les autorités
locales se retrouvent dans le rôle de « moteurs », responsables du
développement et de la mise en œuvre des solutions politiques au problème du sans-abrisme, en partenariat avec des acteurs divers des différents secteurs. Noeleen Hartigan de l’organisation Simon
Communities of Ireland décrit une approche similaire dans son article.
En effet, les autorités locales sont identifiées dans la législation irlandaise comme étant les acteurs appropriés pour répondre aux besoins
des personnes sans-abri et elles se voient accorder les pouvoirs et les
obligations qui en découlent. Cela a mené à Dublin à la création d’une
Agence, dont la structure et la fonction sont similaires à celles des
autres instances de partenariat évoquées par les autres personnes qui
ont collaboré à la rédaction du présent bulletin. Néanmoins, Mme
Hartigan souligne que le fait de ne pas avoir mis en place une obligation juridique de loger des personnes sans-abri est très problématique,
car il est difficile d’assurer que tous les acteurs publics reconnaissent
leurs obligations envers les personnes sans-abri. Solvita Rudovica du
conseil municipal de la ville de Riga en Lettonie nous donne la perspective des autorités locales. A Riga, les autorités locales sont obligées, d’après le code de la ville, de loger les personnes sans-abri et,
face au nombre croissant de sans-abri à Riga, les autorités locales ont
été obligées d’évaluer la situation et d’identifier des actions appropriées. Cela a mené à une augmentation du travail en coopération
avec les ONGs afin de répondre aux besoins immédiats et au développement d’un plan à long-terme, qui prévoit le travail avec les décideurs
politiques au niveau national pour mettre les ressources nécessaires à
disposition ; la coopération avec les services de santé pour améliorer
l’accès aux soin ; la coopération avec des organismes privés pour créer
des possibilités d’emploi ; l’amélioration du système de collecte des
données ; et même la coopération avec les médias afin d’améliorer la
perception des sans-abri dans la société.
La nécessité de changer la perception et l’image des personnes sansabri est également mentionnée par notre collaborateur danois Per
Thompson de la « Bridge-Building-Society » de la ville d’Aalborg.
Les autorités locales à Aalborg considèrent la lutte contre l’exclusion
liée au logement en termes de la « construction de ponts » - c’est à
dire : la construction de ponts de compréhension entre le grand
public et les personnes sans-abri et entre les sans-abri et les services
qui tentent de répondre à leurs besoins ; et la construction de ponts
de coopération et de dialogue entre les fournisseurs de services à travers les différents secteurs. L’article d’Ingrid Stegeman de
Eurohealthnet examine le lien essentiel entre la mauvaise santé et
l’exclusion liée au logement, ainsi que l’impact positif que peut avoir
l’accès aux soins de santé de qualité sur l’inclusion sociale. Mme
Stegeman décrit deux projets de soins de santé, menés par des autorités locales en Suède et en Italie, pour illustrer ses propos concernant
la valeur des soins intégrés de qualité pour les personnes sans-abri.
Comme toujours, la FEANTSA adresse ses plus sincères remerciements à toutes les personnes ayant contribué à la rédaction de ce
magazine pour le temps et l’expertise qu’elles y ont consacré. Vos
réactions à ce magazine sont les bienvenues. Vous pouvez les
envoyer à [email protected]. •
1
FEANTSA (2003): L’évolution du rôle de l’Etat: l’intervention de l’Etat dans le domaine de l’aide sociale et du logement
http://www.feantsa.org/files/transnational_reports/FR_WG1_Role%20of%20State_2003.pdf
ag
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Esp
Créer un espace de travail avec les
autorités et les partis politiques locaux:
Le Forum des sans-abri de Madrid
Par Mar Bastante Liébana, Secrétaire général de la FACIAM
Parmi les objectifs et les fonctions du Forum, il
convient de relever les suivantes :
1. Collecter et analyser les données concernant
les personnes sans abri de Madrid, leurs profils, leurs demandes et leurs besoins ;
2. Soumettre des projets de recherche visant à
améliorer la qualité des services aux personnes sans abri et à les adapter à leurs
besoins complexes et variés ;
3. Travailler à la prévention de l’exclusion du
logement ;
4. Préparer des actions de sensibilisation du
public afin de promouvoir la compréhension
du phénomène de l’exclusion du logement et
l’acceptation des personnes sans- abri ;
5. Susciter un discours médiatique positif et
porteur d’attitudes constructives et solidaires
de la part de la société ;
6. Proposer des mesures d’optimisation des services existants et de renforcement de l’adéquation du réseau des services aux personnes
sans abri ;
7. Favoriser le développement d’actions coordonnées et horizontales portées par les
divers services publics locaux et le secteur
bénévole lui-même ;
8. Formuler des recommandations et des propositions d’action aux diverses structures,
organisations et institutions compétentes en
matière d’exclusion du logement actives
dans l’agglomération madrilène.
Ces derniers mois, l’activité du Forum s’est
déclinée en quatre groupes de travail. Le premier s’est concentré sur une analyse de la réalité actuelle de la problématique, le second sur
des programmes, le troisième sur la visibilité du
phénomène de la pauvreté et le quatrième et
dernier sur les ressources et l’équipement.
Chacun des groupes de travail a engagé un
débat et une réflexion, dégagé un consensus et
formulé des propositions dans son domaine de
prédilection.
Les propositions élaborées par ces groupes de
travail ont fait l’objet d’un débat lors de la séance plénière organisée à la fin du mois de juin
dernier. Les représentants des autorités et partis
politiques locaux présents lors de cette plénière
du Forum se sont engagés à défendre les propositions approuvées afin qu’elles puissent
emporter le soutien du conseil municipal.
Parmi les propositions adoptées par le Forum
figuraient les suivantes:
1. Créer des ateliers ou des centres de travail
adaptés aux personnes sans abri ;
2. Monter des programmes de réinsertion professionnelle des bénéficiaires d’allocations
sociales (revenu minimum) ;
3. Mettre sur pied un observatoire statistique
permanent de l’exclusion du logement chargé du suivi de l’évolution de la problématique à Madrid et de mener une étude sur les
obstacles rencontrés par les personnes sans
abri dans la recherche d’un emploi ;
4. Organiser un séminaire sur les bonnes pratiques de « prévention de l’exclusion du
logement et de travail avec les personnes
sans abri de Madrid » (l’agglomération
madrilène et non la région de Madrid dans
son ensemble) ;
5. Instaurer de nouveaux programmes et services pour sans-abri associant l’assistance aux
plans sociaux et de la santé afin d’améliorer
les services de prise en charge des personnes
La mission du Forum
consiste à élaborer des
propositions visant à
adapter et optimiser le
réseau des services aux
personnes sans abri
afin de mieux
rencontrer leurs
besoins réels et
d’appuyer le
développement
d’actions horizontales
coordonnées.
3
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
En 2005, la coopération et le travail commun des
autorités locales et du secteur de l’exclusion du
logement au sens large à Madrid ont pris une
forme nouvelle et novatrice. L’objectif est de donner un nouvel élan à la lutte contre l’exclusion du
logement dans la Ville de Madrid et d’améliorer
les services qui prennent en charge les besoins
des personnes sans abri de la ville. A cette fin,
tous les acteurs concernés et dépositaires des
enjeux ont été réunis en un forum unique de
débat et de réflexion. C’est ainsi que le « Forum
technique local sur les personnes sans abri » a vu
le jour en février 2005. Tous les organismes
(publics et privés) qui travaillent avec les sans-abri
à l’échelon local participent à cette nouvelle initiative. Ce Forum rassemble également des délégués des formations politiques représentées dans
les pouvoirs publics locaux. Il a été créé, sur les
instances du secteur bénévole et à l’initiative des
services sociaux de la Ville de Madrid, en tant que
structure rattachée à ces derniers et avec pouvoir
consultatif auprès d’eux. La mission du Forum
consiste à élaborer des propositions visant à
adapter et optimiser le réseau des services aux
personnes sans abri afin de mieux rencontrer
leurs besoins réels et d’appuyer le développement d’actions horizontales coordonnées.
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
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9.
sans abri, que ce soit en phase d’hospitalisation ou de convalescence, ainsi que des services aux personnes atteintes de vieillissement prématuré ;
Améliorer la coordination des divers services
sociaux : santé mentale, services aux personnes dépendantes, etc. Des réunions de
coordination seront organisées à cette fin ;
Lancer une campagne de sensibilisation de
l’ensemble de la population à l’exclusion du
logement afin de contribuer à la « normalisation » du phénomène ;
La création de grands centres d’accueil est à
éviter. Il est préférable d’implanter les services aux personnes sans abri en milieu
urbain et métropolitain. Les autorités locales
créeront un nouveau centre pour sans-abri et
un comité (probablement issu du Forum)
sera constitué afin d’assurer le suivi de ce
projet et d’avancer des suggestions ultérieures dont les autorités se sont engagées à
tenir compte ;
Un autre comité sera créé pour la campagne
d’urgence hivernale. Il avancera des propositions relatives à cette campagne, spécialement en ce qui concerne l’implantation des
centres d’accueil d’urgence supplémentaires
– décision qui, par le passé, a souvent été
source de conflits de voisinage.
En conclusion, cette initiative a reçu un accueil
très favorable de la part de tous ceux qui sont
actifs dans le secteur. En effet, elle nous permet
de prendre part à un forum de coordination et
de débat autour des initiatives et décisions politiques concernant les personnes sans abri. Nous
considérons également comme très constructif
le fait que tous les partis politiques représentés
au conseil municipal participent au Forum.
Nous sommes convaincus que l’engagement
des décideurs politiques sera porteur de progrès
pour les politiques qui visent à rencontrer les
besoins des personnes sans abri ainsi que de
visibilité pour la problématique de l’exclusion du
logement dans l’ensemble de la société et tout
particulièrement dans les institutions publiques.
Autre résultat positif de ce forum : le recentrage du débat politique sur la thématique de l’exclusion du logement. Le seul risque, maîtrisé
jusqu’ici, serait que le Forum devienne un
champ de bataille pour les diverses formations
politiques. Heureusement, la forte participation
de travailleurs du secteur bénévole a permis
d’éviter cette dérive.
Il semble jusqu’ici que l’engagement tant des
autorités locales que des partis politiques à soutenir les propositions du Forum soit sincère.
Toutefois, il est trop tôt pour se prononcer sur
l’efficacité de la mise en œuvre pratique des
propositions adoptées.
Nous espérons que ce nouvel espace de
réflexion et les initiatives en faveur des personnes sans abri qui en sont issues se traduiront
par des actions tangibles et visibles au bénéfice
des sans-abri. •
li
e
Ita
L’approche de lutte contre l’exclusion sociale adoptée par les
autorités locales de la cité postindustrielle italienne de Turin.
Par Paolo Brusa, psychologue, consultant et formateur (dans le domaine de la lutte contre
l’exclusion sociale pour le FIOpsd) ; expérience dans cette ONG – membre de la FEANTSA et
active dans la lutte contre l’exclusion liée au logement – en tant que travailleur social puis coordinateur
(1997-2004), vice-président et gestionnaire de projet (2000-2004) et coordinateur local de deux projets
cofinancés par l’Union européenne (2002-2005).
A partir des années quatre-vingt, la récession industrielle mondiale a
déclenché un virage radical de la ville vers un scénario postindustriel :
la majorité des activités économiques se sont soit effondrées soit
reconverties aux activités tertiaires. L’impact démographique de ces
mutations a été considérable : que ce soit en nombre ou en composition, la population a baissé après un pic à 904 616 habitants3
tandis que l’arrivée de nouveaux immigrants a pris des proportions
considérables, atteignant quelque 90 450 personnes4, dont un
pourcentage significatif d’origine roumaine (32%), albanaise (17%)
et marocaine (7%).
Ces changements radicaux ont créé un large éventail de besoins face
au combat pour la sauvegarde d’un tissu social. Les flux migratoires
ont commencé à se manifester durant les années quatre-vingt-dix, se
traduisant par une diminution du nombre d’Italiens et une augmentation du nombre de migrants. A partir de la décennie écoulée, il est
apparu que l’ancienne « FIAT-ville » avait purement et simplement
cessé d’exister : pour survivre en tant que tissu social face à l’émergence de nouveaux besoins et apporter de nouvelles réponses pratiques, Turin a dû revoir ses orientations, ses priorités, ses politiques
et sa manière de vivre. La nouvelle structure démographique a manifestement déclenché un processus inédit d’intégration caractérisé
par un pourcentage de migrants en augmentation constante jusqu’à
son niveau actuel d’environ 10%.
La société turinoise a donc été affectée par une mutation de sa composition et par un processus de paupérisation généralisée provoqué
à la fois par la crise industrielle, par la chute du pouvoir d’achat et
par une récession économique écrasante. Une partie de la société a
rejeté la responsabilité de l’appauvrissement ambiant sur les nouveaux arrivants. La ville a dès lors connu plus ou moins le même parcours d’exclusion et de discrimination que trente ans plus tôt, si ce
n’est que, cette fois, il ne s’agissait plus d’un ostracisme des populations du Nord du pays envers des immigrés de l’intérieur arrivant du
Sud, mais de discriminations de la part des « Italiens » contre les
nouveaux immigrés issus de l’étranger. Le processus d’intégration a
également été influencé par d’autres paramètres tels que la pauvreté généralisée qui limitait l’accès au logement abordable ou la difficulté à trouver un emploi convenable et raisonnablement rémunéré.
La nécessité d’un changement et de trouver des réponses d’ensemble face aux nouveaux impératifs sociaux a eu des conséquences
de deux ordres, la tentative de stabilisation de l’environnement social
par la modification et le renouvellement du scénario urbain ayant
débouché sur de nouvelles menaces d’exclusion sociale et de paupérisation. D’une part, la reconversion de la cité industrielle en destination culturelle et touristique a entraîné un réagencement complet du
tissu urbain : de nouvelles zones résidentielles ont poussé sur les
friches industrielles tandis que les quartiers les plus anciens ont été
rénovés et que diverses activités se sont développées dans le secteur
tertiaire. D’autre part, la paupérisation générale, les difficultés pour
décrocher un emploi pérenne et l’augmentation des loyers dans les
quartiers rénovés ont chassé du centre-ville la frange inférieure des
classes moyennes tandis que la sécurité au plan du logement des
publics sociaux les plus vulnérables s’est trouvée menacée et est rapidement devenue une problématique prioritaire.
Dans une société en mutation, la problématique de l’exclusion sociale
et l’éventail des difficultés et facteurs en jeu ont, eux aussi, évolué : les
facteurs d’exclusion du logement ont émergé d’un ensemble de problèmes sociaux existants et de nouvelles difficultés liées, entre autres,
au pourcentage élevé d’hommes d’un certain âge, longtemps
employés dans l’industrie et désormais sans emploi, ainsi qu’aux problèmes associés à l’immigration. L’appauvrissement général du tissu
social a également donné naissance au phénomène dit de « pauvreté
grise ». Cette expression désigne le nombre extraordinairement élevé
de personnes5 qui, bien que disposant d’un appartement, vivent nettement en dessous du seuil de pauvreté. Or, en Italie, du fait de l’interprétation unidimensionnelle donnée à l’exclusion liée au logement
– dont la définition, strictement fondée sur le logement, n’inclut que
les sans domicile fixe –, la « pauvreté grise » n’est pas considérée
comme relevant de la même problématique. Or, si la pauvreté grise
subsiste notoirement sans faire pratiquement l’objet d’aucun suivi,
l’exclusion liée au logement au sens large est de plus en plus manifeste et visible.
L’évolution du tissu social et l’émergence de nouvelles problématiques d’exclusion sociale ont fait l’objet d’un suivi constant de la
part des autorités locales par le biais d’un dialogue productif entre
les acteurs locaux concernés (structures bénévoles et ONG6) et la
municipalité. Jusqu’à la fin des années soixante-dix, la majorité des
services sociaux étaient gérés par des associations bénévoles. En
1981, l’Office des adultes en difficulté7 a ouvert ses portes pour
prendre en main la gestion et l’orientation des services et interventions. Les nouveaux besoins sociaux manifestes et les politiques lancées pour les rencontrer ont entraîné le développement et la différenciation croissante des prises en charge. Leur développement
résulte également d’un effet bien connu : la fréquentation des structures d’accès direct pour personnes sans abri augmente à mesure de
5
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
La Ville de Turin sera bientôt sous les feux de toute l’actualité européenne en tant qu’organisatrice des Jeux olympiques d’hiver 2006.
Comme n’importe quelle autre grande ville, Turin possède une facette commerciale qui véhicule une image éclatante. Mais elle a aussi
une dimension sociale plus complexe héritée de son histoire. De sa
fondation, au 3e siècle av. J.-C., à son premier grand essor au 18e, la
population de la ville est restée relativement stable. A l’époque, Turin
devient la première capitale de l’Etat unitaire. Au 20e siècle, et plus
particulièrement après les années cinquante, la courbe démographique de la ville a suivi celle de l’essor de ses industries, ce qui lui a
d’ailleurs valu le surnom de FIAT-ville. Durant les années cinquante,
près de 440 000 personnes se sont installées à Turin, dont plus des
deux tiers définitivement. L’immigration intérieure massive en provenance du sud du pays a littéralement métamorphosé la ville : de
petit bourg, elle est devenue une grande agglomération de plus de
1,1 million d’habitants1, dont pratiquement 450 0002 travaillent
dans des secteurs économiques directement tributaires de l’industrie
automobile.
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
6
l’ouverture de nouveaux refuges8. Vers la fin des années quatrevingt-dix, l’éventail des prises en charge disponibles s’est régulièrement étoffé, de même d’ailleurs que le nombre de personnes sansabri recensées. A partir de 1995, un nouveau service ou l’autre a
ouvert ses portes presque chaque année9. C’est également à cette
époque qu’a commencé la mise en place d’un organigramme à trois
niveaux10.
Les moyens, financiers et autres, consacrés par Turin à la lutte contre
l’exclusion liée au logement ont fait de la ville un exemple au niveau
national. Or, cette publicité indirecte a eu un effet paradoxal : les
places créées et disponibles en structures d’accueil ont attiré sur
Turin les personnes sans abri d’autres districts, villes et régions où
aucune politique (efficace) n’est en place. Les dépenses encourues
ont fortement augmenté, au point qu’il a fallu différencier les bénéficiaires devant être pris en charge sur les moyens de la ville des
autres, censés relever de leur collectivité d’origine. Ce tri entre résidents et non-résidents a fini par avoir un impact direct sur l’accès des
personnes aux structures d’hébergement et plus généralement aux
dispositifs de réinsertion11. Afin d’éviter toute discrimination, les
autorités municipales ont finalement accordé une adresse virtuelle à
toutes les personnes sollicitant une aide sociale ou l’accès à une filière de réinsertion. Dès lors, les non-résidents ont, eux aussi, été reconnus comme de « vrais sans-abri turinois ». Malheureusement, cette
louable initiative a, elle aussi, eu un effet pervers : après un an ou
deux, toute la population connaissait le système de domiciliation virtuelle : toute personne domiciliée à une adresse de ce type s’est vue
coller une étiquette de sans-abri ou d’exclu social et a commencé à
éprouver les pires difficultés pour trouver un emploi ou un logement
à cause des préjugés répandus au sein de la population.
L’évolution positive des structures et la diversification progressive de
leur offre ont été la conséquence directe et parallèle d’un processus
de suivi et d’analyse permanent. Les ONG ont largement contribué à
l’élaboration d’une approche pluridimensionnelle du phénomène,
soumettant des propositions et des suggestions à la Municipalité par
le biais de contacts et d’un dialogue constants. Pour sa part, la municipalité a elle-même orienté le mouvement vers l’organisation actuelle des services, c’est-à-dire un organigramme intégré se composant
de services spécifiques destinés à rencontrer des besoins précis12.
Cette nouvelle organisation des services se fonde sur le constat que
les sans-abri sont d’abord et avant tout des êtres humains qui doivent être traités comme des personnes et non comme des « cas
sociaux », voir des « coûts sociaux »13. Comme tout être humain,
les personnes sans abri sont des individus complexes ; aborder leurs
besoins ne peut donc se résumer à entreprendre des « actions
simples » fondées sur la « linéarité ». Ces besoins ne peuvent
davantage se décliner en une série de besoins tels que se loger, travailler, entretenir des relations, être accompagné, recevoir des soins
de santé, etc. Comme n’importe qui, les personnes sans abri éprouvent des besoins spécifiques et personnels, fruit de leur expérience
propre de chacun de ces besoins génériques, selon leur propre parcours personnel et dans le cadre général du contexte pratique et
matériel dans lequel ils vivent, contexte déterminé par les priorités
fixées au niveau politique et par les ressources structurelles pratiques
dont ils disposent pour vivre dignement.
L’offre structurée de services de Turin est le fruit de l’expérience accumulée, de l’expertise, des bonnes pratiques et des contacts réci-
proques constants entre tous les acteurs concernés.14 Au cours des
années quatre-vingt-dix, ces efforts ont débouché sur la création de
Tables rondes spécifiques se réunissant régulièrement autour de
diverses actions ou en assemblée périodique. Dans un premier
temps, elles sont restées informelles, ayant simplement pour objet de
fournir à tous les acteurs un lieu de rencontre, d’échange d’analyses
et de bonnes pratiques et de débat autour d’urgences spécifiques
débouchant sur l’élaboration de lignes d’action commune.
L’officialisation et la définition formelle de ces Tables rondes ne sont
intervenues que plus tard, en application de la Loi 328 du 08
novembre 2000 intitulée « Loi cadre portant création de systèmes
intégrés d’intervention dans les politiques sociales »15.
La décentralisation de la structure d’intervention clairement imposée
par la Loi 328/00 a permis d’influer sur les politiques sociales
publiques à l’échelon local par le biais de la participation aux travaux
des Tables rondes et rencontres périodiques organisées dans le cadre
des Plans d’action locaux (Piani di Zona en italien), auxquelles tous
les acteurs sociaux étaient invités à participer. Le Conseil municipal
de Turin a officiellement reconnu plusieurs Tables rondes, parmi lesquelles la « Table ronde sur l’exclusion sociale », dont la reconnaissance officielle a été sanctionnée en 2001 par la signature des représentants des agences participantes. Depuis sa création, elle a permis
l’émergence de bonnes pratiques en termes de développement d’un
réseau formel réunissant tous les acteurs sociaux concernés par l’élaboration de nouveaux services de lutte contre l’exclusion sociale. Ce
réseau est ouvert, afin de permettre à de nouveaux membres de s’y
associer. Les réseaux couvrent des zones géographiques et des problématiques spécifiques différentes mais ils sont censés interagir et
se retrouver au plus haut niveau politique pour élaborer des politiques intégrées.
En l’état actuel des choses, l’intégration complète des politiques reste
dans une large mesure un vœu pieux, même si certaines interventions
spécifiques au niveau des prises en charge sont d’ores et déjà une réalité. Le Centre de premiers soins intégrés (sanitaires et sociaux)16
constitue à cet égard un bel exemple de dispositif d’intervention intégrée en place. Il s’agit d’une structure pluridisciplinaire administrée
par une équipe intégrée17 dont le modèle s’inspire largement de la
méthode ouverte de coordination. La gestion de ce dispositif se fonde
sur l’intégration au sein d’équipes pluridisciplinaires qui se réunissent
régulièrement pour des échanges. Cette approche vise à garantir l’indépendance professionnelle tout en maintenant une ouverture au
dialogue d’ensemble, à la communication et au partage d’informations au sein de la structure et entre ses diverses composantes. Autre
source non négligeable de valeur ajoutée : il s’agit du premier dispositif aussi complexe mis en place à l’endroit exact où le besoin s’en faisait sentir. Cette initiative est le fruit d’une réflexion approfondie et
novatrice pour le secteur des services sociaux qui, en Italie, fonctionne traditionnellement en partant du double principe que c’est à l’utilisateur d’identifier le service dont il a besoin, de le localiser et de s’y
rendre et qu’il n’est pas souhaitable d’étaler les problèmes de société, et certainement pas dans le centre des villes.
La raison pour laquelle ce dispositif intégré constitue davantage un
bon exemple qu’une pratique courante dans la lutte contre l’exclusion sociale tient à un ensemble de points critiques et de véritables
problèmes. Dans la première catégorie, on trouve une sorte de «
paradoxe institutionnel ». D’une part, le système italien de protec-
Les conséquences de ce paradoxe institutionnel sont doubles. La première concerne le dialogue, pas toujours simple, entre les ONG, les
municipalités et les autres pouvoirs de la collectivité. La difficulté
peut ici tenir à la pression que peuvent faire peser des autorités
locales parfois plus enclines à défendre leurs priorités politiques qu’à
aborder les problèmes pour ce qu’ils sont. Sur cet écueil vient se greffer une problématique corrélée et qui tient aux décisions politiques
prises au plus haut niveau en ce qui concerne des financements
publics qui tendent à diminuer à mesure que la protection sociale
recule dans la liste des priorités de l’Etat.
Autre aspect problématique : les relations entre agences prestataires
de services sociaux sont empreintes de circonspection étant donné
qu’elles sont en concurrence pour obtenir les subsides accordés sur
base d’appels d’offres18. La municipalité confie chaque service à un
seul prestataire dans le cadre d’un contrat temporaire, généralement
d’une durée de deux ans ou plus. Ce système de marchés publics
impose donc aux prestataires de monter des dossiers concurrentiels
pour l’attribution des contrats de gestion des services sociaux locaux
alors même qu’ils sont censés partager leur savoir-faire dans le cadre
des diverses Tables rondes. Dans cette ambiance concurrentielle, le
risque est grand de ne voir l’approche intégrée s’imposer que dans les
cas où elle est structurellement indispensable. En pratique, les prestataires continueront pour le surplus de se fonder sur leur propre expérience et de pratiquer une mise en réseau plus ou moins lâche. Ainsi,
alors que les agences collaborent à des projets d’intervention intégrée
dans le cadre des Tables rondes, elles continuent de se faire concurrence lors des appels d’offre, ce qui ne laisse pas d’avoir des effets
néfastes sur la lutte contre l’exclusion sociale dans son ensemble.
Comme presque partout en Europe, l’Italie est confrontée à un
démantèlement progressif de l’Etat providence, soi-disant dû à divers
intérêts politiques internationaux et à la crise économique généralisée. Dans le cadre de la décentralisation de l’Etat, l’affectation des
marges budgétaires des collectivités territoriales est laissée à leur
entière discrétion. A Turin, cette tendance se manifeste entre autres
par la disparition progressive, au sein des équipes d’intervention
sociale, des emplois les plus qualifiés19. En effet, ce sont ces postes
hautement qualifiés1qui grèvent le plus lourdement les budgets. Or,
en situation de crise économique, les subsides à répartir par appel
d’offres sont souvent revus à la baisse. On assiste alors à une sorte
de chantage. D’une part, on confie le fonctionnement des dispositifs
aux ONG parce qu’elles possèdent l’expérience et les compétences
requises et présentent donc une valeur ajoutée reconnue en termes
de mission, de méthode et d’objectifs.
D’autre part, pour tout ce qui touche à la dotation, on ne reconnaît
pas la valeur ajoutée de ce travail social20. Etant donné que, toujours
en application de la décentralisation, toute collectivité locale dispose
librement de ses fonds propres, chaque ONG a désormais le choix
entre solliciter pour son personnel un salaire d’assistant ou une
rémunération adaptée aux tâches qui lui seront probablement
confiées dans la réalité, c’est-à-dire celles d’un travailleur social à
part entière21.
Les contingences économiques ne constituent qu’une source parmi
d’autres de paradoxes de cet ordre. Deux autres sont ici particulièrement prégnants. Ils touchent aux procédures opérationnelles et au
processus décisionnel. Les procédures opérationnelles consistent
généralement en une série d’activités préétablies sur base de la
reconnaissance mutuelle de diverses compétences. Ainsi, même si la
Municipalité ne reconnaît formellement à la plupart des travailleurs
sociaux des ONG que le statut d’assistant22, il n’est pas rare que les
fonctionnaires de services sociaux, à qui incombe la responsabilité
des utilisateurs des services, ne fasse eux-mêmes l’objet d’aucun
contrôle quant à leur évaluation des prestations des ONG au quotidien, au risque de laisser s’installer le paradoxe bien connu de l’éloignement entre le travail de terrain au jour le jour et les visites institutionnelles périodiques. Malheureusement, alors que le travailleur
social de terrain ne jouit d’aucune reconnaissance officielle, le fonctionnaire éloigné des réalités dispose du pouvoir de prendre toutes
les décisions. En l’absence de tout garde-fou structurel, le bon fonctionnement des procédures opérationnelles dépend de l’honnêteté
intellectuelle des deux parties en présence, d’autant que la systématisation de la reconnaissance mutuelle se fait attendre.
Le second paradoxe est en quelque sorte une variante du premier.
Les Tables rondes constituent un forum particulièrement novateur de
reconnaissance institutionnelle de la nécessité d’intégrer les services
sociaux. Toutefois, du fait de la situation dans laquelle se trouvent
leurs divers acteurs, le risque existe de voir la valeur ajoutée tangible
des Tables rondes se résumer à des analyses communes et à un
échange d’expériences. En effet, la Municipalité est souveraine pour
tout ce qui touche au libellé des appels d’offres. Elle fixe donc les
modalités de rétribution de l’effort, de l’expérience, de la compétence et du professionnalisme et détermine le montant des enveloppes
budgétaires. Quant aux ONG, elles disposent indiscutablement du
savoir-faire, de l’expérience, de la souplesse et de la connaissance
des problématiques de terrain. Malheureusement, elles se retrouvent
tous les deux ans en situation de concurrence pour répondre aux
appels d’offre et n’ont jamais le loisir de débattre avec l’autorité
adjudicataire des « erreurs de perception » qu’elles rencontrent
dans les appels d’offre23.
Ces situations problématiques et autres paradoxes structurels relèvent de points critiques qui renvoient davantage à des problématiques politiques et culturelles générales qu’à la lutte de terrain
contre l’exclusion sociale et l’exclusion du logement. Leurs conséquences peuvent toutefois êtres considérables et leur impact en
termes de difficultés rencontrées au jour le jour dans la structuration
d’actions intégrées risque lui aussi d’être significatif. Gérer ces « jeux
de pouvoir structurels » constitue probablement la prochaine étape
à laquelle le réseau local va devoir s’attacher afin de poursuivre sur
la voie du succès tracée en matière de coordination et de collaboration à tous les niveaux entre le secteur public et le secteur privé. •
Voir les notes de bas de page sur la page suivante >>
7
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
tion sociale s’attache à proposer des services spécifiques ciblés sur
des problématiques précises selon une logique verticale cloisonnée
par domaines d’intervention. Cette approche verticale apporte des
réponses il est vrai précises mais peu adaptées à la complexité prismatique de l’exclusion sociale. D’autre part, la Loi 238/2000 se
fonde sur le principe de la décentralisation et vise à maximiser les
interventions intégrées de terrain tandis que la mission des Tables
rondes consiste, en collaboration avec les Conseils municipaux, à
évaluer les dispositifs existants, à orienter les priorités pour l’avenir et
à assurer le cadrage économique des services. De ce fait, la structure de protection sociale est distribuée tout en étant censément horizontale et coordonnée. La coexistence de ces deux approches structurelles radicalement différentes, voire contradictoires, expose l’ensemble du système à des difficultés importantes.
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
1
Données démographiques : www.cronologia.it/demog.00.htm et www.demo.istat.it * (recensement officiel).
année :
1935
population : 647 997
1951*
719 300
1961*
1971*
1 025 822 1 177 939
1981*
1 117 154
1991*
962 507
2003
861 644
2
M. Revelli, Travailler chez Fiat, www.geocities.com/alpcub/fiatrev2.html - 158 445.
3
Chiffres au 29 février 2004 (Office statistique de la Municipalité de Turin).
4
Chiffres au 1er janvier 2004 (Office statistique pastoral des migrations : www.diocesi.torino.it/
curia/migranti).
5
On estime à quelque 90 000 le nombre de personnes qui vivent en situation de « pauvreté
grise » à Turin. Sur le plan national, 11,8 % de la population sont menacés de pauvreté, ce qui
représente 2 360 000 familles, ou encore 6 686 000 personnes (données : www.istat.it).
6
L’acronyme « ONG » est ici employé au sens large pour désigner des structures aussi diverses
que variées, y compris toutes sortes de coopératives, de fondations, d’organismes privés du
tiers secteur, etc.
7
L’ « Ufficio Adulti in Difficoltà » (littéralement, « Office des adultes en difficulté ») a ouvert ses
portes en 1981 en prélude à la création d’un réseau local des services aux personnes sans abri
de Turin.
8
8
L’inventaire des données réalisé par le « Service des réservations et du suivi » illustre cette
sortie de l’ombre systématique des sans-abri cachés. Les données officielles de la municipalité présentées ci-dessous montrent, par année, le nombre de personnes seules ayant fréquenté les dortoirs publics de la ville (nombre de personnes qui se sont partagé les 155 lits disponibles par nuit) :
année
2000
2001
2002
2003
2004
hommes
460
613
616
686
650
femmes
66
92
93
129
129
total
526
705
709
815
779
Italiens
379
499
485
503
508
immigrés
147
206
224
312
271
15
9
Les dortoirs temporaires, ouverts dans le cadre du Programme d’urgence hivernale, sont simplement restés ouverts le printemps venu et sont ainsi devenus permanents. A d’autres
moments, ce sont les fonds d’urgence de l’Etat qui ont été mobilisés.
10
Les structures des trois échelons se différencient par leur seuil d’accessibilité, leurs heures
d’ouverture et l’existence d’un éventuel programme éducatif. Il s’agit :
• la définition des droits civils et sociaux, c’est-à-dire de l’accompagnement social minimum,
relève de l’Etat;
• en ce qui concerne l’accompagnement social minimum, le Gouvernement italien élabore des
Plans d’action sectoriels ;
• la planification, la coordination et la gestion sont du ressort des autorités régionales, en collaboration avec les municipalités ;
• les gouvernements régionaux agissent au niveau régional ;
• les municipalités élaboreront des Plans d’action locaux afin d’intervenir sur les problématiques prioritaires. Un dispositif de surveillance devrait évaluer le système dans son
ensemble… ».
Les conditions d’application sont donc tributaires d’une planification et d’un financement régionaux. Dès lors, certaines demandes ne sont pas rencontrées. Comme le reconnaît le dernier
PAN en date : « …si la majorité des autorités régionales ont entrepris la rédaction d’un premier Plan d’action locale, seules quelques-unes ont mené l’exercice à son terme… ».
16
Ce service, installé en gare Centrale de Turin, a ouvert ses portes en mai 2000 pour apporter
une réponse de terrain, sous forme de premiers soins, face à la menace d’une épidémie de dermatite épidermique (principalement la gale) sévissant parmi les sans domicile fixe (surtout les
plus âgés) fréquentant la gare et ses environs.
17
L’équipe de coordination se compose des éléments suivants : des médecins de l’ASL 1 (les
services de santé municipaux), des psychiatres du Service municipal de prise en charge des
troubles mentaux, des psychologues et des pédagogues du Centre local de prévention des toxicomanies, des infirmières de la Croix-Rouge italienne, des travailleurs sociaux de l’Office des
adultes en difficulté et de diverses ONG ainsi que des répondants issus de structures bénévoles.
18
La Loi 328/00 suggère de supprimer cette procédure d’appel d’offres et recommande la création
de Tables rondes auxquelles ne seront conviées que les agences dont l’aptitude professionnelle à
traiter telle ou telle problématique spécifique est reconnue. Cette nouvelle approche n’a pas encore été mise en pratique.
19
En matière de travail social, la hiérarchie des titres académiques s’établit comme suit : travailleurs sociaux diplômés, éducateurs sociaux diplômés, détenteurs du titre d’assistant sociosanitaire.
20
La rémunération mensuelle brute d’un assistant socio-sanitaire à plein-temps (soit 80 % des
postes à pourvoir selon l’organigramme de la Municipalité) se monte à environ ? 1 207, soit un
revenu mensuel net de quelque ? 940. Or, en Italie, le seuil de pauvreté relative est actuellement fixé à ? 869 nets par mois, soit à peine moins que ce que la Municipalité accorde à des
travailleurs censés lutter contre l’exclusion sociale. Plus paradoxal encore : le salaire mensuel
versé aux participants du programme de réinsertion professionnelle est largement inférieur à
ce seuil puisqu’il se monte à environ ? 250 pour un emploi de réactivation à temps partiel et à
plus ou moins ? 500 pour un emploi à temps plein. Ainsi, les revenus des personnes sans abri
qui franchissent le premier pas vers une réinsertion professionnelle les placent à la limite du
seuil de pauvreté absolue, fixé à ? 589 par mois.
21
Etant donné la conjoncture économique, les psychologues, sociologues, formateurs et autres
professionnels sont en train de disparaître purement et simplement de l’évaluation formelle et
officielle. Or, si les mêmes tâches sont réalisées par des bénévoles, les évaluations grimpent
en flèche.
22
Dans certaines ONG, la majorité des assistants socio-sanitaires sont en fait des travailleurs
sociaux surqualifiés qui, pour trouver un emploi, se contentent d’un poste moins rémunérateur et
moins porteur de reconnaissance et de satisfaction professionnelles.
23
Le dernier appel d’offres contenait manifestement de grossières erreurs d’estimation des coûts
directs des structures. Etant donné que les ONG ne peuvent dépasser les plafonds fixés de plus
de 15 % dans leur offre sous peine de perdre le remboursement de leurs frais de fonctionnement et leurs locaux, elles sont inévitablement confrontées à de graves difficultés budgétaires.
Le risque est de voir la protection sociale perdre en expérience et en compétences ce qu’elle
gagnera par des coupes budgétaires.
1- du travail social de rue, des structures publiques, des refuges et des dortoirs ;
2- premier échelon : refuges temporaires ;
3- second échelon : résidences communautaires et logement collectif.
11
Le logement en structures d’accès direct est garanti pour trente nuits pour les résidents de la
ville contre sept pour les non-résidents, tandis que l’accès de tous les dispositifs de premier et
de second échelons est réservé aux habitants de Turin.
12
En mai 2005, l’appel d’offre aux ONG prestataires de services prescrivait l’organigramme suivant :
• Structures directement accessibles : huit dortoirs publics (pour une capacité d’accueil
cumulée de 155 lits), un service d’action sociale de jour, un SAMU social mobile nocturne,
un centre d’appel téléphonique, un centre de premiers soins intégrés (sanitaires et sociaux)
de jour et un laboratoire de pré-réinsertion ;
• Services de premier échelon : trois dortoirs de transit (dont un réservé aux femmes et un
autre aux personnes âgées ou malades ; 50 places);
• Services de second échelon : trois résidences communautaires dont une réservée aux
femmes et une autre aux personnes âgées ou malades ; 12 places), huit maisons partagées
(dont deux réservées aux femmes et une autre aux personnes âgées ou malades ; 50
places).
13
Personne ne reconnaîtra jamais officiellement l’étiquette de « cas sociaux » ou de « coûts
sociaux » collée aux personnes sans abri. C’est pourtant bien ce qui se passe dans la réalité
lorsqu’on se fonde sur un a priori implicite pour définir l’exclusion du logement, par exemple
parce qu’un budget annuel est plus tangible que le coût social total de politiques intégrées.
14
Le nombre de places disponibles dans l’ensembles des différentes structures (de tous les types
– publics, privés, associatifs, réligieux) est de 900 – données officielles en provenance de
l’Office des adultes en difficulté.
En application du principe de subsidiarité, cette réglementation permet aux autorités locales
d’élaborer et d’adopter des Directives spécifiques visant à promouvoir la réalisation de vraies
politiques intégrées. Cette législation est conçue pour encourager la décentralisation des responsabilités du pouvoir central vers les municipalités et les autorités locales. La Loi 328/2000
est une loi de financement relevant de l’autorité exclusive des Régions et donc de leurs propres
priorités territoriales. Elle prévoit un certain nombre d’obligations précises : « …
s
se
Eco
Autorités locales en Ecosse: « moteurs du changement »
dans la stratégie de lutte contre l’exclusion liée au logement
Par Robert Aldridge
Le nouveau cadre législatif relatif à l’exclusion liée au logement mis
en place en Ecosse donnera à chaque personne sans domicile le
droit à un logement à partir de 2012. Cependant, le simple fait de
créer un devoir légal de loger les personnes sans domicile ne suffit
pas à garantir la réalisation de ce droit, et la loi, à elle seule, pourrait
bien ne pas entraîner les changements radicaux nécessaires.
Les Lignes ont différentes finalités. Elles sont utilisées comme un outil
de référence pour les employés des autorités locales chargés d’évaluer l’exclusion liée au logement. Elles sont utilisées par ceux qui élaborent des politiques et des pratiques au niveau local au sein des
pouvoirs locaux. Les organisations impliquées dans le plaidoyer pour
les personnes sans domicile les utilisent également.
Un changement de culture important est nécessaire dans la façon
dont l’exclusion liée au logement est abordée. Il s’agit là d’une question très vaste qui a des implications sur le terrain pour toute une
série de services différents et également une incidence sur les changements au niveau des stratégies et des politiques. Les choses ont
déjà commencé à bouger, mais il faudra du temps pour faire en sorte
que les différentes politiques et pratiques ne se contredisent pas les
unes les autres.
Les nouvelles Lignes directrices écossaises entreprennent aussi de
définir de façon claire la nouvelle culture de comment l’exclusion liée
au logement doit être considérée. Elles incluront au fil du temps des
exemples de bonnes pratiques susceptibles d’être adoptées. Les
Lignes directrices sont constituées de trois éléments principaux :
description de la loi, avis sur comment la loi devrait être mise en
œuvre et exemples de bonnes pratiques, de pratiques nouvelles ou
innovatrices.
Ces changements impliquent que l’on mette l’accent sur la prévention de l’exclusion liée au logement lorsque c’est possible, que l’expérience de la crise liée à cette forme extrême d’exclusion soit la plus
brève possible, et enfin que l’on trouve des solutions à long terme.
De façon plus profonde, cela requiert que l’on passe d’une conception qui met l’accent sur des équipes dont le rôle actuel est celui de
« portiers » régulant l’accès aux différents services, à une vision
dans laquelle on permettrait aux personnes d’accéder par ellesmêmes aux services dont elles ont besoin. Pour être efficace, cette
approche nécessite des partenariats entre les agences gouvernementales et les ONG et des partenariats entre les différentes disciplines professionnelles.
Etant donné que la nouvelle législation écossaise sur l’exclusion liée
au logement sera mise en oeuvre de manière graduelle sur une
période de dix ans, les Lignes directrices seront revues régulièrement
de façon à pouvoir prendre en compte les nouveaux aspects de la
législation dès qu’ils entrent en vigueur.
Afin de compléter la législation en vigueur, le gouvernement central
écossais (l’exécutif écossais - Scottish Executive) a publié des nouvelles Lignes directrices sur la mise en place de la législation relative
à l’exclusion liée au logement. Le Royaume Uni avait adopté une
législation en la matière en 1978, des Lignes directrices ayant été
élaborées depuis 1980 environ, en vue de fournir des conseils sur la
façon de mettre en œuvre cette législation.
Les Lignes directrices offrent des avis détaillés de mise en œuvre de
la législation. La loi dit que les autorités locales « doivent les prendre
en considération » dans les politiques développées ainsi que dans la
pratique. Le fait de ne pas en tenir compte constitue une raison suffisante permettant à une personne sans domicile d’intenter un procès contre les autorités locales en question.
La version définitive des Lignes directrices sera toujours disponible en
ligne. Il en existe également une version imprimée. Etant donné les
nombreux changements que l’on prévoit dans les deux ou trois prochaines années, cette version aura un format facile à mettre à jour
(classeur avec anneaux).
Les Lignes directrices sont publiées par l’Exécutif écossais – Scottish
Executive (le gouvernement responsable en Ecosse). Elles ont été
rédigées à travers un processus de consultation avec toutes les parties intéressées, y compris les ONG et les autorités locales. Un petit
comité directeur composé d’ONG nationales, de représentants des
autorités locales, d’un représentant de l’agence nationale chargé de
l’inspection des services pour sans domicile des collectivités locales et
9
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
Les collectivités locales constituent un maillon crucial dans la mise en
oeuvre du nouveau cadre législatif. Lors de l’élaboration du cadre, il
a été reconnu que les autorités locales seraient les « moteurs du
changement ». Elles ont une double rôle : un rôle stratégique en
tant que facilitateurs permettant la rencontre entre les différents
agences partenaires au niveau local, et en tant qu’organisations
ayant pour obligation légale de garantir que les personnes sans
domicile aient accès à un logement. Les autorités locales ont également l’obligation légale de développer et de mettre en œuvre des
stratégies visant à prévenir et à aborder l’exclusion liée au logement
dans leur région, en coopération avec d’autres organismes.
Par exemple, à l’avenir la loi prévoira que les personnes qui deviennent sans domicile « intentionnellement » seront traitées différemment (parce qu’elles ont délibérément fait ou omis de faire quelque
chose et que cela a provoqué la perte de leur logement).
Actuellement, ces personnes ont droit à un logement temporaire
pour une période raisonnable combiné avec le droit à une assistance-conseil en vue de trouver un logement. Selon les nouvelles dispositions (qui devraient être effectives en 2006), les autorités locales
auront une obligation légale à leur fournir une location de brève
durée (12 mois) et à les aider également à résoudre les problèmes qui
les ont menés à l’exclusion intentionnelle. Par exemple, si leur problème est lié aux arriérés de loyer, on leur offrira des conseils relatifs
à la gestion de l’argent et de l’aide pour résoudre leur problème de
dettes. S’il s’agit d’un problème de comportement, on leur proposera de l’aide pour résoudre leur problème comportemental. A l’issue
des douze mois, si le locataire suit le programme de soutien, le bail
de brève durée sera automatiquement transformé en location à
durée indéterminée. Un nouveau chapitre sera alors publié lorsque
cet élément de la législation sera mis en œuvre.
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
10
des associations de logement social, et un représentant de l’organisme professionnel des personnes travaillant dans le secteur du logement, ont débattu en détail du Code avant qu’il ne soit finalement
publié.
Les nouvelles Lignes directrices mettent l’accent sur la prévention de
l’exclusion liée au logement et sur l’importance de fournir de l’information et des conseils de bonne qualité. Elles soulignent que les
autorités locales devraient disposer de procédures qui garantissent
que des personnes ne quittent pas les institutions (comme la prison,
l’hôpital ou l’armée) pour se retrouver ensuite sans domicile. Les
Lignes directrices encouragent en outre les autorités locales à garantir que leurs politiques concernant les arriérés de loyer soient autant
que possible cohérentes avec la prévention de l’exclusion liée au
logement.
Les nouvelles Lignes établissent des liens entre la santé et l’exclusion
liée au logement et soulignent l’importance de l’emploi et du fait de
garantir aux personnes sans domicile l’accès à des réseaux sociaux
comme étant une partie des mesures qui garantissent sur le long
terme et de manière durable des solutions à l’exclusion.
Un des chapitres est consacré aux différentes manières de travailler.
Il souligne que ce n’est qu’en développant une approche de partenariat à part entière et incluant les différentes agences impliquées
que des solutions pourront être trouvées dans la lutte contre l’exclusion liée au logement. Il insiste sur le fait que les autorités locales
devraient essayer de répondre aux besoins des personnes sans domicile sur base personnelle, en prenant en considération la situation
unique de chaque individu. De même, le développement de politiques et de réponses pratiques à l’exclusion liée au logement doit se
faire avec l’aide des personnes sans domiciles elles-mêmes.
Le plus important est que les Lignes directrices insistent sur la nouvelle approche face à l’exclusion liée au logement. Cela signifie un
pas en avant par rapport à l’approche « case à cocher » du « estce que vous remplissez les critères pour recevoir de l’aide ? », pour
aller vers l’approche qui veut que si une personne est sans domicile,
nous essayons de répondre à ses besoins sans nous soucier des critères.
Les Lignes directrices sont disponibles en ligne à l’adresse suivante :
http://www.scotland.gov.uk/homelessness
Sur le terrain, la mise en œuvre du nouveau cadre est plus efficace
dans certaines régions que dans d’autres. Pourtant, toutes les autorités locales travaillent actuellement à l’exécution de leur stratégie de
lutte contre l’exclusion liée au logement, en partenariat avec d’autres
acteurs. L’implication des commissions de santé locales se fait à travers
leurs plans d’action relatifs à la santé et à la lutte contre l’exclusion liée
au logement. Dans le cadre de l’exécution de leurs plans, ces dernières
aussi bien que les autorités locales devraient travailler en collaboration
avec les ONG et les personnes sans domicile elles-mêmes.
Il a été demandé à chaque collectivité locale de soumettre un rapport
sur l’état d’avancement de leur plan à l’Exécutif écossais (Scottish
Executive) pour la fin de mai 2005. Les rapports sont actuellement
analysés afin de déterminer quelles sont les domaines où les autorités locales nécessitent de davantage de soutien pour réaliser leurs
objectifs.
En même temps, un programme de cinq ans prévoit que l’on examine en détail les actions dans le domaine de l’exclusion liée au logement de chacune des 32 collectivités locales. Une analyse reprenant
les résultats de la première série d’inspections vient d’être publiée.
Elle démontre l’existence de changements culturels en cours, qui se
traduisent par le fait que tous les conseils se dirigent vers la prévention de l’exclusion liée au logement et qu’ils travaillaient tous en partenariat, en particulier pour ce qui a trait à l’exclusion des jeunes.
Cependant, il est apparu aussi que du personnel de première ligne
continuaient à décourager les personnes sans domicile de demander
de l’aide et que plusieurs d’entre eux avaient perdu de vue les personnes rencontrées à la rue après un premier contact.
Les inspecteurs ont découvert de nombreux exemples de pratiques
innovatrices de coopération entre autorités locales et ONG. Par
exemple, les autorités locales d’une municipalité avaient pour habitude de passer une fois par semaine au centre de jour de la branche
locale de l’Armée du Salut. D’autres autorités locales employaient les
conseillers légaux indépendants d’une ONG pour conseiller et informer les personnes sans domicile (et celles qui courraient le risque de
le devenir) sur leurs droits. D’autres travaillaient avec des ONG dans
les prisons en vue de prévenir l’exclusion liée au logement parmi les
ex-détenus une fois qu’ils seraient libérés.
Toutes les autorités locales travaillent maintenant en partenariat en
vue de proposer des régimes de dépôt de caution pour les personnes
sans domicile leur permettant un accès plus aisé à la location de
logements privés lorsque c’est approprié. D’autres travaillent avec
des ONG en vue de consulter les personnes sans domicile au sujet de
leur expérience des services pour sans domicile et de comment ces
derniers pourraient être améliorés.
Il y a autant de pratiques que de collectivités locales. Mais l’image
générale qui se dégage est celle de la constitution de véritables partenariats entre les autorités publiques et les ONG se construisant sur
le long terme et ayant pour but d’aborder la question des besoins
des personnes sans domicile.
L’Ecosse est encore au tout début de ce processus, et il y a encore
beaucoup de chemin à parcourir avant que la vision du nouveau
cadre législatif sur l’exclusion liée au logement ne soit réalisée.
Pourtant, les autorités locales ont accepté dans la majorité des cas
leur rôle de « moteurs du changement », en étant à la tête de partenariats qui fonctionnent, même si d’aucuns restent sceptiques. •
n
de
Irla
Le rôle des collectivités locales dans la
lutte contre le sans-abrisme et l’exclusion
au logement: la république d’Irlande.
Par Noeleen Hartigan, Simon Communities of Ireland
CONTEXTE GÉNÉRAL
Les politiques envers le sans-abrisme et l’exclusion au logement en ce qui concerne les collectivités
locales en Irlande sont régies par deux sources, la Loi sur le Logement de 1988 et la Stratégie Intégrée
sur le Sans-Abrisme et l’Exclusion au logement de mai 2000. La Loi sur le Logement de 1988 prévoit
une définition légale du sans-abrisme1 et exclusion au logement ; elle oblige les collectivités locales à
évaluer le nombre de personnes dans cette situation au moins tous les trois ans ; la Loi spécifie le rôle
des collectivités locales comme l’instance adéquate responsable pour les besoins des personnes en
situation d’exclusion au logement ; elle détermine que des schémas de priorités en matière d’attribution de logement par les collectivités locales soient établis ; elle attribue des pouvoirs supplémentaires aux collectivités locales pour répondre à la question des sans-abri et sans-domicile pour organiser et financer les hébergements d’urgence, contacter une instance de santé ou une association
volontaire pour l’approvisionnement d’hébergements d’urgence et/ou contribuer en dons auprès des
œuvres caritatives pour les coûts de fonctionnement des hébergements que ces derniers fournissent
; enfin elle leur donne pouvoir d’attribuer des logements en provenance de leur propre parc directement aux personnes considérées comme sans-abri et exclues du logement. Essentiellement la Loi n’a
pas obligé les collectivités locales à héberger les personnes considérées comme sans-domicile.
Sous la « Stratégie intégrée sur le Sans-abrisme et l’exclusion au logement » chaque collectivité locale a été appelée à mettre en place un conseil de sans-abri et sans-domicile afin d’évaluer et de pourvoir à leurs besoins dans leur région. Ces conseils réunissent les principaux acteurs institutionnels :
i.e. les collectivités locales qui sont responsables de répondre aux besoins en matière de logement
des personnes, les institutions de santé qui sont tenues de répondre aux besoins en matière de santé,
et les prestataires de services des œuvres caritatives. D’autres autorités statutaires comme les services
de probation et de services sociaux et les agences pour l’emploi et la formation sont également
impliqués dans certains de ces conseils.
L’AGENCE DE DUBLIN SUR LE SANS-ABRISME ET L’EXCLUSION AU LOGEMENT
Selon les statistiques officielles2 il y a 5 581 personnes actuellement sans-abri et exclu du logement en
Irlande, dont 1 4000 enfants. Plus de 70% des instances enregistrées ici ont lieu dans la grande région
de Dublin. Avant cette stratégie gouvernementale des groupes d’organisations statutaires et caritatives
étaient déjà établis. En plus des réunions régulières des conseils des sans-domicile établis à travers le
reste du pays, il a été décidé que la structure existante à Dublin soit plus formellement établie et qu’une
agence spécifique soit mise en place avec la responsabilité de gérer et coordonner les différents services
destinés aux personnes sans-abri et exclues du logement dans la région de Dublin.
STRUCTURE ET VISION
EVOLUTION DE PRIORITÉ
Cette dernière stratégie, la deuxième de l’Agence, a changé la priorité sur le dispositif d’urgence vers
la prévention, en fournissant du logement particulièrement aux personnes sans-abri ou sans-domicile seules et à la disposition des services d’aide à l’établissement (à long terme).
11
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
L’Agence est une structure de partenariats, rassemblant les acteurs associatifs et institutionnels responsables de la planification, ainsi que le financement et la prestation de services effectués auprès des
personnes sans-domicile ou exclues du logement. Dans la région de Dublin il y a en tout : quatre municipalités, trois autorités médicales (lesquelles sont en pleine réforme structurelle importante) et plus de
80 différents projets spécifiques à la question sans-abri et exclusion du logement administrés par 40
différentes organisations caritatives. L’Agence coordonne les activités de ces différentes instances selon
un accord de plan stratégique pour la région. Le dernier plan stratégique, pour 2004-2006 a un objectif ambitieux, étant donné l’ensemble des acteurs qui y sont impliqués. Cet objectif est :
En 2010 les sans-abri et sans-domicile à long-terme et les besoins des personnes en situation
d’urgence sociale devraient disparaître de Dublin. Le risque qu’une personne ou une famille
devienne sans-abri ou sans-domicile serait minime étant donné les efforts en politiques et services de prévention. Au cas où il y a des cas de sans-abri ou sans-domicile ils ne seront qu’à court
terme et toute personne dans cette situation sera dirigée vers des logements adéquats et aidée
pour exploiter son plein potentiel et garanti ses droits en tant que citoyen.
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
12
Il y a toujours une
tension continuelle pour
assurer que les acteurs
institutionnels
reconnaissent leur
responsabilité à
répondre aux besoins
des personnes sansabri ou sans-domicile.
Le plus grand changement ici est la priorité donnée à chacune des autorités locales en matière de
logement sur la région de Dublin, où chacune d’entre elles s’engage au sein de ce plan. Chaque collectivité locale s’est ainsi engagée à :
• S’assurer du fonctionnement effectif des conseils des sans-abri et sans-domicile dans leurs quartiers
• S’assurer que l’approvisionnement de l’information, des conseils, des revendications, des services
de référence et d’accompagnement soit maintenu
• S’assurer que la liste des logements et attributions reflète le profile des familles exclues du logement dans la région
• Répondre aux besoins médicaux et bien-être des usagers (la responsabilité principale revenant à
l’autorité médicale concernée)
Certaines des collectivités locales se sont fixées des objectifs précis soit en terme de nombres d’unités
d’hébergement ou en terme de proportion des attributions à effectuer directement aux personnes
sans-abri et sans-domicile. Par exemple le conseil municipal de Dublin compte loger 900 ménages
exclus du logement pendant la période de ce plan stratégique. En supplément dans la région de la
ville de Dublin –où sont présents plus de 80% des sans-abri et sans-domicile sur la région de la capitale- cinq conseils de sans-abri seront établis pour coordonner le travail dans leurs quartiers.
MESURES COORDONNÉES ENTRE LES COLLECTIVITÉS LOCALES POUR TRAITER DU
SANS-ABRISME ET DE L’EXCLUSION AU LOGEMENT
En 2004 le gouvernement a annoncé une mesure supplémentaire en matière de stratégies du logement
: les Stratégies du Logement abordable et social. Chaque collectivité locale a dû définir le nombre d’unités de logement transitionnel, de logement accompagné à long-terme et de logement indépendant à
long-terme dont elle aurait besoin pour les personnes sans-abri pendant les 5 prochaines années. Elle
doit également identifier en particulier les besoins en matières de services d’accompagnement au logement et en maraudes et travail de rue. Le Ministère de l’Environnement a annoncé qu’il se baserait sur
les plans stratégiques pour l’allocation budgétaire pour la période de 5 ans. La Communauté de Simon
est favorable à cette mesure qui annonce la tendance vers une normalisation (mainstreaming) des
besoins en logement des personnes sans-domicile ou sans-abri dans l’ensemble du dispositif de logement traditionnel. Toutefois, au jour d’aujourd’hui il n’y a pas encore eu d’évaluation quant à l’application de ces plans et leur cohérence avec les plans stratégiques envers les sans-abri et sans-domicile. Une
grande crainte serait qu’avec la faiblesse des données officielles sur le sans-abrisme et l’exclusion du
logement, et, selon notre expérience, avec le manque de consultation avec les prestataires de services
aux sans-abri et sans-domicile dans l’identification des objectifs et ciblages de ces plans, ces derniers vont
probablement sous-estimer les vrais besoins et ainsi prévoir une attribution insuffisante de logement.
DÉFIS
En général l’Agence a été prolifique dans son travail de coordination des services dans la région de
l’agglomération dublinoise, ayant rassemblé les différents acteurs institutionnels et associatifs et
haussé le niveau (et la qualité) des prestations services pour les personnes sans-abri ou sans-domicile. La seule réserve émise envers la structure et l’efficacité de l’Agence est que ni l’Agence ni sa stratégie ne s’appuit sur l’institutionnel. Il y a toujours une tension continuelle pour s’assurer que les
acteurs institutionnels reconnaissent leur responsabilité à répondre aux besoins des personnes sansabri ou sans-domicile. Une évaluation indépendante de la part des responsables gouvernementaux
de la Stratégie Sans-domicile/Sans-abri vient de se terminer. La Communauté de Simon a émis des
recommandations qui ont été intégrées dans cette évaluation, à savoir l’examen de la possibilité
d’étendre le modèle de l’Agence sur l’ensemble du pays. Nous avons également émis la grande
crainte que si cette structure (l’Agence) et ses autorités auxiliaires ne sont pas suffisamment dotées
de pouvoir institutionnel, son objectif de 2010 ne pourrait jamais être atteint. •
1
Définition institutionnelle et légale du Sans-abrisme et exclusion liée au logement
définition dans la section 2 de la Loi sur le Logement, 1998 :
« Une personne est considérée par une instance de logement comme sans-abri/sans-domicile dans le cadre de la présente loi si
(a) il n’existe pas de logement disponible qui, selon le jugement de l’instance, peut être occupé ou demeurer occupé par une personne, en
compagnie de toute autre personne résidant normalement avec elle, ou qui peut à titre raisonnable résider avec elle, ou
(b) cette personne vit à l’hôpital, dans une maison cantonale, dans un hébergement d’urgence ou dans un autre établissement de ce type,
et qui vit ainsi car elle ne dispose pas d’un autre logement disponible tel que défini dans le paragraphe (a)
Cette définition comprend:
• les personnes vivant dans des logements temporaires non sécurisés
• les personnes vivant dans des logements d’urgences tels que les hôtels sociaux ou un hôpital car il n’y a pas d’autres possibilités disponibles
• SDF ou personnes vivant dans la rue
• Victimes de violence conjugales
2
La Communauté de Simon, comme de nombreux autres acteurs institutionnels et associatifs considérerait ce chiffre official comme une
sous-estimation
ni
e
Lett
o
Services pour personnes
sans domicile fixe à Riga
Par Mg.soc. Solvita Rudovica, Municipalité de Riga,Départment social,
Chef d’unité services sociaux. E-mail : [email protected]
Tous les ans, les questions d’exclusion liée au logement et de mendicité deviennent de plus en plus
urgentes dans la ville de Riga, capitale de la Lettonie. Les difficultés d’adaptation à l’accélération du
rythme de vie forcent de plus en plus de personnes à vivre dans des situations de mendicité, d’habitation précaire et de sans-abrisme. La société se doit de prendre en charge ces personnes en situation
précaire. Conformément à la législation nationale de la République de Lettonie, les municipalités sont
obligées de fournir une assistance sociale et des services sociaux aux personnes ne bénéficiant d’aucune protection sociale, y compris des services d’hébergement d’urgence (foyers/foyers de nuit).
Il existe un foyer d’hébergement à Riga qui loge 170 personnes (et jusqu’à 230 personnes pendant
les mois d’hiver). Pendant l’hiver, il est impossible de fournir des services pour toutes les personnes
sans domicile fixe dans l’unique foyer d’hébergement de Riga. Pour cette raison, en 2003 la municipalité de Riga a acheté des services d’hébergement (pour hommes) auprès de différentes organisations. En 2004, le service fut sous-traité à deux organisations non-gouvernementales – l’organisation religieuse « La croix bleu » (jusqu’à 100 places) et “LatAISS” Ltd (jusqu’à 50 places).
Nombre de places disponibles au foyer d’hébergement de Riga en 2004
Institution
Adresse
Service
No.de place
Foyer d’hébergement de Riga
Rue Maskava 208, Riga
Service destiné aux hommes
61
Service du foyer d’hébergement
24h pour hommes
25
Service du foyer d’hébergement
24h destiné aux familles
36
Isolateur
4
Service destiné aux femmes
36
Service du foyer d’hébergement
de 24h destiné aux femmes seules
et femmes avec enfants
14
Rue Barddzinu 2, Riga
Subtotal du foyer d’hébergement de Riga
170
(Pendant les mois de grand
froid jusqu’à 230 places)
Foyer d’hébergement de l’organisation religieuse “la croix
bleue”
Rue Maskava 336, Riga
Foyer de nuit pour hommes
Jusqu’à 100 places
Foyer d’hébergement de
“LatAISS” Ltd.
Rue Bebru 16, Riga
Foyer de nuit pour hommes
Jusqu’à 50 places
13
Les taux élevés de personnes utilisant ces services révèlent l’urgence du problème d’exclusion liée
au logement à Riga. En 2002, ces services gérés par la municipalité de Riga accueillaient 939
personnes sans domicile fixe ou des personnes en situation de crise – en 2003 jusqu’à 1491
personnes ont été logées par ces services1 (1343 personnes au foyer d’hébergement de Riga; 148
personnes dans les foyers de nuit gérés par les organisations non-gouvernementales), et en 2004 ce
chiffre s’est élevé à 1716 personnes (1101 personnes dans le foyer d’hébergement de Riga; 615
personnes dans les foyers gérés par les organisations non-gouvernementales).
Jusqu’à 150 places
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
Subtotal dans les foyers d’hébergement dans les services
des ONGs
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
Un système de collecte de données sur l’exclusion liée au logement à
Riga sera développé et mis en place si possible en 2005.
14
En 2004, parmi les 1 716 utilisateurs des foyers d’hébergement et
foyers de nuit, 1 342 personnes ont été logées dans les services destinés aux hommes, 310 personnes (dont 23 enfants) dans les services
destinés aux femmes seules et femmes avec enfants, et 64 personnes
(dont 33 enfants) logées dans les services destinés aux familles.
Pendant les mois d’hiver de 2004, les services d’hébergement et les
foyers de nuit ont été utilisés en moyenne par environ 385 personnes
par jour – une hausse par rapport aux mois d’hiver de 2003 (350 personnes par jour).
Les chiffres mentionnés reflètent le nombre de personnes qui utilisent
les services d’hébergement, mais ne reflètent pas le nombre total de
personnes sans domicile fixe à Riga. Le nombre total ne peut être
déterminé puisque beaucoup de personnes sans domicile fixe ne cherchent pas à utiliser les services
d’hébergement, et par conséquent il n’existe pas de données concernant ces personnes. Il y a également un phénomène d’exclusion liée au logement de nature « cachée » c’est-à-dire que certaines personnes sans domicile fixe n’ont pas accès à un logement propre et sont obligées de loger
chez des amis ou de la famille.
ETUDES ET RECHERCHE
Etant donné la croissance rapide du nombre de personnes sans domicile fixe à Riga, le personnel de
la municipalité de Riga (département de protection sociale) et le foyer d’hébergement de Riga ont
effectué ensemble une étude du foyer d’hébergement de Riga en février 2003 afin d’identifier les
besoins et les problèmes des personnes sans domicile fixe. L’objectif de l’étude etait d’améliorer: 1)
la qualité de vie des personnes sans domicile fixe; et 2) les chances de réinsertion; en mettant en
place des services sociaux pour ce groupe cible.
211 personnes ont participé à cette étude, y compris 75% des utilisateurs des services d’hébergement de Riga en février 2003.
L’étude a analysé le profil des personnes sans domicile fixe bénéficiant des services d’hébergement:
• A Riga, il y a plus d’hommes que de femmes sans domicile fixe ;
• L’exclusion liée au logement affecte des personnes de toutes générations, mais la majorité des
personnes sont âgées de 41 à 60 ans (62% des personnes sondées);
• La majorité des personnes sans domicile fixe sont solitaires – plusieurs d’entre eux avaient une
famille mais ont désormais de mauvaises relations avec leur ex-femme/ex-mari, ainsi qu’avec leurs
enfants, leurs proches et leurs amis;
• L’exclusion liée au logement affecte non seulement les personnes avec un faible niveau d’éducation, mais également des personnes avec des diplômes d’éducation secondaire (67% des personnes sondées) et des diplômes universitaires (7% des personnes sondées) ;
• Beaucoup de personnes sans domicile fixe ont de sérieux problèmes de santé;
• L’exclusion liée au logement continue d’augmenter à Riga - 78% des personnes sondées se sont
retrouvées sans domicile fixe durant ces cinq dernières années;
• Seuls 27% des personnes sondées au foyer d’hébergement de Riga ont un revenu stable – provenant d’un emploi rémunéré ou une pension d’invalidité ou de retraite;
• Etant donnée que beaucoup d’utilisateurs de services logent au foyer d’hébergement de Riga
pendant minimum 6 mois, et que 43% des personnes sondées ont utilisé le foyer plus d’une fois,
il semble qu’il y ait plusieurs obstacles à leur réinsertion ;
• L’absence de papiers d’identité, les difficultés liées à la recherche d’emploi ou de logement, ainsi
que le manque de moyens financiers pour vivre de manière acceptable, sont les problèmes principaux auxquels font face les personnes sans domicile fixe sondées. Ces problèmes sont aggravés par les longues listes d’attente pour des appartements, par le manque de capacité d’adaptation à une vie indépendante, par des problèmes de dépendance à l’alcool ou à la drogue, ainsi
que l’image de la personne sans domicile fixe qui s’avère être un obstacle à l’obtention d’un
emploi (notamment pour les personnes en âge de pré-retraite);
• Bien que beaucoup de personnes sans domicile fixe soient exclues de la société, et bien qu’elles
soient déprimées et désespérées, elles gardent l’espoir de résoudre leur situation sociale de
manière positive (en trouvant un emploi, un logement décent, en allant habiter dans un autre
pays, etc). Mais il existe des personnes sans domicile fixe qui sont satisfaites de leur vie et ne cherchent pas à la changer
• Le rôle important des travailleurs sociaux du foyer d’hébergement de Riga a été souligné dans
92% des réponses données;
• 90% des utilisateurs du foyer d’hébergement de Riga sont satisfaits par la nourriture, les conditions d’hygiène, le travail des assistants sociaux, ainsi que par les services de santé;
L’autre phénomène émergeant à Riga, en rapport avec l’exclusion liée au logement, est la mendicité. Afin de sensibiliser les mendiants sur les possibilités d’accès à des services sociaux, ainsi que pour
mieux comprendre la situation des personnes qui mendient, la ville de Riga a lancé une campagne
d’information intitulée « Comment aider ? ». Pendant cette campagne, des livrets d’information
(en langue lettone et langue russe) ont été distribués aux personnes mendiant dans la rue. Quelques
50 adultes et 5 enfants (des garçons entre 11 et 15 ans) ont été sondés dans différents coins de Riga
comme le vieux centre, le bazar central, la gare, la station de bus, les églises, les magasins, dans la
rue, dans les rues à proximité du bazar de Marisa, et également dans le quartier de Pardaugava (autre
rive de la Daugava). Certains d’entre eux n’avaient pas de domicile fixe.
Les personnes sans domicile fixe font face à des problèmes tels que: le manque de capacité de vivre
indépendamment, la pénurie de logements abordables, l’insuffisance des niveaux de scolarité et le
manque de motivation, les problèmes liés à la drogue/à l’alcool, les mauvaises conditions de santé,
ainsi que les stéréotypes imposés par cette même société qui cherche à promouvoir l’inclusion sociale de ces personnes. Actuellement, il semble que les personnes sans domicile fixe sont capables de
résoudre leurs problèmes dans une certaine mesure, mais ne sont pas toujours capables de maintenir le niveau d’intégration atteint. Ces personnes souffrent souvent de plusieurs troubles - c’est pour
cette raison que la réinsertion des personnes sans domicile fixe nécessite des investissements en
temps et en argent. Une approche pluri-dimensionnelle est nécessaire pour obtenir des résultats
durables.
Etant donné l’augmentation
du nombre de personnes sans
domicile fixe tous les ans, la
municipalité de Riga a décidé
de lancer des appels d’offres
pour
des
services
de
foyers/foyers de nuits auprès
des organisations non-gouvernementales. Donc en 2004,
des foyers de nuit supplémentaires ont fourni des places
pour 150 personnes, ce qui
s’est traduit par une nette
amélioration des services pour
personnes sans domicile fixe
au sein de la municipalité.
.Au sein du foyer d’hébergement de Riga et des services des ONGs, les utilisateurs de services peuvent consulter un assistant social. Dans les services des ONGs mentionnées, des travailleurs sociaux
offrent aux utilisateurs des services de soutien et de conseil sur les parcours possibles de réinsertion,
en conformité avec le plan individuel de réhabilitation de chaque utilisateur de service (en 2004,
11606 consultations ont eu lieu au sein du foyer d’hébergement de Riga). Les personnes ne bénéficiant d’aucun service peuvent toutefois consulter un assistant social du foyer d’hébergement de Riga
ou un expert de l’organisation fournissant les services sociaux.
Il est fondamental de fournir de l’aide au moment juste, pour éviter toute aggravation de la situation d’exclusion. Le Plan d’Action National (PAN) de la Lettonie pour l’inclusion sociale a prévu d’amé-
La réinsertion des
personnes sans
domicile fixe nécessite
des investissements en
temps et en argent. Une
approche pluridimensionnelle est
nécessaire pour obtenir
des résultats durables.
15
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
D’après les utilisateurs de services et les travailleurs sociaux du foyer d’hébergement de Riga, il serait
important de développer les services suivants pour les personnes sans domicile fixe de la ville de
Riga0:
• La création de foyers de taille réduite (avec un nombre réduit de lits) dans chaque quartier de la
ville de Riga;
• La création d’un foyer de nuit séparé pour les personnes qui ne cherchent pas à améliorer leurs
conditions de vie, un foyer qui fournirait un toit pendant la nuit, ainsi que le petit déjeuner et un
dîner pendant les mois d’hiver;
• Le développement de centres de réhabilitation sociale pour les personnes à peine sorties de prison;
• Le développement de groupes d’appui pour les personnes sans domicile fixe;
• L’amélioration de l’accès aux services de santé;
• Le développement de services de jour pour les personnes sans domicile fixe;
• La mise en place d’entreprises à vocation sociale pour résoudre le chômage des personnes sans
domicile fixe;
• La construction de logements temporaires pour les personnes souffrant d’un handicap et les personnes retraitées qui sont sur des listes d’attente pour des centres de réhabilitation à long-terme
ou des logements protégés
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
liorer les politiques de réinsertion des personnes sans domicile fixe dans le cadre du Programme
EQUAL. Le PAN souligne également que l’Etat fournira plus de soutien aux municipalités pour le
développement du stock de logements à vocation sociale. Ceci donnera la possibilité à beaucoup
de personnes sans domicile fixe d’accéder à des logements abordables. Etant donné que la majorité des personnes sans domicile fixe en Lettonie se trouvent dans la région de Riga, il est difficile de
fournir des logements abordables pour tous. Il faut souvent attendre quelques années avant d’obtenir de l’aide de la municipalité. D’où la présence de certaines personnes au foyer d’hébergement
de Riga pendant un an et plus, même s’il s’agit de services d’hébergement d’urgence uniquement.
16
Parmi ces personnes, il y a la catégorie de ceux qui reçoivent une pension de retraite de l’Etat, qui
ont un revenu, mais qui ne trouvent pas de logement à loyer abordable. Il y a des personnes qui
sont en parfaite santé, mais dont le revenu ne leur permet pas de louer un appartement.
Conformément aux règlements en place en République de Lettonie, la majorité de ces personnes
ne font pas de demande auprès de la municipalité de Riga pour bénéficier de services de logement.
La municipalité de Riga offre des aides au logement afin de prévenir les expulsions. Etant donné les
problèmes de santé de beaucoup personnes sans domicile fixe et les difficultés d’accès aux services
médicaux, la municipalité offre également à ces personnes la possibilité de consulter un docteur
Conclusions
Action nécessaire
Il n’existe pas assez de données sur l’exclusion liée au logement en Lettonie
Plus de recherche sur le phénomène de l’exclusion liée au logement en
Lettonie est nécessaire
Les personnes sans domicile risquent de devenir encore plus
exclus de la société
Il serait bien d’utiliser les médias pour faire de la sensibilisation sur la nature de l’exclusion liée au logement dans notre pays afin de réduire l’isolement social des personnes sans domicile fixe et de les aider dans leur réinsertion sociale
Il y a un besoin urgent de logements abordables
Il faudrait un programme national qui distribue des crédits à long-terme
(avec taux d’intérêts raisonnables) pour encourager les gens à acheter leur
propre logement
Besoin urgent de logements abordables
Il faudrait développer un programme national de soutien aux municipalités
dans la rénovation des stocks de logements
Les personnes sans domicile fixe éprouvent des difficultés à
intégrer le marché du travail
Il est nécessaire de créer plus d’entreprises à vocation sociale afin de motiver les personnes qui ont du mal à intégrer le marché du travail, comme
par exemple pour les personnes en âge de pré-retraite
Il y a très peu d’organisations pouvant fournir des services
aux personnes sans domicile fixe dans les plus grandes
municipalités
Il faudrait donc plus d’investissements de la part de l’Etat pour développer
les services pour les personnes sans domicile fixe (foyers de jour, de nuit)
pour des soins d’urgence.
A présent, la municipalité de Riga est en train d’élaborer un plan de lutte contre l’exclusion liée au
logement et contre la mendicité. Ce plan devrait être en conformité avec les normes européennes
des services sociaux. La première étape sera la mise en place d’un groupe de travail pour l’élaboration du plan, qui sera composé de représentants des unités structurels de la municipalité de Riga
(département social, département communal, le département des services sociaux, la police municipale, etc), ainsi que les prestataires de services. Les objectifs principaux de ce plan seraient les suivants:
1. Développer une politique municipale pour prévenir l’exclusion liée au logement et la mendicité;
2. Réduire le nombre de personnes sans domicile fixe dormant dans les espaces publiques;
3. Développer un réseau de services sociaux et d’assistance adéquat qui puisse subvenir aux besoins
des personnes sans domicile fixe;
4. Fournir des solutions compréhensives à l’exclusion liée au logement et aux problèmes de mendicité dans la ville de Riga;
5. Résoudre le problème de l’exclusion liée au logement en réduisant la pauvreté et l’exclusion
sociale
Afin de travailler de manière efficace sur le développement et la mise en oeuvre de ce plan de lutte
contre l’exclusion liée au logement, la municipalité de Riga travaille en coopération avec d’autres
villes européennes en comparant et analysant les différents systèmes de services sociaux de ces
villes, dans le cadre de différents projets transnationaux. •
1
Le nombre total d’utilisateurs de services est une estimation en raison du manque d’un système unifié de collecte de données dans le
foyer d’hébergement et les foyers de nuit de Riga, par exemple: une personne célibataire peut être accueillie par plusieurs foyers (de jour
et de nuit) au cours d’une année.
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« Mais qu’attendent-ils donc pour se ressaisir ? » ou
La Bridge-Building Society : travailler avec les sans-abri
dans une ville danoise
Par Per Thomsen, socio-anthropologue, Directeur de la Bridge-Building Society
DÉFINITION : QUI SONT AUJOURD’HUI LES SANS-ABRI ET
LES EXCLUS DE LA SOCIÉTÉ DANOISE ?
MARGINALISÉS – Y COMPRIS PAR LES SYSTÈMES DE
PRISE EN CHARGE ET D’ACCOMPAGNEMENT
Le public des personnes qui se situent au bas de l’échelle sociale
actuelle se voit régulièrement coller de nouvelles étiquettes. Au milieu
des années quatre-vingt-dix, on les appelait « exclus sociaux » puis,
quelques années plus tard « sans-abri », et selon la dernière nomenclature en date, il s’agit désormais de « personnes vulnérables ». La
même valse des dénominations a concerné les institutions qui
accueillent ces personnes. Toutes sortes de termes ont été ou sont en
usage, depuis les « almshouses » (résidences pour personnes âgées
ou défavorisées gérées par l’église ou les organisations caritatives) jusqu’au « logement ‘Section 94’ » en passant par les « hospices » et
autres « maisons de correction », résidences et foyers pour sans-abri
et autres centres d’accueil. L’une des raisons de cette prolifération de
termes pour désigner un seul et même public tient à la difficulté qu’il
y a à définir précisément ce qu’est un « exclu », un « sans-abri » ou
une personne « socialement vulnérable ». S’il est vrai que bon
nombre de ces personnes sont, par exemple, également alcoolo- ou
toxicodépendantes, on ne peut pas pour autant affirmer que toutes
les personnes dépendantes de l’alcool ou de la drogue sont socialement marginalisées. Dans le même ordre d’idée, même si bon
nombre de personnes marginalisées présentent des troubles de la
santé mentale, il serait parfaitement erroné d’en conclure que toutes
les personnes présentant des troubles de la santé mentale sont socialement marginalisées. Et ainsi de suite. En revanche, les personnes
socialement marginalisées sont souvent affectées par tout un éventail
de problèmes concomitants tels que l’alcoolisme ou la toxicomanie,
une éducation insuffisante voire inexistante, le chômage, le surendettement ou d’autres problèmes financiers, l’exclusion du logement ou
encore les problèmes relationnels, de santé ou de baisse significative
de l’espérance de vie. Margaretha Järvinen, professeur de sociologie
à l’Université de Copenhague, décrit ce public comme celui des drogués, des alcooliques et des malades mentaux qui sont le plus faible
socialement. Elle ajoute même en paraphrasant le célèbre chanteur et
parolier danois Kim Larsen que les marginaux sont les personnes
« avec qui les autres ne veulent pas jouer ».
Autre caractéristique des citoyens marginalisés : ils ne parviennent
pas à bénéficier des dispositifs de prise en charge et d’accompagnement au même titre que les autres citoyens. Les citoyens en marge
de la société sont souvent confrontés au rejet des systèmes de protection sociale ou de soins de santé. Il suffit par exemple qu’une personne marginalisée se soit comportée de manière menaçante à
l’égard d’un travailleur social ou d’un médecin pour qu’elle soit
expulsée sans avoir reçu l’assistance dont elle a pourtant besoin. En
outre, l’assistance disponible n’est bien souvent pas formatée pour
inclure les personnes qui vivent en marge de la société. Ainsi, il leur
est le plus souvent impossible d’accepter une quelconque offre d’activité professionnelle raisonnable. Il conviendrait donc de prévoir des
passerelles pour ces personnes vers les dispositifs d’assistance et
d’accompagnement disponibles, voire dans certains cas des offres
spéciales d’emploi alternatif spécifiquement formatées pour ce
public. C’est à ce niveau qu’intervient la Bridge-Building Society.
Les experts s’opposent sur la cause première de la marginalisation de
certaines personnes. D’aucuns pensent qu’elle résulte essentiellement
de la transmission intergénérationnelle négative. Cette théorie affirme, en simplifiant à l’extrême, qu’un enfant ou un jeune exposé à un
grand nombre de problèmes sociaux présente un risque nettement
plus élevé de marginalisation sociale dans sa vie d’adulte. Cette explication est valable, mais d’autres scientifiques pensent qu’en principe,
tout le monde présente le même risque de marginalisation sociale.
Quel que soit l’argument privilégié, le fait demeure qu’une fois
exclues de la société, les personnes marginalisées ne la « réintègrent
» qu’au prix d’un véritable parcours du combattant, à la fois long et
extraordinairement difficile.
Depuis de nombreuses années, le consensus est large au sein de la
Commission des services sociaux d’Aalborg autour de la nécessité de
consentir des efforts particuliers dans le domaine de l’inclusion sociale. C’est pourquoi la Ville d’Aalborg, par l’intermédiaire de la BridgeBuilding Society, a lancé ces dix dernières années plusieurs projets
destinés à dynamiser ces initiatives. Non seulement les autorités municipales, mais aussi le Comté du Jutland du Nord et plusieurs organisations caritatives privées ont développé leurs activités et lancé de
nouvelles offres novatrices ciblées sur le public des personnes qui
vivent en marge de la société. Parmi celles-ci, un modèle de résidence collective alternative pour exclus sociaux, les shelter town (« villes
refuges », également surnommées freak houses ou « maisons des
horreurs ») pour personnes sans abri, du personnel d’action sociale,
des offres d’activité professionnelle, des offres de formation pour le
personnel social, des centres et cafés d’accueil, du logement communautaire, etc. Ces initiatives d’assistance aux sans-abri d’Aalborg ont
été applaudies à l’échelle nationale puisque la Ville d’Aalborg a reçu
en 2003 un prix décerné par la coordination nationale des sans-abri
et qu’en 2004, un autre prix a été remis au directeur de shelter town,
organisme dirigé par une ONG sous convention opérationnelle avec
la Ville d’Aalborg. Parmi les prises en charge disponibles, bon nombre
sont subventionnées par le Ministère des affaires sociales ; on peut
donc affirmer que ces dix dernières années, ce sont à la fois les pouvoirs publics nationaux, les autorités du Comté, les ONG et la collectivité locale qui ont investi de l’énergie et des moyens financiers dans
ce domaine.
17
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
POURQUOI CERTAINES PERSONNES ÉCHOUENT-ELLES
DANS LA MARGINALITÉ ?
INITIATIVES SPÉCIFIQUES À AALBORG
section
SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
COOPÉRATION INTERNATIONALE
18
La coopération internationale constitue un domaine de plus en plus
important en termes de mise en commun des connaissances, d’inspiration et de mise au point de nouvelles méthodes de prise en charge
des personnes sans-abri, et ce plus encore depuis l’introduction de la
méthode ouverte de coordination et des Plans d’action nationaux
(PAN/Inclusion). La Bridge-Building Society en tient compte depuis
quelques années déjà puisqu’elle met davantage encore l’accent sur la
coopération internationale : membre du Conseil danois de l’EAPN
(European Anti Poverty Network, Réseau européen de lutte contre la
pauvreté), elle siège également au RETIS (Réseau européen transrégional pour l’inclusion sociale). En ce qui concerne ce dernier, notre participation s’étend également à un partenariat de villes et régions européennes engagé dans l’élaboration d’un exercice d’évaluation par les
pairs sur l’exclusion du logement.
EDIFIER DES PASSERELLES
Bridge (« pont », « passerelle ») et Bridge-Building (« construire
des passerelles ») sont des métaphores qui décrivent assez précisément les activités de la Bridge-Building Society. Celle-ci est en effet
responsable de la mise en place et du fonctionnement de trois passerelles. La première concerne l’une des problématiques évoquées cidessus, c’est-à-dire le fait que les exclus de la société sont souvent
marginalisés par les mêmes dispositifs d’accompagnement qui sont
censés les pendre en charge. Dans ce cas, le rôle de la BridgeBuilding Society consiste à élargir l’accès aux dispositifs d’accompagnement et à veiller à ce que des prises en charge alternatives soient
disponibles si nécessaire. La seconde, tout aussi essentielle, doit combler le fossé séparant les personnes qui vivent en marge de la société des autres citoyens de la ville. Il s’agit pour ce faire de véhiculer
auprès de la collectivité des faits précis et véridiques concernant les
exclus sociaux afin de lutter contre l’enracinement des préjugés. Pour
désigner ce type d’activités, nous parlons de « travail sur le tissu
social ». Nous considérons qu’il s’agit d’un travail essentiel afin de
transmettre des informations impartiales et objectives à propos des
personnes marginalisées au sein de la société. Autre aspect des passerelles vers la collectivité : aborder ce que, dans le jargon des travailleurs sociaux, on appelle le « syndrome NIMBY » (Not In My
BackYard, littéralement, « pas dans mon jardin »). Cet acronyme
désigne le comportement qui caractérise la majorité des citoyens en
matière d’exclusion sociale : ils reconnaissent qu’il faut faire quelque
chose pour aider les personnes marginalisées mais refusent que les
structures de prise en charge s’installent dans leur propre quartier.
Dans ces cas-là, il est indispensable que la Bridge-Building Society
contacte les personnes concernées et leur transmette des informations impartiales et objectives. En effet, l’expérience montre que les
idées préconçues concernant l’impact négatif supposé de ces initia-
tives pour leur voisinage géographique est très largement exagéré.
Lorsque des problèmes se font jour du fait de la présence de services
de prise en charge des personnes marginalisées, nous nous mettons
à l’écoute des citoyens qui peuvent nous contacter s’ils se sentent
incommodés, après quoi nous recherchons une solution susceptible
de satisfaire tout le monde. Troisième et dernière passerelle : l’assistance à tous les acteurs de l’aide aux personnes marginalisées. Des
efforts sont entrepris afin d’aider activement les divers acteurs
concernés à dialoguer et travailler ensemble : tous les mois, la
Bridge-Building Society organise une réunion à laquelle participent
un ou plusieurs représentants de chacune des institutions qui travaillent avec notre public cible. Ce dialogue encourage la mise en
commun des connaissances et l’échange d’expériences, assurant
ainsi la mise à jour régulière des informations concernant les activités des uns et des autres. Bon nombre d’initiatives novatrices dans le
domaine sont issues des débats animés qui caractérisent ces
réunions. Il convient également de souligner qu’outre les échanges
instaurés avec les partenaires mentionnés ci-dessus, la BridgeBuilding Society a également établi un dialogue permanent avec la
coordination des sans-abri (SAND).
MAIS QU’ATTENDENT-ILS DONC POUR SE RESSAISIR ?!
En conclusion, on serait en droit de se demander s’il est véritablement nécessaire de consacrer autant d’efforts et de moyens au
public des exclus sociaux. En effet, à les observer dans la rue, on
éprouve souvent des difficultés à comprendre pourquoi ils ne se
remontent pas tout simplement les manches pour changer de vie.
Malheureusement, c’est plus facile à dire qu’à faire. En effet, il est
aisé d’imaginer un garçon de douze ans décidant un beau jour, assis
à la table de la cuisine, qu’il sera policier ou pilote quand il sera
grand. Il est tout aussi facile de penser qu’il se tiendra à sa décision
lorsque le moment sera venu pour lui de tracer sa voie dans l’existence. Par contre, il est beaucoup plus difficile de se représenter le
même garçon, assis à la même table de cuisine, choisissant de devenir sans-abri, marginalisé par la société dans laquelle il vit et grandit.
Personne ne choisit de vivre à la dure, en marge de la société. Encore
faudrait-il avoir le choix. Depuis dix ans que je travaille avec le public
cible des personnes marginalisées, je n’ai en tout cas jamais rencontré personne qui fasse partie de ce public par choix de vie délibéré.
Lorsqu’on a glissé jusqu’au bas de l’échelle sociale, remonter les
échelons un à un relève de la gageure. Il ne s’agit pas simplement de
se ressaisir et de choisir un autre mode de vie. Dans cette situation,
on a besoin d’aide. C’est une lutte, longue et difficile. L’assistance à
prodiguer à ces personnes devrait constituer une priorité des priorités, d’autant qu’il est universellement reconnu que la qualité d’une
société se mesure à l’aune du traitement qu’elle réserve à ses
citoyens les plus vulnérables.•
Investir dans la santé des personnes sans abri
Par Ingrid Stegeman, Chargée de la politique d’EuroHealthNet
E-mail : [email protected]
L’objectif de la Stratégie d’action de l’Union
européenne pour l’inclusion sociale consiste,
d’ici 2010, à réduire de manière significative le
nombre de personnes vivant dans la pauvreté
au sein de l’Union européenne. Parmi les efforts
à déployer pour atteindre cet objectif, chaque
Etat membre de l’Union européenne doit élaborer un Plan d’action national esquissant les
mesures qu’il entend prendre pour lutter contre
l’exclusion sociale et précisant ses projets dans
ce domaine. Etant donné les cercles vicieux évoqués ci-dessus, les interventions dans le domaine de la santé sont manifestement susceptibles
de jouer un rôle essentiel dans la lutte contre la
pauvreté et l’exclusion sociale. Quelle n’a donc
pas été la surprise de EuroHealthNet de constater, en analysant les première et seconde moutures des Plan d’action nationaux en faveur de
l’inclusion sociale, l’absence quasi totale de
prise en compte de la santé, et en particulier
des domaines de la santé publique et de la promotion de la santé. EuroHealthNet a dès lors
initié un projet visant à aborder ces problématiques de manière plus détaillée et consistant à
rassembler les bonnes pratiques en provenance
de toute l’Union européenne afin d’illustrer
l’impact positif pour l’inclusion sociale des
actions en matière de santé.
Deux de ces bonnes pratiques ciblaient précisément les personnes sans abri. Les deux projets
ont pour chef de file des collectivités territoriales (un comté et une municipalité). Dans le
cas de la clinique pour sans-abri de Stockholm,
l’organisme de santé Institut Karolinksa a également participé à la mise à disposition des ressources nécessaires à la réalisation des presta-
tions. Les projets consistaient à prodiguer des
soins médicaux aux personnes et à renforcer la
coordination des services de prise en charge. La
fourniture de soins médicaux dignes de ce nom
et fiables est un axe d’intervention à la fois évident et important pour les personnes exposées
aux formes les plus extrêmes d’exclusion sociale, telles que l’exclusion du logement. Les personnes sans abri sont souvent gravement
malades ; elles sont atteintes de troubles liés à
l’alcoolo- et/ou à la toxicodépendance, d’infections, de maladies cardiaques, d’intoxication alimentaire, de diabète, de pathologies du foie,
du HIV/sida ou d’hépatite. Rares sont toutefois
les personnes sans abri qui consultent régulièrement un médecin : elles échouent souvent aux
urgences où, étant donné que personne n’assume la responsabilité pleine et entière de leur cas
et que les soins prodigués sont inconséquents,
la qualité de leur prise en charge est souvent
très douteuse. La planification et le financement
de ces projets par les collectivités territoriales
rencontrent donc un besoin tout ce qu’il y a de
plus manifeste.
SUÈDE : HÅLLPUNKT
Hållpunkt est une clinique créée en 2001 dans
le centre de Stockholm pour aborder cette
situation. Elle propose aux personnes sans abri
une aide médicale gratuite, sans rendez-vous le
matin des jours de semaine et sur rendez-vous
l’après-midi. Les urgences sont prises en charge
à toute heure. Le personnel de la clinique oscille entre dix et quatorze personnes et on estime
qu’à la fin 2004, elle avait déjà accueilli environ
la moitié des quelque trois mille sans-abri que
compte la ville de Stockholm.
Hållpunkt se distingue également par la présence d’une clinique dentaire ouverte dans le cadre
d’une étude visant à déterminer la prévalence
des affections et maladies buccales spécifiques
parmi les personnes sans-abri et de rassembler
des informations concernant leurs habitudes de
santé, d’hygiène buccale et de soins dentaires.
Les sans-abri sont invités à s’y faire examiner et
soigner les dents gratuitement. Il s’agit d’une
première en Suède : jamais encore l’hygiène
dentaire des sans-abri n’avait été étudiée dans
le pays.
En matière de prise en charge de l’exclusion du
logement, l’un des principaux écueils tient à
l’établissement du contact avec les personnes.
De fait, la clinique a éprouvé des difficultés pour
trouver des sans-abri disposés à prendre part à
l’étude. Heureusement, une fois franchi le seuil
de la clinique, les professionnels de santé ont
constaté que la majorité étaient désireux de se
faire soigner. Les patients se soumettent aux
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SANS-ABRIS en Europe é t é 2 0 0 5
Santé, pauvreté et exclusion sociale sont inextricablement liées. Une bonne santé physique et
mentale permet aux gens d’affronter les aléas
de l’existence susceptibles de conduire à la marginalité. A contrario, une santé chancelante
risque de les empêcher de faire face à leurs difficultés et d’enclencher des cercles vicieux compliquant encore leurs problèmes. Ces derniers
sont particulièrement visibles au sein des publics
sociaux les plus défavorisés tels que les personnes sans abri. L’exclusion du logement est
souvent la conséquence de troubles non traités
de la santé mentale. Même dans le cas contraire, vivre dans la rue est susceptible d’entraîner
une dégradation rapide de l’état de santé physique et mentale. Les privations relativement
graves, de même que la déchéance sociale,
qu’entraînent l’exclusion du logement peuvent
provoquer une perte d’auto-efficacité, c’est-àdire du sentiment de maîtriser son existence, et
donc compliquer encore la spirale de la pauvreté, de l’exclusion sociale et de la mauvaise
santé.
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traitements préconisés, même lorsque ceux-ci
impliquent des visites répétées, font des efforts
pour être ponctuels à leurs rendez-vous et discutent volontiers de leurs problèmes d’horaire.
Malheureusement, obtenir un traitement pour
un état pathologique ne constitue qu’une première étape sur la voie de la prise en charge des
besoins des personnes sans abri. En effet, ces
dernières ont besoin de bien d’autres formes
d’assistance pour surmonter des difficultés souvent profondément enracinées. Or, la coordination entre prestataires de services est insuffisante pour aborder les besoins complexes des personnes sans abri. C’est pourquoi Hållpunkt
cherche à triompher des obstacles organisationnels imposés par le système des soins de santé
en réunissant sous un même toit tout un éventail de services aux sans-abri.
Italie : Road Sweet Home
Road Sweet Home est un projet lancé à
Pérouse, en Italie, et qui, encore que plus
modeste, vise également à réunir divers services
de soins aux sans-abri afin d’instaurer une
continuité des soins destinés à ces personnes. Il
s’agit d’une enquête semestrielle portant sur la
nature de l’exclusion du logement en Ombrie et
sur les situations et parcours qui y mènent. Elle
a pour objectif d’identifier les besoins des personnes sans abri et de mettre sur pied un réseau
de prises en charge susceptibles de les satisfaire. Dans le cadre de ce projet, un centre d’accueil pour personnes sans abri au seuil d’intervention relativement bas a été créé, dont le personnel dirige les sans-abri sur les services médicaux et sociaux du quartier qui pourront leur
faire passer un bilan de santé. En fonction de
leurs besoins, les personnes prises en charge
peuvent également recevoir des coupons-repas
ou être invitées à participer à des programmes
de réhabilitation pour personnes dépendantes
de l’alcool ou de la drogue. L’objectif est d’inciter les personnes à une réflexion personnelle et
à modifier leur façon de vivre, surtout au plan
de la santé, et de déclencher ainsi un processus
de réhabilitation personnelle.
Les résultats du projet Road Sweet Home révèlent l’impact positif de l’assistance directe proposée aux exclus sociaux et de l’élaboration de
programmes individuels personnalisés : sur
trente-quatre participants au projet, sept avaient
quitté la rue quatre mois après le lancement du
programme tandis que la moitié environ
s’étaient investis dans la vie du foyer et participaient à des programmes d’accompagnement
et que d’autres encore s’étaient engagés dans
des parcours individuels. Parmi les sans-abri en
contact avec les services proposés, aucun n’a
refusé une aide complémentaire par la suite.
Hållpunkt et Road Sweet Home sont tous deux
subventionnés par la collectivité territoriale. Les
cabinets médical et dentaire ont été mis sur
pied et ouverts par le Conseil du Comté de
Stockholm. Le service d’odontologie de l’Institut
Karolinska, qui a offert l’équipement et détaché
du personnel, se charge de l’organisation et du
fonctionnement de la clinique. Quant au projet
Road Sweet Home, il est subventionné par la
mairie de Pérouse ainsi que par le Consortium
des coopératives sociales de Pérouse, qui finance la prise en charge des personnes confrontées
à la pauvreté extrême.
Malgré la pertinence et la réussite de ces projets, il reste difficile d’obtenir et de pérenniser
les ressources nécessaires pour aider les personnes exposées aux formes d’exclusion les plus
graves. Par exemple, malgré un soutien politique et public considérable, Hållpunkt fonctionne sur un budget modeste et continue de
faire face à la concurrence d’autres acteurs du
secteur de la santé pour l’obtention des subsides. Les forces consacrées à la recherche des
fonds nécessaires à la poursuite du projet ne
peuvent ensuite plus être investies dans sa réalisation. On espère que les autorités continueront de prendre en charge les dépenses liées à
la clinique dentaire ainsi que les traitements
médicaux prodigués par le centre de soins
lorsque les subsides se tariront fin 2005.
Les résultats de ces deux projets montrent combien il est important à la fois d’investir dans la
santé des personnes sans abri et d’assurer une
prise en charge personnalisée et cohérente.
Remettre sur pied les personnes sans abri, c’est
leur rendre leur dignité. Hållpunkten rapporte
que le simple fait d’avoir de nouvelles dents a
suffi à motiver certains patients à reprendre des
études ou la recherche d’un emploi. Road
Sweet Home estime qu’il serait possible, si le
programme pouvait se poursuivre, de sortir de
la rue la quasi-totalité des trente-quatre participants au projet. Les deux projets démontrent
que l’investissement public dans la santé peut
avoir un impact très positif et aider des personnes à refaire leur vie tout en contribuant à
réduire l’exclusion sociale.
Le rapport intitulé Promoting Social
Inclusion and Tackling Health Inequalities in
Europe – an overview of good practices
from the health field (« Promouvoir l’inclusion sociale et la lutte contre les inégalités
au plan de la santé en Europe : panorama
des bonnes pratiques issues du secteur de
la santé ») est disponible sur le site internet
de EuroHealthNet à l’adresse suivante :
www.eurohealthnet.org. •

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